HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION DE 1848

TOME PREMIER

 

CHAPITRE VIII.

 

 

Motifs de l'insistance du peuple pour la proclamation de la République. — Unanimité de l'opinion en ce moment. — Principes qui découlaient de cette République démocratique. — Programme du gouvernement provisoire. — Circonstances favorables où se trouvait l'Europe en 1848. — Empressement des fonctionnaires à saluer la République. — Conduite de l'armée. — La République lui présente une nouvelle carrière de gloire à parcourir. — Formation d'un conseil de défense générale et de quatre armées d'observation. — La nouvelle République devait se préparer à la guerre offensive, de propagande démocratique et de délivrance des peuples. — Le gouvernement provisoire n'ose pas déchirer complètement les iniques traités de 1815. — Il recule devant l'idée de faire de la propagande efficace. — Il ne promet l'appui de la France que conditionnellement et dans l'avenir. — On compare ses membres aux girondins. — Les vieux républicains veulent la guerre d'affranchissement des peuples. — Prédiction de Robespierre à ce sujet. — Question italienne. — Déclaration du gouvernement provisoire à cet égard. — Engagement qu'il prend, au nom de la France.

 

LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE est enfin proclamée officiellement. Le peuple, qui l'avait acclamée depuis trois jours, tenait beaucoup à cette consécration solennelle, parce qu'il craignait quelque trahison, comme en 1830, et il ne voulait pas donner aux contre-révolutionnaires et aux intrigants le temps de déployer leur habileté. De là ses vives insistances auprès du gouvernement provisoire. Nous ne proclamâmes pas la République, disaient plus tard à ce sujet les membres de ce même gouvernement, en rendant compte à l'Assemblée nationale de leur mission ; elle s'était proclamée d'elle-même, par la bouche de tout un peuple : nous ne fîmes qu'écrire le cri de la nation...

En proclamant la République, ajoutait encore ce même gouvernement provisoire, le cri de la France n'avait pas proclamé seulement une forme de gouvernement ; il avait proclamé un principe. Ce principe, c'était la démocratie pratique, l'égalité des droits, la fraternité par les institutions. La Révolution accomplie par le peuple devait s'organiser, selon nous, au profit du peuple, par une série continue d'institutions fraternelles et tutélaires propres à conférer régulièrement à tous les conditions de dignité individuelle, d'instruction, de lumières, de salaires, de moralité, d'éléments de travail, d'aisance, de secours et d'avènement à la propriété, qui supprimassent le nom servile de prolétaire, et qui élevassent le travailleur à la hauteur de droit, de devoir et de bien-être des premiers-nés à la propriété. Elever et enrichir les uns sans abaisser et sans dégrader les autres ; conserver la propriété et la rendre plus féconde et plus sacrée en la multipliant et en la parcellant dans les mains d'un plus grand nombre ; distribuer l'impôt de manière à faire tomber son poids le plus lourd sur les plus forts, en allégeant et en secourant les plus faibles ; créer, par l'Etat, le travail qui manquerait accidentellement par le fait du capital intimidé, afin qu'il n'y eût pas un travailleur en France à qui le travail manquât avec le salaire ; enfin, étudier avec les travailleurs eux-mêmes les phénomènes pratiques et vrais de l'association, et les théories encore-problématiques des systèmes, pour y chercher consciencieusement les applications, pour en constater les erreurs ; telle fut la pensée du gouvernement provisoire....

Certes, c'était bien là la République démocratique et sociale que le gouvernement provisoire voulait ainsi constituer ; la dernière qualification, le mot sociale ne s'y trouvait pas, il est vrai, pas plus qu'il ne se trouve dans la constitution de 1793 ; mais les bases du socialisme étaient bien certainement inscrites dans ce dernier programme, à côté des principes de la plus pure démocratie. Par quelle fatalité ce programme est-il devenu aussi décevant que celui dit de l'Hôtel-de-Ville !

Nous en ferons connaître les causes au fur et à mesure que les preuves nous arriveront à l'appui : nous nous bornerons ici à constater que jamais gouvernement improvisé ne fut dans des conditions plus favorables pour faire adopter tous les moyens qui découlaient des principes posés dans son programme. Nul département, nulle cité, nulle contrée de l'Etat ne fit entendre la moindre réclamation contre la révolution accomplie par le peuple de Paris, ni contre la substitution de la République à la monarchie ; partout, au contraire, les populations saluèrent avec enthousiasme cette grande révolution ; partout la République fut acceptée comme un augure de force, de grandeur, de gloire et de prospérité pour la patrie. La France entière, moins quelques hommes ou rentes par le ruineux budget de la monarchie ou attachés encore aux privilèges, vit éclater comme un bienfait du Ciel l'ouragan populaire qui venait de balayer un gouvernement si détesté pour avoir porté tant et de si graves atteintes à sa considération, à son honneur, à ses libertés ; un gouvernement qui l'avait tant de fois blessée dans ses sympathies, ses affections. Cette noble France était lasse d'un système qui la faisait déchoir chaque jour du haut rang qu'elle doit occuper dans le monde ; elle était lasse de prodiguer son or à des hommes avides, égoïstes et corrompus. Aussi ne cesserons-nous de répéter, avec le gouvernement provisoire, que la nation reconnut sa pensée dans le vœu du peuple de Paris. Il n'y eut résistance, dit le rapport général, ni d'une main, ni d'une voix, ni d'un cœur libre en France à l'installation du gouvernement nouveau. Les anciens fonctionnaires, ou quittèrent spontanément leurs fonctions, ou furent remplacés par des commissions provisoires que le peuple élut partout. Un assez grand nombre de préfets, tout en envoyant leur démission au ministre de l'intérieur, annoncèrent qu'ils resteraient à leur poste jusqu'à l'arrivée de leurs successeurs, qui ne se firent pas attendre. Ainsi que nous l'avons déjà dit, les chefs de l'ancienne opposition dynastique eux-mêmes, les Odilon Barrot, les Thiers, les Dufaure, les Billault et leurs amis du ci-devant centre gauche déclarèrent qu'ils donnaient, sans restriction aucune, leur adhésion au nouveau gouvernement. Tous les généraux, tous les chefs militaires se rangèrent du côté du vainqueur : il n'y eut pas jusqu'au dernier général en chef nommé par Louis-Philippe in extremis, M. le maréchal Bugeaud, duc d'Isly par la bienveillante protection de ce roi, qui ne se fût empressé d'offrir son épée, au gouvernement qui venait de proclamer la République.

A Lille seulement il y eut quelques troubles ; mais ils eurent pour cause l'obstination du préfet, Desmousseaux de Givré, à faire au peuple les nouvelles que le télégraphe de Paris lui avait transmises. Quand ces nouvelles furent connues, la tranquillité se rétablit d'elle-même, et la République fut proclamée avec les plus vives démonstrations de joie dans cette ville importante.

Quant à l'armée, la conduite presque passive qu'elle avait tenue à Paris, sous les yeux même de ceux de ses chefs considérés comme les plus dévoués à la monarchie, indiqua suffisamment qu'elle acceptait le gouvernement républicain comme le seul propre à faire disparaître les privilèges et le favoritisme qui l'avaient tant choquée. En s'adressant à cette armée, dont le rôle, pendant la durée du règne de Louis-Philippe, ne fut jamais à la hauteur des nobles sentiments du soldat français, le gouvernement provisoire lui avait parlé en ces termes :

Le peuple oublie tout en serrant affectueusement les mains de ses frères qui portent l'épée de la France. Le gouvernement provisoire va préparer des institutions analogues à celles sous lesquelles la République française a tant grandi la France et ses armées. Ces nouvelles institutions, qui vont émaner de l'Assemblée nationale, ouvriront à l'armée une carrière de dévouement et de services que la nation libre appréciera mieux que les rois... La liberté ne vous demandera plus d'autres services que ceux dont vous aurez à vous réjouir devant elle et à vous glorifier devant ses ennemis.

 

L'armée comprit donc qu'une nouvelle carrière plus patriotique, plus glorieuse et plus digne allait s'ouvrir devant elle, et cette pensée paralysa jusqu'au mauvais vouloir des chefs jadis les plus hostiles à la République. Quant aux soldats, la République et la patrie se confondirent, à leurs yeux, dans le même sentiment.

Ainsi, il suffit de la présence du citoyen Flocon à Vincennes, où s'étaient réunies plusieurs fractions des corps sortis de Paris, pour faire adopter à ces corps et à tous leurs chefs le nouveau gouvernement.

Les autres troupes encore éparses soit dans Paris, soit dans les environs, furent le constant objet de la sollicitude du gouvernement provisoire. Il s'occupa activement de les réunir dans les divers forts détachés qui entourent la capitale : les soldats qui s'étaient trouvés isolés, rejoignirent leurs corps respectifs au premier appel du gouvernement. On procéda à la réorganisation des régiments, qui allèrent reprendre leurs anciennes garnisons, et l'ordre et la discipline furent rétablis sans aucune peine. Les régiments de cavalerie étaient d'eux-mêmes retournés à leurs quartiers primitifs.

L'armée de l'Algérie, quoique placée immédiatement sous les ordres d'un fils de Louis-Philippe, n'eut ni une heure ni une pensée d'hésitation ; le général Cavaignac, frère du républicain Godefroy, reçut le commandement général de cette contrée, et les deux fils de Louis-Philippe qui s'y trouvaient résignèrent noblement les fonctions suprêmes que l'un d'eux allait y remplir.

Bientôt le gouvernement provisoire parut marcher sur les traces de la Convention nationale, en décrétant l'organisation immédiate d'un Conseil de défense générale et la formation de quatre armées d'observation : l'armée des Alpes, l'armée du Rhin, l'armée du Nord et l'armée des Pyrénées. Les différents corps qui devaient composer ces armées, et principalement ceux destinés à se réunir sur les bords du Rhin et au pied des Alpes, se rendirent avec joie à leur nouvelle destination, impatients de tirer l'épée, non plus pour des questions dynastiques, mais pour l'affranchissement des peuples amis.

En se reconstituant sur ses anciennes bases, la République française se trouvait, en 1 848, à peu près dans les mêmes conditions qu'en 1792 : elle ne pouvait se dissimuler que les rois de l'Europe ne la vissent arriver avec la colère qu'inspire la terreur, et qu'ils n'eussent, ostensiblement ou secrètement, la pensée de la renverser avant qu'elle eût acquis cette force irrésistible qu'elle allait puiser dans une nation intrépide qui compte trente-cinq millions d'habitants, dont deux millions sous les armes, organisés presque militairement. La nouvelle République devait donc non-seulement rester à l'état de méfiance à l'égard de tous les souverains du continent et même de l'Angleterre, mais encore se préparer à la guerre offensive, la seule qui pût aider efficacement l'établissement d'autres États démocratiques autour d'elle. Il ne fallait pas que le gouvernement provisoire perdît un instant de vue la grande mission qu'il avait reçue du peuple, à savoir, qu'en proclamant la République démocratique il fallait avoir le courage de saisir le moment favorable pour proclamer et asseoir, partout où cela eût été possible, l'avènement et le règne de la démocratie ; mission providentielle, qui pouvait promptement mettre un terme à la guerre fratricide que se font les hommes du passé et ceux de l'avenir ; il fallait avoir la force d'âme et de volonté nécessaire pour accepter la nécessité d'une guerre de principes, qui eût pu prévenir cent autres guerres dynastiques ; d'une guerre de délivrance, dont le noble résultat eût changé la face du monde, en rendant aux nations leur propre souveraineté, et aux hommes, le sentiment de leurs droits et de leur dignité ; il fallait enfin être bien convaincu que la Révolution radicale de 1848 était un événement d'une tout autre portée que celle aperçue par les esprits étroits ou timorés, qui eurent hâte de faire rentrer dans ses vieilles limites le fleuve dont le débordement devait féconder tout ce qu'il avait atteint.

N'oublions pas que les circonstances où le monde se trouvait à l'avènement de la République de 1848 étaient bien autrement favorables à cette guerre de propagande qu'à l'époque de 1792. Depuis soixante ans, les principes proclamés par notre première Révolution avaient germé et s'étaient acclimatés chez tous les peuples de l'Europe, même chez ceux considérés comme les plus stationnaires. L'immense commotion de 1830 avait déjà prouvé que la plupart des nations du continent étaient dès alors mûres pour la liberté et familiarisées avec l'avènement de la démocratie ; avènement, qu'en 1792, ces nations pouvaient avoir considéré d'un œil inquiet.

Or, depuis 1830, et malgré les incessants efforts des potentats, unis par les traités de Vienne et par la terreur que leur inspiraient les apôtres du républicanisme, tous les peuples avaient fait des pas immenses vers les idées républicaines ; les événements dont la France, l'Italie, l'Allemagne, l'Autriche, la Hongrie et même la Prusse ont été, de nos jours, le théâtre, l'ont démontré de la manière la plus irrécusable.

Il n'y avait donc, après la révolution de Février, qu'à montrer dans ces contrées le drapeau de la République pour y implanter la démocratie, et faire reculer jusqu'aux extrémités de la terre et les rois et leurs dynasties, et la gérontocratie ou l'imbécillité qui les soutient encore avec autant d'obstination que d'aveuglement. Si l'on eût alors adopté la résolution de faire de la propagande républicaine, non-seulement pour affranchir les peuples courbés sous le joug, mais encore comme le seul moyen d'asseoir et d'affermir la République française renaissante, nul doute que cette guerre n'eût eu le plus prompt et le plus complet succès.

Malheureusement, le gouvernement provisoire, si peu homogène dans son élément révolutionnaire, si divisé sur les grandes questions dont il eut à s'occuper, ne se trouva point à la hauteur de la situation politique : il y eut, parmi les membres de ce gouvernement, des hommes qui crurent devoir encore respecter les traités existants, c'est-à-dire les honteux traités de 1815, contre lesquels n'avaient cessé de protester les peuples livrés comme un vil bétail ; traités qui pesaient surtout à la France, parce qu'ils furent combinés pour l'amoindrir, l'abaisser aux yeux du monde, et lui faire perdre cette noble prépondérance qu'elle doit à son génie, à son impérissable auréole de gloire et à ses constants efforts pour épandre les rayons de sa propre lumière sur tous les peuples encore dans les ténèbres.

Ce partage inique du territoire européen en 1815, ce contrat d'oppression mutuelle stipulé par quelques tyrans contre l'humanité tout entière ; ces infâmes traités enfin, cause première des deux grandes révolutions faites par le peuple français, avaient été manifestement brisés par toutes les parties contractantes, excepté par la France seule, qui devait les abhorrer.

Eh bien ! le gouvernement, placé à la tête d'une révolution qui rompait avec le passé, n'osa seulement pas les considérer comme violés !

Au lieu de déchirer cette carte de l'Europe sortie de l'officine des Metternich, des Nesselrode et autres diplomates de 1815 ligués contre les peuples et les idées révolutionnaires, le gouvernement provisoire se borna à offrir la paix républicaine et la fraternité française à tous les peuples qui comptaient sur l'appui efficace de la grande nation ; il afficha le plus impolitique respect des gouvernements, des traités, des lois et des territoires ; il crut ainsi élever bien haut son principe d'indépendance et de démocratie sur le monde ; il pensa qu'il suffisait de dire aux peuples, sans contraindre et sans presser les événements :

Nous n'armons pas l'idée nouvelle du fer et du feu, comme les barbares ; nous ne l'armons que de sa propre lueur ; nous n'imposons à personne des formes pu des imitations prématurées ou incompatibles peut-être avec sa nature. Mais si la liberté de telle ou telle partie de l'Europe s'allume à la nôtre, si des nationalités asservies, si des droits foulés, si des indépendances légitimes et opprimées surgissent, se constituent d'elles-mêmes, entrent dans la famille démocratique des peuples et font appel, en nous, à la défense des droits, à la conformité des institutions, la France est là ! La France républicaine n'est pas seulement la patrie, elle est le soldat du principe démocratique dans l'avenir !

Ces phrases sans portée, ne laissant espérer aux peuples qui allaient inévitablement nous imiter, qu'une assistance conditionnelle, réalisable seulement dans un avenir lointain et indéterminé, suffirent pour donner à la France, comme à tous ceux qui avaient pu compter sur elle, l'idée de la timidité, de la réserve et de l'irrésolution du gouvernement de la nouvelle République. Au lieu de ces énergiques et inflexibles montagnards, dont l'audace fut le trait le plus caractéristique de leur physionomie, au lieu de ces hommes comprenant que le nouvel ordre de choses ne pouvait s'affermir que par une propagande aussi active qu'efficace, les républicains de vieille date et ceux de la veille s'aperçurent aussitôt qu'ils n'avaient à la tête du pouvoir, sous le rapport politique, que l'ombre de quelques Girondins. Dès lors, ils considérèrent comme un grand malheur cette composition si déplorablement mélangée d'un gouvernement destiné à donner les premières impulsions à une nation que rien n'aurait arrêtée si on l'eût placée dans les voies ouvertes par ses révolutions.

Qu'on ne pense pas qu'en s'affligeant ainsi du défaut d'énergie du nouveau gouvernement, les vieux républicains eussent la pensée d'aviver cet ancien esprit de conquête qui avait si longtemps entraîné la France sur les pas de quelques chefs. La guerre qu'ils comprenaient n'était point celle qui a pour objet quelques lambeaux de territoires, mais bien celle qui prête l'assistance désintéressée d'une grande nation à tous les peuples opprimés qui auraient réclamé son appui. Les vieux républicains savaient, par l'expérience de la première révolution, que, si l'on ne se hâtait de former un indestructible faisceau de tous les Etats disposés à se constituer démocratiquement, et d'opposer ce faisceau à la ligue des aristocraties ; que si l'on ne plaçait pas les forces populaires en face des ruses de la diplomatie, non-seulement la nouvelle République française manquerait à sa mission, mais encore elle exposerait sa propre existence, et permettrait l'accomplissement de cette désolante prophétie que Robespierre adressait à ses collègues :

Laissez flotter un moment les rênes de la révolution... un siècle de guerre civile et de calamités désolera notre patrie ; et nous périrons pour n'avoir pas voulu saisir un moment donné dans l'histoire des hommes pour fonder la liberté ; et les malédictions du peuple s'attacheront à notre mémoire, qui devait être chère au genre humain... L'immortalité s'ouvrait devant nous, et nous périrons avec ignominie !

 

C'est surtout pour les Etats de l'Italie centrale que les républicains auraient exigé l'appui de la France, dans le cas très-probable d'une insurrection contre les Autrichiens. Les sympathies du peuple français étaient depuis longtemps acquises aux malheureux Italiens, placés sous un joug de fer qu'ils devaient secouer à chaque instant, comme les Siciliens avaient brisé celui qui les attachait à la couronne de Naples. Laisserait-on les Lombards, qui étaient sans armes, sans arsenaux, sans aucun des moyens nécessaires pour soutenir la lutte contre les soldats de l'Autriche ; les laisserait-on livrés à eux-mêmes, s'ils s'insurgeaient, ou bien la France leur prêterait-elle son appui jusqu'à leur constitution ? Si le gouvernement provisoire eût eu les instincts révolutionnaires du Comité de salut public, nul doute qu'il n'eût pensé sérieusement à aider les Italiens, quelque chose qu'il pût en advenir avec le cabinet de Vienne. Mais il y avait au sein même de ce gouvernement des hommes systématiquement opposés à toute guerre de propagande ; et, en ordonnant la formation d'un corps d'armée au pied des Alpes, ces hommes étaient décidés par avance à ne pas envoyer nos soldats en Lombardie, lors même que le cas d'une insurrection victorieuse se présenterait.

Toutefois, comme l'opinion publique se prononçait fortement en faveur de la propagande révolutionnaire en Italie, le ministre des affaires étrangères glissa, dans les instructions adressées par lui aux agents diplomatiques de la République française, la phrase suivante :

Si les Etats indépendants de l'Italie étaient envahis ; si l'on imposait des limites ou des obstacles à leur transformation intérieure ; si on leur contestait, à main armée, le droit de s'allier entre eux pour consolider une patrie italienne, la République française se croirait en droit d'armer elle-même pour protéger ces mouvements légitimes de croissance et de nationalité des peuples...

C'était là un engagement formel pour la France ; nous verrons bientôt le compte que la réaction en a tenu, lorsque les cas prévus par ces instructions se réalisèrent.