NAPOLÉON III INTIME

 

1870-1873

XVII. — LA GUERRE.

 

 

L'opinion souveraine, mais irresponsable. — A Berlin ! — Si l'on y était allé ? — Napoléon III voulait-il la guerre ? — Comment l'aurait-il voulue ? Le Plébiscite. — La santé de l'Empereur. — Où elle avait commencé à s'altérer. — Maladie inconnue. — Consultation du 20 juin 1870. — Pourquoi Napoléon III, quoique malade, voulut partir avec l'armée. — Dans quel but l'opposition caresse et impose Bazaine. — Ce qui en résulte. — Napoléon III ne commande plus. — Ce qu'il prévoit et ne peut empêcher. Torture physique et morale. — Sedan. — Napoléon III sur le champ de bataille. — Le drapeau blanc. — Entrevue de Napoléon III et du roi de Prusse. — Une page d'histoire comme on en écrivait alors. — Deux lettres de l'Empereur après la capitulation. — Blessure mortelle.

 

Au mois de novembre 1879, un député radical, qui fut depuis Président du Conseil, faisait un crime au ministère existant d'avoir nominé des fonctionnaires hostiles à la République, — qu'il leur avait pourtant recommandés de sa main : il n'avait pas le temps, il ne pouvait se donner la peine d'examiner si ceux qui sollicitaient son appui le méritaient ; mais, le ministre aurait dû se renseigner sur eux avant de les accueillir, et être assez ferme pour ne pas faire de telles nominations. Ce protecteur furieux de l'intérêt témoigné à ses protégés, étonné qu'on n'ait pas la fermeté de repousser les recommandations qu'il avait lui-même la faiblesse d'accorder, parut fort plaisant ; et le public s'amusa pendant quelques jours à ses dépens.

C'est ainsi pourtant qu'en 1870 l'opinion se comporta à l'égard de Napoléon III. Endoctrinée par les meneurs de l'opposition, elle l'avait contraint à se dépouiller de son pouvoir. Elle avait voulu mener les affaires, par la presse, par la Chambre, et prétendait les mener beaucoup mieux que l'Empereur, étant plus sage et plus éclairée que lui. Au moment où surgit la question Hohenzollern elle avait le gouvernail en mains. Le Journal des Débats le constatait avec joie : On aperçoit ici, disait-il, la différence fondamentale qui existe entre le régime parlementaire et le régime personnel en ce qui concerne les affaires extérieures... C'est à l'opinion publique qu'il appartient en ce moment de manifester sa volonté : la Chambre et le ministère y devront obéir.

Dans quel sens se manifesta cette volonté, nul ne l'ignore. Surexcitée, chauffée à blanc par les journaux hostiles au gouvernement qui, pour le discréditer, lui jetaient sans cesse à la face l'humiliation de Sadowa, l'opinion était peu disposée à subir un nouveau camouflet de la Prusse[1]. Le gouvernement semblait-il vouloir éviter le piège tendu, par une transaction acceptable ? Une protestation véhémente de ces journaux la soulevait de nouveau : Bismarck s'est trompé, disaient ces fauteurs d'indignation publique, — que nous ne voulons pas nommer, mais que nous citons très exactement ; — nous ne sommes plus en 1866. La France républicaine ne supporterait pas un tel affront ; la France monarchique doit-elle le supporter ?... Ce serait la pire des humiliations ; ce serait la honte ; il n'y aurait plus une femme au monde qui acceptât le bras d'un Français etc. A de telles excitations notre tempérament impressionnable et nerveux ne pouvait résister ; à plein gosier et d'une seule voix la foule s'écria : A Berlin ! C'était un entraînement universel auquel le gouvernement dut céder. La France est debout, non la France d'autrefois, la France d'il y a quelques années, qui subissait une politique ; mais la France qui vient de renaître à la liberté. Même après nos premiers désastres, même après le 4 septembre, un journal républicain qui prodiguait à l'Empereur les outrages les plus sanglants, eut la franchise, alors exceptionnelle, de reconnaître sur ce point la vérité : Ce n'est pas Napoléon III, disait-il, qui a, de son chef, déclaré la guerre : nous lui avons forcé la main.

Que nos troupes entrent à Berlin, ceux qui ont ainsi forcé la main à Napoléon III en revendiqueraient naturellement le mérite et l'honneur. Entre la France d'il y a quelques années et la France qui renaît à la liberté, ils feraient une comparaison, qui tournerait à leur gloire, à la confusion du gouvernement personnel. N'avaient-ils pas raison de vouloir prendre les rênes ? N'était-ce pas à leur résolution, à leur énergie qu'on devait cette revanche ?... Mais nous n'entrons pas à Berlin ; les Allemands au contraire marchent sur Paris et vont y entrer : tout le monde aussitôt se dérobe ! On aurait signé des deux mains la victoire, on ne se soucie pas de signer la défaite. C'est à Napoléon III seul qu'on doit l'imputer. Si l'opinion a été irréfléchie, imprévoyante, en poussant l'Empereur à la guerre, l'Empereur ne pouvait-il avoir de la raison pour elle ? Au lieu de se laisser troubler par ses vociférations belliqueuses, au lieu de céder à l'entraînement universel, ne devait-il pas avoir la fermeté d'y résister ?... Comme le député radical dont nous parlions tout à l'heure, l'opinion et les meneurs de l'opinion étaient furieux d'avoir été obéis.

Mais puisqu'on devait avoir encore besoin de la fermeté de l'Empereur, pourquoi lui avait-on enlevé tout moyen d'action efficace ? La France m'a échappé des mains, disait Napoléon III au lendemain de sa dalle : de ses mains ligotées comment pouvait-il la retenir ?

Que pour son compte, il ne désirât pas la guerre, à ce moment du moins, on daigne enfin le reconnaître[2]. On aurait pu le deviner, en lisant sa proclamation à l'armée, annonçant une guerre longue et pénible. Il ne croyait pas la victoire impossible ; — et elle ne l'était pas, après tout : le moindre succès, au début de la campagne, aurait pu changer radicalement la face des choses ; — mais il la croyait très incertaine ; — et, quoi qu'en dise une autre légende, l'Impératrice ne voyait pas avec moins d'angoisses s'engager cette redoutable lutte[3] —. Il la savait inévitable, sentant la Prusse bien résolue à nous pousser à bout[4]. Mais, pour l'affronter, il voulait avoir ses mains pleines d'alliances, ses magasins pleins de canons Reffye ; il voulait surtout attendre un casus belli, où l'intention de nous provoquer fût assez manifeste pour nous assurer les sympathies hésitantes de l'Europe. Dans les conditions où elle se présentait, en juillet 1870, il la jugeait périlleuse. Au moment de partir, il le laissait clairement entendre à Mgr Darboy : Le jour même du départ de l'Empereur, l'archevêque de Paris se rendit à Saint-Cloud pour y dire la messe... Un dernier entretien avec le souverain laissa à Mgr Darboy une impression de tristesse, qui venait autant de la solennité des circonstances que de l'accent grave et doux avec lequel le chef de l'État parla de la guerre et de ses hasards[5].

Pourquoi Napoléon III, d'ailleurs, eût-il été si impatient d'en finir ? Pour rasseoir plus solidement son trône ébranlé ? Comment ! Le lendemain du Plébiscite ? Quand ce nouveau verdict national venait de constater l'immense majorité de ses partisans, l'infime minorité de ses ennemis coalisés, il aurait été jouer le sort de sa dynastie raffermie sur une carte aussi chanceuse[6] ! Qu'on l'ait dit en 1871 ? soit ! On peut tout dire, au lendemain d'une révolution, et tout faire croire : aujourd'hui, qui l'admettrait ?... L'Empereur avait, au surplus, une autre raison pour ne point désirer la guerre, pour souhaiter même qu'elle fût ajournée — étant bien résolu, si elle éclatait, à y prendre part, — c'était son état physique. Ce qu'il était alors, et depuis plusieurs années déjà, nous devons le rappeler avec quelques détails.

Napoléon III, né chétif, avait vite acquis une constitution vigoureuse ; par l'habitude de tous les sparts il l'avait constamment fortifiée, jusqu'au jour où à une vie active avait succédé pour lui le repos de la prison. A ce brusque changement d'existence, à l'installation défectueuse de son logement où l'air se glissait de tous côtés, aux vapeurs malsaines s'élevant des fossés qui bordaient et des plaines marécageuses qui entouraient le fort, cette robuste santé n'avait pu résister. Le 20 août 1815 le prisonnier de Ham écrivait à son père : J'ai de fortes douleurs rhumatismales, que j'attribue à l'humidité du pays et au manque d'exercice. C'était le germe d'une maladie, affectant les nerfs de la peau, — hyperestésie locale — qui, toute sa vie, devait le faire fréquemment et violemment souffrir.

Comme il n'aimait point à se plaindre, on le savait peu, même autour de lui. Plus d'une fois les invités des Tuileries, les personnes de sa maison virent l'Empereur entrer souriant dans la Salle des Maréchaux, sans soupçonner quel effort de volonté il lui fallait pour retenir une grimace de douleur, sans se douter que, pour faire devant eux bonne contenance, il venait de se griller la main ou le bras à la flamme d'une bougie, dont la brûlure lui procurait un soulagement momentané ! Pendant longtemps on ne le soigna que pour cette affection. A peu près chaque année il allait prendre, à cet effet, des eaux qui devaient provoquer, ou, du moins, développer activement en lui une autre maladie plus grave, se manifestant par des malaises plus fréquents, des souffrances plus vives, sans que les médecins, — à l'examen desquels le malade se prêtait peu d'ailleurs, — pussent en indiquer exactement le caractère. Au mois de mai 1861, Napoléon III écrivait à l'Impératrice : Je me sens mieux ; cependant je t'avoue que ces douleurs sourdes que réprouve dans les jambes m'inquiètent, parce que je suis persuadé que c'est le symptôme d'un mal qu'on pourrait guérir si les médecins savaient en découvrir la cause.

La maladie, vaguement soupçonnée par les uns, niée par les autres, et qu'une opération opportune aurait pu enrayer, suivait son cours. En 1865, au camp de Chalons, une crise violente, — et sur laquelle l'Empereur ordonnait au médecin qui le soignait alors de garder un silence absolu, — en trahissait déjà les progrès alarmants. Elle fut suivie de plusieurs autres, supportées avec un courage, une énergie, qui en dissimulaient à tous la gravité. Parfois cependant le mal triomphait de cette rare énergie et l'Empereur devait s'avouer vaincu par lui. Le 2 octobre 1867, il écrivait : Je me remets tous les jours. Cependant il me faut encore beaucoup de ménagements, j'ai fait aujourd'hui une grande promenade à pied, mais je n'ai pu rester en voiture ; et deux ans après, au mois d'octobre 1869 : Tout le monde me fait compliment sur ma bonne mine ; mais mes forces ne reviennent pas, je n'ai pu continuer les chasses quoiqu'elles fussent très raccourcies.

L'Impératrice s'inquiétait vivement des progrès de ce mal dont le principe restait inconnu. Ayant entendu vanter le talent du docteur Sée, la sûreté de son diagnostic par Mme la duchesse de Mouchy, elle conjura l'Empereur de le voir. Napoléon III finit par céder à ses instances, après y avoir résisté longtemps, — d'abord parce qu'il aimait peules figures nouvelles, ensuite et surtout parce qu'il craignait de blesser ses médecins ordinaires, en paraissant suspecter leur clairvoyance.

Le docteur Sée fut appelé à Saint-Cloud, le 20 juin 1870. Il ne fit pas connaître à Napoléon III son diagnostic ; mais, dans la conférence qu'il eut ensuite avec les autres médecins, il le leur indiquait nettement : L'Empereur avait la pierre, on aurait déjà dû l'opérer. Les raisons sur lesquelles il appuyait son opinion ne semblaient pas décisives à ses confrères. Ceux-ci admettaient bien l'utilité, mais non l'urgence d'un sondage. A l'Impératrice, qui attendait avec anxiété le résultat de leur conférence, n'ayant pas voulu, par égard pour eux, interroger directement le docteur Sée, ils répondaient simplement que celui-ci était tout à fait d'accord avec eux sur la nature de la maladie, comme sur le traitement à suivre ; et, rassurée par leur réponse, l'Impératrice s'empressait d'écrire à la duchesse de Mouchy pour la remercier d'avoir eu la première idée de cette consultation, qui mettait fin à ses cruelles inquiétudes.

Pendant ce temps, le docteur Sée consignait son diagnostic dans une note qui devait être signée par les autres médecins. Celte note fut adressée au docteur Conneau le 3 juillet, c'est-à-dire le jour où le duc de Gramont demandait des explications par télégramme à Berlin, sur la candidature Hohenzollern. Parmi les papiers qu'après le 4 septembre, on saisit chez le docteur Conneau, on retrouva la lettre que celui-ci avait reçue, encore cachetée et ne portant que la signature du docteur Sée. On s'empressa de la publier dans le recueil des Papiers secrets[7]. L'impératrice n'en sut rien, se souciant peu de connaître ce recueil que d'ailleurs on ne laissait pas arriver jusqu'à elle. C'est plus tard seulement qu'elle en fut instruite. Causant, vers la fin de décembre, avec Mme la duchesse de Mouchy, des mauvaises nouvelles que, le jour même, elle avait reçues de l'Empereur, l'Impératrice les attribuait au climat fort rude de Wilhelmshöhe[8] et exprimait l'espoir qu'il se trouverait mieux de celui d'Angleterre. Par sa réponse, la duchesse de Mouchy laissait voir qu'elle partageait peu cet espoir et qu'une opération lui paraissait inévitable. Une opération ! s'écria vivement l'Impératrice, très troublée... Que voulez-vous dire ? L'Empereur aurait besoin d'être opéré ?La consultation du docteur Sée ne le prouve que trop !Quelle consultation ? Et la duchesse de Mouchy, comprenant que l'Impératrice ignorait encore la vérité, eut la douloureuse obligation de la lui apprendre.

C'est en de telles conditions, — ne se sachant pas sans doute atteint de la pierre, mais étant en proie aux atroces douleurs causées par cette maladie, ne pouvant, certains jours, rester à cheval, ni même en voiture, sans en éprouver une recrudescence, — que, par un caprice intéressé, l'Empereur eût provoqué cette guerre longue et pénible, en eût volontairement affronté les fatigues et les risques ! Des adversaires aveuglés par la passion pouvaient seuls le dire : le croyaient-ils eux-mêmes ?

Pourquoi donc, en un tel état de santé, Napoléon III allait-il se mettre lui-même à la tête des troupes ?... Quand il avait voulu commander l'armée de Crimée, quand il avait commandé celle d'Italie, on avait prétendu quo c'était par gloriole, pour le seul plaisir de voir son profil lauré sur les pièces de cent sous. Mais, en 1870, à la veille d'une campagne plus redoutable et dont il savait l'issue plus douteuse, n'avait-il pas un intérêt manifeste à se reposer sur les lauriers de Magenta et de Solferino ?... Le sentiment qui le poussait en Allemagne, comme M'avait conduit, en Italie, était plus élevé : c'était le sentiment du devoir, dont il était pénétré, auquel, en toute circonstance, il avait obéi, et qu'il poussait, à cette heure, jusqu'à l'abnégation, jusqu'à l'héroïsme. Parmi ceux qui allaient bientôt l'accabler d'ignobles injures, combien, atteints du mal qui le rongeait, eussent été capables d'un pareil effort ?

Napoléon III estimait en effet que là où étaient les soldats de la France, il devait se trouver lui-même. Plus il redoutait pour eux les épreuves de cette campagne, plus il tenait à les partager avec eux, et même, — sacrifice bien plus méritoire encore, — à y associer son fils. Ayant pour ce fils, tendrement, passionnément aimé, le même genre d'ambition qu'il avait eu pour lui-même, Napoléon III voulait qu'il se montrât digne de son nom, digne du trône, où il rêvait de le faire monter prochainement à sa place. Sa dernière joie, en ce temps douloureux, fut de voir avec quelle vaillante insouciance, cet enfant de quatorze ans avait entendu, pour la première fois, le sifflement des balles : joie noble et touchante qui devait être pourtant méconnue, travestie et raillée ! Ils n'ont pas même compris cela ! répétait, — nous assure-t-on, — l'Impératrice, plus sensible à cette injustice qu'à aucune autre.

Ce n'était pas seulement pour partager, quel qu'il fût, le sort de son armée, que Napoléon III allait se mettre à sa tête, — comme allait faire le roi Guillaume, âgé de soixante-treize ans, comme avait fait, en 1866, le roi Georges de Ilanovre, valétudinaire et aveugle. Il savait, comme eux, qu'à la guerre la première garantie du succès est l'unité de direction, la prompte obéissance de tous au commandement supérieur. Il savait que, devant un ordre de l'Empereur, un ordre donné, en son nom, par son chef d'état-major, s'effaceraient aussitôt ces rivalités entre chefs de corps, ces velléités d'indépendance et d'initiative individuelle, qui furent si fatales, à d'autres époques, et se reproduisirent, pour notre malheur, dès qu'il eut résigné son commandement. Mais ce qu'on trouvait bon de la part des autres, il fallait le trouver mauvais de la sienne. Le roi de Prusse faisant campagne, malgré son grand âge et le roi Georges V, malgré sa cécité, — comme Saint-Arnaud s'embarquant, presque moribond, pour la Crimée, — avaient donné, de l'aveu de tous, un noble exemple : on blâmait Napoléon III de l'avoir suivi, au lieu de rester à Saint-Cloud pour soigner ses maux !

Blâme intéressé d'ailleurs ! Manœuvre de parti se cachant sous une apparence de patriotisme ! De nos revers, — que certains d'entre eux souhaitaient plus décisifs[9], — les ennemis de l'empire étaient bien décidés à tirer un parti quelconque. En forçant l'Empereur à abdiquer le commandement, l'Opposition voulait le donner non au plus habile général, mais au plus sûr, — pour elle, — à celui dont elle attendait le plus. Bazaine était, il devait être son homme. Son attitude au Mexique, où il avait cédé à des arrière-pensées d'intérêt, lui avait valu une sorte de disgrâce. Il n'en fallut pas davantage pour souder ensemble Bazaine et l'opposition. Grâce aux efforts des Favre et des Gambetta, Bazaine était positivement populaire au moment où éclata la guerre. C'est la gauche qui l'imposa à Napoléon III, bien qu'il n'eût aucune des qualités d'un généralissime[10]. Toute la gauche, — y compris M. Thiers, qui l'accablait de prévenances et lui faisait une place à part, dans son salon de politique de combat contre l'Empire. On avait compris qu'en exploitant son ambition, son dépit, on le gagnerait aisément, et qu'ayant jadis sacrifié l'intérêt national à des visées personnelles, il pourrait recommencer, à l'occasion. C'est pour avoir méconnu au Mexique son devoir de soldat, qu'en perdant les bonnes grâces de l'Empereur, il avait conquis celles de ses adversaires. Avait-il donné à ceux-ci des gages plus positifs ? Nous l'ignorons. Nous savons seulement que M. de Bismarck lui ayant dit, pour l'amener à composition : J'ai de bonnes raisons de croire que Bazaine demeure fidèle à l'Empereur, — Jules Favre interrompit vivement le comte, pour répondre : Je crois avoir de meilleures raisons de penser le contraire[11].

La conséquence ? On ne la connaît que trop. Elle est avouée par des membres du parti qui avaient inventé ce généralissime, déplorant, eux aussi, leur naïve erreur et déclarant que si Bazaine s'était comporté en soldat, non en politicien ambitieux, le résultat de la guerre eût été tout autre[12] !

A l'abdication militaire, qu'en alléguant l'intérêt national on exigeait de lui, Napoléon III s'était, résigné — comme à l'abdication politique qui l'avait précédée, et provoquée, — loyalement, sans arrière-pensée. Confirmant la déclaration, très nette, du maréchal de Mac-Mahon à cet égard[13]. J.-J. Weiss écrivait, en 1872 : Quel tableau digne de Shakespeare que celui de ce souverain qui, après avoir été par deux fois, en 1856 et en 1859, l'arbitre des destinées de l'Europe, placé tout à coup sous la tutelle plutôt que sous la protection de son plus illustre lieutenant, moins encore soldat que prisonnier dans sa propre armée, témoin impuissant de marches qu'il déconseille, est entraîné , d'étape en étape, à travers l'invasion de son pays, vers de suprêmes désastres qu'il lui est défendu de conjurer !... L'histoire n'offre pas un autre exemple d'un fondateur de dynastie, qui, sous la pression d'une opinion publique, aveugle contre elle-même, se soit abstenu, avec un détachement aussi complet, des événements où se décidait l'avenir de sa race.

Comme le maréchal de Mac-Mahon, l'Empereur juge la marche sur Metz, prescrite par le ministre de la guerre, hasardeuse et téméraire : il le dit, sans vouloir toutefois imposer, son avis, ne croyant plus en avoir le droit ; et quand le maréchal, sur des informations rassurantes, se décide à exécuter ce mouvement, le même scrupule l'empêche seul de s'y opposer[14].

Plus l'armée s'avance vers l'est, plus Napoléon III, comprend quel grave danger la menace. Il pourrait personnellement s'y soustraire. Quand il arrive à Sedan, on lui propose de continuer sa route sur Mézières et de profiter du chemin de fer qui est encore libre. De là, il pourrait rallier le corps du général Vinoy et établir un nouveau centre de résistance, dans une place forte du Nord. Mais il sait comment on interprète, à cette heure, ses pensées et ses actes : On l'accuserait de mettre sa personne à couvert[15]. Tout plutôt que de s'exposer à un tel soupçon ! Il suivra donc l'armée jusqu'au bout, jusqu'à la dernière station du Calvaire !

L'ascension est rude, car tout se réunit pour l'accabler. Il souffre dans sa fierté de Français, dans son orgueil de souverain longtemps heureux, dans sa tendresse de père et d'époux : et à toutes ces tortures morales s'ajoute encore une torture physique.

En quittant Paris, il espérait, à force de volonté, maîtriser la maladie. Y parviendrait-il ? C'était sa constante préoccupation. Le 29 juillet, il écrivait à l'Impératrice : Pourvu que nus santé et mes forces se maintiennent ! mais déjà il n'y devait plus compter ; car, très peu de jours après, nous étions appelé pour une affaire de service, à Metz ; c'était le 2 août : l'Empereur avait dû rester quelques heures à cheval pour le léger engagement de Sarrebruck ; et, dans la soirée que nous passâmes au quartier impérial, sa physionomie altérée, son corps affaissé nous indiquaient trop clairement son état de douloureuse fatigue. Cet état, depuis, n'avait fait que s'aggraver. Napoléon III ne mangeait plus ; il ne dormait plus. Le valet de chambre qui fit, pendant toute la campagne, son service personnel, — et, pourquoi ne le dirions-nous pas ? c'est lui-même, encore tout ému à ce souvenir, qui nous le racontait récemment, — chaque nuit, couché à la porte de son maître, l'entendait pousser de sourds gémissements. Que de fois, nous disait-il, Sa Majesté m'appela, s'excusant toujours de nie faire relever, de me donner tant de peine et me remerciant ensuite, comme si je n'avais pas été à son service Avec sa douceur, son calme ordinaires, il disait seulement : Je souffre beaucoup ; et l'on voyait de grosses gouttes de sueur perler sur son front !

C'est après une quinzaine de ces journées douloureuses et de ces nuits sans repos, que le 1er septembre il montait, non sans peine, à cheval, pour aller sur le champ de bataille de Sedan et y rester près de cinq heures !... — de neuf heures à onze heures trois quarts. — Comment l'a-t-il pu ? disait, plus tard, le docteur Gull, après avoir constaté la grosseur de la pierre qui lui déchirait les entrailles. Un tel effort semble au-dessus des forces humaines !

Effort inutile ! Napoléon III, voyant se préparer la catastrophe qu'il avait redoutée, qu'il ne lui avait plus été permis de conjurer, avait cherché la mort, allant où il la voyait faire le plus de ravages. La mort frappait autour de lui, éclaboussant son cheval du sang des victimes frappées à ses côtés : Elle ne voulait pas de lui[16]. Il envoie son état-major derrière un mur qui l'abritera ; puis, suivi de trois de ses officiers seulement, il monte sur une éminence, où ce petit groupe se détachant sous le ciel sert de point de mire à l'ennemi. L'artillerie prussienne, — bien des témoins peuvent encore l'affirmer, — ne cessera plus de [faire pleuvoir autour de lui les obus, et elle atteindrait certainement le but qu'elle vise avec tant de persévérance, si, la terre étant détrempée, beaucoup de ses projectiles ne s'y enfonçaient sans éclater.

Même à cette heure, attendant la balle ou l'obus qui lui épargnerait la douleur, l'humiliation suprêmes, au milieu d'une torture morale et physique, comme peu d'hommes sans doute en ont éprouvé, Napoléon III pouvait s'oublier encore, pour s'intéresser aux autres et prendre part à leurs peines. Un ancien officier, M. Ulrich de Civry, nous en a donné la preuve, dans une lettre adressée au Figaro[17], non pour témoigner que ce jour-là l'Empereur montra le courage calme et le sang-froid qu'il avait montrés toute sa vie, — ne daignant pas réfuter la légende contraire, qui n'était pas même une calomnie : une niaiserie ; — mais simplement pour raconter ce trait : Sa Majesté, m'apercevant, m'ordonne d'approcher, et, avec une bonté, une présence d'esprit, que je n'oublierai pas plus que la lividité de son visage où étaient peintes les plus vives souffrances, Elle me dit : J'ai appris hier, avec une peine profonde, la mort de votre cousin de Brincourt. C'est un vaillant officier de moins. Donnez à votre famille l'assurance de mes regrets.

A bout de forces Napoléon III dut rentrer à Sedan, pour y prendre quelques instants de repos. Puis il voulut retourner sur le champ de bataille, où l'armée écrasée faisait, le sachant inutile, un dernier effort : il ne put même atteindre la porte de la ville, ni percer la foule épaisse qui obstruait les rues, sous la pluie des obus[18]. Chaque projectile, tombant sur cette masse, y faisait une large trouée. Des maisons brûlaient. Qu'un des caissons agglomérés sur une des places fût atteint et la ville entière allait être en flammes. Napoléon III devait-il assister, d'un mil sec, à ce carnage ? Ah ! certes, il aurait pu laisser à un autre le soin d'y mettre fin, et pour dégager sa responsabilité personnelle, profiter de l'impuissance à laquelle on l'avait réduit. Chaque minute eût augmenté, par centaines, le nombre des victimes ; mais de la suspension d'armes, prélude de la capitulation fatale, inévitable, on n'aurait pu lui attribuer l'initiative. Il était incapable d'un aussi vil calcul ; et, s'il l'eut fait, ne lui eût-on pas reproché, justement reproché, d'avoir prolongé, par égoïsme, un inutile massacre ? N'écoutant que sa conscience et son cœur, faisant, comme toujours, passer son devoir avant son intérêt, Napoléon III ressaisit, pour une minute, l'autorité dont il s'était laissé trop docilement dépouiller, et ordonna de hisser le drapeau blanc. Le feu cessa. Peu après un conseil de guerre reconnaissait qu'on ne pouvait songer û le reprendre et que la capitulation s'imposait[19].

Napoléon III n'avait pas épuisé le calice. Il lui restait à subir la plus cruelle épreuve. Comme ses troupes, il était prisonnier de guerre ; comme elles, il devait déposer ses armes entre les mains du vainqueur. Il rendit son épée, ce dont on lui fit un crime : aurait-il donc pu faire autrement ? Eût-on préféré qu'il se la laissât arracher, en lançant quelques belles phrases à la Jules Favre ?... Peut-être ! Et ainsi serait justifiée l'opinion de ceux qui regrettaient qu'il ne posât pas davantage, qu'il ne sût pas mieux se mettre en scène et se draper. Son caractère s'y opposait. Il fut simple dans le malheur, comme il l'avait été dans la fortune ; devant la force qui l'écrasait, devant le fait inéluctable, il s'inclina, cherchant à maîtriser sa douleur, — comme nous l'avions vu refouler ses larmes devant le cercueil de sa mère, — ne voulant pas que l'ennemi pût lire sur son front la détresse de son âme.

S'il désire voir le roi Guillaume, est-ce pour stipuler des avantages personnels ? Oh ! non : il refuse même de traiter avec lui de la paix : c'est seulement pour intercéder en faveur de ses troupes et pour obtenir que de moins dures conditions leur soient faites. Napoléon III sait, hélas ! en quelle monnaie la cour de Prusse paye les services rendus et règle ses dettes d'éternelle gratitude peut-être pourtant a-t-il encore le vague espoir qu'en voyant devant lui, tombé de si haut, le souverain auquel il avait prodigué les promesses et les protestations le roi Guillaume cédera à un élan de générosité. Ah ! si les rôles eussent été intervertis ! Combien la scène eût été différente ! Quelle grandeur lui eût donnée la chevaleresque courtoisie de l'Empereur, refusant l'épée du roi, s'efforçant d'atténuer l'humiliation de son armée !

Le roi est plus positif ; et ses conseillers civils ou militaires le surveillent de près. Il est sans doute ému, sincèrement ému du malheur de Napoléon III ; il l'avoue à la Reine[20], il l'avoue à son entourage ; cette émotion l'empêche même de dire à l'Empereur, comme il en avait le projet, qu'il s'était perdu à plaisir par ses concessions libérales[21]. L'intérêt du vainqueur pour la personne du vaincu devait se manifester de diverses façons pendant le séjour de Napoléon III à Wilhelmshöhe. Il se manifesta même secrètement par l'itinéraire fixé pour l'y conduire. Le roi Guillaume espérait, on l'apprit plus tard, que Napoléon III, se trouvant en Belgique, c'est-à-dire en territoire neutre, y passant la nuit, refuserait d'aller plus loin : croire qu'après avoir perdu sa liberté sur le champ de bataille il voudrait la reconquérir par un tel expédient, en manquant à la parole donnée, c'était peu le connaître !... Mais dans la question militaire notre vainqueur ne laisse aucune part au sentiment ; il veut user sans ménagement de sa victoire ; il ne fera pas une concession qui puisse en amoindrir, aux yeux de son armée triomphante, l'importance et l'éclat.

Pendant que Napoléon III buvait cette dernière gorgée du calice, ses anciens adversaires de France, devenus maîtres du pouvoir, et s'emparant de l'opinion affolée, achevaient de lui broyer le cœur avec une cruauté sans pareille. Pendant que l'Europe entière s'apitoyait sur cette douloureuse agonie d'un grand règne, ils tramaient dans la bouc le souverain qui jadis avait placé si haut la France, et qui, moins ardemment combattu par eux, aurait su la maintenir à son rang.

Ceux qui, bien nourris, bien chauffés, fumant d'exquis cigares, allaient héroïquement verser le sang des autres, l'accusaient de toutes les vilenies et de toutes les bassesses. Il avait livré Sedan, qui ne demandait qu'à se défendre, et son armée résolue à vaincre, afin de sauver sa propre vie. Il avait accompli ce forfait avec une cynique insouciance. Au milieu des malédictions de ces soldats qu'il venait de vendre à l'ennemi, il était allé, la cigarette aux lèvres et le visage souriant, courtiser son vainqueur, obligé de lui donner une leçon de dignité. Sous ce titre audacieux Une Page d'histoire toute la presse[22] reproduit, en garantissant la scrupuleuse exactitude, un article emprunté au journal d'Edmond About : récit minutieusement détaillé de l'entrevue entre les deux souverains, par un prétendu témoin oculaire qui fait jouer au nôtre le rôle le plus plat, et le plus fier à celui de la Prusse[23].

Pour faire pénétrer plus profondément l'odieuse légende dans les esprits, on veut l'illustrer. Un artiste de talent, qui regrettera bientôt de s'être prêté à cette mauvaise action, — la traduit en un dramatique tableau, qu'on fait reproduire par tous les moyens, même par une image d'Épinal, jetée à profusion dans le pays[24]. Et quand à ce torrent d'odieuses calomnies le général Pajol voudra opposer une lettre contenant le simple récit des faits dont il a été témoin, racontant la journée de Sedan comme la racontera l'histoire, comme on la raconte depuis longtemps déjà[25], le gouverne ment de M. Thiers lui refusera l'estampille du colportage sans lequel il ne peut la répandre[26] !

S'il restait encore quelque mais, croyant à cette criminelle cigarette, nous lui dirions que le pauvre Empereur, — comme il a cru devoir, bien inutilement, l'affirmer lui-même, — ne songeait guère alors à fumer ; qu'il ne songeait même pas à manger ! A onze heures et demie, le jour de la fameuse entrevue, épuisé par les émotions, les fatigues de la nuit précédente et de la veille, il n'avait encore rien pris. A un officier de sa maison, qui le lui reprochait, le voyant à bout de forces, Napoléon III répondait : Le Roi doit venir, je ne sais à quelle heure : il me répugnerait trop qu'il me trouvât attablé. Cet officier sortit alors, alla acheter un morceau de pain, une fiole de vin, les rapporta dans une poche de sa capote et força pour ainsi dire l'Empereur à faire ce frugal repas.

S'il y avait encore quelque mais, reprochant à Napoléon III d'avoir vu, avec une cynique indifférence, l'ennemi s'emparer de ces aigles qu'il avait menées à Magenta et à Solferino, nous l'engagerions à lire ces deux lettres, — encore inconnues, — que, dans la journée et la soirée du lendemain, il adressait à l'Impératrice :

Quartier Impérial, 2 septembre 1870.

Ma chère Eugénie, il m'est impossible de te dire ce que j'ai souffert et ce que je souffre. Nous avons fait une marche contraire à tous les principes et au sens commun ; cela devait amener une catastrophe. Elle est complète. J'aurais préféré la mort à être témoin d'une capitulation si désastreuse, et cependant, dans les circonstances présentes, c'était le seul moyen d'éviter une boucherie de 60.000 personnes.

Et encore si tous mes tourments étaient concentrés ici ! Je pense à toi, à notre fils, à notre malheureux pays. Que Dieu le protège ! Que va-t-il se passer à Paris ?

Je viens de voir le Roi. Il a eu les larmes aux yeux en nie parlant de la douleur que je devais éprouver. Il met à ma disposition un de ses châteaux près de Hesse-Cassel. Mais que m'importe où je vais !... je suis au désespoir. Adieu, je t'embrasse tendrement.

NAPOLÉON.

 

Bouillon, le 2 septembre 1870.

Ma chère Eugénie, après les malheurs irréparables dont j'ai été le témoin, je pense aux dangers que tu cours et je suis bien inquiet des nouvelles que je recevrai de Paris.

La catastrophe qui est arrivée devait avoir lieu. Notre marche était le comble de l'imprudence et de plus elle a été très mal dirigée. Mais je n'aurais jamais cru que cette catastrophe fût aussi épouvantable. Figure-toi une armée entourant une ville fortifiée et étant elle-même entourée par des forces très supérieures. Au bout de quelques heures nos troupes ont voulu rentrer en ville. Alors la ville s'est trouvée remplie d'une foule compacte, et sur cette agglomération de têtes humaines, les obus pleuvaient de tous côtés, tuant les personnes qui étaient dans les rues, renversant les toits, incendiant les maisons.

Dans cette extrémité les généraux sont venus me dire que toute résistance était impossible. Plus de corps constitués, plus de munitions, plus de vivres. On a tenté de faire une trouée, mais elle n'a pas réussi... Je suis resté quatre heures sur le champ de bataille.

La marche d'aujourd'hui au milieu des troupes prussiennes a été un vrai supplice. Adieu, je t'embrasse tendrement.

NAPOLÉON.

L'Empereur devait vivre deux années encore. Mais dès ce jour-là il était frappé à mort. L'immense douleur qu'il avait éprouvée le 1er septembre, allait être constamment entretenue par les outrageantes accusations qui le poursuivaient sans relâche. Il en gardait peu d'amertume, — on le verra tout à l'heure, — il excusait même ceux qui, oubliant tout son passé, y ajoutaient foi ; mais il n'en souffrait pas moins. Souvent un lambeau de phrase, lui échappant, comme malgré lui, trahissait à son entourage l'obsession de cette idée fixe, qui devait le hanter jusqu'à la tombe. Conneau !... — disait-il d'une voix éteinte et à peine intelligible un instant avant de mourir, — Conneau ! vous étiez à Sedan ? Ce mot, le dernier qu'il ait prononcé, devait mettre à nu la plaie toujours ouverte !

 

 

 



[1] Après l'avoir désarmé, — disait M. Cornély, en 1887, — l'opposition poussait l'Empire à la guerre, en l'affolant par ses interpellations, en l'accusant de laisser infliger un affront à l'orgueil national.

[2] L'Empereur répugnait personnellement à la guerre. (Le Temps, 7 mai 1887). — A cette heure, mon opinion est faite : ce n'est pas Napoléon III, malgré une certaine légende, qui a voulu la guerre. Comte de Kératry (Figaro, 24 janvier 1894.) — Napoléon III ne voulait pu la guerre ; il l'a subie... Ce souverain autoritaire céda devant le vœu populaire. (Ch. Leser, Gil Blas, 2 janvier 1888.)

[3] L'Impératrice a toujours protesté contre ce mot : C'est ma guerre... Ce qui est certain, c'est qu'à la sortie du conseil où venait de se décider le sort de la guerre et de la dynastie, elle demanda anxieuse-muent à M. de Parieu ce qu'il pensait des résolutions prises : Je pense, Madame, dit le président du Conseil d'État, que si l'Angleterre devait trouver demain une for le qui lui permettrait d'éviter la guerre, elle aurait bien mérité de la France. — Je suis bien de votre avis, répondit l'Impératrice. G. ROTHAN, l'Allemagne et l'Italie.

[4] M. de Bismarck l'a souvent avoué depuis. Il y a trois ans, à M. Hugues Leroux, venu pour l'interviewer, il disait : J'avais besoin d'une guerre pour refondre toutes ces vieilles monnaies allemandes. Le premier prétexte a été bon. Si celui-là n'avait pas été bon, — un autre !

[5] Histoire de la vie de Monseigneur Darboy, par Mgr Foulon.

[6] Dans un livre animé d'une violente hostilité contre l'Empire, on lit : Le lendemain du vote s'était produite cette détente qui suit les crises prolongées... Il paraissait que le plébiscite avait fait à l'empire et aux partis une situation que, pour de longs jours, rien ne pouvait changer.... Les républicains, déçus dans leurs espérances, pensant que, de longtemps, l'occasion devait leur manquer pour diriger contre l'empire une attaque comme celle dont il venait de triompher, restaient découragés. Th. Duret, Histoire de quatre ans, p. 70.

[7] Pourquoi le docteur Conneau, le plus honnête et le plus consciencieux des hommes, avait-il gardé ce secret pour lui ? Il est mort sans vouloir s'expliquer à cet égard. Il avait cru certainement agir pour le mieux, et, selon toute apparence, avait craint de troubler, à une pareille heure, l'Impératrice et l'Empereur, en leur faisant connaître un diagnostic, dont les conclusions lui semblaient beaucoup trop alarmistes.

[8] Il y avait à la fin de décembre, 22 degrés de froid, et l'Empereur, revenant d'Algérie, en 1865, disait que la chaleur de ce pays lui avait fait grand bien : Je voudrais toujours vivre sous 80 degrés Fahrenheit, ajoutait-il.

[9] Il nous faut encore une défaite, disait un de ces patriotes. Un rédacteur du Radical (dans ses Souvenirs du 4 septembre) a fait connaitre ce propos, en nommant celui qui le lui avait tenu. L'Électeur Libre, journal de M. Ernest Picard, le 17 janvier 1871, faisait l'aveu suivant : Reischoffen fut pour nous un trait de lumière. Désespérés avant l'ouverture de la campagne, nous conçûmes aussitôt de la défaite l'attente d'une meilleure destinée.

[10] J. CORNÉLY, Le Gaulois, 1867.

[11] J. FAVRE, Le Gouvernement de la défense nationale, t. I, p. 186.

[12] C'est le Matin disant, dans un article anonyme : Sans Bazaine les succès de l'année allemande auraient pu se transformer en désastres. C'est M. Duquet déclarant, dans son livre Les Grandet Batailles de Metz, que Bazaine, imposé par le cri populaire, avait trahi cyniquement la France et l'Empereur — et montrant quelles occasions de vaincre il avait perdues à plaisir. — C'est M. Lockroy, écrivant en août 1893, dans l'Éclair : Vingt fois la victoire nous a glissé entre les mains. Par quelle faute ? Par celle de Bazaine : Il n'avait ni la tête d'un grand général ni le cœur d'un grand patriote... Les petits hommes ne sont sensibles qu'aux petites choses... Aussi bien quand il laisse écraser Frossard à Splekeren que lorsqu'il renonce à marcher sur Châlons après Gravelotte, Bazaine ne semble avoir pour but que de se venger de l'Empereur et de la cour impériale... Son plan était arrêté. Il voulait s'isoler, rentrer sous Metz, ne plus se retrouver avec l'empereur, séparer son année de la France et conclure seul la paix.

[13] Lorsqu'il m'a nommé au commandement de l'armée de Châlons, je suis allé trouver l'Empereur et je lui ai demandé quels rapports devaient exister entre lui, souverain, et le commandant en chef de cette armée. Il m'a répondu qu'il était décidé a faire abstraction de sa personnalité et que j'étais complètement libre de faire ce que j'entendrais. Il ne s'est pas du tout occupé des mouvements que j'ai ordonnés. (Déposition du maréchal de Mac-Mahon à l'enquête parlementaire de 1872).

[14] A Reims, au Chêne populeux, l'Empereur était d'avis de reporter l'armée sur Paris. C'est   seul qui ai prescrit lu mouvement dans la direction de l'Est. (Déposition du maréchal de Mac-Mahon.)

[15] Les forces militaires de la France, en 1870.

[16] Napoléon III, — écrit l'abbé Lanusse, aumônier de Saint-Cyr, ayant assisté à la bataille de Sedan, — était resté de longues heures sur le champ de bataille, désirant, recherchant la mort... Il va se placer sur un mamelon, accompagné seulement du général Pajol, de deux autres officiers... Il s'éloigne encore de quelques pas de ce groupe,  pour être plus seul. Oui, seul, l'Empereur des Français !... Il n'attendait plus une victoire, il attendait la mort. Et la mort ne voulait pas venir ! (Sedan, l'Heure Suprême, p. 304.)

[17] N° du 17 septembre 1892.

[18] Il avait voulu sortir de nouveau pour voir si la mort voulait de lui enfin. Il n'avait pu réaliser ce projet à cause de l'encombrement indescriptible de la ville. (L'abbé LANUSSE, Sedan, l'Heure suprême, p. 301).

[19] Dès le mois d'avril 1872, le Temps avouait qu'il était impossible d'éviter la reddition des cinquante ou soixante mille hommes entassés dans la ville et offerts aux coups de l'artillerie ennemie comme dans un charnier ; que le conseil de guerre formé de tous les généraux qu'on put réunir fut obligé de reconnaitre l'inéluctable nécessité de se rendre ; — qu'à ce conseil de guerre appartient surtout la responsabilité du fait même de la capitulation.

A la même époque, J.-J. Weiss écrivait dans le Paris-Journal : Tout était perdu... ce n'était pas la déroute c'était le massacre et le carnage en leur forme la plus hideuse ; on marchait, dit le correspondant du Siècle, sur les blessés.... Devant les scènes qu'il avait sous les yeux, l'Empereur, la veille encore, simple soldat dans son armée, se souvint à la fin qu'il était l'Empereur et qu'à lui seul il serait demandé compte de tant d'horreurs inutiles, si, par nous ne savons quel scrupule insensé de compétence, il les laissait se continuer une heure de plus. Il commanda et le carnage s'arrêta. C'est là ce qu'on appelle la boue de Sedan ! Nous ferons à cette métaphore l'honneur de la discuter, le jour où l'on nous aura démontré que le mot épouvantable du correspondant du Siècle : on marchait sur les blessés n'était lui-même qu'une figure de rhétorique.

Et peu après, le président Douët-d’Arcq, résumant les débats d'un grand procès politique, qui avait lieu devant la cour d'assises de la Seine, disait : Quant au drapeau blanc, il est certain que l'initiative de cette mesure appartient à l'Empereur ; mais ce fut là une question d'humanité, je dirai même une œuvre de charité, devant laquelle, à quelque parti que nous appartenions, nous devons tous nous incliner.

[20] A la reine Augusta il écrivait : Je ne puis décrire l'effet qui se produisit en moi à la vue de l'Empereur qu'il y a trois ans seulement j'avais vu au faite des grandeurs. Au chef de son cabinet civil (dont on vient de publier les lettres) il disait : Cette entrevue m'a été extraordinairement pénible ; ma seule consolation a été de ne pas avoir amené ou cherché la guerre. (M. de Bismarck non plus, sans doute ?)

[21] Le roi Guillaume le raconta plus lard, lui-même, à un de nos compatriotes.

[22] Même des journaux, qui en rougiraient sans doute aujourd'hui si on citait leur nom.

[23] Dinant, 5 sept. 1870.

Écoutez ; ceci est une page d'histoire. Napoléon III ayant écrit au roi de Prusse la lettre que l'on tonnait, le roi Guillaume répondit : Qu'il vienne lui-même, nu bien il sera traité en simple soldat, quoiqu'il ne le mérite guère. Napoléon se rendit alors de la manière que l'on sait dans la ferme où le roi avait établi son quartier général. La calèche étant arrivée à la porte de la maisonnette, Napoléon mit pied à terre, éteignit sa cigarette et entra seul dans la chambre basse où le roi, casque en tète, se promenait fiévreusement, ayant les mains derrière son dos. Il faisait sombre. L'ex-Empereur mit le chapeau à la main et salua le roi en se servant de la langue allemande Guillaume ne répondit ni par un geste, ni par un mot ; il fit encore quelques pas, puis il vint se placer debout, droit, terrible, devant l'ex-Empereur, qui se tenait incliné, la tète découverte. — Sire, dit celui-ci, toujours en allemand, je viens répéter de vive voix à Votre Majesté ce que j'ai eu l'honneur de lui transmettre par écrit, hier soir. — C'est bien, monsieur, — répondit le roi, dont le visage était fortement coloré, et dont la parole sifflait, tant il faisait d'efforts pour se contraindre, — j'ai décidé que Spandau vous serait assigné pour prison... pour résidence, veux-je dire, reprit Guillaume ; vous attendrez là mes ordres ultérieurs. — Sire... — C'est dit, monsieur ! exclama le roi en frappant du sabre sur le plancher poudreux de la salle. — Au revoir donc, monsieur mon frère, dit l'ex-Empereur, en bon français cette fois. Et il sortit de la salle aussi calme que s'il venait de présider l'ouverture des chambres. Arrivé dehors, il tira une cigarette, qu'il alluma au cigare d'un cuirassier blatte, etc. Sans l'intervention du prince royal et celle du comte de Bismarck, le roi était résolu à faire fusiller l'ex-Empereur tant était grande son exaspération contre l'homme qui, seul, avait causé la mort de tant de braves gens, disait-il.

A cette ingénieuse composition d'un faux témoin il est intéressant d'opposer le récit d'un vrai témoin, le comte Lepic, qui a été publié il y a peu d'années par le Gaulois : Le roi descendit de cheval et monta le perron : à ce moment, l'Empereur se leva ; je le vois encore et je ne l'oublierai jamais. Sa figure pille comme une cire était de marbre. Le képi sur la tète, la main sur la garde de son épée, il s'avança jusqu'aga porte du boudoir et attendit. Le Roi monta vivement l'escalier, et, en entrant, mit son casque sous son bras. Il était troublé et ému. Il ne vit d'abord que l'état-major debout pour le recevoir. Il nous salua... Tout à coup il aperçut l'Empereur, qui attendait. Il eut un moment de saisissement. Marchant vivement vers lui et lui tendant la main : Eh ! bien, Sire, lui dit-il d'une voix forte, le sort des armes a décidé. Ils entrèrent dans le petit salon. Nous fermâmes la porte sur eux, etc. L'entrevue terminée, les deux souverains allèrent jusqu'au perron. Là, le Roi donna la main à l'Empereur, remonta à cheval, le salua encore et s'éloigna.

[24] Cette image, éditée par la maison Pinot et Sagaire, d'Épinal, était accompagnée d'une longue légende, où on lisait : ... Malgré son incapacité évidente l'ex-Empereur avait conservé le commandement supérieur : il fallait obéir... L'empereur Napoléon, obéissant aux ordres du roi de Prusse, traversa les débris de l'armée française, en voiture découverte, fumant son éternelle cigarette. Partout il fut reçu par un silence menaçant, le mépris et une rage concentrée. Napoléon comprit qu'il n'était que temps pour lui de se sauver chez les ennemis. Il fut reçu avec hauteur par le roi de Prusse. Le général Wimpfen, obéissant aux ordres de l'Empereur, capitula et livra prisonnière l'armée française frémissante et indignée. L'image avait pour titre : L'EX-EMPEREUR NAPOLÉON LIVRE AUX PRUSSIENS UNE ARMÉE DE 80.000 HOMMES.

[25] Comme elle est racontée notamment, sauf des inexactitudes de détail, dans la Débâcle. M. Zola, fort peu impérialiste, après avoir interrogé di nombreux témoins de cette journée, dont beaucoup l'étaient aussi peu que lui, nous montre Napoléon III s'avançant seul, au milieu des balles et des obus, allant au-devant de son destin, sans hâte, de sa même allure morne et indifférente. Il reconnaît que si le feu n'avait pas été suspendu, Sedan tout entier se serait allumé comme une torche et que l'impérieuse nécessité de la capitulation s'imposa même aux officiers les plus téméraires.

[26] Une circulaire de M. Calmon, en date du 14 août 1872, prescrivait aux préfets de requérir des poursuites contre les individus qui propageraient cette brochure.