LA VÉRITÉ SUR LA CAMPAGNE DE 1870

Examen raisonné des causes de la guerre et de nos revers

 

I. — QUI A VOULU LA GUERRE ?

 

 

Guerre dynastique. — Résultat du Plébiscite. — La Commission des Papiers secrets. — L'Empereur est-il pour la guerre ? — D'où part l'impulsion ? — La déclaration Gramont. — Ce qu'on en pense. — Le désistement. — Comment il est accueilli. — Le Gouvernement veut s'arrêter. — Qui l'en empêche ? — Les Journaux, les Couloirs de la Chambre, la Rue. La scène d'Ems. — La séance du 15 juillet. — Le vote des 83. — M. Thiers. — La Gauche. — Pourquoi elle veut la paix. — Comment la déclaration de guerre est accueillie. — La Province. — Ses manifestations, ses Journaux et les Rapports des Préfets. — Deux préfets-type. — Un pieux mensonge.

 

Nous n'avons jamais admis que la France pût être vaincue sans trahison. Pour flatter cette faiblesse de l'amour-propre national, on rejette aujourd'hui sur un homme l'entière responsabilité de nos désastres : c'est l'Empereur qui a tout fait.

Je ne demande pas si cela est digne. Je m'interdis tout ce qui ressemblerait à des considérations de sentiment : l'heure présente y serait peu propice. Je demande seulement si cela est sage ?

Selon moi, c'est insensé.

Si nous ne voulons pas .faire avec impartialité la part de chacun, comment nous corrigerons-nous ? Si nous ne voulons pas remonter résolument à la source de nos fautes, comment en éviterons-nous le retour ?

C'est cette enquête que je prétends faire, sans phrases, en suivant les faits jour par jour, heure par heure. Tâche difficile, je le sais. Le mensonge le plus grossier, le plus plat, flattant les passions du jour se fait mieux écouter que la vérité la plus claire les contrariant. Nous voulons secouer à tout prix le lourd fardeau des responsabilités, individuelles ou collectives ; nous Voulons nous étourdir, nous voulons oublier — et nous y parvenons ! A force de répéter la légende du lendemain, nous avons tous, plus ou moins, fini par y croire.

Puis, tant de choses se sont précipitées, tant de changements se sont accomplis, nous avons assisté à tant de désastres, à tant de catastrophes pendant la demi-année qui vient de s'écouler, qu'elle paraît avoir duré un siècle. Ces faits d'hier semblent perdus dans la nuit des temps ; la rouille du passé les couvre déjà ; et pour remettre sous leur jour des événements vieux de quelques mois à peine, il faut faire un véritable travail de restauration historique.

Si bien qu'en racontant les faits tels qu'ils se sont passés, j aurai l'air, pour beaucoup, de soutenir un paradoxe ; en remettant chaque chose à. sa place, c'est moi qui semblerai apporter le désordre.

En vérité, lorsqu'on voit avec quelle facilité, en quelques mois, en quelques semaines — car ce phénomène s'est accompli du 15 juillet au 4 septembre — les événements perdent leur physionomie réelle, même pour ceux qui y ont pris part ; comme les opinions produites sont oubliées, contredites, même par ceux qui les ont émises, on se demande si l'histoire a toujours assez de clairvoyance, assez de fermeté pour résister à ces capricieux entraînements de la passion, pour remonter, contre le courant des préjugés populaires, jusqu'à, la vérité, et l'on se dit que ce qu'elle enseigne est peut-être bien différent de ce qui fut réellement.

Aussi est-ce un devoir pour chacun de lui apporter, dans la mesure de ses forces, les matériaux qui peuvent l'aider à asseoir son jugement. Tel est le but de cette publication, qui est surtout un recueil de documents, un journal minutieux des faits et des mouvements de l'opinion. Je n'apprécie pas, j'enregistre. Je n'aspire pas au rôle d'historien, je me borne à celui de greffier.

 

***

 

Qui a voulu la guerre ?

L'Empereur !

La guerre fut la conséquence naturelle du plébiscite. Le pays subit à contre-cœur ce caprice d'un despote. L'Empereur seul a conçu l'idée de la guerre, l'a provoquée, imposée dans un intérêt exclusivement dynastique. Elle lui était nécessaire pour consolider son trône. Peu lui importait le reste ! Voilà ce qui est proclamé par toutes les bouches officielles, qui semble acquis à la postérité, et qu'il n'est guère permis de mettre en doute.

Examinons pourtant. Ne nous laissons pas intimider par l'assurance ni par la multiplicité des affirmations. Ne croyons rien sur parole. Ne nous en rapportons qu'au témoignage de notre bon sens et de nos yeux. Nous verrons tout à l'heure si cela est vrai. Voyons d'abord si cela est vraisemblable.

 

La guerre est le fruit du plébiscite. Qu'est-ce que cela veut dire ? Pour ma part, je ne saisis pas. Si le plébiscite, montrant le nombre de ses adversaires supérieur ou égal à celui de ses partisans, eût entamé sérieusement le prestige de l'Empire et compromis son existence, je comprendrais qu'on accusât Napoléon HI d'avoir joué, par un coup de désespoir, ses destinées, celles du pays, sur cette dernière carte. Mais non ; le succès du plébiscite avait dépassé les prévisions les plus optimistes. Il avait été complet, écrasant, décisif. D'un côté, sept millions de voix ; de l'autre, quinze cent mille, à répartir entre trois partis, soit cinq cent mille environ pour chacun. Tous étaient visiblement abattus. On disait de toute part que la dynastie impériale était consolidée pour vingt ans, et ils n'osaient y contredire. Le parti républicain était, le plus déconcerté. N'étant pas exclusivement soutenu, comme le parti légitimiste, par le culte désintéressé d'un principe ; la passion du pouvoir, le goût des places étant chez lui — l'expérience l'a démontré — le stimulant de la foi, son dépit était particulièrement vif ; il ne parvenait pas à le dissimuler. La gauche, jusqu'alors unie, se scindait en gauche ouverte et gauche fermée. Le sens de ces dénominations stratégiques était clair : la gauche fermée voulait résister jusqu'à la mort, la gauche ouverte ne demandait qu'à se rendre.

 

Et la conséquence fatale de cette situation inespérée... c'était la guerre ? Une guerre imposée au pays, une guerre aventureuse ?

C'est cette situation que l'Empereur devait fatalement éprouver le besoin de compromettre : à l'intérieur, en imposant à ceux qui venaient de lui témoigner leur sympathie le lourd fardeau d'une guerre impopulaire ; à l'extérieur, en courant les chances d'un conflit avec la plus nombreuse armée de l'Europe !

Je le répète, je ne comprends pas.

Si cela eût été, qu'en devrions — nous conclure après tout ? Qu'en France les partis ne tiennent aucun compte de la volonté nationale, clairement manifestée. et que, même après avoir démontré qu'il a pour lui la presque unanimité des suffrages, un gouvernement ne peut s'y croire à l'abri des surprises.

Mais cela n'était pas. Sauf un petit nombre de cerveaux malades, plaie de tous les régimes, dont la République ne s'accommoderait pas mieux qu'un autre gouvernement, rien ne menaçait plus l'Empire. Tous ses ennemis avaient abdiqué.

 

***

 

J'admets cependant, contre toute vraisemblance, qu'en ce moment, où l'Empereur devait surtout caresser cette pensée de poser sur la tête de son fils la couronne qui lui semblait si manifestement promise, j'admets qu'il fût assez imprudent pour rêver une guerre dynastique.

La guerre de 1870 avait-elle, pouvait-elle avoir ce caractère ?

Que signifie, en effet, ce mot dit par M. Jules Favre, redit à satiété par les divers membres du gouvernement, leurs préfets et leurs journaux ?

Une guerre dynastique — à moins que le nouveau régime n'ait changé le sens des mots comme tant d'autres choses — est une guerre entreprise pour les intérêts de la Couronne, aux dépens du pays ; qui, même heureuse, doit nuire au pays ; même malheureuse, profiter à la Couronne. Si l'on veut que je sois plus large : c'est tout au moins une guerre qui, sans sacrifier les intérêts du pays, les subordonne à ceux de la Couronne : une guerre faite pour venger une injure personnelle au souverain, non une injure faite au drapeau ; pour obtenir un résultat utile au souverain, indifférent à la nation.

Quelques exemples pris dans l'histoire de nos relations avec cette même puissance qui a été pour nous l'occasion du dernier conflit, préciseront ma pensée. La guerre entreprise, en 1823, par Louis XVIII pour renverser le gouvernement des Cortés, dont le maintien, sans nuire à la France, pouvait ébranler .son propre pouvoir, était une guerre dynastique.

Si Louis-Philippe eût fait la guerre pour placer son fils sur les marches du trône d'Isabelle, en attendant qu'il les escaladât, c'eût été une guerre dynastique.

Si, pour empêcher ce rêve de père de famille de se réaliser ; si, pour empêcher un prince français, mais d'une maison rivale, de devenir roi d'Espagne, l'Empereur eût tiré l'épée, c'eût été encore là une guerre dynastique.

Dans ces diverses circonstances, en effet, le pays qui devrait supporter toutes les mauvaises chances de la guerre, n'avait que peu ou point de profit à retirer des bonnes.

De même, enfin, lorsque la reine d'Angleterre, subissant des influences de famille, cherche à retenir son gouvernement[1] dans la voie où le peuple anglais et les intérêts anglais lui conseillent de marcher, on peut dire qu'elle cède à des considérations dynastiques.

Mais pour la guerre de 1870 en était-il, en pouvait-il être de même ?

Les intérêts de la couronne et les intérêts du pays étaient-ils opposés, étaient-ils distincts ?

Evidemment non.

En cas de revers, tout le monde le sentait, le bénéfice du plébiscite disparaissait, le trône était menacé. Car nous sommes ainsi faits, nous avons à ce point le tempérament monarchique, que nous ne nous arrêtons jamais aux responsabilités intermédiaires, et nous en prenons à la tête même des fautes du petit doigt.

En cas de succès, au contraire, que devait personnellement gagner l'Empereur ? Peu de chose. Son trône était tellement consolidé au mois de juillet 1870, que rien n'en pouvait sensiblement raffermir les bases. Mais s'il n'en devait attendre aucun avantage matériel, il pouvait en recueillir, je l'avoue, un certain avantage moral. Oui, sans doute, de grandes victoires sur la Prusse eussent accru l'affection, la confiance dont le pays venait de lui donner un témoignage éclatant. Mais pourquoi ? Précisément parce qu'il eût rendu par ces victoires un nouveau service à la France et qu'il l'eût aidée à réaliser un rêve séculaire.

Tandis que les intérêts du pays et les intérêts de l'opposition étaient non-seulement distincts, mais opposés, puisque chaque succès de la politique impériale était pour elle une défaite amèrement subie, chacun de ses échecs une victoire pompeusement enregistrée, les intérêts du gouvernement et ceux de la France au contraire étaient absolument connexes.

En y regardant de près, les mots de guerre dynastique veulent donc dire ceci : guerre qui, heureuse, devait accroître le prestige de la dynastie parce qu'elle eût accru_ la puissance et la sécurité du pays.

Mais, à ce compte, la guerre de Crimée, la guerre d'Italie, la transformation du régime économique, les grands travaux d'utilité générale, et tant d'autres entreprises hardies, heureuses, qui portaient haut le prestige et la prospérité de la France avaient un caractère éminemment dynastique.

Dynastique, la tendance des czars à se rapprocher de Constantinople ; dynastique, la persévérance des rois ou reines d'Angleterre à les en éloigner ; dynastiques, les efforts du roi de Grèce pour étendre ses États ; dynastique, l'obstination du sultan à défendre les siens ; dynastique enfin, toute politique qui comprend et seconde les aspirations nationales.

Mais, qu'on y songe ! Ce mot ne s'appliquera pas seulement à la conduite des empereurs et des rois. Tous ceux qui auront, à un titre quelconque, l'honneur de diriger les affaires publiques, éprouveront le noble désir d'illustrer leur nom par quelque grand service rendu à leur pays. Ce désir est même la seule excuse légitime de l'ambition, plus souvent son prétexte, et c'est sous ce manteau que se glissent dans les charges publiques tant de gens dont le vrai mobile est la passion du pouvoir ou simplement le goût des places.

Il y a seulement cette différence qu'une dynastie, ayant devant elle l'avenir, peut poursuivre patiemment un grand but, tandis qu'un ministre, un membre de gouvernement provisoire, un dictateur de circonstance, pour mettre à profit les quelques jours qui lui appartiennent, est plus naturellement porté à précipiter les choses.

Si, par exemple — c'est une hypothèse : l'histoire en fera peut-être une accusation positive, attendons son verdict —, si, en épuisant les forces du pays par une résistance nécessairement inefficace, au lieu de les ménager pour une prompte revanche ; en imposant à la nation ce sacrifice stérilement onéreux, sans vouloir même la consulter ; en brisant tour à tour les corps qui pouvaient lui faire entendre sa voix, le gouvernement du 4 septembre avait cédé au chimérique espoir d'étayer, par des trophées prussiens, la statue mal assise de la République et le pouvoir incertain de ses fondateurs ; si, en usurpant, au noie de son incompétence, la direction des opérations militaires, M. Gambetta avait été guidé par la secrète ambition d'acquérir des titres glorieux à la reconnaissance du pays et à la présidence de la République, on pourrait à coup sûr les accuser d'avoir sacrifié la France à des considérations exclusivement dynastiques, et les intérêts de leur pays aux intérêts de leur parti.

 

Le bon sens nous dit que Napoléon III, au contraire,  n'avait aucun avantage à entreprendre la guerre ; que l'eût-il cependant provoquée, — on ne saurait l'accuser sérieusement d'y avoir cherché la satisfaction d'un intérêt personnel. Mais après avoir invoqué le témoignage du bon sens, j'invoque le témoignage plus précis des faits. Après avoir dit : l'Empereur ne devait point désirer la guerre, je dis  l'Empereur n'a pas désiré la guerre ; on la lui a imposée ; il n'a pas pu ne pas la faire, — et je le prouve.

 

***

 

Il y a à Paris une Commission investie du glorieux mandat de fouiller les tiroirs des Tuileries, des appartements privés de tel ou tel fonctionnaire de l'empire, de vider les portefeuilles, de crocheter les secrétaires, d'y découvrir la vérité, afin de la publier quand, habilement présentée, elle peut paraître utile à sa cause et de la dérober dans le cas contraire. Cette Commission affirme qu'elle travaille pour l'histoire et supprime les pièges les plus essentielles, celles qui doivent réellement donner le fil des événements ; tronque les autres, supplée aux signatures absentes ; annonce qu'elle a mis la main sur la correspondance échangée entre l'Empereur et l'Impératrice, où l'on trouvera des révélations importantes, et après l'avoir lue, juge prudent de n'en rien publier, présente des . libéralités, même de bonnes œuvres de la cassette particulière comme un gaspillage effréné des finances de l'État ; laisse échapper, sans le comprendre, tel détail qui démolit tout l'échafaudage de ses assertions précédentes ; enfin, par son tact, sa bonne foi, son intelligence, se montre à la hauteur de la pensée patriotique qui lui a confié, dès la première heure du nouveau régime, ce rôle imprévu dans la grande œuvre de la défense nationale.

Mais — nul n'est parfait en ce monde — elle ne sait pas garder ses secrets et ses confidents la trahissent. Ainsi l'un d'eux écrivait dans les premiers jours d'octobre à l'Indépendance belge :

On a trouvé des lettres du maréchal Lebœuf prouvant que l'Empereur avait de la répugnance pour la guerre, que M. Ollivier combattait aussi.

La Commission n'ayant point jugé bon de nous communiquer ces pièces qui eussent légèrement contrarié, je l'avoue, les solennelles affirmations du gouvernement provisoire, nous essayerons d'y suppléer.

 

Quelle était notre situation quand éclata la question Hohenzollern ?

Le gouvernement français avait fait demander par deux fois à la Prusse un désarmement simultané. Malgré le refus énergique de M. de Bismarck, il avait voulu donner l'exemple en réduisant le contingent de 10.000 hommes.

L'Empereur avait pris pour ministres les députés qui représentaient le plus nettement les idées d'économie, de travail, de progrès pacifique ; ceux dont le programme bien connu débutait par ces mots : Nous voulons la paix[2].

N'ayant pu faire accepter le système militaire qu'il avait jugé nécessaire pour tenir tête à la Prusse ; s'étant vu refuser les fonds nécessaires pour l'armement du pays, — pour la construction de certains travaux de défense jugés essentiels, — pour l'organisation sérieuse de la garde mobile — et contraint, par les scrupules chaque jour croissants de la commission du budget, à chercher pour cette armée de réserve un système plus économique ; n'ayant pas d'alliance conclue en vue de la guerre — et c'était pour lui un principe absolu, auquel il n'avait jamais dérogé. de ne faire la guerre qu'avec un allié —, l'Empereur montrait clairement par ses actes, comme par ses paroles, qu'il ne songeait nullement à attaquer la Prusse.

S'il l'eût voulu, les occasions ne lui eussent assurément pas manqué. Tout récemment, au mois de juin, la question du Saint-Gothard venait de mettre à l'épreuve la patience déjà lasse du pays, et le ministère avait eu d'autant plus de peine à calmer les esprits, que l'opposition s'était charitablement appliquée à les exciter. Prenant comme toujours le contrepied de la politique impériale, elle s'était montrée d'autant plus susceptible que le ministère était plus conciliant. Pendant que M. de Gramont ou M. Ollivier cherchaient à étouffer ce commencement d'incendie, les orateurs de la gauche y versaient l'huile à pleines mains. Majorité de Sadowa ! s'écriait M. Jules Ferry, animé, pour la circonstance, du souffle classique de 92, et comme la majorité ne trouvait pas l'apostrophe de son goût, il reprenait : Vous voulez qu'on me rappelle à l'ordre ? Moi je vous rappelle au patriotisme ! Oh Messieurs, je respecte vos susceptibilités mais il y a aussi des susceptibilités nationales que tout le inonde doit respecter, et ce sont elles qui m'ont fait monter à cette tribune... Je n'ai pas cherché à provoquer des orages, la question est trop haute et trop grave, elle touche trop profondément mon cœur de Français, etc.

On se calma pourtant ; la question fut résolue pacifiquement et l'on pouvait se croire pour quelque temps à l'abri des taquineries prussiennes. Dans la séance du 1er juillet — quand déjà tout était consommé ! — la gauche demandait, avec plus d'ardeur que jamais, l'abolition des armées permanentes, s'évertuant à prouver que la situation de l'Europe était particulièrement favorable à cette mesure et que la Prusse, si redoutée, était trop absorbée par ses difficultés intérieures pour songer à molester autrui.

Quant à la Prusse, disait M. Garnier-Pagès, aux applaudissements de ses amis, peut-elle nous inquiéter ? En vérité, Messieurs, je souris quand je vois M. de Bismarck chercher, par le percement du mont Saint-Gothard, à stimuler le patriotisme des populations qui lui échappent !... Dans une telle situation des Etats de l'Europe, lorsque vous voyez qu'on désarme partout, vous déciderez-vous enfin à faire des économies ? allez-vous faire ce que devraient accomplir des hommes d'Etat qui comprendraient la situation ?... M. Jules Favre ajoutait qu'organiser la France comme pour une grande guerre, quand elle était en pleine paix, quand rien de sérieux ne la menaçait, c'était commettre un acte de coupable folie, porter une atteinte sans excuse à la moralité, à la grandeur, à la prospérité de la nation. Et il reprochait amèrement à ceux qui entretenaient les craintes du pays, de promener devant ses yeux le fantôme d'une chimère qui n'aboutit à rien et le ruine. M. Thiers, tout en répondant à ses collègues de la gauche, qu'il valait mieux se tenir prêts, affirmait de son côté que jamais la paix n'avait été plus assurée, que jamais M. de Bismarck n'avait moins songé à la guerre.

 

Pendant qu'on se livrait naïvement chez nous à ces dissertations optimistes, la Prusse tendait tranquillement son piège, préparait savamment ses batteries, enlaçait toutes les chancelleries de ses protestations astucieuses et mettait la dernière main à ses préparatifs militaires. Quatre jours après la séance dont nous venons de parler, on apprenait subitement à Paris la nouvelle manœuvre imaginée par M. de Bismarck.

L'émotion fut générale et vive. La prétention de la Prusse était inadmissible. Il fallait la repousser vertement. Sur ce point, il ne pouvait y avoir, il n'y avait qu'une opinion, et les personnages politiques comme M. Thiers[3], les journaux comme le Siècle, ou le Temps[4], qui devaient plus tard déconseiller la guerre, le déclaraient eux-mêmes fort nettement. Mais que pouvait-on attendre des négociations ? Qu'espérer de notre diplomatie ? Elle venait de faire preuve d'une telle incapacité ! C'est à elle — après la Prusse — qu'on s'en prenait surtout. On ne connaissait pas alors cette circonstance atténuante que la candidature Hohenzollern ayant été une première fois soulevée en 1869, le gouvernement prussien avait juré qu'elle n'avait et qu'elle n'aurait jamais un caractère sérieux. Si prémunis contre les procédés prussiens, qu'on supposât nos ambassadeurs, peut-être pouvait-on les excuser de s'être laissés prendre à cette nouvelle finesse, doublée d'une parole d'honneur[5] ? Mais, je le répète, on ignorait ce détail et l'on sommait le gouvernement de réparer au plus vite la bévue de ses agents. Ce n'est pas de la droite que partirent les premières sommations. La droite hésitait : l'un de ses organes prêchait la patience, la modération, la modestie[6]. Les feuilles libérales répondaient avec indignation : Silence aux hommes de Sadowa ! C'est de ce côté en effet que les esprits étaient le plus montés, dans cette partie de la Chambre, de la presse, de l'opinion qui allait de l'extrême droite à l'extrême gauche, où les empiétements de la Prusse et les ménagements du précédent cabinet à son égard avaient été particulièrement blâmés. Les journaux les moins suspects de complaisance étaient à la tête du mouvement, et le ton même dont ils pressaient le gouvernement d'agir, de montrer que le temps de M. Rouher était passé, que la France libérale se redressait enfin, n'indiquait pas une tendresse aveugle pour l'Empire[7].

Enfin ce fut des bancs du centre gauche que partit l'interpellation adressée au gouvernement. C'est M. Cochery qui la déposa. L'extrême gauche ne la signa pas : on en fut surpris[8].

M. de Gramont répondit à l'interpellation : on sait en quels termes. M. Crémieux lui dit : Vous voulez donc la guerre ? M. Emile Ollivier répliqua : Le gouvernement désire la paix, il la désire avec passion, avec passion, mais avec honneur.... Je supplie les membres de cette assemblée, et supplie la nation de croire qu'elle n'assiste pas aux préparatifs déguisés d'une action vers laquelle nous marchons par des sentiers couverts. Nous disons notre pensée tout entière : nous ne voulons pas la guerre, nous ne sommes préoccupés que de notre dignité... Si nous croyons un jour la guerre inévitable, nous ne l'engagerons qu'après avoir demandé et obtenu votre concours.

M. Emile Ollivier était-il sincère ? Ne voulait-il pas dissimuler sous des paroles modérées des intentions belliqueuses ? Il était sincère. La politique qu'il avait exposée à la Chambre était bien la politique du cabinet, la politique de l'Empereur. Nous en avons la preuve ; en sortant de la séance il télégraphiait à Saint-Cloud :

SIRE,

La déclaration a été reçue à la Chambre avec émotion et immense applaudissement. La gauche elle-même, à l'exception d'un très-petit nombre, a déclaré qu'elle soutiendrait le gouvernement. Le mouvement, au premier moment, a même dépassé le but. ON EUT DIT QUE C'ÉTAIT UNE DÉCLARATION DE GUERRE. Lai profité d'une déclaration de Crémieux pour rétablir la situation. Je n'ai pas accepté qu'on nous représentât comme préméditant la guerre. Nous ne voulons que la paix avec honneur. Dans le public l'émotion aussi est grande, mais cette émotion est noble, patriotique. Il y a du cœur dans ce peuple.

ÉMILE OLLIVIER.

Il est, je pense, inutile d'indiquer que cette pièce donnant aux solennelles affirmations du gouvernement provisoire, un second démenti, ne nous a pas été, plus que la première, fournie par la Commission des Papiers secrets. Elle n'est parvenue au public que par une voie très-détournée.

Depuis nos désastres, on a beaucoup reproché au duc de Gramont de s'être trop hâté. On ne réfléchit pas qu'il était obligé de frapper vite et fort pour arrêter brusquement l'intrigue sur le point d'aboutir. Les Cortés allaient s'ouvrir. On prêtait même au maréchal Prim l'intention de tout consommer avant leur réunion[9]. Le prince Léopold avait disparu ; on avait tout lieu de croire qu'il roulait sur la route de Madrid. Un jour perdu, et nous nous trouvions peut-être en présence d'un fait accompli. Qui ne sent qu'alors la situation eût été plus grave encore et qu'il devenait impossible d'écarter l'Espagne du conflit. D'ailleurs. la netteté, l'énergie, la promptitude de cette déclaration répondaient strictement aux exigences de l'opinion publique qui l'accueillit par une approbation presque unanime. M. de Gramont fut le lion d'un jour.

 

Pour replacer le lecteur dans l'atmosphère enfiévrée où se mouvait alors le gouvernement, je suis obligé de reproduire quelques extraits de journaux, que je signale à son attention. Je les ferai aussi courts, aussi peu nombreux que possible. Je laisse de côté les journaux qui soutenaient le ministère avant la naissance de cet incident, comme le Constitutionnel, — la Patrie, — la France, — le Peuple français, — le Moniteur, — même les feuilles de la droite, plus impérialistes que ministérielles, comme le Volontaire, le Public, le Parlement, le Pays : on pourrait récuser leur témoignage. Je ne consulterai que des journaux comme la Liberté, l'Opinion nationale, la Presse, l'Univers, le Français, le Gaulois, le Journal de Paris, le National, le Monde ou le Soir, des revues comme le Correspondant ou la Revue des Deux-Mondes, qu'aucun soupçon de complaisance, d'indulgence même pour le cabinet ni pour l'Empire ne pourrait atteindre, et qui ne prouvaient leur affection au gouvernement qu'en le châtiant tous les jours.

L'Univers.

Cette déclaration était hier soir, dans les cercles et les lieux publics, l'objet de toutes les conversations. Le ferme langage du gouvernement était unanimement approuvé et même applaudi. Les agents prussiens pourront donc faire savoir à S. M. Guillaume et à M. de Bismarck que nos ministres ont incontestablement été, dans cette circonstance, les organes CONTENUS de l'opinion générale.

L'Opinion Nationale.

Autant il nous a paru que nous devions nous montrer réservés tant que l'action de la Prusse se renfermait en Allemagne, autant nous devons nous montrer susceptibles dès que nous apercevons cette action s'exerçant dans des conditions suspectes parmi le groupe des nations latines.

En restant sur ce terrain, le gouvernement peut tenir, comme il l'a tenu en effet, un langage haut et ferme. Il aura toute la France derrière lui... M. de Bismarck passe toutes les bornes ; s'il veut conserver la paix, qu'il recule. Quant à nous, nous ne le pouvons plus. — Ad. Guéroult.

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La situation morale de la France atteinte déjà, déjà diminuée par plus d'un échec, était hier menacée. Subir et se taire, c'était abdiquer... Il y a des moments où l'audace et le courage sont le comble de la prudence. Pour ma part, je crois qu'hier nous en étions là. — La Cadière.

Le Gaulois.

L'HONNEUR EST SAUF ! (Article de M. Pessard) :

Pour la première fois depuis le 23 février, le ministère a parlé aujourd'hui le seul langage digne d'un cabinet français, digne du pays qui l'écoutait... Si nous avions supporté ce dernier affront. IL N'Y AVAIT PLUS UNE FEMME AU MONDE QUI EUT ACCEPTÉ LE BRAS D'UN FRANÇAIS.

Aujourd'hui l'honneur est sauf ! Si la paix peut être maintenue, tant mieux. Mais si la guerre est le résultat de la combinaison Prim-Bismarck, tant mieux encore....

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ÉCHOS DES CHAMBRES.

Il n'y avait plus de gauche ouverte, il n'y avait plus de droite, il n'y avait plus de centres. Il n'y avait plus dans la Chambre que des Français !...

Toute la Chambre se lève et bat des mains. Les tribunes elles-mêmes appuyent la manifestation ; les dames agitent leur mouchoir ; les hommes crient : hourra ! — L'émotion est indescriptible.

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Si les intentions de M. de Bismarck sont pures... il n'en coûtera rien. au monarque prussien de DONNER PUBLIQUEMENT LE DÉSAVEU QUE NOUS SOMMES EN DROIT D'ATTENDRE DE LUI. S'il

résiste, s'il polémique, quelle preuve plus décisive exigera-t-on de son parti pris de nous blesser et de nous traiter comme des principicules tudesques ?

Nous ne demandons rien que les précédents ne consacrent. Rien de plus. Mais aussi rien de moins. — H. Pessard.

Le Figaro.

En admettant aujourd'hui que la Prusse dégage à la fois son intérêt et sa responsabilité dans la candidature du prince de Hohenzollern ; c'est-à-dire, qu'elle prouve qu'elle n'y a pas trempé, qu'elle ne veut pas le soutenir et qu'elle le désavoue, LA FRANCE EST EN DROIT D'EXIGER PLUS. Se voyant berné, trompé, joué par la Prusse, le gouvernement français doit EXIGER DES GARANTIES... Le concours que le gouvernement peut attendre du pays a été caractérisé par les applaudissements de la Chambre devant les déclarations de M. de Gramont. La gauche elle-même, qui le premier jour avait montré de la prudence et même de l'hostilité, a dû céder devant la libre manifestation de l'opinion publique. Et dans les paroles que M. Garnier-Pagès a prononcées samedi dernier, on a fort remarqué qu'il avait évité toute allusion au gouvernement français pour rejeter la responsabilité de la situation sur M. de Bismarck et le maréchal Prim. — Jules Richard.

Le Journal de Paris.

Le cabinet des Tuileries avait des raisons de se montrer susceptible que le cabinet de Berlin ne saurait invoquer. Si M. de Gramont n'avait pas parlé, on aurait pu croire, à la fin, que toute la politique de la France était dans la résignation et dans l'effacement. — H. Depasse.

Le Correspondant.

M. de Bismarck a manifestement conçu le projet de rétablir au profit de son pays l'ancienne puissance de la maison d'Autriche... Bloquée de toute part et enserrée dans un inflexible réseau, la France impuissante et avilie n'aurait plus qu'à étouffer entre le Rhin, les Pyrénées et les Alpes... Aussi sommes-nous de ceux qui applaudissent à la ferme attitude adoptée par le gouvernement. Depuis trop longtemps notre complaisance était au service des agrandissements d'autrui. Nous sommes soulagés de nous sentir enfin redevenus Français. Toutes les âmes patriotiques ont salué, comme la Chambre, la déclaration du pouvoir, en y retrouvant avec joie le vieil accent de la fierté nationale... On conçoit le bouillonnement en face de certains outrages, et si l'on réfléchit que les sentiments dont l'explosion venait de retentir étaient comprimés depuis quatre années dans toutes les poitrines, on ne s'étonnera pas que le gouvernement lui-même AIT CÉDÉ A L'ENTRAÎNEMENT UNIVERSEL. — Léon Lavedan.

Le Soir.

Nous nous trouvons très-souvent en communauté avec l'opposition de gauche. Nous poursuivons, croyons-nous, le même but..., aussi éprouvons-nous un vif chagrin chaque fois que nous devons, au nom du sens commun, nous séparer d'hommes dont nous partageons d'ailleurs les sentiments généreux.

MM. Crémieux et Arago se sont trompés dans la séance d'hier sur le rôle réservé à l'opposition dans le Corps législatif, et aujourd'hui M. Glais-Bizoin a essayé de prouver qu'il serait en état de commettre les mêmes erreurs. Nous n'en avions jamais douté pour notre part. Le premier devoir pour l'opposition libérale en France est d'être D'ACCORD AVEC LE SENTIMENT POPULAIRE... Il est inique et antinational d'entraver l'action du gouvernement, lorsqu'il semble décidé à tenir d'une main ferme le drapeau qui lui a été confié. Dans les attaques de cette nature, l'opposition aura peu d'échos sur notre sol. Ce sont des maladresses qui compromettent son recrutement et préparent les plébiscites impériaux de l'avenir.

Le ministre des affaires étrangères est venu faire une déclaration en termes très-nets, très-catégoriques, sur un fait brutal, dans le plus bref délai. L'opinion n'a pas eu le temps d'être saisie de la question, que déjà les représentants du pays étaient prévenus officiellement des intentions du gouvernement. Cette manière d'agir est toute nouvelle pour nous, et comme c'est là ce que nous demandions, il y a peu de jours encore, avec plusieurs organes de la gauche, nous avons lieu de nous montrer très-satisfaits. — (Louis Outrebon).

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ÉCHOS DE LA CHAMBRE.

Quoi qu'il arrive, tout est pardonné. Le Soir l'a dit et les députés qui sont là, jugent que le Soir a bien raison : il faut soutenir les ministres ! M. Emile Ollivier et M. de Gramont sont deux hommes de cœur qui ont enfin parlé français !

Sauf deux ou trois citoyens du monde — entre autres M. Crémieux — tout le monde est pour le cabinet. Dans la gauche même on dit aujourd'hui comme hier que les deux ministres ont tenu le seul langage qui fût honorable en un pareil moment. Les gens raisonnables sont convaincus que si la guerre, peut être évitée, elle le sera par l'énergie du gouvernement français. La moindre hésitation et l'on perdait tout. Mais c'est dans ces occasions que le vrai Ollivier se retrouve. Il a bien mérité de la patrie (8 juillet).

Un mot du gouvernement, un signe, et la France entière marchera, sauf M. Garnier-Pagès, le père du peuple !

La gauche se tue depuis deux jours. Elle a beau faire, tous les députés, sauf sept ou huit, voient clair dans son jeu et répètent à tout venant que la gauche eût crié au déshonneur si le ministère avait cédé. Le gouvernement résiste, elle crie à la témérité. Dans un pareil moment, c'est pitoyable ! Un peu d'union et la paix était faite. Si la guerre éclate, la gauche l'aura certainement provoquée. Ces prétendus héritiers de la Convention sont singulièrement loin de leurs pères.

Et les journaux ! Avez-vous lu ces attaques violentes, avez-vous lu ces apologies formelles de la politique prussienne ? Cela fait lever le cœur à ceux qui en ont, comme on dit. Avez-vous aperçu l'alliance subite du rouhérisme et de la politique des trois tronçons avec l'eunuchisme traditionnel de certaines feuilles majestueusement viles. Prim est un héros, Bismarck est un Dieu ; mais nos ministres sont des sots et pis que cela ; M de Gramont un sot ; M. Emile Ollivier, un sot ; et nous autres chauvins, de parfaits imbéciles. Nous voulons que notre pays subsiste, nous voulons que la France compte, nous combattons non pas même pour l'honneur, mais pour la vie. Evidemment nous sommes des fous, et ces gens d'esprit nous plaisantent. (9 juillet.)

La Presse.

Ce journal s'était tenu le premier jour à l'écart ; mais emporté par le courant, il rejoignit les autres, il les dépassa même d'un seul bond :

Nous sommes convaincus que la Prusse cédera... La victoire morale sera donc complète. Si nous étions capables de plus de vanité que d'orgueil, le triomphe nous serait facile. Notre diplomatie humiliée par nos agents serait relevée par notre politique. Nous aurions interrompu cette période d'abaissement dans laquelle nous étions entrés en 1866, et le résultat apparent dépasserait l'espoir que nous avions conçu.

Mais après ?

Est-ce que les incidents de la politique peuvent s'isoler ? Est-ce que les prétentions du prince de Hohenzollern ne se rattachent pas à l'affaire du Saint-Gothard, comme cette question se rapportait elle-même à la querelle du Luxembourg ? Est-ce qu'elles n'annoncent pas, pour l'avenir, de nouvelles entreprises dictées par le même esprit de convoitise ? — La Ponterie.

La Liberté.

M. Robert Mitchell ayant dit dans le Constitutionnel du 7 juillet : Si, comme tout porte à le croire, le peuple espagnol refusait spontanément le souverain qu'on prétend lui imposer, nous n'aurions plus rien à demander au cabinet de Berlin. M. L. Detroyat répond :

Nous ne sommes pas de l'avis du Constitutionnel, nous pensons qu'il resterait à la France et à l'Europe à demander au cabinet de Berlin des garanties qui le lient étroitement.

Le lendemain, autre article du même auteur, intitulé : FINISSONS-EN :

Nous ne pouvons avoir de doute, car les hésitations de la Prusse prouvent qu'elle ne cédera que devant la peur. Qu'attendons-nous donc ?

Prenons un parti, un parti énergique, c'est le seul qui convienne à la France.

Comme nous l'avons dit hier, comme nous le dirons demain, s'il le faut, nous disons encore aujourd'hui :

Finissons-en !

UN CONGRÈS OU LA GUERRE (article de M. de Girardin) :

Mais plutôt que de compromettre l'œuvre de M. de Bismarck, la Prusse refusera de se battre ?

— Eh bien ! alors à coups de crosses dans le dos, nous la contraindrons de passer le Rhin et de vider la rive gauche.

Le Journal des Débats et le Temps cherchent à calmer les esprits. Le premier pense qu'on pourrait attendre le vote des Cortés pour prendre un parti : le second invoque tour à tour les arguments les plus contradictoires. Après avoir montré comme un immense péril l'avènement du prince de Hohenzollern il semble le considérer comme inoffensif ; après avoir évoqué le premier[10] le souvenir de l'Empire de Charles-Quint, il le traite de vain fantôme ; puis il convient de nouveau que cet affront est difficile à digérer, mais qu'on ne peut faire autrement[11].

Quant aux feuilles radicales elles attisent le feu tout en voulant l'étouffer et prêchent contre la guerre avec les arguments les plus propres à la faire éclater. Elles ne sont pas sûres que le bon droit ne soit pas du côté de la Prusse. D'ailleurs, elles le déclarent sans détour et avec une certaine gaîté, les injures faites au gouvernement français ne sauraient atteindre la France. Le peuple ne les relèvera pas. Il attendra, pour s'en venger qu'il ait d'autres institutions. Sous les drapeaux de la République il se battrait avec énergie ; il ne se battra pas sous les aigles.

Le Réveil.

ÉCHEC ET MAT (Article de M. Siebecker).

..... Parions que le Hohenzollern est un beau matin installé en Espagne, sans plus de tambours ni de trompettes que son cousin n'en a employés pour prendre possession de la Roumanie. Deux bien jolis succès ; ça et le Saint-Gothard !

Mais vous êtes investis, mes braves gens !

La Prusse à Forbach, la Prusse derrière le Rhin, à Kehl, la Prusse derrière les Alpes, la Prusse derrière les Pyrénées.

Ceux qui aiment la Prusse peuvent se régaler, on en a mis partout....

Les éclats de rire rouleront à droite, à gauche, au nord, au midi, à la frontière luxembourgeoise, derrière Wissembourg, sur le Rhin, sur les Alpes, sur les Pyrénées, partout.

Si c'est cela la revanche de Sadowa, eh bien ! elle est complète....

Ah nous le savons, vienne un revers, on fera appel à ce bon, à ce brave peuple, qui a toujours fait son devoir ; on fera de belles proclamations. Mais le peuple se rappellera alors que vous l'avez canardé à Aubin, à la Ricamarie, cerné au Creuzot, assommé sur les boulevards et dans les faubourgs, qu'en ce moment même vous essayez de l'écraser avec l'Internationale, et, dédaigneux, il vous répondra :

Je ne vous connais pas !

Le peuple, lui, n'a rien à craindre.

Le jour où il a la puissance entre les mains, il n'a pas plus besoin des finasseries diplomatiques que du déploiement des gros bataillons pour faire respecter la chose publique.

Il a fait voir aux fameux tacticiens de l'école de Frédéric comment, avec des soldats improvisés, on battait les armées régulières.

Mais quand il trouve ces élans irrésistibles, ce n'est jamais pour sauver les dynasties qui croulent, c'est pour faire respecter sa république à lui.

———

Si M. de Gramont n'a pas en sa possession le dossier de l'affaire et que M. de Bismarck ainsi que le roi Guillaume lui répondent par une fin de non recevoir ; s'ils déclarent qu'ils ne savent pas le premier mot des négociations, qu'ils ne les ont apprises, comme le gouvernement français, que par les informations des journaux que répondra le cabinet des Tuileries ?

La Prusse ne sera-t-elle pas dans son droit, en demandant une satisfaction que le gouvernement français ne pourra lui refuser, TOUS LES TORTS ÉTANT DE SON CÔTÉ ? — F. Favre.

———

Malgré cela, nous pensons que, comme son intérêt personnel pourrait en souffrir, le chef de l'Etat n'engagera pas facilement une guerre contre l'Europe entière, unie contre nous dans un même sentiment, grâce aux habiletés de la politique bonapartiste, et qu'il n'hésitera pas, comme après Sadowa, comme après l'affaire de Luxembourg, à désavouer les trop belliqueuses déclarations de son ministre. Peu importe au ministère une humiliation de plus ou de moins ; et notre diplomatie, partout dupée depuis dix ans, n'aura que peu à perdre à ce nouvel échec. — E. Richard.

Le Rappel.

L'Italie ? Nous sommes chez elle on conquérants. Nous l'égorgeons à Mentana. Nous confisquons Rome. Les merveilles de nos chassepots font oublier les prodiges de Solferino.

L'Espagne ? Nous l'insultons gratuitement, nous lui disons tout bas : Fais un roi ; et quand elle dit : Si je choisissais cet Allemand ?... nous répondons tout haut : C'est défendu !

Et toi, France, souffletteras-tu ainsi les deux nations que tu avais autrefois conquises par le rayonnement de tes idées, et vas-tu donc, avec l'épée des Napoléon, défaire l'œuvre de Voltaire ?J. Claretie.

———

Jeter la perturbation dans les affaires, inquiéter la France entière, sonner de la trompette, battre le tambour, armer son fusil, tout cela avant d'être certain qu'il y a lieu d'armer son fusil, de battre du tambour et de sonner de la trompette, cela est le comble de l'absurdité. Ils sont fous, disait hier la Gazette de Cologne. — Lockroy.

Quelques jours plus tard, le Réveil, plus intelligible encore, disait par la plume de M. Delescluze :

Nous savons aussi bien que personne que, fidèle aux traditions envahissantes de sa race, enivrée de ses faciles victoires de 1866, la maison de Hohenzollern aspire à fonder sa grandeur sur l'anéantissement de la liberté européenne, et qu'elle ne poursuit pas d'autre but en soumettant d'abord l'Allemagne entière à son hégémonie. Aussi vienne le jour où, ne relevant alors que d'elle-même, la France aurait à se défendre de ses attaques, et l'on verra si la Démocratie n'est pas la première au combat. Jusque-là, son unique, son impérieux devoir est de conjurer des conflits préparés par les rois et dont l'issue, quelle qu'elle soit, ne peut être que défavorable à la liberté, puisque la victoire, où qu'elle se portât, ne servirait que le militarisme monarchique.

 

La presse parisienne — j'arriverai tout à l'heure à la province —, en poussant le gouvernement à la guerre, était-elle l'expression du sentiment public ? Ici j'invoque l'impartial souvenir de tous ceux qui se trouvaient alors à Paris : qu'ils s'arrachent au présent, se recueillent une minute et se reportent par la pensée vers la semaine qui précéda la déclaration de guerre ; qu'ils se rappellent ce qu'ils ont alors vu de leurs yeux, entendu de leurs oreilles, dans la rue, dans les salons, les cercles, les cafés, les théâtres : et les boulevards, orageux comme un soir de révolution, et la Marseillaise partout impérieusement réclamée, frénétiquement accueillie, et cette cantatrice de l'Opéra, arrêtée par la foule et forcée de la chanter debout sur sa voit ture ; et les tables des cafés transformés en tribunes, et les soldats portés en triomphe, et M. Paul de Cassagnac, acclamé par le public, recevant une adresse des étudiants, et tout surpris de sa popularité... Car les étudiants, pour la première fois peut-être, ont rompu avec la gauche. Si M. Garnier-Pagès — il ne s'y risque point ! — voulait, comme en 1867, pendant l'affaire du Luxembourg, leur faire signer une adresse amicale Aux Etudiants de Berlin, il serait mal reçu ! Si — comme à la même époque — la Ligue de la Paix voulait intervenir, on la ferait taire sans ménagement.

N'est-ce point un de ses membres les plus actifs, un de ses orateurs les plus distingués qui s'élève aujourd'hui dans le Monde, avec indignation, contre les cris de Vive la Paix ![12] Les fondateurs de la Ligue de la Paix poussent eux-mêmes à la guerre !... Quel nom donner au spectacle qu'offre alors la population de Paris ? Est-ce de l'entraînement, de l'agitation ? M. Thiers a trouvé le mot : c'est de l'emportement.

Je sais qu'on a témoigné un grand dédain pour ces manifestations de la rue ; nous avons même eu la surprise de trouver l'expression de ce sentiment sur des lèvres officielles.

Etrange ingratitude ! Quoi ! le suffrage de la rue est sans valeur ? mais la République, que je sache, n'en a pas recueilli d'autre ? Les bandes qui criaient au mois de juillet Vive la guerre ! n'étaient pas toutes, j'en conviens, beaucoup plus graves que celle qui acclamait après Sedan, le gouvernement provisoire ; elles étaient du moins, tout le monde l'avouera, infiniment plus nombreuses.

Tel était l'état des esprits, quand la nouvelle se répandit tout à coup que le prince Léopold retirait sa candidature, que son père, le prince Antoine, venait de le notifier à l'ambassadeur d'Espagne, et que M. Olozaga en avait à son tour informé le duc de Gramont.

Ceux qui ont accusé le gouvernement impérial d'avoir provoqué la guerre ont prétendu que le ministère vexé par cette solution imprévue qui dérangeait ses plans, avait aussitôt cherché les moyens de prolonger le différend et présenté étourdiment au roi de Prusse de nouvelles réclamations. Ils se trompent étrangement. Cette combinaison, qu'ils présentent comme une désagréable surprise, qui l'avait imaginée ? qui l'avait indiquée ? le gouvernement français lui-même. En voici la preuve. Dès le 8 juillet, lord Lyons écrivait au comte Granville :

Il y aurait cependant une autre solution de la question, et le duc.de Gramont m'a prié d'appeler sur ce point l'attention particulière du gouvernement de S. M. Le prince de Hohenzollern pourrait de son propre mouvement abandonner la prétention à la couronne d'Espagne... Une renonciation volontaire du prince serait, selon M. de Gramont, une solution très-heureuse d'une question difficile et compliquée. Il prie le gouvernement de S. M. d'user de toute son influence pour y arriver. (Dépêche n° 15).

Mais cette combinaison qui supprimait notre grief, sans humilier la Prusse, le ministre des affaires étrangères entendait bien que le roi Guillaume n'y resterait pas étranger. On lui épargnait le désagrément de rétracter l'autorisation qu'il avait donnée ; mais au moins fallait-il qu'en notifiant la décision du Prince à notre gouvernement, le roi Guillaume prouvât qu'elle était sérieuse, que sa candidature n'était pas, comme elle l'avait été déjà, provisoirement, mais définitivement retirée[13]. Si je te trompe une fois, c'est ma faute, deux fois, c'est la tienne, dit le proverbe. Par son déloyal procédé de 1869, le roi de Prusse nous imposait l'obligation de lui demander des garanties. Celle que nous réclamions de lui n'était certainement pas excessive. Elle restait bien au-dessous de ce qu'attendait l'opinion surexcitée. On ne le vit que trop vite.

A la Chambre, au Sénat, dans la presse et dans l'immense majorité du public, la dépêche du prince Antoine, du père Antoine (on ne disait pas autrement) fut considérée comme une mystification. Loin d'en être calmée, l'irritation en fut accrue.

Dans la salle des Pas-Perdus du Corps législatif on commente avec agitation la dépêche. Les uns affirment son authenticité, d'autres la nient. Personne n'y voit une satisfaction suffisante. Le Français, organe modéré, consciencieux, prudent du centre gauche, désirant la paix, mais une paix fière et sans faiblesse, le constate en ces termes :

On est d'accord, dans la salle des Pas-Perdus, pour considérer que quand même il n'y aurait aucun doute sur l'authenticité de cette dépêche, elle serait bien loin d'avoir un caractère qui mn fin au conflit. C'est de la réponse officielle de la Prusse que tout dépend.

Quand le ministre vient apporter la nouvelle à la tribune, il y reçoit un accueil glacial. H annonçait bien que tout n'était pas terminé, que les négociations continuaient. Mais puisque le ministère ne voulait point aborder d'autre question que celle de la candidature à quoi les négociations pouvaient-elle aboutir ? à obtenir que le roi Guillaume garantît personnellement la décision de son neveu et endossât l'engagement du prince Antoine. Beau succès en vérité ! Tel était le sentiment de la Chambre : mille indices le révélaient.

Le duc de Gramont voulant, dans l'intérêt de la conciliation, dissimuler la personnalité du prince Antoine qui avait le don d'irriter le public, n'avait parlé que de la communication officielle de l'ambassadeur d'Espagne. De qui émane la renonciation ? nous voulons le savoir ! donnez-nous le texte de la dépêche ! lui dit-on à droite, au centre, à gauche même. Il faut que la lumière soit faite ! s'écrie M. Pelletan avec le ton de mystique emportement qui lui est habituel.

Plusieurs interpellations sont annoncées. M. Duvernois, pour laisser aux ministres le temps de se recueillir, ajourne la sienne au surlendemain. Le comte de Kératry, soutenu par ses amis, s'indigne de ces lenteurs :

Je déclare que si vous renvoyez ces interpellations, vous faite absolument le jeu de la Prusse, le jeu de M. de Bismarck, et, en ma qualité de Français, je proteste énergiquement contre cette conduite. (Très bien ! sur plusieurs bancs à gauche de l'orateur).

Telle était l'hésitation de ce côté même de la Chambre qu'on s'attendait à voir M. Gambetta conseiller au ministère une attitude plus résolue, et que les partisans de la guerre l'en félicitaient à l'avance. Dans la salle des Conférences, il déclarait hautement que la satisfaction offerte était dérisoire. A-t-il réellement manifesté l'intention de faire un discours en ce sens ? Ne l'ayant pas entendu, je ne puis l'affirmer. Mais la nouvelle en courait et plusieurs journaux la donnaient comme certaine. Pour l'y décider, la Liberté publiait les lignes suivantes :

On nous dit que le cabinet éprouve de patriotiques angoisses, et qu'il se montrerait disposé, si le roi de Prusse empêche le prince de Hohenzollern d'accepter la couronne d'Espagne, à se contenter de cette mince satisfaction.

S'il en était ainsi, nous n'hésiterions pas à nous séparer du ministère avec la même énergie que nous avions mise à son service...

La Chambre est comme les ministres, elle a besoin de popularité. Si le cabinet manque au pays, pourquoi ne lui forcerait-elle pas la main en pesant sur ses déterminations ? Il y aurait là pour la majorité, comme pour l'opposition, un beau rôle à prendre

Qui s'en saisira ? Il y a un homme que son talent et son indépendance désignent pour cette grande initiative. Nous avons nommé M. Gambetta.

Aura-t-il la force et la santé nécessaires ?...

Au Sénat la déclaration ministérielle est aussi froidement accueillie qu'au Corps législatif : Les sénateurs ne sont pas moins belliqueux que les députés, dit l'Univers ; M. Bonjean ne parle pas autrement que M. P. David. — Cette rencontre des deux Chambres et des divers partis dans les Chambres a son importance.

 

Nous venons de voir comment le Parlement envisageait la renonciation spontanée du prince Léopold. Voyons ce qu'en pensait la presse.

Les journaux connus pour être les organes du cabinet célèbrent la paix. M. Robert Mitchell, qui passait — non sans raison — pour recevoir les confidences et les inspirations les plus intimes de M. Emile Olivier, écrit dans le Constitutionnel :

Le prince de Hohenzollern ne règnera pas en Espagne.

Nous n'en demandions pas davantage, et c'est avec orgueil que nous accueillons cette solution pacifique.

Une grande victoire qui ne conte pas une larme, pas une goutte de sang !

Mais ce chant de victoire trouve peu d'écho. On raille cruellement l'optimisme de M. Mitchell, et je le vois encore navré des reproches qu'il recevait à ce sujet de toute part. Lui, dont le patriotisme devait peu de temps après s'affirmer avec tant d'éclat, il se voyait accuser, même par ses amis, de faire bon marché de l'honneur de la France : il n'en pouvait prendre son parti !

En dehors des feuilles ministérielles, deux ou trois journaux qui, par leur attitude ultra-débonnaire, avaient perdu tout crédit sur le public (à ce point que les partisans de la guerre ne se donnaient même plus la peine de les contredire ni de les réfuter —, prenaient seuls au sérieux la solution proposée. Tous les autres attaquaient âprement le cabinet. Pour donner une idée de leur exaltation, je suis encore obligé de placer quelques extraits sous les yeux du public.

La Presse.

LES SATISFACTIONS IMPOSSIBLES (Article de M. de la Ponterie) :

Cette victoire, qui ne coûte ni une larme ni une goutte de sang, dont parle le Constitutionnel, cette victoire serait pour nous la pire des humiliations et le dernier des périls. Que la Chambre intervienne donc. Qu'elle retrouve un de ces élans par lesquels elle a accueilli la déclaration du 5 juillet. Elle a soutenu la politique de la France quand cette politique était hardie et nationale. Qu'elle relève maintenant ceux qui voudraient faiblir.

Le 4 juillet nous avions à choisir entre la prudence et l'audace. Nous nous sommes prononcés pour l'audace. Aujourd'hui nous n'avons plus le choix qu'entre l'audace ET LA HONTE. Quel est l'orateur, à la tribune, ou l'écrivain, dans un journal, QUI NOUS CONSEILLERA D'HÉSITER ?...

Est-ce que la renonciation de ce prince diminue en rien les forces de la Prusse ? Est-ce que la situation de l'Europe en est modifiée ? Est-ce que les conséquences des événements de 1866 s'en développeront avec moins d'énergie ?...

Au lieu de sommer la Prusse de comparaître sur un champ de bataille ou d'abdiquer ses ambitions, nous nous condamnerions à attendre son heure.

Du même :

Le courage est devenu notre véritable sagesse. Aucune faute ne serait plus lourde ni plus redoutable que de nous contenter aujourd'hui de satisfactions dérisoires. Il ne suffit pas qu'un colonel prussien renonce à quelque ambition ridicule. Il faut que la Prusse, par un acte de son gouvernement, reconnaisse les principes du droit public ; qu'elle les proclame et qu'elle fasse entrevoir ainsi la réparation de toutes les violences sur lesquelles elle a cherché, depuis quatre ans, à fonder sa grandeur...

———

C'est parce que certaines paroles échappées à M. le garde des sceaux ont pu nous faire redouter des satisfactions dérisoires, que l'émotion d'hier a été si universelle et si poignante.

———

Nous contenter de l'effet que nous avons produit ; nous montrer fiers de cette émotion générale de l'Europe, comme si nous étions surpris que l'on nous crut encore capables de quelque audace ; être des acteurs et hésiter ensuite à devenir des soldats ; c'est là, nous le répétons, une politique inacceptable pour nous, et c'est la politique que les deux Chambres ont entendu condamner hier.

Nous croyons que le gouvernement est appelé à délibérer encore sur l'issue possible des négociations. Qu'il ne dépasse pas la justice, mais qu'il tienne compte de la force de l'opinion.

L'Opinion Nationale.

UNE POLITIQUE INCONSISTANTE. (Article de M. Ad. Guéroult) :

Depuis hier, toutes les feuilles amies du gouvernement répètent à l'envi que la paix est faite, que le différend est terminé, et qu'il faut se réjouir ; cependant personne ne se réjouit, personne n'est rassuré. Ce drame qui commence comme une tragédie, pour finir comme une opérette, ne satisfait personne. L'opinion demeure triste, désappointée, inquiète.

Après avoir porté solennellement à la tribune les griefs de la France, avoir surexcité la susceptibilité nationale, avoir fait entrevoir une lutte terrible, puis, finir par emprunter à l'agence Havas le désistement du père Antoine, sans même que la Prusse ait consenti à sortir de son attitude de neutralité affectée, tout cela est triste, et, disons-le, un peu ridicule.

Du même :

En voyant le gouvernement français repousser avec tant de hauteur et de fermeté, l'intrigue Hohenzollern, nous nous étions dit : la France ne veut plus de la politique de concessions. Elle renonce à une patience mal récompensée, et veut profiter d'une mine éventée à propos, pour régler ses comptes avec la Prusse, et la faire rentrer, de gré ou de force, dans l'observation des traités.

La France presque entière, croyons-nous, l'avait compris de la sorte. De là l'adhésion donnée à la crânerie du cabinet, et l'espèce d'allégresse avec laquelle on allait au-devant d'une guerre dont la gravité, pourtant, n'échappait à personne.

On nous dit aujourd'hui que nous avons la paix. Quelle paix ? Qu'avons-nous obtenu de la Prusse ? Quel désaveu du passé ? quelles garanties pour l'avenir ? Rien. Le candidat prussien lui-même reste dans la coulisse ; c'est son papa qui vient nous annoncer son désistement.

Le Gaulois.

LE SENTIMENT NATIONAL. (Article de M. Pessard) :

Paris a donné hier, la France donnera aujourd'hui le spectacle d'une grande nation plongée dans la stupeur, par une nouvelle qu'on salue ordinairement avec des cris de joie.

Le maintien possible de la paix a produit l'impression qu'on ressent en apprenant que la guerre vient d'être déclarée.

Les cœurs se sont serrés.

Pourtant, en fait, une apparente satisfaction semble nous être donnée.

Nous avons interdit à la Prusse de placer ses princes sur les trônes vacants. Le prince de Hohenzollern se désiste, et malgré a hauteur de nos déclarations, le roi Guillaume cédera, dit-on, si ce n'est déjà fait.

C'est une victoire, disent les ministériels, une victoire morale, c'est Sadowa entamée, c'est la France ayant repris un certain rang dans le monde.

Et on est triste et sombre !

C'est que les masses, dix fois plus intelligentes que nos gouvernants, comprennent avec leur instinct profond que cette victoire pacifique coûtera, par ses conséquences fatales, PLUS DE SANG À LA FRANCE QUE DIX BATAILLES RANGÉES.

Bien des heures se sont déjà écoulées depuis le moment où la dépêche annonçant le désistement du prince de Hohenzollern a été communiquée aux députés et aux curieux qui assiégeaient le Corps législatif. Chacun a pu, depuis, rentrer en soi-même, s'interroger et examiner avec calme si la solution inattendue, communiquée par M. Emile Ollivier, n'était pas  un bonheur pour tout le monde.

Eh bien, nous osons affirmer que les consciences, en proie au plus douloureux combat, ont répondu que de tous les maux le moindre était encore la lutte à bref délai, puisque la paix, si elle était faite dans les conditions annoncées aujourd'hui dans les couloirs du Corps législatif, serait une paix sans lendemain.

Et puisque, pour une raison quelconque, par faiblesse ou par imprudence, le cabinet n'a pas rempli sa mission, nous espérons que le Corps législatif fera son devoir et que le sentiment national dans son expression modérée, ne sera pas blessé deux fois en deux jours.

L'Univers.

La renonciation des princes de Hohenzollern aura pour résultat, si elle est acceptée comme valable, de ridiculiser nos réclamations... que faire ? Ne faudrait-il pas parler net et dire tout haut que la candidature du prince de Hohenzollern, bien qu'habilement retirée, a montré l'ambition de la Prusse et son devoir d'isoler la France, de l'entourer d'ennemis ; que devant de tels projets nous devons tout au moins exiger la stricte observation du traité de Prague et que nous l'exigeons ? — E. Veuillot.

———

Le Moniteur se joint au Constitutionnel, au Journal des Débats et au Temps pour proclamer que nous avons la paix. Ce journal étant l'écho de M. Ollivier, on ne saurait s'en étonner ; mais la situation ne tourne pas à la paix, ET L'ON NE PEUT NIER QUE L'OPINION NE SOIT PRESQUE UNANIME A RÉCLAMER AU CONTRAIRE UNE ACTION ÉNERGIQUE.

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Une guerre avec la Prusse serait populaire en France : les griefs anciens sont nombreux, l'intérêt actuel est certain et le droit suffisant. L'enthousiasme patriotique a pris les devants sur la diplomatie. Les négociations étaient à peine engagées entre les puissances intéressées au conflit, que déjà les préparatifs militaires avaient lieu ; on traitait de la paix, et l'on ne parlait que de guerre.

L'opinion publique serait déçue si l'affaire venait à s'arranger par la diplomatie. On ne raisonne pas contre un sentiment, et ces froids dissertateurs qui ont entrepris de discuter les raisons d'une guerre contre la Prusse, ont perdu leur temps et CHOQUÉ L'OPINION. Il y a des moments où la sagesse consiste à se taire ou à parler comme tout le monde.

La guerre parait donc probable parce qu'elle répond aux tendances du pays. Prétexte ou raison, l'occasion est bonne. La France ne peut pas laisser la Prusse s'agrandir davantage ; pour l'en empêcher, il faut l'amoindrir. C'est une question politique posée entre les deux peuples et qui ne peut se résoudre que par les armes. Mieux vaut aujourd'hui que demain.

Il est certain que la guerre eût déjà éclaté et que le gouvernement n'aurait pas imposé de délai à l'IMPATIENCE DU PAYS si nous eussions été assurés tout d'abord du concours ou du moins de l'assentiment des autres puissances de l'Europe[14].

Le Figaro.

La France ne désire pas la guerre, mais elle ne la redoute pas.

On l'a, par une provocation, fait sortir de son calme et de son assiette. Elle veut des garanties. Le ministère comprendrait mal le caractère français si, après avoir ressenti si vivement et si promptement l'injure faite à la France, il se contentait, comme on le dit ce soir, de satisfactions banales, évasives et sans certitude d'avenir.

Le ministère ne doit être ni guerrier, ni pacifique, ni cassant, ni facile. Il doit être Français et agir en Français. D'ailleurs, tandis que les Prussiens ont intérêt à gagner du temps, nous avons intérêt à n'en pas perdre. — J. Richard.

———

Etait-il donc besoin de mettre en jeu l'honneur national ? Non. D'ailleurs, que le cabinet et que le chef de l'Etat Ÿ songent, si l'accord se fait entre la France et la Prusse, sans autre satisfaction pour la première que l'abandon par le prince Hohenzollern de sa candidature au trône de l'Espagne, la Prusse y gagnera l'adhésion de la France aux infractions qu'elle a faites au traité de Prague. — J. Richard.

———

Que fera le ministère aujourd'hui ?

La guerre ou la paix ?

Ni la paix ni la guerre. Si nous sommes bien informé, et nous croyons l'être, si l'indignation qui prend tonales Français au cœur devant les incapables et les naïfs qui, dans un jour de folie, ont rêvé de gouverner leur pays, n'éclaire pas en haut, demain le cabinet du 2 janvier déclarera que, sans être satisfait des événements, il n'en est pas mécontent, que la Prusse s'est exécutée sur le seul point qu'on lui eût indiqué, qu'il n'y a donc pas lieu de continuer l'incident... L'honneur et le sort de la France, sont confiés désormais au patriotisme et à la prudence du Corps législatif et du Sénat.

Nous ne comptons plus, pour terminer l'affaire honorablement, que sur les grands corps et le chef de l'Etat... et sur la nation. — J. Richard.

Le National.

C'est une paix sinistre que celle dont on nous parle depuis vingt-quatre heures.

Pourquoi ne nous parle-t-on pas de cette réponse prussienne puisqu'elle est arrivée ?

Pourquoi ne la publie-t-on pas aussi bien que le télégramme du père Antoine ?

Pourquoi par ce silence singulier, laisser croire que cette réponse est taillée sur le patron des derniers articles des feuilles prussiennes ?

Pourquoi laisser supposer, que le roi Guillaume n'a pas d'explications à donner sur un fait qui n'existe plus ?

Espère-t-on que la joie que le pays va éprouver par suite de la prudence montrée par le père Antoine n'en demandera pas davantage, et passera facilement sur les termes de la réponse, qui porte probablement des traces de la griffe de M. de Bismarck ?

Non le pays ne se laissera pas leurrer.

Il veut la paix, mais il veut une paix solide et assurée.

Il ne veut plus d'une paix armée et ruineuse telle que celle que ui impose l'ambition prussienne.

La Liberté.

M. Arago disait hier :

Si les questions posées par le gouvernement sont complexes et de nature à soulever d'autres discussions que l'incident Hohenzollern, nous serions malheureusement obligés de les considérer comme offrant d'autres prétextes à une déclaration de guerre.

Le mot de prétexte employé par M. Arago a le sens que voici : Le gouvernement veut la guerre. Le conseil donné par M. Arago équivaut à celui-ci : L'incident Hohenzollern doit rester isolé.

Nous ne partageons pas cet avis.

Nous qualifiions hier de maladresse l'acte de la Prusse autorisant le prince Léopold à accepter le trône d'Espagne, parce que cet acte a fourni 'à la France l'occasion de s'occuper d'affaires qui lui étaient habilement closes jusqu'ici. — H. Vignault.

———

A qui restera la victoire ? Au roi de Prusse, si le cabinet ne tombe pas. A la France, si le cabinet tombe.

Après la double déclaration faite par M. le duc de Gramont devant le Sénat et le Corps législatif, après l'accueil glacial dont le langage du gouvernement a été l'objet de la part des deux Assemblées, le bruit s'est répandu de la démission partielle du cabinet.

———

Les journaux prussiens continuent à célébrer la victoire remportée par le cabinet du 2 janvier.

Paris-Journal.

Qui diable se serait douté que nous aboutirions a ce joli résultat ?

Quoi ! tant de rodomontades pour sortir par le trou de la serrure !

M. de Bismarck nous a encore joués par-dessous jambe. Heureusement que nous y sommes habitués.

Evidemment la candidature espagnole était pour le gouvernement français une occasion excellente, et qui ne se retrouvera plus, de rappeler à la Prusse qu'il existe une France frémissante depuis Sadowa.

Mais si l'on voulait arriver à un résultat pratique, il fallait, dès le début, agrandir la question et la faire prussienne en même temps qu'espagnole. Vous nous jetez un candidat de votre famille dans les jambes, nous profilons de l'incident pour vous demander un règlement de comptes.

A une question ainsi posée, la Prusse était obligée de répondre par un oui par un non. Nous avions une paix assurée ou la guerre immédiate ; dans l'un et l'autre cas, c'était une solution...

Si quelque chose m'étonne, c'est qu'après le triomphe diplomatique qu'il vient d'obtenir, le cabinet tout entier ne soit pas appelé à d'autres fonctions.

Article de M. Alfred Assollant :

Cette fois, c'est trop. Le gouvernement actuel lui-même ne pouvait supporter en silence un pareil affront... Bismarck s'est trompé. Nous ne sommes plus en 1866. Si l'Empereur peut déclarer la guerre ou conclure la paix sans notre permission, la France tout entière le regarde...

Si la guerre s'ensuit, c'est un mal épouvantable, mais nécessaire...

Les homélies de M. Garnier-Pagès font honneur à sa naïveté et à la douceur de ses mœurs, mais elles n'empêcheront pas N. de Bismarck de nous faire partout des ennemis, de préparer continuellement la guerre et de nous réduire par degrés à n'être plus qu'une puissance de troisième ordre, aussi peu comptée en Europe que la Saxe et le Wurtemberg.

La France républicaine ne le supporterait pas ; la France monarchique ne doit pas le supporter davantage.

Le Soir.

ÉCHOS DES CHAMBRES :

L'enthousiasme est grand à la Chambre. S'il y a une déclaration aujourd'hui, le Corps législatif croulera sous les applaudissements...

Si la déclaration n'arrive pas, ce sera plus qu'un désappointement, plus qu'une déception, ce sera un immense éclat de rire. et le cabinet restera noyé dans son silence. Hier, quand on était à la paix, on donnait déjà à cette paix un assez joli nom. Les historiens l'appelaient boiteuse, comme celle qui précéda la Saint-Barthélemy ; mais les ignorants l'appelaient tout simplement une paix... non, il est impossible de vous dire comment ils appelaient cette paix-là. C'est un très-vilain mot, qui a cours dans les marchés forains, mais qui ne se dit à la Chambre qu'en petit comité, en très-petit comité, et dans les couloirs...

Entre M. Maurice Richard. On le questionne, il interroge. Evidemment, il veut se rendre compte par ses propres yeux. S'il rapporte exactement ce qu'il a vu, il peut dire à l'Empereur que la Chambre est une immense bouteille de Leyde.

Le Français.

Tout en conseillant au ministère de ne pas se laisser entraîner trop loin par les exaltés, M. Thureau-Dangin dit :

Si le gouvernement ne s'est pas contenté d'un désistement qui étouffait comme en secret cette candidature, et s'il a demandé à la Prusse de ROMPRE OUVERTEMENT le dessein auquel il avait eu tort de mettre la main, il n'y a encore dans cette démarche rien que l'Europe ne doive comprendre et approuver.

Le lendemain, il dit qu'on pense que le cabinet de Berlin notifiera officiellement la renonciation au gouvernement français, et que celui-ci n'en demandera pas plus.

Quant aux feuilles qui prêchaient la paix, quand elles croyaient le gouvernement résolu à, la guerre, elles ont, depuis qu'il incline à la paix, une façon de pousser à la conciliation toute particulière.

Ainsi :

La Gazette de France.

Les conditions dans lesquelles triomphe le gouvernement sont telles, que M. Emile Ollivier n'a pas cru devoir en parler hier a la tribune ; c'est dans un couloir de la Chambre et en courant à la salle des Pas-Perdus qu'il a jeté aux députés la nouvelle pacifique.

La salle des Pas-Perdus était bien, en effet, le meilleur endroit pour proclamer ce résultat. Les pas et les démarches qu'on a faits si anxieusement depuis huit jours étaient bien inutiles, s'il ne s'agissait d'obtenir que le simple désistement du prince Charles, confirmé par son père Antoine et accueilli par le roi de Prusse.

La France entière pensait que le gouvernement, ayant résolu de prendre sa revanche de Sadowa, croyait le moment venu d'engager une partie sérieuse contre la Prusse ; on prenait le différend hispano-prussien pour un prétexte, car il en faut toujours un, et l'on croyait à une guerre prompte, énergique et réparatrice....

Mais il faut rendre cette justice à M. le comte de Bismarck : toutes les nouvelles arrivées depuis trois jours à Paris affirmaient que le ministre prussien n'a pas douté un seul instant de la paix. Il a jugé du premier coup nos hommes d'Etat à l'œuvre ; il sait ce qu'on peut attendre d'eux, en dépit des apparences.

C'est très-fort. — G. Janicot.

———

Puisque le point unique de nos réclamations nous est acquis, à savoir que le prince Léopold ne sera pas roi d'Espagne, de quoi peut-il être encore question ? Evidemment, ou M. de Grainent n'a pas tout dit, ou on ne négocie plus que pour la forme et pour obtenir de la Prusse une déclaration, qui confirme le caractère définitif de la renonciation du prince Léopold. Cette déclaration, la Prusse qui n'a aucun intérêt, pas même un intérêt de dignité, à la refuser, n'hésitera pas à la faire, et M. de Gramont l'apportera, sans doute, demain au Sénat et au Corps législatif, avec la pensée d'en tirer parti pour donner le change à l'opinion publique sur la déplorable façon dont toute cette affaire Hohenzollern a été conduite.

Mais l'opinion publique ne se laissera pas facilement abuser. — G. Janicot.

Le Siècle.

Quoiqu'il en soit des intentions secrètes de nos gouvernants, il nous paraît impossible qu'ils ne se déclarent pas satisfaits.

Nous sommes même très-porté à croire qu'ils vont monter au Capitole et entonner un chant de triomphe. C'est d'ailleurs ce que fait déjà ce matin le Constitutionnel.

Quant à nous, qui avons souhaité ardemment le maintien de la paix, nous ne pouvons que nous réjouir de voir s'éloigner les perspectives de guerre.

Mais notre satisfaction, disons-le toutefois, n'est pas sans mélange....

Qui nous répond que dans trois mois, dans six mois, la question du Nord-Sleswig, la question des rapports entre l'Allemagne du Sud et la Confédération du Nord ne nous condamneront pas aux mêmes alarmes ? — E. Tenot.

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La France repousse toute solidarité avec des hommes qui peuvent à ce point la compromettre. La paix pouvait être honorable ; ils feront si bien qu'elle sera ridicule et éphémère. — L. Jourdan.

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La perspective d'une issue pacifique de la crise n'est pas accueillie avec grand enthousiasme par les journaux. Petit est le nombre de ceux qui se déclarent absolument satisfaits et célèbrent ce résultat comme une victoire de la politique française. Les fanfares du Constitutionnel n'ont pas trouvé d'échos.

Nous comprenons très-bien les regrets de ceux qui, résignés à la guerre, la jugeant inévitable pour, un jour plus ou moins prochain, se disaient qu'après tout mieux valait en finir, à tous risques, que de perpétuer une situation intolérable par l'état d'insécurité où elle nous force de vivre.

Cette manière de voir n'est pas la nôtre ; nous ne pensons pas qu'une lutte armée entre la France et l'Allemagne soit le moyen d'en finir avec le malaise dont l'Europe est redevable aux violences prussiennes de 1866 ; nous croyons que la guerre ne résoudrait rien ; mais, répétons-le, ceux-là du moins sont dans la logique qui se plaignent de voir le gouvernement menacer de tirer l'épée pour un motif futile, et la rengainer ensuite sans avoir obtenu satisfaction pour les griefs sérieux. — E. Tenot.

Ainsi cette paix dont le gouvernement avait la simplicité de se réjouir, qu'il croyait ingénument faire accepter au pays comme une victoire morale, tout le monde en est triste, inquiet, désappointé, sombre ; on en a le cœur serré ; elle plonge Paris dans la stupeur ; c'est une déception, une mystification ; c'est la pire des humiliations et le dernier des périls ; c'est une paix boiteuse, une paix dérisoire, une paix borgne, une paix honteuse, une paix sinistre, une paix ridicule, une paix... innommable ; une paix enfin qui coûtera plus de sang à la France que dix batailles rangées.

Et les rares journaux qui répudient ces violences, que conseillent-ils au gouvernement ? D'être sage, modéré, prudent, c'est-à-dire... de se contenter d'un désaveu officiel du cabinet de Berlin : d'une déclaration qui confirme le caractère définitif de la renonciation ; simple formalité dont la Gazette de France parle avec quelque dédain, tellement elle est facile à obtenir, difficile à refuser.

Et qu'on ne l'oublie pas ! quand les journaux — même les plus modérés — reconnaissaient la nécessité d'une garantie officielle, ils ne savaient pas combien les procédés antérieurs de la Prusse rendaient cette garantie désirable ; ils ignoraient la comédie de 1869[15].

Passons à la rue.

Nous y retrouverons le même spectacle que les jours précédents, avec une nuance nouvelle de menace et de sédition. On conspue le ministère. Une manifestation hostile se dirige contre la Chancellerie. On déchire le pacifique Constitutionnel et on le jette au ruisseau. On entoure la voiture de l'Empereur aux cris de Vive la guerre ! poussé d'une voix impérieuse et irritée. Le quartier latin fermente.

Un témoin impartial, lord Lyons, écrivant au comte Granville, dépeint ainsi l'état des esprits :

L'excitation du public et l'irritation de l'armée étaient telles qu'il devenait douteux que le gouvernement pût résister au cri poussé pour la guerre, même s'il était à même d'annoncer un succès diplomatique décidé.

On sentait que lorsque l'article prussien paraîtrait dans les journaux du soir, il serait très-difficile d'arrêter la colère de la nation, et pensait généralement que le gouvernement se sentirait obligé d'apaiser l'impatience en déclarant formellement son intention de tirer vengeance de la conduite de la Prusse. (Dépêche n° 60).

 

Telle était l'atmosphère au milieu de laquelle le gouvernement devait délibérer. Telles étaient les passions, les ardeurs, les impatiences sous la pression desquelles il devait prendre un parti.

C'est de ce moment que date réellement la guerre. Il ne faut en rechercher l'origine ni plus haut, ni plus bas. C'est entre le 12 et le 14 juillet qu'elle fut moralement déclarée, non par la volonté du ministère, mais par la volonté impérieuse, impatiente du pays, s'exprimant à la fois par tous ses organes : Chambre, presse et manifestations publiques.

A cette date, la première phase du différend est terminée ; une nouvelle phase commence. Jusqu'à ce jour le ministère n'avait suivi que ses inspirations ; depuis cg jour il cède aux inspirations du dehors. Il avait dirigé ; il obéit[16].

On voudrait trouver dans la déclaration trop comminatoire du duc de Gramont, la cause réelle de la guerre. On se plaît à dire qu'après un tel esclandre un conflit était inévitable. C'est une erreur attestée par les faits. L'esclandre, nécessité par l'urgence des événements, avait pleinement réussi ; elle avait produit le résultat que le gouvernement en attendait, la solution qu'il avait lui-même suscitée : le désistement du prince Léopold.

Sans doute le ministère avait subsidiairement réclamé la garantie du roi de Prusse. Mais c'était là une question susceptible, à coup sûr, de nuances et d'accommodements. La garantie pouvait être implicitement ou explicitement donnée. On aurait pu, sur ce terrain transiger sans déshonneur : le gouvernement le pensait du moins ; il le pensait si bien, que le 13 juillet il considérait lapais comme assurée, et le disait.

 

Pressé par le mouvement de l'opinion, que fit le ministère ? Aborda-t-il de nouvelles questions ? Suscita-t-il de nouvelles réclamations ? Parla-t-il de 1866 et de tout ce qui s'était accompli depuis, comme on le lui conseillait de tant de côtés différents ?

Non. Il demanda simplement au roi de Prusse cette garantie qu'il lui avait demandée dès le début, que la reine d'Angleterre et l'empereur de Russie lui conseillaient d'accorder[17] ; que la plupart de nos journaux déclaraient insuffisante, et que la Gazette de France traitait si dédaigneusement. Il ne demanda rien de plus ; mais il se décida à n'accepter rien de moins. Il resta sur le terrain où il s'était placé le premier jour, mais il s'y tint plus fermement, résolu à ne pas rompre, et renonçant à transiger. S'il envoya de nouvelles instructions à M. Benedetti, ce ne fut pas pour modifier les premières ; ce fut pour les maintenir dans leur intégrité.

Le cabinet devait-il alors se retirer ? on l'a dit. Son intérêt pouvait en effet le lui conseiller. Sa dignité ne lui en faisait pas un devoir, car les événements ne le forçaient pas à se contredire, ils l'empêchaient seulement d'atténuer son propre langage. Ils ne l'obligeaient pas à prendre une nouvelle attitude, mais à conserver rigoureusement, sans fléchir, celle qu'il avait lui-même adoptée.

Au surplus, ce n'est point de l'intérêt, de la dignité des ministres que nous nous occupons ici. La seule chose qui puisse nous intéresser, c'est de savoir si leur retraite eût produit pour le pays un avantage quelconque. — Elle n'en eût produit aucun.

Si le cabinet Ollivier-Gramont se fût retiré après le désistement du prince Léopold, il eût été remplacé par un cabinet plus belliqueux ; nier cela, c'est nier la lumière du jour.

Le ministère resta donc, espérant obtenir du roi de Prusse la garantie qu'il lui avait demandée, mais doutant, que la Chambre, la presse, l'opinion se tinssent pour satisfaites de cette concession, et, nous l'avons vu par la dépêche de lord Lyons, ils n'étaient pas seuls à en douter.

Telle était la situation quand le gouvernement français apprit que le roi de Prusse entendait réserver l'avenir, refusait de prendre aucun engagement, même de communiquer officiellement la renonciation du prince. Il s'était contenté de faire dire par l'un de ses aides de camp à M. Benedetti, qu'il approuvait le désistement de ce dernier, mais seulement comme il avait approuvé l'acceptation, c'est-à-dire en qualité de chef de famille, non de souverain ; que c'était son dernier mot, qu'il n'avait pas besoin de connaître les nouveaux arguments que notre ambassadeur disait avoir à lui soumettre, et refusait de les entendre : puis, il s'était empressé de faire connaître à toutes les grandes chancelleries d'Europe, par l'entremise de ses agents, de quelle façon sommaire il avait clos le débat.

En mesurant la portée de la satisfaction qui nous était donnée, et celle du mauvais procédé qui l'accompagnait, le gouvernement français pouvait-il voir dans ce dernier incident une atténuation ou une aggravation des torts de la Prusse ? Poser la question, c'est à mon sens la résoudre.

Le Conseil se réunit, délibéra longuement, pendant huit heures, assure-t-on, et décida que la France ne pouvait tolérer cette façon d'agir ; que si la Prusse refusait de nous donner des garanties, nous devions en prendre, et qu'en conséquence il allait — non déclarer la guerre, — mais demander à la Chambre s'il ne lui semblait pas que l'honneur national rendit cette cruelle extrémité nécessaire. Car il avait promis au Corps législatif de ne rien faire sans lui, et quand il avait pris cet engagement, tout le mondé en avait reconnu l'importance : On aperçoit ici, avait dit le Journal des Débats, la différence fondamentale qui existe entre le régime parlementaire et le gouvernement personnel, en ce qui concerne les affaires extérieures. Les paroles et les actes du chef du gouvernement engageaient immédiatement la nation sous le précédent régime ; sous le régime actuel, au contraire, les paroles et les actes du chef d'un cabinet responsable n'engagent que lui-même, et il dépend toujours de la Chambre de donner le dernier mot à l'opinion publique pour la solution des questions extérieures aussi bien que des questions intérieures. C'EST DONC A L'OPINION PUBLIQUE QU'IL APPARTIENT EN CE MOMENT DE MANIFESTER SA VOLONTÉ. Si la marche suivie par le cabinet est conforme au sentiment public, la Chambre consultée se chargera de la ratifier, sinon elle laissera le cabinet en minorité sur cette question comme sur toute autre.

Les ministres tenaient leur parole. Ils apportaient au Corps législatif des impressions, des intentions, non des actes accomplis. Un changement de cabinet, un vote suffisait pour replacer la question au point où elle était la veille.

 

***

 

Mais l'Empereur ? dira-t-on, — vous ne parlez pas de l'Empereur, et c'est lui cependant qui menait tout.

 

Eh bien ! non, mille fois non. C'est là une erreur radicale ; — et sur ce point je dois insister.

Beaucoup de gens se refusaient à croire, en effet, que l'Empereur eût fait sincèrement l'abandon de ce pouvoir souverain qu'il avait si longtemps exercé. Pour eux, les ministres étaient de purs mannequins, que Napoléon caché dans la coulisse, faisait mouvoir à sa guise. En vain les ministres les moins suspects de complaisance affirmaient leur entière liberté d'action ; en vain ils démontraient, par les preuves les plus catégoriques, que l'Empereur se renfermait strictement dans ses prérogatives et remplissait avec loyauté, bon vouloir et bonne grâce — si ce n'est peut-être avec une foi absolue —, son rôle nouveau de souverain constitutionnel. Ces incrédules ne voulaient pas se laisser convaincre. Ils voyaient partout la preuve d'une attache avec le passé, d'un regret, d'une arrière-pensée. Chaque jour, l'Empereur, averti, leur enlevait un grief. Ils en trouvaient d'autres. Il n'en resta bientôt plus qu'un : le maintien du pouvoir constituant aux mains du Sénat. Le pouvoir constituant du Sénat disparut à son tour. Enfin, l'initiative impériale, ayant détruit à l'intérieur le dernier vestige du passé, les sceptiques durent se réfugier à l'extérieur.

L'Empereur, disaient-ils, s'est réservé les affaires étrangères, Pendant qu'il laisse ses ministres délibérer au dedans, il agit seul au dehors ; il choisit pour ambassadeurs des confidents de sa politique personnelle, il correspond directement avec eux : et, comme preuve décisive, on citait le maintien du général Fleury à Saint-Pétersbourg. Le général Fleury à Saint–Pétersbourg était le tarte à la crème de ceux qui ne voulaient pas, malgré tout, se rendre à l'évidence. Ils se cramponnaient à ce suprême argument. C'était, en effet, leur dernière ressource.

M. Thiers figurait parmi les incrédules. Il n'admettait pas qu'après avoir possédé un tel pouvoir, on pût s'en dessaisir ; il croyait le cabinet dominé par la volonté impériale. Aussi pendant que la redoutable question de la guerre ou de la paix s'agitait, il disait volontiers : L'Empereur est opposé à la guerre, je le sais, nous ne l'aurons donc pas.

Eh bien ! je le répète, on se trompait. Napoléon III prenait au sérieux sa situation nouvelle. Les ministres avaient dans ses conseils l'autorité qui leur était due. S'il gouvernait encore, c'était en suivant sur toutes choses leur inspiration.

A l'incrédulité volontaire, à la négation aveugle, au dénigrement systématique, au parti pris, je n'aurais certes pas la prétention d'opposer mon humble témoignage. J'opposerai un témoignage plus considérable, je veux dire moins facile à récuser, le témoignage inespéré de la Commission des papiers secrets elle-même. Elle a, sans en comprendre la portée, laissé passer quelques lignes, qui peuvent en effet paraître insignifiantes aux esprits superficiels, mais dont les autres saisiront l'importance. D'ailleurs, nous devons bien, pour rétablir la vérité, nous contenter des petits faits, la Commission ayant assez de clairvoyance pour apercevoir les gros et les retenir au passage.

Dans l'un des premiers fascicules de sa publication figure une pièce intitulée : Lettre confidentielle de M. de Verdière, attaché au général Fleury[18], à M. Amiot — chef du bureau télégraphique, faisant partie du cabinet de l'Empereur — sur les événements intérieurs et extérieurs.

Dans cette lettre, datée du 9 février 1870, on lit :

Notre chiffre est très-commode.... Nous ne nous servons pas souvent de celui que nous avons avec l'Empereur, et, entre nous, je puis vous dire que nous sommes un peu attristés de voir que, de ce côté, on ne nous donne aucun signe de vie. Vous me dites vous-même que vous souffrez de cette ANNIHILATION — pardon pour ce mot — de celui qui a conduit nos destinées pendant vingt ans. Je comprends assez qu'il s'applique à ne pas blesser les susceptibilités de ses nouveaux ministres en correspondant lui-même avec un ambassadeur qui a contre lui cette condition particulière d'être un vieux serviteur de son prince. Mais s'il ne veut pas parler politique extérieure, ne saurait-il donner quelquefois un simple souvenir d'amitié ?

Après avoir chaleureusement approuvé l'avènement des nouveaux ministres et leur attitude libérale à l'intérieur, le confident du général Fleury ajoute :

Je suis moins satisfait d'eux à l'extérieur. La politique du règne de Louis-Philippe se reproduit et s'accentue. Nous en faisons nous-même l'expérience. Chaque dépêche du comte Daru nous lie bras et jambes, et nous sommes exposés à ne tirer aucun profit de l'excellente situation acquise ici par le général. Toute la politique extérieure se résume dans le désir extrême de ne laisser se produire aucune difficulté. L'intention est louable sans doute ; mais c'est souvent en exagérant la réserve que l'on laisse justement aux difficultés la possibilité de se produire. Si Bismarck savait — et il le saura — que nous ne voulons rien dire ni rien faire, qui donc et quoi donc le gêneraient ?

Voilà quels étaient les rapports particuliers, mystérieux, extraconstitutionnels de Napoléon III avec son ambassadeur à Saint-Pétersbourg. Voila à quel point était fondé le suprême argument de ceux qui s'obstinaient à représenter ses ministres comme les dociles instruments de sa politique personnelle. Voilà la vérité prise sur le fait, sans fard, et même en déshabillé. Mais l'indiscrétion n'est point de notre fait ; et elle aboutit si bien à la confusion de ses auteurs, que nous n'avons vraiment pas le courage de la leur reprocher.

C'est donc un point acquis : l'Empereur, selon le vœu de la constitution nouvelle, suit fidèlement les inspirations de ses ministres, c'est-à-dire celles de la Chambre dont ils sont les organes. Si les ministres lui conseillent la paix et si la Chambre ne les désavoue pas, il maintiendra la paix. Il leur dit à plusieurs reprises : Faites-moi connaître la volonté du pays et j'y obéirai : je n'ai plus désormais d'autre rôle. Mais ses ministres, après une longue délibération, lui conseillent la guerre. Et quels sont ces ministres ? Sont-ils suspects de monomanie belliqueuse ? Ont-ils un goût déterminé pour les aventures ? M. de Gramont peut-être garde rancune à la Prusse. Mais à côté de lui, qui voyons-nous ? MM. Chevandier de Valdrôme, Segris, Plichon, Mège, Maurice Richard, Louvet, qui ont toujours soutenu la politique sage, prudente, parcimonieuse, un peu timide du centre droit et du centre gauche, M. Emile Ollivier qui, depuis 1866, ne cesse de prêcher la conciliation, la concorde, la tolérance à l'égard de la Prusse ; ce sont enfin les signataires du programme dont le premier article était : LA PAIX.

On se présente donc devant la Chambre.

 

Que s'y passe-t-il ? De cette séance comme de toute les circonstances qui ont précédé la déclaration de guerre, le public semble avoir conservé un souvenir très-vague, une impression très-infidèle. Ici encore nous devons rétablir la vérité par une brève analyse.

Le cabinet expose la situation, conclut à la guerre, dépose une demande de crédits et réclame l'urgence. Toute la Chambré se lève, moins quelques membres de la gauche, dont je n'oublierai jamais l'attitude embarrassée devant l'unanime protestation de leurs collègues et des tribunes, non plus que les efforts répétés pour esquiver la contre-épreuve. Je vois encore l'un deux, ne pouvant se résoudre à rompre avec ses amis, ni à les imiter, et trouvant une pose intermédiaire entre rassis et le levé. Ces députés, poussés par nos désastres à la tête des affaires, se targuent aujourd'hui de leur patriotique résistance au caprice d'un despote... Ah ! je l'affirme, le patriotisme n'a pas cette mine piteuse. Il est plus fier, plus sûr de lui. Les membres de la gauche votant contre l'urgence, n'avaient pas la sérénité que donne la certitude du devoir accompli. Ils sentaient bien qu'au lieu d'écouter la grande voix d'en haut ils cédaient à des suggestions subalternes, et que la haine de l'Empire dominait en eux l'amour du pays.

Quand ils votaient contre la guerre, ils ne redoutaient pas la défaite, ils redoutaient la victoire. Ils ne voyaient pas le prestige de la France entamé : hélas ! nul n'y songeait alors ! ils voyaient le prestige de l'Empire accru[19]. Ils ne le disaient pas. Moins prudents leurs journaux l'avouaient sans détour[20]. On lisait ces aveux, on les commentait. Puis, en invoquant l'expérience du passé[21], on ajoutait que si le gouvernement eût digéré l'affront de la Prusse, les membres de la gauche eussent été les premiers à bafouer sa couardise, à mettre en relief son humiliation ; que le nom de Hohenzollern fût devenu dans leur bouche, comme celui de Sadowa, un grief éternel et quotidien. Aussi, dans la salle des Pas-Perdus, les couloirs, les tribunes, les jugeait-on comme on devait les juger le soir sur les boulevards et le lendemain dans les journaux, — durement !

L'urgence est votée. La discussion s'engage. M. Thiers se lève. Il blâme la guerre. On connaissait ses idées sur les agrandissements de la Prusse ; on le croyait partisan de la guerre ; on s'étonne. On s'étonne surtout quand il a fini de parler. Il n'a produit en effet pour la paix qu'un argument : la guerre avec la Prusse est nécessaire, mais il faut la déclarer pour une question allemande.

Et voici quel en était le développement : la Prusse s'était mise dans son tort. Elle nous avait provoqué. L'Europe, saisie par nous, lui donnait tort et réclamait d'elle une satisfaction. Cette satisfaction est obtenue, puisque la candidature a disparu. Le droit n'est donc plus pour nous. Sans droit, nous perdons les sympathies de l'Europe. Sans les sympathies de l'Europe, nous ne pouvons combattre la Prusse. Quel jour le droit, c'est à dire le concours de l'Europe, sera-t-il de notre côté ? Le jour où M. de Bismarck franchira le Mein. C'est ce jour qu'il faut savoir attendre.

Il y avait là une inexactitude assez grave. Ce que l'Europe la Russie et l'Angleterre en tête, avaient demandé pour nous, c'était un acte officiel du gouvernement prussien : cet acte nous avait été formellement refusé[22]. M. de Kératry, se séparant de ses amis politiques, répondit à M. Thiers :

Je mets en fait qu'après la déclaration du cabinet è laquelle j'ai applaudi tout le premier, vous n'avez obtenu aucune espèce de satisfaction de la Prusse... M. Thiers dit qu'il faut attendre une occasion favorable. Eh bien ! je prétends, moi, qu'il n'y a pas seulement occasion favorable, qu'il y a motif absolu de faire la guerre. Voilà une question qui n'est nullement allemande, et c'est parce que M. de Bismarck sent fort bien que le terrain est mauvais, qu'il ne vous a pas déclaré la guerre, il y a huit jours ; mais si vous retardez, comme M. Thiers vous le demande, vous laissez aux canons prussiens le temps de se charger.

C'était la seule occasion, en effet, où l'on pût espérer l'alliance de l'Autriche. — Par suite de quelles circonstances cette alliance ne s'est pas conclue, nous le verrons plus tard —. Quant aux sympathies de l'Europe, hélas ! on sait ce qu'elles valent ! L'Europe est devenue terriblement apathique. L'unification de l'Allemagne lui arrachera peut-être une protestation diplomatique : rien de plus. Si, pour agir, nous attendions son aide, sa permission — c'est le ministre belliqueux de 1840 qui la réclame ! —, nous n'agirions jamais. Avant peu, tout. le monde reprocherait an gouvernement d'avoir laissé échapper cette conjoncture exceptionnelle où il rencontrait la Prusse hors de l'Allemagne[23], la Prusse distraite, absorbée par son travail intérieur, et peu disposée à faire la guerre : c'est du moins M. Thiers qui l'affirmait lui-même huit jours auparavant : ainsi raisonnait-on.

Mais, ceci est le point intéressant à étudier : M. Thiers disait-il toute sa pensée ? N'avait-il point d'autres raisons. de s'opposer à la guerre, que la raison peu décisive qu'il invoquait ? Derrière l'argument produit, y avait-il un argument sous-entendu ? En un mot, M. Thiers avait-il prévu nos désastres, pressenti' les causes de notre infériorité ? Dans la séance du 11 août, après nos premières défaites, M. Thiers, expliquant ainsi son attitude du mois précédent, l'a dit :

Messieurs, je puis aujourd'hui vous avouer que, lorsqu'il y a quelques jours, je vous suppliais de réfléchir avant de déclarer la guerre, il y a une chose que je ne vous disais pas, parce que je ne pouvais pas le dire, c'est que la France n'était pas prête.

Eh bien ! nous verrons — dans un autre chapitre — et nous prouverons, par ses propres paroles, que loin de pressentir la cause de notre infériorité, loin d'apercevoir notre côté faible, celui par lequel nous devions être atteints, M. Thiers avait manifesté à cet égard et fait partager à beaucoup de ses collègues, les plus dangereuses illusions.

D'ailleurs, nous avons peine à comprendre pourquoi, possédant un secret si grave, si nécessaire à constater, M. Thiers l'eût gardé pour lui. Par patriotisme ? Quoi ! M. Thiers n'hésitait pas à légitimer par avance le mauvais vouloir de l'Europe, en le présentant comme inévitable et naturel, en proclamant que, n'ayant pas le bon droit de notre côté, nous ne méritions pas ses sympathies, — et il eût hésité à nous faire connaître une insuffisance sur laquelle les événements allaient se prononcer ! Que son témoignage fût confirmé ou infirmé par les faits, en quoi pouvait-il nuire à notre cause ?

L'intervention de leur illustre collègue avait remonté le courage des membres de la gauche. Malheureusement elle ne leur avait pas fourni beaucoup d'arguments ; aussi furent-ils réduits à reproduire ce discours, avec moins de ménagements. Là où M. Thiers avait glissé, ils appuyent lourdement ; et l'on entend M. Emmanuel Arago émettre cette étrange proposition :

Le bon droit n'est pas pour nous (Exclamations). PAR PATRIOTISME, par amour pour mon pays. JE VOUS SUPPLIE DE ME LAISSER VOUS LE DÉMONTRER.

M. Jules Favre déclare qu'on ne peut s'en rapporter à la parole des ministres : l'analyse qu'ils ont faite des documents diplomatiques peut être mensongère ; en conséquence on doit communiquer à la Chambre les dépêches échangées entre le gouvernement et son ambassadeur en Prusse. M. Buffet, bien que convaincu de l'entière loyauté du cabinet, estime pourtant qu'en matière aussi grave la décision de la Chambre ne saurait être éclairée de trop de lumières, et que le gouvernement devrait faire passer sous les yeux d'une commission toutes les pièces du procès.

Les ministres ne s'opposent pas à cette proposition qui est votée par 83 membres : ce sont ces 83 députés qu'après le 4 septembre — et je crois dans un document officiel — on a représenté comme ayant voté contre la guerre !

La séance est suspendue ; la commission se forme ; toutes les nuances de la Chambre, la droite, le centre droit, le centre gauche, la gauche même — dans la personne de M. de Kératry — y sont représentés. Elle choisit pour rapporteur M. le marquis de Talhouët, c'est-à-dire le type même de l'honneur, de la sagesse, de l'indépendance et de la probité. M. de Talhouët, à qui son caractère avait en toute circonstance valu l'unanimité des suffrages, et qui, pour le dire en passant, avait voté avec les 83. Ce choix par lui seul est décisif.

La façon dont le rapporteur remplit sa tâche achèvera d'en marquer le caractère.

La Chambre se réunit à 8 heures. M. de Talhouët monte à la tribune. D'un ton grave, solennel, fier, il affirme que la Commission, selon le vœu de la Chambre, a tout vu, tout entendu elle s'est particulièrement édifiée sur le télégramme annonçant aux agents du roi de Prusse que ce dernier avait éconduit M. Benedetti, document dont la gauche cherchait à infirmer l'authenticité :

Des pièces chiffrées ont été mises sous nos yeux, dit-il, et comme tous vos bureaux l'ont bien compris, le secret de ces communications télégraphiques doit être conservé par votre commission, qui, en vous rendant compte de ses impressions, a conscience de son devoir vis-à-vis de vous-même comme vis-à-vis du pays.

Le sentiment profond produit par l'examen de ces documents est que la France ne pouvait tolérer l'insulte faite à la nation, que notre diplomatie a rempli son devoir en circonscrivant ses légitimes prétentions sur un terrain où la Prusse ne pouvait se dérober comme elle en avait l'intention et l'espérance.

En conséquence, Messieurs, votre commission est unanime pour vous demander de voter les projets de loi que vous propose le gouvernement. Nous vous le répétons : à nos sentiments personnels se sont ajoutées de nouvelles convictions fondées sur lés explications que nous avons reçues ; et c'est avec l'accent de la confiance dans la justice de notre cause et animés de l'ardent patriotisme que nous savons régner dans cette Chambre, que nous vous demandons, Messieurs, de voter ces lois, parce qu'elles sont prudentes comme instruments de défense et sages comme expression du vœu national.

Comme M. de Kératry, M. Guyot-Montpayroux se détache avec éclat de la gauche et appuye les conclusions du rapport :

Je pense que la Prusse a oublié ce qu'est la France d'Iéna, dit-il, et qu'il faut le lui rappeler. En parlant ainsi, je réponds au sentiment de la presque unanimité de ceux qui m'ont envoyé dans cette enceinte. Je traduis l'opinion de l'immense majorité du pays.

Les autres membres de la gauche ne se rendent pas. Mais n'ayant aucun principe, aucune raison sérieuse à invoquer, ils se traînent dans les arguties les moins dignes de l'heure et de l'intérêt débattu[24].

M. Gambetta cherche à prouver que l'affront reçu par notre ambassadeur n'est pas officiellement prouvé.

M. de Piré l'interrompt par ce mot : Vous faut-il donc le coup d'éventail du Dey d'Alger ? Le futur ministre de la guerre, qui devait affirmer quatre mois plus tard que les républicains tant calomniés sont les vrais patriotes, répond :

M. de Piré me parle du coup d'éventail du Dey d'Alger ? A merveille. Mais il oublie que c'est la politique de la Restauration, et que nous sommes sous le régime du suffrage universel ! M. de Piré peut conserver son souvenir historique, il n'est pas de mise... Vous vous êtes senti blessé, outragé par des procédés qui sont graves, que je veux croire aussi graves que vous le voudrez ; mais CE NE SONT QUE DES PROCÉDÉS. Il y a la dépêche elle-même ; il y a les termes employés. Il faut que nous la voyions. Il faut que nous la discutions avec vous.

De divers côtés. — Mais on l'a discutée dans les bureaux.

M. Gambetta entend mal l'interruption. Il ne saisît que le dernier mot, et reprend :

Oui, messieurs, dans les bureaux. Parfaitement ! J'ADMETTRAIS QUE LA COMMISSION SEULE EN CONNUT ET LA RAPPORTÂT.

Tel est son dernier mot. Malheureusement ce dernier mot est obtenu. Cette communication qu'il réclame et qu'il déclare suffisante, elle a été faite. Cette dépêche qu'il faut donner à la commission, on la lui a donnée.

M. le duc d'Albufera, — La commission l'a lue.

Plusieurs voix à gauche. — Lisez-la !

M. le duc d'Albufera. — Nous affirmons l'avoir lue. Si vous ne nous croyez pas, nommez d'autres commissaires.

MM. Magnin et Glais-Bizoin. — Il nous faut la dépêche !

M. Gambetta poursuit :

La note de M. de Bismarck a-t-elle été communiquée à tous les cabinets d'Europe, ou seulement à tous les cabinets du sud de l'Allemagne ? C'est une distinction essentielle.

Puis, lui qui déclarait à l'instant se contenter d'une communication faite à la commission, voyant que cette satisfaction lui a été donnée, il ajoute aussitôt :

S'il est vrai que cette dépêche soit assez grave pour avoir fait prendre cette résolution, vous avez un devoir, ce n'est pas de la communiquer seulement aux membres de la commission et à la Chambre, c'est de la communiquer à la France et à l'Europe, et si vous ne le faites pas, votre guerre n'est qu'un prétexte dévoilé, et elle ne sera pas nationale.

M. Emile Ollivier veut répondre. On lui crie : Publiez la dépêche !

MM. d'Albufera, de Talhouët, de Kératry, tous les autres membres de la commission sont encore forcés d'affirmer sur l'honneur qu'ils n'ont point menti, et qu'ils ont lu la dépêche. Quant à la distinction essentielle posée par M. Gambetta, M. le marquis de Talhouët ajoute :

Nous avons lu les dépêches de quatre ou cinq de nos représentants dans les différentes cours de l'Europe, qui reproduisent ce document presque exactement dans les mêmes termes.

Et malgré ce mot d'un député : La continuation de cette discussion est indigne d'une Chambre française, cette pénible discussion se poursuit encore pendant une demi-heure.

Or, est-il besoin de le dire, l'entière exactitude des assertions du gouvernement et de la commission, si violemment mises en doute, a été nettement établie ; les notes publiées par le cabinet de Berlin lui-même[25], ont prouvé que l'un et l'autre avaient atténué plutôt qu'exagéré le caractère du document prussien.

On vote enfin : 247 députés accordent les crédits, 10 les refusent.

 

La guerre est déclarée.

Elle est accueillie par un cri d'enthousiasme. Les sénateurs eux-mêmes reçoivent une ovation à leur sortie du Luxembourg. Le Sénat acclamé par le quartier latin ! Spectacle nouveau, assurément[26]. Ce que furent les boulevards ce soir-la, par quels hourras frénétiques ils saluèrent les premiers régiments qui défilèrent, — on ne peut l'avoir oublié.

On se rappelle peut-être moins le langage des journaux ; quelques extraits seront encore nécessaires pour le rappeler :

La Liberté.

LA GUERRE DE L'INDÉPENDANCE.

... La France est debout ; NON PLUS LA FRANCE D'AUTREFOIS, D'IL Y A QUELQUES ANNÉES, QUI SUBISSAIT UNE POLITIQUE et la soldait sans murmurer ; mais la France qui vient de renaître la liberté, et qui ne saurait mieux célébrer ce réveil admirable qu'en entreprenant, résolue, généreuse et désintéressée, pour l'Europe, pour elle-même, pour l'Allemagne enfin, pour tous ceux qu'opprime ou menace l'ambition du vieux Guillaume.

La guerre de l'indépendance ! (H. Vrignault).

Nous n'avons cessé depuis quelques jours de réclamer la guerre.

Nous l'avons appelée de tous nos vœux. L'avenir, un avenir prochain, dira si nous avons eu tort ou raison...

En notre Arne et conscience, nous déclarons qu'en agissant de la sorte, en demandant la guerre, nous avons obéi à un devoir que nous prescrivaient, en dehors de toute autre considération, la dignité et l'honneur de la France. (L. Détroyat).

La Presse.

LA GUERRE NATIONALE.

Les cris de guerre qui retentissaient hier sur nos boulevards vont maintenant remplir la France et soutenir notre armée dans la lutte héroïque à laquelle nous provoque l'insolence de la Prusse. Les résolutions de guerre, que nous allons apprendre, N'ÉMANENT PAS DU GOUVERNEMENT. Le gouvernement était irrésolu ; il voulait, dans quelques-uns de ses chefs, du moins, se laisser arrêter par des concessions dérisoires. Ces résolutions sortent DES ENTRAILLES MÊME DU PAYS. Elles résument toute l'irritation du sentiment national contre le système d'asservissement qui semblait vouloir s'appesantir sur l'Europe, et notre patience, depuis quatre ans, lassée par une dernière audace. (La Patrie).

Le Soir.

LA GUERRE DES HONNÊTES GENS.

La guerre est déclarée depuis une heure.

Elle était inévitable depuis huit jours.

Elle était prévue depuis quatre ans par les esprits politiques.

———

Dans la presse, les journaux révolutionnaires ont été pris subitement de la manie évangélique : Pax vobiscum, ou la mort ! M. Michelet et M. Louis Blanc maudissent la guerre à tour de rôle dans un journal sème de petits tambours et intitulé le Rappel. Que signifient ces tambours, si la guerre la mieux fondée, la plus légitime, la plus indispensable à la sécurité nationale, est un crime ? Remplacez-lei par des guitares, ou dites franchement que vous battez le rappel de la guerre civile, que les combats vraiment humains sont ceux de la rue, et qu'il n'est pas permis de s'égorger, sinon entre frères. Les ennemis d'un gouvernement, quel qu'il soit, peuvent toujours le blâmer, quoi qu'il fasse. S'il évite les querelles, on l'accuse d'humilier la nation ; s'il va en guerre, on lui reproche de verser le sang des soldats. En revanche, les officieux trouvent moyen d'applaudir indifféremment la paix et la guerre. Comment savoir la vérité ? Qui doit-on croire en ces matières où la moindre erreur de jugement peut causer des maux irréparables ? Le gros bon sens du peuple est encore le meilleur conseiller, et c'est l'opinion la plus vulgaire qui est la vraie.

Le paysan, l'ouvrier, le marchand ont cent raisons pour une d'aimer la paix, mais lorsqu'ils sentent que l'intérêt général est en danger, ils ne se dépensent pas en pleurnicheries humanitaires, ils n'épiloguent pas sur les prétextes, ils ne demandent pas si le gouvernement a besoin de se faire une popularité ; ils disent tout simplement : va pour la guerre ! Faisons-la bonne, puisqu'il n'y a pas moyen de l'éviter, et plaise à Dieu que celle-ci soit la dernière !

Ou je me trompe fort, ou telle est depuis une huitaine l'opinion des Français .tranquilles et modérés. L'horreur des violences, l'amour du genre humain, la tendresse du frère français pour le frère prussien n'existent plus ni sous la blouse ni sous l'habit.

Vous ne les trouverez que sous la carmagnole. — (E. About.)

L'Opinion Nationale.

A travers ses péripéties douloureuses, ses convulsions et ses crises, dans ses plus grandes phases d'abaissement, la France a toujours gardé ce sentiment de justice, cet instinct de solidarité qui sera la sève du monde à venir.

La France se bat pour une idée ; la France se bat pour les autres ; la France se bat pour le droit et pour l'équité. Qu'elle se batte donc une fois de plus, puisque l'épée décide encore

Et nous, républicains, démocrates, socialistes, citoyens de la patrie idéale, rentrons dans la patrie réelle, et soutenons-la dans sa lutte, sans nous inquiéter des hommes ni des choses qui nous divisent. Trêve, pour le moment, à nos disputes intestines.

Il s'agit de savoir qui l'emportera clans le monde moderne, da l'idée prussienne, ou de l'idée française ! Cette guerre est plus qu'une guerre : — pensons tous à cela ! (E. Nus).

Enfin tel est le mouvement général de la presse, qu'un journal, après l'avoir analysé, conclut ainsi :

La presse est pour ainsi dire, unanime.

On ne saurait trop blâmer — et plaindre ! — les quelques feuilles, soi-disant libérales, qui croient devoir protester contre le sentiment que la patrie a si chaleureusement exprimé, — et dont les rédacteurs se tiennent à l'écart, renonçant ainsi volontairement à leur plus beau privilège : l'honneur d'être Français. (Paris-Journal).

Des députations du Sénat, du Corps législatif se rendent à Saint-Cloud, pour y porter les vœux des deux assemblées. L'Empereur atteste, en leur répondant, qu'il tire l'épée sur l'injonction du pays. Un seul journal songe-t-il à le contester ?... Quelques jours plus tard il adresse une proclamation à la France, une autre à l'armée. On y retrouve la même idée, qui reparaît également dans l'ordre du jour qu'un membre du gouvernement actuel — ses collègues le renieront-ils ? — adresse à l'escadre[27]. On y remarque en outre un ton grave, mélancolique, qui n'est point ordinaire dans les documents de cette sorte, et qui étonne. Les rares journaux qui ont déconseillé la guerre n'y veulent voir eux-mêmes qu'une affectation- de modestie et se montrent plus confiants que lui dans le prompt et décisif succès de nos armes.

L'Univers apprécie ces divers documents en ces termes :

Ce langage couvre, il fera oublier les tristes discours prononcés au Corps législatif. L'Europe en comprendra la haute signification. En rapprochant le langage impérial des manifestations qui éclatent de tous côtés, elle verra que la guerre où nous entrons n'est pour la Franco ni l'œuvre d'un parti, ni une aventure imposée par le souverain. La nation s'y donne tout entière et de plein cœur. Les objections et les criailleries de quelques députés, les plaintes hypocrites de deux ou trois journaux n'empêcheront pas cette vérité D'ÊTRE PARTOUT RECONNUE.

Ces derniers mots ne semblent-ils pas une cruelle ironie ?... Les quelques députés sont devenus le gouvernement de la France, leurs criailleries sont devenues la parole officielle. Et, se transformant avec eux, ce qu'on proclamait alors le mensonge se nomme aujourd'hui la vérité !

 

La mobilité du peuple m'a dégoûté de la politique, disait Lamartine en revenant à ses livres.

 

Cependant, je dois le dire, même après nos désastres, même après le 4 septembre, un journal — un seul ! — tout en prodiguant à l'Empire les plus grossiers outrages, a eu la pudeur d'avouer qu'il avait demandé la guerre et que l'opinion avait contraint l'Empereur à la faire ; sa déclaration mérite d'être lue :

Ce n'est pas l'empereur Napoléon III qui, de son chef, a déclaré la guerre actuelle : c'est nous qui lui avons FORCÉ LA MAIN, nous ne nous en cachons pas et nous ne regrettons pas l'ardeur de ce premier mouvement, quelle que soit l'horreur des désastres et l'imminence du danger. Oui, nous sommes les ennemis du roi Guillaume, chef du parti féodal en Europe et représentant obstiné du droit divin ; nous sommes les ennemis des hobereaux qui composent la tête de son armée.

Nous leur avons déclaré la guerre parce qu'ils étaient depuis dix années en guerre sourde avec nous, parce qu'ils avaient préparé leur invasion de longue main, parce que leurs espions fourmillaient sous nos pieds dans le sous-sol de la France. — (La Rédaction du Soir).

 

***

Mais, — dit-on, — la Province ?

Paris, les grandes villes ont voulu la guerre, fi faut bien le reconnaître. La Province ne l'a pas voulue.

Hélas ! ce n'est pas la première fois que Paris aurait disposé des destinées de la France. Le parti révolutionnaire le trouverait-il mauvais ? Heureuse nouveauté ; à noter pour l'avenir !

Mais ce reproche, inattendu de sa part. est-il fondé ? La Province ? qui avait le droit de parler pour elle sinon ses députés ?

— Mais quels députés ! Tous candidats officiels !...

Cette Chambre à laquelle, nous l'avons vu, les amis de la paix s'en référaient eux-mêmes, dont ils acceptaient le jugement comme le jugement même du pays, on ne permet plus d'invoquer son témoignage. Il est sans valeur.

Tous candidats officiels ? Non pas. Hors de l'extrême gauche les députés élus contre le gré de l'administration parlaient, pensaient, votaient comme les députés élus sous son patronage, et c'est de leur côté, nous l'avons vu, qu'est parti le premier cri de guerre. Et parmi les rares députés de la gauche élus par la Province, n'y avait-il pas des partisans de la guerre ? M. de Kératry, qui ne vota pas même avec les 83, était-il un candidat officiel ? M. Guyot-Montpayroux, qui disait : le sentiment que j'exprime est celui de la presque unanimité de mes électeurs, était-il un candidat officiel[28] ?

Vous ne croyez pas qu'en matière aussi grave le pays puisse faire connaître sa volonté par mandataire ? Interrogez ses manifestations directes. Interrogez les feuilles départementales el les enregistraient chaque jour. Je ne puis, comme je l'ai fait pour Paris, le prouver par une série de citations empruntées à ces journaux eux-mêmes. La lecture en serait fastidieuse et je n'en ai pas aujourd'hui les éléments. Je me bornerai à invoquer sur ce point le témoignage des journaux de Paris qui suivaient et analysaient ce mouvement :

Le Français.

Les nouvelles qui arrivent de la province sont excellentes : les esprits accueillent l'idée de la guerre contre la Prusse non pas avec cette effervescence tapageuse qui éclate sur nos boulevards, mais avec une confiance calme, une résolution virile ; on comprend beaucoup mieux les raisons de la guerre actuelle qu'on ne comprenait au début celles de la guerre d'Italie...

... L'exposé du gouvernement a été affiché dans toutes les communes, et partout il a provoqué les manifestations les plus vives et les plus patriotiques.

Le Figaro.

LA PROVINCE ET LA GUERRE.

Ce n'est pas seulement Paris qui acclamé la guerre, nos quatre-vingt-neuf départements sont aussi soulevés que la capitale contre la Prusse. Lisez les journaux de toutes couleurs, mémo les plus écarlates. La vérité a une telle évidence, une telle force, que tout le inonde reconnaît cet élan incroyable et inouï de la nation.

La province ne s'est jamais fait illusion sur la paix très-chancelante et très-précaire que nous avait laissée Sadowa. Elle n'a pas l'esprit vif et spontané de Paris, mais elle réfléchit plus que Paris. Il y a quatre longues années qu'on entend les industriels, les commerçants, les bourgeois, dire avec les plus avancés de nos ouvriers et les moins décrassés de nos paysans :

Les Prussiens vont trop loin, à la fin ; ça ne peut pas durer...

Tel fut le sentiment énergique de nos 89 départements. La guerre est nécessaire. Nous avons tout ce qu'il faut pour la faire. En avant marche !

Et pendant que le plus petit nombre — constatons-le avec une joie patriotique — des journaux radicaux de province pleuraient des larmes de circonstance et faisaient concurrence à Jérémie et à Victor Hugo et fils, nos populations accueillaient, tressaillantes d'enthousiasme, la déclaration de guerre !...

Dans des villes beaucoup plus anti-plébiscitaires que Lille, à Bordeaux, à Lyon, à Marseille, la population est transportée du mémo enthousiasme.

A Lyon, des démonstrations magnifiques ont eu lieu. Le préfet, M. Soncier, qui n'était pas en belle humeur, parait-il, a refusé de se montrer à son balcon. Des libres penseurs égarés dans la foule se sont irrités ; et ce sont les jésuites, comme il arrive toujours à Lyon, qui ont payé le, silence de Mie préfet. On a jeté des pierres dans les vitraux de leur église. Mais le plus grand nombre a rétabli l'ordre. Le lendemain, une bande d'individus, portant une loque rouge au bout d'un bâton, a essayé de crier : Vive la paix ! en chantant la Carmagnole. Elle a failli être piétinée par la foule.

Saint-Etienne n'est pas en retard. La population ouvrière est allée faire une ovation au général Nayral. Un rédacteur de l'Eclaireur ayant protesté, on lui répondit par les cris : A Chaillot ! synonyme du fameux mot de Cambronne...

Les tentatives des Prussiens de Marseille n'ont pas eu de chance. Mardi soir une colonne de démagogues, quelques troupiers en tète et des portefaix en queue, a traversé la Cannebière, en criant : Vive la paix ! Des coups de poing ont été échangés entre ces braillards et des Marseillais de l'opinion contraire. Un soldat a été blessé. La police a laissé faire cette bande, qui ne pouvait se consoler des démonstrations guerrières auxquelles la grande majorité de la population de Marseille s'était livrée les trois jours précédents.

A Nantes, il y a eu des violences contre la presse pacifique. On a crié : A bas le Phare de la Loire ! Des enragés menaçaient de mettre le feu à l'imprimerie. C'est le Phare qui le dit. Il doit y avoir exagération.

Les Toulousains ont fait une bien autre affaire à l'Emancipation et à M. Armand Duportal. La jeunesse des écoles était on tète de l'insurrection contre ce journal, qui avait condamné et flétri très-violemment la guerre. On a cerné la maison de M. Duportal, on a envahi les ateliers ; l'exaspération de la foule a failli amener des voies de fait. Toulouse veut la guerre, et il n'aime pas qu'on le malmène parce que sa population ne se laisse pas égarer par des sophismes déclamatoires.

Le Gaulois.

A peine peut-on trouver cinq ou six journaux en France qui condamnent les agissements du gouvernement français, et on connaît, sans que nous ayons besoin de la dire, l'opinion à laquelle ils appartiennent.

Le Havre, 5 h. du soir.

Paris n'est pas la seule ville que l'enthousiasme ait saisi.

Une manifestation antiprussienne a eu lieu au Havre.

Trois mille personnes ont parcouru la ville aux cris répétés de : Vive la France !

Hier, à la Bourse, à une heure et demie, à la réception de la dépêche faisant connexe qu'une déclaration de guerre allait être adressée par la France à la Prusse, malgré la gravité des intérêts engagés dans une ville comme le Havre, cette déclaration a été accueillie avec un patriotique enthousiasme qui s'est traduit par une triple salve de bravos et de frénétiques hourras.

Le Soir.

Les journaux de province sont unanimes pour constater l'enthousiasme ave lequel les populations des provinces ont accueilli la nouvelle de la déclaration de guerre à la Prusse.

Mais tout cela ne signifie rien ! Les députés, les journaux, la foule n'avaient point qualité pour exprimer le sentiment public. Les républicains ne tiennent pour valable, sérieux, légitime qu'un seul témoignage. Et lequel ?... Celui des préfets !

Oui, à l'autorité de la Chambre, de la presse, du peuple lui-même, le gouvernement républicain oppose gravement l'autorité des préfets de l'Empire. N'insistons pas sur le côté piquant de cette situation. Nous n'avons pas le droit de sourire aujourd'hui. Hâtons-nous d'examiner si cet argument imprévu est fondé.

Avant tout, une réflexion se présente d'elle même à l'esprit du lecteur. Si le gouvernement avait eu un parti pris, eût-il consulté ses préfets ? S'il n'avait pas voulu s'inspirer de l'opinion, eût-il pris la peine de la sonder de cette façon ? Mais passons. Les préfets sont interrogés. Pendant qu'ils répondent, la question marche à grands pas, s'aggrave, s'envenime. Les réponses arrivent enfin. Je ne les ai pas dans les mains. Le Journal Officiel en a publié des extraits, fort habilement coupés, dit-on. Le Journal des Débats a reproduit les plus saillants de ces extraits, analysé les autres. Mais ce travail, qui contient le suc, la quintessence de l'enquête administrative, permet de juger l'ensemble. Eh bien ! je le déclare, l'impression qui s'en dégage pour tout lecteur impartial , c'est que les petites villes, les campagnes, plus lentes que les grands centres à saisir la portée d'un incident diplomatique, n'étaient pas plus disposés que ceux-ci à subir un nouvel affront de la Prusse; qu'elles désiraient assurément le maintien de la paix — qui ne le désirait ? — mais n'entendaient point lui sacrifier un lambeau de l'honneur national.

Le commentateur ingénieux de ces documents sent bien lui-même leur insuffisance. Il avoue qu'ils ne donnent pas ouvertement et franchement tort à l'affirmation du gouvernement déchu. Mais il se hâte d'en donner la raison : Les préfets qu'il interroge sont trop bon préfets pour faire ouvertement une réponse qui déplaise.

Soit. C'est une appréciation. Je veux bien la tenir pour exacte ; je m'en empare, et je dis : Si les préfets ont voulu faire une réponse agréable, au lien de l'atténuer ils auront forcé la note pacifique. Car, le souvenir exact que j'ai conservé de la situation des choses et des personnes, au moment on ils furent interrogés, me permet de l'affirmer : si dans la question posée par le ministre de l'intérieur aux préfets, perçait un sentiment personnel, — c'était, ce ne pouvait être que le désir d'une solution pacifique.

Mais ceux qui font l'histoire aujourd'hui n'ont point ce souci du détail. Un trait curieux nous fait voir avec quelle légèreté ils apprécient les situations et les hommes. L'article du Journal des Débats — une feuille sérieuse cependant ! — après avoir passé cette revue du personnel administratif de l'Empire, y choisit deux types remarquables : le préfet de Vaucluse et le préfet du Nord.

Le préfet de Vaucluse disait la vérité aux ministres de l'Empire ! Rara avis ! à ce titre il mériterait d'être conservé sous un gouvernement républicain.

Le préfet du Nord est un préfet comme il en faut aux rois et aux empereurs. Le souverain a besoin de savoir quelle heure il est ; ils répondent : l'heure qu'il plaira à Votre Majesté.

Le préfet de Vaucluse est une honnête exception fourvoyée dans le personnel de l'Empire, sans doute un nouveau venu ?

Le préfet du Nord personnifie la servilité naturelle à l'administration bonapartiste ?

Or, le premier, c'est M. Bohat, beau-frère de M. Rouher, et, par sa protection, préfet depuis les premiers jours de l'Empire.

Le second, c'est M. Masson, démissionnaire du 2 décembre 1851, rentré dans l'administration depuis le 2 janvier 1870, et placé à la tête du département du Nord sur la demande formelle, pressante, de son ami intime M. Thiers — dans une arrière-pensée électorale, prétend la chronique — avec l'entière approbation de l'Empereur, trop heureux d'accorder à l'historien illustre et national, une faveur qu'il semblait ardemment désirer[29].

Mais laissons cela. Soit ! le ne sais pas lire entre les lignes. Je n'ai pas ce flair délicat qui ne s'acquiert qu'à l'Ecole Normale. Les préfets affirment tous, sans une seule exception, que leurs départements tiennent à la paix, veulent la conserver quand même et à tout prix. ? On le veut ? J'y consens.

Et après ?

 

Se figure-t-on l'Empereur en face du cabinet unanime, en face de la presse et de la Chambre à peu près unanimes — car les rares dissidents de la gauche par la pauvreté de leurs arguments, par la nature du mobile auquel ils paraissent céder[30] ne peuvent guère infirmer l'expression du sentiment général —, en face d'une agitation populaire que des témoins peu suspects déclarent irrésistible, se figure-t-on l'Empereur étendant la main et arrêtant le flot impétueux pas cet étrange quos ego : Mes préfets ne sont pas de votre avis !

Entendez-vous d'ici les clameurs, les huées, les sifflets, les éclats de rire qui eussent accueilli l'objection impériale ? Comme on eût maudit, comme on eût bafoué cet humiliant excès du pouvoir personnel substituant son caprice — caprice d'un despote ! — à celui de ses agents à la volonté nationale. Ah ! du coup la gauche fût devenue belliqueuse ! Et l'empereur restait seul, — avec ses préfets.

Je m'adresse à tous les gens de bon sens et de bonne foi, et je leur dis : Eût-il pu le faire ?

J'ajoute : S'il l'eût fait, croyez-vous que ceux qui l'accusent aujourd'hui d'avoir imposé la guerre ne l'eussent pas accusé dès le lendemain d'avoir imposé la paix au pays impatient de se venger ?

 

***

 

La main sur la conscience, après avoir lu ce simple exposé des faits, peut-on nier sincèrement que l'opinion ait voulu la guerre ? qu'elle ait poussé par tous ses organes publics le gouvernement à la déclarer ? qu'elle lui ait selon le mot d'un journal, après le septembre, forcé la main[31] ? Peut-on nier que, paralysé par la constitution nouvelle, l'Empereur — même désirant la paix — n'avait le moyen et ne pouvait avoir la prétention d'opposer son sentiment personnel à la volonté nationale ?

Retourner la question, soutenir non-seulement qu'il eût pu le faire, mais qu'il l'a fait ; non-seulement que le pays ne lui a pas dicté ses résolutions, mais qu'il a imposé son caprice au pays, c'est émettre une assertion qui blesse toute âme honnête et fière, parce qu'elle est une atteinte flagrante à la justice et à la vérité, et surtout parce qu'elle suppose chez ses auteurs une confiance singulière dans la mobilité ou dans la lâcheté du public.

En effet, quand on entend ces anciens députés, si prompts jadis à mettre en doute la sincérité du pouvoir, d'un puritanisme si rigoureux à l'égard de la parole officielle, exigeant pour leurs personnes et leur parti une telle déférence et de tels ménagements de langage ; quand on les entend, dépositaires du pouvoir, à leur tour déclarer solennellement que la France a, dès le premier jour, blâmé la guerre, qu'oser dire le contraire c'est FAIRE PREUVE D'UNE RÉVOLTANTE MAUVAISE FOI[32] ; jeter à la tête d'un prince vaincu, détrôné, l'odieuse accusation d'avoir sciemment, dans un intérêt égoïste, entraîné son pays à l'abîme, on est réduit à croire qu'ils nous estiment, — ou assez légers pour avoir perdu la mémoire en six mois ; — ou assez lâches pour avoir subi jadis, sans protester, le caprice impérial, pour vouloir aujourd'hui rejeter à tout prix sur un seul la part de cruelle responsabilité qui nous incombe.

Eh bien ! ils se trompent. Ils font injure au pays qu'ils gouvernent. Ce n'est pas par de tels moyens, Dieu merci ! qu'on gagne sa faveur.

Ah ! je le sais, ce mensonge s'est couvert d'abord d'un noble prétexte. Pour que la Prusse nous accordât la paix, il fallait lui prouver que l'Empereur avait fait la guerre malgré nous.

Vouloir dissimuler à M. de Bismarck ce qui s'était produit au grand jour, oublier que nos ennemis avaient des yeux pour nous lire et des espions pour nous entendre ; croire que cette puissance, sachant combien il y avait de cartouches ou de boulets dans chacun de nos arsenaux, combien de tuniques ou de képis dans chacun de nos magasins, ignorait ce qu'il y avait de rancune et de haine accumulées dans nos cœurs ; qu'elle ignorait même ce qui s'écrivait dans nos journaux, ce qui se disait à notre tribune, ce qui se chantait sur nos places publiques, c'était faire preuve assurément de quelque candeur. N'importe : on eût respecté cette illusion, si l'événement n'en avait pas démontré la vanité. Tout le monde se fût prêté à cette pieuse fiction ; nous, serviteurs de l'Empire, les premiers ; et, j'en suis sur, l'Empereur nous eût approuvé d'offrir son nom en holocauste et de livrer sa responsabilité pour dégager celle de la France.

Mais aujourd'hui ?

La Prusse a-t-elle tenu compte de ces déclarations ? S'est-elle arrêtée ? Non.

A quoi sert donc, désormais, ce mensonge quotidiennement reproduit, et, pourrais-je dire — s'il ne me répugnait d'employer un tel vocabulaire —, cette révoltante mauvaise foi ?

 

 

 



[1] On l'en accuse ouvertement dans les meetings, et à mots couverts dans les journaux. — Voir, par exemple, la Pall Mail Gazette du 17 décembre : Une résolution déclare que, cédant à des influences dynastiques, le gouvernement a pris des mesures pour clore le Parlement prématurément, afin d'étouffer l'expression de l'opinion publique.

Parlant des préparatifs faits pour la réception de M. Jules Favre, le correspondant de Londres du Journal de Genève, du 14 janvier, dit que cette manifestation a pour but non-seulement d'honorer notre ministre des affaires étrangères, mais encore de protester contre l'influence politique considérée en ce moment comme anti-anglaise, d'une personne placée plus haut encore que M. Gladstone.

[2] Programme du Centre droit.

[3] M. Thiers, dans le discours même qu'il prononça contre la guerre, déclara que la prétention de la Prusse était une offense à la dignité de la France, une entreprise contre ses intérêts. — S'il s'agissait d'obtenir l'abandon de cette candidature, ajoutait-il, je serais avec vous de toutes mes forces et il n'y aurait dans tout le pays, dans toutes l'Europe qu'une voix pour vous soutenir.

[4] Le Temps, 5 juillet : De toutes les conditions imaginables, ce serait la plus désagréable et la plus gênante pour le gouvernement français et la plus réellement inquiétante pour la situation européenne de la France... Si un prince prussien était placé sur le trône d'Espagne, ce n'est pas jusqu'à Henri IV seulement, c'est jusqu'à François Ier que nous nous trouverions ramenés en arrière. Qu'était-ce en effet que l'empire de Charles-Quint, si ce n'est l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne enlaçant la France et l'isolant ? Et qui ne sent que l'avènement d'un prince prussien équivaudrait à cet état de choses, avec cette différence plutôt désavantageuse que le principal poids de la puissance rivale se trouverait au Nord, du côté où notre frontière est le plus exposée, au lieu de se trouver au Midi ?Ch. du Bouzet.

Le Siècle, 6 juillet : La France, enlacée sur toutes ses frontières par la Prusse ou par les nations soumises à son influence, se trouverait réduite à un isolement pareil à celui qui motiva jadis les longues luttes de notre ancienne monarchie contre la maison d'Autriche. La situation serait à beaucoup d'égards plus grave qu'au lendemain des traités de 1815. — E. Tenot.

Le Rappel : Les Hohenzollern en sont venus à ce point d'audace, qu'ils osent méditer ce monstrueux projet de domination universelle qu'ont vainement rêvé Charles-Quint, Louis XIV et Napoléon. Il ne leur suffit plus d'avoir conquis l'Allemagne, ils aspirent à dominer l'Europe ! Ce sera pour notre époque une éternelle humiliation que ce projet ait été, nous ne dirons pas entrepris, mais seulement conçu. — F.-V. Hugo.

[5] L'idée d'élever au trône d'Espagne un prince de Hohenzollern n'était pas nouvelle. Déjà, au mois de mars 1869, elle avait été signalée par notre ambassadeur h Berlin, qui était aussitôt invité à faire savoir au comte de Bismarck comment le gouvernement de l'Empereur envisagerait une éventualité semblable. M. le comte Benedetti, dans plusieurs entretiens qu'il avait eus à ce sujet, soit avec le chancelier de la Confédération de l'Allemagne du Nord, soit avec le sous-secrétaire d'Etat chargé de la direction des affaires étrangères, n'avait pas laissé ignorer que nous ne pourrions admettre qu'un prince prussien vint à régner au-delà des Pyrénées.

Le comte de Bismarck, de son côté, avait déclaré que nous ne devions nullement nous préoccuper d'une combinaison que lui-même jugeait irréalisable, et en l'absence du chancelier fédéral, dans un moment où M. Benedetti avait cru devoir se montrer incrédule et pressant, M. de Thiele avait engagé sa parole d'honneur que le prince de Hohenzollern n'était pas et ne pouvait pas devenir un candidat sérieux à la couronne d'Espagne. (Circulaire du duc de Gramont, 21 juillet).

[6] On nous dit que le cabinet va résister au projet de M. Prim ? Comment résistera-t-il ? L'Angleterre l'approuve, la Prusse l'accepte, et il n'est pas impossible que l'Espagne, parce que nous n'en voulons pas, y souscrive ! Que feront alors nos ministres ? — La guerre à la Prusse ? Ce serait scandaleux. — A l'Espagne ? Ce serait insensé. — E. Dréolle.

[7] Deux exemples :

Quoi ! s'écriait M. About, adversaire déclaré du cabinet, on permettrait à la Prusse d'installer un Proconsul sur notre frontière d'Espagne ! Mais nous sommes 38 millions de prisonniers si la nouvelle n'est pas fausse ! Il faut absolument qu'elle soit fausse. Elle le sera si l'on veut, mais le gouvernement français est-il encore capable de vouloir ? Toute son énergie se bornera-t-elle à repousser la candidature du duc de Montpensier ? — (Le Soir, 6 juillet).

Et M. Pessard (qui n'est point le type du courtisan !) disait le même jour, dans le Gaulois : S'il a plu à l'Empire autoritaire d'accepter Sadowa et de se consoler de l'affaire du Luxembourg, la France, rendue en partie à elle-même, ne saurait supporter qu'on la brave et qu'on la provoque impunément... La guerre ! personne ne la hait plus que la France libérale, éprise de droit et de justice. Personne plus et mieux que la démocratie libérale ne sent quel danger une guerre heureuse peut faire courir à la liberté. Personne mieux que nous autres ne frémit à la pensée des maux qu'un échec pourrait attirer sur nous Mais s'il faut choisir une fois encore entre la patrie amoindrie, réduite, et la guerre, nous n'hésitons pas !... Nous espérons que le gouvernement français ne pourrait, sans trahison vis-à-vis de la France supporter un jour de plus les agissements prussiens. On pourrait pardonner au cabinet d'avoir manqué d ses promesses, ravivé nos colères, on ne lui pardonnerait pas de n'avoir pas su être français.

[8] M. Cochery est le héros du jour. On le presse, on le fête. On lui conseille de frapper ferme et fort II faut dire que la mesure est comble, Il n'y a que les patriotes de la gauche pour ne pas s'en apercevoir. Ces citoyens du monde, ces fanatiques de philanthropie internationale et de cosmopolitisme fraternel n'ont pas signé l'interpellation Cochery. Ils s'apprêtent à faire du sentiment et des discours. Le SOIR, — Échos de la Chambre.

[9] La Gazette de France qui lançait le 3 juillet, dans la presse, la nouvelle de la candidature Hohenzollern, ajoutait : Aussitôt l'acceptation donnée, le maréchal Prim fera un coup d'Etat pour proclamer roi ce prince prussien. Afin de brusquer ce dénouement, il est décidé à se passer de l'intervention des Cortes.

[10] Voir plus haut l'extrait de l'article de M. de Bouzet, en date du 5 juillet.

[11] Le Français s'étonne de voir un journal comme le Temps prendre aussi facilement son parti des procédés arrogants de la Prusse, et lui dit : Non ! ce n'est pas là de la grande politique. Il y avait autre chose à faire que de continuer à récriminer contre les termes d'une déclaration déjà vieille de plusieurs jours. Il fallait soutenir au contraire les réclamations de la France, tout en veillant à ce qu'elles fussent limitées.

[12] M. Georges Seigneur.

[13] La première dépêche adressée à M. Benedetti, à Ems, citée par M. de Talhouët, dans la séance du 15 juillet, contenait ces mots : Pour que cette dénonciation produise son effet, il est nécessaire que le roi de Prusse s'y associe et nous donne l'assurance qu'il n'autorisera pas de nouveau cette candidature.

[14] Je n'ai pas sous la main la collection du Monde, mais je crois pouvoir affirmer que son attitude fut de tous points conforme à celle de l'Univers.

[15] Ce fait, révélé tardivement, avait pourtant une importance considérable. Les témoignages les moins suspects l'attestent. Un correspondant du Temps lui écrivait de Bâle, à la date du 4 août, que les sentiments de la Suisse à notre égard s'étaient plusieurs fois modifiés pendant le cours des événements : Quand la candidature de Hohenzollern a été posée, dit-il on a été assez généralement d'avis que la France ne pouvait tolérer cette nouvelle audace de M. de Bismarck. Quand ensuite la France a demandé des garanties, on a pensé qu'elle élevait des prétentions excessives.

Quand on a lu plus tard la lettre de M. Benedetti, datée de 1869, dans laquelle il était question déjà de cette candidature et de la parole d'honneur de M. de Thile, on a estime que la France avait des motifs pour demander des garanties.

[16] C'est à ce moment qu'eut lieu la conversation entre deux Anglais et l'Empereur qu'à rapportée le Daily Telegraph, et dans laquelle Napoléon III disait que son gouvernement avait voulu maintenir la paix, mais que la France lui avait glissé des mains.

[17] Voir les dépêches publiées par le Foreign-Office, n° 41 et 49.

[18] Le baron de Verdière est depuis près de vingt ans l'aide de camp du général Fleury.

[19] Croirait-on que la passion nous inspire ces reproches ? Un juge désintéressé, cent fois plus sévère que nous-même, plus sévère que la vérité, la Gazetta d'Italia, dont tout le monde tonnait le caractère, disait récemment : Le gouvernement actuel a prétendu que la capitulation de Metz et celle de Sedan étaient criminelles. Pour notre part, nous connaissons quelque chose de plus criminel encore : c'est l'étrange indifférence avec laquelle, du 2 août au 4 septembre, les républicains assistèrent au massacre de tant d'hommes qui, pour eux, n'étaient pas des soldats de la nation française, parce qu'ils combattaient sous les aigles impériales. Que parlons-nous d'indifférence ? Jusqu'à la catastrophe de Sedan, les républicains de Paris attendaient avec anxiété les nouvelles du théâtre de la guerre, tremblant d'apprendre quelque grande victoire de l'Empereur, alors que toutes leurs espérances reposaient sur sa défaite, et avec raison, comme ne l'a que trop prouvé l'événement.

[20] Veut-on que les choses se passent au gré des batailleurs des Tuileries ? Les Prussiens sont battus, le chassepot l'emporte et les angoisses patriotiques de M. Rouher n'ont plus de raison d'être. Savez-vous ce qui arrivera ? Enivré de son triomphe, le gouvernement personnel redeviendra plus exigeant que jamais, et la liberté, à peine entrevue dans un lointain douteux, sera pour dix ans peut-être refoulée dans les limbes dont il ne faudra pas moins qu'un miracle pour la faire sortir. (Réveil, 14 juillet). — Ch. Delescluze.

Si l'armée française est victorieuse, nous sommes dans la main de Napoléon III, — si elle était vaincue, nous serions. — et ce serait assez humiliant, — dans les mains du roi Guillaume. — (Rappel, 13 juillet).

La France n'a rien à gagner à la guerre, la liberté a tout à y perdre. (Temps).

Heureusement, quelles que soient les fautes commises par nos gouvernants, la France possède une armée admirable de bravoure et de discipline. Elle a prouvé sa supériorité en trop de circonstances pour que l'on n'ait pas dans l'issue de la campagne la plus grande confiance. Nous ne sommes préoccupés que de l'usage qu'entend faire le gouvernement de nos victoires ! (Gazette de France, 17 juillet. — G. Janicot).

J'entends l'objection : si le gouvernement français est vainqueur, il appesantira nos chaînes. Beaucoup de gens sensés le craignent et n'ont pas d'autre raison de redouter la guerre.

Et moi, je vous dis au contraire : la guerre, c'est la délivrance. (Paris-Journal. — A. Assollant).

[21] Surtout celle des débats, des polémiques de 1866 et 1867, qui faisaient dire à M. Guéroult : Il ne faut jamais mal juger de son prochain ; cependant si l'on pouvait croire au mois d'août dernier que le parti de la guerre avait envie de pousser le gouvernement à faire quoique sottise, serait-il déraisonnable de supposer aujourd'hui que les belliqueux du mois d'août ne sont devenus pacifiques qu'afin d'empêcher le gouvernement d'entreprendre une guerre juste, nationale, opportune, et dans laquelle toutes les chances de succès seraient de son côté ? De tous les maux que la guerre peut produire, un succès du gouvernement ne serait-il pas celui qu'on redouterait le plus ? Le désir de lui voir faire ou de lui faire faire des fautes, la crainte de le voir réussir, ne serait-ce pas là le secret de tant d'évolutions, l'unité mystérieuse d'une conduite en apparence si variable, si contradictoire ? (L'Opinion Nationale, 30 avril 1867).

[22] M de Vernier a déclaré, dans une dépêche, que M. de Gramont ayant insinué que le prince s'était sans doute désisté à la demande du roi, il s'était empressé de protester, et qu'il avait été blâmé par son gouvernement pour avoir laissé énoncer tout au long cette impertinente hypothèse.

[23] Parmi les nombreux journaux qui, sans désirer la guerre, trouvaient l'occasion très-banne pour nous. très-défavorable à la Prusse, se trouvait précisément le Journal de Paris, c'est-à-dire celui où la personne et les idées de M. Thiers avaient toujours trouvé le plus fidèle appui.

Les journaux furent généralement pour l'illustre orateur aussi sévères que la Chambre ; deux exemples seulement :

Ce qui n'a pas de nom, c'est la conduite de M. Thiers, de ce même M. Thiers qui souffle le vent depuis quatre années et s'étonne aujourd'hui de récolter la tempête ; de ce même M. Thiers qui a tant crié contre Sadowa, et qui se fâche aujourd'hui d'un effort national qui a pour but de le réparer ; de ce même M, Thiers qui s'indigne parce qu'on fait en ce moment ce qu'il a toujours conseillé de faire. (Le Soir.)

Comment ! M. Thiers nui nous disait, il n'y a pas huit jours : M. de Bismark est pacifique, M. de Bismark n'entreprend rien contre nous ; M Thiers, avec l'orgueil qui ne l'a jamais abandonné, M. Thiers ne veut pas convenir que son infaillibilité s'est démentie. (L'Opinion Nationale).

[24] Voici comment l'attitude des membres de l'opposition était appréciée le lendemain, par des journaux qui leur étalent ordinairement sympathiques :

La gauche hier, il faut bien le dire, quelque regret que j'en aie, la gauche s'est oubliée. Avant le sentiment national, avant la prudence qui lui commandait de ne point affaiblir l'élan français ; avant le sentiment de patriotique réserve qui s'imposait à tous, elle a fait passer ses rancunes, ses appréhensions. Les paroles qu'a prononcées M. Arago pèseront certainement un jour sur lui et sur ceux qui les ont approuvées. Quant à M. Thiers, mieux eût valu pour sa mémoire que sa carrière se fût terminée avant cette journée.

Comment ! c'est par les petits côtés, c'est par les questions d'étiquette et de procédure que la gauche a vu cette discussion Ce qu'elle a voulu établir, ce dont elle a cherché la preuve méticuleuse, c'est le plus ou moins de courtoisie du refus éprouvé par notre ambassadeur ! Ce qu'elle voulait peser, ce n'étaient pas les grandes raisons d'honneur et de sécurité pour le days, c'étaient les termes d'une dépêche. Selon que le roi de Prusse ou M. de Bismarck aurait éconduit ou refusé de voir notre ambassadeur, la guerre sera ou ne sera pas nationale !....

Certes, de cette double séance il restera chez tous ceux qui y ont assisté un souvenir profond et une certaine tristesse ; mais aussi tous ceux qui, de bonne foi, consulteront leur souvenir, y trouveront la justification sérieuse et complète des actes de la France. (L'Opinion Nationale).

Dix hommes qui prétendent personnifier la France libérale, dix députés choisis par des électeurs français pour défendre les intérêts de la patrie, n'ont pas craint au lendemain d'une insulte flagrante, en face d'une guerre fatale, à la veille d'une action décisive pour l'honneur français, de refuser péremptoirement les subsides qui doivent aider nos soldats à venger l'affront que nous avons reçu.

Que leurs noms soient connus !

Ce sont MM. Arago, Desseaux, Esquiros, Jules Favre. Gagneur, Garnier-Pagès, Glais-Bizoin, Grévy, Ordinaire, Pelletan.

En agissant ainsi, ils n'ont pis servi la cause démocratique, ils l'ont trahie.

Ils n'ont point adopté les traditions de leur parti, ils les ont répudiées. Ils n'ont point écouté leur conscience, mais leur orgueil. (Le Soir.)

Dans la Liberté, un article intitulé : le Patriotisme de la gauche taxait de faute grave la conduite de l'opposition et se terminait ainsi :

Nous ne doutons pas que tous les vrais amis de la liberté y mettront les mains.

Quant aux autres, il nous a malheureusement été donné d'entendre des paroles qui nous éclairent et nous prouvent que nous avons eu raison de tenir certains esprits pour les pires ennemis de la liberté.

[25] Une communication du cabinet de Berlin dit en effet. en parlant du télégramme dont l'existence était si vivement contestée par la gauche, réduite à cette seule ressource : Ce télégramme a été communiqué pour gouverne, textuellement tel que les journaux le reproduisaient, aux gouvernements de l'Allemagne du Nord auprès de quelques cours de l'étranger comme nouvelle sur la nature des réclamations de la France et sur la ferme résolution du roi de ne pas les prendre en considération.

Quinze jours plus tard, après un mûr examen, éclairé par de nouveaux documents, un écrivain dont personne ne contestera la sincérité, la raison ni l'impartialité, M. Ch. de Mazade résumait l'incident en quelques lignes qui lui assignaient son vrai caractère.

La Prusse est et doit rester la provocatrice évidente par la manière même dont elle a engagé cet incident qui a provoqué l'explosion, comme par sa politique tout entière, par l'inexorable logique de la situation qu'elle s'est faite... Le roi entend n'être pour rien dans tout cela, il n'a pas réclamé la renonciation du prince de Hohenzollern ; il n'a rien à sanctionner, et c'est si bien le terrain sur lequel on voulait se maintenir que lorsque M. de Gramont, dans une intention évidemment conciliante, insinue à M. de Verther que le prince avait renoncé h sa candidature sur la demande du roi, l'ambassadeur se hâte de rectifier et d'assurer que son souverain n'a rien demandé. M de Verther rapporte lui-même ce fait dans une dépêche où il rend compte de cette conversation qu'il a été blâmé d'avoir accepté...

Si l'acte de renonciation avait eu lieu effectivement par l'intervention du roi, t'eût été un acheminement vers la paix. M. de Gramont le déclarait sans hésitation à lord Lyons, en l'autorisant à transmettre sa déclaration au gouvernement anglais. LA VÉRITÉ EST QUE LE ROI GUILLAUME N'ACCORDAIT RIEN ET NE VOULAIT RIEN ACCORDER, entendait garder sa liberté pour en user selon les circonstances, comme il le disait, et ce n'est pas seulement à la France qu'il refusait toute concession, il résistait aux suggestions de l'Angleterre aussi bien qu'a celles de la Russie. La Prusse s'est trompée, elle n'avait pas prévu cette explosion soudaine et irrésistible de la France... Ce qui est certain, c'est que la France n'a fait que se défendre et relever un défi. C'était une offensante témérité de plus dans une situation qui, par elle-même, était une provocation permanente... Et maintenant qu'elle aille combattre cette armée gardienne des destinées de la France qu'un mouvement irrésistible a emporté de toutes les parties du pays vers le Rhin. (Revue des Deux-Mondes, 1er août 1870).

[26] La foule attend le passage des voitures et les acclame. Ces pauvres sénateurs ne sont pas habitués a pareille tète. L'émotion est considérable dans le quartier latin, dit un rédacteur du Français qui a vu ce dont il parle. — D'autre part, on lit dans le Gaulois :

Depuis cinq heures, le quartier est agité. On se promène, on s'interroge. Quelques étudiants reviennent du Corps législatif, d'autres du Sénat.

Six heures. — La guerre est déclarée. — Vive la guerre ! On assiège les kiosques, on s'arrache les journaux. les cafés s'emplissent, des groupes se forment. — Vive la France !

Sept heures, huit heures — Les groupes s'épaississent, les journaux (2e édition) arrivent. Toutes les nouvelles sont accueillies avec des cris, commentées, discutées.

Les étudiants sont décidément pour la guerre.

[27] Officiers, etc. Insatiable dans son ambition comme sans scrupules dans ses moyens de succès la Prusse avait osé concevoir et préparer dans l'ombre des projets dont l'accomplissement porterait une irréparable atteinte à l'honneur, aux intérêts et à la grandeur de notre pays. La France tout entière a ressenti l'injure... Heureux et glorieux jour que celui où nous tirerons le premier coup de canon contre l'ennemi, aux cris de :

VIVE LA FRANCE ! VIVE L'EMPEREUR ?

Le vice-amiral commandant en chef l'escadre d'évolution,

FOURICHON.

On a remarqué le ? qui suit le cri de vive l'Empereur. Je ne sais s'il figurait au Journal officiel, mais il figure dans le numéro du Temps où j'ai pris cette proclamation. Le hasard est quelquefois spirituel.

[28] Il est vrai que la majorité du Corps législatif a acclamé les déclarations belliqueuses de M. de Gramont... mais cette majorité, issue du pouvoir personnel, se croyait obligé de les suivre docilement... (Circulaire de M. Jules Favre). Je demande si c'est la Chambre qui, depuis le 13 juillet, a suivi le ministère, ou le ministère qui a suivi la Chambre. Celle-ci lui témoignait sa docilité... en voulant le renverser !

[29] L'article du Journal des Débats se termine par ces mots : sans compter que 83 députés avaient voté contre la guerre.

[30] N'ont-ils pas voté contre la guerre d'Italie ? M. Guéroult n'a-t-il pas dit d'eux que ce qu'ils redoutent le plus, c'est un succès du gouvernement.

[31] Le Soir.

[32] Circulaire de M. Jules Favre, 17 septembre.