HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION DE 1848

TOME QUATRIÈME

 

CHAPITRE VI.

 

 

L'élection du président absorbe l'attention publique. — Suicide de l'assemblée nationale. — Elle s'occupe de la responsabilité du président — Vœu d'un ajournement émis par les journaux réactionnaires. — L'assemblée y répond en décrétant la série de lois organiques qu'elle doit porter. — Les candidats à la présidence se posent. — Le général Cavaignac porté par le parti des modérés. — Sa circulaire aux fonctionnaires civils et militaires. — Appréciation de sa politique. — Ses amis espèrent un succès complet. — Candidature du général Changarnier. — Le général Bugeaud se met sur les rangs. — Il compte sur les voix des réactionnaires. — Chances qu'aurait eues M. de Lamartine. — Il se trouve séparé des démocrates et délaissé par les réactionnaires. — La candidature du citoyen Ledru-Rollin est présentée comme une protestation contre la présidence. — Elle est fortement appuyée par la montagne, les comités démocratiques, les clubs, les feuilles républicaines et les travailleurs. — Déclaration de la montagne. — Les journaux démocratiques motivent leur choix de Ledru-Rollin. — Décision du congrès électoral à son égard. — Scission entre les socialistes et les politiques. — Candidature des citoyens Raspail et Louis Blanc. — Si la dernière et l'unique espérance du peuple c'est le socialisme, la première et la seule espérance du socialisme, c'est la république. — Candidature du citoyen Louis Bonaparte. — Journaux et partis qui l'appuient. — Moyens employés pour la faire réussir. — Guerre ignoble que se font les candidats. — Vues des légitimistes en appuyant Louis-Napoléon. — Son manifeste. — Ses promesses. — La question nettement posée. — Article du journal la Réforme à ce sujet. — Illusions détruites par le scrutin. — Les démocrates votent pour Louis, en haine du général Cavaignac. — Louis-Napoléon obtient cinq millions et demi de voix. — Il est proclamé président de la république française. — Nouveau ministère. — Barrot. — C'est comme sous la monarchie.

 

Il serait exact de dire, qu'à partir du vote définitif de la constitution jusqu'à l'élection du président de la république, toutes les affaires quelconques restèrent suspendues, et que l'on ne s'occupa guère en France que de cette élection, considérée par bien des gens comme la panacée qui devait guérir tous les maux de l'État. L'histoire de cette époque pourrait donc se borner au récit des démarches actives et des intrigues de toute nature, auxquelles se livrèrent dès lors les partis divers qui se montraient enchantés d'avoir obtenu quelque chose de semblable à une royauté.

Mais il serait injuste de ne plus parler de l'assemblée nationale, quoiqu'elle se fût suicidée par l'adoption du chapitre V de la constitution de 1848. Nous devons donc continuer à dire ce qu'elle fit pendant les deux mois qui précédèrent l'organisation définitive du nouveau gouvernement.

Comme la constitution n'avait rien statué à l'égard de la responsabilité du futur président, l'assemblée se hâta de placer à l'ordre du jour une loi à ce sujet : elle le fit même d'urgence ; car, la plupart des législateurs commençaient à comprendre combien était grave et périlleuse cette création présidentielle, dont ils venaient de doter la république. Comme on sait la valeur de ces lois de responsabilité, nous passerons sous silence les dispositions élaborées par le citoyen Crémieux, et nous nous bornerons à faire remarquer que, par cette loi, l'assemblée voulait constater qu'elle n'avait pas donné sa démission.

Or, comme en ce moment là quelques feuilles réactionnaires avaient commencé à émettre le vœu d'une prorogation, la proposition formelle en fut aussitôt présentée à l'assemblée. La commission chargée de l'examiner consulta le gouvernement. Sans s'expliquer sur le fond même de la question, le général Cavaignac se borna à déclarer, que quelle que fut la détermination de l'assemblée à ce sujet, il croyait pouvoir répondre delà paix et de la sûreté publique. Ainsi, lorsqu'il s'était agi de la levée de l'état de siège, le cabinet avait déclaré qu'il verrait un grand danger à laisser la société désarmée, et quand il était question de se débarrasser de la tutelle d'une assemblée, d'ailleurs fort peu gênante, ce même cabinet répondait de tout.

C'est que la plupart des ministres du conseil et le président lui-même pensaient probablement que le rôle de l'assemblée nationale était fini, et qu'elle pouvait aller se reposer. Bien des membres n'auraient pas été fâchés de préparer leur réélection ; quelques-uns firent même observer que la réunion des conseils généraux s'approchant, il serait convenable que ceux des députés appartenant à ces conseils locaux pussent prendre part à leurs délibérations.

Néanmoins, la commission de constitution proposa le rejet de la proposition d'ajournement, tout en émettant le vœu d'une suspension momentanée des travaux législatifs, et la majorité de l'assemblée déclara, par son vote, qu'elle ne se prorogerait pas.

Ce fut là un échec pour ceux qui auraient voulu, d'une manière ou d'autre, que l'assemblée se séparât. Or, comme les journaux réactionnaires ne cessaient de revenir sur cette question, et qu'ils ne craignaient pas de sommer la constituante de se retirer, elle crut devoir répondre à ces insolentes sommations par un projet de décret tendant à déterminer les lois organiques qu'elle jugeait nécessaires de voter avant de se séparer. Ce projet embrassait : la loi sur la responsabilité des dépositaires du pouvoir ; la loi sur le conseil d'État ; la loi électorale ; la loi d'organisation départementale et communale ; celle sur l'organisation du jury ; celle sur la force armée ; la loi définitive sur la presse, et la loi sur l'état de siège. Le rapporteur de la commission de constitution demandait même l'urgence pour la nomination d'une commission générale des lois organiques ; mais l'assemblée se borna à décréter le renvoi dans les bureaux.

Quelques jours après, le citoyen Boussi présenta un amendement tendant à augmenter le nombre de ces lois organiques. Ce représentant aurait voulu qu'on comprît dans la proposition générale, conformément à la constitution : 1° la loi réglementaire de la police intérieure des assemblées nationales et de leurs relations avec les pouvoirs exécutif et judiciaire ; 2° la loi d'organisation et d'attributions de l'administration centrale ; 3° la loi réglementaire des réunions et associations ; 4° la loi organique de l'assistance.

Déjà on avait distribué aux représentants une liste de quarante-six projets ou propositions qui étaient à l'Etat de rapport ; ce qui faisait dire aux journaux chargés de renvoyer l'assemblée constituante, qu'elle voulait s'éterniser.

Mais pendant que les bureaux examinaient ces propositions, le temps s'écoulait et l'élection du président s'approchait ; aussi devint-il impossible de s'occuper sérieusement d'autre chose que de cette élection ; à elle seule elle absorbait toutes les facultés de l'assemblée, comme celles des citoyens ; car les candidatures surgissaient, se posaient et divisaient la France en plusieurs camps, ayant chacun leur drapeau.

Au premier rang se présentait naturellement le général Cavaignac, président de fait depuis quelques mois. Il fondait son espoir sur la confiance qu'une grande majorité dans l'assemblée lui témoignait ; il comptait aussi sur le parti du National qui l'avait constamment appuyé, et sur les titres qu'il croyait avoir à la reconnaissance des modérés. Il comptait enfin sur les nombreux fonctionnaires civils et militaires auxquels il venait d'adresser sa profession de foi, à l'égard de la constitution, afin, disait-il, de se mettre directement en rapports avec eux, au milieu des circonstances solennelles où le pays se trouvait.

Le général Cavaignac y attribuait tous les maux qui venaient d'affliger la patrie aux irrésolutions provenant de ce que, la constitution n'étant pas faite, la révolution ne se trouvait pas définie.

Désormais, ajoutait-il, la constitution est faite, et la révolution définie dans sa règle, dans son organisation, et quiconque, s'élevant contre la loi nouvelle, prétendrait encore demander à la révolution qui s'accomplit, l'acquittement de dettes imaginaires, encourrait à juste titre les sévérités de la loi.... La république sans le bon ordre, le bon ordre sans la république, ajoutait-il, sont désormais deux faits également impossibles, et celui qui prétendrait les séparer ou sacrifier l'un à l'autre, est un citoyen dangereux, que la raison condamne et que le pays repousse. Attachez-vous donc à vous pénétrer de ces pensées et à les faire pénétrer dans l'esprit de ceux qui vous secondent ou vous entourent. Vous connaissez les erreurs et les dangers de notre époque ; vous continuerez à les combattre avec le dévouement que la république a le droit d'attendre de votre part. L'appui de l'autorité qui vous dirige, l'opinion de la nation tout entière, sont les sources où vous irez retremper le courage qui vous est nécessaire, pour ne pas faillir en présence d'agressions audacieuses, si par malheur elles venaient à se reproduire.

Ainsi le chef du pouvoir exécutif semblait ne trouver de rigueurs que pour les doctrines des socialistes et même des démocrates ; aussi recommandait-il aux fonctionnaires d'écarter sans hésitation quiconque ne commanderait par leur confiance.... Plus d'une nation, ajoutait-il, a étouffé ses propres libertés sous le fardeau de la reconnaissance ; je n'en connais pas qui les ait vues disparaître devant le remords de son ingratitude. C'était dire aux fonctionnaires qu'ils ne devaient avoir aucuns égards pour les vieux républicains ayant usé leur vie à combattre les royautés et leurs dogmes.

Tout cela était bien pâle, bien vague ; ce qu'il apparaissait de plus clair dans cette fameuse circulaire, c'est que le gouvernement, dont le général était le chef, croyait avoir accompli, de la manière la plus digne d'éloges, ses devoirs envers la nation.

Quant à la politique suivie, à l'égard de l'extérieur, le chef du pouvoir exécutif déclarait hautement que, grâce aux principes loyaux et généreux tracés par l'assemblée nationale, le gouvernement de la république avait là confiance d'arriver au terme de son autorité provisoire, sans avoir vu troubler les rapports pacifiques que tous ses efforts avaient tendu à consolider, et qu'il léguerait au pouvoir définitif une situation dont le maintien ne coûterait rien à l'honneur et aux intérêts de la France.

M. Guizot ne parlait pas avec plus d'assurance quand il laissait la France pourrir au milieu de la paix à tout prix, et le peuple français ne devait guère trouver de différence entre la circulaire du général Cavaignac et les explications que donnait souvent le ministre de Louis-Philippe à ses satisfaits.

Quoiqu'il n'y eût dans cet exposé aucun acte qui pût mériter au général l'honneur de devenir président définitif de la république française, ses amis, et principalement ceux appartenant au parti du National, vantèrent beaucoup la ligne de conduite que le chef du pouvoir exécutif traçait aux fonctionnaires ; à leurs yeux, nul autre candidat ne pouvait lui disputer la suite de possession d'un pouvoir qu'il avait rendu si respectable. Et d'ailleurs, le général Cavaignac ne s'était-il pas révélé à la France comme un homme supérieur, et son étoile ne semblait-elle pas le destiner à atteindre rapidement tous les plus hauts échelons de la fortune ? Ceux qui, dans ces régions officielles, appuyaient cette candidature, doutaient d'abord si peu du succès, qu'ils avaient déjà assigné au rapporteur de la constitution, le citoyen Marrast, les fonctions de vice-président.

En effet, il était permis de croire que le candidat du National l'emporterait facilement sur des concurrents tels que le général Changarnier.

Un autre chef militaire, le général Bugeaud, s'était aussi placé sur les rangs.

Quoiqu'il se fût-montré constamment l'ennemi irréconciliable de la république et des républicains, cet autre officier général avait conservé une si bonne opinion de lui-même, qu'après s'être considéré longtemps comme l'homme indispensable à la monarchie, il osait concevoir la prétention d'être nécessaire à la république. Les hauts grades dont la royauté s'était plue à le revêtir si rapidement, au grand scandale du pays tout entier, qui n'oubliait pas le rôle odieux dont ce militaire s'était chargé dans plus d'une circonstance, les honneurs et les dignités dont on l'avait affublé, semblaient lui avoir tourné la tête, au point que, sans posséder le moindre titre à la candidature, il ne s'était pas moins mis sur les rangs pour arriver à la présidence de la république, comptant sur l'appui des feuilles les plus contrerévolutionnaires. Quelque grands que fussent les progrès de la réaction, le général Bugeaud ne devait espérer évidemment que les voix les plus hostiles à la république, les seules qui se seraient réunies sur lui, dans l'intention d'en faire un nouveau Monck, c'est-à-dire un traître à la cause de la liberté. Il ne pouvait donc être un concurrent sérieux pour le général Cavaignac. Il le sentit et se désista en véritable fanfaron.

M. de Lamartine aurait pu lutter avantageusement contre le chef du pouvoir exécutif, s'il ne fût pas surgi une autre candidature, qui devait fasciner les yeux de bien des gens par son seul nom. M. de Lamartine avait naguère joui d'une immense popularité ; les électeurs de dix départements s'étaient empressés de lui donner par avance un million de voix : les uns le considéraient comme l'homme nécessaire au gouvernement de la république ; d'autres étaient encore en extase devant les éloquents rapports du ministre qui avait dirigé la politique étrangère aux premiers temps de la révolution de février. Si cette politique, par trop pacifique, ne répondait pas immédiatement aux exigences de la situation, si elle avait eu pour résultat de refréner la juste impatience des plus conséquents parmi les démocrates, au moins M. de Lamartine s'était-il gardé de fermer totalement la porte aux généreux élans des révolutionnaires ; et ceux-ci, comparant les nobles paroles du gouvernement provisoire à celles prononcées par le pouvoir qui lui avait succédé, relativement à la politique du dehors, auraient certainement continué à donner la préférence à l'homme qui avait constamment parlé de la délivrance de la Pologne, de l'Italie et des autres peuples en état de révolution, comme d'une dette de la France républicaine.

Il ne faut cependant pas se dissimuler que les réactionnaires avaient puissamment contribué à lui former cette grande clientèle. Or, par la qualification de réactionnaires, j'entends ce pêle-mêle de légitimistes, de philippistes, de peureux et de mauvais citoyens, qui, déplorant la révolution de février et détestant les chefs démocrates qu'elle avait mis en évidence, avaient pris à tâche d'exalter l'un des membres du gouvernement provisoire, celui qui leur paraissait représenter les idées les moins révolutionnaires, et selon eux les moins subversives, au détriment de ceux en qui la révolution et la démocratie s'étaient personnifiées. Il sera donc exact de dire que M. de Lamartine avait, comme Annibal, réuni sous ses drapeaux des troupes de toutes les nations, ayant des mobiles divers, et que la moindre circonstance pouvait diviser profondément.

C'est ce qui arriva lorsque, par une résolution qui devait l'honorer aux yeux de toute la France, M. de Lamartine refusa de faire partie de la commission exécutive, si Ledru-Rollin en était éliminé. De ce moment la tourbe réactionnaire, qui ne raisonnait pas, se détacha de son idole, et peu s'en fallut qu'elle ne le foulât à ses pieds. Comme M. de Lamartine tenait à sa popularité, il voulut en vain donner à ceux qui s'éloignaient de lui tous les gages possibles de son dévouement à la république des modérés ; il ne put ramener le parti qui l'avait applaudi lorsqu'il blâma les fameuses circulaires, et acheva d'éloigner de lui ceux des démocrates qui n'avaient point désespéré alors du grand orateur. C'est ainsi qu'après avoir possédé sans partage une popularité prodigieuse, M. de Lamartine se trouva tout à coup séparé des démocrates et délaissé par les réactionnaires, auxquels les nouveaux représentants du peuple donnèrent l'exemple de l'ingratitude envers le membre du gouvernement provisoire qui les avait si puissamment aidés à revenir sur la scène politique.

Malgré cette indifférence, il est très-probable que les sympathies du peuplé eussent de nouveau entouré M. de Lamartine, s'il n'eût été en présence que du seul général Cavaignac. En déposant leur bulletin de vote, les uns eussent pensé aux services que M. de Lamartine a rendus à la révolution par son Histoire des Girondins ; les autres se seraient rappelé ses luttes de tribune et le talent dont il avait fait preuve en défendant la cause des libertés publiques ; beaucoup eussent rendu hommage à ses qualités personnelles, et les masses populaires lui auraient donné un grand nombre de voix en haine de son concurrent. Les hommes éclairés, repoussant de toutes leurs forces le gouvernement du sabre et de l'état de siège, auraient très-certainement aussi voté en faveur de M. de Lamartine, comme offrant plus de garanties libérales que le chef militaire qui avait laissé démolir pièce à pièce l'œuvre révolutionnaire du gouvernement provisoire. Nul doute que, malgré ses fautes, M. de Lamartine ne l'eût emporté sur le général Cavaignac.

Au surplus, ce candidat s'exprimait très-modestement dans la réponse adressée à ceux qui lui demandaient s'il acceptait la candidature :

Je ne brigue pas les suffrages, leur disait-il ; je ne les désire pas ; mais la république peut avoir encore des difficultés et des dangers à traverser. Il y a aussi loin de la hardiesse de solliciter à la faiblesse de refuser, qu'il y a loin de l'ambition au dévouement. Ce dévouement me commande de ne pas retirer mon nom au libre choix du pays. J'accepte donc les suffrages qui se porteraient sur moi.

Quant à la candidature du citoyen Ledru-Rollin, candidature fortement appuyée parla montagne et par tous les comités et feuilles démocratiques, dans les circonstances où le pays se trouvait, elle ne pouvait être considérée que comme un hommage rendu aux principes républicains ; car ce candidat était lui-même la négation de la présidence, contre laquelle il avait voté. Ses amis politiques le présentaient encore afin de le venger de toutes les calomnies dont il avait été l'objet. Il faut, disaient-ils, que la lumière se fasse, et que Ledru-Rollin soit dignement vengé par les suffrages de tous ceux qui ont au cœur une fibre républicaine et l'amour de leur pays.

La réunion de la rue Taitbout, dite de la Montagne, publia une déclaration dans laquelle on lisait les phrases suivantes :

Citoyens, nous voulions l'unité du pouvoir, et nous la voulons encore. Nous avons voté contre le principe de la présidence ; mais puisque le vote de la majorité l'a emporté, puisque la constitution admet un président, il faut bien se garder de s'abstenir.

Les candidats sérieux qui s'offrent à vos suffrages sont connus de vous ; vous savez ce qu'ils valent ; l'un a pour droits un nom, un souvenir dynastique ; l'autre des gages donnés à la réaction. Sans vouloir discuter ici les mérites de tous, nous dirons d'abord qu'il faut mettre à la tête de la république un républicain, car il faut conserver, développer et compléter la république.

Dans cette situation, le citoyen Ledru-Rollin est celui qui mérite toute notre confiance, et qui peut, en outre, rallier les diverses nuances de la démocratie. Nous n'avons pas besoin de rappeler à l'estime des patriotes les titres de l'homme qui le premier, avec le peuple, a proclamé la république, et qui a organisé le suffrage universel. Si le citoyen Ledru-Rollin n'a pu jusqu'à présent appliquer tous nos principes et réaliser toutes nos idées, c'est qu'il fut paralysé par une majorité vouée à des idées et à des principes contraires.

 

Aussitôt les nombreux comités démocratiques et les sociétés populaires des départements prirent la candidature du citoyen Ledru-Rollin sous leur patronage spécial. Elle fut proclamée dans les clubs, dans les banquets, et fortement motivée dans tous les journaux républicains ; des adresses lui furent envoyées par les démocrates des diverses villes pour lui annoncer qu'il avait été acclamé.

En appuyant la candidature du citoyen Ledru-Rollin, disait à ce sujet le National de l'Ouest, nous ne sommes mus que par l'intérêt général de la république. Nous voyons dans Ledru-Rollin l'homme aux convictions démocratiques éprouvées ; mais en même temps un homme d'ordre, quoique la réaction en dise, le seul qui puisse consolider la république de manière à ramener la confiance.

Toutes les réformes bienfaisantes, Ledru-Rollin ne les ferait pas attendre au peuple, ajoutait le Constitutionnel-Démocrate ; il l'a proclamé hautement ; il tiendrait parole. Aujourd'hui, d'ailleurs, il est impossible de soutenir plus longtemps que Ledru-Rollin est l'auteur des quarante-cinq centimes...

Le Messager du Nord contenait une adresse du comité démocratique de Valenciennes aux frères des villes et des campagnes, dans laquelle il recommandait la candidature de Ledru-Rollin comme la seule qui pouvait donner au peuple les gages d'une constante sollicitude pour ses plus chers intérêts.

Portons donc à la présidence, y disait-on, le citoyen qui le premier a osé, sous la monarchie, au banquet de Lille, proclamer nos droits, en même temps qu'il nous rappelait nos devoirs.

En soutenant la candidature du vrai fondateur de la république de 1848, nous soutenons un principe, lisait-on dans le Républicain de Lot-et-Garonne. Ledru-Rollin n'est pour nous ni un homme ni un nom : c'est la république.

Nos ouvriers se sont rappelés, ajoutait une autre feuille du département du Nord, qu'au gouvernement provisoire, le citoyen Ledru-Rollin a toujours eu pour règle d'alléger le sort de celui qui souffre ; qu'il a voté le crédit foncier et le droit au travail ; enfin que, dans toutes les occasions, il s'est montré le défenseur intelligent et dévoué des classes laborieuses.

Le comité électoral des Bouches-du-Rhône et le club Castellane de Marseille s'empressèrent de recommander la candidature du citoyen Ledru-Rollin aux habitants des départements des Bouches-du-Rhône, du Var, des Basses-Alpes et de Vaucluse.

Ledru-Rollin, leur disaient-ils, est l'homme principe, en qui se résume aujourd'hui la démocratie française. Fondateur de la république, il pourra mieux que personne la défendre contre les ennemis implacables qui s'acharnent à la détruire.

Avec Ledru-Rollin, ajoutait le Citoyen de Dijon, la France atteint le but qu'elle s'est proposé en saisissant l'arme des révolutions ; avec Ledru-Rollin, il y a désormais une barrière infranchissable entre le passé et l'avenir ; l'astre vieilli des royautés pâlit pour jamais devant l'étoile naissante des républicains, et la France devient pour toujours le phare autour duquel doivent se rallier les nations civilisées.

Ledru-Rollin et ses amis, disaient encore les démocrates des Hautes-Pyrénées, veulent ce que veut le peuple : l'unité de pouvoir, la distinction des fonctions, la liberté de la presse, la liberté de réunion et d'association, le système d'élection appliqué à toutes les fonctions publiques, l'éducation gratuite, la révision des lois sur le service militaire et sa réduction de trois années, l'abolition immédiate des impôts qui frappent les objets de première nécessité, le sel, les boissons, etc., etc. ; la réforme de l'impôt foncier, des octrois, des patentes ; l'établissement de l'impôt proportionnel et progressif sur le revenu net, la réforme administrative, judiciaire et pénale, la justice gratuite, le droit au travail, le crédit, l'association, etc. ; en un mot, ils veulent pacifiquement et progressivement toutes les conséquences des trois grands principes de la révolution française : liberté, égalité, fraternité, c'est-à-dire le gouvernement de tous, par tous et pour tous.

Voilà ce que c'est que la république une et indivisible, démocratique et sociale, la seule vraie, et dont les monarchistes cherchent à vous effrayer par toutes sortes de moyens. Cette république, c'est celle de Ledru-Rollin et de tous les démocrates sincères. Frères de la ville et des campagnes, républicains des Hautes-Pyrénées, vous voterez pour elle en votant pour le citoyen Ledru-Rollin.

Enfin, le congrès électoral national siégeant à Paris, et formé des délégués de cette ville, de la banlieue, des corporations ouvrières, du compagnonnage, de l'armée et des départements, au nombre de trois cents, décida, à l'unanimité moins trois voix, que le seul candidat à la présidence, sur lequel il appelait les suffrages des démocrates socialistes, était le citoyen Ledru-Rollin.

Chacun de nous, disait le bureau de ce congrès, peut avoir des sympathies et des préférences; mais quand nous n'avons qu'une voix à donner, il faut suivre le plus grand nombre. De toutes parts on porte le citoyen Ledru-Rollin; son nom est partout accueilli avec enthousiasme; nous avons applaudi au manifeste de la montagne et nous l'avons adopté; toute la vie du citoyen Ledru-Rollin a été consacrée à mettre en pratique les idées que ce manifeste renferme. Un lien indissoluble l'enchaîne à cette œuvre. Nous devons nous réunir à la majorité, et voter pour ce bon citoyen.

Ce n'était pas sans raison que le congrès électoral démocratique recommandait aux républicains de se serrer et de ne pas se diviser. Une scission, dont les feuilles réactionnaires firent grand bruit, venait de se manifester au sein du grand parti de la révolution. Heureusement elle ne portait point sur les principes démocratiques; elle n'avait pour cause qu'une erreur facile à détruire.

Quelques citoyens, professant exclusivement le socialisme pur, crurent qu'ils devaient tracer d'eux-mêmes une ligne de démarcation entre les socialistes et ceux qu'ils appelaient les politiques ; et pour que cette ligne fût bien tranchée, ils refusèrent de donner leurs voix au candidat des républicains politiques, et les portèrent sur un autre citoyen célèbre, qu'ils considérèrent comme étant plus socialiste que démocrate, c'est-à-dire, suivant leur propre langage, que politique.

Il n'y avait là qu'une erreur provenant d'un défaut de logique, et cette erreur une fois constatée et reconnue, ne pouvait pas diviser sérieusement des hommes qui étaient en véritable communion dé principes et d'opinions politiques, des hommes attelés tous au char de la révolution.

Or, cette erreur provenait de ce que les démocrates appelés politiques, pensaient qu'avant d'arriver à l'application des doctrines socialistes, on devait travailler révolutionnairement à asseoir là république, et à fonder le règne de là démocratie ; que cette première transformation, toute politique, de la société était le seul moyen d'arriver à la propagation des doctrines appelés socialistes, en ce qu'elles avaient d'immédiatement applicable. C'était là la pensée de tous les républicains sincères, de tous les démocrates conséquents ; ils croyaient que les principes d'humanité destinés à empêcher l'exploitation de l'homme par l'homme, ceux de l'association, du droit au travail, etc., etc., étaient nécessairement renfermés dans les doctrines qu'avaient formulées nos pères par ce simple symbole : liberté, égalité, fraternité. C'était ainsi que venait de s'exprimer l'un des chefs dès socialistes purs, mais conséquent, Hubert, lorsqu'il disait à ses amis et coreligionnaires, à l'occasion de l'élection du président :

C'est donc la république avant tout qu'il faut sauver ou fonder et consolider, si nous ne voulons pas désespérer du triomphe dé. nos doctrines.... Si la dernière et l'unique espérance du peuple c'est le socialisme, la première et la seule espérance du socialisme, c'est la république.

Ledru-Rollin, dans le-discours-prononcé au banquet des écoles, avait insisté sur cette pensée que dans la révolution politique, et sociale étaient les deux termes où l'on devait tendre, et que l'on ne pouvait les séparer, parce qu'ils se complétaient l'un par l'autre, l'un étant le but et l'autre le moyen.

Qu'on ne dise donc plus, s'était-il écrié en combattant les assertions des socialistes purs, que la politique est impuissante. N'est-ce pas elle qui a préparé les voies à la république et au triomphe des idées socialistes parla conquête du suffrage universel ? Cessons donc de vaines distinctions et de vaines récriminations ; ne soyons ni politiques ni socialistes exclusivement ; mais disons-nous révolutionnaires socialistes. Soyons révolutionnaires et montagnards ; n'était-ce pas ainsi que s'appelait l'immortelle phalange de nos pères ?

Mais en dépit de ces vérités palpables, de cette suite logique d'idées, il s'était formé, à Paris surtout, une sorte de petite église de socialistes purs qui ne tendaient à rien moins qu'à établir des divisions et des distinctions là où il n'en existait pas ; ces jeunes gens, d'ailleurs-très-bons ; républicains démocrates, eussent volontiers supprimé du dictionnaire les mots républicain et démocrate, convaincus qu'ils étaient que le socialisme était la seule science gouvernementale dont on dût s'occuper. C'étaient ceux-là qui, ne voulant rien faire comme tous les autres républicains, s'étaient mis dans l'idée d'opposer à Ledru-Rollin un candidat de leur choix, et ce candidat fut Raspail.

Certes, les socialistes pouvaient présenter avec confiance aux suffrages des citoyens un nom qui rappelait toutes les vérités politiques- et sociales semées dans le Réformateur et dans l'Ami du peuple : le peuple connaissait toute la valeur de ce candidat à la présidence ; et c'est parce qu'il avait la conscience du haut mérite de ce vieux et intrépide démocrate, qu'il était allé le chercher dans le donjon de Vincennes pour en faire le représentant des républicains parisiens à l'assemblée nationale.

Mais les circonstances se font trop graves, s'écriait à ce sujet le journal la Réforme, pour que tous les bons citoyens, socialistes ou politiques — nous parlons ici le jargon du jour —, ne cherchent pas, au lieu de faire scission au profit de nos ennemis communs, à s'unir pour donner au vote démocratique la puissance du nombre et.la valeur de la solidarité. Que signifie d'ailleurs cette différence, cette barricade que l'on élève entre les politiques et les socialistes ? le programme, dans sa généralité, n'est-il pas le même ? et ne professe-t-on pas, des deux côtés, la même politique, la même religion, la république démocratique et sociale ? s'agit-il du moins de faire triompher une école, d'incarner un dogme dans un homme son représentant ? Pas le moins du monde ; car le citoyen candidat des socialistes est un républicain démocrate comme nous, qui n'a jamais fait le messie, et qui ne demande, comme nous, que le triomphe de l'égalité par le développement légal, par les institutions, et sous l'empire du suffrage universel.

Non-seulement les socialistes purs persistèrent à séparer leurs votes de ceux de la majorité républicaine, mais encore ils se fractionnèrent eux-mêmes pour donner une partie de leurs voix à un autre candidat socialiste, au citoyen Louis Blanc. Ce furent les anciens délégués des corporations ayant siégé au Luxembourg qui crurent devoir appuyer ce troisième candidat républicain, en considération, dirent-ils, des immenses services rendus par le citoyen Louis Blanc à la cause du socialisme. Ce proscrit livra son nom à ses amis comme une protestation contre le titre et les fonctions de président de la république ; mais ce n'en fut pas moins une nouvelle scission à enregistrer, et la république n'était pas en assez bonne fortune pour qu'on ne dût pas considérer ces divisions comme des fautes très-graves.

Néanmoins, il était évident que la candidature de Ledru-Rollin, appuyée par les citoyens les plus énergiques et les plus éclairés, faisait de grands progrès sur tous les points de la France, surtout parmi les classes laborieuses ; aussi les feuilles contre-révolutionnaires s'efforcèrent-elles de la combattre avec les mêmes moyens employés naguère contre le membre du gouvernement provisoire et de la commission exécutive ; moyens infâmes, qu'on avait pu croire usés, mais qui portèrent de nouveau les fruits que les ennemis de la révolution en avaient su tirer, lorsqu'il s'était agi de fermer les portes de l'assemblée nationale au fondateur de la république, à l'organisateur du suffrage universel.

Pendant que les républicains, dits modérés, se serraient autour du général Cavaignac, et que la grande phalange des réactionnaires mettait tout en œuvre pour repousser le citoyen Ledru-Rollin, sauf à se diviser ensuite au moment du scrutin, une autre candidature perçait, d'abord très-modestement, et comme forcée par la persistance de quelques amis. Bientôt cette candidature se trouva chaudement appuyée par une infinité de comités bonapartistes et même impérialistes. Une foule d'anciens militaires de l'empire, parmi lesquels on put remarquer bien des généraux jadis très-dévoués aux Bourbons, se déclarèrent hautement les partisans du neveu de l'empereur Napoléon, et enfin plusieurs feuilles, au nombre desquelles figuraient la Presse, l'Événement, la Gazette de France[1], le Constitutionnel, etc., appuyèrent, de toutes leurs forces, ce choix fait en haine du général Cavaignac et de la république. Dès lors, tous les moyens parurent bons à cette ligue bonapartiste, pour acquérir des voix au neveu du grand capitaine.

Le journal la Presse, principal parrain de cette candidature, déclara qu'il n'aurait pas voulu de président, mais que du moment où la majorité avait déclaré ne pouvoir s'en passer, il le voulait le plus nul possible. Dans l'opinion du rédacteur de cette feuille, le futur président n'avait besoin d'être ni orateur, ni écrivain, ni guerrier, ni politique ; il gouvernerait d'autant mieux, disait le rédacteur de cette feuille, que son incapacité serait plus grande. Ainsi, c'était pour ramener la république aux fictions constitutionnelles, et pour envoyer à la France le soliveau de la fable, que M. Emile de Girardin et quelques autres journalistes indépendants, appuyaient si vivement la candidature du citoyen Louis Bonaparte.

L'alarme fut grande parmi les nombreux membres de l'assemblée nationale qui portait à la présidence le général Cavaignac ; ils crurent parer le coup en donnant une nouvelle activité à leur correspondance avec les départements, et les journaux de la réunion dite de l'Institut, comme ceux dévoués à la fraction qui se réunissait au Palais-National, chantèrent sur tous les tons les louanges du chef du pouvoir exécutif, rejetant sur les circonstances les concessions que celui-ci avait dû faire à la réaction.

Quant aux représentants siégeant au club de la rue de Poitiers, comme ils étaient tous royalistes au fond, ils penchaient pour le candidat de la Presse, et ce, par les mêmes motifs que le rédacteur en chef de ce journal ; mais avec l'arrière pensée que le président de leur choix serait bientôt usé au contact des partis, et que son passage à la présidence servirait de planche pour aller de la république à ce qu'ils appelaient la légitimité. Mais trop habiles pour se mettre en évidence et manifester leur pensée, ils laissaient faire les amis de M. Louis Bonaparte ; ils les auraient même secondés au besoin, tant il y a de la sincérité dans l'âme, de ces hommes rompus aux intrigues de la royauté ! Ce n'était donc pas sans raison, qu'un journal républicain faisait remarquer que le neveu de l'empereur était devenu le candidat, non pas seulement des intrigants de tous les partis, mais encore de tous les casse-cou politiques. Il est en même temps recommandé, disait ce journal, par M. Emile de Girardin, par M. de Genoude et par M. Thiers. On aurait pu ajouter que cette candidature était également appuyée par l'âme damnée de Louis-Philippe, l'ex-ministre Guizot, qui semblait avoir pris la détermination de rentrer en France pour rallier des voix à l'ex-prisonnier de Ham. Mais ce qui devait étonner encore davantage, c'est que le maréchal Bugeaud ne semblait se désister de sa ridicule candidature qu'en faveur du prince, et que le fameux préfet de police, Gisquet, rompait des lances pour le neveu de l'empereur.

Ainsi, il restait avéré que les ennemis de la république fondaient leurs espérances sur le nom que portait le citoyen Louis-Napoléon Bonaparte pour réussir à éloigner les autres candidats, et sur son incapacité pour céder bientôt la place à un autre.

Tous les renseignements que nous recevons des départements, disait à ce sujet le journal la Réforme, sont d'accord sur ce point. Légitimistes et orléanistes se disposent à profiter de l'engouement populaire que produit, dans bien des contrées, le nom de Napoléon. Elever à la présidence de la république un prince, un homme qui ne se recommande que par son nom, leur semble un chef-d'œuvre d'habileté, un pas décisif vers une monarchie quelconque. Cette élection leur paraît le meilleur moyen d'amener un conflit ; et tout conflit, quelle qu'en soit la nature, doit être nuisible à la république. C'est ainsi que raisonnent tous les contre-révolutionnaires.

En effet, on voyait la réaction se rattacher avec fureur à toutes les combinaisons qui pouvaient faire tomber la république ; les réactionnaires ne reculaient pas même devant la perspective de la guerre civile, qui fut, plus tard, invoquée par leurs journaux comme une salutaire nécessité.

Il est facile de se figurer la nature et la diversité des moyens employés dès lors pour faire réussir les combinaisons de tous les partisans du citoyen Louis Bonaparte. On le présentait aux habitants des campagnes comme l'homme qui allait à la fois restaurer les finances de l'Etat par le concours de ses richesses personnelles, et abolir tous les impôts onéreux à l'agriculture ; on disait aux ouvriers que lorsque le neveu de l'empereur pourrait dénouer les cordons de son inépuisable bourse, bien des misères seraient soulagées et bien des larmes taries. A ceux qui avaient conservé le culte de la gloire et de l'honneur national, on parlait de la tendance du futur président à relever la France de l'abaissement qu'elle devait à l'ancien gouvernement. Les biographies louangeuses, les portraits enluminés, les chansons, et jusqu'à la musique des orgues de Barbarie, pénétraient dans le dernier hameau pour réveiller les vieux souvenirs de la grande nation et des grandes choses : c'est ainsi que l'on touchait la fibre populaire. Et les simples habitants des campagnes, comme ceux des villes, se laissaient prendre à toutes ces piperies de l'intrigue ; car, quel nom pouvait-on donner à toutes ces vaines promesses, à tout ce miroitage d'une gloire dont on avait oublié le prix ? Et quelle misérable lutte que celle où la patrie était mise de côté par les candidats !

Ici, s'écriait un journal républicain, point de profession de foi politique et explicite, point de programme derrière lequel se classent les opinions et les intérêts publics ; on dirait un concours d'habileté et de ruse. Des noms, des éloges nauséabonds, à l'égard de l'un ; des critiques passionnées et toutes personnelles, une recherche de petitesse et de vilenies, poussée jusqu'à l'absurde à l'égard de l'autre. Tels sont les moyens, telles sont les armes qu'emploient les soutiens des candidatures que les événements ont mis le plus en évidence.

Une autre feuille démocratique, en se plaignant de la funeste agitation qui suspendait le cours ordinaire de toutes les affaires et même les travaux législatifs, s'écriait :

Cette élection contre laquelle nous avons protesté de toutes nos forces ; cette élection qui, malheureusement pour la France, n'a pas dit son dernier mot, inquiète, émeut, agite extraordinairement les esprits. La lutte est sérieusement engagée ; les candidats, plus ou moins contre-révolutionnaires, s'entredéchirent à belles dents ; les journaux, les pamphlets, les courtiers, les caricatures, les révélations, la vérité, le mensonge, les colères, les passions, tout est déchaîné, tout se faufile dans l'ombre, se croise ou se heurte au grand jour..... La république n'y perdra rien ; elle saura ce que vaut au juste la dépouille de ces grands hommes.....

Nous ne connaissons pas de meilleur enseignement pour le pays, ajoutait cette feuille, qu'une querelle d'ambitieux vulgaires, se rapetissant, se dénudant de leur prestige de contrebande, jusqu'à ce que de guerre lasse, ils s'affaissent pour ne plus inspirer que de la pitié. C'est ce spectacle que nous donnent aujourd'hui le général Cavaignac et Louis Bonaparte. Il n'est sorte de misères et de vilenies que leurs champions ne se jettent à la face. On nous livre nos héros en déshabillé ; on nous mène par la main dans les profondeurs les plus cachées des petitesses humaines ; on noircit les auréoles ; on souffle sur le prestige, et rien de Ce qui se rattache à eux ne réchauffe, n'enivre déjà plus.

 

Au milieu de cet indigne pugilat, de ce hideux commerce de calomnies, de cette guerre à coups de dents que se faisaient les deux candidats des modérés, on ne pouvait manquer de s'apercevoir que la candidature du citoyen Louis Bonaparte, frappée d'abord par le ridicule, et ensuite par sa qualité de citoyen du canton de Turgovie, faisait journellement de grands progrès. Il semblait incompréhensible qu'un prétendant chargé des antécédents de Strasbourg, de la Suisse, de Boulogne et de Londres, pût prétendre, sans s'appuyer sur aucun service rendu à la patrie, à l'honneur d'exercer la première magistrature de la république française. Cette candidature paraissait surtout insoutenable en présence de celle d'un homme possesseur du pouvoir.

Mais cet étonnement devait cesser, si l'on considérait le sens des voix qui se ralliaient sur le neveu de l'empereur.

Il fallait d'abord placer au premier rang les anciens soldats de l'empire, promoteurs de cette candidature ; ces soldats et les habitants de leurs villages avaient conservé une grande vénération pour le nom de Napoléon, dont ils adoraient le buste en plâtre, placé dans chaque foyer. Il semblait à tous ces partisans sincères du neveu du grand homme, que l'élection de son neveu serait une protestation contre les traités de 1815, si honteusement respectés depuis plus de trente ans. Ceux-ci devaient donc voter pour Louis-Napoléon, poussés qu'ils y étaient par une sorte d'instinct national.

Mais à côté de ces hommes inspirés par de bons sentiments, combien d'autres se décidaient journellement à imiter les impérialistes par des motifs qu'ils n'auraient pas osé avouer hautement !

Et d'abord, les vieux partis légitimistes auxquels se joignirent les royalistes de la quasi-restauration, n'eurent garde de laisser échapper une occasion qui leur semblait unique pour mettre obstacle à la consolidation de la république et à la paix intérieure. Les hommes du parti de la Gazette de France trouvaient un grand avantage à n'être pas forcés de se compter autour d'un candidat de leur choix et à se mêler avec les hommes les plus opposés à la royauté du droit divin. Voici leur raisonnement : s'ils échouaient, ils n'étaient pas battus comme partis, et s'ils réussissaient, ils pouvaient s'attribuer tout l'honneur du succès, et présenter l'élection d'un président qu'ils auraient soutenu comme la preuve que la France n'était pas républicaine.

Malgré cet appui, qui aurait montré l'ancienne gloire impériale restaurée par les ci-devant marquis de Coblentz, par les héros de la Vendée et de la chouannerie et par les verdets, la candidature du citoyen Louis Bonaparte n'eût pas triomphé au scrutin, si une foule de républicains, convaincus que les circonstances s'opposaient à ce que Ledru-Rollin réunît la majorité, n'eussent pris la détermination de porter leurs voix sur le neveu de l'empereur, dans la seule crainte que, n'ayant pas de majorité bien acquise, l'assemblée ne désignât alors le candidat de son propre choix, qui eût été nécessairement le général Cavaignac. Ceux des républicains qui cédèrent à ce raisonnement, savaient très-bien qu'en votant pour Louis-Napoléon, ils marchaient vers l'inconnu ; qu'au point de vue du passé comme du présent, ce candidat n'exprimait rien par lui-même, puisqu'il ne représentait qu'un nom avec lequel la démocratie sympathisait fort peu. Mais ils préférèrent cet inconnu, ce vague qu'ils pouvaient considérer comme de bon augure dans un homme jeune encore, au régime dur et bâtard imposé à la France par les amis du général Cavaignac, régime pour lequel le peuple avait une répulsion et une haine bien caractérisées ; on se rappelait que pour tout commentaire à ses belles et fraternelles proclamations de juin, le chef du pouvoir exécutif avait livré les vaincus à la transportation et aux conseils de guerre ; qu'il avait aussi, sans pouvoir invoquer à cet égard la dure nécessité, livré les hommes et les principes de la révolution à leurs ennemis ; qu'hommes et choses, le parti tout entier avait été sacrifié à l'implacable vengeance de la réaction, lorsque la propre origine révolutionnaire et le nom du chef du gouvernement auraient dû protéger le parti. Entre ces tristes actes, entre ces faits si récents, dont le peuple avait gardé un souvenir irritant, et l'incertitude de ce que serait le neveu de Napoléon, il n'y avait point à balancer pour les citoyens dévoués à la cause des libertés publiques.

Ce fut ainsi que tous ces partis divers et opposés, ne présentant individuellement que des voix la plupart négatives, arrivèrent à former cette grande majorité dont nous parlerons bientôt.

Le manifeste que le citoyen Louis Bonaparte crut devoir adresser aux électeurs à l'occasion de sa candidature, eut un caractère généralement trop banal pour rien changer aux résolutions des partis. Dans cet écrit, indécis, vague et confus comme l'eût été le programme d'un conservateur bourgeois, on ne trouva rien qui pût annoncer le futur vengeur des injures nationales, le consolidateur des libertés conquises par le peuple français. Il n'y était question que de l'affermissement de l'ordre, de la sécurité et du retour de la confiance ; toutes choses fort nécessaires, sans doute, mais très-secondaires pour une nation avide de progrès.

Une seule phrase de ce manifeste fit concevoir quelques espérances à la démocratie ; ce furent ces paroles révélant un sentiment généreux :

La république doit être généreuse et avoir foi dans son avenir : aussi, moi qui ai connu l'exil et la captivité, j'appelle de tous mes vœux le jour où la patrie pourra, sans danger, faire cesser toutes les proscriptions et effacer les dernières traces de nos discordes civiles.

On put penser en lisant ces paroles, que l'élection de celui qui les écrivait serait le signal de cette amnistie sollicitée si instamment et si vainement depuis plusieurs mois par tant de républicains ; aussi cette sorte d'engagement fut-elle une excellente réclame électorale pour le prince[2].

Mais du reste, quelle différence, sous tous les rapports, entre le programme du candidat de l'ordre et la déclaration toute de principes que les représentants siégeant à la montagne adressèrent alors au peuple, déclaration dont le citoyen Ledru-Rollin fut l'un des rédacteurs et l'un des premiers signataires[3] !

Il était temps que, suivant l'expression énergique d'un journaliste, on jouât l'empire aux baïoques, car il était impossible que la France vécût plus longtemps au milieu de ces saturnales d'appétits indécents et de réclames éhontées propres à rappeler la décadence de la grande république romaine, de Cette république dégénérée, à laquelle un foi de barbares attachait l'écriteau infamant : A vendre !

La question se trouvait nettement posée : Remettre en doute la révolution et son principe, éterniser les luttes et le malaise, ou consolider la république, hors d laquelle il n'y avait plus ni sécurité, ni ordre, ni prospérité possibles. La lutte allait donc s'ouvrir entre les amis dévoués du principe républicain et ses constants adversaires.

D'un côté, disait-on dans une feuille démocrate, toutes les coalitions de l'égoïsme viennent s'abriter derrière un nom auquel les entraînements d'une vie aventureuse ont depuis longtemps pris soin d'enlever tout le prestige ; de l'autre sont les hommes qui, s'inspirant des besoins et des tendances de l'époque, acceptent franchement, avec toutes ses conséquences, l'institution démocratique sortie des barricades de février. L'on peut voir aujourd'hui, comme toujours, où est le drapeau de la démocratie ; de même que l'on sait qui tient en ce moment la bannière royaliste sous laquelle marchent les divers intérêts de caste et de fortune ligués... Ce serait faire injure à quelques patriotes sincères entraînés à leur insu par la gloire de l'empire, ajoutait ce journal, que de les comprendre dans le cortège où se heurtent et se coudoient la grande chouannerie, les hommes de Gand, ceux de Grenoble et ceux qui ont conquis la faveur des cours dans la place d'armes de Blaye.

En présence de tous ces éléments coalisés au profit de la candidature princière, tout homme impartial doit comprendre que le triomphe d'une telle combinaison, c'est la lutte organisée, ce sont tous les déchirements du pays en perspective. Que peut gagner le pays au succès d'une cause qui porte aussi manifestement dans ses flancs des rivalités intraitables, des luttes sans fin, la guerre civile elle-même ? Il faut être perverti par toutes les ardeurs d'une ambition vulgaire, pour consentir à se faire le centre et comme le lien de cette politique sans nom, sans dignité et sans grandeur.

Le général Cavaignac, disait encore le même journal, ne peut plus être l'élu de la démocratie ; le peuple et le chef actuel du pouvoir exécutif sont maintenant séparés à jamais. Le général, a donné trop de gages à la contre-révolution pour que la réconciliation soit possible ; il n'existe plus aucun lien entre ce chef et ceux qu'il s'est obstiné à traiter en vaincus, malgré les paroles enregistrées par l'histoire.

Et puis, qui donc ignore qu'en se donnant tout entier à la réaction, le général Cavaignac s'est mis par cela même dans l'impossibilité de s'en faire craindre désormais ? Perdu pour les siens, il a cessé presque aussitôt d'être de quelque utilité à ces étranges alliés qui s'en vont maintenant porter aux pieds de César leur encens et leurs vœux, comme leur fatale assistance.

Non, s'écriait en terminant ce dernier coup d'œil sur les candidats le journal qui faisait ainsi de l'histoire ; non, ce n'est pas de ce côté que la démocratie doit aujourd'hui porter ses regards et diriger son vote[4]. Les révolutions n'ont rien à démêler avec les hommes qui sont perdus pour tout le monde, pour l'ordre comme pour la liberté.

 

Hélas ! en lisant ces appréciations des hommes en évidence et de ceux qui les soutenaient, on croyait assister à Tune de ces séances où la parole lumineuse des athlètes de la liberté portait la conviction chez tous les spectateurs et leur faisait rêver le succès de la cause appuyée sur tant de raisons, jusqu'à ce que les votes silencieux, déposés dans l'urne du scrutin, par une majorité honteuse, viennent détruire ces illusions, et porter le dépit dans les âmes droites et honnêtes !

C'est ce qui arriva le jour de l'élection du président de la république. Toutes les combinaisons fondées sur le bon sens du peuple furent détruites en un instant : du mépris, on vit beaucoup de gens passer à l'engouement pour le candidat qui devait avoir le moins de chances ; les partis les plus opposés lui donnèrent leurs voix, bien entendu avec toutes les réserves mentales que chacun d'eux crut devoir faire ; et l'homme que l'on repoussait naguère comme sans consistance, comme ayant joué un triste rôle en Angleterre, l'homme à qui l'on contestait même sa qualité de citoyen français, obtint cinq millions et demi de voix, lorsque son concurrent, maître du pouvoir, ne put en réunir que un million et demi[5]. Et ce résultat fut salué par les applaudissements d'une grande partie des démocrates, en haine du général à qui ils reprochaient d'avoir trahi sa mère et sa bienfaitrice ! Cette élection constata un immense revirement d'opinion, propre à défier toutes les prévisions humaines.

Quant au candidat de la démocratie, abandonné ce jour-là par une grande foule de républicains sincères qui crurent faire preuve de la plus habile politique en contribuant à mettre le neveu de l'empereur hors ligne avec le général Cavaignac, le poste qu'il occupait de chef de la démocratie était assez beau pour le consoler facilement d'un insuccès auquel il était préparé. Il savait trop bien que le peuple ne manierait convenablement, dans son intérêt, le suffrage universel, que, lorsque l'éducation politique des masses serait plus avancée. Il dut donc s'applaudir en voyant cette nouvelle et dernière expérience se faire au profit de l'instruction de la France, sans passer par ces secousses qui reculent toujours le progrès.

La proclamation de Louis Bonaparte, comme président de la république française, eut lieu le 20 décembre, sans faste et sans bruit, comme l'événement le plus simple ; il n'y eut ni étonnement, ni émotion bien vive, ni troubles, quoique l'on eût annoncé des désordres et des tentatives d'émeute.

Toutefois, l'autorité militaire avait cru devoir continuer à suivre les usages de la monarchie pour cette séance : de nombreuses troupes étaient sur pied, et l'enceinte législative se trouvait entourée de baïonnettes et des sabres.

Après le rapport fait par le citoyen Waldeck-Rousseau sur les élections générales et principalement sur celle du citoyen Louis-Napoléon Bonaparte, le président de l'assemblée donna la parole au président du conseil. Le général Cavaignac fut bref et sec :

Citoyens représentants, dit-il, j'ai l'honneur d'informer l'assemblée que les ministres viennent de me remettre leur démission collective.

Je viens, à mon tour, remettre entre les mains de l'assemblée les pouvoirs qu'elle m'avait confiés.

L'assemblée comprendra quels sont les sentiments de reconnaissance que j'éprouve pour la bienveillance qu'elle a toujours montrée pour moi.

 

Et il descendit de la tribune, au milieu de grands applaudissements, propres à lui prouver que son insuccès ne lui avait pas enlevé ses amis.

Le président de l'assemblée, le citoyen Dupin, annonça alors que l'assemblée nationale, au nom du peuple français, proclamait le citoyen LOUIS-CHARLES-NAPOLÉON BONAPARTE président de la république française, depuis le 20 décembre 1848 jusqu'au deuxième dimanche du mois de mai 1852.

Louis-Napoléon Bonaparte, invité à monter à la tribune, y prêta le serment suivant :

En présence de Dieu et devant le peuple français, représente par l'assemblée nationale, je jure de rester fidèle à la république démocratique une et indivisible, et de remplir tous les devoirs que m'impose la constitution.

En présence de Dieu et du peuple français, reprit alors le président Dupin, l'assemblée nationale prend acte de ce serment.

 

Le petit discours que le président de la république prononça ensuite, avec un accent étranger très-caractérisé, ne fut guère que la reproduction de son manifeste aux élections. La première et la dernière phrase méritèrent seules d'être mentionnées. Louis-Napoléon Bonaparte commençait par s'y montrer très-dévoué à la république et à la constitution, et par déclarer qu'il verrait des ennemis dans tous ceux qui tenteraient de changer ce que le peuple français avait établi ; il finissait en indiquant la nature du gouvernement qu'il était appelé à fonder ; ce gouvernement devait être juste et ferme, sans être ni réactionnaire ni utopique.

C'est ainsi qu'il espérait, disait-il, avec le concours de l'assemblée nationale, faire le bonheur du peuple qui l'avait nommé.

Quoique le chef du pouvoir exécutif sortant n'eût pas dit un seul mot de relatif à son successeur, celui-ci s'était empressé de lui adresser des remerciements, et des félicitations sur son dévouement, sur sa conduite ferme et digne, qu'il considéra comme au-dessus de tout éloge. Enfin en descendant, et au moment où le nouveau président passa devant le général Cavaignac, il lui prit et lui serra affectueusement la main ; ce qui fut encore vivement applaudi sur quelques bancs.

Dans la soirée, on publia la liste des hommes que le nouveau président appelait à ses conseils ; le message présidentiel nommait. :

M. Odilon Barrot, ministre de la justice, chargé de présider le conseil des ministres, en l'absence du président de la république ;

M. Drouyn de Lhuys, ministre des affaires étrangères ;

M. Léon de Malleville, ministre de l'intérieur ;

Le général Rulhières, ministre de la guerre ;

M. de Tracy, ministre de la marine et des colonies ;

M. de Falloux, ministre de l'instruction publique et des cultes ;

M. Léon Faucher, ministre des travaux publics ;

M. Bixio, ministre de l'agriculture et du commerce ;

Et M. Passy (Hippolyte), ministre des finances.

Tous ces ministres, à l'exception du dernier de la liste, étaient représentants du peuple. C'était donc tout comme sous la monarchie.

 

 

 



[1] Voici en quels termes, fort peu rassurants pour les républicains, la Gazette de France motivait ses préférences à l'égard de Louis-Napoléon Bonaparte :

Louis-Napoléon Bonaparte, nommé le 15 décembre par le peuple ; le maréchal Bugeaud, choisi comme généralissime de toutes les armées de terre et de mer, et de toutes les gardes nationales ; l'ordre matériel sera assuré. Une assemblée nouvelle convoquée, amènera une majorité tout entière dévouée à l'ordre, et le salut sortira de là.

Nul doute que ce ne fut là le programme du maréchal Bugeaud lui-même, car il était de force à rêver une pareille contre-révolution militaire, et des élections faites sous la pression du sabre. Quoiqu'il en soit, l'audace le disputait ici au ridicule.

[2] L'avant-veille du jour fixé pour l'élection du président, on lisait dans un journal la note suivante :

Son Altesse Impériale a voulu faire aussi sa réclame à l'endroit du pape. Elle a annoncé, par ses journaux, qu'elle envoyait M. Marat, son cousin, porter ses compliments de condoléance au Saint-Père ; et pour mieux amorcer le clergé, elle a écrit au nonce apostolique la lettre suivante, dont elle n'a fait confidence qu'à l'Univers religieux.

Monseigneur, je ne veux pas laisser accréditer auprès de vous les bruits qui tendent à me rendre complice de la conduite que tient à Rome le prince de Canino. Depuis longtemps je n'ai aucune espèce de relations avec le fils aîné de Lucien Bonaparte, et je déplore de toute mon âme qu'il n'ait point senti que le maintien de la souveraineté temporelle du vénérable chef de l'Église, était intimement lié à l'éclat du catholicisme comme à la liberté et à l'indépendance ce de l'Italie.

[3] Nous croyons nécessaire d'ajouter cette déclaration aux pièces justificatives de ce volume, afin de servir de pendant à la constitution de 1848. (Réforme du 9 novembre 1848).

[4] La veille de l'élection, on afficha dans Paris l'avis suivant, qu'un journal considéra comme marqué au coin du bon sens. On y lisait :

AU PEUPLE.

QUI SE RESSEMBLE S'ASSEMBLE.

Thiers, Molé, Montalembert, Bugeaud, Girardin, Genoude, Berryer, Gisquet et tous les souteneurs de la monarchie volent pour Napoléon, et crient tous bas : Vive le roi !

Tes vieux amis, tes frères les vieux combattants de la démocratie votent pour Ledru-Rollin, et crient tout haut : Vive la république démocratique et sociale !

PEUPLE, OUVRE L'ŒIL, VOIS ET VOTE.

Signé : Michaud, mécanicien ; Lemaire, tailleur ; Andrieux, idem ; Séné, ébéniste ; Ficher, cordonnier ; Masson, plombier.

[5] La récapitulation générale officielle des votes portait, sur 7.326.345 votants, 5.434.236 voix pour le citoyen Louis-Napoléon Bonaparte ; 1.448.238 voix pour le général Cavaignac ; 370.119 voix pour le citoyen Ledru-Rollin ; 36.920 voix pour le citoyen Raspail ; 17.940 voix pour M. Lamartine, et 4.990 pour le général Changarnier.