HISTOIRE DU RÈGNE DE LOUIS XIV

DEUXIÈME PARTIE. — L'ÉPOQUE DE PUISSANCE ET DE GLOIRE SOUS COLBERT ET LOUVOIS

 

CHAPITRE XVII. — Les premières guerres de Louis XIV. Son intervention dans la lutte des Renaudais contre l'Angleterre. Sa première revendication de la succession d'Espagne : guerre du droit de dévolution (1665-1668).

 

 

I. — Rupture de l'Angleterre el de la Hollande. - Hésitations de Louis XIV entre les deux partis. — Il combat l'évêque de Munster ; il agit faiblement contre les Anglais. - Assistance apparente donnée aux Hollandais pour couvrir ses préparatifs de guerre contre les Espagnols. - Paix de Breda.

 

L'Angleterre et la Hollande, deux nations maritimes, deux marchands avides, se regardaient d'un œil d'envie malgré les traités, et se heurtaient fréquemment dans les mers d'Asie, d'Afrique et d'Europe. Quoique Louis XIV eût paru réussir à les accorder en 1662, l'antipathie se ranimait toujours par la concurrence, et se donnait carrière par des hostilités partielles. Elle se déclara ouvertement dans le Parlement d'Angleterre à l'ouverture de la session de 1664 (21 mars). A entendre les négociants anglais, ils n'avaient eux-mêmes aucun tort ; leurs vaisseaux étaient à chaque instant saisis sous de vains prétextes, ou exclus des ports les plus fréquentés, leurs comptoirs étaient menacés ou détruits par la connivence de leurs rivaux avec les naturels des Indes ou d'Afrique ; leurs pertes s'élevaient déjà à 800.000 livres sterling (vingt millions de francs) ; ils réclamaient en conséquence du roi et des Chambres les moyens d'obtenir une juste réparation[1]. Loin de convenir de tous ces griefs, les Hollandais de leur côté prétendent expliquer la colère britannique par la jalousie. Comme ils faisaient, disent-ils[2], la navigation à moins de frais, et qu'ils transportaient fidèlement les marchandises confiées à leurs soins, les autres nations aimaient mieux employer leurs navires que ceux des Anglais, et de là leur importance et leur richesse si enviée. Dans tous les cas ils étaient odieux au commerce anglais ; Charles II lui-même n'avait pas moins de rancunes personnelles contre la république. Outre le peu d'égards qu'on lui avait témoigné dans ce pays au temps de son exil, il ne pardonnait pas à la faction de Löwenstein, ou de Witt, l'obscurité où elle retenait le prince d'Orange, son neveu. Il ne se fit pas beaucoup prier par le Parlement pour promettre qu'il agirait à la satisfaction commune (29 avril 1664). Aussitôt la compagnie anglaise d'Afrique expédia d'elle-même des vaisseaux pour châtier les Hollandais. Le capitaine Holmes reprit le Cap-Corse, sur la côte des Dents, et, dépassant ses instructions, il enleva les forts du Cap-Vert et ceux de l'île de Gorée ; puis, tournant vers l'Amérique, il rangea sous la domination anglaise la Nouvelle-Amsterdam, les Nouveaux Pays-Bas, colonie hollandaise qui a porté depuis ce temps le nom de New-York. Les Hollandais protestèrent (août 1664). Charles II fut bien obligé de désavouer Holmes et de promettre réparation. Aux termes du dernier traité, il avait l'espace d'un an pour satisfaire à sa parole[3] ; mais longtemps axant l'expiration de ce délai, de Witt expédia Ruyter sur les traces des Anglais (octobre 1664). L'intraitable amiral fit capituler les vainqueurs du Cap-Vert, occupa à son tour l'île de Gorée, et cingla sers l'Amérique pour capturer la marine marchande de l'ennemi. Par cette précipitation, les Hollandais se donnaient un air d'agresseur que l'on ne pouvait tarder à exploiter contre eux[4].

Dans la prévision d'une lutte plus étendue, les Hollandais voulurent savoir si le roi de France, en vertu de l'alliance offensive et défensive qu'il avait conclue avec eux, les assisterait efficacement contre les Anglais. Louis XIV examina la question avec toute la patience et toute l'astuce diplomatique dont il était capable. D'une part son intérêt n'était pas de les laisser succomber dans cette guerre, ni de souffrir un changement dans la forme de leur gouvernement qui pourrait les livrer à la domination  de l'Angleterre. Il ne roulait ni que la puissance maritime des Anglais testât sans contrepoids, ni que le prince d'Orange fût élevé au stathoudérat par la protection et pour l'avantage des Stuarts[5]. D'autre part il lui répugnait de servir des gens qui s'opposaient à ses projets sur les Pays-Bas espagnols, et de se brouiller avec le roi d'Angleterre qui promettait de les favoriser. Il faut citer ses propres paroles : Si j'exécute à la lettre le traité de 1662, je ferai un grand préjudice à mes principaux intérêts, et cela pour des gens dont je ne tirerai jamais aucune assistance, mais que je trouverai directement contraires dans le seul cas où j'aurais besoin de les avoir favorables. Outre cela, je perds le roi d'Angleterre qui est sur le point de se lier avec les Espagnols en cas que je rejette ses offres, et ces offres sont — je peux bien vous confier ce secret — la carte blanche en tout ce que je pourrais désirer pour les Pays-Bas, sans même y prétendre un pouce de terre pour lui. (Lettre à d'Estrades, 19 décembre 1664.)

Il faut convenir que l'égoïsme des Hollandais était prodigieux. On parlait alors d'un projet de ligue préparé par l'évêque de Munster avec l'Empereur, divers princes d'empire, et peut-être le mi d'Espagne, pour régler les affaires des Pays-Bas contrairement aux réclamations de la France : on soupçonnait les Hollandais d'être prêts à y adhérer. Louis XIV, avant de s'engager à les défendre, voulait qu'ils prissent de leur côté l'engagement de ne pas entrer dans cette ligue redoutée. Les États n'y voulaient point entendre ; donner cette assurance, c'était, selon eux, altérer le traité de 1662 ; mais en même temps ils pressaient le roi de se déclarer pour eux, et de leur fournir, comme il disait, en les protégeant, les moyens de lui faire du mal. Je vois, écrivait-il, qu'ils songent fort à leurs intérêts et se souviennent très-peu de celui d'autrui. Il ne prenait donc aucune résolution ; il examinait lentement les raisons que lui suggérait Charles II pour rester neutre. Si les Hollandais étaient vraiment les agresseurs, le traité de 1662 ne l'obligeait pas à les secourir : or ils avaient armé les premiers ; d'un différend entre deux compagnies ils avaient fait une querelle de nation à nation. En outre le théâtre des hostilités était dans les parages d'Afrique, et le roi n'était engagé à rien hors d'Europe.

Pendant ces hésitations, le roi d'Angleterre, assuré d'un subside énorme de deux millions et demi (62 millions de francs), déclara officiellement la guerre aux Hollandais (25 février 1665). Un article de cette déclaration, qui pose déjà la question des neutres à la manière anglaise, indiquait avec quelle hauteur le commerce anglais entendait traiter les autres nations : Tout navire de quelque nation qu'il pût être, sur lequel on trouverait des personnes et des marchandises appartenant aux Hollandais, serait déclaré de bonne prise ; et d'un autre côté les effets appartenant aux marchands de toute nation, qui se trouveraient sur des navires hollandais, seraient confisqués[6]. Après cette rupture éclatante, Louis XIV, ne pouvant plus rester inactif, offrit sa médiation. Il envoya une ambassade extraordinaire à Londres ; mais les Hollandais en attendaient peu d'avantages, les Anglais n'en tinrent pas compte. Le duc d'York, grand amiral, organisa rapidement une flotte de 98 vaisseaux de ligne partagée en trois escadres, croisa en triomphe pendant un mois dans l'Océan Germanique, et fut attaqué en vue de Lowestoft, par une flotte hollandaise que commandait Opdam en l'absence de Ruyter (3 juin 1665). Après quatre heures de lutte acharnée et incertaine, les Anglais prirent la supériorité, et le vaisseau d'Opdam ayant sauté avec cinq cents hommes, les Hollandais se retirèrent. Tromp les rallia grâce à l'obscurité de la nuit qui retardait la poursuite des vainqueurs, et les mit à l'abri derrière les bas-fonds ; mais ils avaient perdu quatre amiraux, sept mille hommes tués ou pris, dix-huit vaisseaux. Deux de leurs flottes marchandes, revenant de Smyrne et des Indes Orientales, avaient tourné par le nord de l'Irlande et de l'Écosse et s'étaient abritées dans le port de Bergen en Norvège. Le vainqueur essaya d'abord inutilement de les capturer par la force ou par la connivence des Danois (août). De Witt vint lui-même avec une flotte de guerre pour les délivrer. Une tempête décida en faveur des Anglais, de Witt eut sa flotte dispersée, et l'ennemi s'empara de huit bâtiments de guerre et de vingt-deux autres navires, parmi lesquels les plus riches de la compagnie des Indes[7].

La supériorité acquise aux Anglais décida Louis XIV à parler. Il déclara que, si la paix ne pouvait se faire aux conditions proposées par lui, il était résolu de prêter sa garantie aux États généraux[8]. Un événement grave et depuis longtemps attendu le décida à agir. Le roi d'Espagne, Philippe IV, son beau-père, mourut le 17 septembre 1665, laissant pour héritier un enfant de quatre ans, sous la tutelle d'une mère allemande et du jésuite Nithard. C'était le cas de soulever la question de ses droits à la succession d'Espagne. Sa femme, sa mère, toutes deux princesses de la maison d'Autriche, en parlèrent immédiatement à l'ambassadeur espagnol. Il s'agissait, sinon de la monarchie, au moins de certaines provinces, sur lesquelles un droit de dévolution donnait des titres à la fille aînée, préférablement à un fils né du second mariage. La réponse de la régente d'Espagne, véritable refus, fit pressentir la résistance de ce côté, et une guerre de la part de la France. Louis XIV, qui voulait cette guerre, voulait à la fois rappeler ses droits à l'Europe et dissimuler ses intentions, se préparer pour la lutte, et dérouter l'opinion sur l'objet de ses préparatifs. Il ne trouva rien de plus favorable à ce plan que d'agir pour les Hollandais, de se donner l'apparentée du désintéressement personnel et du dévouement à ses alliés. L'aveu en est clair et net dans ses Mémoires ; il déroule, avec l'aisance qui lui est habituelle, toute la suite de ses calculs. De deux guerres qui se présentent à faire en même temps, l'une à l'Angleterre en faveur de la Hollande, l'autre à l'Espagne par le droit de dévolution, il se décide pour la guerre contre l'Angleterre, quoiqu'elle ne lui offre aucune conquête sérieuse, parce que, sous prétexte de la guerre d'Angleterre, il disposera ses forces et Ses intelligences pour commencer plus heureusement celle de Flandre, empêchera les Anglais de s'unir à l'Espagne, engagera peut-être les Hollandais dans ses intérêts par une preuve de bonne foi, en commençant la guerre pour eut, et qu'il lui sera glorieux devant toutes les nations de la terre qu'ayant d'un côté ses droits à poursuivre et de l'autre ses alliés à protéger, il ait été capable de négliger ses intérêts pour entreprendre leur défense[9].

L'action contre l'Angleterre fut d'abord indirecte. Le roi négocia pour assurer des alliés à la Hollande. Il ne combattit ouvertement que l'allié de l'Angleterre, l'évêque de Munster, qui venait d'envahir les Provinces-Unies par suite d'un traité avec Charles II. Bernard Van Galen, évêque monstrueux, inventeur de nouveaux engins de destruction, se faisait gloire de ne pas connaître la pitié et l'interdisait à ses soldats. Ses troupes, formées d'aventuriers de toute provenance, ne se proposaient que le pillage, leur meilleur solde, et l'ivrognerie, ce grand plaisir germanique dont il donnait l'exemple. Il réclamait des Hollandais la terre de Borkelo ; il leur reprochait d'avoir profité d'une querelle entre le comte d'Ost-Frise et le prince de Lichtenstein pour pénétrer dans ses terres. Ces griefs, fortifiés par un subside anglais, le portèrent sans délai à lancer 18.000 hommes sur les Provinces-Unies. Il ravagea horriblement Over-Yssel, Drenthe et Groningue. À la requête de Van Beuningen; Louis XIV envoya contre lui un corps de six mille hommes commandé par Pradel, le vainqueur d'Erfurth (octobre 1665). Quoique la discipline ne fût pas bien observée par tous, comme s'en plaignent les Hollandais[10], et comme l'intendant de l'armée lui-même en convient[11], les ordres inflexibles de Louis XIV pour la répression des coupables, et ses excitations incessantes aux opérations aetii.es menèrent vite la campagne à sa conclusion. J'ai grande envie, écrivait-il, que mes troupes ne demeurent pas inutiles. Il n'y a rien de plus important que d'incommoder de toutes manières l'évêque de Munster soit en ravageant son pays, et enlevant les hommes et les bestiaux, soit en harcelant ses gens sans relâche pour les attirer à quelque combat, soit en lui surprenant ou lui attaquant quelque poste ; ce qui ne me parait pas plus difficile, durant la gelée, que de camper dans la neige comme j'apprends que vous faites. Il n'entendait pas qu'on ménageât ses corps d'élite. Ne laissez pas en arrière mes gardes, mes mousquetaires, ni la compagnie de mon fils. Je croirais leur faire tort, si je ne vous disais que j'entends qu'ils soient employés par préférence dans tout ce qu'il y aura de difficile, d'extraordinaire, de périlleux et de fatigant. Le zèle avec lequel ils me servent mérite bien qu'on les choisisse pour donner l'exemple[12]. Sous cette impulsion, grâce à la supériorité de troupes régulières sur des bandes de ravageurs, l'évêque de Munster fut bientôt mis hors de combat. Une résistance tentée à Lochem par les plus tenaces de ses soldats fut dissipée en trois jours par la prise de cette bicoque et la capture de ses défenseurs (15 décembre). Une autre affaire à Bockolt, où le régiment du roi fit très-bien, termina les opérations militaires (janvier 1666).

A ce secours public dont le parlement d'Angleterre commençait à s'émouvoir, la diplomatie en ajoutait un autre qui ne devait pas moins protéger le territoire des Provinces-Unies. Le roi accommodait le Danemark avec la Hollande pour fermer la Baltique aux Anglais. Cent mille écus donnés au roi de Danemark et un collier de prix à la reine avaient facilité l'arrangement. Le marquis de Pomponne, envoyé en Suède[13], réclamait le concours de cette puissance contre l'évêque de Munster, et lui offrait la perspective honorable de rétablir le calme en Europe ; la proposition était appuyée d'un présent considérable pour la reine régente, et d'un autre pour le chancelier Magnus de la Gardie. Si la Suède résistait par jalousie contre le Danemark, par défiance des desseins de la France sur la Pologne, l'électeur de Brandebourg se laissait gagner par Colbert de Croissy, l'électrice et les ministres se montraient sensibles aux libéralités du roi. Je ne doutais pas, dit Louis XIV, que ces princesses, contre les intérêts généraux de leurs États, ne se sentissent honorées en leur particulier du soin que je prenais de rechercher leur amitié[14]. L'expédient réussit aussi bien du côté du Brandebourg qu'en Danemark ; l'électeur promit d'entretenir à ses frais dix mille hommes pour la défense des Provinces-Unies. Ce fut cet engagement qui empêcha Bernard Van Galen de se remettre en campagne et le décida à traiter avec la république. (Traité de Clèves, avril 1666.)

Avant même que ce traité fût conclu, le second acte de l'intrigue avait commencé, et l'intérêt croissait sensiblement. Le 26 jubiler 1666, Louis XIV déclara directement la guerre à l'Angleterre. Il avait déjà ordonné à Beaufort de passer de la Méditerranée dans l'Océan. Toujours défiant de la capacité de l'amiral, il lui écrivit pour lui donner du cœur[15] : Mes armes ayant toujours été victorieuses sur terre, j'espère qu'elles ne seront pas moins heureuses sur la mer, et même en cette conjoncture où elles sont entre vos mains. Colbert s'empressa d'organiser la course, sur les côtes de Bretagne par les soins du duc de Mazarin et l'activité des armateurs de Saint-Malo, dans la région de Rochefort par des ordres à l'intendant de cette ville et la recommandation de s'entendre avec les Bretons afin de tourmenter davantage l'ennemi. Toujours impatient d'avoir des victoires pour justifier ses créations maritimes, et fidèle à son système d'animer incessamment l'ardeur de ses subordonnés, il lançait à Beaufort de vives excitations à faire quelque action éclatante pour le service du roi ; il lui citait, comme modèles, des combats partiels où les Français avaient triomphé, de petits vaisseaux marchands vainqueurs du nombre ou de la supériorité des bâtiments anglais[16]. Il fit vis-à-vis des Hollandais une démarche qui devait les convaincre des intentions de la France. Il leur demanda, en les payant, six bons vaisseaux tout prêts à mettre en mer. Il leur proposa de plus d'en bâtir douze à frais communs, entre lesquels le roi se réserverait le choix. Au même moment le résident français à Stockholm était pressé de former un grand atelier, soit à Hambourg, Lubeck, Neustadt ou Copenhague, et d'acheter les bois nécessaires pour construire quinze on vingt vaisseaux dans l'espace de cinq on six ans[17]. L'assistance donnée aux alliés était pour le restaurateur de hi marine française l'occasion de poursuivre et achever son œuvre.

Qui aurait pu croire que la résolution de Louis XIV ne fait pas de soutenir efficacement les Hollandais ? Ce n'était pourtant qu'une illusion que les événements ne tardèrent pas à dissiper pour les alliés, et dont lui-même il convient. Le véritable dessein de Sa Majesté Très-Chrétienne, dit Basnage[18], était d'animer les deux puissances maritimes l'une contre l'autre, afin de ruiner leurs forces et leur commerce, et de s'élever sur les ruines ou sur l'affaiblissement de ces deux États. Ce prince fit assez connaître ses intentions en séparant sa flotte de celle de la Hollande, tellement qu'elle n'essuya pas un coup de canon.... C'était le conseil de M. de Lyonne dont l'opinion était qu'il fallait laisser les deux nations s'entre-détruire, regarder le jeu de loin, souffler adroitement le feu, faire beaucoup de bruit du secours qu'on promettait, en donner de légers lorsque le besoin le demanderait, et laisser tout le fardeau de la guerre sur les Hollandais jusqu'à ce qu'ils fussent hors d'état de s'opposer aux desseins de la France sur les Pays-Bas. On avait en conséquence dressé les instructions de Beaufort. Il avait ordre de se régler sur k sort des batailles. Si les Hollandais remportaient la victoire, il devait se joindre à eux ; si leurs vaisseaux battus et dispersés se retiraient sur les côtes de Bretagne, il devait encore les joindre, les rassembler et aller conjointement avec eux combattre les Anglais ; mais si la flotte anglaise avait une trop grande supériorité, il devait mettre en sûreté celle de France. Ce jugement d'un Hollandais serait. à bon droit suspect de préventions politiques et religieuses, s'il n'était confirmé par la marche des événements et par les Mémoires de Louis XIV.

D'abord sous prétexte qu'une flotte anglaise était entrée dans la Méditerranée, et que les vaisseaux français n'étaient pas tous prêts, Beaufort fut autorisé à ne quitter Toulon que dans les premiers jours d'avril. Quand il fut enfin entré dans l'Océan avec trente-deux vaisseaux, il s'arrêta en vue des côtes du Portugal. Le roi, pour retenir le Portugal dans ses intérêts, avait décidé Alfonse VI à épouser Mme de Nemours. Sous prétexte que les Anglais menaçaient d'enlever cette princesse sur mer, Beaufort eut ordre de ne pas dépasser les parages de la Galice avant qu'elle fût arrivée à Lisbonne. Cependant les Hollandais impatients de combattre cherchaient leurs ennemis plus tôt qu'on ne s'y était attendu. Un faux bruit s'étant accrédité que Beaufort était déjà arrivé à Belle-Isle, vingt vaisseaux anglais se détachèrent pour aller le combattre. Les Hollandais profitèrent de l'affaiblissement du nombre de leurs adversaires, et le 11 juin 1666[19], ils entamèrent contre le reste de la flotte anglaise la bataille de North-Foreland, qui dura quatre jours. Ruyter v fut admirable par sa tranquillité d'esprit, par le sang-froid et la précision de ses ordres et de ses manœuvres ; il était l'âme de ce grand corps, la main qui battait la mesure pour faire jouer de concert les redoutables instruments de plusieurs milliers de canons[20]. Tromp mérita la réputation du plus vaillant homme ; il changea quatre fois de vaisseau, comme on change de cheval dans une bataille sur terre[21]. A la fin du troisième jour, la victoire était acquise aux Hollandais. Le lendemain, les vaisseaux anglais, qui revenaient de la recherche de Beaufort, essayèrent inutilement de raviver la lutte, et de ramener l'avantage de leur côté ; Ruyter soutint heureusement trois attaques successives, et finit par mettre l'ennemi en déroute. Un épais brouillard sauva seul les vaincus. Les Anglais avaient perdu vingt-quatre vaisseaux ; les Hollandais quatre seulement.

Louis XIV annonça cette victoire de ses alliés à Beaufort, lui en faisant un motif d'émulation. Néanmoins Beaufort ne se pressait pas de quitter les mers de Portugal. Quelques semaines après la grande bataille, les Hollandais et les Anglais se cherchaient de nouveau (juillet et août 1666). Ruyter ferma pendant plusieurs semaines la Tamise ; les Anglais à leur tour vainqueurs lui rendirent blocus pour blocus, et brûlèrent entre les îles de Vly et de Schelling 140 bâtiments de la marine marchande hollandaise ; aucun vaisseau français ne parut dans ces rencontres. Enfin, dans les derniers jours d'août, Beaufort était à La Rochelle. Pour apaiser les plaintes que son inaction avait soulevées en Hollande, Louis XIV avertit les Hollandais que sa flotte était prête à se joindre à eux. Il envoya à Ruyter l'ordre de Saint-Michel, une chaîne d'or, son portrait orné de diamants, et le bref et d'une pension de douze mille livres, le tout motivé par les grands services que l'amiral rendait à ses bons alliés[22]. Mais la jonction promise ne fut que tentée, jamais exécutée. Les Hollandais devaient venir à la rencontre de Beaufort ; comme ils étaient en marche, une maladie de Ruyter les obligea à se mettre en sûreté dans une rade près de Boulogne. Beaufort réduit à ses seules forces, grâce à un coup de vent qui écarta la flotte anglaise, arriva sans encombre à Dieppe. Sa position devenait périlleuse, s'il avait à supporter seul l'attaque des Anglais. Louis XIV pressa les Hollandais de le joindre et lui prescrivit à lui-même de quitter la rade de Dieppe. Mais les vaisseaux hollandais venaient d'être maltraités par un orage ; ils se hâtèrent de rentrer dans leurs ports. Beaufort fut assez heureux pour reprendre sans opposition sérieuse la route de Brest. Un seul de ses vaisseaux, le Rubis, détaché de l'escadre par un coup de vent, tomba au milieu des Anglais. Il fut pris, mais sa résistance avait été si glorieuse que Sa Majesté vit avec plaisir, par ce petit essai, de quoi sa flotte était capable (septembre). Le mois d'octobre mit fin il la campagne[23].

Sur d'autres points, la guerre déclarée par la France à l'Angleterre n'avait pas profité davantage à la Hollande. La rivalité s'était fait sentir rependant jusqu'en Amérique. On sait que l'île de Saint-Christophe dans les Antilles appartenait par moitié à la France et à l'Angleterre. Le gouverneur de la partie anglaise ayant attaqué le premier, les Français, par droit de défense, lui enlevèrent son territoire, et prirent même les îles de Monserrat et d'Antigoa. Des tentatives d'un attire genre, au cœur même de l'Angleterre, n'aboutirent pas non plus a un résultat sensible. L'intolérance de l'Église anglicane entretenait dans le royaume des mécontentements qui pouvaient saisir dans la crise présente l'occasion de se produire. Les Hollandais avaient des intelligences en Écosse, et parmi les presbytériens en Angleterre. L'Irlande catholique n'avait pas cessé de souffrir de la tyrannie de ses conquérants. Louis XIV ne dédaigna pas ces moyens d'inquiéter l'ennemi. Il entretenait des pensionnaires en Irlande pour soulever les catholiques ; il entra en négociations avec certains transfuges d'Angleterre, parmi lesquels Algernon Sydney qui déjà avait offert ses services aux États de Hollande. Que ne peut la politique, et dans quelle contradiction ne tombent pas, par appétit du succès, les esprits en apparence les plus fermes dans les principes ! Louis XIV, ce champion intraitable de l'inviolabilité des rois, ne craignait pas de faire servir à ses desseins, non-seulement des conspirateurs, mais encore les meurtriers d'un roi, de Charles Ier, son proche parent. Je promettais, dit-il lui-même, de fournir des sommes notables pour faire revivre les restes de la faction de Cromwell. C'est qu'il faut incommoder ses ennemis de tous côtés, dit-il encore[24]. Ces menées inquiétèrent plusieurs fois Charles II et le Parlement. Mais Sydney demandait trop, et promettait trop peu en retour. Il lui fallait avant tout cent mille écus. Le roi crut que c'était trop hasarder sans voir aucun effet, il débattit la somme, proposa vingt mille livres pour commencer, et laissa ensuite tomber le marché.

Son grand projet était la guerre de Flandre. Pour en assurer les avantages, il négociait au dehors contre l'Autriche, il accumulait au dedans.les moyens de victoire. L'empereur n'était pas moins son adversaire que le roi d'Espagne, parce que l'empereur, prince autrichien, n'avait pas moins d'intérêt à prévenir la conquête des Pays-Bas. C'est encore Louis XIV qui nous expose ici l'activité de sa diplomatie. Les émissaires français travaillaient les princes de Cologne, de Mayence, de Neubourg, de Brunswick, et les autres voisins du Rhin, pour les disposer à ne pas permettre le passage aux troupes de l'empereur vers la Flandre. L'antipathie des Hongrois pour l'Autriche n'était pas moins bonne à exploiter ; le roi entretenait donc une secrète intelligence avec le comte de Serin, afin d'avoir quelque trouble tout prêt en Hongrie dans le cas d'une guerre avec l'empereur. Il poursuivait son projet de faire élire en Pologne un prince français, le duc d'Enghien ou plutôt le grand Condé lui-même. C'était le plan du roi Jean-Casimir aide sa femme Marie de Gonzague, tandis que le grand-maréchal Lubomirski offrait la couronne à l'empereur pour le duc de Lorraine son favori, ou au fils de l'électeur de Brandebourg, et que le czar de Russie la réclamait pour son propre fils par cette raison qu'il importait de réunir en un seul État tout ce qui portait le nom de Sarmate[25]. Cette première apparition du panslavisme est trop curieuse à cette époque primitive pour n'être pas mise en vue ; mais elle inquiétait moins Louis XIV que la perspective de laisser tomber la Pologne sous l'influence de l'Autriche. Il pressait donc la Suède de contribuer à ses desseins, d'envoyer des troupes en Pologne pour appuyer l'élection d'un prince français ; et, prévoyant une révolte de Lubomirski, il faisait passer à Jean-Casimir d'abord deux cent mille livres, et quelque temps après une somme plus forte[26]. Ce sont là les millions d'or pour la Pologne dont Colbert est si prodigue dans le mémoire présenté art roi contre les dépenses inutiles (Voir ch. XVI, § VI).

A l'intérieur, toujours sous le prétexte de la guerre de mer, les recrues, les mouvements de troupes, les fabrications d'armes, les constructions de vaisseaux, se multipliaient avec un entrain qui fascinait tous les veux. Le roi annonçait à ses courtisans (juin 1666) que, depuis deux ans, il avait fait fondre en France 1.600 pièces de canon, et 800 en Danemark[27]. Il s'attribuait à lui-même le soin de pourvoir dorénavant à la nourriture de ses troupes, et formait pour cet objet de grands magasins de vivres. II faisait des revues par Turenne ou par lui-même, pour constater l'état de ses forces, le degré d'instruction de ses soldats (janvier, mars, juin). Louvois, qui commence à figurer dans cette organisation, écrivait d'un ton triomphant que l'effectif des armées se montait à soixante-douze mille hommes. Les plaisirs mêmes contribuaient à ce développement militaire. A la prière des dames de la cour, curieuses de voir un campement, le roi ordonna une revue de cavalerie, et commanda tout exprès des tentes de toutes couleurs, pour ces aimables invitées, comme s'il ne se fût agi que d'une manœuvre de plaisance ou d'une fête chevaleresque. Mais cette revue — c'est lui qui parle — n'était qu'une occasion de faire de nouveaux préparatifs sans donner soupçon de l'affaire de Flandre. Ses magasins de vivres, établis du côté de la Flandre, dans les villes maritimes, ou dans celles de l'intérieur les plus rapprochées du nord, ne servaient en apparence qu'à fournir toutes les choses nécessaires à ses vaisseaux, et même aux Hollandais au fond c'était, sous prétexte du voisinage des farines, une manière de réunir en Picardie et eu Champagne une armée de cinquante mille hommes tout portés pour envahir le territoire espagnol au premier ordre. Comment l'Espagne se serait-elle doutée de ses intentions ? Il l'entretenait alors de propositions pacifiques, d'un traité de commerce qui excluait toute pensée de guerre, et cependant il envoyait un agent fidèle visiter les villes de Flandre, en relever l'assiette et les fortifications ; pour plus de sûreté encore, il faisait vérifier par un second visiteur le rapport du premier. L'un des deux était Vauban[28].

L'illusion était si bien ménagée, que Colbert lui-même y fut pris. Il ne vit dans ces revues, dans cet appareil de fanfares, qu'une vanité de jeune souverain, une intrigue de jeune ministre, et il tenta de s'y opposer. Entre les remontrances qu'il adressait alors à Louis XIV, il rangea, parmi les dépenses inutiles et ruineuses, les marches continuelles de troupes qui épuisaient les provinces et dégoûtaient les peuples. La guerre de mer pour la Hollande, écrit-il, étant la plus importante, la guerre de terre peut bien souffrir quelque diminution de dépense dans un temps où elle n'est pas nécessaire. Il impute cet excès à l'ambition et à la jalousie de Louvois, ce jeune homme de vingt quatre-ans, sans expérience, qui croit qu'il est de la dignité de sa charge de ruiner le royaume, et qui veut le ruiner parce que je veux le sauver. Pour dernier argument, il déclare au roi que ces évolutions belliqueuses commencent à soulever des plaintes et des satires. Il est bon que Sa Majesté sache qu'il circule des libelles contre l'emploi de son temps ; dans ces libelles, on lit : Louis XIV donnera les grandes marionnettes dans la plaine de Moret. Un autre a pour titre : Parallèle des sièges de la Rochelle et de Moret faits par les rois Louis XIII et Louis XIV[29]. Nous ne trouvons nulle part que le roi se soit fâché de la liberté de son serviteur ; bien au contraire, il dut se féliciter d'être si mal compris. Colbert dupé lui prouvait suffisamment que personne n'avait pénétré ses desseins. Toutefois l'attention était éveillée ; on causait beaucoup, comme on cause en France, de ce grand appareil de guerre ; entre les conjectures qui se produisaient, quelques observateurs trouvaient le mot de l'énigme. Il y a des gens, disait Olivier d'Ormesson[30], qui croient que toutes ces revues se termineront à quelque entreprise sérieuse sur la Flandre.

Dès qu'il crut ses préparatifs suffisamment terminés, vers la fin de 1666, le roi n'eut plus d'autre pensée que de finir l'affaire de mer, comme il appelait sa participation à la querelle de la Hollande, et de se rendre par là le libre usage de toutes ses forces contre l'Espagne. Il y avait bien quelques difficultés à annoncer trop vite et trop haut son dessein de conclure la paix ; le danger de mettre les Espagnols sur leurs gardes, de faire espérer aux Anglais des conditions trop avantageuses, de ranimer le zèle des Hollandais pour la lutte, par la crainte de voir les Français s'établir dans leur voisinage. Les Hollandais en effet accueillirent froidement ses premières propositions ; alors il commença à nouer des négociations secrètes avec l'Angleterre. Dès que les Hollandais soupçonnèrent qu'il se préparait à traiter sans eux avec l'ennemi commun, ils en firent des plaintes retentissantes. A son tour il se récria avec dédain contre une aussi grave insulte à sa bonne foi. A l'entendre, de pareilles machines devaient être jugées par la boutique où elles se fabriquaient, Londres ou Bruxelles. Non, il n'avait aucune intention de rentrer en paix ni en aucune amitié avec le roi d'Angleterre sans les Provinces-Unies et sans le roi de Danemark. D'Estrades pouvait y engager son propre honneur et sa propre vie sans rien hasarder. Ne voyait-on pas, aux travaux qui s'exécutaient à Brest et à La Rochelle, sa ferme résolution de continuer la guerre, si on ne pouvait obtenir une bonne et sûre paix[31] ? Malheureusement, à côté de cette correspondance faite pour la publicité, les Mémoires du roi confessent que les nouveaux vaisseaux de Brest et les nouveaux canons étaient destinés à la guerre de Flandre. Ils révèlent en outre que le Français Ruvigny allait à Londres s'entendre avec le comte de Saint-Alban, confident de Charles II et de sa mère[32], et que quelque temps après, sous prétexte de voir cette princesse, Saint-Alban apportait en France les pouvoirs nécessaires pour terminer entièrement le traité de paix que Louis XIV méditait de faire avec le roi de la Grande-Bretagne. La reine mère d'Angleterre, alors à Paris, était un intermédiaire bien commode à la dissimulation des deux contractants ; elle recevait comme affaires de famille les lettres de son fils et les faisait passer à Louis XIV, les lettres de Louis XIV et les faisait passer à son fils[33], sans qu'on prit soupçonner dans ce commerce aucune intention politique. Au mois d'avril, les deux souverains échangeaient par écrit, entre les mains de cette princesse, l'un la promesse de rendre à l'Angleterre ses îles d'Amérique, l'autre l'engagement de ne faire pendant un an aucun traité contre la France. De ces menées il résulte bien évidemment que, si le roi n'avait pas l'intention de faire seul, sans les Hollandais, le traité définitif, il s'entendait au moins avec le roi d'Angleterre sur les conditions que de concert ils pourraient accorder ou imposer.

La proposition d'entamer des négociations pour la paix avait bientôt divisé les Provinces-Unies. Le parti de Witt voulait continuer les hostilités comme un moyen de se rendre nécessaire, et surtout comme une garantie contre le rétablissement (lu prince d'Orange dans les dignités de ses ancêtres. Mais ce parti fut le plus faible. Quatre provinces se prononcèrent pour la paix, il fallut bien déférer à ce vote ; et après quelques débats sur le lieu d'un congrès, on convint de Bréda. En cédant sur le fond, de Witt contesta sur les moyens. L'Angleterre proposait, comme préliminaire naturel, un armistice. De Witt fit repousser cet expédient comme inutile, attendu qu'il faudrait un temps aussi long pour fixer les conditions de l'armistice que pour déterminer celles de la paix. Tout en négociant, le grand-pensionnaire se réservait le droit de combattre jusqu'à la dernière extrémité. Devant cette nouvelle contradiction, Louis XIV voulut se conserver l'apparence d'une fidélité inaltérable à l'alliance de la Hollande. Le 5 mai 1667, la France et la Hollande signèrent une convention pour la jonction prochaine de leurs flottes. Par le vent d'est, ce serait la flotte hollandaise qui viendrait au-devant de celle de France ; par le vent d'ouest, ce serait la flotte du roi qui irait au-devant de la flotte hollandaise. On éviterait avant la jonction, autant que l'honneur pourrait le permettre, toute lutte inégale avec les Anglais ; mais soit avant, soit après la jonction, on incommoderait l'ennemi selon les occasions[34]. Ainsi la France n'acceptait pas non plus l'armistice, et se montrait résolue jusqu'à la dernière heure à ne pas traiter sans les Hollandais. Mais, avant même le jour fixé pour la jonction des deux flottes, Louis XIV avait envahi la Flandre ; les vaisseaux français ne se montrèrent nulle part, les Hollandais restaient seul, chargés du poids de la guerre.

Ils la terminèrent par un exploit considérable. Profitant du mauvais état de la flotte anglaise, Rus-ter entra subitement dans la Tamise jusqu'à Gravesend, et atteignit les chantiers de Chatam sur la Medway (juin 1667). Les vaisseaux anglais, quoique garnis d'hommes et de cations, manquaient de mâts de hunière et de voiles. Ils furent pris ou brûlés. Quinze ou seize n'échappèrent au vainqueur que parce que les Anglais les enfoncèrent eux-mêmes. Pendant six semaines Ruyter parcourut la Manche à son gré, après avoir remonté triomphalement et sans résistance sérieuse les rivières d'Angleterre. L'orgueil anglais était profondément mortifié ; mais les vainqueurs commençaient à s'inquiéter des succès rapides des Français en Flandre. Ils ne mirent plus d'obstacle à la conclusion de la paix qui fut signée en trois traités, le 31 juillet 1667[35].

Par le premier traité, l'Angleterre rendait à la France l'Acadie (Nouvelle-Écosse) dont le roi Très-Chrétien avait joui autrefois, et les îles, pays, forteresses et colonies que la France possédait au Nouveau Monde avant le 1er janvier 1665. La France rendait à l'Angleterre la partie de l'île Saint-Christophe que les Anglais possédaient avant le 1er janvier 1665, et les îles d'Antigoa et de Montserrat. Il ne fut question ni du salut maritime, ni du nom de mer Britannique que les Anglais prétendaient donner à la Manche, parce que la France n'entendait à aucun prix saluer les vaisseaux anglais, ni reconnaître à la nation anglaise la souveraineté d'une mer commune aux deux peuples[36].

Par le second, entre la Hollande et l'Angleterre, sont renouvelées les conditions du traité de 1662, relatives à l'extradition des meurtriers de Charles Ier, à la restitution des meubles de Charles II, à l'engagement réciproque de ne pas exercer la piraterie. et de ne pas donner asile aux pirates et aux voleurs. Chaque nation garde les pays dont elle est en possession, ce qui confirme aux Anglais la propriété des nouveaux Pays-Bas (New-York), aux Hollandais l'ile de Pulo-Ron qu'ils avaient injustement détenue en dépit du traité précédent. Par une dérogation considérable à l'Acte de navigation, les Hollandais pourront introduire, sur leurs vaisseaux, en Angleterre, les produits de la hante et de la basse Allemagne, apportés par les fleuves jusqu'aux ports des Provinces-Unies. La Hollande, moins fière que la France, accepte de saluer les vaisseaux anglais dans les mers Britanniques.

Par le troisième traité, la réconciliation se fait entre le Danemark et l'Angleterre, aux conditions des anciens rapports existant entre les deux États[37].

La Hollande célébra avec enthousiasme la paix de Bréda, quoiqu'elle eût fait tant d'efforts pour en retarder la conclusion. On frappa une médaille où elle s'attribuait tout l'honneur de la pacification générale. Louis XIV n'est pas le seul, au XVIIe siècle, qui ait pris le soin d'expliquer et d'imposer sa gloire aux admirations complaisantes ou rebelles. Les vanités nationales lui ont fait une guerre de devises et d'emblèmes non moins opiniâtre que celle des armes. Ainsi, c'était d'un côté Neptune apaisant les flots avec cette devise : Sic totus pelagi recidit fragor ; de l'autre, la ville de Breda et deux Amours soutenant les armes d'Angleterre, de Suède, de Danemark et de Hollande, avec ce vers de Virgile : Nulla salus bello, pacem te poscimus omnes.

Les événements qui s'accomplissaient en ce moment même dans son voisinage lui préparaient, pour l'année suivante, l'occasion de se poser encore plus fièrement comme l'arbitre du monde.

 

 

 



[1] Lingard, tome XII.

[2] Basnage, Histoire des Provinces-Unies, 1664.

[3] Le traité de 1662 disait : Intra anni spatium.

[4] D'Estrades le dit expressément : Sans attendre que, selon la disposition du 14e article de 1662, le terme d'un an fût passé, pendant lequel le roi de la Grande-Bretagne devait donner réparation de l'entreprise du chevalier Holmes.

[5] Lettre à d'Estrades, août 1665.

[6] Basnage, Histoire des Provinces-Unies, 1663.

[7] Lingard, tome XII. — Basnage, 1665.

[8] Lettre à d'Estrades, 17 août 1665.

[9] Mémoires de Louis XIV pour 1666. — Premières lignes.

[10] Basnage.

[11] Voir Rousset, Histoire de Louvois, t. I, ch. II.

[12] Lettre de Louis XIV à Pradel, 25 décembre 1665.

[13] Mémoires du marquis de Pomponne. Ambassade de Suède.

[14] Mémoires de Louis XIV, 1666. Tous ces faits sont rapportés au mois de janvier 1666, par le journal qui sert de base aux Mémoires.

[15] Lettre à Beaufort, 16 février 1666.

[16] Colbert, à l'intendant de Rochefort, janvier 1666 ; à Beaufort, février 1666.

[17] Lettres de Colbert à Courtin, 1666.

[18] Basnage, Histoire des Provinces-Unies.

[19] Les Anglais disent le 1er juin ; les Français disent le 11. Cela tient à la différence des calendriers. Le grégorien n'était pas encore universellement adopté dans les pays protestants.

[20] Basnage.

[21] Mémoires du marquis de Pomponne.

[22] Mémoires du marquis de Pomponne.

[23] Mémoires de Louis XIV, 1666. Mémoires du marquis de Pomponne.

[24] Mémoires de Louis XIV, 1666. Voir également, à la date de juillet, la note du journal.

[25] Mémoires du marquis de Pomponne. Ambassade de Suède.

[26] Mémoires de Louis XIV, 1666.

[27] Mémoires de Louis XIV. Note du journal, juin 1666.

[28] Tiré presque mot à mot des Mémoires de Louis XIV.

[29] Mémoire de Colbert à Louis XIV, 22 juillet 1068.

[30] Journal d'Olivier d'Ormesson, précisément à l'époque de la revue de Moret.

[31] Lettre à d'Estrades, 24 décembre 1666.

[32] On croit que le comte de Saint-Alban était le second mari de la reine mère.

[33] Lettre de Louis XIV à de Lyonne, 18 avril 1667 : Vous rendrez demain, au matin, à la reine mère du roi d'Angleterre la lettre ci-jointe que je lui écris, et vous lui direz aussi de ma part que mercredi, au sortir du palais, je ne manquerai pas d'aller chez elle pour lui confirmer les paroles que je donne par la même lettre, et recevoir en même temps celles qu'elle a pouvoir de me donner. — Œuvres de Louis XIV, tome V.

[34] Dumont, Corps diplomatique.

[35] Lingard, tome XII. Mémoires du marquis de Pomponne. Basnage.

[36] Basnage.

[37] Dumont, Corps diplomatique.