HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION DE 1848

TOME QUATRIÈME

 

PIÈCES JUSTIFICATIVES DU QUATRIÈME VOLUME.

 

 

RAPPORT DE M. MARRAST

SUR LE PROJET DE CONSTITUTION PRÉSENTÉ PAR LA COMMISSION, APRÈS AVOIR ENTENDU LES REPRÉSENTANTS DÉLÉGUÉS DES BUREAUX.

 

Citoyens représentants, les discussions prolongées et approfondies qu'à suscitées dans vos bureaux notre projet de constitution, dispense le rapporteur de tous les détails qui auraient été nécessaires, peut-être, pour que votre pensée pût suivre la nôtre dans l'ensemble et dans les différentes parties de ce projet.

Nous pouvons nous borner aujourd'hui à mettre en relief les traits principaux qui en forment le caractère, fixer de nouveau votre attention sur quelques questions fondamentales qui ont été déjà l'objet de vos débats, et vous faire connaître les motifs pour lesquels la commission, examinant de nouveau ces questions, a persisté dans l'opinion qu'elle avait primitivement adoptée.

Ce n'est pas en un jour, citoyens représentants, que les nations se décident à ces changements qui modifient profondément leur condition.

La France a été préparée, par les soixante années qui fuient devant nous, à la forme de gouvernement qu'elle s'est enfin donnée.

Que votre pensée embrasse d'un seul regard ce long drame dont la dernière scène nous touche. Quelles vicissitudes, quelles épreuves, quelles expériences nous ont manqué !

Après l'effort prodigieux qui brisa l'ancienne société, la France a tout essayé, tout subi. Les cruelles douleurs de la guerre civile, les brillantes déceptions de la gloire, les amertumes de la défaite, la monarchie absolue du génie, la monarchie tempérée et sans génie, et la légitimité, et l'illégitimité, les pouvoirs fondés sur des traditions et les pouvoirs fondés sur les intérêts... Tout s'est usé, épuisé, jusqu'à ce qu'à ces souverainetés usurpées, compressives ou défaillantes, le peuple en ait substitué une qui ne saurait ni s'épuiser, ni périr : la sienne, celle de tous ses enfants appelés au même titre à prendre une part égale aux choix des hommes qui doivent diriger ou gouverner.

L'immuable enchaînement des faits nous a donc conduits et nous attache à la république.

Mais les faits ne s'enchaînent point au gré du hasard ; le sillon qu'ils tracent, en se succédant, atteste l'action d'une logique supérieure à d'aveugles caprices. Les faits, à mesure qu'ils tombent de la main du temps, semblent souvent, il est vrai, heurter le bon sens, la justice, et réduire l'histoire au jeu de la force ou au désordre de la folie. Quand on les examine, cependant, dès qu'un but est atteint, on les voit en quelque sorte s'aligner à travers l'espace que les générations ont parcouru, et ils apparaissent alors comme l'éclatant témoignage de la loi invisible qui régit les sociétés.

Cette loi de progrès, qu'on a longtemps niée, a sa racine dans la nature même de notre espèce. Oui, toute société est progressive, parce que tout individu est éducable, perfectible : on peut mesurer, limiter peut-être les facultés d'un individu ; on ne saurait limiter, mesurer ce que peuvent, dans l'ordre des idées, les intelligences, dont les produits ne s'ajoutent pas seulement, mais se fécondent et se multiplient dans une progression indéfinie.

En vertu de cette loi, les peuples augmentant sans cesse leur industrie et leurs lumières, accroissent dans la même proportion leurs besoins matériels et leurs besoins moraux. Ces besoins s'étendent, pénètrent dans toutes les couches du sol, et lorsque les institutions les compriment ou les refoulent, il vient un jour, une heure, où le progrès débordant de toute part, emporte les résistances, et se fait jour par de terribles déchirements.

C'est ce qu'on nomme les révolutions. Emanées de la volonté nationale, elles ne sont pas autre chose que l'expression et la victoire d'un progrès accompli.

Mais les peuples seraient-ils condamnés à ces secousses violentes et périodiques ? Non.

Le moyen de les éviter, c'est, à notre avis, d'organiser les institutions de manière que toute idée juste, toute application utile puisse s'y encadrer sans effort, que le mouvement des esprits et des faits se régularise en s'appliquant ; que toute amélioration puisse passer de la conviction d'un seul dans l'opinion du plus grand nombre, et de l'opinion dans les lois, sans autre trouble que l'agitation causée dans l'atmosphère politique par le mouvement et la calme chaleur de la lumière.

Que faut-il pour cela ? Adopter une forme de gouvernement flexible, pénétrable aux intérêts comme aux idées, où le sentiment public trouve toujours son expression sincère, et dont la morale soit rebelle à l'ambition ou à la violence des minorités.

Voilà ce que réalise le gouvernement républicain à l'aide du suffrage universel et direct, qui est son principal instrument. Avec le suffrage universel, tout peut être défectueux, mais tout est temporaire et corrigible. Nulle exclusion, ni pour aucun homme, ni pour aucune doctrine ; hommes et doctrines ont un seul juge, la majorité nationale. Contre ses erreurs possibles, la minorité convaincue et tranquille a pour elle la liberté de la parole, de la presse, de l'association, et le temps, cet auxiliaire infaillible de la vérité.

Quant aux minorités turbulentes ou rétrogrades, elles ne peuvent attendre que l'énergique répression de la loi, et d'une loi d'autant plus sévère que le droit de chacun étant garanti, l'insurrection devient le plus grand des crimes.

Le suffrage universel, organe souple et fidèle de la volonté du peuple, apporte donc à la société un double élément d'ordre, et il donne au pouvoir la force toute-puissante qui accompagne une incontestable souveraineté.

En deçà du suffrage universel, il n'y a que l'usurpation, l'oligarchie, la négation du droit, un retour sanglant vers le passé, une cause incessante de révolutions... Au delà... Eh ! que peut-il y avoir au delà, sinon le chaos dans l'abîme ?

En deux mots, la France est une démocratie, le gouvernement de la France doit être une république.

La constitution que nous avons à vous présenter doit donc être à la fois républicaine et démocratique ; c'est-à-dire qu'elle doit armer la démocratie des moyens de se régulariser, de se mouvoir, de se modifier pacifiquement.

Telle est la pensée fondamentale qui a dirigé votre commission. Tel est le but qu'elle a tâché d'atteindre dans le projet qui vous est soumis.

Ce projet, citoyens représentants, n'a la prétention de rien inventer.

Les révolutions ne consacrent que des idées faites ; les constitutions écrivent ce qui est consacré par les révolutions dont elles sortent.

Une constitution, c'est le frein des majorités, la garantie des individus, la règle des pouvoirs et comme l'axe de la sphère où se meut l'activité nationale.

Nous devions donc nous demander d'abord si cette activité aun but.

Et qui oserait soutenir aujourd'hui que le trente-six millions d'êtres qui composent le peuple français forment seulement des groupes d'intérêts exclusivement occupés de leur petit bonheur ? Qui oserait dire qu'il n'y a pas dans ce peuple des mœurs, des sentiments, des idées communes à tous, se révélant ici par les instincts, là par la raison étendue et cultivée Il faudrait nier tout le passé et insulter l'histoire pour ne pas reconnaître qu'au-dessus de ces âmes isolées s'élève l'âme de la patrie ; au-dessus des caractères individuels, le caractère national ;' au-dessus de tous les talents, de toutes les forces, de tous les génies, la force, le talent, le génie de la France !

Nous ne nous arrêterons pas à démontrer que la France a rempli dans le monde moderne une fonction d'initiative et de dévouement dont elle ne s'est jamais départie. Cette fonction, elle l'exerce dans sa vie intérieure comme dans sa vie de relation. Son travail constant sur elle-même, c'est l'affranchissement successif de tous ses enfants ; son travail au-dessus, c'est de répandre les idées qui relèvent elle-même. Ce qui la distingue, c'est de faire profiter autrui de ses propres conquêtes : l'égoïsme lui est antipathique ; elle n'a jamais acquis que pour dépenser.

Changeant d'agents et de moyens suivant le temps, elle cherche toujours à se communiquer, à s'épandre : tantôt par l'épée quand la victoire ouvre les grands canaux de la civilisation, tantôt par les révolutions quand elles proclament ces principes moraux qui unissent les peuples, tantôt par le rayonnement pacifique de son intelligence ; elle a sans cesse le même moteur dans la même carrière, et te ! est son besoin de sociabilité, qu'elle semble ne pouvoir se reposer qu'au sein de cette association universelle des nations, liées entre elles par le respect naturel de leur droit et de leur devoir. Aussi, quand un pouvoir malfaisant lui enlève l'air et l'espace, vous pouvez lire dans ses regards attristés tout ce qu'elle souffre, jusqu'à ce que son génie retrouve sa voie et y déploie ses ailes avec plus d'élan et de vigueur.

Cet idéal, que nous trouvons réalisé dans notre histoire, nous n'avons plus besoin d'en chercher la formule. Nos pères nous l'ont transmise, et la république l'a proclamée. Notre projet de constitution place donc à son frontispice ces mots de Liberté, Égalité, Fraternité, comme le dogme fondamental de la politique.

Dans le premier projet, nous avions essayé de définir la liberté et l'égalité ; le texte nouveau ne les définit point, mais il consacre toutes les institutions qui les garantissent. Nous avons emprunté aux anciennes constitutions, nous y avons ajouté tout ce que nous apprenait l'expérience contemporaine pour protéger l'individu dans sa vie, dans sa liberté, dans sa propriété, dans son domicile, dans son droit d'écrire, de parler, de publier, de s'associer, de pratiquer son culte suivant sa foi. Ce sont là des droits inhérents à la nature même. Toutes les conventions sociales les supposent. Antérieurs et supérieurs à ces conventions, ils servent à les juger ; car, sans l'exercice libre de ces facultés, l'individu n'est plus un être moral et responsable ; il ne figure plus dans une société que comme un nombre, une force inerte privée tout à la fois de spontanéité et de stimulant.

Toutefois, la liberté ne saurait être livrée elle-même sans règle et sans discipline. La liberté de chacun finit où commence la liberté d'autrui : c'est là sa première borne, et de là naît l'égalité. Réduite à ce premier germe, limitée à ce simple fait d'empêcher la liberté de nuire, l'égalité ne serait qu'une négation utile peut-être à l'ordre matériel, stérile pour l'amélioration de la société. C'est ainsi qu'elle a été envisagée jusqu'à présent. La loi primordiale garantissait à chacun sa liberté, et l'égalité s'arrêtait là ; c'est-à-dire qu'on la détruisait en la proclamant. Car enfin, qu'est-ce que la liberté du faible à côté de celle du fort, de l'ignorant et de l'homme instruit ? Une lutte où le premier succombe à coup sûr.

Est-ce à dire que nous voulons courber sous un niveau impossible toutes les intelligences, enrégimenter les volontés, nier la diversité des aptitudes, détruire les influences naturelles des dons supérieurs, des vocations élevées, des possessions légitimes ?

Non, nous ne méconnaissons pas à ce point les exigences du bon sens et de la raison. L'égalité que nous voudrions établir dans les rapports sociaux, c'est celle que la fraternité commande et explique.

La loi chrétienne avait dit depuis longtemps : Les hommes sont égaux, les hommes sont frères. Quand la loi politique, à son tour, a proclamé- ces deux maximes, ce n'était pas pour étaler de beaux sentiments, mais pour créer de sérieux devoirs. Ces devoirs obligent les citoyens envers la société, la société envers les citoyens ; tout homme se doit aux autres, et les pouvoirs représentant l'ensemble social se doivent à tous. Entre l'Etat, la famille, l'individu, s'établissent ainsi les liens d'une solidarité, religieuse dans son principe, politique dans son action.

La fraternité servant d'origine aux institutions, inspirant les lois de son souffle, animant l'Etat tout entier de son esprit : voilà, selon nous, l'heureuse et féconde nouveauté de notre république et de notre âge.

La fraternité, entrant dans les croyances et dans les mœurs, arrête au seuil de l'injustice la liberté, qui est de sa nature accapareuse, usurpatrice ; la fraternité, dans les rapports des citoyens entre eux, assure à tout être portant le titre d'homme respect de ses droits, de son unité, et satisfaction de ses premiers besoins ; la fraternité, placée au sommet de l'État, y apporte cette sollicitude vigilante pour les faibles, inquiète pour ceux qui souffrent, active pour ceux que les calamités privent de leur travail, bienfaisante pour les délaissés, soucieuse des malheureux ; sollicitude dont le regard embrasse l'existence sociale tout entière, et dont la fonction se résume en ces trois mots : voir, prévoir et pouvoir.

Encore une fois, citoyens représentants, nous ne sommes pas ici dans les régions du sentiment, mais dans le domaine de la vraie et saine politique, celle qui se préoccupe avant tout, par-dessus tout, de veiller sur la société, d'en étudier les besoins, d'en connaître les douleurs, de travailler autant qu'elle peut à les prévenir ou à les calmer, car on ne saurait ni les empêcher ni les guérir toutes.

C'est encore ici ce qui distingue l'action républicaine des autres : tout n'est pas fini pour elle quand elle a garanti à chaque citoyen son droit de participera la vie publique, quand elle a donné à chaque intérêt la faculté de déléguer ses représentants. Le dogme qu'elle professe lui impose encore de plus hauts devoirs.

Qu'on me permette à ce sujet, de bien expliquer notre pensée pour qu'elle ne laisse aucun doute.

Nous sommes convaincus et nous affirmons qu'une société est mal ordonnée, lorsque des milliers d'hommes honnêtes, valides, laborieux, n'ayant d'autre propriété que leurs bras, d'autres moyens d'existence que le salaire, se voient condamnés sans ressources aux horreurs de la faim, aux angoisses dû désespoir ou à l'humiliation de l'aumône, frappés par des circonstances supérieures à leur volonté qui viennent les chasser du toit où le salaire les faisait vivre.

Nous disons que, lorsqu'un citoyen dont le travail est la vie offre à travailler pour se nourrir, pour nourrir une femme, des enfants, un vieux père, une famille, si la société impassible détourne les yeux, si elle répond : Je n'ai que faire de votre travail ; cherchez et mourez, mourez, vous et les vôtres ; cette société est sans entrailles, sans vertu, sans moralité, sans sécurité ; elle outrage la justice, elle révolte l'humanité, elle agit en heurtant tous les principes que la république proclame.

C'est au nom de ces principes que nous avions écrit dans la constitution le droit de vivre par le travail, le droit au travail.

Cette formule a paru équivoque et périlleuse. On a craint qu'elle ne fût une prime à la fainéantise et à la débauche ; on a craint que des légions de travailleurs, donnant à ce droit une portée qu'il n'avait pas, ne s'en armassent comme d'une devise d'insurrection. A ces objections importantes s'en ajoute une autre plus considérable. Si l'Etat s'engage à fournir du travail à tous ceux qui en manquent par une cause ou par une autre, il devra donc donner à chacun le genre de travail auquel il est propre, l'Etat deviendra donc fabricant, marchand, grand ou petit producteur. Chargé de tous les besoins, il faudra qu'il ait le monopole de toute industrie.

Telles sont les énormités qu'on a vues dans notre formule du droit au travail ; et puisqu'elle pouvait prêter à des interprétations si contraires à notre pensée, nous avons voulu rendre cette pensée plus claire et plus nette, en remplaçant le droit de l'individu par le droit imposé à la société.

La forme est changée, le fond reste le même.

Non, nous n'avons jamais voulu que la constitution pût encourager l'ouvrier paresseux ou immoral à déserter l'atelier pour demander à l'Etat un travail plus facile ; nous n'avons jamais voulu que l'Etat pût faire une concurrence meurtrière aux industries privées. Nous nous serions reproché comme un crime d'avoir l'air même de tendre la main à ces doctrines sauvages dont le premier mot est la destruction de la liberté, le dernier la ruine de tout ordre-social.

Mais quoi ! n'y a-t-il pas une voie ferme et sûre entre les cruautés de l'égoïsme et les abîmes de la démence ? La société ne peut-elle rien tenter, rien organiser, pour élever les populations laborieuses dans l'échelle de l'instruction, de la moralité, du bien-être, sous peine de se jeter dans tous les hasards du désordre ?

Vous ne le penserez pas plus que nous, citoyens représentants, et nous en attestons ce que vous avez déjà fait dans l'intérêt de ceux qui travaillent. Nous croyons avoir exprimé vos sentiments quand nous avons écrit dans la loi fondamentale l'obligation imposée aux pouvoirs publics de développer le travail par l'instruction primaire gratuite, par l'éducation professionnelle, par l'égalité de rapport entre le patron et l'ouvrier, par les institutions de prévoyance et de crédit, par l'encouragement donné aux associations volontaires et libres, par la création enfin de ces grands travaux où les bras inoccupés peuvent trouver un emploi.

C'est ainsi que nous avons défini, précisé la portée des obligations imposées aux pouvoirs nouveaux, et la portée du droit qu'ils créent aux citoyens.

S'il y aurait péril à l'étendre, il y aurait péril à le restreindre. La république, en effet, ne doit pas borner son action à protéger la liberté, la propriété, la famille, ces premiers biens, biens impérissables de l'humanité ; elle ne doit pas se borner à dire : J'ai des lois contre les pervers, contre les malfaiteurs j'ai des gendarmes, et contre les factieux j'ai du canon.

Sa loi lui assigne une mission plus large et plus élevée. Elle est la tutrice active et bienfaisante de tous ses enfants ; elle ne les laisse pas croupir dans l'ignorance, se pervertir dans la misère ; elle ne demeure pas indifférente devant ces crises de l'industrie qui jettent des armées de salariés sur les places publiques avec l'envie au cœur, le ressentiment et le blasphème à la bouche ; implacable contre la révolte, elle est compatissante, humaine, prévoyante pour le malheur ; elle recommande, elle honore le travail, elle l'aide par ses lois, elle en garantit la liberté ; mais lorsqu'un chômage forcé vient paralyser ce travail, elle ne ferme par son cœur, elle ne se contente pas de gémir en répétant Fatalité ! elle fait appel au contraire à toutes ses ressources en s'écriant Fraternité !

Mais ces ressources, nous dira-t-on, où les prendre ?

Citoyens représentants, nous savons bien qu'on ne les improvise pas, et la république succédant à la monarchie se trouve aujourd'hui dans cette dure condition de ne pouvoir donner un effet immédiat à ses principes et à ses idées. Elle ressemble à un corps qui aurait des sentiments, des facultés et pas d'organes. Son devoir sera précisément de les créer.

Des ressources ! manquent-elles dans ce vaste territoire dont le cinquième est encore sans culture ? manquent-elles avec une population aussi active, aussi industrielle ? manquent-elles à un Etat qui a tant de terres à défricher, tant de cours d'eau à fertiliser, tant de routes, de canaux, de rivières, tant d'édifices, de monuments et tant de montagnes à reboiser, et tout un système d'irrigation à établir ? manquent-elles lorsque l'agriculture réclame les bras que l'industrie lui enlève, quand les forces, les agents du travail sont si mal équilibrés, que nos campagnes meurent d'étisie et nos villes de pléthore ?

Non, ce ne sont pas les ressources qui manquent ; ce qui a manqué c'est la volonté, c'est le dévouement, c'est le désir sincère, ardent, de tourner au profit de tous ces moyens productifs dont l'Etat dispose ce qui a manqué, c'est l'œil qui voit les plaies de la société ; c'est la main qui les sonde, c'est la pensée qui doit être sans cesse préoccupée.

La république aura cette œuvre capitale à réaliser, non pas en un jour, mais à l'aide de constants efforts.

Fondée par le droit, légitimée comme l'expression complète de la souveraineté du peuple, elle puise dans cette origine sa tendance et sa direction. Nous avons voulu que la constitution indiquât dans quel esprit et dans quel but d'amélioration progressive la république marquerait son action sur la société ; comment elle devait substituer à l'égoïsme la fraternité, à un petit nombre d'intérêts protégés la protection de tous les intérêts, sans exception et sans privilège ; comment elle devait diriger le mouvement des esprits, assurer l'ordre, régulariser le progrès, suivre l'étoile polaire qui luit aujourd'hui au firmament de toute l'Europe, et qui imprègne sa boussole d'un nouvel aimant.

Pour que la démocratie réalise ses vœux, ses aspirations, nous avons dû re-. chercher les moyens de donner à sa volonté des agents qui l'expriment, qui la protègent et qui l'appliquent. C'est ce que nous avons essayé de faire en organisant les pouvoirs publics.

Citoyens représentants, vous connaissez cette organisation ; vous l'avez discutée, approuvée dans les données premières et dans ses principales applications. Votre conviction est faite, le sentiment public s'est prononcé. Il nous est donc permis de traiter rapidement des questions longtemps débattues, car il ne nous a jamais paru fort utile de plaider des causés gagnées.

Tous les pouvoirs émanent du peuple, c'est-à-dire de cette collection de citoyens virils dont la totalité est seule souveraine.

Cette souveraineté est une : elle s'exprime par le suffrage universel et direct pour le choix des hommes qui la représentent. La majorité de ceux-ci personnifie donc la volonté nationale ; la loi émanée de leur vote est l'expression de cette volonté.

Or, pour une personne sociale comme pour un être individuel, la volonté est essentiellement libre ; elle se détermine par des besoins mobiles, variables, incessamment modifiés par un double instinct, dont le peuple ne se dépouille pas plus qu'un homme, l'instinct de conversation, qui fait le fond de la vie ; l'instinct de perfectionnement, qui lui donne l'activité, l'impulsion, le désir du bien-être, le mouvement ascendant, la moralité, le progrès. Livrée au mouvement de ses désirs et de ses passions, la société se briserait bientôt comme une machine détraquée ; immobilisée, matérialisée, pétrifiée, condamnée à vivre de la vie du polype, elle s'arracherait bientôt sanglante du roc où l'on essaierait de l'incruster.

Cette double fraction de l'existence est aujourd'hui reconnue de tout le monde ; elle implique une conséquence invincible, c'est que la nation doit être consultée à des termes courts et réguliers ; par conséquent, elle ne saurait avoir de pouvoir héréditaire. Souveraineté du peuple, hérédité de pouvoir politique, deux choses qui se heurtent comme deux incompatibilités ; si la première est vraie, l'autre est fausse ; si la première a conquis l'opinion intelligente de toutes les nations, l'autre est frappée de mort, et la durée en est tout simplement impossible.

Notre constitution, jalouse de mettre le pouvoir en harmonie avec les mouvements de la volonté nationale, les renouvelle donc à des époques assez rapprochées pour que ces pouvoirs guident, poussent ou modèrent la société dans la courant de faits et d'idées qui l'entraîne.

Nous n'entrons à ce sujet dans aucun détail, notre projet suffit à l'expliquer.

Une seule question a fourni le texte d'objections plus importantes par l'esprit et la renommée de ceux qui les font, que par la puissance réelle des arguments qu'ils emploient. Nous voulons parler de l'assemblée unique à laquelle est remis le pouvoir législatif.

S'il y a au monde un fait reconnu, avéré, c'est l'homogénéité du peuple français. S'il y a une tendance constatée dans l'histoire, un résultat obtenu, c'est l'unité de la nation. Cette unité est partout dans une administration concentrée, dans la prépondérance de la capitale, dans les lois, dans la justice ; elle a pénétré même dans ce qu'il y a de plus personnel, de plus intime, dans les travaux de la science et des arts. Cette unité est notre force : la monarchie dans le passé ne s'est rendue utile qu'en la servant.

La souveraineté est une, la nation est une, la volonté nationale est une. Comment donc voudrait-on que la délégation de la souveraineté ne fût pas unique, que la représentation nationale fût coupée en deux, que la loi émanant de la volonté générale fût obligée d'avoir une seule pensée ?

Considérée soit dans la souveraineté qui en est la source, soit dans le pouvoir qui l'exécute, soit dans la justice qui l'applique, la loi n'est pas divisible ; comment le serait-elle dans le pouvoir qui la conçoit et qui la crée ?

Evidemment, il faudrait des raisons supérieures, d'impérieuses nécessités politiques, pour que la constitution républicaine, partageant le pouvoir législatif en deux chambres, fit cette violence à la logique et portât une si profonde atteinte au sentiment public : ces raisons, nous ne les apercevons pas.

Les partisans des deux chambres reconnaissent comme nous l'uni té de la France, et ils prétendent respecter la souveraineté du peuple. Il n'y a qu'un malheur, c'est qu'ils s'exposent continuellement à méconnaître ou à violer sa volonté. Imaginez deux chambres organisées comme il vous plaira ! dès que vous les placez côte à côte, égales en puissances, vous n'arriverez qu'à l'un de ces deux résultats :

Où les chambres seront d'accord, et alors une double discussion, un double vote, ne servent à rien et peuvent nuire en retardant la loi.

Ou bien elles seront en désaccord, ce qui arrivera le plus souvent, et alors c'est la lutte que vous établissez au sommet de l'Etat. Or, la lutte en haut, c'est l'anarchie en bas : les deux chambres sont donc un principe de désordre.

De cette lutte, l'une des deux chambres sortira nécessairement affaiblie, et l'autorité de la loi perdra en respectée que les législateurs auront perdu en crédit. Ajoutez à cela que la discussion dans une seconde chambre doit jeter le trouble dans la première : la minorité se passionne davantage quand elle espère faire triompher sa cause en appel ; de là des intrigues sans nombre, de là moins de soumission pour la décision d'une assemblée ; les partis extérieurs ajoutent leurs passions à celles des représentants ; ce qui n'était d'abord qu'une opposition convaincue peut devenir un antagonisme systématique : et alors il n'y a plus deux chambres, mais deux camps, ou plutôt il n'y a plus de pouvoir législatif ; l'une des deux forces pouvant paralyser l'autre, la machine s'arrête jusqu'à ce qu'une secousse violente la brise, où qu'un ambitieux l'aplatisse de manière à la faire tenir dans le fourreau de son épée.

Le péril de cette dualité ne se fait pas moins sentir, en effet, dans les rapports du pouvoir législatif avec l'exécutif ; avec une seule assemblée politique, une seule inspiration, une seule règle, l'assemblée, organe de l'opinion, la fait prévaloir en donnant ou refusant la majorité aux ministres ; ils sortent de son ; sein, ils se conforment à ses idées ; mais si un ministère qui plaît à une chambre déplaît à l'autre, qui l'emportera ? et si, par hasard, ce ministère représente fidèlement. les opinions, le système du président de la république, système qui pourra n'être point en parfaite harmonie avec celui de la représentation nationale, qu'arrivera-t-il ? Avec l'assemblée unique, la chose.est simple ; tout doit fléchir devant sa loi. Avec une seconde chambre il y a un recours à la résistance : le pouvoir exécutif, battu ici, se réfugie là ; à une majorité contre lui, il oppose une majorité pour lui ; il se sert de l'une contre l'autre, i l l es use bientôt par ces chocs fréquents ; le pouvoir législatif, amoindri, déprimé, offre une prise facile à toutes les usurpations. Quand on a pour soi les anciens, on fait sauter les cinq cents par les fenêtres.

Ces coups de main sont rares, nous le savons bien, pas si rares toutefois que les hommes de génie ; mais cette extrémité, même est-elle nécessaire pour condamner le système de deux chambres ? Si elles ne deviennent pas le levier de l'ambitieux, si elles ne servent pas les desseins d'un conquérant, n'y a-t-il pas toujours d'assez nombreuses causes d'agitation dans un Etat ? une popularité pour laquelle vous créez deux rivales, une multitude à laquelle vous pouvez donner la moitié d'un pouvoir législatif qui la flatte tandis que l'autre moitié lui résiste ? Et tous ces dangers si graves, vous les braveriez, pourquoi ? Pour obéir à un principe ? Non ; pour attaquer tous les principes. Pour donner à la loi plus de puissance ? Non ; on affaiblit la puissance en la divisant. Pour assurer à la représentation nationale une expression plus sincère, pour calmer les partis, amortir les passions, maintenir l'unité, assouplir, simplifier les ressorts de l'appareil législatif ? Rien de semblable.

Pourquoi donc ? On ne nous donne que deux mots : l'un est grave, l'autre ne l'est pas. Ce dernier, c'est l'exemple de l'Angleterre et des Etats-Unis.

Nous pourrions montrer facilement que deux chambres en Angleterre représentent deux intérêts divers, quelquefois contraires, qui se trouvent dans le parlement, parce qu'ils sont dans le pays. Nous pourrions montrer qu'aux Etats-Unis la souveraineté se divise et se subdivise, qu'elle est partielle, locale, formée de groupes indépendants, et qu'elle se reproduit dans le pouvoir comme elle est à l'origine.

Nous ferons seulement une réponse qui dispense de toute autre. Nous sommes en France, nous constituons la république française, nous agissons sur un pays qui a ses mœurs, son caractère personnel : nous n'avons à le costumer ni à l'américaine, ni à l'anglaise. Pleins de respect pour les autres nationalités, pleins d'admiration pour ce qu'elles ont fait de grand et de durable, nous nous abdiquerions en les copiant. La raison émigrée de Londres ou de Washington est mauvaise par cela même qu'elle vient de là. Transplanter une organisation politique sur un sol étranger, c'est vouloir qu'elle n'y pousse pas de racines. L'argument hétérogène prouverait donc plutôt contre que pour : soyons modérés, il ne prouve rien.

Il en est un autre quia, selon nous, une base plus solide et dont la commission s'était fortement préoccupée : c'est l'entraînement d'une assemblée unique qui, sous la pression d'un événement extérieur ou d'une émotion née dans son propre sein, peut prendre une résolution irréfléchie, faire une loi imprudente, et dont elle serait la première à se repentir. Notre humeur est vive et prompte, le talent d'un orateur peut nous exalter, au seul éclair d'une passion généreuse notre pensée devient une flamme. Serait-il sage de compromettre la majesté de la loi par l'emportement ou la précipitation ? Ne faut-il pas que la loi soit toujours entourée de formes solennelles, méditée, mûrie, soumise à plusieurs degrés de discussion ?

Oui, sans doute, tout cela est sensé, et la commission croit y avoir répondu par les précautions qu'elle a prises. Elle assure plus de deux degrés à la discussion en exigeant que l'assemblée délibère trois fois, à dix jours d'intervalle, sur les projets qui lui sont soumis. Dans les cas d'urgence même, rien ne peut-être résolu à l'heure même, et l'urgence, débattue dans les comités, dans les bureaux, doit être jugée avant que l'assemblée ne prononce au fond. A côté de l'assemblée unique, la constitution place un conseil d'Etat choisi par elle, émanation de sa volonté, délibérant à part, en dehors des mouvements qui peuvent agiter les grandes réunions. C'est là que la loi se prépare, c'est là qu'on renvoie, pour la irûrir, toute proposition d'initiative parlementaire qui paraît trop hâtive au pouvoir législatif. Ce corps, composé d'hommes éminents, et placé entre l'assemblée qui fait la loi et le pouvoir qui l'exécute, tenant au premier par sa racine, au second, par son contrôle sur l'administration, aura naturellement une autorité qui tempérera ce que l'assemblée unique pourrait avoir de trop hardi, ce que le gouvernement pourrait avoir d'arbitraire.

Pour conjurer enfin tous les périls de la précipitation, nous avons accordé au pouvoir exécutif le droit d'appeler l'assemblée à une délibération nouvelle.

Nous avons donc multiplié les garanties, nous avons élevé contre le torrent des digues plus nombreuses et plus résistantes qu'il n'y en eut dans toutes les constitutions passées ; et en maintenant l'unité de l'assemblée, l'expression simple et vraie de la souveraineté nationale, nous croyons avoir réduit au néant la seule objection sérieuse qui vînt donner quelque raison au système des deux chambres.

Et qu'il nous soit permis de le dire, toutes ces craintes sur l'impatience et sur la précipitation d'une assemblée unique sont démesurément exagérées. Trente ans de discussions parlementaires n'ont pas passé vainement sur le front de nos générations ; l'éducation politique est plus complète aujourd'hui, les représentants du peuple comprennent tout ce qu'exige de patriotisme et de modération l'exercice de l'autorité suprême. La souveraineté assurée d'elle-même, ne s'extravase point, ne déborde pas en flots impétueux. Elle a la dignité et le calme de la puissance ; et nous pouvons sans flatterie invoquer l'assemblée qui nous écoute ; maîtresse absolue de la situation, absorbant en elle tous les pouvoirs, placée sous l'impression des événements les plus périlleux, des circonstances les plus critiqués, elle a su, dans ces circonstances mémorables, donner à toutes les démocraties un noble exemple, et aux partisans des deux chambres une excellente leçon.

 

POUVOIR EXÉCUTIF.

Tout ce que nous avons dit sur l'unité du pouvoir législatif s'applique avec la même justesse au pouvoir exécutif. Les preuves et les développements nous semblent ici superflus. Les esprits éclairés savent bien que plus la délibération a été large et complète, plus l'exécution doit être ferme, prompte, résolue. L'expérience est d'accord avec la théorie pour démontrer que tout pouvoir exécutif livré à plusieurs mains devient bientôt une impuissance.

La constitution délègue donc le pouvoir à un président de la république qui aura atteint l'âge viril, qui sera Français et n'aura jamais cessé de l'être.

Par, qui ce président doit-il être nommé ? Ici deux opinions se sont élevées dans la commission..

La minorité pensait qu'en le faisant nommer directement par le suffrage universel on courait le risque de placer en face de la représentation nationale un pouvoir égal, quoique différent ; qu'on pouvait ainsi établir une rivalité dangereuse ; donner à la souveraineté deux expressions au lieu d'une, rompre l'harmonie toujours si nécessaire entre l'autorité qui fait la loi et le fonctionnaire qui en assure l'exécution : que, dans ce pays surtout, le suffrage universel concentré sur un seul homme lui donnait une puissance toujours sollicitée par des tentatives fatales à la liberté. La minorité aurait donc désiré remettre à l'assemblée déléguée de la souveraineté du peuple, la nomination du président de la république ; elle croyait par là concilier à la fois ce qu'exige la rigueur des principes et ce que commande la situation d'un régime nouveau.

Cette opinion n'a point prévalu. La majorité a été convaincue que l'une des conditions viables de la démocratie, c'est la force du pouvoir. Elle a donc voulu qu'il reçût cette force du peuple entier, qui seul la donne, et qu'au lieu de lui arriver par transmission intermédiaire, elle lui fût donnée par une communication directe et personnelle. Alors il résume sans doute la souveraineté populaire, mais pour un ordre de fonctions déterminé, l'exécution de la loi. La majorité n'a pas craint qu'il abusât de son indépendance, car la constitution l'enferme dans un cercle dont il ne peut pas sortir. L'assemblée seule demeure maîtresse de tout système politique ; ce que le président propose par ses ministres, elle a le droit de le repousser ; si la direction de l'administration lui déplaît, elle, renverse les ministres ; si le président persiste à violenter l'opinion, elle le traduit devant la haute cour de justice et l'accuse.

Contre les abus possibles du pouvoir exécutif, la constitution se prémunit, en le faisant temporaire et responsable. Le président, après une période de quatre ans, ne peut être réélu qu'après un intervalle de quatre autres années. Il n'a aucune autorité sur l'assemblée ; elle en conserve une toute puissante sur ses agents. Il ne peut jamais arrêter ou suspendre l'empire de la constitution et des lois ; il ne peut ni céder un pouce de territoire, ni faire la guerre, ni exécuter un traité sans que l'assemblée y consente ; il ne peut pas commander en personne. les armées de terre ou de.mer ; il ne peut nommer les hauts fonctionnaires dépendants de lui qu'en conseil des ministres ; il ne peut révoquer les agents électifs que de l'avis du conseil d'Etat ; l'assemblée nationale choisit seule les membres de la cour suprême, qui maintient l'unité de la juridiction ; et, sauf les magistrats du parquet, le président de la république, ne peut nommer les j uges que d'après des Conditions déterminées par les lois.

Toutefois, après avoir défini et limité le pouvoir du président de la république, la constitution lui confère tous les attributs qui appartiennent au chef d'un grand Etat. C'est en lui que se personnifie l'action de la France ; il connaît, il promulgue, il exécute la pensée de la république ; si l'assemblée en est l'âme, il en est le bras ; il la représente au dehors, il dispose de ses forces, il donne l'impulsion à l'administration, il la dirige, il est le protecteur de l'ordre, le défenseur de la société, le premier magistrat d'un peuple puissant et libre, l'agent supérieur d'une démocratie : il faut donc qu'il ait à la fois la dignité et la force de la loi agissante.

C'est ce que nous avons voulu en accordant à ce pouvoir tous les droits que la constitution attache à cette position éminente. Nous lui donnons le rang, l'autorité suprême ; sa volonté ne doit rencontrer aucune résistance, car il commande au nom de la loi. Tout le mouvement des affaires intérieures et extérieures de l'Etat dépend de lui, remonte à lui. Aussi désirons-nous qu'il soit placé par la république dans la condition d'honneurs et de prérogatives qui convient à celui qui représente la France vis-à-vis des autres nations ; et si le traitement que nous avons affecté à ses fonctions vous a paru trop réduit, c'est que, dans notre pensée, le trésor national doit pourvoir à tous ses frais de représentation, dont le chiffre dépassera certainement celui que nous avons fixé pour sa personne.

Au-dessous du président de la république, nous avons placé un vice-président, présenté par lui, nommé par l'assemblée nationale, qui marche à la-tête du conseil d'Etat, et auquel l'assemblée voudra sans doute assurer aussi une situation honorable et digne de celui qui peut être appelé à remplacer le président de la république dans le cas où celui-ci est empêché par une cause ou par une autre de remplir ses hautes fonctions.

Le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif agissent sur l'administration intérieure, à laquelle nous n'avons apporté que des modifications peu importantes, si ce n'est la création d'un conseil cantonnai réclamé depuis longtemps, et qui peut devenir l'agent le plus utile pour une réparation plus équitable de l'impôt, et surtout pour assurer le bienfait de l'instruction et de l'éducation, qui est, sous le régime républicain, le premier besoin de la société, le premier devoir du gouvernement, l'instrument le plus actif, le plus pacifique et le plus sûr de la moralité et des progrès des populations.

 

POUVOIR JUDICIAIRE.

L'essence même de la république, citoyens représentants, c'est que tout émane du peuple, tout en dérive et tout s'y appuie. Le pouvoir législatif exprime sa volonté dans la loi ; le pouvoir exécutif en assure la force ; le pouvoir judiciaire la sanctionne chaque jour en l'appliquant. Il nous restait donc à organiser ce troisième pouvoir, et c'est le dernier objet de notre projet de constitution.

Ici nous passerons rapidement, car nous rencontrons des principes acceptés,' dès idées générales réalisées dans nos codes ; les innovations que nous avons faites dans notre projet n'ont rencontré non plus aucune résistance. Il nous suffit donc de les indiquer, car à quoi bon défendre ce qui n'est point attaqué ?

Ce qui tient au personnel de la magistrature et aux garanties que la société lui donne et doit exiger d'elle trouvera mieux sa place dans la discussion d'une loi spéciale. Nous avons seulement voulu poser une règle, c'est que l'indépendance, du juge, qui est sans cesse aux prises avec les intérêts et les passions individuelles, doit être mise hors de toute atteinte.

Aux tribunaux existants, nous avons ajouté un tribunal administratif supérieur, qui décide en dernier ressort sur les contestations que l'action si pénétrante de l'administration peut soulever. Ce tribunal administratif existe au premier degré dans chaque département, et nous avons fait intervenir les conseils généraux et le conseil d'Etat dans la désignation des magistrats de cet ordre.

Le caractère des procès n'est jamais amiable, mais il n'est pas toujours simple : la nature des intérêts le complique aussi bien que la qualité des parties ; il s'élève donc souvent des conflits d'attributions entre l'autorité administrative et l'autorité judiciaire. La première les avait jusqu'à présent tranchés de son plein pouvoir ; nous avons créé un tribunal particulier qui aura la juridiction des conflits.

La responsabilité qui accompagne tous les actes des fonctionnaires politiques ou administratifs avait été écrite dans les constitutions précédentes, mais elle y figurait pour l'honneur des principes et comme une de ces décorations de théâtre destinées à plaire à ceux qui se contentent du phénomène de la contemplation. La liberté républicaine exige que la responsabilité soit réelle, point tracassière, mais point décevante ; c'est pour cela que notre projet constitue une haute cour de justice où l'assemblée nationale peut renvoyer ses propres membres, les ministres et le président de la république. Quant aux autres fonctionnaires, ils auront pour juges, soit les tribunaux civils, soit le conseil d'Etat, suivant les fautes ou les délits qui leur seront imputés. Nous avons composé la haute cour de justice d'après la donnée de nos cours d'assises : des juges de la cour de cassation y prononceront la peine ; un jury tiré au sort dans les conseils généraux des départements prononcera sur la culpabilité. En créant un tribunal nouveau, nous avons conservé les formes éprouvées, et les garanties du droit commun.

Le jury, est, à nos yeux, une institution amie de la liberté, une magistrature d'équité et de bon sens ; imprégnée des sentiments populaires dont elle sort, où elle se retrempe sans cesse, nous aurions voulu la développer et l'étendre progressivement au jugement des matières correctionnelles et de quelques procès, civils. C'était notre premier projet ; il a rencontré dans tous vos bureaux, nous sommes forcés de l'avouer, une opposition si générale et si rude, que nous avons dû nous résigner au silence de la défaite. Nous n'en conservons pas moins la confiance qu'il viendra un jour moins dur pour le jury, moins propice au praticien, et où la loi simplifiant, abrégeant, élaguant les broussailles souvent épaisses de la procédure, donnera raison à notre opinion que nous sommes forcés d'ensevelir provisoirement dans la solitude de nos espérances.

Il est une autre question qui a rencontré aussi une opposition non moins formidable : c'est l'interdiction du remplacement. Votre commission, un instant ébranlée, a discuté de nouveau cet important sujet ; elle était certaine de trouver la justification de sa première pensée dans le principe d'égalité qui doit régler tous les impôts de la république, et principalement celui qu'on a énergiquement appelé l'impôt du sang. Vouloir que la pauvreté le paie et que la richesse s'en affranchisse par l'argent lui a paru une iniquité monstrueuse. Frappée toutefois de la résistance des bureaux et des vives réclamations de nombreux pétitionnaires, et d'un certain bruit de l'opinion qu'il faut savoir respecter, même dans ses préjugés et ses erreurs, frappée aussi des objections raisonnables, puissantes qui lui avaient été apportées, la commission s'est éclairée de nouveau en écoutant le président du conseil et le ministre de la guerre. Nous ne reproduirons pas ici, de peur de les affaiblir, les arguments pleins de vigueur et de clarté qui nous ont décidés à persister dans notre premier projet : ces arguments auront la parole à la tribune. Quant à nous, nous n'avons pas voulu démentir un principe, heurter l'égalité et supprimer ce qui nous avait paru commandé par la justice.

Nous reconnaissons toutefois que cette interdiction absolue au remplacement militaire est essentiellement liée à une bonne loi de recrutement, à l'abréviation du temps de service, et la commission, pour ne pas compromettre le principe en l'isolant, vous propose d'en ajourner la discussion au moment où la loi d'organisation militaire vous sera soumise.

Tel est, citoyens, l'ensemble de notre projet résumé dans une analyse trop longue, bien que nous nous soyons efforcés de la réduire aux points les plus saillants.

Si parfaites qu'en fussent les dispositions — et elles n'ont pas des prétentions aussi téméraires —, elles ne sauraient enchaîner le temps et les esprits. Elles sont temporaires, faites pour une saison de la vie du peuple, et les générations qui se succèdent, et l'opinion qui se modifie, et la souveraineté du peuple, conservent toujours le droit de réviser la constitution.

Nous nous sommes bornés à conserver ce droit, qui est de toute évidence, et à l'entourer de ces formes solennelles qu'une assemblée doit toujours apporter dans ses actes quand il s'agit de toucher à la loi fondamentale d'une société. Cette loi néanmoins peut demeurer incomplète, être affaiblie ou détournée de sa voie, si on la sépare des lois organiques qui en forment l'annexe nécessaire. Il nous a donc paru utile d'écrire dans la constitution un article où l'assemblée nationale s'engageât à faire ces lois. Mais cette question, dont nous avions été saisis par deux, projets de décrets en sens opposé, proposés par deux de nos collègues, ayant donné lieu à quelques débats, nous vous expliquerons dans un rapport spécial les motifs de celte décision dont nous nous contentons aujourd'hui de donner la substance.

Notre motif principal et dominant, nous ne le déguisons pas, c'est que vous êtes appelés, non pas seulement à écrire des principes de liberté dans les pages d'un code, mais à fonder la république.

L'œuvre est grande et digne de vous, citoyens représentants ! Malgré les clameurs ou les ténébreuses manœuvres des partis, malgré les regrets, le dépit, la rancune, le doute, les hésitations de tous ceux qui obéissent ou à des préjugés ou à des habitudes d'un autre régime, l'ère nouvelle a commencé pour les nations européennes. Prédite par le génie, elle se réalise par la raison, et cette lumière que rien n'arrête illumine de sa clarté la civilisation des vieux continents, comme elle a guidé de sa brillante étoile la jeune civilisation américaine. Les peuples ont grandi par l'éducation ; ils ont compris leur souveraineté, ils ont la confiance de leur force, ils sentent qu'à eux seuls appartient le droit de se régir, de se gouverner, et la république seule peut donner à celte souveraineté du peuple son organe et sa garantie.

Grâce à elle, la vie politique se régit par le suffrage universel, par la loi ; la vie économique s'agrandit par le travail, la vie morale par la fraternité. L'individu est armé de tous les moyens de perfectionnement, le corps social de tous les instruments du progrès, l'ordre de tous les éléments de force, de droit, de justice ; le peuple, enfin, de tout ce qui peut lui donner le sentiment de sa grande destinée et de tous les secours nécessaires pour l'accomplir.

Tenez pour certain qu'il n'y a pas aujourd'hui dans le monde des intelligences un autre centre de gravitation ; il faut ou le suivre-ou s'y attacher, ou rétrograder dans l'espace, aller à la dérive comme une comète déroutée. Il faut ou organiser pacifiquement la démocratie dans cette voie des améliorations, ou revenir, à travers les ruines et le sang, à un état qui recommencerait pour tomber encore ; il faut ou marcher résolument dans la route ouverte par la république, ou se jeter dans les révolutions ; marquer sa décadence par ces oscillations maladives et faire signe alors à la barbarie qu'elle vienne régénérer un sang vieilli et faire disparaître de la carte de l'Europe cette patrie qui en fut pendant de longs siècles la lumière, l'orgueil et l'espoir.

Que tous les amis de cette France apportent à la république le concours de leur peine, de leur volonté, de leur talent. C'est à vous qu'il appartient de les appeler, de les unir. Fondez d'une main ferme les principes républicains, fortifiez-les par les institutions organiques où ils puiseront la vie ; fiez-vous ensuite au bon sens, à la dignité de ce peuple : il ne souffrira pas qu'on lui ravisse ce qu'il a conquis ; il ne se dégradera pas aux yeux du monde en abaissant son propre droit devant les emblèmes finis du passé. C'est pour lui que vous aurez construit, élargi le monument ; il le prendra sous sa garde et bénira votre sagesse qui l'aura élevé.

 

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CONSTITUTION FRANÇAISE DE 1848.

 

En présence de Dieu, et au nom du peuple français, l'assemblée nationale proclame :

 

I.

La France s'est constituée en république. En adoptant cette forme définitive de gouvernement, elle s'est proposé pour but de marcher plus librement dans la voie du progrès et de la civilisation, d'assurer une répartition de plus en plus équitable des charges et des avantages de la société, d'augmenter l'aisance de chacun, parla réduction graduée des dépenses publiques et des impôts, et de faire parvenir tous les citoyens, sans nouvelle commotion, par l'action successive et constante des institutions et des lois, à un degré toujours plus élevé de moralité, de lumières et de bien-être.

II.

La république française est démocratique, une et indivisible.

III.

Elle reconnaît des droits et des devoirs antérieurs et supérieurs aux lois positives.

IV.

Elle a pour principe : la Liberté, l'Egalité et la Fraternité.

Elle a pour base : la famille, le travail, la propriété et l'ordre public.

VI.

Elle respecte les nationalités étrangères, comme elle entend faire respecter la sienne ; n'entreprend aucune guerre dans des vues de conquête, et n'emploie jamais ses forces contre la liberté d'aucun peuple.

VII.

Des devoirs réciproques obligent les citoyens envers la république, et la république envers les citoyens.

VII.

Les citoyens doivent aimer la patrie, servir la république, la défendre au prix de leur vie, participer aux charges de l'Etat en proportion de leur fortune ; ils doivent s'assurer, par le travail, des moyens d'existence, et, par la prévoyance, des ressources pour l'avenir ; ils doivent concourir au bien-être commun en s'entr'aidant fraternellement les uns les autres, et à l'ordre général en observant les lois morales et les lois écrites qui régissent la société, la famille et l'individu.

VIII.

La république doit protéger le citoyen dans sa personne, sa famille, sa religion, sa propriété, son travail, et mettre à la portée de chacun l'instruction indispensable à tous les hommes ; elle doit, par une assistance fraternelle, assurer l'existence des citoyens nécessiteux, soit en leur procurant du travail dans les limites de ses ressources, soit en donnant, à défaut de la famille, des secours à ceux qui sont hors d'état de travailler.

En vue de l'accomplissement de tous ces devoirs, et pour la garantie de tous ces droits, l'assemblée nationale, fidèle aux traditions des grandes assemblées qui ont inauguré la révolution française, décrète, ainsi qu'il suit, la constitution de la république.

 

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CONSTITUTION.

 

CHAPITRE PREMIER. — DE LA SOUVERAINETÉ.

ART. 1er La souveraineté réside dans l'universalité des citoyens français.

Elle est inaliénable et imprescriptible.

Aucun individu, aucune fraction du peuple ne peut s'en attribuer l'exercice.

CHAPITRE II. — DROITS DES CITOYENS GARANTIS PAR LA CONSTITUTION.

ART. 2. Nul ne peut être arrêté ou détenu que suivant les prescriptions de la loi.

ART. 3. La demeure de toute personne habitant le territoire français est inviolable ; il n'est permis d'y pénétrer que selon les formes et dans les cas prévus par la loi.

ART. 4. Nul ne sera distrait de ses juges naturels. Il ne pourra être créé de commissions et de tribunaux extraordinaires, à quelque titre et sous quelque dénomination que ce soit.

ART. 5. La peine de mort est abolie en matière politique.

ART. 6. L'esclavage ne peut exister sur aucune terre française.

ART. 7. Chacun professe librement sa religion, et reçoit de l'État, pour l'exercice de son culte, une égale protection.

Les ministres, soit des cultes actuellement reconnus par la loi, soit de ceux qui seraient reconnus à l'avenir, ont le droit de recevoir un traitement de l'État.

ART. 8. Les citoyens ont le droit de s'associer, de s'assembler paisiblement et sans arme, de pétitionner, de manifester leurs pensées par la voie de la presse ou autrement.

L'exercice de ces droits n'a pour limites que les droits où là liberté d'autrui, et la sécurité publique.

La presse ne peut, en aucun cas, être soumise à là censure.

ART. 9. L'enseignement est libre. La liberté d'enseignement s'exerce selon les conditions de capacité et de moralité déterminées par les lois, et sous la surveillance de l'Etat.

Cette surveillance s'étend à tous les établissements d'éducation et d'enseignement, sans aucune exception.

ART. 10. Tous les citoyens sont également admissibles à tous les emplois publics, sans autre motif de préférence que leur mérité, et suivant les conditions qui seront fixées par les lois.

Sont abolis à toujours tout titre nobiliaire, toute distinction de naissance, de classe ou de Caste, '

ART. 11. Toutes les propriétés sont inviolables. Néanmoins l'État peut exiger le sacrifice d'une propriété pour cause d'utilité publique légalement constatée, et moyennant une juste et préalable indemnité.

ART. 12. La confiscation des biens ne pourra jamais être rétablie.

ART. 13. La constitution garantit aux citoyens la liberté du travail et de l'industrie.

La société favorise et encouragé le développement du travail par l'enseignement primaire gratuit, l'éducation professionnelle, l'égalité de rapports entre le patron et l'ouvrier, les institutions de prévoyance et de crédit, les institutions agricoles, les associations volontaires et l'établissement par l'Etat, les départements et les communes, de travaux publics propres à employer les bras inoccupés ; elle fournit l'assistance aux enfants abandonnés aux infirmes et aux vieillards sans ressources, et que leurs familles ne peuvent secourir.

ART. 14. La dette publique est garantie.

Toute espèce d'engagement pris par l'Etat avec ses créanciers est inviolable.

ART. 15, Tout impôt est établi pour l'utilité commune.

Chacun y contribue en proportion de ses facultés et de sa fortune.

ART. 16 Aucun impôt ne peut être établi ni perçu qu'en vertu de la loi.

ART. 17. L'impôt direct n'est consenti que pour un an.

Les impositions indirectes peuvent être consenties pour plusieurs années.

CHAPITRE III. — DES POUVOIRS PUBLICS.

ART. 18. Tous les pouvoirs publics, quels qu'ils soient, émanent du peuple, lis ne peuvent être délégués héréditairement... :

ART. 19. La séparation des pouvoirs est la première condition d'un gouvernement libre.

CHAPITRE IV. — DU POUVOIR LÉGISLATIF.

ART. 20. Le peuple français délègue le pouvoir législatif à une assemblée unique.

ART. 21. Le nombre total des représentants du peuple sera de sept cent cinquante, y compris les représentants de l'Algérie et des colonies françaises.

ART. 22. Ce nombre s'élèvera à neuf cents pour les assemblées qui seront appelées à réviser la constitution.

ART. 23. L'élection a pour base la population.

ART. 24. Le suffrage est direct et universel. Le scrutin est secret.

ART. 25. Sont électeurs, sans condition de cens, tous les Français âgés de vingt-et-un ans, et jouissant de leurs droits civils et politiques.

ART. 26. Sont éligibles, sans condition de domicile, tous les électeurs âgés de vingt-cinq ans.

ART. 27. La loi électorale déterminera les causes qui peuvent priver un citoyen français du droit d'élire et d'être élu.

Elle désignera les citoyens qui, exerçant ou ayant exercé des fonctions dans un département ou un ressort territorial, ne pourront y être élus.

ART. 28. Toute fonction publique rétribuée est incompatible avec le mandat de représentant du peuple.

Aucun membre de l'assemblée nationale ne peut, pendant la durée de la législature, être nommé ou promu à des fonctions publiques salariées, dont les titulaires sont choisis à volonté par le pouvoir exécutif.

Les exceptions aux dispositions des deux paragraphes précédents seront déterminées par la loi électorale organique.

ART. 29. Les dispositions de l'article précédent ne ne sont pas applicables aux assemblées élues pour la révision de la constitution.

ART. 30. L'élection des représentants se fera par département, et au scrutin de liste.

Les électeurs voteront au chef-lieu de canton. Néanmoins, en raison des circonstances locales, le canton pourra être divisé en plusieurs circonscriptions, dans la forme et aux conditions qui seront déterminées par la loi électorale.

ART. 31. L'assemblée nationale est élue pour trois ans, et se renouvelle intégralement.

Quarante-cinq jours au plus tard avant la fin de la législature, une loi détermine l'époque des nouvelles élections.

Si aucune loi n'est intervenue dans le délai fixé par le paragraphe précédent, les électeurs se réunissent de plein droit le trentième jour qui précède la fin de la législature.

La nouvelle assemblée est convoquée de plein droit pour le lendemain du jour où finit le mandat de l'assemblée précédente.

ART. 32. Elle est permanente.

Néanmoins, elle peut s'ajourner à un jour qu'elle fixe.

Pendant la durée de la prorogation, une commission, composée des membres du bureau et de vingt-cinq représentants nommés par l'assemblée au scrutin secret et à la majorité absolue, a le droit de la convoquer en cas d'urgence.

Le président de la république a aussi le droit de convoquer l'assemblée.

L'assemblée nationale détermine le lieu de ses séances. Elle fixe l'importance des forces militaires établies pour sa sûreté, et elle en dispose.

ART. 33. Les représentants sont toujours rééligibles.

ART. 34. Les membres de l'assemblée nationale sont les représentants, non du département qui les nomme, mais de la France entière.

ART. 35. Ils ne peuvent recevoir de mandat impératif.

ART. 36. Les représentants du peuple sont inviolables.

Ils ne pourront être recherchés, accusés ni jugés, en aucun temps, pour les opinions qu'ils auront émises dans le sein de l'assemblée nationale.

ART. 37. Ils ne peuvent être arrêtés en matière criminelle, sauf le cas de flagrant délit, ni poursuivis qu'après que l'assemblée a permis la poursuite.

En cas d'arrestation pour flagrant délit, il en sera immédiatement référé à l'assemblée, qui autorisera ou refusera la continuation des poursuites.

Cette disposition s'applique au cas où un citoyen détenu est nommé représentant.

ART. 38. Chaque représentant du peuple reçoit une indemnité à laquelle il ne peut renoncer.

ART. 39. Les séances de l'assemblée sont publiques.. Néanmoins, l'assemblée peut se former en comité secret, sur la demande du nombre de représentants fixé par le règlement.

Chaque représentant a le droit d'initiative parlementaire, qu'il exercera selon les formes déterminées par le règlement.

ART. 40. La présence de la moitié plus un des membres de l'assemblée est nécessaire pour la Validité du vote des lois.

ART. 41. Aucun projet de loi, sauf le cas d'urgence, ne sera volé définitivement qu'après trois délibérations, à des intervalles qui ne peuvent pas être moindres de cinq jours.

ART. 42. Toute proposition ayant pour objet de déclarer l'urgence est précédée d'un exposé des motifs.

Si l'assemblée est d'avis de donner suite à la proposition d'urgence, elle en ordonne le renvoi dans les bureaux, et fixe le moment où le rapport sur l'urgence lui sera présenté.

Sur ce rapport, si l'assemblée reconnaît l'urgence, elle le déclare et fixe le moment de la discussion.

Si elle décide qu'il n'y a pas d'urgence, le projet suit le cours des propositions ordinaires.

CHAPITRE V. — DU POUVOIR EXÉCUTIF.

ART. 43. Le peuple français délègue le pouvoir exécutif à un citoyen qui reçoit, le titre de président de la république.

ART. 44. Le président doit être né Français, âgé de trente ans au moins, et n'avoir jamais perdu la qualité de Français.

ART. 45. Le président la république est élu pour quatre ans, et n'est rééligible qu'après un intervalle de quatre années.

Ne peuvent non plus être élus après lui, dans le même intervalle, ni le vice-président, ni aucun des parents ou alliés du président, jusqu'au sixième degré inclusivement.

ART. 46. L'élection a lieu de plein droit le deuxième dimanche du mois de mai.

Dans le cas où, par suite de décès, de démission ou de toute autre cause, le président serait élu à une autre époque, ses pouvoirs expireront le deuxième dimanche du mois de mai de la quatrième année qui suivra son élection.

Le président est nommé au scrutin secret et à la majorité absolue des votants, par le suffrage direct de tous les électeurs des départements français et de l'Algérie.

ART. 47. Les procès-verbaux des opérations électorales sont transmis immédiatement à l'assemblée nationale, qui statue sans délai sûr la validité de l'élection et proclame le président de la république.

Si aucun candidat n'a obtenu plus de la moitié des suffrages exprimés, et au moins deux millions de voix, ou si les conditions exigées par l'article 44 lie sont pas remplies, l'assemblée nationale élit le président de la république, à la majorité absolue et au scrutin secret parmi les cinq candidats éligibles qui ont obtenu le plus de voix.

ART. 48. Avant d'entrer en fonctions, le président de la république prête au sein de l'assemblée nationale le serment dont la teneur suit :

EN PRÉSENCE DE DIEU ET DEVANT LE PEUPLE FRANÇAIS, REPRÉSENTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, JE JURE DE RESTER FIDÈLE À LA RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE, UNE ET INDIVISIBLE, ET DE REMPLIR TOUS LES DEVOIRS QUE M'IMPOSE LA CONSTITUTION.

ART. 49. Il a le droit de faire présenter des projets de loi à l'assemblée nationale par les ministres.

Il surveille et assure l'exécution des lois.

ART. 50. Il dispose de la force armée, sans pouvoir jamais la commander en personne.

ART. 51. Il ne peut céder aucune portion du territoire, ni dissoudre, ni proroger l'assemblée nationale, ni suspendre, en aucune manière, l'empire de là constitution et des lois.

ART. 52. Il présente, chaque année, par un message à l'assemblée nationale, l'exposé de l'état général des affaires de la république.

ART. 53. Il négocie et ratifie les traités.

Aucun traité n'est définitif qu'après avoir été approuvé par l'assemblée nationale.

ART. 54. Il veille à le défense de l'Etat, mais il il ne peut entreprendre aucune guerre sans le consentement de l'assemblée nationale.

ART. 55. Il a le droit de faire grâce ; mais il ne peut exercer.ce droit qu'après avoir pris l'avis du conseil d'Etat.

Les amnisties ne peuvent être accordées que par une loi.

Le président de la république, les ministres ainsi que toutes autres personnes condamnées par la haute-cour de justice ne peuvent être graciés que par l'assemblée nationale.

ART. 56. Le président de la république promulgue les lois au nom du peuple français.

ART ; 57. Les lois d'urgence sont promulguées dans le délai de trois jours, et les autres lois dans le délai d'un mois, à partir du jour où elles auront été adoptées par l'assemblée nationale.

ART. 58. Dans le délai fixé pour la promulgation, le président de la république peut, par un message motivé, demander une nouvelle délibération.

L'assemblée délibère ; sa résolution devient définitive ; elle est transmise au président de la république.

En ce cas, la promulgation à lieu dans le délai fixé pour les lois d'urgence.

ART. 59. A défaut de promulgation par le président de la république, dans les délais déterminés par les articles précédents, il y sera pourvu par le président de l'assemblée nationale.

ART. 60. Les envoyés et les ambassadeurs des puissances étrangères sont accrédités auprès du président de la république.

ART. 61. Il préside aux solennités nationales.

ART. 62. Il est logé aux frais de la république, et reçoit un traitement de six cent mille francs par an.

ART. 63. Il réside au lieu où siège l'assemblée nationale, et ne peut sortir du territoire continental de la république sans y être autorisé par une loi.

ART. 64. Le président de la république nomme et révoque les ministres.

Il nomme et révoque, en conseil des ministres, les agents diplomatiques, les commandants en chef des armées de terre et de mer, les préfets, le commandant supérieur des gardes nationales de la Seine, les gouverneurs de l'Algérie et des colonies, les procureurs généraux et autres fonctionnaires d'un ordre supérieur,

Il nomme et révoque, sur la proposition du ministre compétent, dans les conditions réglementaires déterminées par la loi, les agents secondaires du gouvernement.

ART. 65. Il a le droit de suspendre, pour un terme qui ne pourra excéder trois mois, les agents du pouvoir exécutif élus par les citoyens.

Il ne peut les révoquer que de l'avis du conseil d'État.

La loi détermine, les cas où les agents révoqués peuvent être déclarés inéligibles aux mêmes fonctions.

Cette déclaration d'inéligibilité ne pourra être prononcée que par un jugement.

ART. 66. Le nombre des ministres et leurs attributions sont fixés par le pouvoir législatif.

ART. 67. Les actes du président de la république, autres que ceux par lesquels il nomme et révoque les ministres, n'ont d'effet que s'ils sont contresignés par un ministre.

ART. 68. Le président de la république, les ministres, les agents et dépositaires de l'autorité publique, sont responsables, chacun en ce qui les concerne, de tous les actes du gouvernement et de l'administration.

Toute mesure par laquelle le président de la république dissout l'assemblée nationale, la proroge ou met obstacle à l'exercice de son mandat, est un crime de haute trahison.

Par ce seul fait, le président est déchu de ses fonctions ; les citoyens sont tenus de lui refuser obéissance ; le pouvoir exécutif passe de plein droit à l'assemblée nationale ; les juges de la haute-cour de justice se réunissent immédiatement, à peine de forfaiture ; ils convoquent les jurés dans le lieu qu'ils désignent pour procéder, au jugement du président et de ses complices ; ils nomment eux-mêmes les magistrats chargés de remplir les fonctions du ministère public.

Une loi déterminera les autres cas de responsabilité, ainsi que les formes et les conditions de la poursuite.

ART. 69. Les ministres ont entrée dans le sein de l'assemblée nationale ; ils sont, entendus toutes les fois qu'ils le demandent, et peuvent se faire assister par des commissaires nommés par un décret du président de la république.

ART. 70. Il y a un vice-président de la république nommé par l'assemblée nationale sur la présentation de trois candidats ; faite par le président, dans le mois qui suit son élection.

Le vice-président prête le même serment que le président.

Le vice-président ne pourra être choisi parmi les parents et alliés du président, jusqu'au sixième degré inclusivement.

En cas d'empêchement du président, le vice-président le remplace.

Si la présidence devient vacante par décès, démission du président, ou autrement, il est procédé dans le mois à l'élection d'un président.

CHAPITRE VI. — DU CONSEIL D'ÉTAT.

ART. 71. Il y aura un conseil d'État, dont le vice-président de la république sera de droit président.

ART. 72. Lés membres de ce conseil sont nommés pour six ans par l'assemblée nationale ; ils sont renouvelés par moitié dans les deux premiers mois de chaque législature, au scrutin secret et à la majorité absolue.

Ils sont indéfiniment rééligibles.

ART. 73. Ceux des membres du conseil d'État qui auront été pris dans le sein de l'assemblée nationale seront immédiatement remplacés comme représentants du peuple.

ART. 74. Les membres du conseil d'État ne peuvent être révoqués que par l'assemblée et sur la proposition du président de la république.

ART. 75. Le conseil d'État est consulté sur les projets de loi du gouvernement, qui, d'après la loi, devront être soumis à son examen préalable, et sur les projets d'initiative parlementaire que l'assemblée lui aura renvoyés.

Il prépare les règlements d'administration publique ; il fait seul ceux de ces règlements à l'égard desquels l'assemblée nationale lui a donné une délégation spéciale.

Il exerce à l'égard des administrations publiques tous les pouvoirs de contrôle et de surveillance qui lui sont déférés par la loi.

La loi réglera ses autres attributions.

CHAPITRE VII. — DE L'ADMINISTRATION INTÉRIEURE.

ART. 76. La division du territoire eu départements, arrondissements, cantons et communes, est maintenue. Les circonscriptions actuelles ne pourront être changées que par la loi.

ART. 77. Il y a : 1° dans chaque département une administration composée d'un préfet, d'un conseil général, d'un conseil de préfecture ;

2° Dans chaque arrondissement, un sous-préfet ;

3° Dans chaque canton, un conseil cantonal. Néanmoins, un seul conseil cantonal sera établi dans les villes divisées en plusieurs cantons ;

4° Dans chaque commune, une administration composée d'un maire, d'adjoints et d'un conseil municipal.

ART. 78. Une loi déterminera la composition et les attributions des conseils généraux, des conseils cantonaux, des conseils municipaux, et le mode de nomination des maires et des adjoints.

ART. 79. Les conseils généraux et les conseils municipaux sont élus par le suffrage direct de tous les citoyens domiciliés dans le département bu dans la commune. Chaque canton élit un membre du conseil général.

Une loi spéciale réglera le mode d'élection dans le département de la Seine, dans la ville de Paris et dans les villes de plus de vingt mille âmes.

ART. 80. Les conseils généraux, les conseils cantonaux et les conseils municipaux peuvent être dissous par le président de la république, de l'avis du conseil d'État. La loi fixera le délai dans lequel il sera procédé à la réélection.

CHAPITRE VIII. — DU POUVOIR JUDICIAIRE.

ART. 81. La justice est rendue gratuitement au nom du peuple français.

Les débats sont publics, à moins que la publicité ne soit dangereuse pour l'ordre ou les mœurs ; et, dans ce cas, le tribunal le déclare par un jugement.

ART. 82. Le jury continuera d'être appliqué en matière criminelle.

ART. 83. La connaissance de tous les délits politiques et de tous les délits commis par la voie de la presse appartient exclusivement au jury.

Les lois organiques détermineront la compétence en matière de délits d'injures et de diffamation contre les particuliers.

ART. 84. Le jury statue seul sur les dommages-intérêts réclamés pour faits ou délits de presse.

ART. 85. Les juges de paix et leurs suppléants, les juges de première instance et d'appel, les membres de la cour de cassation et de la cour des comptes, sont nommés par le président de la république, d'après un ordre de candidature ou d'après des conditions qui seront réglées par les lois organiques.

ART. 86. Les magistrats du ministère public sont nommés par le président de la république.

ART. 87. Les juges de première instance et d'appel, les membres de la cour de cassation et de la cour des comptes sont nommés à vie.

Ils ne peuvent être révoqués ou suspendus que par un jugement, ni mis à la retraite que pour les causes et dans les formes déterminées par les lois.

ART. 88. Les conseils de guerre et de révision des armées de terre et de mer, les tribunaux maritimes, les tribunaux de commerce, les prud'hommes et autres tribunaux spéciaux, conservent leur organisation et leurs attributions actuelles, jusqu'à ce qu'il y ait été dérogé par une loi.

ART. 89. Les conflits d'attributions entre l'autorité administrative et l'autorité judiciaire seront réglés par un tribunal spécial de membres de la cour de cassation et de conseillers d'Etat, désignés tous les trois ans en nombre égal par leurs corps respectifs.

Ce tribunal sera présidé par le ministre de la justice.

ART. 90. Les recours pour incompétence et excès de pouvoir contre les arrêts de la cour des comptes seront portés devant la juridiction des conflits.

ART. 91. Une haute-cour de justice juge sans appel ni recours en cassation les accusations portées par l'assemblée nationale contre le président de la république ou les ministres.

Elle juge également toutes personnes prévenues de crimes, attentats pu complots contre la sûreté intérieure ou extérieure de l'État, que l'assemblée nationale aura renvoyées devant elle.

Sauf le cas prévu par l'article 68, elle ne peut être saisie qu'en vertu d'un décret de l'assemblée nationale, qui désigne la ville où la cour tiendra ses séances.

ART. 92. La haute-cour est composée de cinq juges et de trente-six jurés.

Chaque année, dans les quinze premiers jours du mois de novembre, la cour de cassation nomme, parmi ses membres, au scrutin secret et à la majorité absolue, les juges de la haute-cour, au nombre de cinq et deux suppléants. Les cinq juges appelés à siéger feront choix de leur président.

Les magistrats remplissant les fonctions du ministère public sont désignés par le président de la république, et, en cas d'accusation du président ou des ministres, par l'assemblée nationale.

Les jurés, au nombre de trente-six et quatre jurés suppléants, sont pris parmi les membres des conseils généraux des départements.

Les représentants du peuple n'en peuvent faire partie.

ART. 93. Lorsqu'un décret de l'assemblée nationale a ordonné la formation de la haute-cour de justice, et dans le cas prévu par l'article 68, sur la réquisition du président ou de l'un des juges, le président de la cour d'appel, et à défaut de cour d'appel, le président du tribunal de première instance du chef-lieu judiciaire du département, tire au sort, en audience publique, le nom d'un membre du conseil général.

ART. 94. Au jour indiqué pour le jugement, s'il y a moins de soixante-jurés présents, ce nombre sera complété par des jurés supplémentaires tirés au sort par le président de la haute-cour, parmi les membres du conseil général du département où siégera la cour.

ART. 95. Les jurés qui n'auront pas produit d'excuse valable seront condamnés à une amende de mille à dix mille francs, et à la privation des droits politiques pendant cinq ans au plus.

ART. 96. L'accusé et le ministère public exercent le droit de récusation comme en matière ordinaire.

ART. 97. La déclaration du jury, portant que l'accusé est coupable, ne peut être rendue qu'à la majorité des deux tiers des voix.

ART. 98. Dans tous les cas de responsabilité des ministres, l'assemblée nationale peut, selon les circonstances, renvoyer le ministre inculpé, soit devant la haute-cour de justice, soit devant les tribunaux ordinaires pour les réparations civiles.

ART. 99. L'assemblée nationale et le président de la république peuvent, dans tous les cas, déférer l'examen des actes de tout fonctionnaire, autre que le président de la république, au conseil d'État, dont le rapport est rendu public.

ART. 100. Le président de la république n'est justiciable que de la haute-cour de justice.

Une peut, à l'exception du cas prévu par l'article 68, être poursuivi que sur l'accusation portée par l'assemblée nationale pour crimes et délits qui seront déterminés par la loi.

CHAPITRE IX. — DE LA FORCE PUBLIQUE.

ART. 101. La force publique est instituée pour défendre l'État contre les ennemis du dehors, et pour assurer au dedans le maintien de l'ordre et l'exécution des lois.

Elle se compose de la garde nationale et de l'armée de terre et de mer.

ART. 102. Tout Français, sauf les exceptions fixées par la loi, doit le service militaire et celui de la garde nationale.

La faculté pour chaque citoyen de se libérer du service militaire personnel sera réglée par la loi du recrutement.

ART. 103. L'organisation de la garde nationale et la constitution de l'armée seront réglées par la loi.,

ART. 104. La force publique est essentiellement obéissante.

Nul corps armé ne peut délibérer.

ART. 105. La force publique, employée pour maintenir l'ordre à l'intérieur, n'agit que sur la réquisition des autorités constituées, suivant les règles déterminées par le pouvoir législatif.. -

ART. 106. Une loi déterminera les cas dans lesquels l'état de siège pourra être déclaré, et réglera les formes et les effets de cette mesure.

ART. 107. Aucune troupe étrangère ne peut être introduite sur le territoire français sans le consentement préalable de l'assemblée nationale.

CHAPITRE X. — DISPOSITIONS PARTICULIÈRES.

ART. 108. La Légion-d'Honneur est maintenue ; ses statuts seront révisés et mis en harmonie avec la constitution.

ART. 109..Le territoire de l'Algérie et des colonies est déclaré territoire français, et sera régi par des lois particulières, jusqu'à ce qu'une loi spéciale les place sous le régime de la présente constitution.

ART. 110. L'assemblée nationale confie le dépôt de la présente constitution et des droits qu'elle consacre, à la garde et au patriotisme de tous les Français.

CHAPITRE XI. — DE LA RÉVISION DE LA CONSTITUTION.

ART. 111. Lorsque, dans la dernière année d'une législature, l'assemblée nationale aura émis le vœu que la constitution soit modifiée en tout ou en partie, il sera procédé à cette révision de la manière suivante :

Le vœu exprimé par l'assemblée ne sera converti en résolution définitive qu'après trois délibérations consécutives prises chacune à un mois d'intervalle et aux trois quarts des suffrages exprimés. Le nombre des votants devra être de cinq cents au moins.

L'assemblée de révision ne sera nommée que pour trois mois.

Elle ne devra s'occuper que de la révision pour laquelle elle aura été convoquée.

Néanmoins, elle pourra, en cas d'urgence, pourvoir aux nécessités législatives.

CHAPITRE XII. — DISPOSITIONS TRANSITOIRES.

ART. 112. Les dispositions des codes, lois et règlements existants, qui ne sont pas contraires à la présente constitution, restent en vigueur jusqu'à ce qu'il y soit légalement dérogé.

ART. 113. Toutes les autorités constituées par les lois actuelles demeurent en exercice jusqu'à la promulgation des lois organiques qui les concernent.

ART. 114. La loi d'organisation judiciaire déterminera le mode spécial de nomination pour la première composition des nouveaux tribunaux.

ART. 115. Après le vote de la constitution, il sera procédé, par l'assemblée nationale constituante, à la rédaction des lois organiques dont l'énumération sera déterminée par une loi spéciale.

ART. 116. Il sera procédé à la première élection du président de la république, conformément à la loi spéciale rendue par l'assemblée nationale, le 28 octobre 1848.