HISTOIRE DU RÈGNE DE LOUIS XIV

DEUXIÈME PARTIE. — L'ÉPOQUE DE PUISSANCE ET DE GLOIRE SOUS COLBERT ET LOUVOIS (suite)

 

CHAPITRE XXVII. — Histoire intérieure de la France pendant la guerre de Hollande et à la suite de la paix de Nimègue : troisième partie. Grand éclat des lettres de 1679 à 1688. Progrès de l'Académie des sciences. Splendeur des bâtiments.

 

 

I. — Action de Louis XIV et de Colbert sur les études. - Fin du théâtre de Racine, opéras de Quinault. - Domination de Boileau. - Popularité de La Fontaine. Le roman français : la Princesse de Clèves. - Histoire et éloquence, Bossuet : Discours sur l'histoire universelle. - Philosophie : Malebranche et La Bruyère. - Résistance des esprits médiocres. - Commencement de la querelle des anciens et des modernes.

 

Louis XIV, au camp devant Dôle (juin 1674), se glorifiait de n'être pas empêché par la guerre de donner une partie de ses soins à faire fleurir les lettres et les arts[1]. Il répétait encore, en 1676, qu'en dépit de la malice de ses ennemis et de l'extrême jalousie que leur inspirait la gloire de son règne, il continuait à cultiver et à attirer dans son royaume tout ce que la science et les beaux-arts pouvaient y apporter d'ornements nouveaux[2]. Le même éloge lui revenait dans les remercîments des hommes de lettres reconnaissants ou avides de ses bienfaits. Boileau, après la prise de Bouchain, le représentait plus grand encore à Versailles qu'au milieu des combats, cultivant les arts et récompensant les muses[3] ; et La Fontaine, dans la dernière période des négociations de Nimègue, constatait que la paix, quelque désirée qu'elle fût, n'était pas un besoin impérieux pour les savants et les poètes :

Même les filles de Mémoire

Ne nous ont pas quittés, nous goûtons des plaisirs :

La Paix fait nos souhaits, et non pas nos soupirs[4].

S'il est juste de ne pas disputer cette gloire à Louis XIV, il n'est pas moins vrai que la plus grande part en appartient à Colbert. Outre que le nom de Colbert figure çà et là dans les préambules des édits royaux, comme celui d'un amé et féal conseiller, promoteur de tout progrès nouveau, le témoignage des lettrés et des savants d'alors est unanime à le proclamer le Mécène du siècle, et au moins l'intelligent exécuteur des grandes volontés du roi. Des suppliques de la province le félicitent de faire ses plus particulières délices de la conversation des savants, de leur donner chez lui un asile contre les traits de l'envie et de la mauvaise fortune ; d'avoir, à l'exemple du roi, rendu les muses ses compagnes et ses domestiques[5]. Les érudits le remercient, en beau latin, des dons relata qui viennent par lui réchauffer les muses ; Ils célèbrent son dévouement à la gloire du royaume et du roi, tous ses soins, toutes ses pensées tournées vers ce but, ses efforts pour rassembler tu service du publie la plus vaste bibliothèque, et son amour de toutes les sciences et de tous les arts[6]. Lui-même il exerce avec une certaine complaisance ce rôle de protecteur ; témoin la fête qu'il donna (1677), dans son château de Sceaux, à l'Académie française, où l'éloge de sa magnificence se mêlait à celui des victoires de Louis XIV. Nous trouvons, dans le Mercure galant, qu'on y entendit d'abord un sonnet de Quinault, et cinq ou six cents vers sur les peintures de cette illustre maison. Après des vers de Furetière sur la prise de Valenciennes et de Cambrai, l'abbé Tallemant le jeune récita un poème en l'honneur des eaux que l'industrie de Lejongleur avait amenées dans un lieu qui leur semblait à jamais interdit.

Cette activité, que Colbert avait apportée dès le début au gouvernement des sciences et des arts, ne fut, pendant la guerre, ni moins féconde en ressources, ni moins persévérante à poursuivre les résultats ; elle sembla s'animer encore après. la paix de Nimègue. Même zèle à fonder des corps savants dignes de servir d'écoles ou de centres. C'est alors même qu'il étend à la province ce qui avait réussi à Paris. En 1674, une académie est créée à Soissons, sous la protection du cardinal d'Estrées ; les membres, au nombre de vingt, devaient s'exercer à la composition littéraire, se tenir en correspondance avec l'Académie française, et lui envoyer tous les ans, au jour de Saint-Louis, quelque ouvrage en prose ou en vers sur un sujet utile ou honnête. Colbert, en leur transmettant les lettres-patentes d'institution, leur disait : Sa Majesté s'attend que, par vos soins et votre application aux belles-lettres, vous contribuerez aux grands ouvrages que l'Académie française entreprend pour sa gloire. Après la paix, une autre académie fut autorisée à Nimes (1682) en faveur de plusieurs personnes studieuses, qui s'assemblaient toutes les semaines, et qui se livraient à des travaux d'éloquence et d'érudition[7]. Ce sont là il est vrai, les deux seules académies de provinces qui aient été fondées directement par Colbert ; le nombre n'en augmenta que plus tard[8]. Mais il n'avait rien négligé pour en susciter partout, comme le témoigne cette circulaire aux intendants, un de ses derniers actes (juin 1683), où il les exhorte à encourager les hommes de littérature appliqués à quelque science particulière ou à l'histoire de chaque province. S'il y en a déjà, dit-il, Sa Majesté pourra leur faire quelque gratification ; s'il n'y en a pas encore qui aient de l'âge et du savoir, il faut chercher des jeunes gens de vingt-cinq à trente ans, capables de ce genre d'études, et les y attacher par la perspective des bienfaits du roi[9]. Les arts ne furent pas moins bien traités que les lettres. En 1676, des lettres-patentes portèrent création, dans les principales villes, d'académies de peinture et de sculpture, sous la conduite et administration des officiers de l'Académie royale siégeant à Paris. Il paraissait convenable de faire participer tout le royaume à l'effet produit par l'Académie principale. La même année, l'Académie de peinture de Rome fut réunie à celle de Paris[10].

Même empressement à rechercher au dehors et au dedans du royaume tous les objets d'étude intéressants pour les sciences, l'histoire et les antiquités. En 1675, au milieu des difficultés financières et autres de cette année critique, Colbert a le tempe de veiller sur un envoi d'animaux rares arrivé d'Orient à Marseille : poules sultanes, poules de Pharaon, gazelles, demoiselles de Numidie, flamants et phénicoptères[11]. En 1676, au milieu de cette guerre maritime dans la Méditerranée qui tourna si glorieusement, il s'inquiète d'un envoi du P. Wanslebe : quarante-trois livres hébreux, vingt-deux arabes ou du mont Sinaï pris en mer par un corsaire ; il donne à l'intendant de marine de Toulon l'ordre de s'ingénier à retrouver ces livres. Eu 1679, d'Aguesseau, intendant du Languedoc, flattant le goût de son chef, lui avait expédié les archives de quelques chapitres et abbayes de la province, et annonçait la découverte de richesses semblables à Narbonne. Il fut bientôt invité, sur la demande de Baluze, à rechercher, dans les archives de Nimes, des registres concernant les Templiers, le dernier schisme d'Avignon, et plusieurs privilèges des rois nécessaires pour divers ouvrages qui se faisaient à Paris[12]. Colbert avait employé Mabillon, en Bourgogne, à examiner des titres relatifs à la dynastie royale. Frappé du savoir et de la capacité de ce religieux, il l'envoya en Allemagne pour fouiller les bibliothèques, les archives, les collections de tout l'empire. Une somme de mille livres, assignée au savant bénédictin et à son compagnon pour frais de route, figure sur la dernière liste des gratifiés arrêtée par Colbert (1683).

Mabillon a lui-même raconté ce voyage[13], sauf les honneurs qui lui furent rendus, et que son biographe, qui n'est pas tenu à la même modestie, prend plaisir à suppléer[14]. Ces deux récits nous montrent d'une part l'accueil enthousiaste fait au savant par l'étranger, de l'autre les travaux exécutés en peu de mois par cet infatigable chercheur. Les Allemands avaient acclamé d'avance sa prochaine arrivée ; la vue d'un si grand homme les combla de joie ; on le conduisait avec ovation d'un monastère à l'autre ; l'archevêque de Salzbourg le reçut dans sa maison de campagne ; l'académie de cette ville le salua d'une harangue publique en présence du prince. Il remua à son gré les bibliothèques et les archives[15], fit copier ou copia lui-même les monuments les plus curieux[16] ; et il avait déjà recueilli une ample collection pour la bibliothèque du roi, lorsque l'arrivée des Turcs devant Vienne l'empêcha de pousser sa course jusqu'au bout, et les soupçons de l'Empereur l'obligèrent à rentrer en France. Il n'y trouva plus Colbert ; mais les héritiers des fonctions de Colbert s'honorèrent de suivre son impulsion si bien justifiée d'ailleurs par les résultats. L'archevêque de Reims, Maurice Le Tellier, fit donner à Mabillon une nouvelle mission en Italie (1685) qui ne fut pas moins féconde que la première. Le savant l'a également racontée et expliquée dans son Musœum Italicum. Il y visita quinze villes, fouilla les bibliothèques et les musées, remua et compara environ trois mille ouvrages édités ou manuscrits ; et de vieux papiers perdus de poussière, d'inscriptions à moitié effacées sur le marbre ou le bronze, il composa une large moisson littéraire, une masse merveilleuse d'actes, d'annales, de fragments, et d'autres livres[17].

Enfin, Colbert ne cessait pas d'emprunter à l'Italie les modèles des œuvres d'art dont il ne laissait qu'à regret les originaux à l'étranger. Si les difficultés de la guerre n'avaient pas toujours permis les grandes acquisitions, il entretenait dans l'académie de Rome l'ardeur de l'imitation qui ne coûtait que du travail. Il faisait copier les Enfants de Raphaël (1673). Il demandait (1679) la copie des plus beaux bustes et des plus belles figures de Rome. Il lui fallait le grand vase de la vigne de Médicis où la fable d'Iphigénie était représentée en bas-reliefs. Choisissez, écrivait-il à Errard, les sculpteurs de Rome les plus propres pour cet ouvrage, et vous devez être assuré qu'aussitôt que l'argent vous manquera, je vous en ferai remettre de nouveau. En même temps il commande douze vases de la même grandeur que ceux de Borghèse et de Médicis (1680). Les marbres étant achetés, il ne souffre pas de retard dans l'exécution. Mais prenez bien garde, ajoute-t-il, qu'il n'y ait rien de changé aux originaux, c'est-à-dire que les copies soient des mêmes mesures, et que les ornements soient faits avec soin et amour. C'est le langage de la passion.

L'élan était si bien donné que, après la mort de Colbert, Louvois, devenu surintendant des bâtiments, ne chercha pas à le modérer sensiblement. Il remplaça bien Errard par un de ses amis, il blâma ca et là quelque chose à ce qui était fait avant lui ; mais, tout en laissant voir un peu d'hostilité contre son prédécesseur, il continua dans les mêmes errements, et ne se montra pas moins empressé à réclamer l'acquisition ou la reproduction des chefs-d'œuvre que la France ne possédait pas encore. Il demande la copie du Nil et du Tibre, de l'Aiguiseur, de la Vénus Callipyge. Il tâche d'acheter le Ganymède du Titien, le Baptême de saint Jean de Paul Véronèse (1685) ; il entre en négociations pour acquérir les plus beaux tableaux, statues et curiosités de la reine de Suède. Cela dure jusqu'au jour (1687) où, la guerre générale menaçant de nouveau, il faut renoncer aux achats, et ne plus commander de travaux à l'académie de Rome, le roi ayant d'autres occasions d'employer son argent[18]. Malgré ce contre-temps le système de Colbert a porté ses fruits. Le cabinet de Louis XIV, qui ne contenait à son avènement que deux cents tableaux, en comprenait à sa mort deux mille cinq cents.

On a dit que la brillante littérature de cette époque n'était qu'un hymne à la royauté. Il y a dans ce jugement quelque apparence de vérité et beaucoup d'exagération. Sans doute, les prologues insipides de Quinault ne semblent accolés à ses opéras que pour exalter les victoires ou pallier les insuccès et entretenir toujours l'admiration. Après la mort de Turenne et l'affront de Konz-Saarbrück, avant que de nouvelles victoires aient rétabli la situation, le flatteur chante le héros qui a effacé presque tous les autres, l'infatigable qui, en plein hiver, se prépare à courir où Bellone l'appelle[19] ; et l'hiver suivant, après les victoires de Duquesne, il introduit Neptune publiant de nouveaux exploits et chantant le vainqueur, si fameux sur la terre, qui triomphe encore sur les eaux[20]. Boileau, qui sera toujours, et par droit de talent, le plus connu de ces panégyristes, a pour objet unique, dans certaines épîtres, de mettre en vue le conquérant et le prince magnifique ; il ne craint pas, dans l'Art poétique, de présenter Louis XIV comme le grand inspirateur dont le nom seul vaut mieux gus toutes les leçons des Muses[21]. La Fontaine à son tour, à la paix de Nimègue, abaisse, devant la gloire de louer le dominateur de l'Europe, tous les autres genres littéraires[22]. Enfin, dans plusieurs chefs-d'œuvre de Bossuet, l'Oraison funèbre de Condé, par exemple, l'importance du roi s'élève au-dessus des événements et des hommes que l'orateur se plaît à célébrer. Si l'on veut encore joindre à ces compliments de première qualité les petits vers chantés dans les ballets du roi et admirés par la mode, tant de pièces détachées, tant d'épîtres prodigues de gloire et en quête de pensions, on trouvera en effet, dans la littérature de ce moment, un véritable amas, selon l'expression de Chapelain, de louanges en l'honneur de la royauté.

Mais il n'en résulte pas que la glorification de la royauté ait été comme un cercle où la littérature s'agitait fatalement. Reconnaissons d'abord que ces louanges n'étaient pas toujours imméritées. Bossuet n'était qu'un historien fidèle quand il affirmait que, malgré la mort de Turenne et les maladies de Condé, le roi n'avait failli ni à ses desseins ni aux espérances de ses sujets ; les derniers événements lui donnaient largement raison. Ensuite, ne confondons pas avec la vraie et grande littérature les platitudes rimées de Benserade, ses vers pour ballets, comme ses métamorphoses en rondeaux et ses fables en quatrains, que les érudits seuls ont le courage de lire. Personne non plus ne range parmi les maîtres la mendiante Deshoulières, malgré son dieu Pan et ses chères brebis tant répétées ; et aucun critique sérieux ne propose pour modèles ces versificateurs de société qui rimaient avec elle en aille ou en ouille[23]. En troisième lieu, il n'est pas vrai que la gloire du roi fût le fond des grandes œuvres littéraires ; elle n'y était qu'un accessoire, une allusion, un salut de convenance qui ne faisait ni le génie de l'inventeur ni la perfection de la forme. Boileau a eu beau dire :

Que Racine, enfantant des prodiges nouveaux,

De ses héros sur lui forme tous les tableaux,

il n'a pas même réussi à enfermer son ami dans ces limites. Où sont, en effet, dans les personnages de Racine, depuis Alexandre, les portraits du roi, excepté Titus ? Ce n'est pas sans doute Acomat ni Mithridate, ni même Achille, encore moins Agamemnon dont l'orgueil, qu'on a quelquefois comparé à celui de Louis XIV, aurait déplu comme une irrévérence, si on avait pu y soupçonner une allusion. La littérature, quoique comptée et rémunérée par le roi comme un auxiliaire, est donc autre chose qu'un enseignement d'obéissance et d'admiration. Elle a des inspirations plus hautes et plus variées, elle est un magnifique développement de l'esprit humain ; elle a même une indépendance qui éclate dans la diversité et les rivalités de ses systèmes, et jusque dans ces cabales où le roi s'abstenait de prendre parti pour ceux qu'il préférait ouvertement.

Racine, qu'on a appelé le Louis XIV de la poésie dramatique, dominait décidément au théâtre pendant que le roi étonnait le monde par l'invasion de la Hollande ou sa résistance à la coalition. Son Mithridate parut au commencement de 1673 ; son Iphigénie à la suite de la conquête de la Franche-Comté (1674) ; sa Phèdre triomphait enfin des oppositions (1677), après la prise de Valenciennes. Le seul rival dont il pût craindre la supériorité, Corneille, encore une fois malheureux dans Suréna (1674), renonçait définitivement à la lutte. Cependant si le vieil athlète ne livrait plus de combats, une faveur gracieuse et intelligente lui conservait sa gloire en rajeunissant ses anciens trophées. Les premiers chefs-d'œuvre du père du théâtre étaient représentés à Versailles par ordre du roi (1676) ;

Au bout de quarante ans, Cinna, Pompée, Horace,

Revenaient à la mode et retrouvaient leur place ;

le vieillard pouvait croire que son lustre n'avait point pâli devant l'heureux brillant de ses jeunes rivaux, et son génie ravivé trouvait encore, pour exprimer sa reconnaissance et justifier son enthousiasme, ces vers immortels :

Tel Sophocle à cent ans charmait encore Athènes,

Tel bouillonnait encor son vieux sang dans ses veines[24].

On sait quelle intrigue arrêta tout à coup la course de Racine et la gloire de la tragédie. Une cabale, un flot de vains auteurs, comme les a si bien qualifiés Boileau, fatigués d'un éclat qui les obscurcissait, unirent leurs mauvaises passions et leurs influences auprès des jaloux pour étouffer le génie sous un changement de la faveur populaire. Déjà Leclerc et Coras, deux grands auteurs rimant de compagnie, avaient prétendu opposer une Iphigénie à celle de Racine ; le coup manqué en 1675 fut mieux monté deux ans après. A la tête du complot étaient la duchesse de Bouillon, nièce de Mazarin et de Turenne, son frère Philippe Mancini, duc de Nevers, et Mm' Deshoulières ; derrière eux les partisans des, anciens précieux toujours prêts à poursuivre, dans Racine, le genre nouveau qui les déconsidérait, et l'ami de Boileau leur dénonciateur irréfutable. La duchesse de Bouillon, amie et protectrice de La Fontaine, valait pourtant mieux que son rôle. Nevers, esprit bizarre dans ses goûts littéraires comme dans son ménage, poêle de société plus habile, il est vrai, que beaucoup d'autres, toujours prêt à faire des vers jusqu'à improviser ceux d'un divertissement[25], avait défendu les poèmes épiques, et avait besoin d'épancher sa bile contre les adversaires du genre Chapelain. Mme Deshoulières avait cherché dans le même monde des amis pour se faire de la réputation et de l'argent. Elle achevait de gâter l'idylle par ses fades apostrophes aux fleurs, aux oiseaux, aux petits moutons, aux petits ruisseaux, par ses vers à ses chats ou à Cochon, chien de M. de Vivonne[26]. Ancienne frondeuse, rentrée en France par une amnistie, et à peu près ruinée par son mari, elle lançait en vers ses demandes de pensions à Colbert, comme plus tard à Pont-Chartrain, et au roi lui-même, flattant au besoin les instincts de libertinage du prince[27] ; pie poétesse, comme parle un ancien, toujours prête à chanter dès qu'elle voit reluire un écu[28].

Ces mécontents prirent sous leur patronage le jeune Pradon, déjà auteur de Pyrame et Thisbé et de Tamerlan, qu'ils pouvaient produire en toute assurance de n'être pas effacés par lui. Ils lui firent composer une Phèdre en concurrence avec celle que Racine préparait ; ils paraissent même avoir dérobé pour lui des renseignements furtifs sur le plan, les personnages, les situations, les traits les plus saillants de la pièce de Racine, afin de battre leur ennemi avec ses propres armes. Grâce à l'argent prodigué par la duchesse de Bouillon, ils disposèrent, pendant les premières représentations, de toutes les places du théâtre de Bourgogne où la Phèdre de Racine était jouée, et du théâtre Guénégaud où celle de Pradon parut trois jours après ; avec cet accaparement ils firent le silence complet et le vide autour de l'œuvre de Racine, l'affluence et le bruit le plus enthousiaste autour de celle de Pradon. Pour confirmer ce prétendu jugement du public, ils lancèrent dans le monde des sonnets injurieux au talent et à la personne de Racine et de Boileau, se vantant même de voies de fait outrageantes envers les deux amis pour achever de les déconsidérer. Ces hideuses manœuvres n'eurent qu'un temps. Le grand Condé, intervenant dans la querelle avec sa rudesse accoutumée, força Nevers à se modérer. Le vrai public, qu'on ne pouvait toujours écarter des deux théâtres, commença à rendre justice à Racine et à siffler Pradon ; la cour enfin prononça l'arrêt définitif en accueillant la vraie Phèdre comme elle avait fait Iphigénie. Mais les gazetiers de la médiocrité et de la platitude continuèrent à déprécier le chef-d'œuvre et à trouver du bon dans la parodie, au nom de la morale et des règles de l'art ; Pradon s'obstina à triompher et conserva des partisans. Racine avait perdu contenance ; en dépit des éloquentes consolations de Boileau (épître VII), il se retira du théâtre[29].

La tragédie ne gagna rien à ce triomphe des nouveaux-venus ; son plus beau temps était fini. Il y a encore un mérite reconnu dans le Comte d'Essex, de Thomas Corneille (1678) : quoique le héros soit peu conforme à l'histoire il intéresse par son malheur et son courage. Mais quelle richesse nouvelle apportent au théâtre l'Aspar, de Fontenelle, que le jeune auteur lui-même condamna au feu (1680), le Genseric, de la Deshoulières (1680), qui ne vaut pas même celui de Scudéry, et les autres pièces de Pradon, la Troade, Regulus, auxquelles la scène fut longtemps en proie. Racine, il est vrai, semble reprendre sa place en 1689 par deux chefs-d'œuvre, l'un de poésie (Esther), l'autre de génie autant que de poésie (Athalie). Mais ces deux ouvrages qui, par la date, ferment à peu près la grande période littéraire du siècle, ayant été soustraits au théâtre par la volonté de l'auteur ou étouffés par une nouvelle conspiration de l'envie, ils n'ont pas produit dans leur temps le même effet que dans le nôtre, et n'ont ni contribué ni participé à l'éclat du grand règne.

La comédie terrassée par la mort de Molière ne se soutint pendant longtemps que par le souvenir de son génie et la représentation fréquente de ses œuvres. Il n'y a de nouveau supportable en ce genre que l'exercice littéraire que Thomas Corneille s'impose pour suivre pas à pas, en vers assez heureux, le Festin de Pierre (1677), et le Mercure galant de Boursault et son Ésope à la ville (vers 1680 et suivantes), pièces à tiroir, mais comique de détail de bon aloi, puisqu'il fait rire spontanément. C'est à peine si, à la fin de cette période, on entrevoit Regnard, le seul successeur de Molière qui garde un caractère de cette race. Un autre genre de spectacle, très-propre à plaire par son alliance avec les beaux-arts, par la magnificence de la mise en scène, et assez souvent par le talent du poste, semble combler cette lacune : c'est l'Opéra, dont l'époque la plus brillante est comprise tout entière entre 1672 et 1686.

Quinault, associé à Lulli après la fondation de l'Académie royale de musique, quitta la tragédie et la comédie proprement dite où ses succès factices avaient trouvé un censeur redoutable, et s'attacha à la tragédie lyrique comme il l'appelle : genre inconnu des anciens et de ses rivaux, mieux approprié à ses forces et aux qualités de son esprit. Élevé par les précieuses et dans l'habitude de célébrer partout les fadeurs de l'amour, il était plus à l'aise sur une scène où les fictions admises, les interventions merveilleuses des dieux et des génies, et les voluptés de la musique atténuaient cette monotonie. Moins capable de concevoir un sujet profondément et d'en soutenir avec vigueur la composition, que d'exprimer un sentiment avec élégance et de développer une pensée brillante, il trouvait la besogne à moitié faite dans la nature d'un spectacle où le chant, la danse, les évolutions des machines, multipliaient la diversité et les émotions des spectateurs, et permettaient au poète de n'apparaître que par fragments, pour ainsi dire, et dans la mesure de l'inspiration d'un moment. Ses opéras, en effet, sont peu composés, sauf le dernier, Armide ; les caractères peu suivis, les situations peu développées ou dénouées par des changements à vue ; le style en est très-inégal, quoique correct presque partout ; on sent qu'il y a une part considérable sacrifiée au chant où elle doit s'absorber. Mais çà et là éclatent des morceaux élégants, supérieurs, vraiment poétiques : disjecti membra poetæ, dignes de ce que Boileau lui-même a appelé une juste réputation. On lira toujours avec plaisir les premières scènes d'Isis, la chute des géants dans Proserpine, le discours de Méduse dans Persée, les indécisions d'Armide et le dialogue de la Haine avec la magicienne[30].

Quinault plut au roi et à la Cour pendant quatorze ans. Nous avons vu qu'il chantait à satiété les exploits et les grandeurs du maître. Il chantait l'activité infatigable, la guerre, la paix ; il répétait au besoin le témoignage, que Louis XIV s'était rendu à lui-même, de s'enlever la victoire des mains pour donner la paix au monde[31]. A travers l'uniformité des redites, on distingue des tours délicats, et quelquefois des tirades qui égalent les grands lyriques[32]. Son public lui tint aussi grand compte de sa fidélité au système précieux qui avait fondé sa renommée. Il ne cessait d'exalter le bonheur d'aimer comme le plus parfait des bonheurs, la gloire d'aimer comme la plus douce des gloires. Il les proposait aux jeunes cœurs comme aux héros ; sa morale, quoi qu'on en ait, échappe difficilement à l'épithète de lubrique infligée par Boileau, si lubrique veut dire, en effet, charme de la passion, apologie de la faiblesse, images sensuelles[33]. N'était-il pas même un peu complice des désordres du roi, lorsque, dans Isis, il faisait dire par Mercure : Quand c'est pour Jupiter qu'on change, il n'est pas honteux de changer, et plus loin par Io elle-même : Est-ce un si grand crime d'aimer ce que tout l'univers adore[34] ? A ce sujet, nous remarquons que la théorie paraît changée dans les deux derniers opéras, Roland et Armide. Quoique le langage de la passion y soit vif et entraînant, et mieux que jamais servi par la poésie, la moralité dernière est la condamnation de l'amour. Roland, guéri d'un amour malheureux, reprend les armes pour ne plus suivre que la gloire, et Renaud quitte l'amour pour le devoir[35]. Était-ce un hommage au nouvel exemple que Louis XIV commençait de donner d'une vie plus régulière sous l'influence de madame de Maintenon ?

La domination de Boileau s'établit décidément dans la société des bons esprits, et prévaut sur toutes les tracasseries méchantes et les jugements criards de ses adversaires. En accordant le privilège pour une seconde édition des Satires, et pour l'impression de pièces nouvelles (1673), le roi y fit insérer cette clause remarquable que Sa Majesté voulait donner au public, par la lecture de ces ouvrages, la même satisfaction qu'elle en avait repue[36]. On a dit que cette louange était le prix du Discours de la mollesse dont Louis XIV avait été charmé. On raconte également qu'un vers de la septième épître gagna pour toujours à Boileau l'approbation et l'amitié du duc de Montausier[37]. Mais il n'en faut pas conclure que l'amour-propre flatté, ou le besoin de ne pas contredire la parole du roi, fût la seule raison des honneurs rendus au poète. C'était bien sans calcul personnel que Sévigné proclamait l'Art poétique un chef-d'œuvre, et écrivait : Despréaux vous ravira par ses vers[38]. Bussy-Rabutin, cet envieux toujours prêt à médire, n'était pas moins indépendant lorsque, par admiration pour le talent de l'écrivain et l'air d'honnêteté de l'homme, il lui demandait son commerce et son amitié : Pour mon estime, ajoutait-il, vous n'en pouvez pas douter puisque vos ennemis même vous l'accordent dans leur cœur s'ils ne sont pas les plus sottes gens du monde[39]. La vraie raison de l'autorité de Boileau, c'est précisément cet air d'honnête homme qui frappait Bussy plus encore que tout le reste ; c'est surtout, comme le remarque un de ses panégyristes, cet amour du vrai qu'il a si bien célébré et si bien pratiqué. En effet, dit Valincour[40], ce n'est que dans le vrai seulement que tous les hommes se réunissent. Différents d'ailleurs dans leurs mœurs, dans leurs préjugés, dans leur manière de penser, d'écrire et de juger ceux qui écrivent, dès que le vrai paraît clairement à leurs veux, il enlève toujours leur consentement et leur admiration. Boileau en était lui-même certain, et de là sa confiance contre tant d'hostilités :

Sais-tu pourquoi mes vers sont lus dans les Provinces ?

.....  C'est qu'en eux le vrai, du mensonge vainqueur,

Partout se montre aux yeux et va saisir le cœur,

Que le bien et le mal y sont prisés au juste.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Ma pensée au grand jour partout s'offre et s'expose,

Et mon vers, bien ou mal, dit toujours quelque chose.

Le naturel et la justesse, c'est-à-dire la raison dans le choix des idées et des mots, saisissent d'abord les esprits désintéressés, et finissent par réduire au silence ou à l'isolement ceux que la passion seule soulève contre la vérité et la lumière.

Fidèle à la mission qu'il s'était faite, Boileau produisait peu et lentement, afin de ne produire que des choses bonnes. Il n'est pas permis à un législateur de ne pas donner l'exemple en même temps que le précepte ; chez lui l'art doit être au niveau de la critique. Il avait d'abord procédé à sa réforme partiellement, et, à propos de tel ou tel mauvais auteur, indiqué à l'occasion les principes qu'il voulait faire triompher. A partir de 1674, il procéda d'ensemble ; il réunit méthodiquement les règles dans son Art poétique, et, dans la même pensée, il publia simultanément sa traduction du Sublime de Longin, parce qu'il trouvait dans cet ancien plus d'un rapport avec son œuvre, et qu'il en avait même inséré plusieurs préceptes dans ses vers[41]. Il tenait è prouver au mauvais goût de ses contemporains que le sublime est bien plutôt dans la simplicité que dans l'emphase : Ces hommes, dit-il[42], accoutumés aux débauches et aux excès des poètes modernes, et qui, n'admirant que ce qu'ils n'entendent pas, ne pensent pas qu'un auteur se soit élevé, s'ils ne l'ont perdu de vue, ces petits esprits ne seront pas sans doute fort frappés des hardiesses judicieuses des Homère, des Platon et des Démosthène, et peut-être se moqueront-ils des exclamations que fait quelquefois Longin sur des passages qui, bien que très-sublimes, ne laissent pas d'être simples et naturels, et qui saisissent plutôt l'esprit qu'ils n'éclatent aux yeux. Quelque assurance pourtant que ces messieurs aient de leurs lumières, je les prie de considérer que ce n'est pas ici l'ouvrage d'un apprenti que je leur offre, mais le chef-d'œuvre d'un des plus savants critiques de l'antiquité. Le Lutrin même, dont les premiers chants parurent avec l'Art poétique, se rattache à ce système de discipline littéraire. Boileau l'appela d'abord poème héroïque, et, si l'on s'en rapporte à ses ennemis, ce fut dans une intention de parodie. A en croire Desmarets, que la haine rendait clairvoyant, Boileau répétait souvent que les autres faisaient un héroïque ridicule, et que pour lui il faisait un ridicule héroïque[43].

L'Art poétique, le Lutrin, achevé en 1683, les belles épîtres à Lamoignon, à Racine, à Seignelay, successivement lues, montrées et imprimées à la fin (1683), forment la période la plus féconde de la vie littéraire de Boileau. Il jouit largement de l'admiration qu'il conquérait de jour en jour, et de l'impuissance de ses adversaires. On est fondé sans doute à lui contester quelques-unes des sentences de son Art poétique, telles que la nécessité des trois unités dans le drame, qui d'ailleurs n'est pas de son invention, son dédain pour les poètes d'Italie, comme le Tasse, dont il ne comprenait pas bien la langue, et sa prédilection étroite pour les sujets tirés de la Fable. Mais au lieu de s'en tenir à ces objections sérieuses, ses censeurs, Desmarets et Pradon, impatients d'accumuler contre lui les griefs, se donnaient tort à chaque pas par la futilité de leurs critiques ou l'aveu involontaire de leur mauvais goût ou de leur ignorance. Quand ils répétaient que l'Art poétique n'était qu'une traduction d'Horace, ils ne s'apercevaient pas que ce reproche, si c'en était un, ne tombait que sur cinquante ou soixante vers an plus, et que, si le livre n'avait pas d'autre défaut, ils louaient implicitement les onze cents vers que Boileau n'avait tirés que de son propre fond[44]. Ce n'était pas venger Cyrus que de compter les cent mille écus qu'il avait rapportés au libraire[45], mais donner un argument de plus à l'ennemi contre l'engouement de la mode. Ils confondaient le style égal avec le style uniforme. Ils découvraient que la bergère de l'Art poétique n'avait pas grand mérite à ne pas se parer de diamants puisqu'une bergère n'a pas de diamants ; ne faisaient-ils pas en cela preuve d'une singulière naïveté ? et quand ils blâmaient le héros d'un spectacle grossier, sous prétexte que spectacle n'est pas le synonyme exact de tragédie[46], ne montraient-ils pas qu'ils n'entendaient rien à ces façons de parler qui emploient la partie pour le tout ou l'effet pour la cause ? Aussi Boileau ne prenait pas ordinairement la peine de leur répondre. Si les objections qu'on me fait, écrit-il, sont bonnes, il est raisonnable qu'elles passent pour telles, et si elles sont mauvaises il se trouvera assez de lecteurs sensés pour redresser les petits esprits qui pourraient s'en laisser surprendre[47]. Ces vengeurs ne lui manquaient pas, et le temps, chaque jour, en augmentait le nombre. Le roi (1677) le choisit en compagnie de Racine pour son historiographe, et quoiqu'il fût peu propre à l'emploi, si l'on en juge par la nullité du résultat, il devenait un personnage que la prudence conseillait de ménager. L'Académie française, où siégeaient tant d'auteurs victimes des Satires, ne put se dispenser de l'appeler à un de ses fauteuils (1684) ; et en y entrant il eut le droit de braver ses adversaires jusque dans les compliments de son discours de réception[48].

La Fontaine n'a qu'une ressemblance avec Boileau ; comme le poste didactique, il est dans son temps et restera toujours le seul de son genre. En toute autre chose la différence est profonde. Le bonhomme — puisque ce nom a survécu — n'a rien de l'âpreté du satirique. L'égoïste qui se félicite de n'être pas père de famille[49], le conteur qui se complaît à de si obscènes inventions, n'a rien de l'austérité, de la dignité qui, jusque dans le Lutrin, conciliait l'estime au moraliste de la littérature. On ne sait pas bien non plus s'il est l'adversaire ou le serviteur de la royauté. Il se montre plus nettement ennemi du clergé, des moines et des religieuses. Il ne touche les uns et les autres dans ses fables et dans ses contes que pour reprocher aux curés leur avarice[50], aux reclus leur égoïsme[51], à tous la galanterie ou la luxure[52]. Il n'épargne pas davantage les courtisans, ce peuple caméléon et singe du maitre, vigilants à se détruire, toujours prêts à rendre noir le misérable[53]. Mais pour les rois il va et vient de la moquerie à l'hommage, du sarcasme à l'apothéose. Il les montre échaudant pour leur profit leurs serviteurs dans les provinces, ne voulant pas qu'on leur allègue l'impossible, ou gobant l'appât d'agréables mensonges[54] ; puis, tout à coup, changeant de ton, il compose pour un bâtard du roi l'allégorie du fils de Jupiter, vante à un ambassadeur les victoires du nouvel Hercule, et apporte pour trophée à la paix l'épilogue du onzième livre[55].

Ce qui est au-dessus de toute critique et de toute comparaison, c'est le charme légitime et irrésistible de ses fables : profondeur de la pensée qui n'emprunte que pour transformer, mise en scène qui ne s'était rencontrée qu'une fois chez les anciens[56],  style merveilleux de souplesse et de force, hardi et réglé ; le génie du philosophe et celui du poète réunis. On a dit que pour La Fontaine Malherbe n'était pas venu ; cela semble vrai si l'on considère les licences apparentes qu'il se permet malgré le réformateur, par exemple le vers enjambant sur le vers. Mais il s'affranchit des règles sans violer le goût ; il ne brusque la phrase que pour donner à la pensée sa véritable harmonie, et prouve en faveur de Boileau qu'un beau désordre est un effet de l'art.

Ses succès, dans cette période, furent divers comme la nature de ses œuvres. Le quatrième livre des Contes imprimé en 1675, sous la rubrique de Mons, fut l'objet d'une répression directe de l'autorité. C'est celui où le cynisme a le plus osé ; il y étale et donne en spectacle les débauches les plus dégoûtantes dans les couvents de femmes, et les moines abusant de leur autorité morale sur la naïveté des jeunes filles. Une ordonnance signée La Reynie en interdit la vente à cause des termes indiscrets et malhonnêtes dont la lecture ne pouvait avoir d'autre effet que celui de corrompre les mœurs et d'inspirer le libertinage. La défense n'empêcha pas une vente clandestine par l'industrie de La Champmeslé, ni une nouvelle édition qui se fit l'année suivante à Amsterdam. Mais cette fois on ne voit pas Mme de Sévigné communiquer elle-même le livre à sa fille, et Louis XIV, après cette débauche d'esprit, fit plus librement sentir la défiance que lui inspirait l'auteur. Il se releva en 1679 par la publication de cinq livres de fables, du septième au onzième. Quoique plusieurs eussent déjà couru dans les salons et reçu de justes éloges[57], elles ne perdaient rien à se trouver en si bonne collection. Depuis les Animaux malades de la peste jusqu'au Paysan du Danube et au Vieillard et les Trois Jeunes Hommes, quelle variété et quelle perfection ! Il n'y avait pas deux sentiments à cet égard. Sévigné écrivait à Bussy : Faites-vous envoyer promptement les fables de La Fontaine : elles sont divines. On croit d'abord en distinguer quelques-unes, et à force de relire on les trouve toutes bonnes ; c'est une manière de narrer et un style à quoi l'on ne s'accoutume pas. Bussy répondait : Je demande par cet ordinaire les fables de La Fontaine, personne ne connaît et ne sent mieux son mérite que moi[58]. Le fabuliste fut assez vigilant sur lui-même pour ne pas gâter ce succès ; il se montra désormais plus prudent dans le conte. En 1682, il publia Belphégor, et la Matrone d'Éphèse avec privilège du roi. Peu à peu le monarque se départit de sa froideur. L'Académie avait élu La Fontaine en 1683 ; mais Louis XIV ne confirmait pas l'élection ; l'année suivante Boileau avant été élu, il dit à la députation qui lui apportait ce résultat : Maintenant vous pourrez recevoir La Fontaine, il a promis d'être sage. C'est à cette sagesse qu'on a dû Philémon et Baucis, les Filles de Minée, et ces fables inspirées par les demandes du duc de Bourgogne ou dédiées au royal enfant. En 1685, Furetière, exclu de l'Académie pour délit de plagiat[59], crut se venger par un pamphlet contre Benserade et La Fontaine ; il ne réussit qu'à rendre ses rivaux plus populaires, et à se faire fermer les portes de ceux qui louaient par habitude les petits vers de Benserade où ils étaient loués, et qui sentaient par bon goût le charme des fables de La Fontaine[60].

Puisque nous admettons des femmes pour juges dans ces débats littéraires, donnons tout de suite à plusieurs d'entre elles la place que leurs écrits méritent dans cette revue de la littérature ; ce sera en même temps une transition de la poésie à la prose.

Plus que jamais les lettres de Mme de Sévigné, colportées de main en main, deviennent des modèles en divers genres. Quel type de narration dans l'accident de l'archevêque de Reims et de sa voiture culbutée sur la route de Nanterre (5 février 1674), comme plus loin dans la procession des Cordons bleus (2 janvier 1689) ! Où la compassion a-t-elle parlé un langage plus émouvant que dans le tableau de la duchesse de Longueville anéantie par la mort de son fils et se soumettant à survivre, désespérée à la fois et résignée (20 juin 1672) ? On cite partout les cris d'éloquence que tire de son émotion la mort de Turenne, et ce canon chargé de toute éternité pour assurer la gloire du grand homme, et cette déroute qui a bien renouvelé les éloges du héros, et ce fleuve qui entraîne tout et n'entraîne pas si tôt une telle mémoire[61]. Un jour elle n'aura pas de moins hautes inspirations devant la tombe de Louvois pour exprimer la vanité des conseils humains et l'ordre inévitable de la Providence (26 juillet 1691). Tout cela est admirable, comme lui écrivait Bussy avec le dépit évident de ne pouvoir s'élever à une pareille hauteur ; tout cela était aussi fort admiré. Le roi lui-même y prenait goût. Un jour, Bussy imagina d'envoyer au monarque, pour le divertir, une collection de lettres de sa cousine. La spirituelle correspondante parut d'abord inquiète de voir un tiers entre elle et son confident ; ne pouvait-on pas interpréter sur un méchant ton son style et son innocence ? Mais dans la phrase suivante elle acceptait assez facilement la perspective de divertir un tel homme et d'être en commerce avec lui[62].

A côté de Mme de Sévigné, son amie, Mme de La Fayette produisait son chef-d'œuvre tant élaboré, tant annoncé, la Princesse de Clèves (1678). Nous savons déjà (voir tome III) que c'était le roman moderne et français, la sensibilité telle que chacun peut l'éprouver en soi, les inclinations et les rages du cœur, la vraisemblance au fond, et dans la forme l'unité du sujet, un choix discret d'incidents, une histoire suivie et complète en quatre livres. Toute la Princesse de Clèves peut se résumer ainsi : une jeune femme mariée sans inclination, tentée d'aimer un autre homme qui l'aime, diverses aventures qui leur révèlent l'un à l'autre leurs penchants mutuels, des imprudences capables de les entrainer au mal ou de les trahir, mais la passion combattue par le devoir, la vertu finissant par éloigner la tentation, la femme, pour dernière ressource contre l'infidélité, avouant à son mari la faiblesse son cœur, le mari succombant à ses soupçons, et la veuve, plutôt que de profiter de cette délivrance, s'ensevelissant dans un monastère : telle est la pensée, la péripétie animée, parfois touchante à la fiction où bien des consciences peuvent reconnaître une histoire vraie, et qui attache sans [me.....] héroïques, sans coups d'épée foudroyants : une exaltation gigantesque de sentiments importants. Le roman, comme la tragédie, représente maintenant les hommes tels qu'ils sont, non plus tels qu'ils devraient être ; si l'on peut comparer les petites [.....] aux grandes, le succès de Mme de La Fayette ressemble à celui de Racine. Tout le monde en effet a lu la Princesse de Clèves ; Louvois lui-même, allant au siège de Gand, en recevait un exemplaire qu'en vérité il se dispensa de lire, en raison d'occupations plus pressées[63]. Ce fut d'abord un succès de comme celui de Mithridate et d'Iphigénie ; la critique eut son tour même parmi les amis [.....] la critique n'empêcha pas le genre nouveau de prévaloir et de faire oublier le merveilleux [...]gant et les tomes sans nombre des anciens romanciers. Maintenant le progrès a-t-il été aussi fa[.....] à la morale qu'au bon goût ? L'expérience, au XVIIIe siècle, alors que les sentiments ne sont plus que des sensations, a répondu que le [.....] de la nature a plus d'attrait et de périls que [.....]man de l'imagination, parce que la séduction a plus d'auxiliaires dans les faiblesses ordinaires de l'humanité que dans les aspirations de l'héroïsme.

Si nous passons du roman à l'histoire, ici nous trouvons parmi les femmes un nom justement estimé. Madame de Motteville, qui avait fait sa part avec les Sévigné et les La Fayette dans les Portraits de Mademoiselle, se rencontrait toujours dans leur société et dans les mêmes habitudes d'esprit[64]. Elle rédigeait ces Mémoires que nous avons tant cités ; à l'occasion de ces emprunts, nous y avons déjà reconnu des qualités éminentes : la sincérité et le bon sens, la connaissance des hommes et la pénétration des affaires, un style digne et presque toujours irréprochable, et jusqu'à des traits d'éloquence, en deux mots une histoire publique et une composition achevée sous l'apparence d'une collection de matériaux et de confidences personnelles. Un autre ami de Mme de Sévigné, le cardinal de Retz, dans sa retraite de Commercy, rassemblait les souvenirs de sa jeunesse et de sa turbulence pour en faire, à sa décharge, un tableau de la fronde et un procès à la domination de Mazarin. On a dit de lui qu'il aimait à raconter, à éblouir ses auditeurs par des aventures extraordinaires[65] ; ce jugement peut convenir à un travail, où il se préoccupe avant tout de poser, même par ses aveux, sans jamais faire amende honorable. Il se casse la tête d'application[66], écrivait un jour son admiratrice sans savoir à quoi il s'appliquait ; on reconnait à ce trait le soin, le talent supérieur qui ne laisse pas échapper un défaut de forme, et qui, par la lucidité de la méthode et la fermeté de l'expression, rappelle à la fois Salluste et Pascal. Mais le siècle même de Motteville et de Retz n'a pu apprécier leurs écrits. L'une tenait ses Mémoires secrets. L'autre se cachait de rédiger les siens. Entouré d'in-folio nobiliaires, il laissait croire qu'il ne s'occupait que de généalogie pendant qu'il préparait une histoire contemporaine. Seule, Mme de Caumartin avait le secret et la jouissance d'un ouvrage qu'on a dû compter plus tard parmi les titres de la littérature française. Pour avoir le grand livre d'histoire du règne de Louis XIV, connu et admiré des contemporains, en France et à l'étranger, il faut revenir à Bossuet, au Discours sur l'histoire universelle.

Bossuet a lui-même expliqué son objet et son plan dans son avant-propos, et dans la lettre où il rend compte à Innocent XI de l'éducation du Dauphin. Il compose une histoire universelle pour montrer le rapport que chaque histoire particulière peut avoir avec les autres[67], ce que chaque nation a eu dans ses lois et coutumes qui ait été fatal à elle et aux autres, et les enseignements qu'elle a laissés aux siècles suivants[68]. La connaissance de l'individu se complète ainsi par ce qu'il a reçu de tous ou par ce qu'il leur a donné. Mais toute l'histoire se ramène inévitablement à deux éléments, la puissance intellectuelle ou la religion qui domine les desseins humains, et la puissance temporelle ou l'organisation et la succession des sociétés humaines. Il faut donc les reprendre tous deux à l'origine et en suivre les développements pour reconnaître, dans la perpétuité de la religion, la preuve de sa divinité, et d'autre part chercher, dans les inclinations et les mœurs des peuples et des princes, les causes qui ont contribué en bien ou en mal au changement des États et à la fortune publique[69]. De là une triple division : les Époquesles principaux événements sont mis à leur place sans y regarder autre chose que l'ordre des temps ; la suite de la religion où Jésus-Christ apparaît comme le lien des siècles anciens et modernes, puisque ou attendu ou donné il a été dans tous les temps la consolation ou l'espérance des enfants de Dieu ; les Empires, où l'opposition des vertus et des vices, qui ont tour à tour élevé ou abaissé les peuples, enseigne avec combien de réflexion et de prévoyance les affaires humaines doivent être gouvernées.

Il est superflu de répéter que ce livre ouvrait une voie nouvelle et créait la philosophie de l'histoire. Cette unité de vues, cette ordonnance magistrale des détails, ces règles de la politique saisies dans la marche des événements, n'avaient pas eu de modèles et s'imposaient à l'imitation. Nous ne nous arrêterons pas non plus à admirer soit l'entrain de l'éloquence ou le charme des tableaux jusque dans le résumé chronologique, soit la richesse d'une érudition toujours sûre de ses preuves, parce qu'elle les a toutes comparées, soit même cette démonstration évangélique si puissante que l'auteur, dans sa vieillesse, se la faisait relire pour réconforter sa foi. Ce sont là des mérites trop connus et qui saisirent d'abord tous les lecteurs. Dès la première apparition de l'œuvre (1681), elle fut admirée par les étrangers comme par les Français, par les protestants comme par les catholiques ; un an après la première édition (juillet 1682), elle avait déjà été réimprimée dans toutes les grandes villes d'Europe[70]. Aujourd'hui encore le Discours sur l'histoire universelle est, avec les Oraisons funèbres, le titre le plus classique et le plus populaire de la gloire de Bossuet. C'est un de ces chefs-d'œuvre qui deviennent comme un nouveau nom pour leur auteur, et suffisent à sa renommée.

Bossuet a pourtant bien d'autres titres. En même temps que l'histoire universelle, il écrivait, pour l'éducation du Dauphin, le Traité de la connaissance de Dieu et de soi-même et la Politique tirée de l'Ecriture sainte, deux œuvres capitales à l'usage de tous les hommes et de tous les siècles, quoique entre prises pour l'utilité d'un seul. Dans la première, il analyse successivement l'âme et le corps et les phénomènes de leur union, pour conduire son lecteur la connaissance de Dieu par l'examen approfondi des deux natures qui constituent l'homme, et faire voir, par les choses que chacun expérimente en lui, qu'un homme qui sait se rendre présent à lui-même, trouve Dieu plus présent que toute autre chose[71]. A une sagacité philosophique qui semble atteindre et poser les bornes de l'entendement humain[72], il joint une connaissance si exacte de la nature matérielle et de l'anatomie humaine, que les savants l'admirent encore aujourd'hui. Le style, simple et aussi clair que sûr, s'élève au besoin et sans effort par des pensées et des paroles qui ne sont qu'à lui, pour célébrer l'ouvrage de Dieu et maintenir l'homme dans la dignité qui lui appartient au-dessus des bêtes. La Politique tirée de l'Écriture sainte est l'ordonnance méthodique des devoirs et des droits des souverains, des droits et des devoirs des peuples, extraits des sentences de la Bible et commentés par le dernier père de l'Église. On dirait un prophète moderne mettant chaque homme à sa place avec l'autorité des anciens ; car le langage du commentaire se soutient merveilleusement à la hauteur du texte sacré, que souvent on ne les distingue qu'à ces signes extérieurs, marques convenues des citations. Quoique Bossuet préfère la monarchie, sans cependant blâmer aucune des autres formes de gouvernement, il y aurait calomnie à croire qu'il prétend glorifier et consacrer le despotisme. En tenant sans rémission les rois sous la main de Dieu, il ne cesse de restreindre leur autorité par leurs obligations ; en commandant l'obéissance aux peuples, il ne retranche rien de ce qui peut garantir leurs intérêts. Que la politique tirée de l'Écriture sainte soit fidèlement pratiquée des deux côtés, on ne verra ni anarchie où tout le monde est esclave parce que tout le monde veut être maître, ni pouvoir arbitraire, ni justice corrompue, ni guerre par ambition, jalousie ou amour de pillage, ni impôts au-delà du nécessaire, ni ministres prévaricateurs. D'où il apparaît clairement, écrivait Bossuet à Innocent XI, que l'Écriture surpasse autant en prudence qu'en autorité les autres livres qui traitent de la vie civile et de la règle du gouvernement.

Ces deux monuments, qui n'étaient pas destinés à la publicité, n'y sont arrivés que fort tard. Bossuet se contentait de les faire lire au Dauphin ; plus tard il les prêta au précepteur des fils de son élève ; ils servirent à former successivement deux générations royales, mais ils ne sont pas sortis du manuscrit avant sa mort. La Politique de l'Écriture sainte fut imprimée pour la première fois en 1709 ; le Traité de la connaissance de Dieu en 1722, et on le prit d'abord pour un ouvrage de Fénelon. C'est ainsi que Bossuet s'est dérobé à lui-même une partie de sa gloire ; et, pendant qu'il dédaignait la première place parmi les philosophes et les publicistes, ses contemporains, tout en l'admirant, lui reprochaient de n'avoir pas voulu occuper le premier rang dans l'éloquence.

Ce jugement bizarre, que nous ne comprenons plus, s'explique par le silence que Bossuet garda pendant douze ans depuis son entrée chez le Dauphin, et par le bruit que firent à sa place des prédicateurs qui comptent justement parmi les gloires de la chaire. Bourdaloue est alors tout-puissant sur le peuple chrétien. C'est le grand Pan qui fait languir tous ceux qui parlent à côté de lui ; les autres ne sont écoutés que quand il ne prêche pas[73]. Consolateur aimable des douleurs privées[74], plein d'esprit, de bonté, d'agrément, de facilité dans la vie civile et commune[75], il fait en public trembler les courtisans devant la loi de Dieu avec une hauteur et une générosité qu'il tient de saint Paul[76]. Telle est sa fécondité qu'il tire du même sujet, de la Passion par exemple, les enseignements les plus divers et la morale la plus profonde. Telle est sa droiture inflexible, qu'il frappe comme un sourd, disant des vérités à bride abattue, parlant à tort à travers contre l'adultère à une cour galante : Sauve qui peut (même le roi), il va toujours son chemin[77]. Peu soucieux de briller par la forme, de peur d'offusquer la vérité, il orne peu sa pensée, mais il la soutient par la richesse de sa science, l'évidence de ses déductions pratiques, et l'énergie de l'expression. Dans l'oraison funèbre même, il déploie des qualités supérieures d'observation, et, pour être toujours vrai, il ne dissimule pas les fautes de son héros. Dieu l'en récompense par une popularité de trente années, par la même affluence autour de sa chaire, par la fidélité d'un auditoire pendu et suspendu à ses paroles. Au-dessous de lui, Mascaron, devenu évêque de Tulle, et corrigé de ses défauts par les progrès du goût public, étonne un jour et ravit ses auditeurs par l'oraison funèbre de Turenne (novembre 1675). Est-ce par un reste des admirations de sa jeunesse, ou par une saine appréciation du beau que Sévigné s'écriait : M. de Tulle a surpassé tout ce qu'on attendait de lui dans l'oraison funèbre de M. de Turenne, c'est une action pour l'immortalité ? Il est juste de reconnaître avec des critiques compétents[78], que Mascaron montre dans ce discours une âme éloquente, que sa diction s'épure, que sa pensée gagne en force, en rapidité, en mouvements. Enfin, Fléchier monte au rang des orateurs par une de ces bonnes fortunes qui n'arrivent qu'à ceux qui les méritent. Bel esprit de Rambouillet, panégyriste de la duchesse de Montausier — Julie d'Angennes —, on ignorait hors de sa société qu'il eût en manuscrit une histoire des Grands-Jours d'Auvergne, son meilleur titre littéraire ; il n'était d'abord connu que par un art de rhéteur soigné, symétrique, ami de l'antithèse, et par une fidélité aux traditions de l'incomparable Arthénice qui lui inspirait, même en chaire, l'éloge des dames[79]. Tout à coup on annonça qu'il allait à son tour prononcer l'oraison funèbre de Turenne, et qu'il voulait surpasser Mascaron. On l'en défiait : Il pourra, disait-on, parler d'un héros, mais ce ne sera pas de M. de Turenne, et voilà ce que M. de Tulle a fait divinement. Mais dès qu'il eut prononcé son texte, et entamé cette comparaison avec Judas Macchabée, l'auditoire saisi par une éloquence véritable se donna tout entier à l'orateur. Il prouva même, dans la suite du discours, qu'il savait peindre l'homme aussi bien que le guerrier, avec une simplicité à la fois honnête et noble, et joindre aux grandes images la douceur du sentiment. Les partisans de Mascaron se résignèrent de bonne grâce à lui reconnaître un supérieur[80]. Fléchier mérite encore cette préférence par un talent de construction des phrases, d'arrangement des mots, qui a laissé son empreinte dans notre littérature, et pour lequel La Harpe l'appelle l'Isocrate français.

Mais il s'en faut bien que ces succès, même ceux de Bourdaloue, effacent la prééminence de Bossuet. Dès qu'il rompt ce silence où ses nouveaux devoirs le retenaient, et qu'il fait entendre une voix que les chaires ne connaissaient plus, il se retrouve à sa hauteur primitive. Ici, il prêche le sermon de vêture de La Vallière (juin 1675), et dans l'opposition des deux amours, vanité de l'amour de soi, puissance l'amour de Dieu, quelle profonde analyse du cœur humain et de la grâce divine, et en même temps quelle fonction pénétrante et quelle conviction par l'évidence. Là, dans l'oraison funèbre de la reine Marie-Thérèse (septembre 1683), il féconde un sujet stérile par une parole qui ne se traite guère dans les chaires, par la supériorité de l'innocence conservée sur le repentir, par le tableau consolant des effets de la piété obscure. En deux pages de parallèle entre les deux plus grands hommes de guerre, il ouvre une voie que ni Mascaron,  ni Fléchier n'avaient entrevue, et prouve qu'après eux il restait à tirer des traits plus magnifiques de la gloire de Turenne. Devant la tombe de la princesse Palatine (1685), et celle du grand Condé (1687), il reprend son sujet de prédilection, la mort et la vanité des choses humaines. Pour mieux accabler ces grandeurs, il leur accorde tout ce qu'elles peuvent avoir d'importance, parce qu'il est sûr d'établir qu'elles te sont rien si elles ne vont pas s'absorber dans la foi. A entendre ses derniers adieux à Condé, on serait tenté de croire que son ardeur s'éteint comme il le dit, et que ses discours vont finir. Mais rentré dans le ministère des pasteurs par l'évêché de Meaux, il ne cessera d'élever la voix au milieu de ses ouailles, et quelle que soit l'indifférence de ces esprits grossiers pour des beautés qu'ils ne comprennent pas, il trouvera pour eux des accents supérieurs par moment aux plus hautes productions de son génie[81]. Tant il est vrai que l'éloquence est son bien propre, qu'il la dépose et la reprend à son gré, et que, comme il a dépassé tous ses prédécesseurs, aucun de ses contemporains ou de ses héritiers ne l'atteindra jamais.

La philosophie est une annexe naturelle de l'éloquence sacrée surtout dans un siècle où la France n'avait encore qu'une philosophie chrétienne. Malebranche en est sans doute le plus illustre représentant par sa fécondité, le charme de sa diction et ses aspirations mystiques. En deux ans (1674-1676), il publia sa Recherche de la vérité en six livres, et en 1676 il en fortifia la doctrine par les Conversations chrétiennes. Le Traité de la nature et de la grâce parue en 1680 et fut suivi, en 1683, des Méditations chrétiennes, en 1688, des Entretiens sur la métaphysique. Descartes dominait alors dans la philosophie, surtout chez les femmes. On sait que Sévigné appelait Descartes le père de sa fille. Les uns admettaient sans réserve, avec le procédé philosophique du maitre, ses systèmes scientifiques ; d'autres distinguaient avec raison. Ainsi Bossuet mettait la Méthode de Descartes au-dessus de tous les autres ouvrages de ce philosophe et de tous ceux de son siècle[82] ; et il désapprouvait les applications que d'imprudents disciples prétendaient faire de ses principes philosophiques à des vérités d'un ordre supérieur. La multitude moins discrète faisait au mécanisme des bêtes, aux tourbillons, aux mondes tombants, le même honneur qu'au Discours de la méthode. Malebranche avait appris de Descartes l'art de raisonner, et champion intrépide de la raison et de l'expérience, il rejetait l'autorité d'Aristote comme la tyrannie d'un homme et la domination d'un païen. Mais ayant appris de saint Augustin les secrets de la philosophie morale et religieuse, il entreprit de concilier ce maître avec le premier, de montrer l'accord de la raison avec la foi, en introduisant la rigueur mathématique dans la métaphysique, en expliquant la nature méthodiquement, et menant à Dieu par les principes d'une science solide et claire, toujours d'accord avec la foi. Il est devenu par là le modèle des chrétiens qui veulent philosopher sans sacrifier leur foi, pourvu qu'ils aient le soin de distinguer la philosophie et la théologie. Malheureusement d'un point de départ vrai, qui est la présence et l'action universelle de Dieu, il déduit des conséquences exagérées ou fausses. Il fait de Dieu l'unique objet de la connaissance et la seule cause efficace. Il enseigne que nous voyons tout en Dieu et que Dieu fait tout en nous ; il attribue à l'ouvrage du Créateur un caractère divin, et refuse à la créature toute réalité propre. Il risque tantôt de donner dans le panthéisme de Spinosa dont il a horreur, et tantôt dans l'impuissance invincible et la grâce irrésistible des jansénistes. Voilà ce qui suscita contre lui Arnault, Bossuet, plus tard Fénelon. Mais ces témérités n'ôtent pas leur mérite aux belles parties de ses écrits, à sa théorie de la raison, à ses preuves de la présence de Dieu, à ses définitions des attributs divins. On lui a même reconnu de grands avantages sur Descartes, d'avoir des principes arrêtés sur l'origine et la nature de la vérité, une théorie complète de la volonté et par-dessus tout une morale qui démontre le principe de l'obligation[83]. Sa diction le place parmi les auteurs modèles. L'éloge de son style par La Harpe est en même temps un hommage à sa candeur : Il est de la clarté la plus lumineuse ; il est facile, agréable, coulant ; il n'est orné que de son élégance, et cette élégance ne va jamais jusqu'à la parure, encore moine à la recherche. Aussi le lit-on toujours avec plaisir parce que, s'il se fait illusion à lui-même, il ne veut jamais en faire au lecteur.

Après la métaphysique, la morale, et La Bruyère à côté de Malebranche. Il y a d'ailleurs entre ces philosophes un rapprochement naturel par les tendances de l'esprit religieux. La Bruyère publia en 1687 sa traduction de Théophraste et la première édition de ses Caractères, l'une pour être agréable aux amis des anciens, l'autre pour contenter ceux qui n'estimaient que les mœurs modernes. Quoique dans une première préface il se défende de vouloir, comme Pascal, faire servir la métaphysique à la religion[84], on le voit bientôt accueillir avec satisfaction le témoignage que les hommes religieux lui rendent d'avoir, dans ses quinze premiers chapitres, attaqué les passions et les attachements humains qui affaiblissent et éteignent chez les hommes la connaissance de Dieu, et préparé ainsi le seizième et dernier chapitre où les preuves de Dieu sont apportées, où la Providence de Dieu est défendue contre l'insulte des libertins[85]. En effet la conclusion du livre des Caractères est dans le chapitre des Esprits forts où il établit avec sa phrase moqueuse ce que Bossuet avait déjà prononcé solennellement[86] : que l'esprit fort est l'esprit faible. Il y réfute par l'ironie les petites et honteuses raisons des athées, et prend place à côté des maîtres de la philosophie par cet argument cartésien : Je pense, donc Dieu existe. Au point de vue littéraire, le livre des Caractères est un triomphe sur. Les anciens. Il n'est pas plus emprunté de Théophraste malgré l'imitation apparente, que des Pensées de La Rochefoucauld ou de celles de Pascal. La Bruyère s'applique plus aux vices de l'esprit, aux replis du cœur, et à tout l'intérieur de l'homme que ne l'a fait l'auteur grec. Chez Théophraste, c'est en considérant les actions extérieures que l'on peut remonter au personnage intime ; chez La Bruyère les pensées, les sentiments sont déployés d'abord, le principe de la malice et des faiblesses humaines mis à découvert ; et cet examen faisant prévoir aisément tout ce que les hommes sont capables de dire et de faire, on ne s'étonne plus de mille actions vicieuses ou frivoles dont leur vie est toute remplie[87]. La méthode de Théophraste est uniforme ; dans chacun de ses trente chapitres, invariablement il prend à part un défaut, le définit d'abord, puis prouve la définition par une énumération de faits. La Bruyère évite cette uniformité par une inépuisable variété, par la vivacité ou la singularité des tours. Des portraits, des observations de mœurs, des maximes générales, ici un dialogue, là un apologue, se succèdent sans liaison apparente, et fixent ou réveillent l'attention et la curiosité. Il y joint la vigueur d'une phrase brève, un choix d'expressions figurées, pittoresques, des alliances de mots qui doublent la pensée, des suspensions comme dans l'apostrophe à Zénobie, qui en assurent la perception et l'effet. De tels éléments méritèrent un grand succès à l'ouvrage ; en trois ans il arriva à la cinquième édition. Les jaloux, ou ceux qui se croyaient mis en vue dans ses portraits, taquinèrent l'auteur de quelques accusations de mauvaise foi. Mais la malice humaine elle-même le vengea en constatant son génie d'observation. On fit des applications personnelles de ces types anonymes. On en fit à Romorantin, à Bellesme comme à Paris ; on en fit à ceux que le peintre n'avait jamais vus, comme à ceux qui avaient peur d'être trop connus de lui. Il fut ainsi évident qu'il avait peint d'après nature, et il put dire sans vanité : Je suis presque disposé à croire qu'il faut que mes peintures expriment bien l'homme en général, puisqu'elles ressemblent à tant de particuliers, et que chacun y croit vair ceux de sa ville ou de sa province.

Pendant que tant d'auteurs cherchaient l'illustration dans ces combats du génie et du bon goût, dans ces émotions de l'esprit public, un autre philosophe, moine et pénitent, trouvait la renommée, sans la chercher, dans l'accomplissement d'un devoir. L'abbé de Rancé, réformateur de la Trappe, laissait imprimer son Traité de la sainteté et des devoirs de la vie monastique. Ancien émule de Bossuet sur les bancs de l'école, et orateur facile et admiré, il avait tout quitté pour la solitude et le silence, sauf un savoir immense et un grand art d'écrivain. Çà et là, les dangers de sa réforme importune aux relâchés, le zèle contre tant d'irrégularités qui subsistaient encore dans les cloîtres, l'avaient, poussé à porter au dehors, et jusqu'aux pieds du trône, l'expression de ses craintes et de ses vœux pour le rétablissement des mœurs. Dans une requête au roi contre les manœuvres de ses adversaires (1673), il avait représenté, avec une éloquence ferme et digne, la ténacité des désordres, la nécessité de garantir par la pratique de la vertu la prospérité publique, les obligations des rois vis-à-vis de la sanctification de leurs sujets[88]. A l'intérieur, il instruisait ses frères dans des conférences savantes, ou rédigeait dans un langage ardent leurs conversions extraordinaires, ou mettait en ordre, à la demande de quelques amis, les grands principes de la vie religieuse et des commentaires propres à rappeler aux moines la rigueur de leurs engagements et la perfection de leur état. C'est ce dernier travail, successivement remanié, amplifié, qui devint, sur l'invitation impérieuse de Bossuet, le Livre de la sainteté et de devoirs de la vie monastique. Publié en 1683, il eut un retentissement considérable par ses éminentes qualités, et bientôt par les discussions qu'il suscita, particulièrement sur la question des études monastiques.

Dans l'ordre littéraire seulement, malgré la sécheresse apparente de la matière, c'est une œuvre d'éloquence et de poésie autant que de raison et de savoir. La plus vaste érudition qui assemble et consulte tous les Pères, tous les docteurs anciens de la vie monastique, n'embarrasse pas un instant la marelle du savant, et laisse au commentateur une originalité souvent supérieure à ses maîtres. La rigidité des principes n'assombrit ni le langage de l'écrivain ni la pensée du lecteur. De l'abnégation, de la souffrance volontaire, de la mort même, sortent des images radieuses de la liberté des âmes, de la joie du cœur, de la résurrection glorieuse. Ce pénitent sait se reposer sur la colline comme la colombe ou se tenir comme l'aigle à la cime des rochers. Ce moribond aspire à s'envoler vers Dieu dans un dernier effort de prière, et n'attend que la voix de l'archange pour refleurir avec la blancheur et l'éclat du lis. A en croire quelques-uns de ses critiques, il a prescrit l'ignorance aux moines ; et Mabillon a cru devoir composer contre lui, au nom des moines savants, le Traité des études monastiques. L'accusation n'était qu'une inadvertance ou un malentendu. Nulle part Rancé n'a enseigné que l'ignorance fût bonne ; il a déclaré seulement que les longues études ne convenaient pas aux moines. Il le disait appuyé sur la règle de Saint-Benoît qui ne prescrit que le travail des mains, et il le disait à des cénobites qui se proposaient de reprendre à la lettre l'observation de cette règle de pénitence et de solitude. Mabillon, dans une congrégation que l'Église approuvait pour un autre emploi, selon la sage distinction de Bossuet, était en sûreté de conscience quand il pâlissait sur les vieux diplômes, fouillait les bibliothèques, et élucubrait ses in-folio. Sur ce terrain Rancé et Mabillon n'ont pas tardé à se réconcilier.

Je ne lis jamais, dit Ménage, les ouvrages de M. de La Trappe qu'avec admiration, c'est l'homme du royaume qui écrit le mieux ; son style est noble, sublime, inimitable, son érudition profonde en matière de régularité, ses recherches curieuses, son esprit supérieur. Cet hommage du XVIIe siècle serait encore le nôtre, si les pensées du cloître étaient de nature à provoquer plus souvent l'attention de nos contemporains. Il y a trente ans, Chateaubriand, pressé tout à coup d'écrire une vie de Rancé, arrivait à la Trappe pour y rechercher les traces du réformateur. Entre les monuments qui le frappèrent, il distingua, avec ses instincts de poète, le Traité de la vie monastique, et, charmé autant que surpris de cette nouveauté, il en inséra un des plus beaux passages dans son livre, en disant : Ce travail apprendra à ceux qui ne le connaissent pas qu'il y a dans notre langage un beau livre de plus. Dans la même persuasion nous n'avons pas hésité à ranger les écrits d'un solitaire mystique parmi les gloires d'un siècle où tant de choses étaient grandes, même chez ceux qui faisaient vœu et profession sincère de ne pas user des grandeurs,

On est disposé à croire, tant la chose semble aller d'elle-même, que le nombre et l'autorité de ces génies avait enfin discipliné la littérature, et réduit la médiocrité et le mauvais goût au silence. Il n'en était rien cependant. La gloire du XVIIe siècle, comme celle de beaucoup de grands hommes, n'a été universelle qu'après sa mort. Le besoin de compter parmi les illustres, le dépit d'en être exclu par une critique serrée et conforme à la raison, la haine de la supériorité d'autrui, ce grief du paysan d'Athènes contre Aristide, entretenaient dans les méchants auteurs la résistance aux beaux exemples et aux saines doctrines, et dans une partie du public cette démangeaison de rabaisser et de contredire qui avive sans cesse l'opposition. On l'a vu dans la cabale montée contre Racine. On le voyait surtout dans l'importance que conservaient encore, au sein de l'Académie même, Benserade, Cotin, Charpentier, etc., etc. Ils avaient une organisation, des salons, des journaux où ils étalaient et recommandaient leurs œuvres, où ils débattaient et dépréciaient le mérite de ceux qu'ils ne prétendaient pas subir pour maîtres et modèles. Le plus connu de ces journaux est, sans contredit, le Mercure galant, fondé par Visé en 1672, suspendu au bout de deux ans, et repris en 1677 ; recueil de lettres, de nouvelles, y compris celles de mariage et de mort, de petits romans, de pièces de vers des foyer, Cotin, Perrault, Deshoulières, de critiques ou comptes rendus littéraires[89]. En 1677, il se renforça d'un collaborateur qui devait valoir un jour beaucoup plus que les autres, mais que des haines personnelles associèrent à ses rancunes et à ses sympathies, Fontenelle, neveu de Corneille, débarqué de Normandie à l'âge de vingt ans, trouva dans le Mercure un accueil empressé pour des productions, prose et vers, qui ne sentaient encore que le bel esprit précieux. Il donnait, à la manière de la carte du Tendre, la description de l'Empire de la poésie ; dans des idylles à la Deshoulières, il chantait le Ruisseau amant ou comparait l'amour à un petit chien[90]. Les éloges de ses collaborateurs resserrèrent les liens entre eux et lui. Quand il eut échoué dans la tragédie — Aspar — et essuyé les épigrammes de Racine (1680), il se tourna ouvertement contre l'émule de son oncle, encouragea toutes les hostilités contre cet ennemi de sa famille, et entra dans un système d'attaques, essayé déjà par quelques particuliers, et qui allait devenir une ligue, un parti contre les dominateurs de la littérature, la guerre contre les anciens.

Les plus beaux génies du temps admiraient les anciens, se les proposaient pour modèles, et quoique leur imitation ne fût pas un esclavage, selon la distinction de La Fontaine[91], ils étaient assez modestes pour se déclarer inférieurs et même petits devant ces grands noms. Par opposition, les esprits médiocres, et d'ailleurs peu instruits de l'antiquité, qui avaient cherché l'inspiration, sans la trouver, dans les sujets et les idées modernes, proclamaient la supériorité des modernes sur les anciens, croyant ainsi convaincre leurs rivaux de mauvais goût, et se relever eux-mêmes par l'excellence de leur jugement. L'exemple de Boisrobert, suivi par Desmarest, venait d'être proposé de nouveau, avec une assurance imperturbable, dans la dernière préface de Clovis (1673). L'indépendance de l'esprit, surtout quand il ne se sent pas assez fort pour se conformer aux règles, était le fond de cette théorie ; mais elle avait quelque chose de vrai mêlé à beaucoup d'ignorance et de subtilité. C'était en outre une flatterie aux lecteurs que de préférer leur temps aux temps anciens, et un art de gagner la faveur du roi que de montrer combien son règne l'emportait sur les règnes les plus célèbres des âges précédents. Une polémique si utilement combinée rallia de plus en plus les mécontents, et devint le drapeau de tous les ennemis de l'école que Boileau paraissait représenter. Fontenelle donna une nouvelle impulsion par ses Dialogues des morts (1683). Avec plus d'agrément que ses devanciers, il tourna de fines moqueries contre les anciens, et étendant la question hors des lettres proprement dites, il vanta les progrès accomplis par les modernes dans les sciences, afin de compter à leur avoir un avantage incontestable qui appartient plutôt au cours du temps qu'au génie des hommes. Bientôt Charles Perrault commença ouvertement la guerre, en écrivit la théorie, et rassembla l'armée. Tous les Perrault avaient à se venger des épigrammes de Boileau. Charles Perrault, que nous connaissons par son emploi de premier commis des bâtiments, venait d'être disgracié après la mort de Colbert, et même évincé par Louvois de la petite Académie des médailles ; il se rejeta sur la littérature ; il composa un poème de Saint-Paulin[92], dans le goût des épiques ses prédécesseurs, et tout à coup (janvier 1687) il vint lire à l'Académie française son poème du Siècle de Louis le Grand. Là avec une assurance égale à la platitude des vers, il bafouait Homère, Platon, Hérodote, soutenait que le génie de l'homme, comme la nature, a la même fécondité dans tous les siècles, et invitait les modernes, au nom de leurs talents reconnus, à prendre place au moins à côté des anciens ; il avait commencé par le roi en comparant le siècle de Louis au beau siècle d'Auguste. Ce qu'il pouvait y avoir de fondé dans plusieurs points de cette thèse était gâté par une critique injuste des anciens, par l'éloge exagéré de certains modernes. Boileau s'indigna de cette lecture, Racine y répondit par un compliment moqueur, La Fontaine par une épître où la réfutation tirait une nouvelle force de son insouciance apparente[93]. Mais la majorité des membres de l'Académie, c'est-à-dire les moins habiles, adhérèrent à un manifeste qui les vengeait. Les camps se formèrent, et la querelle des anciens et des modernes s'engagea comme une nouvelle guerre de trente ans. Nous aurons occasion d'y revenir. Ici, contentons-nous de remarquer que cette prise d'armes coïncide avec la fin de la période la plus féconde et la plus brillante du XVIIe siècle. Les grands noms, les chefs-d'œuvre, seront désormais beaucoup plus rares. Une question de préférence littéraire, assez oiseuse et d'ailleurs mal posée, en absorbant un grand nombre d'esprits, a bien pu nuire à l'inspiration, comme jadis dans l'école alexandrine, où la critique remplaçait le génie.

 

 

 



[1] Préambule des Lettres patentes pour la fondation de l'académie de Soissons.

[2] Lettres-patentes pour l'établissement d'académies de peinture dans les principales villes. Édit portant union de l'Académie de peinture de Rome à celle de Paris.

[3] Boileau, Épître VIII au roi :

Te voyant de plus près, je t'admire encor plus.

Dans ces nobles douceurs d'un séjour plein de charmes

Tu n'es pas moins héros qu'au milieu des alarmes :

De ton trône agrandi portant seul tout le faix,

Tu cultives les arts, tu répande les bienfaits ;

Tu sais récompenser jusqu'aux muses critiques....

[4] La Fontaine, Fables, livre VII : Un Animal dans la lune.

[5] Supplique pour l'établissement d'une académie à Nismes.

[6] Mabillon, de Re diplomatica, dédicace : Nihil magis tibi cordi esse sciam quam regum nostrorurn celebritatem, regni splendorem, præsertimque Ludovici magni gloriam immortalem. Huc omnia studia tua se conferunt, huc tendunt omnes curæ et cogitationes tuæ : huc liberorum tuorum tam accurata et religosia institutio, huc molimina magnarum rerum de Franciæ historia, de instruenda amplissimum bibliotheca in reipublicæ commodum et utilitatem ; huc denique artium omnium et scientiarum amor studiumque ad regni decus et ornamentum....

[7] Voir dans Isambert, tome XIX, les Lettres-patentes de fondation de l'académie de Soissons et de l'académie de Nismes.

[8] Les académies fondées plus tard sont : Angers, 1685 ; Villefranche en Beaujolais, 1696 ; Caen, 1705 ; Montpellier, 1706 ; Bordeaux, 1712 ; Lyon, 1724.

[9] Voir cette circulaire : Depping, tome IV, page 606, et dans la collection Clément.

Cette invitation embarrassa plus d'un intendant, comme on le voit par cet aveu de Foucault : M. Colbert m'a demandé de chercher quelque personne capable d'écrire l'histoire de la province, ce que je n'ai pu trouver.

[10] Voir dans Isambert, XIX, Lettres-Patentes et Édit de 1676.

[11] Collection Clément.

[12] Depping, Correspondance administrative, tome IV.

[13] Mabillon, Iter Germanicum, dans les Vetera Analecta : Istius itineris proxeneta ille munificus qui nihil ad Ludovici magni gloriam non agebat, in animum incluxit, pro sua in litteras cantate, ut Germaniæ bibliothecas perlustraremus. Nemo non intelligit hunc esse illustrissimum Joannem-Baptistam Colbertum quem mors inopinata e vivis eripuit....

[14] Vita Mabillonii, en tête de la collection des Vetera Analecta.

[15] Il y eut pourtant un bibliothécaire qui témoigna de la mauvaise humeur de voir un étranger remuer ses livres. On l'apaisa en lui prouvant que son monastère avait été fondé par des Français.

[16] Mabillon, Iter Germanicum : Ad sanctum Emmerammum... in cujus bibliotheca codices amplius mille habentur... virorum doctorum epistolas tempore Alcuini scriptas, quas nobis describi rogavimus. Multa etiam nos ipsi, quantum per quatuor dierum otia licuit, descripsimus.

[17] Vita Mabillonis.

[18] Voir dans Rousset, Histoire de Louvois, tome III, annexe II, les lettres de Louvois relatives aux objets d'art.

[19] Prologue d'Atys, 5 février 1676.

[20] Prologue d'Isis, 5 janvier 1677.

[21] Art Poétique, livre IV, à la fin.

[22] La Fontaine, Fables, livre XI, publié en 1679 :

.....Vous n'avez que trop de quoi vous occuper.

Pendant le doux emploi de ma muse innocente

Louis dompte l'Europe, et d'une main puissante

Il conduit à leur fin les plus nobles projets

Qu'ait jamais formés un monarque.

Favoris des neuf sœurs, ce sont là des sujets

Vainqueurs du Temps et de la Parque.

[23] Le maréchal de Vivonne donna à la Deshoulières (1687) des rimes en ailles, en eilles et en ille pour les remplir à la louange du roi. Le duc de Nevers, piqué d'émulation, en fit autant sur les rimes en ouille.

[24] Remercîment au roi :

Est-il vrai, grand monarque, et puis-je me vanter

Que tu prennes plaisir à me ressusciter, etc.

[25] Le fils du grand Condé courtisait Mme de Nevers. Elle allait partir pour Rome par un caprice de son mari. Monsieur le Duc, pour la faire rester, imagina de donner une fête à Monseigneur, à Chantilly. Il alla trouver M. de Nevers, et supposa un embarras extrême pour le choix du poste qui ferait les paroles du divertissement, lui demandant en grâce de lui en trouver un ; sur quoi M. de Nevers s'offrit de lui-même, comme Monsieur le Duc l'avait prévu. La fête se donna, elle coûta plus de cent mille écus, et Mme de Nevers n'alla pas à Rome. (Souvenirs de Mme de Caylus.)

[26] Deshoulières, Idylle aux Fleurs :

Plus heureuses que nous, vous mourez pour renaître.....

Idylle aux Oiseaux :

Que votre sort est différent du nôtre.....

Idylle aux Moutons :

Hélas, petits moutons, que vous êtes heureux.....

Aussitôt aimés qu'amoureux

Idylle au Ruisseau :

Ruisseau, que vous êtes heureux !

[27] Épître à Colbert, 1675, commencement des sollicitations en vers. Idylle sur la naissance du duc de Bourgogne. Épître au roi pour le siège de Luxembourg :

Si la victoire eut pour vous tant de charmes,

Vous pouvez vaincre ici sans être armé ;

N'appelez pas une indigne faiblesse

Quelques moments donnés à la tendresse.

Les plus grands cœurs n'ont pas le moins aimé.

[28] Perse, prologue :

Quod si dolosi spes refulserit nummi,

Corvos poetas et poetrias picas

Cantare credas Pegaseium meios.

[29] Deltour, Ennemis de Racine, ch. III et VIII. Nous renvoyons avec plaisir à l'excellente histoire que l'auteur a faite de cette querelle.

[30] Voici les dates des opéras de Quinault : Fêtes de l'Amour et de Bacchus, 1672 ; Cadmos et Hermione, 1672 ; Alceste, 1674 ; Thésée, 3 février 1675 ; Atys, 10 février 1676 ; Isis, 5 janvier 1877 ; Proserpine, 3 février 1680 ; le Triomphe de l'Amour, ballet, janvier 1681 ; Persée, 17 avril 1682 ; Phaéton, janvier 1683 ; Amadis, 15 janvier 1684 ; Roland, 18 janvier 1685 ; le Temple de la paix, ballet, 15 octobre 1685 ; Armide, 15 février 1686.

[31] Dans le prologue de Proserpine (1680), la Victoire chante :

Venez, aimable Paix, le vainqueur vous appelle...

La Discorde se plaint que le héros n'ait pas continué la guerre :

La gloire au bout du monde aurait été l'attendre.

Mais la Victoire répond :

Ah ! qu'il est beau de rendre

La paix à l'Univers.

Dans le prologue de Roland, 1685, après la trêve de Ratisbonne :

Tout cède au plus grand des héros,

En vain l'envie et la rage s'assemblent ;

Il ne punit ses ennemis qui tremblent

Qu'en les condamnant au repos.

Offrons des jeux nouveaux au héros glorieux

Qui prend soin du bonheur du monde.

[32] Dans une adresse de l'Académie de musique au roi, en tête de l'opéra d'Alceste, on lit :

Résistez quelque temps à votre impatience,

Prenez part aux douceurs dont vous comblez la France ;

Et malgré la chaleur de vos nobles désirs,

Endurez le repos et souffrez les plaisirs.

Cela n'est que spirituel, mais voici de la poésie :

Goûtons dans ces aimables lieux

Les douceurs d'une paix charmante.

Les superbes géants armés contre les Dieux

Ne nous donnent plus d'épouvante.

Ils sont ensevelis sous la masse pesante

Des monts qu'ils entassaient pour attaquer les cieux.

Nous avons vu tomber leur chef audacieux

Sous une montagne brûlante.

Jupiter l'a contraint de vomir à nos yeux

Les restes enflammés de sa rage mourante.

Jupiter est victorieux

Et tout cède à l'effort de sa main foudroyante.

Goûtons dans ces aimables lieux.

Les douceurs d'une paix charmante.

Proserpine, scène I, après la paix de Nimègue.

[33] En voici quelques échantillons :  

Jeunes cœurs, laissez-vous prendre ;

Le péril est grand d'attendre ;

Il n'est jamais trop tôt de s'enflammer. (Alceste)

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Un jeune cœur ne commence de vivre

Que du moment qu'il commence d'aimer. (Proserpine.)

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

L'art d'accord avec la nature

Sert l'amour dans ces lieux charmants. (Tuileries.)

Ces eaux qui font rêver par un si doux murmure,

Ces tapis où les fleurs forment tant d'ornements,

Ces gazons, ces lits de verdure,

Tout n'est fait que pour les amants. (Prol. d'Alceste.)

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Tendres amours ;

Enchantez-moi toujours,

Triste raison, nous fuyons ton secours.

Quand on prend de l'amour, on n'en saurait trop prendre.

(Roland, scène V, acte II.)

[34] Le public fit aussi une autre allusion. Les malicieux, comme Mme de Sévigné, reconnurent non-seulement Louis XIV dans Jupiter, mais Mme de Montespan dans Junon jalouse et Mlle de Ludre dans Io. Il était difficile d'entendre autrement cette réponse d'Argus à Io :

Vous êtes coupable

De vous faire trop aimer,

. . . . . . . . . . . . . . . . . .

L'amour de Jupiter a trop paru pour vous.

(Acte III, scène I.)

[35] Roland (1685), scène dernière : c'est la Gloire qui parle :

Roland, il faut armer votre invincible bras...

Sauver votre pays d'une guerre cruelle.

Ne suivez plus l'Amour, c'est un guide infidèle,

Non, n'oubliez jamais

Les maux que l'Amour vous a faits.

Armide (1686), scène avant-dernière :

Armide, il est temps que j'évite

Le péril trop charmant que je trouve à vous voir.

La Gloire veut que je vous quitte :

Elle ordonne à l'Amour de céder au Devoir.

[36] Abrégé de la vie de Boileau-Despréaux ; Éloge de Boileau par de Boze.

[37] Épître VII :

Et plût au ciel encor, pour couronner l'ouvrage,

Que Montausier voulût lui donner son suffrage !

Sur quoi Brossette raconte que le duc commença dès lors à s'adoucir en faveur de Boileau. Quelque temps après il l'aborda dans la grande galerie à Versailles, et lui fit compliment sur la mort de M. Boileau de Puimorin son frère... Ce fut là le moment de la réconciliation. M. de Montausier changea dès lors l'estime qu'il avait pour notre auteur en une amitié qui a duré toute sa vie, et sur le Champ il l'emmena dîner avec lui.

[38] Sévigné, 15 décembre 1673.

[39] On avait rapporté à Boileau que Bussy-Rabutin avait écrit, dans une lettre, une critique sanglante de l'épître IV mêlée de plaisanteries peu respectueuses pour le roi. Nous trouvons bien en effet une lettre de Bussy à Sévigné (30 octobre 1672), où il critique, dans le Passage du Rhin, la pensée de comparer les exploits du roi à la Fable ; mais il ne s'y rencontre ni injures pour le poète, ni irrévérence pour le roi. Boileau, inquiet du bruit qui courait, chercha des explications, bien déterminé à répondre si on lui avait dit la vérité. Les explications par intermédiaire amenèrent entre Boileau et Bussy une correspondance directe dont nous venons de citer la conclusion.

[40] Valincour, Discours à l'Académie, à la réception du successeur de Boileau.

[41] Boileau, Préface de l'édition de ses Œuvres, en 1674.

[42] Boileau, préface particulière de la traduction du Sublime.

[43] Desmarets, Défense du poème héroïque.

[44] C'est Boileau lui-même qui fait cette riposte, dans la préface de l'édition de 1675.

[45] Pradon, Nouvelles Remarques.

[46] Au reste on ne peut assez admirer à quels excès ou sottises peu arriver le besoin de se faire valoir en se montrant sévère. Nous avons en ce moment sous les yeux les principaux commentateurs de Boileau, Brossette, Saint-Marc, etc. Saint-Marc se donne pour un admirateur et défenseur du poète ; cependant il lui fait des reproches tels que ceux-ci : D'une longue soutane il endosse la moire, pour dire il endosse une soutane de moire ; cette phrase qui serait peut-être poétique en latin a bien de la peine à se sauver du ridicule.... Le prélat hors du lit impétueux s'élance ; malgré le repos de l'hémistiche, impétueux s'unit à lit et semble être l'adjectif de ce substantif, quoique au fond il se rapporte à prélat et doive se lier au verbe s'élance. Ce vers doit passer naturellement pour mal construit. Nous ne nous en étions jamais douté avant d'avoir lu Saint-Marc, et nous n'en sommes pas encore convaincu après la lecture.

[47] Boileau, préface de l'édition de 1675.

[48] Boileau, Remercîments à Messieurs de l'Académie française : L'honneur que je reçois aujourd'hui est quelque chose pour moi de si grand, de si extraordinaire, de si peu attendu, a tant de sortes de raisons semblaient devoir pour jamais m'en exclure, que, dans le moment même où je vous en fais mes remercîments, je ne sais encore ce que je dois croire.

[49] La Fontaine, Fables, livre XI, 3 : Le Fermier, le Chien et le Renard :

Toi donc, qui que tu sois, ô père de famille,

Et je ne t'ai jamais envié cet honneur.....

[50] Fables : le Curé et le Mort.

[51] Le Rat qui s'est retiré du monde.

[52] Le quatrième livre des Contes.

[53] Fables : Les Obsèques de la Lionne ; le Lion, le Loup et le Renard ; les Animaux malades de la peste.

[54] Le Singe et le Chat ; le Lion malade ; les Obsèques de la Lionne.

[55] Livre XI : les Dieux voulant instruire le fils de Jupiter, pour Monseigneur le duc du Maine ; livre VIII, le Pouvoir des Fables, à Barillon.

[56] Dans Horace, satire VI du livre II : Fable du Rat de ville et du Rat des champs. C'est la seule fable ancienne qui puisse être rapprochée de celles de La Fontaine. Aussi a-t-il jugé inutile de la refaire.

[57] Sévigné cite, en 1674, la Cour du Lion : Voilà une fable des plus jolies ; ne connaissez-vous personne qui soit aussi bon courtisan que le renard ?

[58] Lettres de Sévigné et de Bussy, juillet et août 1679.

[59] Furetière était accusé d'avoir profité, pour son propre dictionnaire, du travail de l'Académie qui préparait toujours le sien.

[60] Cette assimilation de Benserade à La Fontaine prouve les erreurs de goût auxquelles sont exposés les meilleurs juges. Elle est d'autant plus singulière que tout récemment le versificateur des ballets du roi venait de publier deux pauvres essais de poésie qui consacraient déplorablement pour lui la supériorité de La Fontaine, et cette qualité d'unique que le fabuliste a conservée jusqu'à nous : c'étaient les Fables en quatrains (1678), et les Métamorphoses en rondeaux (1879). Quel rapprochement pouvait-on faire entre les fables de La Fontaine, et des quatrains tels que ceux-ci :

Un loup querellait un agneau

Qui ne savait pas troubler l'eau.

A tous coups l'injuste puissance

Opprime la faible innocence.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Le rat de ville était dans la délicatesse,

Le rat des champs vivait dans la simplicité.

L'un avait plus de politesse,

L'autre était plus en sûreté.

Dans les Métamorphoses en rondeaux, les moralités ne sont que d'intolérables platitudes :

Sur la boite de Pandore :

Et ce fut là ce qui nous vint des deux

Dans une boite.

Sur Lycaon :

Il faut qu'un roi soit juste, sage et bon

Pour être grand.

Sur le déluge, une inconvenance que Boileau a énergiquement condamnée :

Dieu lava bien la tête à son image.

Sur le serpent Python :

Aux jeunes gens la gloire est nécessaire

En s'avançant vers un gîte si bon,

Pour acquérir d'autant plus de renom,

Ne rien laisser de ce qu'on trouve à faire

Sur le chemin.

Ainsi une épigramme en rondeau avait assez joliment vengé La Fontaine :

A la fontaine où l'on puise cette eau,

Qui fait rimer et Racine et Boileau,

Je ne bois point ou bien je ne bois guère.

Dans un besoin si j'en avais affaire,

J'en boirais moins que ne fait un moineau.

Je tirerai pourtant de mon cerveau,

Plus aisément, s'il le faut, un rondeau

Que je n'avale un verre plein d'eau claire

A la fontaine.

 

De ces rondeaux un livre tout nouveau

A bien des gens n'a pas eu l'art de plaire.

Mais quant à moi j'en trouve tout fort beau,

Papier, dorure, images, caractère,

Hormis les vers qu'il fallait laisser faire

A La Fontaine.

[61] Passim, juillet et août 1675.

[62] Bussy à Sévigné, 28 décembre 1680 ; Sévigné à Bussy, 10 janvier 1681.

[63] Rousset, Histoire de Louvois, tome II, à la fin.

[64] Mme de Motteville ne mourut qu'en 1689.

[65] La Rochefoucauld, Portrait du cardinal de Retz.

[66] Sévigné, 12 octobre 1677.

[67] Avant-propos de la première partie.

[68] Lettre à Innocent XI : Quid unaquæque gens et fatale aliis sibique ipsi pestiferum aluerit, quæque secuturis documenta præbuerit.

[69] Troisième partie, ch. II.

[70] Beausset, Histoire de Bossuet, tome I.

[71] Lettre à Innocent XI : Structuram corporis animique naturam, urbis maxime quæ in se quisque experitur, exponimus, idque lino agimus ut, quum homo sibi sit præsentissimus, tum sibi in quibus præsentissimum contempletur Deum.

[72] Beausset, Histoire de Bossuet.

[73] Sévigné, mars 1689.

[74] Voir dans Sévigné, 8 décembre 1673, l'entrevue de Bourdaloue et du maréchal de Grammont.

[75] Sévigné, avril 1686.

[76] Sévigné, 3 février 1674.

[77] Sévigné, 29 mars 1680. Comment ne pas citer textuellement ces phrases pittoresques, et surtout que mettre à la place qui soit une expression aussi piquante du sentiment contemporain ?

[78] La Harpe, Cours de littérature, tome VIII. Villemain, Essai sur l'Oraison funèbre.

[79] Dans l'Oraison funèbre de la duchesse de Montausier, on lit : Un ancien disait autrefois que les hommes étaient nés pour l'action et pour la conduite du monde... que les dames étaient nées pour le repos et pour la retraite... Son caractère était d'être bienfaisante, et, pour me servir des termes d'un célèbre Romain, elle ne paraissait pas tant une dame mortelle qu'une divinité favorable aux malheureux.

[80] Sévigné, 28 mars 1676 : Mme de Lavardin me parla de l'oraison funèbre de Fléchier ; nous la fîmes lire, et je demande mille et un pardons à M. de Tulle ; mais il me parut que celle-ci était au-dessus de la sienne. Je la trouve plus également belle partout ; je l'écoutais avec étonnement, ne croyant pas qu'il fût possible de trouver encore là de nouvelles manières de dire les mêmes choses ; en un mot j'en fus enchantée.

[81] Voir dans les Sermons de Bossuet, les fragments de ceux qu'il a prêchés à Meaux, et en particulier le sermon pour le jour de Pâques où la vie humaine est comparée à un chemin... Marche, marche...

[82] Manuscrits de l'abbé Ledieu.

[83] Ollé-Laprune, la Philosophie de Malebranche. Nous empruntons sans embarras ces appréciations à l'ouvrage d'un collègue bien plus compétent que nous sur ces matières, et d'une doctrine qui nous inspire toute confiance.

[84] Discours sur Théophraste.

[85] Préface du Discours de réception à l'Académie française.

[86] Bossuet, Oraison funèbre de la princesse palatine : Qu'ont-ils vu ces rares génies, qu'ont-ils vu de plus que les autres ?... Pensent-ils avoir vu mieux les difficultés à cause qu'ils y succombent, et que les autres qui les ont vues les ont méprisées ? Ils n'ont rien vu, ils n'entendent rien ; ils n'ont pas même de quoi établir le néant auquel ils aspirent après cette vie, et ce misérable partage ne leur est pas assuré.

[87] C'est La Bruyère qui explique ainsi la manière de l'auteur grec et la sienne dans le Discours sur Théophraste.

[88] Voir notre Histoire de la Trappe, tome I, ch. VI.

[89] Boursault : Mercure galant :

Tant que dure le jour, j'ai la plume à la male,

Je sers de secrétaire à tout le genre humain ;

Fable, histoire, aventure, énigme, idylle, églogue,

Épigramme, sonnet, madrigal, dialogue,

Noces, concerts, cadeaux, fêtes, bals, enjouements,

Soupers, larmes, clameurs, trépas, enterrements,

Enfin quoi que ce soit que l'on nomme nouvelle.

Vous m'en faites tenir un registre fidèle.

Au troisième acte, un amateur, qui tient à figurer au Mercure, explique assez bien la popularité et le publicité dont jouissait cette rapsodie :

Le Mercure est une bonne chose,

Un y trouve de tout, vers, fable, histoire et prose.

Sièges, combats, procès, mort, mariage, amour.

Nouvelles de province et nouvelles de cour.

[90] Fontenelle n'a jamais excellé dans la poésie ; aussi y a-t-il renoncé. Il reprochait à Voltaire d'avoir mis trop de poésie dans Œdipe. Cela se peut bien, répondit Voltaire, et pour m'en corriger je vais lire vos pastorales.

[91] Voir les beaux vers de La Fontaine :

Certains imitateurs, sot bétail, je l'avoue.....

Je le loue (notre siècle) et je sais qu'il n'est pas sans mérite ;

Mais près de ces grands noms notre gloire est petite.

[92] Mémoires de Charles Perrault, livre IV. C'est bien Perrault qui place lui-même la composition du Saint-Paulin après sa disgrâce. Comment concilier avec son affirmation ce que nous lisons ailleurs de l'apparition du Saint-Paulin, en 1675 ?

[93] Rigault, Histoire de la querelle des anciens et des modernes.