HISTOIRE DU RÈGNE DE LOUIS XIV

PREMIÈRE PARTIE. — LA FRANCE POLITIQUE, RELIGIEUSE, LITTÉRAIRE SOUS MAZARIN (suite et fin)

 

CHAPITRE VIII. — Condé, chef de la guerre civile.

 

 

I. — Condé à Bordeaux. - Retour de Mazarin. - Mademoiselle à Orléans. - Bataille de Bleneau. - Impuissance de Condé à Paris. - Bataille du faubourg Saint-Antoine. - Feu de l'Hôtel-de-ville.

 

Condé, selon quelques contemporains, regardait la guerre civile comme un malheur et même comme un malheur au-dessous de lui. Il cédait à la pression de sa sœur, aux instances de sa famille, qui le menaçait de constituer un parti en dehors de sa direction. Singulière excuse, qui, pour atténuer le grief d'ambition et d'orgueil, dénonce au moins une faiblesse de volonté peu digne d'une âme aussi haute. Mais l'indécision ne fut pas longue ; car, selon les mêmes témoins, il déclara que s'il tirait l'épée malgré lui, il serait peut-être le dernier à la remettre dans le fourreau. Aussi bien il avait déjà préparé ses moyens d'attaque ; il avait établi des relations avec l'Ormée de Bordeaux. Cette assemblée tumultueuse, composée de menu peuple, agitait la ville depuis six mois pour y former une démocratie. Elle proclamait des réformes radicales, abolissant, entre autres abus, les procureurs et les avocats. Elle avait son sceau, sa devise ; elle tenait tête au Parlement. Un arrêt lui ayant enjoint de se dissoudre, elle le cassa, en ordonnant de courir sus à quiconque le publierait ; et c'était à ce moment même (juillet 1651) que, de sa retraite de Saint-Maur, le Prince lui avait écrit[1]. Aussitôt qu'il eut quitté Paris, laissant sa femme et son fils à Montrond, son frère et sa sœur à Bourges, il se rendit à Bordeaux, où l'accueillirent de grandes démonstrations d'affection et d'allégresse. Il se mit sous la protection du Parlement de &tienne, et fit chasser le premier président comme serviteur du roi. Il envoya en Espagne demander des secours, vaisseaux, argent et troupes, qui ne tardèrent pas beaucoup à venir. Il avait avec lui la Rochefoucauld et le duc de Nemours, gendre de Vendôme ; le premier, par le moyen de son agent Gourville, travaillait à faire disparaître le coadjuteur ; le second recevait la mission d'aller en Flandre chercher les troupes de Monsieur le Prince et celles d'Espagne pour occuper Paris.

Cependant, si la question se fût réduite à une révolte du Prince, la solution n'en eût été ni difficile ni lente. Son parti s'était bien affaibli par la division, et ses adversaires formaient une masse compacte. Turenne lui manquait. Ce grand homme, redevenu lui-même, mettait du côté de la cour son génie et son importance militaire. Le duc de Longueville refusait d'assister son beau-frère ; pendant que sa femme, devenue infidèle à la Rochefoucauld, éprise maintenant de Nemours, abritait ses désordres sous les troubles publics, Longueville, renfermé dans ses gouvernements, assurait la tranquillité de la Normandie, à la grande joie des habitants[2]. Le coadjuteur, menacé dans sa liberté et dans sa vie par les tentatives de Gourville[3], ne pouvait que se fortifier dans sa haine, et opposer aux assassins tantôt une clémence dédaigneuse, tantôt une vigilance féconde en expédients redoutables et imprévus. Aussi, dans les premiers jours, la cause royale ne manqua pas de soutiens. Ce fut un empressement général à faire partir le roi de Paris, à la poursuite du Prince fugitif. On ne songeait plus, comme quelques mois auparavant, à le retenir en otage. L'important était d'empêcher Condé de s'établir sur la Loire. La reine, rendue par là à une liberté qui était son meilleur gage de salut, ne perdit pas de temps. Sortie de Paris le 24 septembre, elle donna le commandement de l'armée de Guienne au comte d'Harcourt ; elle-même marcha sur Bourges, occupa la ville et abattit la tour ; Conti et sa sœur se sauvèrent à Montrond ; puis, l'armée royale les poursuivant toujours, ils reculèrent jusqu'à Bordeaux. La reine prit ensuite la route de Poitiers pour se rapprocher de la Guienne. D'Harcourt rentrait dans Cognac, battait les troupes de Monsieur le Prince à sa vue, et lui enlevait à lui-même une partie de son bagage ; il s'assurait de la Rochelle et de ses tours, dont le commandant était tué par ses propres soldats. En même temps une déclaration, envoyée par le roi au Parlement de Paris, dénonçait Condé comme criminel de lèse-majesté. Molé, toujours premier président, quoique garde des sceaux, fit enregistrer cette déclaration, malgré les clameurs de quelques coquins qui vinrent le menacer jusque dans sa maison. Condé essaya en vain de répondre qu'il avait pour lui l'autorité du Parlement de Bordeaux, que le Parlement de Bordeaux n'était pas moins dépositaire de l'autorité du roi que celui de Paris, que Monsieur le Prince était aujourd'hui dans les mêmes termes que M. le Prince de Conti prenant les armes trois ans plus tôt contre le cardinal Mazarin[4]. Cette théorie de la toute-puissance des parlements ne pouvait obtenir l'adhésion d'aucun esprit raisonnable. Outre qu'elle supprimait l'autorité royale, elle aurait eu pour premier effet de diviser la France en autant de souverainetés égales et hostiles qu'il y avait de grands centres judiciaires, sans arbitre supérieur pour les accorder.

Malheureusement, la reine, pas plus que ses alliés, n'avait dit sa pensée tout entière ; la disgrâce, la ruine de Condé n'était pour elle que le moyen de faire revenir Mazarin. En dévoilant trop tôt ce projet, elle donna un autre cours aux événements qui se déclaraient contre Monsieur le Prince ; elle s'aliéna ses auxiliaires, dont aucun, même les plus compromis par leurs promesses, ne consentait à subir un maître. Il n'y avait encore que le parti de Condé ; il y eut tout de suite le parti du coadjuteur qui entendait servir la reine sans accepter Mazarin ; le parti du Parlement de Paris qui, tout en condamnant le rebelle, proscrivit le favori ; le parti du duc d'Orléans qui, tout jaloux qu'il était du prince, redoutait encore plus le ministre. Du rapprochement ou des rivalités de ces factions, il va surgir une confusion plus inextricable peut-être que les précédentes, et, pour Condé, des ressources qui retarderont sa défaite. On n'en sortira que par la formation du parti des honnêtes gens, qui est toujours le dernier à se constituer, mais qui, par le nombre et le bon sens, dispersera tous les autres.

Dès le 2 octobre, Mazarin avait été rappelé secrètement, avec mission de lever des troupes que commanderait, sous lui, le maréchal d'Hocquincourt. A mesure que cette nouvelle transpira, se grossit, devint certaine, les esprits, d'abord inquiets, puis furieux, éclatèrent en démonstrations hostiles. Le Parlement de Paris, en l'absence du premier président, renouvela ses arrêts ; le 29 décembre, ordre aux communes de courir sus à Mazarin, de vendre sa bibliothèque et tous ses meubles, et, pour que rien ne manquât à sa condamnation, sa tête mise au prix de 150.000 livres. Le 2 janvier (1652), les autres parlements furent invités à prendre des mesures semblables, et trois conseillers délégués pour aller soulever les populations et disputer à l'envahisseur le passage des rivières. Le duc d'Orléans ne resta pas en arrière, et fit rappeler de l'armée royale les troupes qui lui appartenaient à lui-même, ses compagnies de gendarmes, de chevau-légers, ses régiments de cavalerie, pour les lancer à la rencontre du cardinal. Mais Ces efforts furent inutiles. Mazarin, parti de Sedan avec des mercenaires allemands, licenciés par suite de la paix de Westphalie, dispersa sans peine ces opposants mal conduits et encore mal soutenus pas les populations. A Pont-sur-Yonne, un des délégués du Parlement fut pris ; à Gien, les habitants refusèrent de recevoir les troupes d'Orléans ; le cardinal traversa la Loire sans difficulté, et le 28 janvier il rejoignait la cour à Poitiers. Son arrivée décida une nouvelle disgrâce de Châteauneuf, et le retour de Letellier et de Servien[5].

Alors éclata une fureur dent la guerre de Paris n'avait donné qu'un avant-goût. Ce ne fut pas seulement la question de savoir si le conseil du roi avait le droit de casser un arrêt du Parlement, si le conseil n'était qu'un comité consultatif, tandis que le Parlement, par les qualités mêmes de ses membres, représentait les trois ordres[6]. Ces théories spéculatives furent bien vite étouffées sous les provocations au meurtre, qui pullulèrent dans mille publications, tantôt avec l'emportement de la violence, tantôt avec le flegme homicide du raisonnement calme et froid. Un arrêt du Parlement avait mis à prix la tête du cardinal ; il s'organisa dans Paris une croisade pour la conservation du roi et pour la mort du ministre, qui ajoutait 100.000 livres à la somme promise par les magistrats. C'était en entendant chaque jour une des messes dites par les chapelains de la croisade, ou en récitant à la même intention un Pater et un Ave, qu'on se rendait digne de faire partie de l'entreprise[7]. Un écrivain (Marigny), commentant l'arrêt de la cour, indiquait, comme moyen d'exécution, plus de cent manières différentes de frapper la personne du proscrit, enseignait à l'attaquer sans qu'il pût se défier de l'intention, et proposait ces expédients à ses domestiques ou à quiconque approchait de lui. Un ton général de plaisanterie assaisonnait ces leçons et en couvrait l'odieux[8]. Mais bien plus atroces encore étaient les proclamations de ceux qui se vantaient de travailler pour Monsieur le Prince, et en particulier Dubosc-Montandré : Vive Dieu, s'écriait-il dans la Franche Marguerite, vive le roi, point de Mazarin ; main basse sur cette maudite engeance, point de quartier, tue, tue, tue..... Faisons carnage, disait-il dans le Point de l'ovale, sans respecter ni les grands ni les petits, ni les jeunes ni les vieux, ni les miles ni les femelles, afin que même il n'en reste pas un seul pour en conserver le nom. Alarmons tous les quartiers, tendons les chaines, renouvelons les barricades, mettons l'épée au vent, tuons, saccageons, brisons, sacrifions à notre vengeance tout ce qui ne se croisera pas pour marquer le parti de la liberté. Voyons que les grands ne sont grands que parce que nous les portons sur nos épaules : nous n'avons qu'à les secouer pour en joncher la terre. Ailleurs, et toujours pour servir Monsieur le Prince, et prouver qu'il fallait ôter la curatelle à la reine et la confier à Son Altesse Royale, aux princes et au Parlement, il s'attaquait à la mère du roi dans cet horrible langage : N'accusons pas la reine. Ses inclinations sont débauchées. ses sentiments sont violentés, son imagination est renversée, son esprit est troublé, ses sens sont tous effarés ; enfin, elle est possédée par le Mazarin..... Je lui proteste que, quand bien même notre mauvais destin lui ferait trouver une porte pour entrer dans Paris, il est encore trois cents braves qui s'en iraient le lui poignarder entre ses bras, pour le sacrifier, dans le plus fort de ses feux, à la vengeance publique[9].

En vain un dernier sentiment de pudeur protestait contre ces infamies, même chez les ennemis du cardinal. La Franche Marguerite et le Point de l'ovale étaient condamnés par le Parlement, avec défense à toutes personnes de les publier, débiter ou vendre, à peine de la vie[10]. Mais quelques jours après paraissait l'Apocalypse de l'État ou la Pierre de touche aux Mazarin. L'auteur, continuant à se réclamer du service de Monsieur le Prince, désignait les gens à tuer, et rassurait les massacreurs par la promesse de l'impunité. Pourquoi n'avait-on pas déchiré d'Harcourt ? Il ne serait pas aujourd'hui à la tête de l'armée qui combat les plus nécessaires appuis du peuple. Pourquoi n'avait-on pas saccagé et détruit la maison d'Elbeuf ? Les autres seigneurs de France n'auraient pas osé se mettre dans la brigade de voleurs du Sicilien. Pourquoi ne tirait-on pas à quatre chevaux ceux qui dans Paris même se déclaraient aujourd'hui pour le Mazarin ? Le reste se rangerait à son devoir. Les peuples peuvent exécuter dans cette rencontre, sans péril, ce que le Parlement ni les princes en leur particulier ne peuvent faire sans un juste sujet de crainte. Quand le peuple saccagera la maison du maréchal d'Hocquincourt, quand il traînera dans la rue un abbé d'Euzonat (intendant de Mazarin), quand il exercera toutes sortes de cruautés sur les mazarinistes, il n'a pas tant à craindre que si M. le duc d'Orléans ou le Parlement en avait fait pendre un seul. Dans ce dernier cas, la représaille serait dangereuse. Mais quand on sait que c'est une sédition populaire, on ajoute d'abord : il n'y a pas de remède ; il faut prendre patience et ne pas s'attirer leur haine ; car, après tant de tyrannie, ils ont raison de chercher leur soulagement par la perte de ceux qui font subsister le tyran. Haurit hinc populus tali de sanguine vitam. En vérité, après de telles doctrines, après ce secret révélé de la toute-puissance des séditions populaires, que restait-il à dire au peuple pour l'entraîner en toute sécurité aux dernières abominations ? La Révolution française n'a certes rien professé de plus formidable que cette théorie de l'impunité par la société anonyme.

A la faveur de ce dévergondage qui parfois les effrayait eux-mêmes, les rivaux de Mazarin organisaient leurs ressources. Orléans, poussé par sa fille, par les jansénistes qui lui promettaient la solde d'un corps d'armée[11], par le coadjuteur qui cherchait en lui un appui contre Condé, avait fait, dès le 20 janvier, sa déclaration pour réunir toutes les volontés contre le ministre. Il lançait dans les provinces de magnifiques promesses de réformes, plus capables de soulever l'ignorance publique pour sa cause, que raisonnables même à tenter. Il ne s'agissait pas de moins que de réduire les tailles à neuf millions, de dispenser les campagnes pour trois ans, de rappeler les intendants, d'organiser une milice avec des officiers élus, enfin de régler le prix de toutes les denrées usuelles, du sel et du charbon, par exemple[12]. Ces espérances retentissaient jusqu'aux extrémités du royaume. Dans le Languedoc, dont il était gouverneur, une partie de la province, Montpellier, Agde, Aigues-Mortes, s'insurgeaient contre le roi. A Pont-Saint-Esprit, un gentilhomme et le curé mettaient, par un tour subtil, la garnison à la porte.

Le coadjuteur atteignait enfin l'objet tant désiré ; il était préconisé cardinal (18 février 1652). Les influences le plus opposées avaient concouru à cette nomination. Mazarin l'avait présenté officiellement, mais comme il faisait désavouer tout bas la présentation, Innocent X, qui se souvenait d'Orbitello, avait pris plaisir à nommer l'ennemi de Mazarin[13]. Le candidat avait dû se purger du soupçon de jansénisme que lui imposaient naturellement ses relations connues avec Port-Royal, mais en même temps ses amis avaient répandu l'opinion qu'il serait bien capable de se mettre à la tête des jansénistes, si on lui refusait le chapeau, et cette crainte avait, autant que sa déclaration d'orthodoxie, contribué à son succès. Le grand-duc de Toscane, protecteur de la maison de Gondi, n'était pas demeuré inactif, et Sa Majesté catholique, en guerre avec la France, n'avait pas cru inutile à ses intérêts d'appuyer un adversaire du ministre qui ne voulait pas céder à l'Espagne. Ainsi Gondi devenait le cardinal de Retz ; nous l'appellerons désormais de ce nom ; maintenant l'égal de Mazarin, il croyait avoir, dans les prérogatives de sa dignité nouvelle, l'arme la plus capable de lui conquérir encore la supériorité. Toutefois, il ne fera pas à la cour autant de mal qu'il se le proposait lui-même. S'il était jaloux de Mazarin, il haïssait Monsieur le Prince. Partagé entre ces deux sentiments, et combattant à la fois le rebelle et le favori, il servira malgré lui le ministre en s'opposant à l'établissement de la domination de Condé dans Paris[14].

Enfin Condé, battu par d'Harcourt, resserré dans Bordeaux, appelait du Nord ses meilleures ressources. Il avait ses troupes à lui, qui, au moment de sa fuite, avaient reculé de Marie jusqu'en Flandre. Le duc de Nemours fut envoyé pour les ramener, avec un bon renfort de soldats d'Espagne. Le Parlement n'approuvait pas ce recours à l'étranger ; le coadjuteur, pour s'y opposer également, rassembla quelques nobles du Vexin. Mais Orléans ouvrit le passage en déclarant que ces étrangers n'étaient pas l'armée d'Espagne, puisqu'ils étaient Allemands, et que d'ailleurs il les avait pris à sa solde. Nemours vint alors camper à Houdan, puis avec ses principaux officiers se montra, dans Paris, aux dames comme un galant, aux bourgeois comme un libérateur. Cependant Beaufort, son beau-frère, à la tête des troupes qui appartenaient au duc d'Orléans, se dirigeait vers la Loire. Deux armées semblaient menacer celle du roi ; mais elles n'étaient pas mieux unies que leurs maîtres. Tandis que Condé ordonnait à Nemours de regagner la Guienne, Orléans recommandait à Beaufort de ne pas passer la Loire. Monsieur voulait avoir ses troupes sous sa main pour maintenir sa considération dans Paris, et se défendre même de la supériorité de Monsieur le Prince.

Les désaccords de ces singuliers amis donnèrent d'abord l'avantage à Mazarin. Comprenant que le danger venait surtout du Nord, il quitta Poitiers (février 1652) pour se porter sur l'Anjou dont le gouverneur était suspect. Il prit Angers, Pont-de-Cé, qui furent mis aux mains de vrais serviteurs du roi, puis pour couper Nemours de Condé, il retourna vers Paris. A Tours, une députation du clergé de France vint protester pour le ministre contre les arrêts du Parlement. Le pays de Blois fut ravagé sans pitié et sans résistance par les troupes du maréchal d'Hocquincourt. On touchait Orléans, mais avant de s'attaquer à cette ville, il parut prudent de s'assurer celles du voisinage. Turenne occupa Gien ; vainement Nemours et Beaufort tentèrent de la reprendre, ils y perdirent beaucoup de monde, et ne firent que compromettre leur réputation en s'imputant l'un à l'autre la défaite. Turenne inaugurait ainsi sa réconciliation avec la cour ; et la communication était rompue entre Condé et ses propres troupes.

La résistance d'Orléans changea cette heureuse fortune. Cette ville faisait partie de l'apanage de Monsieur ; par l'impulsion de quelques meneurs, plutôt que par elle-même, elle pressait ce prince de se rendre dans ses murs. Il ne voulut pas y aller en personne, mais il y envoya sa fille, mademoiselle de Montpensier, lui donnant pour compagnes les comtesses de Fiesque et de Frontenac qu'il appelait maréchales de camp dans l'armée de ma fille contre le Mazarin. Cette princesse, née aventurière, attendait une occasion de se signaler et de se faire craindre. Elle était ravie, dit-elle sans embarras, quand son père se mutinait avec la cour, dans l'espoir que cela le rendrait plus considérable ; elle n'attendait pas moins d'avantages pour elle-même de ses équipées personnelles. Investie de toute la fortune des Bourbon-Montpensier dont sa mère lui avait transmis les restes magnifiques, princesse souveraine dans la Dombe, hors du royaume de France, elle aspirait à la couronne fermée, c'est-à-dire royale, et à travers tous les projets de mariage qui lui passaient par la tête, il v en avait un qu'elle n'abandonnait jamais, le mariage avec Louis XIV, malgré la disproportion ridicule des âges. Elle allait volontiers par la guerre civile à la conquête de la couronne de France ; elle l'écrivit même à la reine-mère. Persuadée, sur la foi d'un astrologue, que le 27 mars accomplirait son rêve, elle partit pour Orléans. La ville était évidemment divisée ; d'un côté Mathieu Molé, garde des sceaux, demandait à entrer au nom du roi, de l'autre Mademoiselle, sur le bord du fleuve, en face d'une poterne murée, pressait les bateliers de lui ouvrir un chemin. Il y avait hésitation chez les magistrats municipaux, quand tout à coup la poterne démurée offrit un passage mal commode à travers la boue ; la princesse s'y lança, et, aux cris de vive le roi, vivent les princes et point de Mazarin ! s'avança vers l'Hôtel de Ville. L'audace décida le succès ; les habitants parurent se rallier à l'héroïne, le garde des sceaux n'eut plus qu'à s'éloigner. La popularité de la nouvelle pucelle d'Orléans s'accrut encore les jours suivants par le soin qu'elle prit de faire rendre aux paysans les bestiaux que l'armée des princes leur avait enlevés[15].

Orléans, occupé par Mademoiselle, pouvait n'être qu'un contre-temps pour l'autorité royale, mais l'échec devint presque une calamité par l'apparition subite de Condé dans le voisinage. Pressé par ses amis de quitter la Guienne, où il n'avançait à rien, pour rejoindre une armée toute prête et attachée à sa fortune, le prince était parti d'Agen (24 mars) sous l'habit d'un palefrenier et un nom vulgaire, en compagnie de la Rochefoucauld, de Gourville, également travestis, à la suite du marquis de Levis qui ne se dissimulait pas parce qu'il avait un passeport du comte d'Harcourt. Après beaucoup de détours et de périls, il arrivait dans la forêt d'Orléans et se faisait reconnaître de son armée (1er avril). Son impétuosité, le grand secret de ses victoires, le servit bien comme toujours. Il occupa immédiatement Montargis, dont il fit un magasin d'approvisionnements, marcha sur Château-Regnard, et informé que les quartiers du maréchal d'Hocquincourt étaient dispersés dans le voisinage de Bleneau, il fondit dessus à l'improviste (8 avril). Il en enleva cinq, prit trois mille chevaux, un nombre considérable de prisonniers, tout le bagage et les munitions de guerre. On voit. par la lettre qu'il écrivit sans délai à Mademoiselle combien il était fier de cet avantage et de la valeur de ses compagnons, Beaufort, Nemours, Clinchamp et Tavannes. Ce fut aussi un coup de foudre pour la reine, qui était à Gien et se crut perdue. Pendant que le jeune roi sautait à cheval pour courir à l'ennemi, le ministre, plus prudent, faisait charger les bagages de la cour, préparer les carrosses, et ordonnait de rompre le pont pour arrêter le vainqueur. Mais on ne savait que la moitié de l'histoire. D'Hocquincourt vaincu, Condé s'était avancé contre Turenne. Celui-ci, vigilant selon sa coutume, et bien posté, n'avait pu être surpris ni tiré de sa position. Une vigoureuse canonnade découragea les soldats de Condé, d'ailleurs las de leurs courses et surchargés de butin. Ils se retirèrent sans que leur chef songeât à les ramener à la charge ni à menacer Gien. Turenne avait sauvé le roi et sa mère du plus grand péril ; pour la première fois les deux grands hommes de guerre du siècle avaient été opposés front à front, et le dernier avantage était resté à l'art et à la science militaire. Mais l'effet immédiat du combat de Bleneau, en affaiblissant considérablement l'armée royale, était d'ouvrir à Condé le chemin de Paris.

Il est vrai qu'il allait se trouver beaucoup moins à l'aise à Paris que sur les champs de bataille. Il n'avait pas d'allié ou de complice dans cette ville, qui ne fût tout aussi bien un obstacle. Si tous s'accordaient avec lui contre Mazarin, chacun avait dans cette poursuite son but et ses moyens d'action, aucun ne prétendait faire exclusivement la fortune de Condé. De là l'obligation incommode de ménager tout le inonde, et de laisser se perdre l'action militaire dans les mêlées d'intrigues. La première difficulté lui vint des magistrats. Ceux-ci, tuteurs des rois, réclamaient le droit de condamner un ministre ; mais, gardiens de la loi, ils n'approuvaient plus la rébellion à main armée, ni l'alliance avec l'étranger. La leçon fut rude. Au parlement (12 avril), le président Bailleul reprocha à Condé de venir siéger sur les fleurs-de-lis quand il avait encore les mains teintes du sang des sujets du roi[16]. A la cour des Aides (22 avril), le président Amelot exprima l'étonnement que, après la déclaration envoyée contre lui, et avant de s'être justifié, il osât paraître dans les compagnies souveraines, et faire battre le tambour dans les rues pour lever des troupes avec les deniers qui venaient d'Espagne. Comme il voulait protester, le président le fit taire en lui citant des chiffres et des noms propres, et l'invita, pour réparer au plus tôt ce mal, à travailler à la tranquillité du royaume, comme il avait autrefois travaillé à sa réputation[17]. La conclusion de cette résistance fut que, pour obtenir le concours des magistrats, le prince devait se borner à demander au roi l'expulsion de Mazarin, et s'engager à poser les armes. Il y consentit ; mais retomber dans les négociations avec Mazarin qui savait si bien les faire traîner en longueur, c'était accorder au ministre un de ces répits qu'il cherchait toujours, et à ses troupes le temps de se rétablir. Il en arriva ainsi. Pendant qu'on discutait à Saint-Germain (1er mai) sans parvenir à s'entendre, et que Paris s'impatientait de ces retards, Turenne attaquait l'armée des princes devant Étampes, et lui infligeait une perte considérable. Mademoiselle, la conquérante d'Orléans, avait voulu, en revenant à Paris, passer en revue l'armée du parti. On la lui montra avec affectation, puis les officiers galamment voulurent accompagner la princesse assez loin, sans plus s'occuper de leurs troupes. Turenne, caché derrière une colline, saisit le moment, fondit sur ces soldats mal commandés pendant qu'ils rentraient pêle-mêle dans la ville, en tua cinq cents, en prit mille, et lança des coureurs jusqu'à Palaiseau, Bourg-la-Reine et Villejuif (3 mai). Cette nouvelle subite jeta la terreur dans Paris, où les paysans affluaient avec leurs meubles et leurs bestiaux. Condé, pour rassurer ses amis, fit, quelques jours après, une expédition sur Saint-Denis dont il s'empara ; mais le lendemain les troupes de Turenne reprirent cette ville dont les habitants étaient affectionnés au roi (11, 12 mai)[18].

Un motif plus personnel empêchait l'union étroite des magistrats avec les princes. Condé, Orléans, Beaufort, s'avisèrent de faire aux cours souveraines des peurs qui ne pouvaient que les aliéner. Parfois ils trouvaient utile d'exciter les rugissements de la populace contre quiconque était soupçonné de mazarinisme. Il est bon que le peuple s'éveille de temps en temps, disait d'Orléans. La cour de son palais était toujours remplie de canaille ; il était habituellement précédé ou suivi de coquins vêtus de gris, apprentis et compagnons de métiers, ou filous, qui ne cessaient de crier : Point de Mazarin ! Le prévôt des marchands et ses échevins faillirent être assommés au Luxembourg, où il les avait mandés, comme suspects d'avoir envoyé le blé des Halles à Saint-Germain. Il ne leur donna pas d'autre secours, que de dire qu'il ne voulait pas qu'on leur fit du mal dans sa maison ; ils ne furent, en effet, blessés que dans la rue. Des filous ayant dévalisé Colbert, un des secrétaires de Mazarin, quelques bourgeois les saisirent et voulurent leur faire rendre gorge. Le duc de Beaufort les réclama comme étant de ses gens ; il entendait qu'on leur laissât tout ce qu'ils avaient plis ; il espérait bien livrer dans trois jours une autre curée à tous les siens. Le langage de Condé n'était pas plus rassurant. Ici, il désignait des victimes à la multitude, comme il fit un jour le duc de Damville. Là, il annonçait sans détour un maitre impérieux aux magistrats : Quand vous êtes à votre place, disait-il à un président, je vous considère ; mais, hors de là, vous me devez du respect ; retirez-vous. Plusieurs membres du Parlement lui demandant où en étaient les négociations, il répondit : Je suis las de rendre compte de mes actions à de petits messieurs comme vous ; je penserai désormais à mes affaires sans en rendre compte à de petits coquins à qui j'apprendrai bien à vivre et à me rendre le respect qui m'est dû. L'effet d'un pareil exemple était inévitable ; en descendant jusqu'à la bourgeoisie, il y soufflait le mépris pour le Parlement. Une partie de la garde bourgeoise refusait de faire le service au palais ; officiers, simples soldats, ne consentaient plus à garder des mazarins ; quelquefois les séances n'avaient pas lieu par défaut de sécurité. Aussi la Compagnie, de son côté, refusait de se compromettre pour les princes. Orléans leur déclara un jour qu'il ferait cesser les tumultes populaires si on lui décernait à lui seul l'autorité, si on le désignait comme l'homme à qui chacun dût s'adresser dans toutes les occurrences ; mais il fallait que cette puissance lui fût conférée par arrêt de la cour. Les conseillers se regardèrent ; après quelque hésitation, on lui répondit qu'il avait autant d'intérêt que personne à rétablir l'ordre, et qu'il eût donc à y pourvoir sans que la Compagnie en délibérât et que ses registres en fussent chargés[19]. Il ne put obtenir un arrêt en forme (14 mai).

Mais l'ennemi le plus nuisible des princes, et surtout de Condé, était le cardinal de Retz. Parvenu au chapeau à la suite de la présentation royale, il se croyait libre de toute reconnaissance vis-à-vis de Mazarin, mais il se vantait de rester fidèle à la reine. Pour se faire pardonner la ruine du ministre, il poursuivait inflexiblement la ruine de Condé. Il le tenait en échec par Orléans, dont il ranimait sans relâche les défiances, et, par les résistances de Monsieur, il faisait avorter tous les projets d'arrangements que Monsieur le Prince débattait avec la cour. Au dehors, en public, il signalait l'égoïsme de Monsieur le Prince et de ses amis, qui ne pensaient qu'à eux et demandaient tout pour eux seuls. Dans ses libelles intarissables, il comptait les provinces, les sommes d'argent réclamées par ces prétendus amis du peuple. Était-ce donc dans l'intérêt de tous que les princes proposaient une paix où Condé aurait la Guienne, Conti la Provence, Nemours l'Auvergne, la Rochefoucauld 100.000 écus, du Dognon le bâton de maréchal de France, Monsieur le droit de faire la paix générale, les princes le droit de nommer les ministres ? Vainement les pamphlétaires de Condé croyaient répondre en dénonçant les mœurs du cardinal de Retz, ses déguisements nocturnes, ses moustaches noires à l'Espagnole, ses caudebecs retroussés à la mauvaise, ses visites dans les familles pour en attirer les chefs à son parti[20]. Ces attaques toutes personnelles auraient pu inquiéter l'inculpé pour lui-même s'il avait eu encore une conscience honnête et ecclésiastique, mais elles intéressaient peu la multitude, et surtout elles ne réfutaient pas des accusations que Monsieur le Prince et ses amis confirmaient chaque jour par leurs actes.

En effet, les pamphlétaires de Condé le rendaient eux-mêmes suspect par leur manière de le défendre, et par l'autorité qu'ils réclamaient pour lui. Ils répétaient que les princes du sang ne sont sujets d'aucune puissance souveraine que par devoir d'honneur[21], que l'autorité des princes du sang est essentielle dans le gouvernement[22], que les affronts qu'on fait aux princes du sang sont des crimes d'État retombant sur la personne du roi, et dignes d'être punis avec autant ou plus de rigueur que ceux qui sont faits à Sa Majesté[23]. Il était donc vrai que ces princes ne combattaient pas pour l'intérêt public. Et si on eût conservé quelque illusion à cet égard, les princes eux-mêmes la dissipaient par des actes formels, comme ces délibérations où ils signifiaient que pour remettre l'État en sa première forme, il fallait rétablir le conseil légitime des princes du sang, des autres princes et officiers de la couronne, des anciens conseillers d'État, et des descendants des grandes maisons et familles anciennes, portés par affection à la conservation de l'État, et investis du droit de gouvernement pendant le bas âge des rois[24]. Évidemment encore le peuple était oublié ici, et aucune popularité ne pouvait donc s'attacher à de pareils libérateurs. Condé le comprenait si bien, qu'il cherchait parfois d'autres moyens de plaire à la multitude, et descendait jusqu'à la bassesse. Un jour les ennemis de Mazarin ayant demandé qu'on fit la procession de la châsse de sainte Geneviève pour obtenir du ciel l'expulsion de l'ennemi, Condé se montra dans la rue, un chapelet à la main. pour imiter la dévotion des bonnes femmes et capter leur confiance. Cet homme, dont l'incrédulité était connue, à qui la voix publique reprochait d'avoir dit que l'Être éternel était trop vieux, se jeta à genoux devant la châsse, la baisa cent fois, et y fit baiser encore son chapelet[25], et remporta la satisfaction d'entendre dire autour de lui : Ah ! le bon prince ! et qu'il est dévot ! Mais ce fut à peu près tout le profit qu'il retira de cette mise en scène. Le motif de cette action étrange n'était pas obligeant pour le roi, dit madame de Motteville, mais il ne lui fit pas grand mal.

Il y avait plus de deux mois que le vainqueur de Bléneau perdait son temps à Paris, sans qu'aucune action décisive prononçât en sa faveur, sans qu'une adhésion significative l'encourageât à une entreprise hardie. Turenne assiégeait l'armée des princes dans Étampes, et l'épuisait par des attaques de chaque jour. Les princes attendaient l'arrivée du duc de Lorraine, frère de la duchesse d'Orléans ; comme ce duc avait à réclamer ses États occupés par les Français, il semblait devoir saisir avec empressement l'occasion de la guerre civile de France pour se relever de son abaissement. Il arriva enfin le 2 juin, et après bien des façons, il consentit à secourir Étampes ; il réussit, en effet, par le nombre de ses troupes, à faire lever le siège. Mais c'était un homme bizarre, prêt à se moquer de tout le monde, incapable de persévérer longtemps dans le même dessein[26]. La reine et le ministre lui ayant proposé un traité particulier, il accepta, déclara aux princes qu'il n'était pas obligé d'exposer ses troupes pour eux, et sortit aussitôt de France (16 juin). Le désappointement des frondeurs fut plaisant ; ils osèrent bien faire écrire par leurs pamphlétaires que le traité du roi avec le duc de Lorraine était nul, parce que les princes du sang n'y avaient pas participé[27] ; ils déchaînèrent des bandes dans Paris pour hurler contre les Lorrains et les menacer de les jeter à l'eau. Mademoiselle gourmanda sa belle-mère comme un chien, et lui dit pis que pendre de son frère[28]. Mais la majorité de l'opinion se prononça pour la fin des hostilités. Le Parlement, satisfait d'une espérance donnée par la reine (16 juin), pressait les princes de poser les armes. La bourgeoisie en général, par son attitude, montra les mêmes dispositions. On affichait dans les rues de Paris, en prose et en vers, le salutaire conseil de demander au roi son retour et la paix : Que le roi soit maître sans condition, le peuple  sans oppression, le royaume sans guerre, les princes en leur devoir, les lois en leur force, le paysan dans sa maison, les armées sur la frontière, et l'ordre rétabli pour user doucement de la vie[29]. Le pamphlet fut saisi par ordre des princes, mais une nouvelle édition parut dans la nuit suivante (25 juin), en même temps qu'un placard en vers, intelligible pour tous, parce qu'il disait crûment la vérité à chacun :

Il faut renvoyer Mazarin

Une lieue au delà de Turin,

Et que jamais Messieurs les princes

Ne soient gouverneurs de provinces :

Le Parlement à son métier

A juger Thibaut et Gautier,

Le marchand dedans sa boutique,

Sans s'occuper de politique,

Faire punir les séditieux

Sans pardonner aux grands messieux.

Point de colporteurs dans la rue,

Le paysan à sa charrue,

Tous les chicaneux au Palais ;

C'est le moyen d'avoir la paix.

Il était clair que Paris même allait échapper aux princes. Condé, pour s'y maintenir, se résolut à frapper un grand coup, qui devait le perdre.

Condé, n'espérant plus rien du duc de Lorraine, avait tiré l'armée des princes d'Étampes et de Linas, et l'avait ramenée à Saint-Cloud. L'armée royale de Turenne, renforcée des troupes du maréchal de la Ferté, se porta aussitôt vers Saint-Denis, passa la Seine sur un pont de bateaux devant Épinay, et fit comprendre à Monsieur le Prince que sa position n'était plus tenable. Il résolut de gagner Charenton pour s'adosser à la pointe de terre où la Marne se réunit à la Seine ; dans la nuit du 1er au 2 juillet, ses troupes filèrent par le Cours, et le dehors de Paris, au Nord ; mais dès le point du jour elles étaient attaquées entre Montmartre et la Chapelle, bientôt coupées au-dessus du faubourg Saint-Antoine, vers Charonne, et malmenées vigoureusement par une batterie de 18 canons. Effrayé de la supériorité de nombre de l'armée royale, Monsieur le Prince fit avertir le duc d'Orléans de son danger, et demanda qu'on laissât passer par Paris le reste de ses troupes qui arrivaient de Poissy avec ses bagages. Orléans, par les conseils de Retz, se défiait toujours des intentions de Condé ; il n'était pas fâché de laisser écraser un rival dont il ne partageait que par force les desseins et les actes ; il montra fort peu d'empressement pour son complice ; il se dit malade, pas assez pour garder le lit, mais trop pour sortir du Luxembourg. De toute sa famille, il n'y avait que Mademoiselle qui adhérât franchement à la cause du prince, parce que le prince ne se lassait pas de flatter son ambition, et dans toutes les négociations promettait de stipuler sa couronne. Mademoiselle donc gourmanda énergiquement son père, et, après une heure de lutte, obtint de lui une lettre pour Messieurs de l'Hôtel-de-Ville. Mais de ce côté encore le zèle n'était pas ardent. C'est un fait bien constaté que, en dépit des clameurs de quelques partisans forcenés des princes, la grande majorité des Parisiens se montra en ce jour fort indifférente au triomphe de l'ambition connue de leurs soi-disant libérateurs. A la porte Saint-Denis, le matin même, on avait refusé l'entrée à un émissaire de Condé. Condé en personne et Beaufort s'étaient en vain présentés à la porte Saint-Antoine, appelant les bourgeois à leur aide, les accusant d'ingratitude, leur reprochant de ne rien faire pour les princes, qui s'exposaient tous les jours à leur profit ; ils n'avaient trouvé que peu de concours. A l'Hôtel-de-Ville, Mademoiselle, qui se flattait de renouveler ses prouesses d'Orléans, se heurta d'abord contre le maréchal de l'Hôpital, gouverneur de Paris. Quand elle voulut parler de fidélité au roi, et demander en même temps qu'on ouvrit les portes à ses ennemis : Vous savez bien, lui répondit le maréchal, que si vos troupes ne se fussent pas approchées de Paris, celles du roi n'y seraient pas venues, et qu'elles n'y sont venues, en effet, que polir chasser les vôtres. Mais elle avait avec elle une bande de gens qui parlaient de pendre les mazarins, y compris le gouverneur de Paris ; elle-même, elle menaçait d'arracher la barbe au maréchal, et signifiait qu'il ne mourrait que de sa main ; elle finit par obtenir ce qu'elle voulait : un ordre aux Parisiens de lui obéir, et aux troupes de Poissy la permission d'entrer par la porte Saint-Honoré.

Cependant, la bataille, continuée à travers toutes ces discussions, se décidait contre Condé. En quittant l'Hôtel-de-Ville, Mademoiselle aperçut la Rochefoucauld blessé, les yeux tout sanglants et sortant de la tête, soutenu par son fils et par Courville, qui criait sans grand succès aux Parisiens de se porter au secours de Monsieur le Prince. On disait que Nemours, Clinchamp, Guitaut étaient blessés à mort. A chaque pas, dans la rue Saint-Antoine, c'étaient des blessés, les uns à la tête, les autres aux bras, sur des chevaux, à pied, sur des échelles, des planches, des civières, et des corps morts. Près de la Bastille, elle aperçut Monsieur le Prince lui-même au désespoir, le col et la chemise pleins de sang, deux doigts de poussière au visage, la cuirasse faussée de coups nombreux, qui lui cria : J'ai perdu mes amis. Elle le rassura sur leur sort, puisqu'elle venait de les voir encore vivants, et le pressa de rentrer dans Paris ; mais il refusa de reculer en plein midi devant des mazarins, et retourna au combat. Il y fit merveille selon son usage. Assailli dans le faubourg Saint-Antoine, tantôt abrité par les retranchements que les bourgeois avaient élevés pour se garantir des pillages des Lorrains, tantôt arrêté par les- barricades dressées par l'armée royale, il perdait ou reprenait tour à tour ses positions ou celles de l'ennemi. Un moment accablé par la chaleur, étouffé dans son armure, il se fit désarmer et débotter, se jeta tout nu sur l'herbe d'un pré, se tourna et vautra comme les chevaux qui se veulent délasser, puis il se fit r'habiller et armer pour achever la bataille (Conrart). Il n'en serait pourtant pas sorti à son avantage sans un incident qui déconcerta l'armée royale.

Dans son ardeur pour la cause de Condé, Mademoiselle avait réparti dans le voisinage de l'arsenal quelques mousquetaires, quelques soldats de la garde bourgeoise dont la présence semblait proclamer la bonne volonté des Parisiens pour les princes. Le gouverneur de la Bastille lui ayant fait savoir que, s'il avait un ordre de Monsieur, il mettrait la forteresse à sa disposition, elle arracha cet ordre à son père[30] ; puis, entrant dans la Bastille, elle en fit tourner les canons du côté de l'eau et du côté du faubourg pour défendre le bastion. A ce moment, l'armée royale exécutait une manœuvre décisive pour couper celle des princes entre le faubourg et le fossé. Condé, averti par la princesse, qui avait tout vu du haut des tours, donna aussitôt ordre aux siens d'entrer dans Paris dont Mademoiselle faisait ouvrir les portes. La rentrée commençait à s'opérer lorsque les troupes royales arrivèrent au galop jusque sous la forteresse ; le reste de l'armée des princes allait périr infailliblement, faute d'artillerie. Tout à coup le canon de la Bastille tira sur les troupes de Turenne, comme Mademoiselle l'avait ordonné[31]. La surprise, la vue d'un rang de cavalerie abattu par la première volée, la crainte naturelle de se trouver pris entre deux feux, décida Turenne à se retirer. L'armée des princes, ni victorieuse ni vaincue, rentra enfin dans la ville[32].

A tout prendre, l'avantage n'était pas considérable pour les princes. Condé n'avait pas succombé dans la bataille du faubourg Saint-Antoine. Le jeune roi, amené sur la hauteur de Charonne, avec l'espoir d'assister à une affaire décisive, à une victoire, peut-être à la capture du héros, n'avait pas vu se réaliser cette inauguration glorieuse de sa majorité. Un Mancini, neveu de Mazarin, quelques officiers importants de l'armée royale, avaient péri en combattant. Mais la perte des princes s'élevait beaucoup plus haut ; et c'était bien moins encore la dispersion ou la mort de leurs soldats qui les affaiblissait, que la certitude de n'avoir pas pour eux la bourgeoisie parisienne. Il fallait prévenir une défection complète, s'imposer par la force au peuple et aux magistrats, et fonder sur la terreur leur domination. De là cet abominable guet-apens qu'on appelle le feu de l'Hôtel-de-Ville, qui éclata deux jours après la bataille Saint-Antoine, et qui devait, dans leurs calculs, réparer l'effet fâcheux de cette journée.

Le prévôt des marchands et les échevins avaient convoqué une assemblée à l'Hôtel-de-Ville pour le 4 juillet. Elle devait se composer de députés de la bourgeoisie, six officiers et six bourgeois par quartier, de tous les curés de Paris, de membres des cours souveraines. Elle avait pour but d'aviser à la sûreté de la justice, d'établir l'union entre les princes et les bourgeois, et de rechercher les moyens de procurer le retour du roi à Paris. Le duc d'Orléans et le prince de Condé y étaient invités. Une pareille destination ne semblait couvrir aucun projet sinistre. Mais le jour même, sous prétexte de garder l'assemblée et d'assurer la liberté des délibérations, on commanda quelques compagnies dont les officiers, tout dévoués aux princes, menaçaient les députés de les tuer au retour s'ils ne votaient pas au gré de la faction. La Grève se remplissait en outre d'une populace de mauvais augure, bateliers et gagne-deniers dont le quartier abondait, et à qui on a su depuis qu'il avait été distribué plus de quatre mille livres. Il s'y mêlait un bon nombre de soldats travestis, qu'on reconnut bientôt à leur habitude de manier les armes et de viser juste ; un marchand fripier disait plus tard qu'il avait loué deux cents paires d'habits pour cet effet. La délibération ayant commencé, les princes comprirent qu'ils n'obtiendraient pas de l'assemblée, ni surtout des représentants de la bourgeoisie, tout ce qu'il leur convenait de réclamer. Les députés inclinaient à demander le retour du roi sans autres conditions que l'éloignement de Mazarin, ou même sans conditions, si le roi promettait au moins la paix et l'amnistie. Les princes n'attendirent pas la fin. Ils descendirent sur le perron, et dirent à la populace en désignant les députés : Ces gens-là ne veulent rien faire pour nous, ils ont même dessein de tirer les choses en longueur, et de tarder huit jours à se résoudre ; ce sont des mazarins, faites-en ce que vous voudrez. A l'instant, des coups de mousquets partent contre les fenêtres de l'Hôtel-de-Ville ; pendant que la multitude grossière tire de bas en haut et n'atteint que les plafonds, les soldats déguisés, montant dans les maisons voisines, visent de front, et déjà les députés n'évitent les coups qu'en se couchant à terre.

Les gardes du maréchal de l'Hôpital et les archers de la ville barricadent les portes, mais les assaillants y entassent des amas de bois, qu'ils frottent de poix, d'huiles, d'autres matières combustibles, puis y mettent le feu d'où il s'élève une fumée et une puanteur étouffantes jusque dans les appartements les plus éloignés. Tant que les défenseurs ont du plomb et de la poudre, ils peuvent encore tenir et protéger les membres de l'assemblée ; on voit tomber bon nombre d'agresseurs dont les corps roulent dans la Seine. Mais ces munitions, que personne n'avait songé à renouveler, s'épuisent vite, et la maison de ville, hors d'état de prolonger la lutte, reste livrée tout entière aux flammes et à tous les excès des voleurs et des assassins.

Ce fut une orgie courte, mais complète, de tous les mauvais instincts. Vengeance politique ou privée, envie socialiste, comme nous disons aujourd'hui, vol à main armée, haine de la religion, toutes ces fureurs eurent quelques heures d'assouvissement. La populace déchaînée ne reconnaissait même plus ceux qui s'étaient dits ses défenseurs ; dans les frondeurs importants comme dans les mazarins, elle ne voyait que des supériorités à abattre. Le maréchal de l'Hôpital s'était esquivé à la faveur d'un déguisement, sous la conduite d'un valet de chambre. Le prévôt des marchands réussit à se cacher assez profondément pour n'être pas découvert. Mais combien d'autres furent moins heureux ! Le maître des requêtes, Legras, fut tué. Si tu es échappé à Orléans, tu n'en échapperas pas ici, lui dirent ses meurtriers. Legras était coupable d'avoir, à Orléans, au temps des exploits de Mademoiselle, engagé les habitants à ouvrir leurs portes au roi. Miron, maître des comptes et colonel de son quartier, voulait parler au peuple pour l'apaiser : il fut transpercé de baïonnettes et de poignards. Il était pourtant bon frondeur ; mais il s'était récemment opposé au désir du peuple qui pressait le lieutenant civil de débarrasser, par sentence, les locataires des maisons du loyer de Pâques ; il avait, avec sa colonelle, protégé ce magistrat. Souviens-toi que tu as défendu le lieutenant civil, lui dit un savetier en le frappant. Le Boulanger, auditeur des comptes, était parvenu à sortir de l'Hôtel-de-Ville ; il cherchait avec un de ses amis par où il se sauverait. Comment ! tu n'es pas encore mort ! lui dirent quelques soldats furieux, et ils le frappèrent de tant de coups qu'on le porta en vain chez un chirurgien ; il mourut de ses blessures au bout de quelques jours. Le président Charton eut beau répéter qu'il était le président Charton, bien connu comme ami de Broussel, on déchira ses habits, on le meurtrit de coups de hallebardes. L'échevin Fournier, autre frondeur incorrigible, reçut tant de coups de crosse de mousquets sur la tête, et par tout le reste du corps, qu'il en demeura longtemps au lit sans pouvoir se remuer. Au milieu de tant de violences, c'était une véritable faveur que d'être seulement volé sur place, d'avoir à livrer immédiatement argent, manteaux et chapeaux, ou d'être mis à rançon. Car moyennant la promesse de 10, 15, 30 pistoles ou plus, les bandits offraient de reconduire leurs prisonniers à leurs domiciles, et un bon nombre de ces pillards vinrent effrontément le lendemain réclamer leur salaire. De Bourges, secrétaire du roi, fut ainsi sauvé par des soldats du régiment de Valois, c'est-à-dire du duc d'Orléans, qui lui prirent pour leur peine cent écus. Enfin la religion elle-même semblait avoir perdu tout pouvoir devant ces ivresses populaires. Le curé de Saint-Jean, dans l'espoir de calmer ces furieux, avait couru à la Grève ; harcelé par la multitude, blessé à la tête, il tombait en syncope. Son vicaire, à cette nouvelle, prit sur l'autel le saint-sacrement et k porta jusqu'au portail de l'Hôtel-de-Ville ; insulté à son tour et couché en joue, il n'échappa que par une fuite rapide[33].

Mais pendant ces scènes lugubres, que faisaient les princes ? Ils assuraient, par leur inaction, l'accomplissement du crime dont ils avaient donné le signal. Quand un bourgeois arriva tout essoufflé au Luxembourg, en disant : Le feu est à l'Hôtel-de-Ville, on s'y a tire, on s'y tue, et c'est la plus grand'pitié du monde, il trouva le duc d'Orléans en chemise, se rafraîchissant de la grande chaleur dont il avait souffert à l'assemblée. Condé, dans une pièce voisine, lisait des lettres de Turenne réclamant des prisonniers. Mon cousin, dit Monsieur, allez à l'Hôtel-de-Ville, vous donnerez ordre à tout. Mais Condé répondit : Je ne suis pas homme de sédition. Je ne m'y entends pas, et j'y suis fort poltron ; envoyez-y M. de Beaufort, il est connu et aimé parmi le peuple[34]. Condé alléguant sa poltronnerie ! en vérité, l'excuse est si bouffonne, qu'elle suffirait seule à le faire accuser. Un peu plus tard, on apporta une lettre de Goulas, secrétaire de Monsieur, qui était lui-même cerné à l'Hôtel-de-Ville, et que les députés avaient pressé de réclamer la protection de son maître. Orléans, supplié de répondre, dit, en se grattant les dents avec ses ongles, qu'il n'y pouvait rien, et qu'on allât à son neveu Beaufort[35]. Beaufort était en effet demeuré seul près du massacre, rue de la Vannerie, dans la boutique d'un mercier, pour voir ce qui se passerait ; il aida même à protéger la fuite d'un conseiller de la grand'chambre. Mais du Luxembourg il ne vint que Mademoiselle ; encore eut-elle beaucoup de peine à s'ouvrir un chemin, et elle n'arriva qu'à la nuit close, quand tout était fini. Elle parcourut l'Hôtel-de-Ville à travers des poutres fumantes, et elle eut le mérite de tirer de sa cachette le prévôt des marchands, qui, en échange de la vie qu'on lui rendait, offrit sa démission. Une si étonnante indifférence de la part des princes suscita de toutes parts le soupçon de leur culpabilité. Le conseiller sauvé par Beaufort étant venu saluer Monsieur : Croyez-vous, lui dit le duc d'Orléans, que j'aie fait faire ce qui s'est passé à l'Hôtel-de-Ville ?Monsieur, répondit le conseiller, je n'ai garde de croire qu'un grand prince comme vous soit capable d'une action si noire et si indigne de Votre Altesse Royale ; mais au moins a-t-elle laissé plus de cinq heures un très-grand nombre de ses serviteurs dans le plus extrême danger, et plusieurs même n'en ont pas été quittes pour le danger, mais ils y sont demeurés. Sur quoi le duc d'Orléans, interdit, le quitta sans souffler mot. Condé ne fut pas traité moins rudement ; comme il voulait se défendre d'avoir eu aucune part au massacre, une dame lui dit en face : Oh ! Monsieur, il n'y a personne qui n'en soit persuadé, et l'on croit même qu'il n'y a que vous qui en êtes l'auteur. L'accusation prit enfin une telle consistance, que les princes ordonnèrent de la réfuter au prône des paroisses. Mais les mais seuls s'y laissèrent prendre. Aussi le crime expliqué et compris tourna justement contre les espérances des coupables. Cette affaire, dit Mademoiselle, fut le coup de massue du parti ; elle ôta la confiance aux gens les mieux intentionnés, ralentit le zèle de ceux qui en avaient beaucoup, et fit les plus mauvais effets qui puissent arriver[36].

Ils s'étaient promis de confirmer leurs amis, de conquérir les indifférents, de faire taire leurs ennemis par le sentiment et la crainte de leur force ; il faut, disait Condé à Orléans, profiter de l'événement pour établir notre puissance dans Paris[37]. Ils ne recueillirent que l'apparence de ce résultat, et même pour un temps très-court. On eut peur en effet dans le premier moment. Tout le monde dut porter la paille que les princes avaient prise pour signe de reconnaissance. Les présidents à mortier ne venaient plus au Parlement ; beaucoup de conseillers se tenaient clos et couverts dans leurs maisons. Le coadjuteur, qui se croyait menacé personnellement, changeait sa demeure et Notre-Dame en citadelle ; les tours furent garnies de mousquets, de bombes, de grenades, de vivres ; les vitres qui communiquaient de la cathédrale au petit archevêché furent enlevées pour lui ouvrir au besoin un refuge dans l'église[38]. Cependant Broussel était nommé prévôt des marchands, Beaufort gouverneur de Paris. Un arrêt du Parlement (20 juillet) renouvela les sentences de proscription et de confiscation contre Mazarin, invitant les autres parlements du royaume à donner des arrêts semblables. Le duc d'Orléans fut proclamé lieutenant général, Condé général des armées sous l'autorité de M. d'Orléans[39]. Quatre jours après, un autre arrêt apprit aux Parisiens ce que devait leur coûter leur délivrance, combien il fallait payer pour n'avoir plus à payer désormais ; c'était une taxe de 75 livres sur les portes cochères, de 30 sur les grandes boutiques, de 15 sur les moindres et sur les petites portes. Enfin le nouveau régent, tranchant du souverain, annonça la formation d'un conseil, composé des princes du sang, de ducs et pairs, maréchaux, présidents des cours souveraines, pour régler définitivement la guerre et la police. Le chancelier Séguier, alors disgracié du roi, consentit à y entrer ; commue il avait paru hésiter, les princes se félicitèrent d'avoir amené le bon homme dans le panneau. Mais l'effet de cette création ne fut pas heureux. La question de préséance toute seule soulevait entre ces orgueils d'ignobles querelles ; elle poussa Beaufort et Nemours au fratricide. Ces deux beaux-frères, déjà aigris l'un contre l'autre, se disputèrent pour l'honneur des maisons de Vendôme et de Savoie ; ils se provoquèrent à l'épée et au pistolet, et Beaufort tua Nemours, non sans soupçon d'assassinat (30 juillet). Le lendemain, le comte de Rieux, fils d'Elbeuf, refusa de céder le pas au prince de Tarente, de la maison de la Trémouille ; Condé prit parti pour Tarente et souffleta Rieux ; celui-ci, ayant riposté par un coup de poing, fut appréhendé au corps par un des assistants, et, dans cette impuissance de remuer, reçut cent gourmades de Monsieur le Prince, puis fut envoyé à la Bastille par Orléans. Cette arrogance des princes du sang donna à penser à leurs amis ; avaient-ils donc le droit de faire injure à qui bon leur semblait, sans avoir à craindre de représailles ? On approuvait tacitement le comte de Rieux de sa résistance. Condé comprit lui-même quel tort il s'était fait ; il s'opposa aux poursuites judiciaires proposées par quelques flatteurs contre le captif pour l'honneur du sang royal[40]. Mais il était un peu tard pour jouer la modération. Quand même il eût rassuré ses complices, il devait tomber devant l'opinion publique, qui commençait à se prononcer ouvertement. Le parti des honnêtes gens apparaissait enfin, et avec lui l'espérance d'une solution prochaine.

 

 

 



[1] Mémoires de Conrart, 1re partie : L'arrêt de l'Ormée fut publié même à Paris. Ils avaient fait faire un grand sceau dont ils scellaient en cire rouge tous leurs actes. Il y avait une ormoye entre deux lauriers et remplie de cœurs enflammés. Sur les lauriers un pigeon blanc en forme de Saint-Esprit, portant un rameau, et par dessus cette inscription : Estote prudentes sicut serpentes, et simplices sicut columbœ. — V. aussi le Manifeste des Bordelais, éloge de l'Ormée.

[2] Motteville. — Mémoires de la duchesse de Nemours : Il empêcha qu'il y eût des gens de guerre dans toute la Normandie ; elle demeura paisible dans un temps où tout le reste du royaume était au pillage et en feu, ce qui charmait les Normands qui sont naturellement intéressés, et leur a rendu longtemps la mémoire de ce prince bien chère.

[3] Les attentats contre le coadjuteur sont attestés par Motteville, Guy Joly, Gourville lui-même. On peut donc en croire le coadjuteur. Il se vante d'avoir arrêté les poursuites que le Parlement voulait exercer sur les assassins découverts.

[4] Réponse de M. le prince de Condé contre la vérification de la déclaration envoyée contre lui au Parlement de Paris. — Décembre 1651.

[5] Motteville, Retz, mademoiselle de Montpensier.

[6] Véritables Maximes du gouvernement en réponse à un arrêt de cassation du Conseil du 18 janvier 1652.

[7] Règlements de la croisade, publiés en janvier 1652, avec permission.

[8] Mémoires de Guy Joly.

[9] Apocalypse de l'État, par Dubosc-Montandré.

[10] Ces deux libelles furent condamnés le 27 mars 1652.

[11] Mémoires de René Rapin. L'auteur atteste qu'il tient ce fait de Saujon, darne d'atours de la duchesse, à qui Orléans le confiait tout bas.

[12] Avertissement envoyé aux provinces pour le soulagement du peuple, sur la déclaration de Monseigneur le duc d'Orléans.

[13] Nous ne faisons que reproduire ici l'affirmation de René Rapin.

[14] On a beaucoup discuté sur les motifs de la promotion de Gondi au cardinalat. Une correspondance, récemment découverte, donne à cet égard des lumières suffisantes : ce sont les lettres de Gondi et de l'abbé Charrier, son agent, moitié en chiffres, moitié en caractères ordinaires, acquises et déchiffrées par M. de Chantelauze. Elles sont de la fin de 1651 et du commencement de 1652. Dites au pape, écrit Gondi, que je ne me suis jamais occupé de jansénisme, pas plus que lui. Comme je dois un jour administrer le diocèse de Paris, je ne ferai pas de déclaration, ne voulant pas m'aliéner les jansénistes dont je compte me servir. — Mais on insiste : une déclaration catégorique est nécessaire. Alors Gondi donne à Charrier l'ordre de fabriquer une fausse déclaration, ne doutant pas qu'en qualité d'Italien, il ne réussisse très-bien. La pièce est fabriquée, livrée aux ministres du pape, et une copie à Retz qui en fait des gorges chaudes avec le faussaire. On hésite pourtant encore à lui donner le chapeau. Il envoie alors des émissaires qui doivent partout répandre le bruit à Rome qu'il est homme à se mettre à la tête des jansénistes de France, et à bouleverser la chrétienté, si on ne le nomme pas cardinal. H recommande à Charrier de ne distribuer de l'argent qu'avec précaution, et avec certitude qu'il rapportera, étant en pays de coquins. Il désigne les personnes auxquelles il faut donner des cadeaux : neveux et nièces du pape, cardinaux, etc., etc. Nous avons trouvé pour la première fois cette indication dans le Journal de l'instruction publique, 1863.

[15] Mémoires de mademoiselle de Montpensier, Motteville, Retz, etc.

[16] Mémoires de Retz.

[17] Mémoires de Conrart, 1re partie : Celui qui battait le tambour portait vos couleurs, et a passé devant ma porte. Ou vous l'avouez, ou vous le désavouez. Si vous l'avouez, il est donc vrai ce que je viens de vous dire ; si vous le désavouez, il faut le pendre quoiqu'il soit habillé de vos couleurs. Pour les deniers d'Espagne  tous les présidents et conseillers de Bordeaux, qui sont en cette ville, en déposeront, et même depuis huit jours il parait par les registres des banquiers, témoins muets et irréprochables, que vous avez touché 600.000 livres. Vous en avez envoyé 150.000 à Balthasard, et employé ici une partie du reste à lever des troupes ; et si vous n'en aviez touché, quel moyen de faire la guerre contre le roi ?.....

[18] Mémoires de Mademoiselle et de Conrart.

[19] V. les Mémoires de Retz et surtout ceux de Conrad. L'est à ce dernier que nous avons emprunté toutes les anecdotes de ce récit. Retz dit la chose d'une façon plus générale.

[20] Dubosc-Montandré : Réponse au Vraisemblable sur la conduite de Mgr le cardinal de Retz.

[21] Le raisonnable plaintif, par Dubosc-Montandré.

[22] Le Royal au Mazarin, par Dubosc-Montandré.

[23] Le Rapporteur des procès d'État, par Dubosc-Montandré.

[24] Articles de la dernière déclaration de Messieurs les princes avec les bourgeois de la ville de Paris, faits au Parlement et à la Maison-de-Ville, 6 et 8 juin 1652.

[25] Motteville.

[26] Mémoires de Conrart, sous la date du 5 juin.

[27] Le Formulaire d'État, par Dubosc-Montandré.

[28] Mémoires de Mademoiselle. Ces expressions sont les siennes, bien entendu.

[29] L'Esprit de paix, auquel les princes essayèrent de répondre par l'Esprit de guerre des Parisiens.

[30] Voici le texte de cet ordre : De par Monseigneur, fils de France, oncle du roi, duc d'Orléans....  Il est ordonné au sieur de Louvière, gouverneur du château de la Bastille, de favoriser, en tout ce qui sera possible, les troupes de Son Altesse Royale, et de faire tirer sur celles qui paraîtront à la vue dudit château. Fait à Paris, le deuxième juillet 1652. Signé : GASTON.

[31] On a beaucoup agité la question, d'ailleurs presque oiseuse, de savoir si Mademoiselle avait vraiment fait tirer sur les troupes du roi. La reine n'en était pas bien sûre. Madame de Motteville dit formelle-nient que Mademoiselle a nié devant elle ce mauvais cas. Il y avait un moyen bien simple pour les historiens de supprimer à cet égard toute équivoque, c'était de lire les Mémoires de Mademoiselle. On y aurait vu qu'elle se vante d'avoir tout fait, d'avoir changé la direction des canons jusque-là tournés contre la ville, d'avoir ordonné l'emploi de ces canons en cas de besoin. On tira, dit-elle, comme je l'avais ordonné lorsque j'en sortis.

[32] Mémoires de Mademoiselle, de Conrart, de Guy Joly ; ces deux derniers font très-bien ressortir l'indifférence des Parisiens pour les princes dans la journée du 2 juillet.

[33] Motteville, Retz, Guy Joly, Omer Talon. — V. surtout les Mémoires de Conrart, 1re partie.

[34] Mémoires de Mademoiselle.

[35] Mémoires de Conrart, 1re partie.

[36] Mémoires de Mademoiselle.

Tous les historiens du temps n'hésitent pas à attribuer le massacre de l'Hôtel-de-Ville aux princes et en particulier à Condé. Guy Joly, Omer Talon, Motteville, Retz, sont d'accord : On a toujours attribué cette action barbare, dit Motteville, à Monsieur le Prince plus qu'a aucun autre. Retz ne diffère du récit commun que par l'importance personnelle qu'il veut se donner dans l'affaire. Selon lui, le rassemblement était destiné à l'arrêter lui-même, mais comme il eut soin de ne pas sortir, les sicaires du prince, pour occuper le temps, s'en prirent à un trompette. qui venait de la part du roi, et, pour continuer, assaillirent ensuite les députés. Cette supposition est peu vraisemblable. Conrart soutient l'accusation par des faits et des raisonnements qui n'admettent pas de réplique. Leurs partisans (des princes) avaient la bouche close quand on leur objectait que, si les princes ne s'étaient pas mêlés de cette affaire, ils devaient au moins se mettre en devoir d'y remédier quand le mal fut commencé, et s'ils ne se souciaient pas des autres, ils étaient au moins obligés de faire quelque diligence pour sauver leurs amis.

[37] Omer Talon.

[38] Guy Joly.

[39] Omer Talon, Conrart.

[40] Omer Talon, Mademoiselle.