LA CITÉ GRECQUE

 

INTRODUCTION. — FORMATION DE LA CITÉ.

 

 

I. — LES THÉORIES.

Le trait le plus saillant de la Grèce antique, la raison profonde de toutes ses grandeurs et de toutes ses faiblesses, c’est qu’elle a été partagée en une infinité dé cités qui formaient autant d’Étais. Toutes les conceptions que suppose une pareille division étaient si profondément ancrées dans la conscience hellénique, qu’au IVe siècle les esprits les plus réfléchis considéraient l’existence de la polis comme un fait de nature. On ne pouvait se représenter un autre groupement pour les hommes vraiment dignes de ce nom. Aristote lui-même en arrive à prendre l’effet pour la cause et à définir, non pas l’Hellène, mais l’homme, un animal politique. Il y a pour lui deux sortes d’êtres humains : ceux qui croupissent dans des peuplades amorphes et sauvages ou forment d’immenses troupeaux dans des monarchies aux proportions monstrueuses et ceux qui sont harmonieusement associés en cités ; les uns sont nés pour l’esclavage, afin de permettre aux autres de se donner une organisation supérieure.

En fait, les conditions géographiques de la Grèce ont fortement contribué à lui donner son aspect historique. Déchiquetée par la continuelle rencontre de la ruer et de la montagne, elle présente de toutes parts d’étroites dépressions encadrées de hauteurs et qui n’ont de débouchés faciles que par la côte. Elle forme ainsi d’innombrables cantons, dont chacun est le réceptacle naturel d’une petite société. Le morcellement physique détermine ou tout au moins facilite le morcellement politique. Autant de compartiments, autant de nationalités distinctes. Qu’on imagine, dans un vallon fermé, des pâturages au bord des ruisseaux, des bois sur les pentes, des champs, des vignobles et des olivettes suffisant à nourrir quelques dizaines de mille habitants, rarement plus de cent mille, et puis une butte pouvant servir de refuge en cas d’attaque et un port pour les relations extérieures on se fera urge idée de ce qu’est pour un Grec un État autonome et souverain.

On ne peut pas dire, pour autant, que la création de la cité ait pour cause unique une fatalité inéluctable, l’influence toute-puissante de la terre sur l’homme. La preuve en est qu’Aristote n’y a même pas songé, lorsqu’il fait de l’homme un être politique. Au reste, en Asie Mineure et en Italie, les conditions géographiques se trouvaient bien différentes de celles qui s’imposaient dans la Grèce propre : les montagnes y étaient moins chaotiques et plus basses, les plaines plus étendues, les communications plus faciles ; et cependant les Grecs y reproduisirent avec une inlassable fidélité le type de constitution qu’ils avaient façonné à la mesure de pars plus découpés et plus exigus. Il faut donc admettre qu’aux influences du milieu se sont combinées, dans la formation de la cité, les circonstances historiques.

C’est à elles seules qu’ont pensé, dans l’antiquité Aristote, dans les temps modernes Fustel de Coulanges.

D’après l’auteur de la Politique[1], les Grecs ont passé par trois stades. La première communauté, qui persiste dans tous les temps par cela même qu’elle est naturelle, a pour base l’association du mari et de la femme, du maître et de l’esclave, et comprend tous ceux qui mangent à la rhème table et respirent la même fumée d’autel : la familier l’oikia. De la famille est sortie par essaim, comme une colonie, le village, la kômè : ceux qui l’habitent, enfants et petits-enfants de la famille, obéissent à un roi, lequel exerce dans la famille agrandie tous les pouvoirs qui reviennent au plus âgé dans la famille primitive. Enfin, par l’association de plusieurs villages, se forme l’État complet, la communauté parfaite, la polis. Née du besoin de vivre, subsistant par le besoin de vivre bien, la polis n’existe et ne dure que si elle se suffit à elle-même. La cité est donc un fait de nature, tout comme les associations antérieures dont elle est la fin dernière. Et voilà bien pourquoi l’homme, qui ne peut commencer à se développer que dans la famille, ne peut arriver à son épanouissement complet que dans la polis et, par suite, est naturellement un être politique.

Par un emploi restreint de la méthode comparative, l’auteur de la Cité antique est arrivé, de nos jours, à des conclusions différentes sur certains points, mais analogues dans l’ensemble. Il cherche l’explication des institutions dans les croyances primitives, dans le culte des morts et le feu sacré, en un mot, dans la religion domestique. C’est elle qui a été le principe constitutif de la famille entendue au sens large, du génos grec comme de la gens romaine. L’obligation d’honorer l’ancêtre commun entraîne celle d’assurer la continuité de la famille ; elle donne leur caractère essentiel aux règles qui président au mariage, au droit de propriété, au droit de succession ; elle confère une autorité absolue au père de famille, à l’aîné des descendants les plus directs de l’aïeul divin ; elle sert de fondement à toute la morale. — Des nécessités d’ordre économique et militaire contraignirent successivement les familles â se grouper eu phratries, puis les phratries en tribus, enfin les tribus en cité. Lai religion dut suivre le développement de la société humaine ; mais les dieux sortis de la famille ne diffèrent des dieux familiaux que par l’extension de leur culte. Il y eut un foyer public. Il y eut une religion de la cité, qui imprégna toutes les institutions. Le roi fut, avant toua, un grand-prêtre, et les magistratures qui recueillirent la succession de la royauté furent par essence des sacerdoces : l’autorité politique a pour source une fonction sacrée. Qu’est-ce que la loi ? un commandement d’en haut. Qu’est-ce que le patriotisme ? une piété municipale. Qu’est-ce que l’exil ? une excommunication. La puissance divine fait l’omnipotence de l’État, et toute revendication de la liberté individuelle ne peut être conçue que comme une révolte contre les dieux. Dans des cités ainsi constituées, les chefs des génè formaient une classe privilégiée ; ils étaient capables de tenir tête aux rois et dominaient de haut les hommes du peuple qui s’étaient agrégés à eux comme clients et surtout la tourbe des plébéiens, descendants d’étrangers. — Une puissance aussi exclusive devait déterminer une série de révolutions. La première fut celle qui enleva aux rois l’autorité politique et les réduisit à l’autorité religieuse. Mais les chefs de l’aristocratie étaient aussi de véritables monarques, chacun dans son génos. Une deuxième révolution changea la constitution de la famille, V supprima le droit d’aînesse, fit disparaître la clientèle. Une troisième introduisit la plèbe elle-même dans la cité, modifia F les principes du droit privé, fit prévaloir dans le gouvernement l’intérêt public. Un moment, toutefois, le privilège de la fortune pensa se substituer à celui de la naissance ; il fallut une quatrième révolution pour établit- les règles du gouvernement démocratique. La cité ne pouvait pas se développer davantage ; les luttes entre riches et pauvres allaient la vouer à la destruction. La critique des philosophes commença de montrer combien ce régime était étroit ; la conquête romaine enleva tout caractère politique au régime municipal ; enfin, le christianisme assura dans les esprits le triomphe d’une conception universelle et transforma pour toujours les conditions mêmes de tout gouvernement.

On ne peut qu’admirer la construction grandiose de Fustel de Coulanges. A l’ampleur de la pensée correspondent la précision des détails et la pureté de la forme. Pourtant, il est impossible aujourd’hui de souscrire à toutes ses conclusions. Nous nous garderons mien ici de lui reprocher sa timidité dans l’emploi de la méthode comparative, non seulement parce que nous n’avons pas nous-mêmes à y recourir, ruais parce qu’en fait, à l’époque où parut la Cité antique, nul, depuis Montesquieu, n’avait manié cette méthode avec une pareille maîtrise. C’est sur d’autres points qu il convient de se tenir en garde contre la séduction qu’exerce le chef-d’œuvre. A mesure qu’il passe de la famille à la phratrie, à la tribu et à la cité, l’historien, quoiqu’il s’en défende, ne fait que transporter dans des groupes de plus en plus nombreux les croyances et les coutumes qu’il avait observées dans le groupe primitif : elles restent identiques dans un domaine plus étendu. D’une logique imperturbable, il va du même au même et place la famille au centre d’une série de cercles concentriques. Mais ce n’est pas ainsi qu’évoluent les sociétés humaines : ce ne sont pas des figures de géométrie, ruais des êtres vivants, qui ne durent et ne gardent leur identité qu’à condition de se modifier profondément. En réalité, la cité grecque, tout en conservant l’institution familiale, n’a pu grandir qu’à ses dépens. Elle a dû faire appel dans le groupe primordial aux énergies individuelles qu’il comprimait. La cité a dû longtemps lutter contre le génos, et chacune de ses victoires a été obtenue par la suppression d’une servitude patriarcale. Nous apercevons ainsi la grande erreur de Fustel de Coulanges. Conformément à la théorie qui dominait dans l’école libérale du XIXe siècle, il a établi une antinomie absolue entre l’omnipotence de la cité et la liberté individuelle, quand c’est, au contraire, d’un pas égal et s’appuyant l’une sur l’autre qu’ont progressé la puissance publique et l’individualisme.

Ce ne sont donc pas deux forces que nous verrons en présence, la famille et la cité, mais trois, la famille, la cité et l’individu. Chacune à son tour a eu la prépondérance. Toute l’histoire des institutions grecques se ramène ainsi à trois périodes :

dans la première, la cité se compose de familles qui gardent jalousement leur droit primordial et soumettent tous leurs membres à leur intérêt collectif ;

dans la seconde, la cité se subordonne les familles en appelant a son aide les individus libérés ;

dans la troisième, les excès de l’individualisme ruinent la cité, au point de rendre nécessaire la constitution d’États plus étendus.

II. — LES FAITS.

On a vu la façon purement logique dont, depuis Aristote jusqu’à Fustel de Coulanges, a été conçue l’origine de la cité. Malheureusement, le problème n’est pas si simple. L’histoire ne suit pas une voie rectiligne. Le vrai est toujours complexe, lorsqu’il s’agit d’hommes qui vivent, qui peinent, qui luttent, qui obéissent à des besoins divers. Et, si l’événement qu’on vent expliquer a eu lieu en des temps qui n’ont pas laissé de documents directs, au milieu de migrations qui ont mêlé dans toutes les parties du monde égéen les races et les civilisations, on doit s’attendre à de perpétuelles contaminations d’idées et de coutumes, à une irrégularité décevante dans la courbe de l’évolution, à des progrès par soubresauts suivis de formidables régressions.

Les premiers Grecs qui arrivèrent en Grèce, ceux qu’on appelle les Achéens et dont une partie reçut plus tard les noms d’Ioniens et d’Éoliens, étaient des pasteurs à demi nomades de la péninsule balkanique. Habitués à errer avec leurs troupeaux dans les herbages de la plaine et les forêts de la montagne, ils n’avaient jamais constitué d’État. Leur patrie, c’était le clan patriarcal qu’ils appelaient précisément patria ou plus souvent génos et dont tous les membres descendaient du même aïeul et adoraient le même dieu. Ces clans, réunis en nombre plus ou moins grand, formaient des associations plus étendues, des fraternités au sens plus large ou phratries, des compagnonnages de guerre où l’on se donnait le nom de phratores ou phratères, d’étai ou hétairoi. Quand les phratries faisaient de grandes expéditions, elles se groupaient en un petit nombre, toujours le même, de tribus ou phylai : chacune de ces tribus avait son dieu et son cri de guerre, chacune levait son corps d’armée, la phylopis, et obéissait à son roi, le phylobasileus ; mais toutes ensemble reconnaissaient l’autorité d’un roi suprême, le basileus en chef.

En ce temps-là, le génos seul avait une organisation solide et durable. On peut se la figurer d’après les souvenirs transmis par de très vieux chants aux épopées relativement récentes d’Homère, d’après les récits légendaires qu’on se répétait de génération en génération jusqu’au temps où ils ont été fixés par l’écriture, d’après les survivances conservées dans les cérémonies du culte, et puis aussi d’après les rares précisions fournies par les champs de fouilles et les innombrables analogies que présente l’étude comparée des sociétés humaines.

Quand le génos devint sédentaire sur le sol grec, autour du foyer commun continuèrent de se réunir tous ceux qui perpétuaient le sang de l’ancêtre. Sous le même toit, ils ont sucé le même lait (όμογάλκτες), respirent la même fumée (όμόκαπνοι), mangent le pain de la même huche (όμοσίπυοι). Inutile même de préciser les liens de parenté : tous les gennètes sont frères (κασίγνητοι). On se rappela longtemps ces grandis habitations qui contenaient plusieurs centaines de personnes apparentées : Homère représente encore cinquante frères et douze sœurs vivant ensemble dans la demeure de Priam avec leurs femmes et leurs maris, sans compter les enfants[2].

Le groupe ainsi formé jouit d’une indépendance complète et n’admet aucune limite à sa souveraineté. Il ne connaît, d’autres obligations que celles qui lui sont imposées par sa religion propre ; il ne conçoit d’autres vertus que celles qui contribuent à son honneur et à sa prospérité. Tout ce qui fait partie du groupe, personnes, animaux et choses, est uni par les liens d’une solidarité absolue : c’est ce qu’on appelle la philotès, mot qu’il faut bien traduire, faute d’un équivalent, par amitié, mais qui désigne un rapport plus juridique que sentimental. Seule, la philotès provoque et détermine l’aïdôs, la conscience du devoir. Le devoir, toujours réciproque, n’existe donc qu’entre parents à quelque degré que ce soit[3].

Ce petit monde ne peut préserver l’indépendance qui fait sa fierté, maintenir la solidarité qui fait sa force, que s’il se suffit à lui-même : pour parler avec les Grecs, l’autonomie a pour condition matérielle l’autarkie. Le génos possède donc, avec la maison consacrée par le foyer, toute la terre d’alentour consacrée par le tombeau de l’ancêtre, tout ce qu’il faut de champs, de pâturages, de vigne et d’oliviers pour nourrir tant de bouches. Ce domaine, avec le cheptel et les quelques esclaves qu’il contient, appartient en commun au groupe tout entier. Collective, la propriété est par cela mêmes inaliénable, indivisible ; sans règles de succession, elle se transmet éternellement de tous les morts à tous les vivants[4]. Et, pour mériter son droit de jouissance, chacun, grand ou petit, homme ou femme, doit travailler pour tous[5].

Le chef du génos est tout désigné : celui-là est roi qui remonte le plus directement, de mâle en mâle, à l’ancêtre divin et porte ainsi dans ses veines le sang le plus pur. Il est le prêtre du dieu qu’il incarne, préside à toutes, les cérémonies qui réunissent les gennètes autour du frayer, offre les sacrifices et les libations qui assurent leur prospérité. Il n’a pas seulement une puissance absolue sur sa femme, qu’il peut exposer, vendre ou tuer sans avoir à s’en justifier ; il a une autorité sans limites sur tous les membres de son groupe. Pour faire régner la paix intérieure, il proclame, il interprète, il fait exécuter la volonté divine. Il a reçu avec le sceptre la connaissance des thémistes, des arrêts infaillibles qu’une sagesse plus qu’humaine lui révèle par des songes et des oracles ou lui suggère au fond de sa conscience. Transmises de pire en fils depuis l’origine des temps, s’augmentant d’apports nouveaux d’une génération à l’autre, les thomistes forment le code mystérieux et sacré de la justice familiale, de la thémis. Celui qui en dispose souverainement traite comme il l’entend quiconque s’est exposé par un attentat contre le groupe à la vindicte divine. Il peut s’en remettre à l’ordalie ou jugement de Dieu du soin d’exterminer le crime ou de sauver l’innocence ; il peut mettre le coupable au ban du génos par la peine terrible de l’atimie. Il est le maître de corriger, d’intimider et, par là, de pourvoir à la défense sociale.

Cependant, quoi qu’ils en aient, les génè sont en relations continuelles. Ce fut longtemps entre familles voisines un état de guerre presque permanent. On opérait des razzias en territoire ennemi. Un chef mettait sa gloire à enlever beaucoup rte bétail et de femmes. Le sang coulait et demandait du sang. Les représailles s’enchaînaient sans terme. Même quand ils furent réunis en phratries et en tribus, les génè ne renoncèrent pas à la vendetta ; ils furent seulement obligés de l’assujettir aux règles communes qui constituèrent alors un droit plus large que la thémis, la diké. Tous les membres du génos offensé pouvaient toujours se venger sur les membres du génos offenseur. Mais il fut admis que le meurtrier libérait les siens de toute responsabilité par la fuite : cette sorte d’abandon noxal calmait les passions et contribuait à rétablir l’ordre. On trouva moyen d’étendre aux membres de clans différents ou même hostiles les sentiments et les obligations qui n’existaient jusque-là qu’entre membres du même clan. La réconciliation pouvait se faire par application de l’aidôs aux adversaires, par aidésis. A la faveur d’une adoption ou d’un mariage, le meurtrier lui-même prenait parfois la place du mort dans le groupe qu’il avait diminué. Le plus souvent, le coupable se rachetait en acquittant le prix du sang, la poinè. Un traité d’amitié, une philotès, s’ensuivait : dans des cérémonies solennelles, les familles hier encore ennemies offraient un sacrifice à leurs dieux associés, s’asseyaient à la même table et mêlaient leur sang dans la coupe d’alliance[6]. C’est ainsi qu’au-dessus du droit familial, la coutume créait peu à peu le droit interfamilial d’où devait sortir peu à peu le droit public.

La règle qui subordonnait les génè à un intérêt général n’était pas dépourvue de toute sanction. Outrepasser les droits limités par la coutume, c’était s’exposer à la vindicte divine (όπις θεών)[7]. Mais la conception religieuse ne fait jamais que sublimer une conception plus humaine. La crainte des dieux était, au fond, la crainte d’une force sociale qui acquérait de jour en jour plus de puissance. Ors avait peur du dèmos. Ce nom s’appliquait à l’ensemble de tous les génè groupés sous le même sceptre, qu’il s’agit du pays ou des habitants. La dèmou phatis ou phèmis, l’opinion publique, exerçait une influence à laquelle aucun génos ne pouvait se soustraire. Elle exerçait par la némésis une pression capable de prévenir un crime ou de contraindre le criminel à l’expier[8]. Elle n’avait pas, il est vrai, d’organe attitré ; elle n’était représentée ni par un personnage ni par un corps officiel. On ne peut cependant pas dire qu’elle fait purement morale ; car, dans les cas extrêmes, quand les passions étaient surexcitées, l’indignation éclatait en violence et emportait tout obstacle. En droit, le génos restait souverain ; en fait, il devait souvent céder à une volonté anonyme et collective qui pouvait mettre une arme redoutable aux mains du roi.

Voilà où en étaient, semble-t-il, les Achéens quand ils vinrent s’établir au milieu des peuples fixés sur les bords de la mer Égée. Ils n’étaient qu’une minorité guerrière qui dut plus ou moins accommoder ses idées et ses institutions aux habitudes de la majorité qu’elle domina. Les Préhellènes, de tout temps sédentaires, avaient eux aussi, selon toute apparence, connu le régime du clan gentilice : les ruines d’habitations spacieuses exhumées à Vasiliki, à Chamaizi et a Tirynthe, ainsi que les énormes tombes à tholos de la Messara, fourniraient un commentaire rétrospectif aux passages de l’épopée où l’on voit demeurer avec Priam les soixante-deux petites familles dont il est le chef, avec Nestor ou Aiolos les ménages de leurs six fils et de leurs filles, avec Alkinoos ses six enfants, dont deux mariés[9]. Mais, dans les parties les plus avantagées du monde égéen, ce stade était dépassé depuis longtemps : on y trouvait de grandes agglomérations de familles réduites, le régime urbain et le gouvernement monarchique. La Crête, notamment, renfermait des palais où des maîtres fastueux commandaient à des peuples nombreux et riches, des villes ouvertes aux voies bordées de maisons petites et contiguës, Dans les Cyclades, on voyait des fortifications, comme celles de Chalandriani à Syra et de Haghios Andréas à Siphnos, qui n’ont pu être construites que sur l’ordre de chefs puissants, pour défendre des populations assez denses. Sur le continent, la grande voie qui mène de la Thessalie aux extrémités du Péloponnèse était parsemée de centres agricoles. Beaucoup étaient prospères ; Orchomène commençait à s’enrichir en gagnant des terres sur le lac Copais, travail gui nécessitait une main-d’œuvre considérable, et s’entourait de toute une escorte de bourgades nouvelles. En général, les hameaux et les villages se postaient près d’une butte qui servait de refuge en cas de guerre et où le chef réunissait auprès de lui les anciens pour prendre des résolutions communes. Ces éminences devaient être fortifiées pour la plupart : les unes étaient entourées de simples palissades en bois, qui ont péri ; les autres, de murailles en pierre.

Les guerriers achéens occupèrent les plaines les plus riches et les positions les plus fortes. Dams l’enceinte des citadelles s’élevèrent les palais des rois. Quand il y avait assez de place, on y joignait des maisons pour les principaux officiers et dignitaires. A Athènes, tout près de la forte demeure où siégeait Érechthée, se trouvait un petit groupe d’habitations plus modestes. A Mycènes, le périmètre fortifié fut même à étendu, vers le milieu du XVe siècle, de manière à englober le cercle de lai métropole royale. Au pied de ces collines, étaient entassées les cabanes où vivaient les paysans et les serfs, avec les artisans et les marchands qui pourvoyaient à leurs besoins. Il y avant là quelquefois une agglomération assez considérable, des villages qui se rejoignaient en une véritable ville. Quand la situation était favorable, le seigneur perché sur son raid d’aigle prélevait force péages sur les étrangers de passage, et par la croisée des chemins la population affluait,

C’est la ville haute qu’on appelle d’abord polis (πόλις ou πτολίεθρον), tandis que la ville basse est l’asty (άστυ). Dans une bonne partie des poèmes homériques les deux mats ont encore leur sens distinct[10]. L’asty, c’est le lieu habité où mènent les roules et dont on loue seulement la superficie[11]. La polis mérite avant tout l’épithète d’élevée, c’est l’acropolis, et les termes abondent pour dire qu’elle est escarpée, bien construite, cerclée de tours, munie de hautes portes[12] ; de plus, comme elle renferme le sanctuaire de la divinité po1iade et le palais du roi, elle seule est sainte, riche, splendide, pleine d’or[13]. Lorsque Hécube veut apporter à la déesse Athéna son offrande et ses supplications, elle assemble les Troyennes dans l’asty et monte avec elles à la polis[14]. Cette distinction subsista longtemps dans une bonne partie de la Grèce : en 426, les Hyéens, peuplade de la Locride occidentale, résistèrent aux Spartiates tant qu’ils restèrent maîtres d’une misérable bicoque nommée Palis[15] ; les documents officiels appelaient encore ainsi l’Acropole d’Athènes au commencement du IVe siècle et la forteresse achéenne d’Ialysos au IIIe[16].

Cependant, déjà dans les chants les plus récents de l’Iliade et dans presque toute l’Odyssée, la différence entre polis et astre a disparu. A mesure que la ville basse devenait plus vaste par le développement de l’agriculture et du commerce, elle prenait une importance qui contrebalançait celle de la ville haute. C’est la Mycènes aux larges voies qui remplissait les coffres de la Mycènes riche en or, et le maître de là-haut devait s’occuper avec une sollicitude grandissante de ce qui se passait en bas il y a plus qu’un symbole dans ce fait, que les rois de la première dynastie étaient ensevelis dans des tombes à fosse sur la colline fortifiée, et ceux de la seconde dans des tombes à coupole en dehors de l’enceinte. Les gens et les choses de la ville haute et de la ville basse se mêlaient. Quand les seigneurs de Tirynthe élargissaient leur forteresse en construisant, plus bas que l’Oberburg, les murs de la Mittelburg, puis, plus bas encore, ceux de la Niederburg, ils rattachaient successivement à la polis des quartiers de l’asty primitif. De même, dans l’épopée, ce n’est plus la ville haute d’Ilion, c’est l’asty, qui a désormais une enceinte munie de tours[17]. Comment les deux mots ne seraient-ils pas peu à peu devenus synonymes ? C’est ce qu’on voit, en effet, dans un très grand nombre de cas. L’un et l’autre indifféremment, ils désignent Ilion, Ithaque, Cosse, Lacédémone et Schérie[18]. Il semble cependant que l’agglomération principale, opposée à la campagne environnante, soit plus spécialement : appelée asty, du nom que les campagnards avaient toujours donné à la localité où se trouvait le marché[19]. D’autre part, la ville liante n’a pas seulement absorbé la ville basse aux larges voies[20]. Le nom fluide de polis s’est communiqué à toutes les bourgades rurales qui vivaient à son ombre. Par une progression fatale, il s’est enfin étendu à tout le pays qui obéissait à l’autorité du même chef[21]. Le mot qui avait désigné d’abord une acropole finit par désigner une cité.

Pour en arriver là, il n’a point été nécessaire de briser les cadres sociaux qui existaient déjà. La polis a pu devenir un organisme vraiment politique sans supprimer les génè, les phratries et les tribus. Elle n’a même pu le devenir qu’en englobant ces groupes. Ils occupaient un territoire plus ou moins vaste qu’on appelait d’un mot qui avait passé tout naturellement à l’ensemble des gens qui l’habitaient, dèmos[22]. La cité donna au dèmos l’unité qui : lui manquait ; mais elle avait affaire à des sociétés gentilices rentrant les unes dans les autres, et non pas à des individus. Le roi ne pouvait donner d’ordres et les faire exécuter qu’avec : l’assentiment et par l’intermédiaire des chefs de tribu, qui eux-mêmes ne pouvaient rien sans les chefs de famille. Tout au plus doit-on soupçonner que la dèmou phatis tendait obscurément à restreindre la solidarité familiale au profit d’une solidarité plus large.

Ces progrès auraient pu mener la Grèce, dès la fin du deuxième millénaire avant Jésus-Christ, à la conception de la cité qui prévalut seulement quelques siècles plus tard. Mais alors se précipitèrent sur la Grésé des Grecs encore à demi barbares, qui n’auraient pas, eux, subi l’influence de la civilisation égéenne : à partir du XIIe siècle arrivèrent par flots successifs tous ces peuples du Nord-Ouest dont une partie sera connue un joug sous le nom de Doriens. Ce fut un bouleversement général. Les vieilles monarchies croulèrent ; la splendeur de Mycènes s’évanouit à jamais. Sans doute certains cantons obscurs de la Grèce propre, l’Attique couverte par le Parnès, l’Arcadie protégée par les âpres rebords de ses plateaux, échappèrent à la tourmente et purent même servir d’asile à quelques bandes de fugitifs ; mais c’étaient des petits pays de population rurale, partagés en d’infimes bourgades dont aucune n’était encore de taille à s’imposer aux autres. Ailleurs, les envahisseurs s’emparèrent des terres, réduisirent les vaincus au servage et firent prédominer les plus vieilles coutumes de la rate. On revenait de plusieurs siècles en arrière. Le régime des génè et des tribus reprenait le dessus, avec un caractère fortement guerrier, et l’évolution qui tendait à le subordonner à l’État, à la cité, était arrêtée net. Tout était à recommencer.

La polis, c’était de nouveau le lieu fortifié ou le camp d’où le conquérant surveillait les serfs courbés sur la glèbe. Dans la creuse Lacédémone, ce fut, sous le nom de Sparte, la réunion de quatre villages. En Argos, ce furent les deux acropoles de Larissa et de l’Aspis, avec une ville basse où les trois tribus des Doriens admirent à côté d’elles une tribu non dorienne. En Crète, ce furent toutes les éminences qui se dressaient au-dessus des vallées fertiles.

Il y eut du moins une vaste région où les Achéens, parmi lesquels on allait distinguer les Éoliens et les Ioniens, purent transporter les institutions relativement développées qui leur étaient devenues propres. Ils connaissaient depuis longtemps l’Asie Mineure : ils avaient d’abord occupé la Pamphylie, Cypre, Rhodes, Lesbos et la Troade ; ils s’étaient, depuis, fixés encore sur certains points, de préférence des îles, d’où ils pouvaient facilement faire des randonnées à l’intérieur pour piller ou pour trafiquer. Ils arrivaient maintenant par bandes plus ou moins nombreuses, sans espoir de jamais retourner dans leurs anciennes patries. Ils s’établirent tout le long de la côte au milieu d’une population dense. Ayant à se défendre contre des peuplades qui formaient quelquefois de véritables États, ils durent se concentrer sur des positions stratégiques, dans des villes fortifiées ou naturellement fortes. Sur les bords de l’Hermos s’éleva le Nouveau Fort, Néon Teichos ; le port de Colophon reçut le nom de Fort du Sud, Notion Teichos ; le territoire de Téos fut couvert de vingt-sept castels qui servaient de refuges aux cultivateurs et qui devinrent les centres de l’administration (les pyrgoi ou tours). La topographie confirme les renseignements fournis par la toponymie. Érythrées eut pour emplacement primitif une colline ; à Milet, la vieille ville naquit sur une acropole située à cent mètres environ de la mer[23]. Les grands défendent les villes, selon l’expression homérique (άριστοι... πτολίεθρα ρύονται)[24], et même les paysans y ont leur maison, s’ils sont libres et d’origine grecque ; le plat pays est laissé aux indigènes, à ceux que les gens de Milet et de Priène appellent les Gergithes. I1 se forme donc là une aristocratie de citadins helléniques, qui s’oppose à un prolétariat rural d’une autre race et qui comporte elle-même des distinctions de classe bien tranchées. D’où la nécessité précoce d’institutions plus complexes qu’ailleurs.

Ce qui rendait cette nécessité plus pressante encore, c’était l’extraordinaire mélange des bandes immigrées. De la Crète à la Thessalie, tous les pays avaient fourni leur contingent. En une ou plusieurs fois s’étaient déversés sur chaque ville d’Orient des flots de population hybride. Il fallait faire une place à ces éléments hétérogènes dans les cadres de la constitution. Les Doriens avaient bien apporté avec eux le système des trois tribus, de même que les compagnons des Nèléides étaient répartis dans les quatre tribus ioniennes. ; irais que faire des groupes qui n’appartenaient point naturellement à ces tribus ?

Précisons la question. Les tribus avaient toujours leur caractère gentilice. Les grandes familles, les patrai, conservaient une forte organisation et donnaient leur nom à la localité où était situé leur domaine : au-dessous des familles royales, Nèléides, Androclides, Penthilides, Basilides, on continuait de remarquer à Milet les Thélides, les Skirides, les Hécaitades ; à Chios, les Dèmotionides, les Thraikides ; à Camiros, les Hippotades, les Graiades, les Thoiades ; à Cos, les bourgades des Antimachides et des Archiades ; à Calymna, celle des Scaliodes ; à Rhodes, celle des Boulides, etc.[25] Autour des patrai les plus importantes s’en groupaient d’autres, de manière à former des phratries. La phratrie portait souvent le nom de la patra dirigeante, si bien qu’il est parfois impossible de les distinguer : il devait en être ainsi depuis longtemps à Chios pour ces Clytides qu’on voit, au IVe siècle, bâtir une chapelle afin d’y transporter les objets du culte commun conservés jusqu’alors dans des maisons particulières. Aussi le dieu des phratries est-il indifféremment un Zeus Patrios, comme chez les Clytides, ou un Zeus Phratrios, comme chez les Euryanactides de Cos[26]. L’importance sociale de ces cultes est attestée par ce fait que, partout où il y a des Ioniens, aussi bien à Milet, à Priène et à Samos qu’à Délos et à Athènes, se célèbre la grande fête des patriai et des phratries, les Apatouria. Quant à leur importance politique, elle est suffisamment démontrée par les passages où Homère ne conçoit pas la constitution d’une armée, et par conséquent d’un peuple, sans la division en phratries. Toute cette organisation gentilice, remontant aux origines mêmes des cités, est mise en lumière, bien des siècles plus tard, par un véritable graphique tracé sur une inscription de Camiros : en haut est placé, comme un titre général, le nom des Althaiménides, descendants du héros fondateur ; au-dessous sont rangés des groupes, les phratries, qui comprennent chacune un certain nombre de patrai désignées comme telles[27].

Quelle pourrait donc être la situation des Grecs qui demeuraient sur le même territoire que les membres des groupes gentilices sans en faire partie ? Pour ne pas rester isolés, ils formaient, individus ou petites familles, des groupes factices, analogues aux patrai et aux phratries, quoique bien différents par leur origine. C’est ce qu’on appelait des thiases. Le mot est préhellénique ; et c’est chez les descendants des plus vieux Achéens qu’il se conserva ; c’est par les Attiques, par les colons qui s’étaient éparpillés avant la période des migrations en masse qu’il fut propagé dans le inonde grec. Ces associations perpétuèrent obscurément bien des croyances très anciennes, maints éléments de civilisation qui devaient à la longue reparaître au grand jour : on ne saura jamais quel fut au juste leur rôle dans la diffusion des cultes dionysiaques ou orphiques et dans la renaissance de l’industrie et de l’art ; mais il dut être grand. En tout cas, elles parvinrent à s’agréger aux phratries. Le fait est certain pour l’Attique[28] ; il peut être admis également pour l’Asie Mineure. Il explique qu’au IIIe siècle encore une phratrie de Chios comprenne, outre des patrai au nom gentilice  (Dèmogénidai, etc.), des petites sociétés désignées par le zoom de leur chef (les gens de Télargos, etc.)[29]. Bien mieux, à côté des tribus gentilices se constituaient des tribus secondaires où étaient groupés les individus et les familles des minorités nationales. Elles n’eurent sans doute à l’origine que des droits inférieurs, mais réussirent tint ou tard à se faire admettre avec les autres tribus sur le pied d’égalité. C’est ainsi qu’à Milet s’adjoignirent aux quatre tribus ioniennes deux tribus peut-être préioniennes, les Boreis et les Ginopes. Et cette même ville offre le plus remarquable exemple qu’on connaisse d’une société non gentilice pénétrant dans l’organisme politique. Il y avait là une confrérie religieuse de molpoi qui remontait vraisemblablement aux temps mycéniens. A l’époque historique, elle avait à sa tête un aisymnète entouré de cinq assistants (προσέταιροι), c’est-à-dire d’un comité où était représentée chacune des six tribus. On voit comment la nécessité de faire vivre en paix une population hybride élargit, dans les siècles qui suivirent les grandes migrations, la notion de communauté.

C’est en Asie Mineure, comme on vient de le voir, que cette cause de progrès agit le plus tôt et le plus efficacement : dans un pays qui fut longtemps pour la race hellénique un foyer de colonisation, des Grecs de provenance infiniment diverse devaient se dégager plus facilement qu’ailleurs de traditions à bien des égards surannées. Là aussi, un autre phénomène contribua de bonne heure au même résultat. Les conditions économiques n’y étaient pas les mêmes que dans la Grèce propre. Un régime exclusif de propriété foncière est essentiellement propre au maintien des mœurs et des institutions patriarcales. Dans les établissements grecs d’Asie, il y eut de tout temps d’autres ressources que l’exploitation d’une terre plantureuse. Tout le long de la côte se trouvaient des ports excellents pourvus de bonnes aiguades, voisins de grandes et belles îles, souvent situés sur des isthmes qui favorisaient la défense et le commerce ou sur des embouchures de fleuves qui menaient loin à l’intérieur de la péninsule[30]. Que de commodités pour les relations avec tous les pays de vieille civilisation, ceux de l’Égée comme ceux de l’Orient ! La navigation et le commerce profitèrent sans retard de tous ces avantages. Le régime urbain se développa : des marchés actifs donnèrent naissance à de grandes villes. A Milet, par exemple, la vieille ville descendit de l’Acropole pour s’étendre dans la direction du port aux Lions. Ainsi, ta richesse mobilière : fit concurrence à la richesse foncière et créa une classe nouvelle à côté de l’aristocratie terrienne et gentilice. Encore une cause d’altération pour les conceptions trop étroites des vieux temps.

La transformation qu’on voit s’opérer dans la pénombre sur le littoral de l’Asie s’opéra dans la Grèce entière par un travail identique, quoique plus lent et généralement plus obscur encore. Partout des bourgades au nom patronymique : par exemple, Akaïdai et Kéondai à Histiaia en Eubée. Partout des phratries groupant un certain nombre de familles autour d’un génos illustre : par exemple, à Delphes, les Labyades autour d’un génos sacerdotal voué jadis au culte crétois de la double hache : Parfois même les trois tribus doriennes admettent à côté d’elles une tribu non dorienne, témoin les Hyrnatiens d’Argos. C’est sur l’Attique, comme de juste, que nous avons le plus de renseignements. Les génè d’Eupatrides y sont nombreux. Beaucoup d’entre eux tiraient leur nom d’une fonction sacrée, comme les Eumolpides et les Kérykes d’Éleusis, les Géphyréens d’Aphidna, les Bouzyges, les Alétrides, les Heudanémoi, les Phrébrykhoi, les Aigeirotomoi. Beaucoup d’entre eux étaient assez puissants pour commander à tout un démos et lui imposer leur nom, comme les Scambônides, les Philaïdes, les Paionides, les Boutades, etc. Selon la coutume ancienne, les phratries célébraient les Apatouria en l’honneur de Zeus Phratrios et d’Athéna Phratria, et les tribus étaient aux nombre de quatre. Mais ce qui est particulier à l’Attique, c’est qu’on y peut suivre la fusion progressive de toutes petites communautés en une communauté plus grande que la plupart des cités grecques. Dans ce pays rural, chaque agglomération eut d’abord son prytanée et ses archontes[31]. Après des luttes dont le souvenir s’est conservé dans la légende, se créèrent des associations religieuses et politiques de types variés. La plus illustre est un groupe de bourgs qui adoraient Athéna, les Athénai qui prirent pour chefs les Érechthéides et pour centre une acropole destinée à être l’Acropole par excellence. Mais il y en eut bien d’autres : l’Amphictionie de l’Épacrie, celle de la Mésogée ; ici, une Tricômia, là une Tétracômia ou une Tétrapolis. Ce dernier exemple nous prouve que des localités aussi humbles que Marathon, Tricorynthos, Oinoé et Probalinthos furent des poleis, comme les sept villages qu’Homère mentionne dans la banlieue de Pylos[32] ou comme la centaine de bourgades où habitaient ceux dont les Spartiates firent des Périèques[33]. Il nous prouve aussi que ces cités formèrent une cité quatre fois plus grande avant de s’absorber par synœcisme dans une cité qui réunissait en un seul démos les dèmoi de l’Attique tout entière et qui se donna pour capitale l’Acropole des Érechthéides.

III. — ÉLÉMENTS ET CARACTÈRES DE LA CITÉ.

Si la naissance de la cité reste enveloppée de ténèbres où l’on n’avance qu’à la lueur fuyante de faits épars, avec le fil conducteur de fragiles conjectures, du moins Fuit-on un peu plus clairement les éléments constitutifs de la cité une fois existante. Il lui faut, avant tout, se défendre. A ses origines mêmes, se trouve une butte sur laquelle se réfugient les gens de la campagne menacés par une troupe ennemie ou une bande de pirates. File a presque toujours une ou plusieurs acropoles. De plus, le développement de la ville basse rendit généralement nécessaire la construction d’une enceinte étendue : déjà l’épopée nous a montré autour de l’asty des murs flanqués de tours et percés de portes. On voit en quel sens Aristote pourra dire que le système défensif de l’acropole convient à la monarchie et au régime oligarchique, tandis que la démocratie préfère les forteresses en plaine[34]. Sans doute, les villes ouvertes ne manquent pas, et fort avant dans la période historique. Quand les Doriens de Laconie descendirent fies hauteurs où ils s’étaient postés tout d’abord, ils établirent un camp sur les bords de l’Eurotas et, confiants en leurs poitrines, n’élevèrent point de remparts autour des quatre villages qui composaient Sparte[35]. Sien des localités en Asie Mineure n’avaient pas de murs à opposer aux armées lydiennes et durent se mettre à l’ouvrage d’urgence sous le coup de la menace perse[36]. Camiros n’était pas fortifiée à la fin du Ve siècle, ni Élis au commencement du IVe[37]. Pourtant, quand une ville avait pris de l’extension, surtout quand elle était riche et prétendait à un rôle politique, elle se munissait d’une bonne enceinte. Milet en Ionie, Assas en Éolide, Cnide en Doride étaient des places fortes[38]. Les Pisistratides firent bâtir autour de l’Acropole et de son Pélargicon aux murs pélasgiques une muraille d’un périmètre considérable pour l’époque[39]. Ce n’est pas sans raison que Thucydide, jetant un coup d’œil rapide sur le passé lointain de la Grèce, fait succéder à la période des bourgades ouvertes celle des villes fortifiées[40].

Le besoin de défense mutuelle que manifestent l’acropole ou les remparts, s’exprime, comme tout ce qui est social dans l’antiquité, sous une forme religieuse. Chaque cité a sa divinité, comme chaque famille. De même que les parents se réunissent devant l’autel du foyer domestique, les citoyens célèbrent le culte poliade au foyer commun (κοινή έστία). C’est là que sont offerts les sacrifices qui doivent appeler sur le peuple la protection céleste ; c’est là qu’ont lieu les repas officiels où la chair des victimes est partagée entre les chefs de la cité, hauts magistrats ou membres du Conseil, et les citoyens ou les étrangers dignes d’un pareil honneur. Longtemps le loyer commun eut pour siège le palais du roi, grand-prêtre de la cité : les festins où Alkinoos, entouré des gérontes, traite magnifiquement Ulysse ne différent point de ceux où sont conviés plus tard les ambassadeurs reçus comme hâtes publics (τά ξένια)[41].

Quand la royauté fut déchue, le foyer commun, divinisé sous le vocable de la déesse Hestia[42], fut inséparable de l’édifice où se tenaient le premier ou les premiers de la cité, le prytane ou le comité des prytanes : il devint le centre du Prytanée, Hestia en fut la gardienne[43]. D’après les ruines d’Olympie, il faut se figurer, à l’entrée, un petit sanctuaire, au milieu duquel était placé un autel avec une fosse remplie de cendres, et dans le fond, des salles à manger et une cuisine garnie de tous les ustensiles nécessaires[44]. Pas de cité sans prytanée : le prytanée est le symbole de la cité, penetrale urbis, dit énergiquement Tite-Live[45]. Au temps où l’Attique était divisée en un grand nombre de petites cités, chacune avait le sien[46] ; quand elle n’en forma plus qu’une, elle eut un prytanée unique. la demeure d’où l’archonte avait exproprié le roi et où le roi revenait cependant avec les rois des tribus rendre des sentences d’un archaïsme prononcé[47]. Chaque fois que se fondait une colonie, les émigrants empruntaient au foyer de la métropole le feu qui devait être entretenu dans le nouveau prytanée[48]. Le local consacré par le foyer où brille un feu perpétuel peut d’ailleurs porter un autre nom ; le nom n’y fait rien. A Cnide, où le magistrat suprême, l’agent du peuple, était le damiourgos, c’est au damiourgeion que se donnaient les repas publics. Chef les Achéens de Phthiôtide, le prytanée s’appelle la maison du peuple, leïton : le mot fait penser aux leitourgiai ou liturgies, ces prestations, surtout rituelles à l’origine, qui incombaient aux citoyens les plus riches et dont la plus caractéristique était l’hestiasis, le paiement et la préparation d’un banquet sacré[49].

Non loin du prytanée, s’élève le Bouleutérion, où siège le Conseil. Quel que soit le régime politique de la cité, le conseil est un organe dont elle ne peut se passer. Quand les grands qui se tenaient jadis aux côtés du roi comme gérontes ou bouléphoroi sont devenus les maîtres du gouvernement, ils ont beau se faire représenter au foyer commun par les prytanes, il leur faut encore un local approprié a leurs délibérations. Et de même, partout où la démocratie a remplacé l’aristocratie, le peuple, qui ne saurait siéger en permanence, a besoin d’un corps restreint pour préparer les décrets, se mettre en rapport avec Ies magistrats, recevoir les ambassadeurs étrangers, envoyer des délégués dans la maison commune. Que le Conseil s’appelle, comme c’est le cas le plus fréquent, Boulé ou, comme dans certaines cités, Gerousia, que ses commissaires au prytanée portent le nom généralement admis de prytanes ou le nom spécial aux Mégariens d’aisymnates, il n’y a pas d’exemple d’une cité qui en soit dépourvue. Le Bouleutérion séparé du prytanée, cela remonte très haut. Celui d’Olympie, plusieurs fois reconstruit, était conforme au plan en algide qui date des temps préhistoriques[50] ; serait-ce vers un édifice de ce modèle que se dirige Alkinoos, au moment où Nausicaa le rencontre sur le pas de sa porte se rendant au Conseil des Phéaciens[51] ? En Attique, chaque bourgade avait sa Boulé avant le synœcisme ; le synœcisme les fit disparaître toutes, sauf celle d’Athènes. Quand Thalès proposa aux Ioniens de s’unir, il leur en indiqua le moyen : laisser à chacune des cités le droit de s’administrer comme des dèmes et établir dans une capitale fédérale un seul Bouleutérion. Il ne réussit pas ; mais l’idée était juste. Elle fut appliquée, plus d’un siècle après, à Rhodes. Les trois cités de Lindos, Camiros et Ialysos s’étaient constituées de très bonne heure en annexant les dèmes de l’île ; lorsqu’en 408/7 elles décidèrent de se constituer en un seul État, elles furent elles-mêmes réduites à la condition de dèmes, et, si elles conservèrent le droit de rendre des décrets dans des assemblées désormais municipales, elles n’eurent plus qu’une Boulé commune[52].

Selon le régime constitutionnel des cités, l’ensemble du peuple n’exerce point de droits politiques, ou, au contraire, les a tous ; mais il est toujours indispensable qu’il puisse se réunir. Pour cette réunion, qui s’appelle agora, il faut une place publique, qui porte le même nom. C’est, avant tout, le marché. Dans presque toutes les cités, dit Aristote, il y a nécessité de vendre ou d’acheter pour la satisfaction de mutuels besoins, et c’est poule elles le moyen le plus expéditif de se suffire, objet qui semble avoir déterminé les hommes à s’unir en communauté[53]. La place destinée aux affaires doit donc être d’un accès facile aux transports venant de la mer ou de l’intérieur du pays, et les commodités qu’elle offre pour les approvisionnements attirent généralement le prytanée dans le voisinage du marché : c’est encore Aristote qui le dit[54], et les fouilles de Priène, pax exemple, confiraient cette assertion. Mais la place n’est pas faite seulement pour les transactions commerciales ; aux marchands et aux clients se mêlent les curieux, les oisifs. A toute heure de jour, c’est le rendez-vous où l’on se promène en plein air, où l’on apprend les nouvelles, où l’on cause politique, où se forment les courants d’opinion. L’agora est donc toute désignée pour servir aux assemblés plénières, à celles qui sont convoquées par le roi ou les chefs de l’aristocratie pour prendre connaissance des résolutions arrêtées en haut lieu aussi bien qu’a celles qui délibèrent en toute souveraineté. Même dans cette cité militaire que forme un camp, il faut une agora ; il y en avait une pendant la guerre de Troie, où les chefs des Achéens, comme les préteurs de Rome, adressaient leurs proclamations aux guerriers et rendaient la justice[55].

Il va de soi que, dans les centaines de cités qui se partageaient la Grèce, cette institution était, comme toutes les autres, susceptible de variantes. L’agora, au sens topographique, peut se dédoubler. Dans les cités oligarchiques de Thessalie, la place du Marché est abandonnée au trafic, souillée de denrées, et la place de la Liberté, située au bas de l’éminence où s’élève le prytanée, est réservée aux exercices gymnastiques des citoyens privilégiés[56]. Dans les cités démocratiques, surtout dans celles qui ont pris une grande extension, l’ancienne agora est parfais trop petite et se trouve trop souvent encombrée pour se prêter au nombre croissant des assemblées populaires : les Athéniens du Ve siècle vont délibérer sur la colline de la Pnyx aménagée à cet effet et ne se réunissent plus à l’agora que dans des cas extraordinaires. D’autre part, l’assemblée ne garde le nom d’agora que dans, des cités de second ordre, par exemple à Delphes, Naupacte, Gortyne, Arkésinè, Cos[57], mais surtout dans les subdivisions de la cité, les tribus et les dèmes, ou encore dans les associations religieuses, les phratries, les thiases et les orgéons[58]. Ecclésia tel est le terme qui désigne ordinairement l’Assemblée du peuple, excepté chez les Doriens qui préfèrent souvent celui d’Halia (le tribunal de l’Héliée chez les Athéniens) et particulièrement chez les Spartiates qui emploient celui d’Apella[59]. Mais ces différences n’empêchent pas les Grecs de considérer l’agora comme une condition primordiale de la vie en cité. Pour Homère, les Cyclopes sont des sauvages parce qu’ils n’ont pas d’assemblée pour délibérer (άγοραί βουληφόροι). Pour Hérodote, ce qui distingue le plus les Grecs des Perses, c’est que les uns ont des agoras, et que les autres, dates leurs villages féodaux, n’ont pas même de marchés[60].

La capitale, dont la prédominance s’atteste par l’Acropole, le Prytanée, le Boulentérion et l’agora, a une banlieue plus ou moins étendue, dont elle a besoin pour vivre. Là se trouve la plupart du temps le part ; car l’Acropole, qui a fixé pour toujours l’emplacement de la ville, est généralement à quelque distance de la côte, dans une position choisie par des populations qui redoutaient la piraterie[61]. C’est par ce part que la cité, dont le territoire est presque toujours enclos de montagnes, correspond avec le monde extérieur et ajoute a ses ressources propres les richesses qui lui manquent. En tout cas, de l’agglomération principale, de l’asty, dépendent un nombre plus ou moins considérable de hameaux, de villages, de bourgades, qu’on appelle cômai, dèmes ou même quelquefois, comme en Laconie, poleis. Dans les petites cités, ces localités éparses sont d’autant plus rares que les paysans libres y ont fréquemment conservé l’habitude de demeurer dans la ville et d’aller travailler aux champs du matin au soir. Dans les grandes cités, elles sont nombreuses, au contraire, et quelques-unes peuvent acquérir une certaine importance. Il y avait lien une centaine de poids habitées par les périèques de Laconie, et plus encore de dèmes en Attique. Ces éléments constitutifs de la cité jouissaient toujours d’une indépendance très large en matière administrative ; mais elles n’avaient de pouvoirs politiques que comme fractions de la grande communauté. Nulle part peut-être cette dépendance de la partie pair rapport au tout n’est plus remarquable que dans certains cantons qui, étant restés fidèles à l’économie purement rurale, ne renfermaient que des camai sans une seule ville. L’Élide, par exemple, n’eut pas de capitale avant 471 ; mais, depuis longtemps, le magistrat suprême et les petits rois de chaque localité étaient subordonnés aux hellanodiques et aux démiurges qui représentaient le pouvoir central.

Enfin, le trait le plus saillant de la cité grecque, c’est la répartition des citoyens en tribus et en phratries. Nous n’insisterons pas ici sur ces groupements, parce que nous avons assez longuement montré que la formation de la cité ne s’explique pas sans eux. Bornons-nous à remarquer que le caractère gentilice et nobiliaire qu’ils doivent à leur origine a été plus ou moins altéré pax le progrès du régime démocratique. Les phratries ont dû souvent admettre en compagnie des génè les thiases, composés de gens généralement moins bien nés. Les vieilles tribus ont dû souvent tolérer à côté d’elles des tribus de nationalités différentes, avant même que des idées nouvelles fissent prévaloir la conception de tribus territoriales.

La cité ainsi constituée est un tout petit État. Essayons de préciser les idées[62]. Sparte et Athènes sont des exceptions par l’étendue de leur territoire. Or, Sparte, quand elle eut agrandi la Laconie de la Messénie, fut la première puissance de la Grèce, parce qu’elle commanda un pays de 8.400 kilomètres carrés, les deux cinquièmes du Péloponnèse[63] (un peu plus que le département de la Marne, beaucoup moins que celui de la Gironde) encore faut-il remarquer que la terre réservée aux citoyens, la πολιτική χώρα, comprenait seulement le tiers de cette superficie, le reste appartenant a une centaine de poleis périèques. Athènes, cette cité qui tient unie si grande place dais l’histoire de la civilisation, ne posséda, au temps de sa plus grande extension, c’est-à-dire avec l’île de Salamine et le district d’Orôpos, qu’un domaine de 2650 kilomètres carrés (moins que le département du Rhône). Il faut passer en Occident pour trouver dans les colonies conquérantes des chiffres du même ordre : après l’annexion de Gela, d’Acrai, de Casménai et de Camérina, le territoire de Syracuse atteignit 4.700 kilomètres carrés, dépassant celui d’Acragas, qui en mesurait 4.300. Partout ailleurs, la superficie des cités grecques n’équivaut guère qu’à celle de nos arrondissements, voire de nos cantons ; il arrive même souvent qu’elle soit notablement inférieure. Dans le Péloponnèse, Argos, maîtresse de Cléônai, dispose en tout de 1.400 kilomètres carrés ; Corinthe, de 880 ; Sicyone, de 360 ; Phlionte, de 180. Au Ve siècle, la confédération des Béotiens s’étend sur 2.500 kilomètres carrés, dont un millier pour Thèbes et le reste partagé entre douze cités, à raison de 130 kilomètres carrés en moyenne. Datas les 1615 kilomètres carrés de la Phocide se logent vingt-deux souverainetés. En Asie Mineure, où l’espace, ne manque pas cependant, les cités ioniennes ont entre 200 et 1500 kilomètres carrés ; les cités éoliennes, une centaine seulement. Voyez les îles. Les petites et la plupart des moyennes forment chacune une seule cité : telles sont, par exemple, Délos (5 kilomètres carrés et demi, 22 avec Rhénée), Thèra (81 kilomètres carrés), Égine (85), Mélos (150), Naxos (448), Samos (468), Chios (826). Mais Céos, qui n’a pourtant que 173 kilomètres carrés, est partagée jusqu’au IVe siècle entre quatre cités, dont trois battent monnaie. Quant aux grandes îles, j’entends celles qui mesurent plus de 1.000 kilomètres carrés, une seule a pu réaliser l’unité politique : c’est Rhodes, dont les trois cités, couvrant ensemble 1.460 kilomètres carrés, se fondirent seulement vers la fin du Ve siècle. Lesbos, avec 1.740 kilomètres carrés, renferme encore cinq cités au temps d’Hérodote, qui constate qu’elle en renfermait davantage auparavant[64]. Avec 3.770 kilomètres carrés, l’Eubée est divisée vers la même époque en huit parties. Les 8.600 kilomètres carrés de la Crète sont répartis aux temps homériques en quatre-vingt-dix cités ; il en subsiste plus de cinquante dans la période historique.

Faut-il croire que la densité de la population compensât l’exiguïté du territoire. On pourrait là-dessus se laisser induire en erreur par de fallacieux indices et des faits mal interprétés. La continuelle émigration qui dispersa les Grecs sur toutes les rives de la Méditerranée est un phénomène qui fait réfléchir. Platon en voit la cause dans l’étroitesse du sol et l’impossibilité de nourrir un trop grand nombre d’habitants[65]. Précisément à l’époque de la grande colonisation, l’auteur des Chants Cypriens trouve à la loi fatale qui décime l’humanité par la guerre une explication que n’auraient pas reniée certains théoriciens des temps modernes : Des myriades d’hommes erraient sur le vaste sein de la terre ; Zeus eut pitié et, dans sa profonde sagesse, résolut de soulager de ce poids la terre nourricière ; il lança parmi eux la grande discorde de la guerre, afin que la mort y fit des vides[66]. Mais, en réalité, l’excès de peuplement dans les cités grecques est relatif ; il tient à une cause permanente, l’étendue des terres stériles, et à des causes historiques, l’accaparement de la propriété par les aristocrates et le morcellement successoral. Du reste, chez ce peuple qui a la pauvreté pour sœur de lait[67], la colonisation n’est pas seule à empêcher la population de s’accroître dans de fortes proportions. Partout et toujours, les Grecs redoutent les familles trop nombreuses. Pour prévenir pareil malheur, on a recours à la restriction de la natalité déjà Hésiode en est à recommander l’enfant unique (μουνογενής πάις)[68]. On se livre à toutes les pratiques d’un malthusianisme effréné, avortement, infanticide, exposition des nouveau-nés, amour contre nature : toutes sont autorisées par la coutume, tolérées par la loi, hautement approuvées par les philosophes[69]. La cité grecque est donc modeste par le nombre des habitants, comme par l’étendue du territoire.

Pour Hippodamos de Milet, cet architecte sociologue qui bâtissait sur le sol et en l’air des villes soigneusement tirées au cordeau, la cité idéale devait avoir dix mille citoyens[70]. Platon veut que le nombre des citoyens soit assez grand pour mettre la cité en état de se défendre contre ses voisins ou de leur porter secours en cas, de besoin, mais assez restreint pour qu’ils puissent se connaître entre eux et choisir les magistrats à lion escient : ce nombre nécessaire et suffisant, il le fixe, suivant un procédé pythagoricien, à 1 x 2 x 3 x 4 x 5 x 6 x 7 = 5040[71]. Aristote examine longuement la question. Il voit dans le nombre des citoyens et l’étendue du territoire les matières premières dont l’homme d’État et le législateur ont besoin pour leurs travaux : il faut qu’elles aient les qualités nécessaires et qu’elles soient à point pour que la cité puisse remplir la tâche qui lui est assignée. Aussi ne doit-on pas confondre la grande cité avec la cité populeuse. Les esclaves et les étrangers, domiciliés ou non, ne sont qu’un déchet impur ; il n’y a que les citoyens qui comptent. L’expérience prouve qu’il est difficile et peut-être impossible de bien organiser un État trop populeux : comment y appliquer de bonnes lois et y faire régner l’ordre ? C’est qu’il y aune mesure de grandeur pour la cité comme pour tonte autre chose. Que la cité rie soit pas conforme à cette mesure, par défaut ou par excès, et elle n’atteint pas sa fin propre. Une société de cent mille membres n’est pas plus une cité qu’une société de dix membres[72].

Les doctrinaires ne faisaient que réduire en système les faits qu’ils avaient sous les yeux. Très peu de cités dépassent le nombre préconisé par Hippodamos. On peut calculer que l’Athènes de Périclès comptait environ 40.000 citoyens. Trois autres cités en avaient 20.000 ou un peu plus au Ve siècle : Syracuse, Acragas et Argos. Il est vrai qu’au siècle suivant Syracuse atteignit le chiffre de 50.000 ou 60.000 par la concentration forcée des populations vaincues, par la colonisation à l’intérieur : elle fut alors, de beaucoup, la plus grande ville de Grèce[73]. Passons aux cités habitées par 10.000 citoyens, à celles qui réalisent le type de la grande ville, la πόλις μυρίανδρος ; elles ne sont pas très nombreuses. On peut placer dans cette catégorie : en Asie Mineure, la Milet d’Hipgodamos, plus petite en ce temps qu’elle n’était au vie siècle, Éphèse et Halicarnasse ; en Grèce propre, Thèbes, Corinthe et son ancienne colonie Corcyre, et les villes de création récente, Rhodes, Mégalopolis et Messène ; en Chalcidique, Olynthe ; sur le Bosphore, Byzance, après l’incorporation de Chalcédoine ; en Libye, Cyrène ; en Grande Grèce, Tarente et Crotone ; en Sicile, Gela. Ce qui prouve bien que la population de ces villes correspond à l’idéal des [grecs au va siècle, et non pas seulement à celui d’Hippodamos, c’est que les athéniens, lorsqu’ils fondèrent Ennéahodoi, tout comme Hiéron, lorsqu’il remplaça Catane par Etna, envoyèrent dans leur nouvel établissement la myriade fatidique de calons[74]. Faites le compte : sur les centaines et les centaines de cités grecques, c’est à peine s’il y en a une vingtaine qui aient atteint ou dépassé cet idéal.

Continuons. Les villes où le corps des citoyens varie entre 10.000 et 5.000 et qui passent encore pour importantes[75] — comme Mitylène, Chios et Samos, Érétrie et Chalcis, Mégare, Sicyone, Phlionte et Élis — ne sont elles-mêmes pas en nombre considérable. Des villes bien connues, par exemple Mantinée et Tégée, n’arrivent pas à ce niveau ; Égine, longtemps si riche et si importante par son commerce, n’a guère pour ses 110 kilomètres carrés que de 2.000 à 2.500 citoyens. Les Spartiates ont commencé, d’après la tradition, par fermer une masse d’environ 9.000 ou 10.000 hommes ; ils sont encore 8.000 au temps des guerres médiques ; mais les vices d’une constitution vieillie amènent rapidement la disette d’hommes, l’όλιγανθρωπία : ils ne sont plus que 2.000 en 371, à la bataille de Leuctres ; en 242, le roi Agis n’en compte plus que 700. Sans doute, il faut faire largement sa part en Grèce au principe oligarchique, qui réserve avec parcimonie la dignité de citoyen à une minorité ; il faut, même dans les cités démocratiques, quand il s’agit d’évaluer la population, ne pas oublier la masse des métèques et des esclaves exclus de l’agora. N’importe : au point de vue quantitatif, la cité grecque est une toute petite chose.

Mais c’est une chose admirablement riche en qualités morales et qui exercera une influence décisive sur la civilisation de l’avenir. Qu’on jette un coup d’œil général sur le domaine de l’hellénisme. On aperçoit un pullulement de sociétés qui vivent toutes d’une vie intense. Aristote en a décrit cent cinquante-huit[76] ; mais il y en a dix fois plus. Partout, à quelques kilomètres de distance, une butte sert de borne à une frontière. Un compartiment infime, accosté contre une montagne, traversé par un ruisseau, échancré par quelques baies, est un État. Il suffit de monter sur l’acropole qui en est le réduit, pour l’embrasser tout entier du regard. Cette ville, ces champs, ces pâtis, ces boqueteaux, ces calanques, c’est cela la patrie, la patrie fondée par les ancêtres et que chaque génération doit laisser plus belle et plus prospère. Quelques esprits éminents ont bien pu se rendre compte à la réflexion qu’il est un peuple grec qui diffère des autres peuples par la langue, par la poésie, par l’art, par le culte des grandes divinités ; mais ceux-là mêmes sont restés longtemps sans aspirer à l’unité panhellénique, parce qu’à leurs yeux la grande supériorité des Grecs tenait précisément à leur conception de la polis. Le monde barbare est composé de monarchies monstrueuses, masses inorganiques ; seul, le monde grec répond à la définition de l’homme, qui est, dans la plénitude du terme, un être politique.

Autonome, la cité a pour condition essentielle la liberté. La liberté collective, si l’on peut ainsi parler ; car la liberté individuelle peut bien exister par surcroît, elle m’est pas indispensable. Hérodote nous donne, à cet égard, un renseignement étrange au premier abord et d’autant plus lumineux. Quanti il veut opposer la liberté hellénique à la servitude perse, il fait parler deux Spartiates, deux de ces Grecs dont l’existence entière est assujettie aux règlements les plus minutieux. La scène se passe à Suse. Sperthias et Boulis viennent offrir leur tête au roi des rois, afin d’apaiser le courroux des hérauts de Darios mis à mort à Sparte. Un satrape leur demande pourquoi ils refusent d’être les amis d’un roi qui sait honorer les braves. Et voici leur réponse : Hydarnès, le conseil que tu nous donnes n’est point pesé dans des balances justes ; il est d’un homme qui a expérimenté un genre de vie et n’a point l’expérience d’un autre : tu sais ce qu’est la servitude, tu n’as jamais goûté de la liberté ; tu ignores si elle est douce ou non. Si tu la connaissais, tu nous exhorterais à combattre pour elle, non pas de loin avec des javelines, mais la hache à la main[77].

Cette passion de l’indépendance fait de la cité, si petite qu’elle soit, un État souverain. Prenez deux villes voisines ; tout les sépare. Les bornes sacrées qui indiquent les limites des territoires tracent des lignes de démarcation presque infranchissables entre les religions et les lois, les calendriers, les monnaies et les poids et mesures, les intérêts et les affections. Qu’est-ce que la patrie dans les grands siècles de la Grèce antique ? Le mot même l’indique. Il désigne tout ce qui rattache les uns aux autres les hommes qui oint un ancêtre commun, un même père. La patria a été d’abord le génos, comme on le voit toujours en Asie Mineure ; par un grandissement continu, en Élide par exemple, elle est devenue le groupe plus étendu qu’on appelle plus généralement phratrie, et a fini par être partout la communauté où s’absorbent toutes les sociétés d’extension moindre, la cité. Aussi le patriotisme des Grecs nous apparaît-il aujourd’hui comme un patriotisme de clocher ; mais c’est un sentiment d’autant plus intense et plus profond qu’il se concentre sur un objet plus restreint. Du jour ois l’éphèbe majeur prête le serment civique, il doit a la cité toutes ses pensées et son sang. Ce n’est pas à une abstraction qu’il se consacre corps et âme, ruais à quelque chose de concret qu’il voit tous les jours de ses yeux. La terre sacrée de la patrie, c’est l’enclos de la famille, les tombes des cieux, les champs dont on connaît tous les propriétaires, la montagne où l’on va couper du bois, mener le troupeau ou récolter le miel, les temples où l’on assiste aux sacrifices, l’acropole où l’on monte en procession ; c’est tout ce qu’on aine, et dont on est fier, et que chaque génération veut laisser plus enviable qu’elle ne l’a reçu. Une ville, une seule, et quelquefois infime, et c’est pour cela qu’Elector court au-devant de la mort, que le Spartiate considère comme le couronnement de la vertu de tomber au premier rang, que les combattants de Salamine s’élancent à l’abordage aux sons du péan, et que Socrate boit la ciguë par respect de la loi.

Dis qu’il sort de ce microcosme qu’est la cité, le Grec est en pays étranger, très souvent en pays ennemi. Une pareille conception a des conséquences terribles. Déjà les haines de génos à génos, de dème à dème se sont à grand’peine apaisées sous l’autorité de la puissance publique. Il en est toujours resté des traces. En Attique, par exemple, il ne devait pas y avoir de mariage entre les gens de Pallène et ceux de Hagnonte, et les luttes de partis se confondirent longtemps avec des querelles de famille aggravées de vendettas. La topographie suffisait quelquefois à maintenir à l’intérieur d’une ville d’étranges inimitiés : Aristote constate encore de son temps la mésentente qui existait entre l’îlot de Clazomène et le quartier de Chytrôn[78]. A plus forte raison les rivalités sont-elles perpétuelles, et sanglantes, entre cités voisines. L’histoire de la Grèce antique n’est qu’un tissu de guerres mesquines et cruelles où toutes les fureurs dont est susceptible le patriotisme se déchaînaient pour la conquête de quelques guérets ou a’ de quelques broussailles.

Maintes tentatives ont été faites pour remédier au morcellement, introduire les cités dans des cadres plus larges. Mais elles exigeaient la renonciation à une part de souveraineté ; elles se sont toujours butées contre une insurmontable répugnance.

Les Amphictionies de Calauria, de Delphes, du Panionion auraient pu facilement, semble-t-il, se transformer d’associations religieuses qu’elles étaient en confédérations politiques ; elles n’y réussirent point et ne furent que des foyers d’intrigues, où les cités participantes se disputaient la suprématie. Le système fédératif ne demandait cependant d’autre sacrifice qu’une entente mutuelle sur les questions de politique extérieure. Si jamais il a paru d’une impérieuse nécessité, ç’a été en Asie Mineure au VIIe et au VIe siècle, quand planait sur toutes les villes le danger de la domination lydienne ou perse, Loin de s’y résigner, ou se battait entre Grecs sous l’œil des barbares, Chios contre Érythrées, Samos contre Priène et Milet ; et déjà les armées de Darios s’apprêtaient à faire régner la pain par la servitude, qu’an projet d’union, qui ménageait pourtant toutes les susceptibilités, échoua piteusement devant l’indifférence générale[79]. La confédération béotienne avait beau laisser à chaque cité ses institutions propres et le droit de battre monnaie ; de continuels conflits éclataient entre Thèbes, qui entendait être la maîtresse, et les autres villes, qui ne voulaient pas obéir. En Arcadie, où la vie pastorale éparpillait la population plus que partout ailleurs[80], deux fois on essaya de réagir contre la force centrifuge, au VIIe siècle avec le roi d’Orchomène Aristocratès, au IVe avec Lycomèdès de Mantinée ; deux fois l’expérience échoua.

Quant au système d’hégémonie qu’Athènes et Sparte cherchèrent à imposera il va de soi qu’il rencontra une résistance déterminée. Pouvait-il du moins s’appuyer sur des sympathies politiques, sur la solidarité des partis de ville à ville P Non, même pas. Pendant la guerre du Péloponnèse, on vit tour à tour les démocrates et Ies oligarques d’Athènes soutenir partout le régime qui leur était cher ; rien n’y faisait : quand une ville sujette se révoltait, toutes les factions marchaient d’accord. Cléon était dans le vrai, lorsqu’il disait ne connaître qu’un moyen de maintenir l’empire : la terreur, qu’un régime efficace : la tyrannie[81] ; et Alcibiade voyait juste, lorsqu’il pensait que toute cité, plutôt que d’être asservie sous le régime préféré, aimait mieux être libre sous n’importe lequel[82].

Ce particularisme étroit et jaloux exposait la race tout entière à des menaces qu’elle ne fut pas toujours de force à conjurer. Le Manger de la conquête barbare, que la Grèce d’Asie ne put pas éviter, manqua d’engloutir aussi la Grèce d’Europe. Elle y échappa, non sans que le salut fût longtemps compromis par les tiraillements et les heurts des égoïsmes locaux. Mais, lorsque enfin les cités, épuisées par des luttes sans résultat et presque sans objet, sentirent le besoin d’une unité réparatrice, aucune ne fut capable de réaliser le vœu général, et il y fallut les interventions violentes de la Macédoine et de Rome.

Du moins l’autonomie fut-elle fertile en bienfaits. Chaque cité avait sa physionomie, sa personnalité, sa vie propre. Par ses institutions et son droit, par son culte et ses fêtes, par ses monuments et ses héros, par toutes ses façons de comprendre et d’appliquer les principes économiques et politiques, moraux et intellectuels d’une civilisation commune, chaque cité contribuait à donner à cette civilisation une infinie variété d’expression. Une émulation féconde multipliait les expériences, encourageait l’originalité, dans l’imitation et, pour réaliser toutes les puissances latentes de communautés si petites, faisait appel à toutes les énergies individuelles.

 

 

 



[1] ARIST., Pol., I, 1, 6 ss..

[2] Il., VI, 244 ss. ; XXIV, 495.

[3] Cf. XXXIII, p. 96 ss., 139 ss.

[4] Cf. XXXIX, p. 46 ss.

[5] Cf. XXXV, p. 12 ss., XXXVI, t. I, p. 120s.

[6] Cf. XXXIII, p. 94 ss., 103 ss., 135 ss.

[7] Od., VIV, 82, 88 ; XX, 215.

[8] Il., IX, 459 ss. ; VI, 351.

[9] Il., VI, 244 ss. ; Od., III, 387 ss., 412 ss. ; X, 5 ; VI, 62 s.

[10] Il., XVII, 144 VI, 257, 327 ss. ; Od., XIV, 472 s.

[11] Il., IX, 589 ; XV, 680 s. ; Od., X, 103 s. ; XXIV, 468. Voir XVXII, au mot άστυ.

[12] Voir XVIII, aux mots πτόλις et πτολίεθον. Acropolis apparaît dans l’Odyssée, VIII, 494, 504.

[13] Il., VI, 88, 96, 297, 305 ; VII, 345 s. ; XI, 46.

[14] Il., VI, 87 ss., 287 ss.

[15] THUC., III, 101.

[16] Voir LIII, t. II, II, p. 717 ; IG, t. XII, I, n° 677.

[17] Il., VIII, 619 ; XVIII, 274 s., 286 s. Schérie est, de même, entourée de murs et de palissades (Od., VI, 267).

[18] Cf. XVVII, l. c.

[19] Od., VI, 286 ; X, 104 ss. ; XV, 208, 681 ; XVI, 431 ss. ; Il., III, 116.

[20] Il., II, 12 ; IV, 51 s., Od., XV, 354.

[21] Cf. Od., VI, 177 s. ; VIII, 151 ss.

[22] Dèmos = territoire : Il., V, 78, 710 ; XVI, 437, 714 ; Od., XIV, 329 ; XVII, 536. Dèmos = peuple : Il., XX, 166 ; Od., II, 291 ; IV, 666 ; VIII, 137 ; XIII, 186 ; XVI, 114.

[23] WIEGAND, Abh. BA, 1908, p. 484 ss. ; cf. Sb. BA, 1925, p. 275.

[24] Il., IX, 396.

[25] Cf. VII, t. I, p. 248.

[26] RIG, n° 997, 797.

[27] IG, t. XII, I, n° 695.

[28] Voir XXXVI, t. I, p. 414.

[29] RIG, n° 1144.

[30] Sur l’importance des isthmes, voir THUC., I, 7.

[31] ID., II, 15, 2.

[32] Il., IX, 149 ss.

[33] DA, art. Périoikoi.

[34] ARIST., Pol., IV (VII), 10, 4.

[35] XÉN., Hell., VII, 5, 14 ; POL., IX, 8.

[36] HÉR., I, 141, 163.

[37] THUC., VIII, 44 ; XÉN., Hell., III, 2, 27.

[38] Cf. XXXVI, t. I, p. 559.

[39] Ibid., p. 451.

[40] THUC., I, 2, 1 ; 5, 1 ; 7 ; 8, 3.

[41] Cf. LIII, t. II, II, p. 778-780.

[42] Le nom d’Hestia apparaît pour la première fois dans la Théogonie d’Hésiode (v. 454).

[43] PIND., Ném., XI, I.

[44] Ausgr. von Olympia, t. II, p. 58 ss. ; WENIGER, Klio, t. VI (1906), p. 1 ss. XXX, p. 167 ss.

[45] Schol. ARISTID., Panath., 103, 15 ; TITE-LIVE, XLI, 20.

[46] THUC., II, 15, 2 : cf. PLUT., Thésée, 24.

[47] Voir XXXVI, t. I, p. 398, 395, 424.

[48] HÉR., I, 146.

[49] GDI, n° 3501 s. ; HÉR., VII, 197.

[50] Voir WERNICKE, Jb. Al., t. IX (1894), p. 127-136 ; O. LEROUX, Les orig. de l’édif. hypostyle, p. 75-77 ; XXX, p. 271-274.

[51] Od., VI, 53-56.

[52] THUC., II, 15, 2-3 ; HÉR., I, 174 ; RIG, n° 432-485. Cf. XXIII, p. 195 ss.

[53] ARIST., Pol., VII (VI), 5, 2.

[54] Ibid., IV (VII), 11, 2-3.

[55] Il., IX, 807.

[56] ARIST., l. c., 2.

[57] IV, p. 45, 59 s. ; SIG3, n° 47, l. 21 ; 525, l. 11 ; 1045, l. 9, 34 ; 1012, l. 2.

[58] Cf. RIG, n° 139, l. 23 ; 142, l. 5 ; 961. B, l. 28 ; 969, l. 2 ; 979, l. 16.

[59] Cf. DA, art. Ekklesia, p. 512.

[60] Od., IX, 112 ; HÉR., I, 153.

[61] THUC., I, 7.

[62] Voir II ; III, t. III, I, p. 261 ss. ; cf. CAVAIGNAC, La popul. du Péloponnèse aux Ve et IVe siècles (Klio, t. XII, 1912, p. 261 ss.).

[63] THUC., I, 14, 2.

[64] HÉR., I, 151.

[65] PLAT., Lois, IV, p. 707e-708b ; cf. ISOCR., Panég., 34-36.

[66] Cypria, fr. 1 Kinkel.

[67] HÉR., VII, 102.

[68] HÉS., Travaux et jours, 376.

[69] Voir DA, art. Expositio.

[70] ARIST., Pol., II, 5, 2.

[71] PLAT., Lois, V, p. 737 d-738e.

[72] ARIST., Pol., IV (VII), 4, 3-8 ; Éth. à Nic., IX, p. 1170 b.

[73] PLUT., Timot., 23, 25 ; DIOD., XVI, 52.

[74] THUC., I, 100, 3 ; DIOD., XI, 49, 1.

[75] XÉN., Hell., V, 3, 16 ; DIOD., XIV, 78, 6.

[76] DIOG. LAËRCE, III, 1, 27.

[77] HÉR., VII, 135.

[78] ARIST., Pol., VIII (V), 2, 10.

[79] HÉR., I, 170.

[80] ARIST., Pol., II, 1, 5.

[81] THUC., III, 37 ss.

[82] ID., VIII, 48.