LES TRAPPISTES OU L'ORDRE DE CÎTEAUX AU XIXe SIÈCLE

TOME PREMIER

 

CHAPITRE VI. — Progrès de la réforme de la Trappe : Rétablissement de la pauvreté monastique, des humiliations, des jeûnes. - Influence extérieure de cette réforme. Lutte de l'abbé de la Trappe contre le nouvel abbé de Cîteaux, Jean Petit. Requête au roi en faveur de l'Étroite Observance. Réforme du monastère de Leyme.

 

 

Claude Vaussin était mort au commencement de 1670. L'infortuné ! après un triomphe de quelques mois, il était allé rendre compte à Dieu des vingt ans d'efforts qu'il avait consacrés à la ruine de la réforme. Jean Petit le remplaça. Ce nouveau général inspira d'abord quelque confiance par les bonnes intentions qu'il avait manifestées. L'abbé de la Trappe, en le félicitant de son élection, lui témoigna franchement l'espoir de trouver en lui un protecteur de l'Étroite Observance et le réparateur de l'ordre. Quelque temps après, le félicitant de nouveau sur sa guérison après une maladie dangereuse, il lui faisait voir, dans l'incertitude et la brièveté de la vie, l'obligation de songer à l'éternité, et de régler son administration sur les coutumes antiques plutôt que sur les usages introduits Far la décadence. Jean Petit recevait favorablement ces avis d'un inférieur, et ne s'offensait pas de ces remontrances respectueuses sous forme d'hommages d'ailleurs sincères. Il paraissait disposé à commencer la réforme générale par sa propre maison de Cîteaux, lorsqu'un crime abominable l'en détourna pour toujours. Quelques-uns de ses religieux, effrayés de ses projets, complotèrent contre sa vie, et son secrétaire l'empoisonna. Le crime reconnu à temps manqua son effet ; le contrepoison sauva l'abbé ; le coupable convaincu périt, à Dijon, sur un échafaud. Jamais la malice des relâchés n'avait été démontrée si clairement, jamais le besoin d'une régénération complète ne s'était mieux fait sentir. Si l'abbé de Cîteaux eût voulu profiter de cette circonstance, la cour indignée, l'opinion publique émue, l'Etroite Observance enfin appréciée, tout aurait concouru à soutenir ses efforts, et le rétablissement de la vertu aurait été la vengeance chrétienne d'un grand attentat. Mais Jean Petit raisonna tout autrement. Il eut peur de la mort, et, sous l'influence de cette peur, il abandonna ses premières résolutions. Il se persuada que toute tentative de réforme ne servirait qu'à irriter les incorrigibles et compromettrait de nouveau sa vie, et que le seul moyen de désarmer la licence, c'était de supprimer la loi. Ainsi changé, il mit tous ses soins à obtenir grâce des coupables, en leur donnant des garanties de complicité. Il se fit l'ennemi de l'Etroite Observance qu'il estimait, et, dans cette lâche effronterie, il surpassa Claude Vaussin.

A la Trappe, l'abbé et les religieux, véritables hommes de progrès, avançaient, par expériences successives et heureuses, vers la perfection. Ils réduisaient leur église à la pauvreté des anciens temps, se conformant aux décrets de saint Etienne, aux définitions des chapitres, et aux recommandations si explicites de saint Bernard dans son apologie[1]. On vendit en conséquence une chapelle d'argent qui avait été offerte au monastère par la marquise d'O, composée de six chandeliers, une croix, un calice et une patène, deux burettes, un bassin, et une lampe garnie de chaînes ; le tout pesait 41 marcs ; on en retira 1.200 livres tournois, qui furent réservées aux pauvres (1672). On reprenait en même temps un vieil usage que l'orgueil des moines corrompus avait aboli et ne pouvait plus comprendre. A l'imitation des Pères de l'Orient, on rétablissait la pratique des humiliations, des proclamations au chapitre, des réprimandes publiques. Il fut réglé que chacun viendrait s'accuser devant la communauté de ses fautes extérieures, se soumettrait à être accusé par ses frères de ce qu'il aurait pu commettre d'irrégulier sous leurs yeux, et recevrait en leur présence les reproches du supérieur. Ce n'était pas la moindre des entreprises du réformateur. Cette nouvelle mortification de l'esprit, bientôt connue au dehors, anima le zèle des défenseurs de l'orgueil. L'abbé commendataire de Haute-Fontaine, ancien ami du révérend père, crut prendre le parti des moines, en parlant, en écrivant contre l'usage des humiliations. Il calomnia même ce qu'il n'avait pas compris, en affirmant que l'abbé de la Trappe mortifiait ses religieux par des fictions, qu'il leur attribuait des fautes qu'ils n'avaient pas commises, et qu'il les réprimandait de ces fautes supposées avec une dureté au moins imprudente et peu conforme à la douceur de Jésus-Christ. Il en résulta une querelle qui durait encore cinq ans après (1672-1677), et qui ne se termina que par la médiation de Bossuet[2]. Mais aucune contradiction ne pouvait prévaloir contre la générosité des pénitents de la Trappe.

Depuis  longtemps les religieux s'entretenaient, dans les conférences, des vertus de leurs pères et de leur propre infériorité. Ils trouvaient fort insuffisantes les mortifications qu'ils s'étaient imposées jusque-là ; de fervents désirs les pressaient de tenter de nouveaux efforts ; ils sollicitaient humblement du révérend père la permission de passer le carême selon l'exemple des anciens. Le révérend père, après avoir éprouvé leur persévérance, y consentit enfin. Le 7 mars 1672, au commencement du carême, on régla qu'on ne ferait qu'un seul repas, sans collation, aux jeûnes de ce saint temps, et qu'on prendrait ce repas unique à quatre heures après-midi[3] ; la règle de saint Benoît se trouvait sur ce point rétablie à la lettre. Ce n'était pas encore assez ; le chapitre XXXIX de la même règle n'accorde aux moines pour leur dîner, à tous les jours de l'année, même aux jours d'un seul repas, que deux pulments ou portions cuites, et par tolérance, quelques fruits ou légumes nouveaux qui se mangent crus en Italie[4]. Les premiers Cisterciens avaient observé rigoureusement ce précepte : Que les moines se contentent, disent-ils, de deux pulments composés des herbes qu'ils cueillent dans leurs champs, ou des légumes que le jardin leur rapporte. Les Trappistes ne restèrent pas en arrière. Considérant que le potage était un véritable pulment, ils se retranchèrent une des deux autres portions cuites qu'ils s'étaient précédemment accordées selon l'usage commun. Le même jour qu'ils fixèrent les jeûnes du carême, ils décidèrent que, pendant toute l'année, le dîner se composerait d'un potage et d'une portion, et que le souper, au temps où le souper est permis, se composerait d'une portion avec un peu de fromage et quelques noix.

Cependant l'abbé de Cîteaux préméditait contre l'Étroite Observance le coup qui devait la détruire. Le bref d'Alexandre VII, en accordant aux réformés dix définiteurs sur vingt dans le chapitre général, ôtait aux relâchés le pouvoir de prendre aucune résolution contraire au bien public de l'ordre et aux intérêts particuliers de la réforme. Ce n'était pas le compte de Jean Petit, désormais engagé au service des méchants : il lui fallait abattre cette barrière élevée d'avance contre ses envahissements. Par l'entremise de son procureur-général à Rome, il soumit au pape Clément X une requête des abbés allemands, une protestation spécieuse contre le tort que causait à l'Étroite Observance le bref d'Alexandre VII : on y faisait valoir que si l'égalité des définiteurs était maintenue, la commune Observance, beaucoup plus nombreuse que l'autre, ne serait pas représentée en proportion de ses membres, et tomberait dans la dépendance de la minorité[5]. Cette affaire fut conduite avec un grand secret. Personne en France ne soupçonnait les démarches du procureur ; les parties intéressées ne furent ni entendues ni même averties ; l'intrigue, non contredite, réussit pleinement. Le pape, mal informé, décida que l'égalité des définiteurs n'avait été accordée que pour le chapitre de 1667, et n'aurait plus lieu à l'avenir[6]. Toutes les précautions furent prises pour que personne n'eût connaissance du nouveau bref, et n'en pût préparer la réfutation avant l'ouverture de l'assemblée où il devait être promulgué. Le chapitre général était indiqué pour le 15 mai 1672 ; le bref de Clément X ne fut délivré que le 22 avril.

L'abbé de la Trappe s'étant mis en route pour se rendre à Cîteaux, fut arrêté en chemin par une maladie grave. Il ne put assister au chapitre, et s'en excusa par une lettre de quelques lignes, où il exprimait du moins le vœu que le Saint-Esprit éclairât le général et ses assistants. Quelle ne fut pas sa douleur, lorsqu'il apprit que jamais chapitre n'avait été plus tumultueux ni plus irrégulier. D'abord les quatre premiers Pères prétendirent que l'assemblée, convoquée sans leur consentement, était nulle ; ils protestèrent d'après ce principe, et sortirent immédiatement. Ensuite, quand on en vint au choix des définiteurs, et que l'abbé de Cîteaux produisit le bref qu'il avait obtenu à l'insu de tout l'ordre, les Pères de la réforme protestèrent à leur tour, et sortirent pour en appeler comme d'abus. Jean Petit n'en demeura pas moins ferme sir son trône ; avec le petit nombre d'abbés qui lui restaient, il continua les délibérations, et nomma des visiteurs. Comme il importait au succès même de sa cause, de la dissimuler à l'opinion publique, il affecta quelque bienveillance pour la réforme, et choisit l'abbé de la Trappe pour visiteur des provinces de Bretagne, Normandie, Anjou, Maine et Perche. L'envoi de cette nomination fut prompt, et accompagné d'une lettre assez aimable en apparence.

Un esprit moins perçant, un cœur moins détaché des honneurs s'y serait peut-être laissé prendre. L'abbé de la Trappe, tout en conservant le respect pour un supérieur, et la charité pour un homme qui avait pêché plus encore par faiblesse que par corruption, repoussa les offres du tentateur, et confessa énergiquement la foi et la vérité trahies par leurs défenseurs naturels. Sa lettre à Jean Petit est un admirable mélange de modération et de force, de reproches et de tendresse filiale (1er juin 1672). Il commence par regretter la nécessité qui le condamne à se plaindre : Il est bien difficile, qu'ayant autant de respect que j'en ai pour votre personne, et que ne me sentant pas moins porté par ma propre inclination que par mon devoir à rendre une soumission entière à tous vos ordres, j'aie pu apprendre sans une douleur très sensible ce qui s'est passé à Cîteaux sur le sujet de notre Observance. J'avais espéré, mon Révérendissime Père, qu'elle trouverait un nouvel affermissement sous votre autorité, que vous lui tiendriez lieu de père et de défenseur, et que vous prendriez plaisir à employer ce que Dieu vous a donné de puissance pour sa conservation : cependant, il faut que vous me permettiez de me plaindre et de le dire : elle n'a point reçu de blessure plus profonde depuis quarante ans, que celle qui vient de lui être faite par le nouveau bref qui a paru au commencement de votre chapitre... Il lui fait voir en second lieu que de la conservation de l'Étroite Observance dépend sa réputation et le salut de l'ordre en général, et que ruiner l'une, c'est condamner l'autre à ne se relever jamais : Il y a plus de trois cents ans que notre ordre commence à déchoir... depuis ce temps-là on n'a parlé que de réformes et presque sans fruit ; on a fait mille et mille règlements différents qui n'ont eu ni suite ni succès, parce qu'on a pris des voies irrégulières... L'on s'était figuré que cette réformation dernière, ordonnée sous Alexandre VII, changerait la face des choses ; mais elles sont dans une situation plus déplorable qu'elles n'étaient auparavant. Le bref n'a été exécuté de personne, et quoiqu'il adoucisse la règle en tous ses points, on n'en a pas moins d'éloignement que de l'austérité primitive ; la corruption a eu son cours ordinaire, c'est tout dire... Il ne s'est rien formé dans tout l'ordre, depuis la naissance des relâchements, que la seule Étroite Observance, et quoiqu'elle ait ressenti des affaiblissements et des diminutions, elle n'a pas laissé de conserver jusqu'à présent, par la protection que Dieu lui a donnée, de la piété, de la régularité, de la discipline ; mais si on achève de l'éteindre, que peut-on penser autre chose, sinon que notre ordre est entièrement rejeté de Dieu, que l'iniquité est consommée, que le mal a gagné partout, et qu'il n'y a plus aucune apparence de ressource..... Enfin, il en vient à l'objet même de sa lettre, au refus des honneurs qui lui sont offerts : Je vous fais mes plaintes, je vous ouvre mon cœur comme à mon supérieur et à mon père ; et au moment que j'ai l'honneur de vous écrire, toutes mes pensées naturelles me portent à entrer dans tous vos intérêts, mais celui de la vérité m'en retire, et tant que je serai persuadé, comme je le suis, que la cause de l'Étroite Observance est celle de Dieu, je ne saurais m'en séparer, ni faire ce que vous m'ordonnez dans la rencontre présente, en me servant de l'institution de visiteur et vicaire-général que vous m'avez envoyée..

Il y avait encore dans l'ordre de Cîteaux, et même dans la commune Observance, des cœurs assez honnêtes pour tolérer et pour encourager cette franchise du serviteur de Dieu. L'abbé de Clairvaux, qui, au dernier chapitre, avait subi les injures des relâchés pour s'être permis quelques mots favorables à la réforme, demanda de lui-même les conseils de l'abbé de la Trappe pour régler sa propre conduite, et lui fit un devoir rigoureux de parler sans ménagement. Il entendit sans colère des avertissements tels que ceux-ci : Votre autorité n'est point à vous, elle est à Dieu ; celui qui vous l'a mise en main comme en dépôt vous en demandera compte, et vous n'en serez déchargé qu'après vous être servi de tous les moyens permis et légitimes pour la maintenir. Mais non-seulement cette autorité, lorsqu'elle vous sera conservée, ne vous servira de rien ; elle vous produira même des déplaisirs et des dommages infinis, si vous n'en faites ce que Dieu veut que vous en fassiez, c'est-à-dire, si vous ne l'employez tout entière à la réformation des maisons qui vous sont soumises, à rétablir son service en tant de lieux où vous savez qu'il est si peu connu, et à votre propre sanctification. En même temps, un des premiers abbés, coupable d'avoir gardé entre les deux partis une neutralité funeste, lorsque ses inclinations bien connues le portaient à protéger l'Étroite Observance, recevait avec docilité les reproches que le réformateur adressait à sa faiblesse, et s'apprêtait à les mettre à profit.

Mais l'âme de Jean Petit, avilie par la peur, n'était plus capable de comprendre ces nobles sentiments. Il ne vit dans le refus de l'abbé de la Trappe qu'un acte d'hostilité, et il y répondit par la haine. La Trappe lui devint odieuse ; en attendant qu'il pût déployer contre elle toute sou autorité, il anima ses partisans à la décrier comme une-maison schismatique ; on commença à faire courir le bruit que les nouveautés inouïes introduites à la Trappe étaient désapprouvées également des Pères de la réforme et des Pères de la commune Observance, qu'ils en avaient parlé dans ce sens au chapitre général, et que les uns et les autres étaient également intéressés à sa suppression.

Le révérend Père voulut savoir s'il était vrai que l'Étroite Observance, dont il se montrait le plus fidèle défenseur, désavouât ses œuvres et abandonnât sa cause. Les lettres qu'il reçut de toutes parts en quelques jours commencèrent à l'éclairer sur les intrigues de ses ennemis. L'abbé de Foucarmont lui écrivait : C'est à tort qu'on a voulu faire croire que les abbés de notre Observance improuvaient votre forme de vie ; je les ai tous vus au chapitre général, et je n'ai rien remarqué dans leurs sentiments qui y eût le moindre rapport. Tous témoignent qu'ils voudraient pouvoir faire ce que vous faites, et regrettent infiniment de ne le pouvoir pas : en mon particulier, je n'ai que des sentiments de vénération pour la vie que vous menez, si conforme à celle de nos anciens fondateurs, et pour votre chère personne..... L'abbé de Cadouin disait à son tour : C'est le mauvais homme qui a voulu jeter cette zizanie, c'est une astuce du démon pour affaiblir le lien de charité qui nous tient tous si saintement unis. Pour moi, je vous avoue que j'ai un si grand respect et une vénération si particulière pour la pratique fidèle et exacte de notre sainte règle, et pour tous ceux qui en font profession, qu'il n'y a rien au monde que je ne quittasse du meilleur de mon cœur pour m'attacher à l'une et imiter les autres. L'abbé de Prières, et plus de dix autres abbés de la réforme, confirmèrent ces premiers témoignages. L'ancien vicaire-général se réjouissait en particulier de la conservation du bon accord entre tous ceux qui avaient la même foi : Si vous avez eu de la consolation, disait-il, d'apprendre les sentiments d'estime qu'ont tous nos révérends Pères de votre Observance, je vous assure que je n'en ai pas une moindre, de savoir que vous avez eu la bonté d'ajouter foi à ce que je vous ai mandé, en quoi vous n'avez pas été trompé, comme vous le reconnaîtrez, s'il plaît à Dieu, encore plus clairement, par les lettres de nos abbés qui ont été présents.

Rassuré de ce côté, le révérend Père ne cessa pas de veiller au danger qui menaçait toujours de l'autre. Sa lettre, devenue publique malgré lui, avait obtenu l'estime générale, et redoublait le dépit de l'abbé de Cîteaux. Jean Petit s'était promis une vengeance. Son parti était pris, disait-on, de venir à la Trappe pour y faire lui-même la visite régulière, et abroger, en vertu de la supériorité, tout ce qui s'y pratiquait au-dessus des constitutions de l'Étroite Observance. Il prétendait avoir le droit de déclarer schismatique et superstitieux l'accomplissement fidèle de la règle, et il parlait de sanctionner ses ordres par l'excommunication. Le révérend Père connaissait trop bien l'esprit de l'Église pour croire qu'un pareil abus de l'autorité pût engager l'obéissance des inférieurs. L'Église romaine, a dit le pape saint Léon IX, ne défend à aucun monastère de conserver la tradition paternelle ; elle en recommande bien plutôt, elle en prescrit l'observation. Mais, soit qu'il voulût prémunir ses religieux contre une timidité scrupuleuse, qui plus dune fois avait ruiné le bien par la soumission, soit qu'il espérât prévenir les entreprises de son ennemi en s'entourant des autorités les plus graves en théologie, il consulta douze docteurs de Sorbonne, le curé de Saint-Etienne-du-Mont, le chancelier de l'Université de Paris, le général de la congrégation de Saint-Maur, le prieur du grand couvent des Jacobins, un père de l'Oratoire, et enfin l'abbé de Prières. Ces hommes, tous également recommandables par la piété et par l'érudition, s'entendirent parfaitement, et donnèrent la réponse suivante : Les docteurs en théologie soussignés sont d'avis, sur la difficulté proposée, que les religieux qui ont fait profession selon la règle de saint Benoît et qui l'ont exprimé dans la prononciation de leurs vœux, dans les termes mêmes qui sont portés dans la règle, peuvent s'obliger de vivre selon les pratiques prises de cette règle ; comme aussi qu'ils peuvent s'obliger de vivre selon la pratique des us de Cîteaux, ou les définitions des anciens chapitres qui sont conformes au premier esprit de l'Ordre, en sorte que nulle autorité supérieure ne peut les obliger de s'en séparer, l'autorité ayant été donnée pour l'édification et non pas pour la destruction, et pour porter les âmes à garder la règle exactement et à conserver le premier esprit de l'Ordre autant qu'il se peut, et non pas à être moins exactes et à s'éloigner du premier esprit. — Délibéré à Paris, ce 15 de juillet 1672.

Ainsi confirmés en liberté, et certains de leur droit contre l'iniquité des supérieurs, les Trappistes ne s'inquiétèrent plus des menaces de l'abbé de Cîteaux. Tout au contraire, selon leur généreuse coutume d'opposer un redoublement de ferveur aux recrudescences du désordre et de la persécution, ils travaillèrent, d'un accord entraînant, à perfectionner leur pénitence. Ils avaient bien rétabli les jeûnes du carême, mais non pas tous les jeûnes d'ordre, ces jeûnes qui commencent au 14 de septembre, pour aller sans interruption rejoindre ceux du carême, et qui se renouvellent deux fois par semaine après la Pentecôte jusqu'à l'exaltation de la sainte Croix. Saint Benoît ne permet qu'un seul repas en ces jours, et il en fixe l'heure après l'office de None. Avec quelle ardeur les Trappistes réclamaient l'observation de cet article ; avec quelle sainte envie ils se remettaient devant les yeux et admiraient le courage de leurs ancêtres ! Le révérend Père, pressé par leurs longues sollicitations, leur permit enfin d'essayer leurs forces. Il fut décidé qu'on suivrait la règle de saint Benoît pour les jeûnes d'ordre, que le fruit et le laitage seraient retranchés pendant l'avent, le carême et les jeûnes d'Eglise, que les trois premiers vendredis du carême on se contenterait d'une seule portion, et les trois derniers, de pain et d'eau, pour le repas unique[7]. On commença cette observance le jour de la Toussaint 1672, et la constance de ces parfaits pénitents ne se démentit pas jusqu'à la fête de Pâques suivante (1673).

Il est vrai que le révérend Père ne crut pas devoir maintenir ces nouvelles dispositions. A travers la persévérance et la joie de ses religieux, il avait remarqué de la fatigue et de l'épuisement. Craignant de ruiner leurs santés s'il les abandonnait à leur zèle, il n'hésita pas à retrancher quelque chose de l'austérité de la règle. Ceux qui ont osé dire ou écrire que l'abbé de Rancé chargeait ses moines du prix de ses péchés et les punissait de ses fautes, ne savaient pas sans doute que la sévérité de ses règlements fut toujours devancée par les désirs de ses frères, et que les adoucissements apportés à la lettre de la loi primitive furent l'œuvre de sa vigilance paternelle dès que l'exactitude rigoureuse lui parut nuisible à la faiblesse des hommes de son temps. On arrêta donc que le repas aurait lieu à midi dans les jeûnes d'ordre, et à midi et demi dans les jeûnes d'Eglise, et qu'il y aurait dans ces jours une collation avant Complies, composée de deux onces de pain. Ce modeste soulagement fut accepté de tous comme un motif de confusion, avec le regret que Dieu ne leur eût pas donné la force d'égaler leurs saints fondateurs (2)[8].

Afin de se dédommager un peu, les Trappistes ajoutèrent à leur pénitence du carême une pratique autrefois en usage dans l'Ordre, et qu'on peut mettre au rang des plus grandes mortifications. Elle consiste à rester pieds nus, le vendredi saint, depuis Prime, qui commence à quatre heures et demie, jusqu'à la fin de la messe des présanctifiés, et à psalmodier les cent cinquante psaumes entre Prime et Tierce, sans préjudice du chant des petites heures, qui sont doublées ce jour-là. On régla en même temps la durée du sommeil et l'heure du lever. d'une manière précise, en prenant pour base les paroles de saint Benoît, qui accorde au sommeil un peu plus de la moitié de la nuit, et fixe le lever pour les jours ordinaires à la huitième heure — deux heures du matin —, et un peu plus tôt pour les dimanches et les fêtes. Il parut à la communauté que sept heures de sommeil étaient suffisantes, et qu'on garderait l'esprit de saint Benoît, si on dormait, dans l'hiver, depuis sept heures du soir jusqu'à deux heures après minuit ; dans l'été, depuis huit jusqu'à deux, en prenant dans cette saison la méridienne accordée par le législateur[9]. Les Matines des jours ordinaires furent en conséquence mises à deux heures du matin ; celles des dimanches, à une heure ; celles des jours solennels, qui sont rares, à minuit : dans ces deux dernières circonstances il resta permis de prendre un peu de repos sur les couches après Matines.

De la réforme intérieure de son monastère, le révérend Père passa encore une fois à la défense de la réforme générale. Quoiqu'il connût parfaitement la haine personnelle que lui portait l'abbé de Cîteaux, il ne craignit pas d'irriter cet ennemi en plaidant publiquement la cause de l'Étroite Observance, en accusant les relâchés et leurs chefs de s'obstiner dans leurs dérèglements, malgré tant de belles paroles et de protestations. L'appel comme d'abus formé au dernier chapitre général, par les Pères de la réforme, contre le bref de Clément X, avait été porté au grand-conseil, et les hommes du roi, par un arrêt du 2 avril 1673, avaient renvoyé les parties à Rome. L'Etroite Observance avait accepté déjà ce parti, et nommé l'abbé de Châtillon pour son délégué auprès du Saint-Siège, lorsque les avis de l'abbé de la Trappe changèrent ces dispositions. Il y a des circonstances extraordinaires où les hommes de Dieu se sentent entraînés à sortir des voies naturelles et communes. Dans le siècle précédent, sainte Thérèse voyant la réforme, qu'elle avait instituée avec tant de forces et de travaux, détruite en un moment par l'autorité du Saint-Siège mal informé, avait eu recours à la puissance royale. Dieu l'inspira de s'adresser à Philippe II, et elle trouva, dans la piété et dans la sagesse de ce grand roi, ce qu'elle en avait espéré pour la dissipation d'une tempête qui lui avait été suscitée par l'envie et la violence de ses ennemis. L'abbé de la Trappe, se réglant sur cet exemple, donna aux Pères de la réforme le conseil de s'adresser immédiatement à Louis XIV, afin d'obtenir, par cette entremise, la conservation de leur observance. Cette proposition fut acceptée, et pendant que l'abbé de Châtillon devait présenter une requête au nom de tous ses confrères, l'abbé de la Trappe se chargea d'en rédiger une autre en son nom personnel (septembre 1673).

La requête de l'abbé de la Trappe au roi est une pièce trop importante pour ne pas être au moins analysée dans cette histoire. L'énergie des pensées et la solennité du style rappellent la manière de Bossuet, dont l'abbé de Rancé avait été l'émule. L'auteur commence par justifier sa démarche : Les anciens solitaires dont je ne mérite pas de porter le nain ni l'habit, n'ont point fait de difficulté de sortir de leurs déserts lorsqu'ils y ont été obligés pour le service de Dieu et les nécessités pressantes de son Église : on les a vus dans les villes impériales et les palais des empereurs, quand ils ont cru que les ordres de Dieu les y engageaient. C'est ce qui fait que l'on ne doit pas trouver étrange que, m'étant consacré au repos de la solitude, et ayant résolu de passer ma vie dans un continuel silence, j'élève aujourd'hui ma voix contre toutes mes intentions, et j'ose la porter jusqu'au trône de Votre Majesté, puisque j'y suis comme forcé par de semblables considérations, et que je ne puis me dispenser de le faire sans abandonner une cause que je crois celle de Dieu, et sans manquer au plus essentiel de mes devoirs. Ce qui fait en cela, Sire, la plus grande de mes peines, c'est que je ne parle que pour me plaindre ; que celui qui m'ouvre la bouche et aux ordres duquel il ne m'est pas possible de résister, ne me met sur les lèvres que des paroles de douleur et d'amertume, et que la charité qui veut presque eu toutes rencontres que l'on cache les fautes et les faiblesses de ses ennemis, me contraint dans celle-ci de découvrir celles de mes frères. Mais j'espère que Dieu, qui est la lumière des rois, et qui n'a pas donné à Votre Majesté moins de sagesse et de discernement que de grandeur et de puissance, ne souffrira pas qu'elle juge mon action autrement qu'il la juge lui-même, ni qu'elle regarde comme l'effet d'un mauvais conseil ce que je n'entreprends qu'avec beaucoup de réflexions, et par le pur mouvement de ma conscience.

Après avoir rappelé l'origine de l'Étroite Observance, l'utilité indispensable de cette institution, et la faveur que l'autorité royale lui avait d'abord accordée, il dénonce hautement les dérèglements et la tyrannie des adversaires du bien : Votre Majesté sera, s'il lui plaît, avertie que l'on a surpris sa bonté, et que, contre les espérances qu'on lui avait données de travailler avec application et avec effet au rétablissement général de l'ordre..... le dernier bref obtenu sous Alexandre VII, pour l'institution de cette nouvelle réforme, est demeuré sans exécution, ses règlements n'ont été reçus dans aucun lieu, quoiqu'ils adoucissent la règle et qu'ils en retranchent l'austérité dans tous les points. On a vécu pourtant dans la licence accoutumée ; il n'a servi que de matière et de prétexte à ceux qui ont l'autorité principale entre les mains, pour attaquer l'Etroite Observance, et travailler à sa ruine avec plus de succès ; afin qu'ayant ôté toutes les différences qui se trouvent entre elle et la vie qu'ils mènent, c'est-à-dire en détruisant la piété, la pénitence, la discipline et l'esprit de religion, les maux de l'Ordre fussent moins connus et ses dérèglements moins sensibles..... On trouble la tranquillité de nos monastères par des changements injustes ; on intimide ceux en qui on voit de la vigueur et du zèle pour la manutention de la régularité ; on dépose les gens de bien, on leur ôte le gouvernement des maisons, on en met à leur place qui sont incapables de conduire. On vient de faire paraître un nouveau bref qui abolit ce qui avait été établi pour la conservation sous le pontificat d'Alexandre VII..... ce que Rome n'aurait jamais fait, si, pour me servir des termes de saint Bernard, elle n'avait été surprise par les artifices, ou par les pressantes sollicitations de nos adversaires ; et la contestation mue sur l'appel comme d'abus du second bref ayant été portée devant Votre Majesté et renvoyée par Elle en son grand-conseil, on nous oblige de retourner à Rome, et on nous engage par là dans une suite presque infinie d'affaires, de procès et de dépenses, si Votre Majesté ne daigne étendre la main sur nous.

Il ne craint pas d'avancer que l'État lui-même est engagé pour sa propre conservation à réprimer la licence des moines : Pendant que les solitaires et les moines ont vécu dans la perfection de leur état et selon la pureté de leur règle, on les a regardés comme des anges visibles et tutélaires des monarchies ; on les a vus défendre des villes contre des armées nombreuses qui les attaquaient, ils ont soutenu, par le pouvoir qu'ils avaient auprès de Dieu, la grandeur et la fortune de l'empire, ils ont gagné des batailles et remporté des victoires comme ils les avaient prophétisées, et les empereurs chrétiens ont eu plus de confiance dans les prières de ces grands saints que dans leur propre valeur, et la puissance de leurs armées... Mais si la piété des saints religieux a causé tant de biens et de bénédictions, il est vrai de dire que l'irréligion des mauvais moines n'a pas produit de moindres confusions et de moindres maux. Les saints ont autrefois attribué les persécutions de l'Église, les ravages que les Barbares ont faits dans l'Italie et le saccagement de Rome, aux dérèglements des ecclésiastiques de leur temps. N'a-t-on pas sujet de craindre que Dieu ne s'irrite de voir que tant de maisons religieuses, qui devraient être comme autant de sanctuaires, ne servent plus que de retraites à des personnes dont il semble que l'emploi principal soit d'attaquer la gloire de son nom, et de violer la sainteté de sa loi ? qu'il ne châtie une licence si scandaleuse et si publique par des punitions éclatantes, et que ceux qui ont été autrefois les colonnes des États et de l'Eglise par la sainteté de leur vie, n'en deviennent comme le malheur et la malédiction par le dérèglement de leurs mœurs ?

Il va plus loin ; avec cette noble liberté des enfants de Dieu qui instruit les rois, face à face, de leurs obligations, sans insolence comme sans flatterie, il trace à Louis XIV ses devoirs de roi très-chrétien : Entre tant de titres différents que les grands rois reçoivent de la libéralité de Dieu, il n'y en a pas qui leur soit si avantageux, ni qui les approche si près de la Divinité, dont ils doivent être les plus vivantes images, que celui de père des peuples ; mais cette qualité, que Dieu même a bien voulu prendre pour lui préférablement à toutes les autres, les engage à ne s'appliquer pas moins au salut et à la sanctification de leurs sujets qu'à la conservation de leurs biens et de leurs fortunes, et Voire Majesté, qui veut sans doute s'acquitter de toutes ses obligations envers ceux que la divine Providence a voulu confier à ses soins, et soumettre à son autorité, ne doit pas moins travailler à les rendre heureux dans le temps que dans l'éternité.

Il termine enfin en demandant une commission qui abrège les difficultés et donne à cette longue querelle une conclusion équitable et utile : Je supplie donc avec larmes Votre Majesté, qu'il lui plaise de nommer quelques personnes auxquelles nous puissions proposer des moyens innocents, qui ne donnant nulle atteinte véritable à l'autorité des supérieurs auxquels nous sommes soumis, ne laissent pas d'avoir ce qui est nécessaire pour empêcher l'entière dissipation de notre Observance. Votre Majesté procurera par là le salut de tant d'âmes dont la perte est tout assurée, si elles ne sont soutenues de sa protection. Elle maintiendra le service de Dieu dans un grand nombre de monastères dont la piété et la discipline commencent à s'affaiblir, et qui sont sur le point de tomber dans de plus grands égarements. Elle finira des contestations qui durent depuis cinquante ans avec mi scandale public, qui se raniment tous les jours par de nouveaux incidents, et qui ne se termineront jamais par des jugements et des décisions de rigueur ; elle étouffera dans son royaume la cause d'une infinité de malheurs, et attirera, par une conduite si chrétienne et si sainte, la bénédiction du ciel sur son empire.et sur sa personne.

Un si magnifique langage devait plaire à l'âme élevée de Louis XIV. On remarque avec satisfaction qu'il ne trouva pas la requête trop longue, que non content de l'écouter attentivement, il s'en fit relire plusieurs passages plusieurs fois, et demanda les explications nécessaires pour la parfaite connaissance du procès. Le lendemain, il nomma les commissaires les plus honorables et les plus intègres, tels enfin que l'abbé de la Trappe lui-même aurait pu les choisir. Le public jugea comme le roi : la requête imprimée, sans la permission de l'abbé, fut lue et admirée partout, en France et hors de France : on y reconnut un chef-d'œuvre d'éloquence, de zèle et de piété ; on écrivit des lettres de félicitation à l'abbé ; on ne doutait pas du succès de sa réclamation ; lui-même se laissait quelquefois aller à l'espérance[10]. Il n'y eut que les relâchés qui contredirent le sentiment du grand nombre, avec le dépit furibond de coupables convaincus. Ils sentirent bien que depuis l'origine de ces débats ils n'avaient pas reçu de coup plus grave que cette requête, parce qu'elle empruntait de la bonne renommée de son auteur une influence irrésistible sur l'opinion publique, et qu'elle était en même temps la dénonciation la plus explicite qui, dissipant les ténèbres où ils se cachaient, eût découvert à tous les yeux leurs infidélités. Cet homme, dont la parole portait son autorité avec elle, n'avait rien épargné, ni les artifices de l'abbé de Cîteaux à Rome, ni l'oppression des justes par les supérieurs, ni la licence des particuliers survivant au bref d'Alexandre VII. Ils auraient voulu répondre ; mais comment répondre à des faits évidons cependant ils ne consentirent pas à se taire, dans la crainte que leur silence ne passât pour un aveu ; ils prirent le parti de récriminer par des injures extravagantes. Ils décrièrent leur adversaire par leurs discours et par les écrits de leurs affidés.

Plusieurs libelles furent publiés contre l'abbé de la Trappe. Dans l'un, sa démarche auprès du roi était expliquée par l'orgueil, la présomption, le ressentiment de l'affront qu'il avait reçu à Rome. On l'accusait de chercher des moyens purement humains, contraires à l'ordre de Dieu, de se mêler de procès, de chicanes et d'intrigues, de s'élever contre les brefs et les décisions du Saint-Siège, de soutenir avec opiniâtreté son sens propre contre les papes, dont il méprisait l'autorité, d'agir contre la doctrine des Pères, des canons, des conciles et l'exemple des saints ; et ces reproches venaient de gens qui avaient acheté par des présents la mitigation de la règle, qui avaient plaidé pendant dix ans devant le parlement de Paris, qui opposaient sans cesse l'autorité du pape à celle du roi, et l'autorité du roi à celle du pape ! On ajoutait : Ne se pourrait-il pas trouver quelque petit amour-propre en cette affectation si ardente de ressembler aux grands saints dans leurs actions brillantes, comme aussi lorsque vous écrivez des lettres d'instruction et de correction aux personnes de condition, et qui sont au-dessus de vous, peut- être même en mérite et en vertu, comme celle que vous avez écrite à monseigneur notre révérendissime abbé de Cîteaux.

Dans une autre production de même valeur, l'abbé de la Trappe était représenté comme coupable d'avoir violé les lois de la solitude et du silence, comme rebelle à l'autorité du pape, au jugement duquel il avait préféré le jugement du roi, comme un vil sycophante qui trafiquait de la diffamation de son ordre en faisant vendre sa requête ; enfin comme la seule cause qui avait empêché le bref d'Alexandre VII d'être mis à exécution. Les insensés, ils avouaient ainsi la vérité des accusations portées contre eux, pour rejeter leur faute sur l'accusateur ! La vertu de l'abbé de la Trappe était trop haute et trop humble pour s'émouvoir de ces infamies : Je ne sais pas, disait-il, si l'écrit qu'on a publié contre moi m'a fait quelque mal dans le monde, mais je sais bien qu'il ne m'a point fait de peine ; par la miséricorde de Dieu, je ne veux et je ne connais de gloire que celle de Jésus-Christ ; si j'avais à choisir, j'aimerais beaucoup mieux les censures que les applaudissements des hommes. Il ne m'est point utile qu'ils aient bonne opinion de moi ; mais, au contraire, il nie peut être très avantageux qu'ils en pensent mal, qu'ils le témoignent et qu'ils le publient. Après tout, si ma réputation était bonne à quelque chose, et qu'elle pût contribuer à l'édification de l'Église, ce que je n'ai garde de croire, Dieu ne manquerait pas de nie la conserver, malgré l'envie et la passion de ceux qui voudraient la détruire. Il ne répondit donc pas aux calomnies, ou plutôt il répondit victorieusement par les actes les plus dignes de son grand cœur. Il établit deux messes quotidiennes à perpétuité, dans son monastère, l'une pour la conservation du roi et la prospérité de l'État, l'autre pour les amis et les ennemis de la Trappe. Ensuite, tandis que les supérieurs-majeurs lui faisaient imputer leur propre infidélité, et le mépris où ils avaient laissé tomber le bref d'Alexandre VII, il s'occupait de faire recevoir ce bref dans un monastère éloigné, malgré la résistance des supérieurs (1674).

Leyme était une abbaye de filles de l'ordre de Cîteaux, dans le diocèse de Cahors, également célèbre par la haute naissance de ses habitantes et par ses dérèglements. Il y avait déjà sept ans que le bref d'Alexandre VII avait été reçu par le chapitre général, lorsque l'abbesse apprit par hasard qu'il existait un bref d'un pape qui prescrivait aux moines et aux religieuses de Cîteaux une vie plus régulière. Tels avaient été l'exactitude et l'empressement des supérieurs à propager la réforme qu'ils avaient eux-mêmes sollicitée. Surprise, effrayée de son ignorance, l'abbesse exprima ces sentiments aux confesseurs et aux visiteurs ; mais ces hommes, qui lui devaient la vérité et la direction, sourirent de ses scrupules, et lui firent entendre que le bref, destiné à sauver les apparences, obligeait les ennemis du relâchement à se taire, mais non les relâchés à se corriger. Peu rassurée par une morale si libre, elle prit le parti de s'adresser à l'abbé de la Trappe, dont la sagesse et la vertu étaient une garantie de la pureté de sa doctrine : elle voulut savoir de lui quel était le bref, à quoi il obligeait, ce qu'elle avait à faire elle-même pour s'acquitter de ses devoirs. L'abbé de la Trappe, ainsi appelé au secours, ne manqua pas plus à l'abbesse cl e Leyme qu'aux religieuses de Saint-Antoine. Il lui répondit qu'elle était obligée en conscience de faire garder dans son monastère le bref d'Alexandre VII, qu'il n'y avait pas d'autre genre de vie permis, ni autorisé pour la commune Observance, et que quiconque n'observait pas ces prescriptions n'était pas en voie de salut. Si les visiteurs enseignaient autre chose, ils ne devaient pas être reçus dans la maison ; si les premiers Pères soutenaient les visiteurs, ils perdaient tout droit à l'obéissance. Il ajoutait que le bref, loin d'être inutile, n'était pas même suffisant, que c'était le commencement et non la perfection de la réforme, un premier degré au-dessus duquel il faudrait s'élever ensuite, par de nouveaux et plus courageux efforts, jusqu'à l'observation complète de la règle que les saints avaient donnée à l'ordre de Cîteaux.

Cette lettre changea tout-à-coup la face du monastère de Leyme. L'abbesse, commençant par elle-même, quitta la magnificence mondaine qu'elle avait apportée de sa famille dans le cloître, et jusqu'aux marques de sa dignité, sa croix et son anneau, qui ne reparurent plus que dans les grandes fêtes. Elle imposa à ses religieuses le bref pontifical, l'office de la nuit, l'abstinence quatre fois par semaine, la laine à la place du linge. Elle resserra les grilles, et au lieu qu'auparavant l'entrée du monastère était permise aux hommes comme aux femmes, on n'admit plus que les personnes dont la conduite ne pouvait être suspecte ; cette interdiction s'étendit même aux confesseurs, hors le cas de droit. Mais les mauvaises passions, arrêtées subitement dans leur cours, s'élevaient en frémissant contre la digue que le repentir leur opposait. Un grand nombre de religieuses murmurèrent, gagnèrent leur confesseur, et, se déclarant sans honte, appelèrent hautement le visiteur pour sortir d'oppression. La révérende mère, de son côté, recourut à celui qui seul avait su lui faire connaître ses devoirs ; elle puisa de nouvelles forces dans les encouragements qu'il donnait à ses premières tentatives : Continuez, lui écrivait-il, à instruire vos sœurs plus par vos exemples que par vos discours, à leur être autant supérieure par la régularité de votre vie, que vous l'êtes par le rang et l'autorité que Dieu vous a donnés sur elles ; faites en sorte qu'elles voient dans toutes vos actions, comme dans un livre vivant, ce qu'il faut qu'elles évitent ou qu'elles embrassent... Le comble des maux et la marque la plus sensible de la colère de Dieu, est de voir que ceux qui doivent agir en son nom et par ses ordres, et dont l'unique devoir est de procurer sa gloire, d'éclairer les âmes et de les fortifier, se servent de leur autorité ou de leur ministère pour leur inspirer, ou par ignorance ou par iniquité, des conduites qui déshonorent son nom et engagent leur conscience.

Le visiteur arriva, et son premier soin fut d'approuver la résistance des religieuses ; l'autorité applaudit à la révolte. Il prétendait que le bref d'Alexandre VII ne regardait pas les personnes engagées dans l'ordre avant son apparition, mais seulement celles qui s'y engageraient dans la suite. Un effet rétroactif donné à une loi — c'est ainsi qu'il considérait le retour à une loi violée — indignait cet adversaire de la tyrannie. Il ne permettait pas même qu'on parlât de réforme, et, pour en prévenir jusqu'à la pensée, il voulut interdire la lecture d'un livre intitulé le premier Esprit de Cîteaux. Dans une telle extrémité, quel parti prendrait l'abbesse ; Entendrait-elle si mal l'obéissance, qu'elle aimât mieux obéir aux hommes qu'à l'esprit de Dieu ? Fortifiée par les conseils qu'elle avait sollicités, et sûre de la sainteté de sa cause, elle ne trembla pas ; elle ne fléchit pas : elle ferma ses grilles, et signifia au loup ravisseur qu'il n'entrerait plus dans sa bergerie. Celui-ci, exaspéré, lança une sentence d'excommunication, et se retira en protestant qu'il aurait raison de l'insulte. Un tel procédé n'était que ridicule. L'abbé de Cîteaux lui -même le comprit : il leva l'excommunication ; mais il aurait eu peur, selon sa coutume, de donner tort aux doctrines de ses agents : il ordonna que le visiteur rentrerait dans le monastère pour achever sa visite, c'est-à-dire réglerait toutes choses pour le plus grand mal de la réforme. L'abbesse, aussi intrépide devant le chef de l'ordre que devant ses représentants, ne céda pas davantage aux injonctions perfides de l'autorité souveraine : elle tint ses portes constamment fermées. Déterminée à tout braver, à tout tenter pour l'accomplissement de ses obligations, elle voulut savoir s'il lui était possible de se soustraire à la juridiction de l'ordre, et de se mettre dans la dépendance de sou évêque. L'abbé de la Trappe, consulté pour la troisième fois, la confirma dans ce dessein. Il ne fit ici que reproduire une doctrine qu'il avait plusieurs fois défendue, mais avec plus de netteté et de précision que jamais : Dieu vous a soumises aux supérieurs de l'ordre pour votre sanctification ; ils doivent vous tenir lieu de pères, de médecins et de pasteurs ; mais... s'ils ruinent la vie et la santé de vos âmes, augmentent vos maux, et détruisent en vous ce qu'ils devraient édifier, ils cessent d'être vos supérieurs, ils perdent à votre égard le pouvoir dont ils font un si mauvais usage ; vous ne leur devez plus rendre une obéissance qui ne peut subsister avec celle que vous devez à Dieu, et vous êtes dans le droit, et même dans l'obligation, de chercher, sous une autre autorité, les moyens de travailler à votre salut, puisqu'il est impossible de le faire sous leur conduite... Ceux que l'on vous donne pour confesseurs dérèglent l'esprit de vos filles, les remplissent de mauvaises maximes, étouffent les bons sentiments que vous essayez de leur inspirer ; ce sont même des religieux qui vivent dans le scandale. Les visiteurs, qui devraient mu pêcher ces désordres, les entretiennent, et ruinent, dans une visite de trois jours, plus que vous ne pouvez établir par l'étude, l'application et la vigilance de plusieurs années. Le mal étant venu à cette extrémité, et pouvant même avoir des suites plus fâcheuses, on ne doit pas douter que vous n'ayez de très justes raisons de vous soustraire à la juridiction de l'ordre, et de vous mettre sous celle de l'ordinaire.

Ce fut l'abbé de Cîteaux qui se rendit ; désespérant de vaincre, et craignant pour l'honneur de ses amis l'éclat d'une séparation, il accorda d'autres confesseurs et un visiteur qui eût plus de piété. L'abbesse, enfin libre, adopta l'Étroite Observance, et fut imitée d'une partie de la communauté ; les autres furent astreintes à l'observation du bref. L'abbé de la Trappe continua de diriger celle qu'il avait formée à la pratique de la règle ; à sa prière il traduisit en français les anciens us de Cîteaux, et les lui envoya pour le gouvernement de sa maison. Depuis ce temps le monastère de Leyme fut l'édification de la province.

Battus sur ce point, les relâchés se défendaient plus avantageusement sur un autre. La commission nommée par le roi, à la requête de l'abbé de la Trappe, passa plus d'un an sans pouvoir commencer l'examen de l'affaire. Cités devant elle, les premiers Pères ne comparaissaient pas ; ils gagnaient du temps, soit pour fatiguer leurs juges et se faire oublier par la lenteur, soit pour ranimer le zèle et augmenter le nombre de leurs partisans. Ils étaient peu scrupuleux sur le choix des protecteurs et des moyens ; sentant que leur cause n'était pas celle de Dieu, ils n'hésitaient pas à faire concourir à son triomphe les passions humaines. L'abbé de la Trappe leur donna, en cette occurrence, une grande leçon de dignité chrétienne. On lui apprit qu'une dame de la cour lui offrait ses services, et n'attendait pour agir que quelques mots d'estime et de considération. C'était une de ces femmes qui envahissent le domicile conjugal des rois, qui avouent leur honte par les flatteries qu'elles acceptent des courtisans, par l'importance qu'elles se donnent dans les affaires publiques, par les titres de princes qu'elles laissent donner à leurs enfants. Celle-ci avait dit : Pourquoi l'abbé de la Trappe ne m'en écrit-il pas, j'aurais déjà fait son affaire. Quelques personnes honorables, mais familiarisées par l'usage du monde avec certains scandales, s'étonnaient même que cette proposition ne fût pas acceptée. Il ne m'est pas possible, répondit le chaste abbé, d'écrire la lettre que vous me demandez, la sincérité est une vertu que l'on ne doit pas plus violer que la chasteté j'offense assez Dieu par mes imprudences et mes promptitudes, sans le faire de propos délibéré. Il faut, pour traiter les affaires de Dieu, que les mains soient aussi pures que les intentions. Il n'accepta que l'entremise des cardinaux de Retz et d'Estrées, la protection de l'abbé Colbert auprès de son père, le grand ministre, celle de Bossuet auprès de Michel Letellier, et celle des Carmélites de Saint-Jacques. Voilà comment, sans affectation, sans se préférer à personne, il instruisait par ses actes, et montrait leur devoir à ses supérieurs en l'accomplissant le premier. Dans ce voyage encore, comme dans les précédents, il rappela ces fils dégénérés de saint Bernard à la simplicité de leur père, et proscrivit leur luxe par sa pauvreté. Laissant aux ennemis de la réforme leurs carrosses à six chevaux et leurs équipages de princes, l'abbé de la Trappe se détournait des grands chemins pour éviter les regards, s'arrêtait dans les hôtelleries inconnues, et se faisait conduire par un paysan dans une charrette. Il se trouvait même trop honoré de rester assis pendant que son guide marchait à pied, et regrettait que la bienséance ne permît pas à un pécheur convaincu de céder la première place à l'homme de bien.

Obligé de se présenter enfin, l'abbé de Cîteaux déconcerta un instant la fermeté des commissaires. Il reproduisit cette inévitable requête des abbés étrangers, qui depuis vingt-cinq ans servait de réplique ou de contrepoids à tons les arguments de la réforme. Tout récemment, avec ce nom des étrangers, il avait établi que l'égalité des définiteurs, au chapitre général, était bien plutôt l'inégalité et l'injustice, et il avait dérobé le bref de Clément X. Aujourd'hui il ajoutait, devant les commissaires de Louis XIV, que cette égalité était une insulte aux étrangers, une atteinte à la gloire du roi ; que les étrangers exclus du définitoire cesseraient de venir au chapitre, et que leur absence ravirait au royaume l'honneur d'être le centre d'un ordre universel ; au roi, l'honneur de recevoir avec distinction les représentants des autres royaumes. L'objection était fort habile, à une époque, où, la France se résumant dans le roi, l'idolâtrie antique reparaissait dans le royalisme, impie et superbe rival de la religion du Dieu jaloux[11]. Les commissaires — faut-il le dire ? — s'arrêtèrent gravement devant cette puérilité. Ils ne voulurent pas même entendre qu'il venait à peine au chapitre général cinq ou six abbés allemands, et que les monastères des autres contrées, érigés en congrégations, avaient leurs chapitres particuliers. L'abbé de Cîteaux avait touché l'endroit sensible, et aucune raison ne pouvait rassurer ces dévouements timorés.

L'abbé de la Trappe trouva un expédient qui conciliait tous les intérêts. Il déclara que l'Étroite Observance renoncerait au droit d'avoir dix définiteurs dans le chapitre général, si on voulait lui accorder plusieurs conditions empruntées en partie aux ordonnances de La Rochefoucauld : 1° les abbés réformés présenteraient au chapitre général, ou à l'abbé de Cîteaux, deux abbés de leur corps en qualité de visiteurs et vicaires-généraux, entre lesquels ledit chapitre, ou ledit abbé de Cîteaux, choisirait celui qui lui conviendrait pour régir les monastères de ladite Observance pendant trois ans, avec l'autorité de supérieur ordinaire ; 2° les abbés de l'Étroite Observance nommeraient également, sous l'approbation du chapitre général ou des premiers Pères, les prieurs des monastères de l'ordre qui étaient en commende ; 3° ces mêmes abbés auraient la liberté de s'assembler une fois par an, dans un monastère à leur choix, pour traiter des nominations à faire, et des règlements relatifs au maintien de la discipline ; 4° si l'on interjetait appel devant les premiers Pères des jugements rendus par le vicaire-général, les premiers Pères ne pourraient juger de l'appel que conjointement avec les supérieurs de l'Étroite Observance les plus voisins, etc., etc.

Si l'abbé de Cîteaux eût été de bonne foi, s'il eût voulu véritablement conserver aux étrangers leur place dans le définitoire, et non ruiner la réforme par l'exclusion des définiteurs réformés, cette transaction franche et équitable aurait mis fin aux démêlés des deux observances, et illustré son règne par le rétablissement de la concorde. Les commissaires en jugèrent ainsi. Leur foi politique, sortie d'embarras, accepta sans délai des propositions qui sauvaient tout ensemble l'honneur du roi et la cause de Dieu. Déjà l'arrêt qui devait tout conclure était rédigé ; les conditions en étaient agréées d'en haut : il ne s'agissait plus que de signer. Mais Jean Petit avait rejeté tout accommodement ; obligé de se démasquer enfin, il réclamait contre la ruine imminente de son autorité, et jurait qu'il saurait la prévenir. A la veille même du jugement définitif, à neuf heures du soir, quand tout semblait perdu pour iui, il trouva une protection puis - sante qui lui donna tout l'avantage.

Jean Saumon, abbé de Tamied, en Savoie, de la Commune Observance, était un homme disert, éloquent, très habile à s'insinuer auprès des personnes les plus importantes du royaume. L'éclat de ce mérite mondain lui avait gagné la confiance du grand Condé, gouverneur de Bourgogne, héritier des honneurs et de la légèreté de son père ; on se rappelle que l'Étroite Observance n'avait pas à se louer de l'intervention de cette famille dans les affaires de la réforme. Ce fut l'abbé de Tamied que Jean Petit lança, comme dernière ressource, auprès de monsieur le prince. Un ami tel que lui, qui entrait à toute heure, ne pouvait craindre une réception défavorable : l'intrigue devait triompher sans contradiction auprès d'un homme mal informé, dont l'esprit, tout occupé de la guerre, n'avait jamais étudié la constitution des ordres religieux. Le négociateur avança donc tout ce qu'il voulut ; il intéressa la fidélité du premier prince du sang, et la gloire du roi, au succès de la cause qu'il plaidait. Il fit valoir l'autorité du chapitre détruit, les moines étrangers déterminés à ne plus paraître en France, et demandant à Rome un vicaire-général, l'unité de l'ordre brisée par la décision royale qui allait être rendue. Ainsi l'imposteur retournait, contre les articles de l'abbé de la Trappe, toutes les difficultés que ces articles annulaient. Le grand Condé n'en demanda pas davantage : il se rendit immédiatement auprès du roi, et fut écouté. Le lendemain l'arrêt fut prononcé, au grand étonnement des commissaires, des évêques, et des gens de bien (19 avril 1675).

La sentence portait que le bref de Clément X serait enregistré, et que les choses demeureraient dans l'état où ce bref les avait réduites ; que les Pères de l'Étroite Observance auraient la liberté de s'assembler, mais sous la présidence de l'abbé de Cîteaux ; enfin, que l'abbé de la Trappe serait visiteur des provinces de Bretagne, Normandie et Anjou. Les conseillers royaux croyaient sans doute, et peut-être sur la foi de leur propre conscience, qu'un peu de vanité, un peu d'ambition, quelque besoin d'autorité et d'importance, avaient poussé l'abbé de la Trappe en avant, et qu'une petite distinction personnelle calmerait son ardeur et satisferait son amour du bien général : O curvœ in terras animœ et cœlestium inanes !

Cet arrêt de Louis XIV peut être considéré comme la destruction de l'Étroite Observance. L'abbé de la Trappe refusa le titre de vicaire-général ; les Pères de la réforme refusèrent également de s'assembler sous la présidence d'un supérieur ennemi, dont l'autorité ne pouvait servir qu'à ruiner tous leurs bons desseins. Force et liberté restèrent au désordre, et le juste fut abandonné à la discrétion des méchons. Laissons les vainqueurs jouir de leur triomphe et de la protection royale, jusqu'à ce que la vengeance divine emporte dans le même châtiment les relâchés et la monarchie, et revenons à la Trappe, avec le saint abbé, pour n'en plus sortir.

 

 

 



[1] Rancé, Vie monastique, chap. XXI, quest. III.

[2] Bossuet, Lettres diverses, L.

[3] Lenain, Vie de Rancé, tome Ier.

[4] Rancé, Explications de la Règle, chap. XXXIX.

[5] Bref de Clément X : Existentes abbates Germaniæ protestati sunt... si ad futura sequentia capitula traheretur ejusmodi æqualitas definitorum ex utraque Observantia assumendorum, id abbatibus communis Observantiæ, quippe qui in longe majori sunt numero quam abbates Strictæ Observantiæ, grave nimis esset.

[6] Prænarratam dispositionem super sequalitate numeri definitorum... sat impletam fuisse unica vice in capitulo celebrato, nec officere in futurum... declaramus.

[7] Gervaise, Histoire générale de la réforme  de Cîteaux. — Lenain, Vie de Rancé, tome I, chap. XI. — Rancé, Lettres spirituelles, tome I ; 1672.

[8] Rancé, Lettres choisies, tome II, p. 20 : Cette austérité, qui, par rapport à la lâcheté de notre temps, est quelque chose de considérable, est supportable presque à toutes sortes de personnes, et c'est maintenant la vie commune de notre monastère.

[9] Rancé, Explication de la Règle, ch. VIII.

[10] Lettre à l'abbé Testu, janvier 1671 : Les choses ont été mises entre les mains de personnes dont on peut se promettre toute sorte de justice.

[11] Ces paroles sévères ne sont-elles pas surabondamment justifiées par des faits tels que celui-ci : On vit à Paris, à la face de Dieu et des hommes, une cérémonie fort extraordinaire : le maréchal de La Feuillade fit la consécration de la statue du roi, qu'il avait fait élever dans la place nommée des Victoires. La Feuillade fit trois tours à cheval autour de la statue, à la tête du régiment des Cardes, dont il était colonel, et fit toutes les prosternations que les païens faisaient devant les statues de leurs empereurs. (Mémoires de l'abbé de Choisy). On peut voir également ce que dit Saint-Simon de cette apothéose, à laquelle Louis XIV prit un plaisir infini.