HISTOIRE DU RÈGNE DE LOUIS XIV

PREMIÈRE PARTIE. — LA FRANCE POLITIQUE, RELIGIEUSE, LITTÉRAIRE SOUS MAZARIN

 

CHAPITRE VI. — La guerre de Paris ou la vieille Fronde.

 

 

II. — Faits militaires. - Les frondeurs contre Condé. - Expéditions burlesques des Parisiens. - Bataille de Charenton. - Guerre de triolets. - Lassitude des Parisiens.

 

On croit tomber de haut, lorsque de ces préliminaires solennels, de ces préparatifs menaçants, on passe aux petits effets, aux résultats puérils de la lutte. L'histoire éprouve ici la même impression que madame de Motteville arrivant de Paris à Saint-Germain. Pendant que les Parisiens prenaient si bien la guerre au sérieux, la cour d'Anne d'Autriche affectait d'en rire. Ceux qui s'y réfugiaient, même après de mauvais traitements, ne pouvaient obtenir la compassion royale ; leurs malheurs étaient tournés en gaieté, la reine trouvait un divertissement aux injures vomies contre elle et son ministre, et, pour n'être pas moqué dans ce cercle, il fallait applaudir à ceux qui traduisaient en ridicules les pressentiments les plus graves[1]. La reine faisait bien aux arrêts du Parlement l'honneur de leur répondre par des actes d'autorité royale. Des arrêts du conseil privaient les magistrats de leurs fonctions, déclaraient les princes frondeurs criminels de lèse-majesté, donnaient six jours aux bourgeois de Paris pour rentrer dans le devoir, interdisaient le Parlement de Normandie, et transféraient à Dijon les affaires qui ressortissaient au Parlement d'Aix suspendu. On annonçait une convocation des états généraux à Orléans, et à l'impôt des portes cochères on opposait une taxe sur les maisons des parlementaires sises aux environs de Paris[2]. C'était une manière de ne pas laisser accréditer par le silence la puissance du Parlement, de ne pas laisser prescrire celle du roi. Mais on ne doutait pas qu'avant peu l'armée du roi ne l'emportât sur les volontaires de la bourgeoisie, et que Condé n'eût raison de Beaufort. Les événements militaires venaient chaque jour fortifier cette confiance.

Ce n'était pas que le héros de Rocroy eût en main toutes les ressources nécessaires pour aller vite en besogne, selon son impétuosité et son mépris des Parisiens. Il disposait de sept à huit mille hommes, et pour bloquer et, affamer Paris, ii lui fallait répartir cette petite troupe en plusieurs lieux ; à Saint-Cloud, à Saint-Denis, Lagny et Corbeil, d'où ils battaient l'estrade dans tous les sens. Duplessis et Grammont commandaient sous lui, et Grammont n'était pas célèbre par son activité. D'autre part les paysans, souvent pillés par les soldats du roi, aimaient mieux nourrir les Parisiens, parce qu'ils vendaient leurs denrées plus cher aux assiégés qu'aux assiégeants ; toutes les nuits ils s'échappaient pour courir aux portes qui s'ouvraient sans peine à leur patriotisme commercial ; l'effet du blocus était par là rompu ou atténué. Malgré ces circonstances favorables, il fut bientôt clair que les soldats de la Fronde n'avaient pas l'aplomb militaire. Ils avaient pris la Bastille avec trop de facilité et de joie pour ne pas croire à leur supériorité, mais cette facilité même les avait trompés sur la nature de leur force.

Dès leur première sortie (17 janvier), ils eurent un échec plaisant. La Mollie avait voulu faire une reconnaissance, il fut rencontré par Duplessis. A la vue de l'ennemi, les Parisiens eurent peur, et se retirèrent, mais par respect, disaient-ils ; ils n'avaient pas voulu tirer les premiers sur les troupes du roi. Quelques jours après (21 janvier), on tenta une autre sortie pour assurer l'entrée d'un convoi de vivres avidement attendu. On ne rencontra ni le convoi ni l'ennemi ; tout le prix de la démonstration fut un rhume général, parce qu'il faisait un grand froid. Leduc de Beaufort annonça le dessein d'aller attaquer Corbeil. Il parut dans un équipage superbe, sur un beau cheval blanc, le chapeau empanaché d'une multitude de plumes blanches. Le peuple, charmé de sa bonne mine, l'admirait et le bénissait. Conti l'accompagna jusqu'aux portes, le coadjuteur sortit avec lui, le duc de Brissac ne resta pas en arrière. Mais il y avait douze cents hommes de bonnes troupes dans Corbeil ; les badauds, en dépit de l'ardeur belliqueuse de leur chef, l'abandonnèrent à trois pas des portes de la ville, et tout l'exploit de ce grand jour se borna à la conquête de quelques bœufs et vaches dont la vue réjouit fort le peuple. Le coadjuteur affectait sans cesse des allures martiales ; il faisait le brave à cheval ; il s'avançait à la tète de son régiment, toujours pour protéger les convois de vivres, jusqu'à Bourg-la-Reine ou Palaiseau. S'il n'allait pas plus loin, c'est qu'il ne voulait pas priver Paris de ses conseils, ni manquer, chaque matin, à la séance du Parlement. Un jour (28 janvier) qu'il ne commandait pas lui-même, son lieutenant Renaud de Sévigné tomba dans une embuscade près de Montrouge, et subit cette rude défaite qui a immortalisé le régiment des Corinthiens. Il y perdit 50 hommes tués, 104 prisonniers, un convoi de cinquante charrettes de farine, et quatre cents chevaux[3]. A la vue de ces maladresses, de ces poltronneries des frondeurs, les officiers de l'armée royale se croyaient parfois autorisés à ne pas même se vanter de leurs succès. Un d'entre eux, Bussy-Rabutin, écrivait à sa cousine, la jeune marquise de Sévigné alors mêlée à la Fronde avec son oncle Renaud[4] : Comme il n'y a pas de péril pour nous à courre avec vos gens, il n'y a point aussi d'honneur à gagner ; ils ne disputent pas assez la partie, nous n'y avons pas assez de plaisir ; qu'ils se rendent ou qu'ils se battent bien.

Le succès était quelquefois plus facile dans la guerre à l'argent caché. Les incursions dans les maisons étaient moins disputées et pouvaient rapporter davantage. En vertu du droit que s'attribue toute révolution, les lois ordinaires étaient suspendues à l'égard des particuliers ; on eût vainement allégué le respect dû au domicile et à la fortune privée. Le besoin d'argent, de vivres, de provisions, justifiait toute violence contre quiconque était soupçonné d'en dérober aux nécessités de l'État. Des arrêts du Parlement avaient ordonné la saisie de tous les biens meubles ou immeubles de Mazarin, l'ouverture de toutes ses chambres et la description de tout ce qui s'y trouverait (13, 25 janvier). Mais la poursuite ne se bornait pas à la propriété de l'ennemi principal ; quiconque était suspect d'avoir quelque chose de bon à prendre devenait ennemi à son tour. On fouillait les maisons avec assez de rudesse par ordre du Parlement[5]. On écoutait tous les dénonciateurs dans l'espoir d'une heureuse trouvaille. Nous avons dit qu'une des chambres nouvelles du Parlement était particulièrement chargée de ce service ; au besoin un simple conseiller prenait sur lui la perquisition. La maison de Saint-Lazare fut ainsi envahie, en l'absence de Vincent de Paul, par un magistrat suivi de six cents soldats. Il fouilla et fureta partout, et ne trouvant pas d'argent, il tomba sur la provision de grains et de farines qu'il fit porter aux Halles. Les soldats se comportèrent comme dans une place conquise ; pendant quelques jours, ils épouvantèrent le voisinage de leurs cris et de leurs désordres ; ils finirent par mettre le feu aux bûchers de la basse-cour, et détruisirent toute la provision de bois sans autre raison que le plaisir de gaspiller le bien d'autrui. Le Parlement un peu honteux, ordonna de retirer les soldats et de rendre les clefs ; mais. il ne s'inquiéta pas de faire réparer le dommage[6].

L'exploit le plus lucratif en ce genre eut lieu le 27 janvier. Sur la dénonciation du maréchal de la Mothe, on se porta à la découverte d'une somme de 270.000 livres, dans une cave du bureau des gabelles, sous du bois, en deux coffres et deux tonneaux. Gué-Bagnols, colonel du quartier et disciple ardent du curé Duhamel, fut chargé d'investir la maison ; l'argent conquis sur les commis du ministre fut remis aux mains de Cramoisy, commissaire pour la recette des deniers destinés à l'entretien des gens de guerre, non pourtant sans un prélèvement de 8.000 livres au profit du maréchal dénonciateur[7]. L'expédition se termina par l'arrestation de la Raillère, un des partisans les plus détestés ; et la joie de la double capture s'exhala en une multitude de pamphlets contre les partisans : Chasse aux loups et aux renards, Fuite des maltôtiers après Mazarin, Déroute des monopoleurs, etc., etc., etc. Une de ces productions, la Description des vies, mœurs et façons de faire des péagers, leur imputait tous les vices des hommes et des animaux, la férocité du lion, la volerie de la chouette, la brutalité du lestrigon, l'envie du chien, la superbe du paon, la haine et le venin du serpent contre l'homme. Le peuple applaudissait à ces injures qui lui semblaient la vengeance de ses maux, et dans son enthousiasme contre ses ennemis, il ne s'apercevait pas que ses meneurs devenaient des partisans tout aussi rapaces que les premiers ; que le maréchal de la Mothe se faisait donner 8.000 livres pour prix de sa commission, et que le duc d'Elbeuf et ses enfants coûtaient déjà plus de 40.000 écus, sous prétexte de levées de troupes.

Quant au mérite militaire des frondeurs, il devint bientôt impossible de garder aucune illusion à cet égard. Ils avaient fortifié Charenton de leurs meilleurs soldats, au nombre de deux mille, sous le commandement d'un vrai brave, le marquis de Clanleu. Jusqu'alors tout s'était passé .en escarmouches, en coups de main, en guérillas qui n'exigeaient pas les combinaisons ni la présence d'un général en chef. Il plut au prince de Condé d'attaquer lui-même Charenton (8 février). Il y arriva comme un torrent qui emporte tout ce qu'il rencontre ; c'est l'expression familière aux écrivains du temps pour peindre son génie guerrier. Il éprouva d'abord assez de résistance pour y perdre son ami le duc de Châtillon ; mais il se vengea en tournant l'ennemi, en abattant, par quelques volées de canon, les clôtures des jardins qui protégeaient le bourg, en passant au fil de l'épée tout ce qui ne se rendit pas ou ne voulut pas fuir. Clanleu .succomba noblement, en disant qu'il aimait mieux ce genre de mort que l'échafaud. Mais un bon nombre furent plus prudents. Il fut force, dit le Courrier français, à notre garnison de se sauver ou de vendre bien cher sa vie, ce que chacun fit selon qu'il y était porté par son courage... Le marquis de Cugnac chercha un refuge par la Seine, alors en débâcle ; il sauta sur un glaçon et revint à Paris sur cette nouvelle planche de salut[8]. D'autres, moins heureux, furent précipités dans l'eau par les soldats de Condé, qui leur disaient : Vous irez voir le Parlement. Le vainqueur rangea immédiatement ses troupes en bataille pour recevoir l'armée qui menaçait de sortir de la ville. Il l'attendit inutilement ; les généraux, qui se vantaient quelques jours auparavant de livrer bientôt une bataille rangée, renoncèrent à ce dessein dangereux dès qu'ils virent l'attitude du prince après sa victoire ; le duc de Bouillon, malade de la goutte, leur envoya l'avis de ne rien hasarder. L'armée parisienne avait poussé ses avant-postes jusqu'aux dernières maisons de Picpus ; l'arrière-garde ne bougea pas de la place Royale, et demeura à contempler la statue équestre de Louis XIII. Cette inertie comique indigna le bourgeois lui-même ; après coup, il reprocha à ses chefs de lui avoir refusé l'honneur de faire des merveilles. On perdait un poste de premier ordre, un bon passage pour les vivres ; on n'avait plus de ressources sérieuses que dans Brie-Comte-Robert. Le lendemain, du côté d'Étampes, Beaufort parvint, grâce à la mollesse de Grammont, i protéger un convoi de moutons, et de bœufs qui entra dans la ville ; mais, dès le 16 et le 18, de nouveaux malheurs à Vitry, sur le chemin de Charenton ; et près de Brie, des pertes nombreuses d'hommes pris, blessés ou tués, achevèrent d'éclairer les Parisiens sur le danger des armes.

Avec de semblables aventures, la guerre de Paris tournait décidément à la plaisanterie. Les frondeurs n'avaient pas seuls le privilège de la caricature ; les amis de la cour, qui se trouvaient dans la ville, leur rendaient quolibet pour quolibet, libelle pour libelle. Rien n'était respecté de ce que les frondeurs affectaient de prendre au sérieux. Vingt conseillers avaient donné chacun quinze mille livres de taxes ; on les appelait les quinze-vingts. Le régiment du coadjuteur était le régiment de Corinthe, du nom de son titre archiépiscopal ; la première défaite de cette troupe s'appela la première aux Corinthiens. Le duc de Beaufort, l'idole des harengères, était proclamé roi des halles, souverain de la rue Quincampoix. La cour elle-même se faisait pamphlétaire ; l'imprimerie de Saint-Germain n'avait guère moins d'activité que celle de Paris ; il en sortait des appels au bon sens populaire, des relations toutes royalistes des événements de la guerre civile. On saisit un jour (11 février) dans Paris, par ordre du Parlement, des billets apportés de Saint-Germain par le chevalier de la Vallette ; ces billets, rédigés par Renaudot le père, étaient signés le Désintéressé, et destinés à soulever le peuple contre ses chefs par la révélation de leurs égoïsmes ; l'auteur n'y épargnait ni Broussel, ni le coadjuteur : le premier, pour avoir sollicité en vain, en faveur de son fils, une lieutenance aux gardes, le second, pour n'avoir pu faire timbrer sa mitre du casque de gouverneur de Paris. Les magistrats intentaient déjà un procès capital au chevalier de la Vallette ; on l'aurait raccourci de toute la tête aussi bien que de ses meubles[9]. Mais Condé menaça le duc de Bouillon d'en faire autant aux prisonniers frondeurs qu'il avait entre les mains. La rudesse connue du récent vainqueur de Charenton sauva la vie au colporteur royal. Il était plus difficile encore d'arrêter sur les lèvres, de saisir dans la mémoire de chacun les chansons, les ballades, les triolets qui réduisaient les hommes à leur juste mesure, les événements de la guerre à leur véritable sens. Gondi, Bouillon, d'Elbeuf, de Maure, etc., se succédaient dans cette revue de braves manqués, de libérateurs dévoués à leur propre ambition, de défenseurs onéreux à leurs protégés. Et comment s'y prendre pour les préserver de ces coups d'épingles, lorsque, même dans leur propre parti, on était souvent tenté d'en rire ?

Voici quelques-uns de ces triolets ; ils donnent une assez agréable idée de la polémique et de l'esprit du temps :

C'est un tigre affamé de sang

Que ce brave comte de Maure ;

Quand il combat au premier rang

C'est un tigre affamé de sang.

Mais il n'y combat pas souvent,

C'est pourquoi Condé vit encore.

C'est un tigre affamé de sang

Que ce brave comte de Maure.

On attribue ce triolet au grand Condé lui-même.

Ce brave monsieur de Bouillon

Est incommodé de la goutte.

Il est hardi comme un lion

Ce brave monsieur de Bouillon.

Mais s'il faut rompre un bataillon

Ou mettre le Prince en déroute,

Ce brave monsieur de Bouillon

Est incommodé de la goutte.

Monsieur d'Elbeuf et ses enfants

Font rage à la place Royale ;

Ils vont tous quatre piaffants

Monsieur d'Elbeuf et ses enfants.

Mais dès qu'on entend battre aux champs

Adieu leur humeur martiale ;

Monsieur d'Elbeuf et ses enfants

Font rage à la place Royale.

Ce pauvre Monseigneur d'Elbeuf

Qui n'avait aucune ressource

Et qui ne mangeait que du bœuf,

Ce pauvre Monseigneur d'Elbeuf

A maintenant un habit neuf

Et quelques justes[10] dans sa bourse,

Ce pauvre Monseigneur d'Elbeuf

Qui n'avait aucune ressource.

Monseigneur le coadjuteur

Veut avoir part au ministère.

On dit qu'il est fourbe et menteur

Monseigneur le coadjuteur.

Le petit frère (Conti) avec la sœur (Longueville)

Seront fourbés ; c'est chose claire.

Monseigneur le coadjuteur

Veut avoir part au ministère.

Monseigneur le coadjuteur.

Est à la tête des cohortes.

Comme un lion il a du cœur

Monseigneur le coadjuteur.

En sortant il est en fureur,

Mais s'il faut regagner les portes,

Monseigneur le coadjuteur

Est à la tête des cohortes.

Corinthien, c'est trop de chaleur,

Vous avez l'esprit trop alerte.

Pour chapeau de rouge couleur,

Corinthien, c'est trop de chaleur.

Quand vous ne seriez pas pasteur,

Il le faudrait de couleur verte[11].

Corinthien, c'est trop de chaleur,

Vous avez l'esprit trop alerte.

Battus et bafoués, les généraux de la Fronde ne pouvaient pas garder longtemps leur prestige aux yeux de leurs soldats. Une attente de six semaines, toujours désappointée, devenait un trop rude effort pour l'impatience parisienne. Ce qui hâtait encore la lassitude, c'était l'obligation de donner toujours de l'argent. Les premières taxes, levées d'autorité et payées d'enthousiasme, s'étaient vite épuisées par le besoin d'entretenir les troupes, par la nécessité de rassasier la cupidité des généraux. Le Parlement revenant à la charge avant la fin du premier mois, quelques zélés avaient donné l'exemple de s'exécuter largement. Le président Novion avait apporté pour sa part cinquante mille livres. Le coadjuteur, au lieu de payer ses dettes, en contractait bien plutôt de nouvelles pour le triomphe de son entreprise ; lui et le duc de Beaufort envoyaient leur vaisselle à la monnaie. On parle même d'une assemblée secrète tenue a Port-Royal par Gondi, Luynes, Liancourt, où, pour subvenir à l'œuvre de Dieu, à une guerre contre les ennemis de la vérité, la résolution fut prise de vendre les calices et l'argenterie des églises de Paris[12]. Mais tant de générosité n'était plus le sentiment commun. Les arrêts du Parlement tout seuls signalent la pénurie d'argent, et les résistances que ce besoin rencontre désormais. Tantôt c'est l'ordre aux traitants et gens d'affaires de payer les taxes sous peine d'emprisonnement ; tantôt c'est l'établissement de taxes nouvelles sur tous les secrétaires, avocats, procureurs et autres particuliers, habitant la ville et les faubourgs comme bourgeois. En désespoir de ressources, c'était un arrêt portant qu'il serait fait recherche des moyens d'avoir de l'argent pour l'armement et subsistance des gens de guerre[13]. Gondi était d'ailleurs le premier à déplorer cet embarras, et sentant déjà le peuple fatigué il entrevoyait la fin prochaine de la lutte. Le peuple, disait-il[14], commence à n'avoir plus autant d'amitié pour le Parlement. On ne paye plus les taxes avec la même ponctualité que dans les premières semaines. Y a-t-il beaucoup de gens qui nous aient imités, M. de Beaufort et moi, quand nous avons envoyé notre vaisselle à la monnaie. L'effet était évident ; une guerre sans gloire cessait d'être populaire ; tant d'impôts, sous prétexte de ne plus payer d'impôts à l'avenir, n'offraient qu'une dérision insupportable.

Ajoutons que le résultat le plus net de la guerre était la misère de tous. Paris souffrait du blocus ; les vivres n'y entraient pas toujours en quantité suffisante. Le Parlement pouvait bien décider par arrêt[15] que les villes de Meaux, Lagny et autres, voisines du ressort de ladite Cour, continueraient d'apporter des blés et autres vivres dans la ville de Paris, ainsi qu'il était accoutumé ; mais pour l'exécution de cet ordre ridicule il fallait que le prince de Condé laissât faire, et il ne le permettait que par surprise. Aux menaces de famine se joignait un hiver rigoureux, le débordement de la Seine, la nécessité d'aller en bateaux par les rues. Au dehors la campagne avait été promptement ruinée. Vincent de Paul, dans une pauvre chaumière près de Versailles, apprenait que les fermes d'où la maison de Saint-Lazare tirait sa subsistance, avaient été incendiées, les troupeaux ravis, les provisions de blés saccagées[16]. Nous passâmes, dit madame de Motteville[17], par plusieurs villages où nous remarquâmes une désolation effroyable. Ils étaient abandonnés de leurs habitants ; les maisons étaient brûlées et abattues, les églises pillées, et l'image des horreurs de la guerre y était dépeinte au naturel. Frondeurs et troupes  royales avaient les uns contre les autres accumulé ces  calamités. Telles étaient en particulier les impiétés et cruautés de monsieur le Prince dont on a fait un livre quelques mois après, et dont les Parisiens ont toujours gardé une amère rancune. Le général de l'armée royale pillait pour empêcher les frondeurs de piller, pour punir ceux qui n'adhéraient pas assez vivement à la cause du roi, et aussi pour entretenir la cour de Saint-Germain du nécessaire. Car la cour n'avait de meubles que ceux que lui vendaient les soldats après avoir pillé les beaux villages des environs de Paris[18]. La paix devenait nécessaire à tous ; elle commençait à être désirée d'un grand nombre ; elle sortit inopinément d'une circonstance qui aurait dû ranimer la guerre, de l'intervention des Espagnols dans les troubles de la France.

 

 

 



[1] Motteville. — Janvier et février 1649.

[2] Cette série d'actes souverains commence au 23 janvier et s'étend jusqu'au 18 février. Il nous a semblé qu'il suffisait de les énumérer pour présenter la contre-partie des rodomontades du Parlement.

[3] René Rapin. — Relation officielle de la première aux Corinthiens.

[4] Quoique la lettre de Bussy ne soit que du mois de mars, nous avons cru pouvoir la citer à propos d'un événement parfaitement semblable à celui qui l'a inspirée.

[5] Motteville. — Arrêts du Parlement.

[6] Abelly, Vie de saint Vincent de Paul. — Lettre d'un ecclésiastique présent au pillage.

[7] Mémoires de René Rapin. — Journal du Parlement.

[8] Montpensier.

[9] Conférence secrète du gazetier avec Mazarin.

[10] Justes, louis d'or. C'est sous Louis XIII que les pièces d'or ont commencé à porter le nom de louis, et, comme Louis XIII était surnommé le Juste, ce surnom est resté, pendant quelque temps, celui de la monnaie d'or.

[11] Le vert est la couleur du cordon du chapeau des évêques. C'était aussi la couleur du bonnet des banqueroutiers.

[12] Mémoires de René Rapin. — On pourrait trouver la confirmation de ce fait dans le triolet qui courait alors :

Monsieur notre coadjuteur

Vend sa crosse pour une fronde.

Il est ardent et bon pasteur

Monsieur notre coadjuteur.

Sachant qu'autrefois un frondeur

Devint le plus grand roi du monde,

Monsieur notre coadjuteur

Vend sa crosse pour une fronde.

[13] Arrêts du Parlement, des 13, 16, 22 février.

[14] Mémoires de Retz.

[15] Arrêt du Parlement du 26 janvier.

[16] Abelly, Vie de saint Vincent de Paul.

[17] Motteville, février 1649.

[18] Motteville.