HISTOIRE DU RÈGNE DE LOUIS XIV

PREMIÈRE PARTIE. — LA FRANCE POLITIQUE, RELIGIEUSE, LITTÉRAIRE SOUS MAZARIN

 

INTRODUCTION.

 

 

PREMIÈRE PARTIE

ÉTAT POLITIQUE DE LA FRANCE DANS LA PREMIÈRE PARTIE DU XVIIe SIÈCLE. Soumission des huguenots et de la noblesse par Henri IV et par Richelieu. — Lutte contre la maison d'Autriche ; la suprématie française commence.

 

La France avait tenté, par les guerres d'Italie, d'établir sa prépondérance sur les peuples de l'Occident ; mais la furie française avait suscité contre elle la politique d'équilibre. A un défi menaçant pour tous, les princes voisins avaient répondu par un système de défense commune qui rendit vaines les victoires de Charles VIII, de Gaston de Foix et de François Ier. L'insuccès entraîna un double dommage. Non-seulement la prépondérance échappa au dominateur qui laissait entrevoir ses projets, mais elle demeura au protecteur qui avait su dissimuler les siens ; le premier rang d'où la crainte excluait les héros de Marignan et de Fornoue, fut déféré par une reconnaissance imprévoyante à la maison d'Autriche. La paix de Cateau-Cambrésis, conclusion de la lutte italienne, ne chassa les Français de Naples, de Milan et du Piémont, que pour livrer la péninsule à l'Espagne[1] et donner une base solide à cette monarchie universelle que Charles-Quint avait rêvée. Quoique cette paix honteuse et dommageable, pauvre couverture de lâcheté[2], blessât, comme Montluc, les hommes de cœur qui avaient noblement combattu, les événements qui suivirent ne laissèrent aucune place ni aucune ressource aux projets de conquêtes extérieures. Les guerres de religion succédèrent sans délai aux guerres d'Italie ; quarante ans de luttes entre les partis, de ravages partiels, de batailles rangées, épuisèrent toutes les énergies et toutes les forces matérielles de la nation. Loin de songer à prendre sa revanche des affronts de Pavie et de Saint-Quentin, la France, déchirée dans son propre territoire par les complots et les armes de l'étranger, dut s'estimer heureuse d'échapper à l'invasion des Espagnols.

En même temps, la grande œuvre capétienne poursuivie contre la féodalité depuis Philippe Auguste et saint Louis, par Charles VII, Louis XI, François Ier, l'unité intérieure de la France semblait tout près de se briser. Le calvinisme, avec son système d'églises indépendantes et de république fédérative, préparait un morcellement capable de rétablir, sous un autre nom, la division féodale ; c'était même ce qui lui gagnait, en dépit de ses principes démocratiques, l'adhésion d'une partie de la noblesse. Les cercles entre lesquels les réformés partageaient le pays, le conseil particulier de chaque cercle, où l'influence appartenait de droit aux plus illustres, leurs assemblées générales par députés ordonnant toutes les mesures nécessaires, le désir souvent avoué d'un protecteur choisi parmi les grands seigneurs français ou même à l'étranger, représentaient déjà ce régime des Provinces-Unies, dont Coligny avait essayé d'être, en France, le Guillaume d'Orange. De leur côté, les chefs ligueurs, qu'il faut bien distinguer de la Ligue, croyaient trouver, dans l'enthousiasme désintéressé des masses, le moyen de satisfaire leurs intérêts personnels. Cantonnés dans les provinces dont ils réveillaient les souvenirs d'autonomie, ils aspiraient ouvertement à faire revivre les grands fiefs, et à réduire la royauté à l'état des derniers Carlovingiens. On le voyait bien, en 1592, lorsque Mayenne demandait, pour lui et pour ses amis, le gouvernement de treize provinces, à titre héréditaire, avec le droit de nommer les gouverneurs des villes, les évêques, les abbés, de disposer des garnisons et de lever les tailles. En 1596, divers seigneurs, mettant pour prix à leurs services leur indépendance, offraient à Henri IV une armée suffisante, à la condition que ceux qui avaient des gouvernements par commission les possédassent désormais en toute propriété, sous la seule obligation de l'hommage-lige. Le même esprit poussait Biron dans son complot avec les Espagnols ; entre autres projets de ces conspirateurs, on trouve celui de démembrer la France en autant de souverainetés que de provinces, el d'y rendre la royauté élective par les pairs comme en Allemagne.

Ainsi, la France, humiliée et oubliée au dehors, était encore menacée de dissolution au dedans. Rien n'annonçait, au commencement du XVIe siècle, que ce siècle même serait le triomphe de l'unité territoriale et monarchique dans un royaume si profondément troublé, et de la prépondérance française, en Europe, sur des voisins si puissants et si hostiles. Ces résultats ont été préparés par Henri IV, assurés par Richelieu, complétés et malheureusement exagérés par Louis XIV.

Henri IV domina, par des conditions bien calculées, et par une fermeté opportune, ses ennemis domestiques. Il acheta la soumission de la plupart des chefs ligueurs. ; il leur fit accepter de l'argent, au risque de grossir encore les embarras de ses finances, pour ne leur rien abandonner des droits du monarque. S'il laissa ou donna à quelques-uns des gouvernements, il prit ses sûretés contre eux en les plaçant sous une surveillance et sous des règles qui leur enlevaient tout exercice de la souveraineté ; à côté du gouverneur qui avait le titre, un lieutenant d'une fidélité éprouvée qui avait la puissance, et, au-dessous, des gouverneurs de villes nommés par le roi. Le gouverneur n'eut plus le droit de lever à son gré et à son profit des impôts onéreux à la population, et dangereux à l'autorité royale ; il dut se contenter d'un revenu régulier ou d'une pension payée directement par le roi. Henri travailla à soustraire pour l'avenir au régime féodal les seigneuries encore existantes, où l'exercice des droits régaliens pourrait donner trop d'indépendance au titulaire ; il se fit céder par Mercœur le vaste héritage des Penthièvre ; il réunit lui-même, non sans hésitation, ses propres fiefs au domaine royal[3]. Enfin il donna non-seulement une preuve de force, mais encore une leçon significative à l'aristocratie par le supplice de Biron. Il fit voir que ni le rang, ni l'illustration personnelle, ni même l'ancienne amitié du roi, ne devaient exempter un traître des son-séquences de son crime. C'était rétablir l'égalité devant la justice ; l'exemple n'a pas été perdu pour Richelieu.

Il contint les calvinistes par l'édit de Nantes. Cette concession fameuse dépassait, il est vrai, de beaucoup les bornes de la tolérance comme notre siècle l'entend. Cette tolérance, en effet, c'est pour le dissident la liberté de son culte, sans crainte de répression, l'égalité avec les autres citoyens devant la loi, devant les charges sociales et les fonctions publiques ; ce ne sont pas des privilèges qui constituent un état à part dans l'État. L'édit de Nantes accordait au contraire des privilèges considérables. Outre la liberté de pratiquer leur culte partout où il existait, la certitude d'être admis aux fonctions publiques de toute sorte, de trouver dans les tribunaux les garanties d'une justice impartiale, les calvinistes obtenaient le droit de tenir entre eux des assemblées, non-seulement religieuses, mais politiques, de lever sur eux-mêmes des contributions spéciales pour les besoins de leurs églises, de conserver pendant huit ans les deux cents places que la guerre ou les traités antérieurs leur avaient livrées, sous le commandement de gouverneurs nommés par le roi, mais désignés par eux. Ils restaient donc, dans l'ordre politique, séparés du reste de la nation, armés en guerre, et pourvus de toutes munitions pour une lutte à venir. La suite a prouvé, et tout historien impartial en convient, que l'édit de Nantes renfermait de grands dangers. Mais au moment de sa promulgation (1598), il fut un répit pour son auteur. Mercœur, le dernier représentant de la Ligue, venait de succomber ; l'Espagne elle-même se disposait à céder par la paix de Vervins ; dans ces circonstances, Henri IV se vit menacé d'un soulèvement général des protestants. Ils n'avaient pas cessé de conspirer depuis son abjuration ; ils avaient refusé de concourir à la reprise d'Amiens, ils invoquaient l'assistance de l'Angleterre et de la Hollande ; leurs députés poussaient leurs églises à tout entreprendre contre un apostat[4]. Le roi, menacé par ses anciens coreligionnaires quand les autres luttes finissaient, prévint l'explosion par des faveurs si grandes qu'elles ne laissaient aucun prétexte aux plaintes de l'Église réformée, ni aucune excuse auprès de l'opinion à leurs tentatives. Leurs privilèges leur ôtaient toute apparence de persécution, leur protection par le souverain lui-même ne leur permettait plus de réclamer un protecteur ; ils se tinrent en effet à peu près tranquilles jusqu'à la mort de Henri IV. Satisfait de ce résultat pour lui-même, il remit à ses successeurs le soin de retoucher son œuvre quand ils seraient assez forts pour l'entreprendre. Dans ses instructions à la reine, dont il prévoyait la régence prochaine, il l'avertissait que tôt ou tard elle serait contrainte d'en venir aux mains avec les huguenots, mais qu'il ne fallait pas leur donner de légers mécontentements, de crainte qu'ils ne commençassent la guerre avant qu'elle fût en état de l'achever. Que pour lui il en avait beaucoup souffert parce qu'ils l'avaient un peu servi, mais que son fils châtierait quelque jour leur insolence[5].

A mesure que les embarras intérieurs diminuèrent, il se mit à porter les yeux au dehors. Il travailla à refaire la considération de la France, à la replacer entre les grandes nations, pour lui donner peut-être un jour la suprématie. Dès 1597, son intervention assurait au pape la possession de Ferrare contre les réclamations de la maison d'Este qui régnait à Modène. En 1607, il apaisa un différend entre le pape Paul V et la république de Venise, avec un bonheur qui mérita la reconnaissance des deux partis. Les Vénitiens en donnèrent un signe qui consacrait, par leur orgueil même, la nouvelle importance des rois de France. La fière aristocratie de Saint-Marc rompit les sceaux de son livre d'Or, pour inscrire le nom de Henri IV parmi ses illustres, le distinguant ainsi de tous les autres rois. Il mit à la raison le duc de Savoie qui avait pu refuser impunément, depuis Cateau-Cambrésis, la restitution du marquisat de Saluces ; par une guerre vive, il le contraignit à un échange dont tous les avantages étaient pour le vainqueur. A la place du 'marquisat perdu en pays étranger, il obtint la cession des territoires qui forment aujourd'hui, avec la Dombe, le département de l'Ain, frontière naturelle du royaume qui fortifiait la Bourgogne et serrait de plus près la Franche-Comté. Ce succès. l'anima à chercher des ennemis à la maison d'Autriche dont il avait tant souffert les attaques pendant les guerres de la Ligue, dont il retrouvait les menées hostiles dans les complots intérieurs en dépit de la paix de Vervins.

La maison d'Autriche était devenue suspecte à son tour, même à ses protégés, depuis que l'exercice de sa domination en avait fait sentir le poids et le danger. L'union étroite de ses deux branches, espagnole et allemande, alarmait les catholiques presque autant que les protestants. Henri IV chercha et trouva partout des ennemis au roi d'Espagne et à l'empereur. Contre l'Espagne il eut l'Angleterre de Jacques Ier, les Provinces-Unies auxquelles il contribua à faire accorder cette trêve de douze ans qui a décidé leur indépendance ; contre l'empereur il renouvela les vieilles capitulations de la France avec les Suisses, et promit son assistance aux princes allemands intéressés à ne pas laisser l'Autriche s'établir dans la possession de Clèves et Juliers, ni se perpétuer dans la dignité impériale. Il gagna les princes d'Italie, y compris le pape, et les Allemands y compris le duc de Bavière, en leur faisant entrevoir le démembrement des États autrichiens à leur profit, et il put se promettre à lui-même de prendre, pour la part de la France, ses frontières naturelles, avec l'approbation des peuples voisins qui avaient autrefois tant appréhendé la puissance française. Tels sont, dans le grand dessein, qu'on prête à Henri IV, de reconstituer l'Europe sur de nouvelles bases, les traits essentiels et réels attestés par deux esprits supérieurs, Sully et Richelieu. Il proposait de réduire le roi d'Espagne à l'Espagne et à ses colonies, l'empereur aux provinces primitives du duché d'Autriche. La Bohème et la Hongrie, redevenues royaumes électifs, échapperaient ainsi à la maison de Habsbourg ; l'Empire, changeant de famille à chaque élection, serait d'abord déféré au duc de Bavière. Toute l'Italie espagnole serait partagée entre les États italiens : au pape le royaume de Naples, aux Vénitiens la Sicile, au duc de Savoie le Milanais et le Montferrat avec le titre de roi. Les Suisses auraient la Franche-Comté, les Provinces-Unies une partie des Pays-Bas espagnols. Grâce à de si larges satisfactions, les voisins de la France ne pourraient plus lui envier les garanties qu'elle réclamait pour elle-même : la Savoie et Nice, la Lorraine, l'Artois, Cambrai, Tournai, Namur, le Luxembourg. On reconnaît ici la politique suivie par la France après Henri IV, acceptée ou subie à la longue, au moins dans son ensemble par ses alliés ou par ses adversaires ; ces espérances d'agrandissement et de royauté qui ne laissent dès lors aucun repos aux ducs de Savoie, la ténacité de la France à rechercher ses frontières naturelles, les actes et les traités de Richelieu, l'occupation prolongée de la Lorraine, le partage des Pays-Bas espagnols convenu avec les Provinces-Unies, les avances persévérantes de la France au duc de Bavière, et jusqu'à ce consentement tacite donné aux prétentions de Waldstein sur le royaume de Bohème. On y voit surtout commencer ce rôle, tout nouveau pour la France, de protectrice des faibles, qui, malgré les défiances de quelques-uns de ses alliés, justifie son agrandissement par ses services, et lui permet de conclure à son profit, avec les applaudissements de la majorité de l'Allemagne, le traité de Westphalie[6].

La mort de Henri IV compromit la pacification intérieure, et ajourna l'exécution de ses plans européens. Ce grand prince, dit Richelieu, est mis par terre comme à la veille du jour qui lui préparait des triomphes. Il meurt, et le cours de ses desseins et celui de sa vie sont retranchés d'un même coup qui, le mettant au tombeau, semble en tirer ses ennemis qui se tenaient déjà vaincus. Huguenots et grands seigneurs se ruèrent sur la bonne fortune que leur offrait la minorité du nouveau roi, la régence d'une femme étrangère, l'impopularité inévitable d'un ministre italien. Les huguenots se firent prolonger pour cinq nouvelles années la possession de leurs places de sûreté, que l'édit de Nantes n'avait accordée que pour huit ans, mais que Henri IV n'avait pu refuser de renouveler pour cinq autres ; ils obtinrent l'augmentation des sommes destinées à l'entretien de leurs ministres ; ils réclamèrent sans embarras, pour payer leurs garnisons, les premiers et plus clairs deniers des recettes de chaque province[7] ; et en retour de ces complaisances, ils ne cessèrent d'appuyer de leurs armes les rebellions des grands[8]. L'aristocratie ne fut pas moins coupable. Les princes du sang, Condé, le troisième du nom, le comte de Soissons, son oncle, Vendôme le bâtard bien-aimé de Henri IV, Longueville, Nevers, Mayenne, Bouillon, Épernon, se montrèrent insatiables de puissance et d'argent. S'ils ne reproduisirent pas tout haut l'espoir de démembrer le royaume en principautés, ils tendirent au moins à ce but, en se délivrant des entraves apportées par Henri IV à l'autorité des gouverneurs, comme fit Épernon à Metz, en accumulant les gouvernements dans leurs familles[9], en prenant les armes, en occupant les forteresses royales comme par un droit naturel de défense légitime[10], en exigeant des sommes énormes soit pour prix de leur adhésion à la régence[11], soit pour payer les troupes qu'ils avaient levées contre le roi. Ni la paix de Sainte-Menehould, ni celle de Loudun, ne purent rassasier ces grosses faims, comme dit Richelieu. Ils mangèrent le peuple jusqu'aux os par leurs exactions. L'armée de Vendôme mettait à la gêne ordinaire et extraordinaire, ou pendait ceux qui refusaient de lui livrer leur argent, forçant les marie à racheter leurs femmes, les pères et les mères leurs enfants, les propriétaires leurs champs ensemencés. Condé avait contraint les populations à lui payer la taille pour lui-même ; réconcilié avec la cour, il contraignait, par arrêt du conseil, les mêmes provinces à payer cette même taille au roi[12]. Ils n'épuisèrent pas moins le trésor royal. Un témoin, que la vue de ces excès instruisait à les réprimer un jour inflexiblement, a écrit que Monsieur le Prince avait reçu en six ans 3.665.990 livres ; le comte de Soissons, et, après sa mort son fils et sa femme, plus de 1.600.000 livres, le prince et la princesse de Conti plus de 1.400.000, Longueville 1.200.000, Mayenne père et fils 2.000.000 ; Vendôme 600.000 ; Épernon et ses enfants 700.000 ; Bouillon près de 1.000.000 ; sans y comprendre ce qui leur avait été payé des gages et appointements de leurs charges, de l'extraordinaire des guerres pour les garnisons de leurs places, outre les pensions et autres dons qu'ils avaient fait accorder à leurs amis et domestiques[13]. Dans de pareils embarras au dedans, il était impossible de suivre la politique extérieure de Henri IV. Aussi, après un premier essai des guerres résolues par son mari, la régente avait rappelé ses troupes de Juliers ; au lieu de combattre l'Espagne, elle rechercha son alliance, et conclut ces mariages espagnols qui donnèrent la fille de Henri IV pour femme à Philippe IV, la fille de Philippe III pour femme à Louis XIII. Loin de rien entreprendre contre l'étranger, Louis XIII était réduit à se justifier auprès de l'Angleterre, de la Hollande et de l'Allemagne, des plaintes de Condé contre son gouvernement, et des intentions que le rebelle lui imputait contre ses alliés (1617).

Luynes, porté subitement aux honneurs par le même caprice qui frappa et dépouilla Concini, n'était pas fait pour reconstituer la souveraineté royale. Les grands, qui avaient combattu la reine-mère dans son favori, passèrent volontiers à sa cause pour avoir un prétexte de combattre en apparence son persécuteur, en réalité l'obstacle le plus considérable à leur ambition. Ce fut encore la même audace et la même impunité. Dans la première échauffourée, Épernon, grâce à ses nombreux gouvernements en diverses provinces, armait à la fois Metz, Boulogne-sur-Mer, Uzerche en Limousin. Bouillon, allié du palatin et du prince d'Orange, ralliait des étrangers de la Hollande, de l'Allemagne ou du territoire de Liège contigu à sa principauté de Sedan. Après que l'insurrection eut été amortie par l'intervention de Richelieu, le roi dut payer six cent mille livres à sa mère pour les frais de guerre qu'elle avait faits contre lui, et lui livrer Angers, Chinon et Pont-de-Cé ; il dut dédommager Épernon de la perte de Boulogne par une compensation de cinquante mille écus. Dans la seconde prise d'armes, pendant qu'Épernon se maintenait à Metz par la défection d'une partie de l'armée royale, les ducs de Longueville, de Mayenne, Vendôme, Nemours, Soissons, soulevaient la Normandie, le Maine, l'Anjou, la Guienne. Ils n'échouèrent que par une impéritie incomparable, par des jalousies qui étaient des trahisons mutuelles, par les pillages où ils s'attardèrent. Les troupes que Vendôme et Soissons avaient promises, dit Richelieu, ne manquèrent pas à prendre de l'argent, mais à venir. Le roi, qui avait traversé toutes les provinces sans résistance sérieuse, paraissait décidément vainqueur. Il n'en traita pas moins à des conditions misérables. Il s'engagea à maintenir dans leurs charges et dignités ceux qui avaient servi la reine-mère, et, par une déclaration expresse, la proclama elle-même innocente et sincère dans toutes ses intentions et actions.

Les huguenots, dans cette seconde période, non contents d'appuyer en secret les rébellions des seigneurs, renouvelèrent ouvertement, par une prise d'armes générale, les guerres de religion. Louis XIII avait ordonné que l'exercice de la religion catholique fût rétabli dans le Béarn où cent villes ou bourgades, restées catholiques, étaient privées de prêtres et d'églises. Cet ordre n'empêchait pas les protestants d'exister dans la province, aux termes de l'Édit de Nantes ; mais, à cette époque, l'intolérance des calvinistes refuse partout à leurs adversaires la liberté qu'ils semblent n'avoir réclamée pour eux-mêmes qu'afin de dominer exclusivement. Des plaintes bruyantes ils en vinrent au soulèvement, quand Louis XIII (1620) eut fait exécuter son édit en sa présence, et proclamé la réunion de la Navarre à la France. Une assemblée générale des huguenots à la Rochelle divisa la France entière en 18 cercles, ordonna des levées d'argent, nomma dans chaque cercle un chef d'armée assisté de conseillers, et déféra le commandement général au duc de Rohan. Tous ces actes étaient scellés du sceau des réformés, composé d'une religion appuyée sur une croix, tenant l'Évangile d'une main, et foulant aux pieds le squelette de l'Église romaine. Aussitôt la rébellion éclata en Poitou, en Béarn, en Languedoc ; les protestants dispersés dans les provinces du Nord se tinrent prêts à agir. Louis XIII contint facilement les villes suspectes de Normandie et de Bretagne, il prit même Saint-Jean-d'Angély ; mais par l'insuffisance des troupes, par l'incapacité et la négligence de Luynes, ce connétable improvisé, il échoua honteusement devant Montauban. Pendant qu'il revenait à Paris, un nouveau mouvement éclatait en Dauphiné, les Rochellois capturaient ses meilleurs vaisseaux ; le cercle du Bas-Languedoc destituait sans façon les gouverneurs nommés par le roi. L'année suivante (1622), la guerre reprise avec trop de précipitation, avant qu'on eut rassemblé les forces nécessaires[14], ne tourna pas davantage à l'honneur de l'autorité royale. Après quelques succès partiels en Poitou, on faillit échouer devant Montpellier comme devant Montauban ; Montpellier ne se rendit que parce que le duc de Rohan, satisfait des 200.000 écus qu'il réclamait pour lui-même, décida les habitants à traiter à l'amiable. Le roi crut sauver son honneur par un édit de pacification qui réduisait à deux, la Rochelle et Montauban, les villes de sûreté des calvinistes, et prescrivait la démolition des forteresses nouvellement élevées par eux ; il ordonna, en outre, que l'exercice de la religion catholique fût rétabli partout où les calvinistes le prohibaient. Mais ces conditions ne furent pas exécutées. La plupart des fortifications restèrent debout ; les Rochellois s'opposèrent à ce que la religion catholique fût libre à côté d'eux. Le duc de Rohan, accusé de trahison par les siens, fut obligé de se justifier en rejetant sur les divisions du parti la nécessité où il s'était vu de faire la paix[15].

Il n'était pas possible que là politique extérieure ne ressentit pas le contre-coup de ces désordres. Louis XIII continuait à n'être pas plus considéré des étrangers que respecté de ses sujets. Il voulut intervenir, aux Pays-Bas, en faveur de Barneveldt (1619). Il ne fut écouté ni des États ni du Stathouder Maurice ; la haine personnelle du Stathouder, le fanatisme des partisans de la prédestination, et surtout la certitude de la faiblesse du médiateur, l'emportèrent sur la reconnaissance que les Provinces-Unies devaient à la France. Le protégé du roi périt sur l'échafaud. Messieurs de Luynes qui gouvernaient eurent peu d'égard à ce mauvais procédé, ne pensant qu'à se conserver en leur particulier M[16]. Les Grisons en querelle, pour la Valteline, avec les Espagnols du Milanais, avaient demandé l'alliance de la France, qui conclut même (1621) un traité en leur faveur. Mais les Espagnols refusèrent de l'exécuter ; en vain quelques conseils d'énergie furent proposés à Louis XIII : il les reçut bien, mais ne les suivit pas. La vieillesse des ministres était si grande que, appréhendant la longueur des voyages où tels desseins pouvaient les embarquer, ils donnèrent des conseils conformes à la faiblesse de leur âge[17]. Il n'y eut qu'une circonstance où la voix de la France fut écoutée, en Allemagne, à l'assemblée d'Ulm, lorsque tous les princes s'accordèrent à laisser le palatin, usurpateur de la Bohême, seul aux prises avec l'empereur (1621). Encore faut-il con sidérer, comme atténuation du succès, que ce qui contribua à faire écouter les envoyés du roi de France, c'est que cette fois leurs propositions étaient favorables à l'Autriche. Il était temps qu'une main vigoureuse, une volonté capable et redoutée s'emparât de la conduite des intérêts français. L'avènement de Richelieu était indispensable.

Richelieu le déclare lui-même, au commencement de la succincte narration des grandes actions du roi, c'est-à-dire des siennes. Lorsque Votre Majesté se résolut de me donner en même temps, et l'entrée dans ses conseils, et grande part en sa confiance pour la direction de ses affaires, je puis dire avec vérité que les huguenots partageaient l'État avec elle, que les grands se conduisaient comme s'ils n'eussent pas été ses sujets, et les plus puissants gouverneurs de provinces comme s'ils eussent été souverains en leurs charges... Je puis dire encore que les alliances étrangères étaient méprisées ; les intérêts particuliers préférés aux publics ; en un mot la dignité de Votre Majesté royale tellement ravalée, et si différente de ce qu'elle devait être, par le défaut de ceux qui avaient lors la principale direction des affaires, qu'il était presque impossible de la reconnaître.

Nonobstant toutes les difficultés que je représentais à Votre Majesté, connaissant ce que peuvent les rois quand ils usent bien de leur puissance, j'osai vous promettre, sans témérité à mon avis, que vous trouveriez remède au désordre de votre État, et que dans peu de temps votre 'prudence, votre force, et la bénédiction de Dieu donneraient une nouvelle face à ce royaume.

Je lui promis d'employer toute mon industrie et toute l'autorité qu'il lui plaisait me donner, pour ruiner le parti huguenot, rabaisser l'orgueil des grands, réduire tous ses sujets en leur devoir, et relever son nom dans lés nations étrangères au point où il devait être...

Richelieu apportait donc au ministère un plan préconçu et complet. Ce qu'il y a de plus remarquable encore, c'est qu'il le suivit avec une exactitude inflexible, et, à peu de chose près, dans l'ordre même où il en rangeait les diverses parties.

Les huguenots furent en effet les premiers abattus, et mis tout à fait hors d'état de recommencer. Dans les premiers jours, il les ménagea selon cette règle de prudence qui l'empêchait d'entreprendre ce qu'il n'était pas encore en position d'achever. A leur révolte de 1625, après des succès partiels qui sauvaient au moins l'honneur du roi, il leur accorda une paix calculée sur ses ressources du moment, dont les clauses leur parurent avantageuses à eux-mêmes[18], mais scandalisèrent les impatients qui interprétaient par l'athéisme cette temporisation d'un cardinal vis-à-vis des hérétiques. Il laissa dire ces juges téméraires, jusqu'à ce qu'il eût pu mettre à la fois la force et le droit de son côté. Puis quand il eut créé une flotte pour dominer l'Océan, les Anglais venant, comme tout exprès, déclarer leur alliance avec les calvinistes, et Buckingham et Rohan se répondant de l'île de Ré au fond du Languedoc, il entreprit définitivement, avec les moyens nécessaires, ces ennemis domestiques convaincus de rébellion et de trahison (1627). Il chassa les Anglais de l'île de Ré, et il assiégea enfin la Rochelle. Rien ne le rebuta, ni l'opposition de la mer qui parfois brisait ou recouvrait ses ouvrages, ni l'opposition plus dangereuse des grands qui avaient peur de lui donner trop de puissance par un succès décisif, ni les dégoûts passagers du roi qui abandonna la partie pendant trois mois. Le cardinal demeura devant l'ennemi, au risque de perdre pendant cet éloignement la faveur incertaine du maitre, poursuivit contre tous les obstacles la construction de la digue et du barrage, entretint par des recrues continuelles son armée de terre, repoussa deux diversions anglaises, et, après onze mois d'efforts, remit aux mains du roi revenu près de lui la ville réduite à capituler sans condition. Alors commença à se déclarer son système de tolérance, qui devait consacrer la supériorité du vainqueur par sa modération. Il laissa aux vaincus la liberté de conscience pleine et entière, mais il rasa tous les murs de la Rochelle, la citadelle de Ré, les fortifications de Saintes, de Saint-Maixent, de Chinon, de Loudun, de Mirebeau. Restaient les calvinistes du Languedoc, et leur chef Rohan qui ne tremblait pas encore, quoique condamné par le parlement de Toulouse et exécuté en effigie. Cet opiniâtre comptait sur les Espagnols qui lui promettaient de l'argent et des troupes, et qui le secondaient encore mieux en forçant le roi de France à passer en Italie pour défendre le duc de Mantoue. Les Cévennes foisonnaient en villes non grandes en quantité d'habitants, mais redoutables par leurs fortifications, chacune étant estimée capable d'arrêter une armée royale. Le cardinal fut si rapide qu'il fit tête sur tous les points. La guerre au delà des Alpes fut une course de deux mois : car forcer les pas des montagnes, prendre la ville de Suze, ravitailler Cazal, et faire la paix avec le roi d'Espagne et le duc de Savoie, furent une même chose[19]. Aussitôt il rentre en France, fait la paix avec l'Angleterre, et se lance avec ses lieutenants sur le Languedoc. Le dégât se fait en même temps à Montauban par M. le Prince et M. d'Épernon, à Castres par M. le duc de Ventadour, à Millau par M. de Noailles, à Mmes par le maréchal d'Estrées. Et le roi vient en personne avec son armée victorieuse, à laquelle il fait joindre celle de M. de Montmorency par le Vivarais et les Cévennes. Voilà six armées en même temps qui fondent sur les bras des calvinistes, qui font plus de 50.000 hommes avec l'équipage de 50 canons, de quoi tirer 50.000 coups, et les blés nécessaires pour nourrir l'armée du Bas-Languedoc[20]. Les rebelles sont avertis que l'Angleterre les abandonne. Privas se rend, puis la Gorse, la Bastide, Vagnac, Salavas, Saint-Ambroix, Alais ; Anduze va succomber ; étourdi d'une poursuite aussi inflexible, Rohan lui-même demande la paix.

Ici se manifeste ouvertement la supériorité rendue à la royauté. Jusque-là, les rois avaient plutôt reçu la paix de leurs sujets qu'ils ne la leur avaient donnée. En Languedoc, comme à la Rochelle, les rebelles furent contraints d'accepter la paix, non comme ils le désiraient, mais comme il plut au roi de la leur donner, et non en forme de traité comme ils avaient toujours fait par le passé, mais par abolition et par grâce[21]. Ils gardèrent la liberté de conscience, et la condition de citoyens égaux à tous les autres ; ils obtinrent amnistie pour le passé. Mais ils n'eurent plus de privilèges. Plus de places de sûreté : ils durent raser toutes leurs fortifications à leurs dépens et par leurs propres mains. Ils durent laisser la liberté du culte aux catholiques et restituer les églises. Au lieu de récompenser leurs chefs comme autrefois par des établissements, et des sommes de quarante ou cinquante mille écus, on n'accorda à Rohan que la restitution de ses biens confisqués, sous la condition qu'il sortirait du royaume. Ce mélange de fermeté inflexible et de modération incontestable décida la pacification de toute la province. Uzès et Nîmes qui trouvaient d'abord la grâce du roi trop lourde, reconnurent, à l'approche de son armée, que sa tolérance était fort acceptable. Louis XIII entra dans ces villes en appareil de guerre, mais sa fidélité à ne rien changer au traité, malgré la résistance d'abord tentée contre lui, convainquit les habitants qu'ils n'avaient pas désormais de meilleure sûreté que l'obéissance. Le cardinal, resté seul dans le pays, réduisit de la même manière Montauban. Il refusa d'adoucir pour cette ville les conditions de la paix générale, signifia qu'il entrerait le plus fort, c'est-à-dire en armes, dans leurs murs ; mais l'accueil bienveillant qu'il fit aux habitants et aux ministres[22] changea leur soumission forcée en adhésion reconnaissante. Ainsi il eut le contentement et l'avantage, comme il le dit lui-même, de pardonner à ceux qui ne se pouvaient plus défendre, d'anéantir leur faction, et de bien traiter leurs personnes[23] ; politique heureuse, qui ôtait aux huguenots le pouvoir de former un État dans l'État, mais qui rattacha si bien ces anciens ennemis aux intérêts du roi, que trois ans plus tard, ils refusèrent de seconder la révolte de Montmorency. Le cardinal quitta le Languedoc au bruit des fortifications huguenotes qui tombaient de toutes parts, et aux acclamations des peuples, des parlements, des évêques, des universités, même des nobles. Car, dit-il lui-même, quelques-uns forcèrent leur naturel jusqu'au point de se joindre à ces hommages.

La lutte contre les grands était déjà en train ; mais il faut reconnaître que cette guerre inflexible, celle de toutes les œuvres de Richelieu qui a suscité les rancunes les plus tenaces, n'avait pas commencé par sa faute. A son entrée au ministère, il donnait à ce sujet de bien sages conseils à Louis XIII : Ne pas abaisser les grands quand ils se gouvernent bien, ne pas les tenir pour suspects par leur seule puissance, mais considérer leurs actions ; leur faire d'autant plus de bien qu'ils sont plus grands, mais ne pas laisser en leurs personnes toute faute impunie. C'était chose injuste que de vouloir donner exemple par la punition des petits, qui sont arbres qui ne portent pas d'ombre ; et ainsi qu'il fallait bien traiter les grands faisant bien, c'était eux aussi qu'il fallait plutôt tenir en discipline. En un mot pratiquer ce conseil trivial qui est dans la bouche et le sentiment de chacun : récompense au bien, punition au mal[24]. Il reproduisait la même pensée un peu plus tard, à propos de la répression des duels, lorsque des gladiateurs nobles étant condamnés à mort, de vives instances furent tentées auprès du roi pour obtenir leur grâce. Il disait, en citant Tacite, que rien ne conserve tant les lois en leur vigueur que la punition des personnes ès quelles la qualité se trouve aussi grande que les crimes. Châtier pour des fautes légères marque plutôt le gouvernement de cruauté que de justice, et met le prince en haine et non en respect. Et quand on ne châtie que des personnes de basse naissance, la plus noble partie se rit de telles punitions, et les croit plutôt ordonnées pour les malheureux que pour les coupables. Que si l'exécution tombe sur ceux dont les qualités sont aussi connues que les crimes, le crime diminue la compassion de la peine, et la qualité ôte aux petits la volonté de se perdre, parce qu'il ne leur reste aucune espérance de se sauver[25].

La première conséquence de cette doctrine, c'était de proclamer l'égalité de toutes les classes devant la loi. Assurément le libéralisme moderne ne peut se plaindre d'un précédent d'où il est né, et rien n'est plus plaisant que ces affranchis de l'inégalité qui reprennent, parfois encore, sous forme de haine du despotisme, la défense des perturbateurs et des traîtres courbés, au XVIIe siècle, sous le niveau commun. La première application que Richelieu fit de ses principes, fut de retrancher l'impunité dont les grands avaient repris possession sous Concini et Luynes, les traités qu'ils imposaient au roi, même quand ils n'étaient pas les plus forts, les récompenses, c'est-à-dire les compensations qu'ils se faisaient donner pour le mal qu'ils n'avaient pas pu faire à leur profit. Il les réduisit aux termes où tous les sujets doivent être en un État, c'est-à-dire à dépendre des volontés du souverain : nous dirions aujourd'hui : de la loi.

En 1626, une grande conspiration se forme — Richelieu a bien raison de la qualifier ainsi —. On y attirait la Hollande, la Savoie, l'Angleterre, l'Espagne ; on le sait par les aveux des ambassadeurs ; aussi bien ç'a été le système permanent des conspirateurs de cette époque de recourir à l'étranger, d'unir la trahison à la rébellion. Il s'agissait en apparence de Gaston d'Orléans, frère du roi, ce prête-nom burlesque des complots contre la royauté, également célèbre par ses efforts de hardiesse et ses résipiscences piteuses. On se proposait, disait-on, de lui procurer enfin un établissement conforme à sa naissance, trop longtemps refusé par le ministre, mais en réalité de bouleverser le royaume pour en partager les lambeaux, de tuer le cardinal, peut-être même d'attenter à la vie du roi — mais ce point est resté obscur —, et de marier la reine Anne d'Autriche avec Monsieur. Les principaux complices étaient, de leur propre aveu, Ornano, gouverneur de Gaston, Vendôme, gouverneur de Bretagne, et son frère, grand-prieur de Malte, Chalais, grand -maitre de la garde-robe, la duchesse de Chevreuse, veuve du connétable de Luynes, remariée à un prince de la maison de Lorraine, courtisane de haute classe, dont les amours vagabonds ont été pendant vingt ans, en France, en Lorraine, en Espagne, en Flandre, le stimulant ou le prix des entreprises contre la France. Déjà Vendôme armait en Bretagne, la famille d'Épernon était sollicitée de préparer, dans Metz, une citadelle à Gaston d'Orléans. Il fallait que le gouvernement agît avec vigueur ou succombât. Richelieu se révéla, comme le sauveur de l'ordre public, par sa vigilance et sa fermeté. Ornano fut enfermé à Vincennes, les deux Vendôme arrêtés, la duchesse de Chevreuse éloignée de la cour malgré l'amitié d'Anne d'Autriche. Les châtiments varièrent comme l'exigeaient encore les ménagements envers les parents du roi. Gaston d'Orléans, son frère, eut l'humiliation de désavouer ses complices, de s'engager par écrit à une fidélité inébranlable, et de faire la volonté de sa mère et du ministre en épousant l'héritière des Montpensier. Vendôme, son frère naturel, n'obtint sa délivrance qu'à titre de grâce, après un aveu complet ; il perdit le gouvernement de Bretagne, et vit raser plusieurs des places qui appartenaient à son domaine de Penthièvre. Ornano, mort naturellement dans sa prison, échappa ainsi au supplice ; mais Chalais fut la principale victime et la grande leçon. Emmené à Nantes, d'où le roi se proposait de surveiller la Bretagne, il y fut condamné à mort et décapité. La noblesse fut bien avertie qu'il n'y avait plus de privilèges pour elle contre l'échafaud.

L'année suivante (1627), renouvellement de la leçon. La fureur des duels décimait la noblesse de ses propres mains, en dépit des édits formels de Henri IV. Ce goût ferrailleur, jactance sanglante de gentilhomme, était encore, par l'habitude de tout décider à coups d'épée, un aliment de l'esprit de sédition. Richelieu résolut d'y mettre ordre ; il fit revivre les édits, et en surveilla exactement l'exécution. Le comte de Bouteville, d'une branche des Montmorency, après vingt et un duels Pestés impunis, osa recommencer, malgré l'interdiction toute récente, et se sauva en Flandre. Mais piqué d'être poursuivi jusque dans cet asile par l'autorité de son maitre, de ne pouvoir se battre en terre étrangère parce que la gouvernante des Pays-Bas le lui défendait pour complaire à Louis XIII, il jura qu'il se battrait en France même, dans Paris, et à la place Royale. Il tint parole ; il rentra en France avec son adversaire et deux seconds, et dans le combat qui eut lieu sous les fenêtres de Louis XIII, un des quatre champions fut tué. C'était violer la dignité de la présence du roi, les lois du royaume et la majesté de la justice, jouer à la vue de la cour, du Parlement et de toute la France, une sanglante et fatale tragédie pour l'État. Le roi déféra les coupables au Parlement, qui, malgré ses répugnances, ne put pas ne pas les condamner à mort ; mais leurs parents intercédèrent vivement pour eux. Richelieu parla au nom du respect de la loi et de la tranquillité des familles. Leurs crimes sont si publics, dit-il dans un mémoire à Louis XIII, que nul n'en peut improuver le châtiment, et l'extraction si bonne, qu'en ne leur pardonnant pas, vos édits seront dans un perpétuel respect. Il est question de couper la gorge aux duels ou aux édits de Votre Majesté... Il vaut mieux conserver quantité de noblesse par la perte de deux personnes de condition, que d'exposer mille gentilshommes à leur perte par le salut de deux particuliers. Ces considérations l'emportèrent sur les raisons de clémence qu'on aurait pu tirer de la valeur et des services des condamnés. Boutteville et Deschapelles furent exécutés. On vit servir à l'extinction des duels ceux qui n'avaient eu autre soin que de les fomenter. Depuis ce temps, cette fureur qui était si ardente, s'est ralentie, et il ne s'est quasi plus entendu parler de duels.

Plus le pouvoir de Richelieu se faisait apprécier par ses effets utiles, plus il lui fut possible d'attaquer la résistance jusque dans les plus hautes régions. Le tour de la reine-mère arriva bientôt. Marie de Médicis avait pris en aversion Richelieu, son ancien protégé, parce qu'il ne se prêtait pas à ses intrigues particulières. Elle prétendait qu'il n'exerçât que pour elle l'autorité où elle avait contribué à l'élever. Elle blâmait la guerre de Mantoue, par haine féminine d'une princesse de Gonzague, elle ralliait à ses intrigues des mécontents qui, comme le maréchal de Marillac, travaillaient à faire manquer l'entreprise au profit des Espagnols. Elle harcelait l'esprit du roi pour obtenir la disgrâce du ministre, elle crut un instant y avoir réussi dans la journée célèbre qui a tiré son nom de cette duperie ; et quand elle vit que, malgré ses exigences, le cardinal restait inébranlable au ministère, elle signifia qu'elle n'assisterait plus au conseil, et refusa tout accommodement. Ce qui l'enhardissait, c'était la turbulence toujours prête de son fils Gaston, et des ambitieux, magistrats ou grands seigneurs (Lecogneux, Puylaurens), qui cherchaient, dans cette complicité, des présidences au parlement ou des duchés renforcés de larges dotations. Mais à cette époque, il n'était pas possible de renverser le conseil du roi, ni de changer l'état des affaires sans les perdre[26]. Richelieu avait le droit de le dire sans être taxé d'orgueil. Qui donc aurait poursuivi les conséquences de la guerre d'Italie, encore incertaines, à la place de celui qui les avait conçues ? Qui donc aurait surveillé Gustave-Adolphe, et retenu dans des bornes sages cette alliance dont il avait seul le secret ? Il eut foi en son utilité, et ne croyant pas que la reconnaissance ne pût éclater que dans la dépendance, il fit voir que le cœur d'un homme d'État doit être dans sa tête, comme a dit un autre grand organisateur. Il donna au roi à choisir entre la fantaisie de sa mère et les services de son ministre[27] ; le bon sens, autant que la timidité tant reprochée à Louis XIII, préféra Richelieu. Alors la lutte ne fut pas longue. La reine, après avoir vu arrêter ses complices, les deux Marillac, et emprisonner à la Bastille son médecin Vautier et le maréchal de Bassompierre, crut produire un effet formidable en se retirant chez les Espagnols ; mais elle ne reçut de son fils qu'une réfutation froide des plaintes injustes qu'elle lui avait fait porter. Gaston avait compté se fortifier dans Orléans, il avait recherché l'assistance des Huguenots, il se reposait sur les gouverneurs de Bourgogne, de Picardie et de Provence. Grâce aux mesures prises par le cardinal, la Bourgogne ne lui servit que de porte pour sortir du royaume. Un bon nombre de ses partisans furent déclarés criminels de lèse-majesté. Le parlement de Paris, refusant d'enregistrer la déclaration, fut sommé par le roi, de se ressouvenir qu'il n'était institué que pour administrer la justice entre le tiers et le quart, et non pour se mêler des affaires d'État ; et pour confirmer cette doctrine, plusieurs de ses membres furent suspendus de leurs fonctions. Enfin Bellegarde fut dépouillé du gouvernement de Bourgogne, Elbeuf de la Picardie, Guise de la Provence ; et ces provinces de grande considération demeurèrent entre les mains du roi, libres de ces esprits dangereux. Il y a sans doute, dans quelques-uns de ces actes, des traits frappants de dictature ; mais où la dictature pouvait-elle être mieux à sa place que dans cette crise de guerre étrangère et civile tout à la fois, dans cette lutte suprême contre le démembrement féodal ? Aussi bien de tous ces incarcérés un seul, le maréchal de Marillac, paya de sa vie ce que l'on est convenu d'appeler l'inimitié du cardinal. Des juges plus équitables doivent reconnaître que des péculats énormes dans les provinces, et surtout son retard calculé à se rendre en Italie, en avaient fait un criminel d'État ; toute son excuse se réduisait à l'exemple de l'impunité laissée à beaucoup de forfaits semblables avant Richelieu.

Rien ne démontre mieux combien cette sévérité était nécessaire, que la violence et l'étendue de l'effort tenté pour en tirer vengeance. Gaston d'Orléans, assuré du duc de Lorraine, poussé par sa mère et ses agents entre lesquels on remarque Rubens, prétendit rentrer en France par la force et en maitre. La gravité de l'entreprise est bien moins dans la jactance de ses manifestes, dans les pillages et incendies commis par ses troupes sur les populations qui n'adhéraient pas à ses desseins, que dans le nombre de ses complices ; et la facilité qu'il trouva en plusieurs lieux pour grossir son armée. D'Épernon, gouverneur de Guienne, lui avait fait porter l'espoir de son alliance : dites à Monsieur que je suis son très-humble serviteur, et qu'il se mette en état d'être servi. On levait de la cavalerie pour lui dans le Limousin, la Marche, le Périgord, aussi publiquement que si c'eut été pour le roi, sans que les gouverneurs s'en remuassent aucunement. Le duc de Montmorency, gouverneur du Languedoc, trompant le roi et le cardinal par des protestations de fidélité[28], profitait de ce déguisement, peu chevaleresque, pour faire des levées de gens de guerre, et mettre des garnisons en quelques villes. Il demandait la permission de tenir les États de sa province, afin de les attirer à lui par l'appât du rétablissement de leurs libertés et privilèges. Plusieurs évêques du Midi, malgré la sagesse de l'archevêque de Narbonne, entraient dans le parti de l'héritier présomptif du trône ; car le roi n'ayant pas encore d'enfants, son frère devait lui succéder, et il était prudent de mériter sa faveur ou de ne pas encourir sa vengeance. Ainsi la révolte de Gaston et de Montmorency était comme un réveil de la féodalité aux abois ; elle ouvrait en même temps une porte sur la France aux Lorrains et aux Espagnols ; ces bons voisins avaient fourni la plus grande partie des troupes avec lesquelles le frère du roi entra dans le royaume. Richelieu fit face à toutes ces attaques simultanées. Il avait fermé la route de Picardie à Gaston, en fortifiant Calais : quand l'envahisseur eut trouvé un passage par la Lorraine, voyant que les populations du nord et de la Bourgogne ne remuaient pas, il le fit suivre vers le midi par les maréchaux de la Force et de Schomberg, et tombant d'abord lui-même sur le duc de Lorraine, il occupa en six jours tous ses États, et fit livrer au roi, par un traité, trois places fortes, dont celle de Clermont avec son territoire, en toute propriété. Alors se retournant vers le Languedoc, où Montmorency venait de jeter le masque et de se déclarer pour Gaston, il y entraîna le roi, afin de montrer que les nouvelles défavorables répandues par les insurgés étaient fausses, que le roi n'était pas malade, que le roi de Suède n'était pas vaincu, que Maëstricht n'était pas tombé aux mains des Espagnols. En arrivant à Lyon, il apprit qu'à la bataille de Castelnaudary le duc de Montmorency, vaincu-par Schomberg, avait été fait prisonnier, qu'à cette vue l'armée de Gaston s'était retirée sans combattre, et que le pauvre prince réfugié à Béziers demandait grâce, et promettait d'aimer tous les ministres du roi et particulièrement M. le cardinal de Richelieu.

Il fallait un châtiment exemplaire, une leçon que personne n'oubliât désormais. Autrement la porte était ouverte à toutes sortes de rébellions dangereuses en tout temps, et particulièrement en celui auquel l'héritier présomptif de la couronne se rendait, par mauvais conseil, chef de ceux qui se séparaient de leur devoir[29]. Si les principes de Richelieu eussent été appliqués dans toute leur rigueur, Gaston lui-même n'aurait pas été ménagé ; car, dit-il dans ses Mémoires, de croire que pour être fils ou frère du roi, ou prince de son sang, ils puissent impunément troubler le royaume, c'est se tromper... Les fils, frères et autres parents du roi, sont sujets aux lois comme les autres, et principalement quand il est question du crime de lèse-majesté[30]. Gaston échappa cependant par l'abaissement de ses soumissions, qui semblait répondre de son impuissance à l'avenir, et surtout par le prestige encore si respecté de sa naissance royale. Mais Montmorency n'avait pas de pareilles sauvegardes. Il fut déféré au parlement de Toulouse, et condamné à mort. Ce chevalier menteur excitait encore une grande compassion par les souvenirs de sa bravoure, par l'importance de son nom plus connu dans le Languedoc que celui du roi. Les supplications se multipliaient pour sauver le héros de la mort, le descendant d'une race illustre de la flétrissure. Mais s'il était le premier des grands du royaume, il était de l'humeur de ceux qui, depuis cent ans, transportaient à leur grandeur et à leurs intérêts l'affection que leurs prédécesseurs portaient aux rois et à l'État. Il importait de faire en lui une justice exemplaire à tous les grands du royaume, comme le feu roi l'avait fait utilement en la personne du maréchal de Biron. Il fut exécuté comme un coupable vulgaire, ses duchés de Montmorency et de Damville privés à jamais du nom de duchés et de pairies, toutes les terres qu'il tenait immédiatement du roi réunies à la couronne, ses biens particuliers même confisqués provisoirement par le roi. Du chef principal la punition descendit aux complices. Des maîtres des requêtes furent envoyés dans les provinces pour châtier les plus rebelles, et raser les places fortes des seigneurs. Machault, chargé du Languedoc, fit exécuter à mort les plus coupables du Gévaudan et des Cévennes ; il renversa les châteaux qui servaient de citadelles contre la justice publique. Argenson parcourut la Touraine, le Berri, le Limousin, l'Angoumois, la Marche, l'Auvergne, condamna et fit exécuter en effigie le sieur de Sauvebœuf, et raser ses hautes futaies. Le parlement de Paris fut contraint, par l'exil d'un de ses présidents, de reconnaître comme immédiatement exécutoire l'arrêt de déposition rendu, par contumace, contre un de ses membres, complice de Monsieur. Enfin les évêques du Languedoc, qui avaient pris part au soulèvement, furent déférés à une commission de juges ecclésiastiques choisis par le pape. Le procès se termina au bout d'un an par la condamnation de l'archevêque d'Albi, qui fut dégradé de tout caractère épiscopal et sacerdotal, de tout privilège même clérical, et confiné pour le reste de sa vie dans un monastère, au pain de la douleur et à l'eau de ses larmes.

A partir de cette grande victoire, la domination de Richelieu, c'est-à-dire la supériorité du roi fut solidement établie ; si elle eut encore à surveiller des menées hostiles, à se défendre contre des intentions coupables, elle ne fut plus sérieusement menacée. Les contradictions qui se produisirent, dans les dix années suivantes, n'eurent plus ce caractère de révolte générale, de ligue aristocratique, qui avait quelquefois compromis la monarchie française : tout se réduit, sauf la conspiration de Cinq-Mars, à des mécontentements partiels, à des infidélités personnelles, très-dignes de répression sans doute, mais impuissantes à opérer un bouleversement. Monsieur quitte la France sous prétexte de protester contre la mort de Montmorency, il ne réussit qu'à faire conquérir la Lorraine par le roi (1632-1634). Le garde des sceaux Château-Neuf, et la duchesse de Chevreuse, cabalent en Angleterre contre la politique du cardinal ; le premier est emprisonné à Angoulême, la seconde est exilée à Tours (1633). La reine-mère réclame son rappel, et fait intervenir parfois en sa faveur les princes voisins ; ces tiraillements restent sans effet ; l'exilée ne rentre pas en grâce malgré ses protecteurs. La reine Anne d'Autriche est convaincue de correspondance avec la duchesse de Chevreuse et les Espagnols ; réduite à confesser cette trahison, elle tombe, par le pardon qu'elle accepte, dans la dépendance du cardinal ; la duchesse de Chevreuse se sauve en Espagne ; le prince de Marsillac soupçonné d'être leur complice est retenu quelque temps à la Bastille (1637). La nature même des moyens employés par les ennemis de Richelieu dénonce manifestement leur faiblesse ; au lieu de combattre à force ouverte, ils recourent à la manœuvre timide de l'assassinat. Au siège de Corbie, Gaston d'Orléans rentré en grâce, mais toujours mécontent, et le comte de Soissons plus fier que l'aîné des Condé, veulent faire poignarder Richelieu par Saint-Ibal et Montrésor ; le cœur leur mangue au moment décisif, et ils se sauvent l'un à Blois, l'autre à Sedan ; le comte de Soissons achève de s'enlever toute considération en se mettant au service des Espagnols, et périt, à la Marrée, de la main des Français (1636, 1640). La conspiration de Cinq-Mars, dix ans après la mort de Montmorency (1642), semblait annoncer une recrudescence des grandes révoltes de la noblesse. Le frère du roi, le duc de Bouillon, les intimes de Louis XIII, s'étaient proposé de venger les Espagnols de leurs défaites, en les introduisant en France, et de se faire payer ce service par le bouleversement du royaume. Richelieu était malade, le roi, qui ne savait que la moindre partie de leurs desseins, semblait les encourager à espérer le renvoi du cardinal. Richelieu n'eut à faire contre eux d'autre démonstration militaire que de continuer la guerre du Roussillon. Il lui suffit d'un exemplaire de leur traité avec l'étranger, pour demeurer le maître de la volonté du roi. Les conjurés, qui n'avaient pas la consistance des anciens partis, furent dissipés en un moment. Gaston d'Orléans fut réduit à se tenir extrêmement obligé et bien traité, s'il plaisait au roi de le laisser vivre comme un simple particulier dans le royaume, sans gouvernement, sans compagnie de gendarmes, sans pouvoir jamais prétendre aucune charge[31]. Bouillon, arrêté en Italie, racheta sa liberté et sa vie par l'abandon de sa principauté de Sedan. Cinq-Mars périt sur l'échafaud trois jours après la prise de Perpignan ; et le cardinal put écrire au roi ces deux mots qui résumaient toute sa politique : Sire, vos armes sont dans Perpignan et vos ennemis sont morts.

Comme la noblesse, les magistrats subirent l'ascendant du maître. Richelieu rejetait, comme un contresens, la part que les parlements s'arrogeaient dans la direction des affaires. Ils ne peuvent, disait-il, entreprendre de commander au roi, puisqu'ils ne sont établis que pour le faire obéir. Il leur reconnaissait partout le droit et le devoir de rendre la justice pour le bien des sujets. Dans cette pensée il créa un parlement à Metz pour les Trois-Évêchés (1633), parce que les seigneurs de ces provinces, grâce à d'anciennes concessions des empereurs et des rois, rendaient la justice sans appel, et que le peuple y était foulé par la passion et l'iniquité ; une juridiction supérieure pouvait seule remédier à cette oppression. Mais s'il les voulait juges au nom du roi, il ne les voulait pas juges des édits du roi. Il le leur fit voir à propos d'un édit de 1635 qui créait de nouveaux offices au parlement de Paris ; il leur en imposa l'enregistrement et l'exécution par des ordres formels d'abord, ensuite par des révocations et des exils. Il le leur signifia plus expressément par la déclaration de 1641. Cet acte interdisait aux cours de justice de délibérer sur les édits relatifs aux affaires d'État ; les remontrances sur les édits de finances étaient permises, à la condition que l'exécution de ces édits ne serait pas différée jusqu'à ce que les remontrances eussent été acceptées. Cette volonté impérieuse, qui choque au premier regard, s'expliquait, cependant par le désir de donner au gouvernement une marche régulière, d'opposer l'uniformité aux intérêts divers, aux habitudes étroites ou égoïstes des provinces et des compagnies. Dans la même pensée, il créa les Intendants, c'est-à-dire des administrateurs provinciaux, indépendants des gouverneurs et des cours de justice, en relation directe avec le roi, chargés d'exécuter partout la même volonté. L'absolutisme de Richelieu préparait à la France l'unité administrative, pendant que sa politique extérieure lui assurait l'unité territoriale.

La politique extérieure de Richelieu n'a au début qu'un nom : anti-autrichienne, que le succès change bientôt en celui de suprématie française. Arrêter les empiétements de l'Autriche, défendre contre l'Autriche les États secondaires qu'elle dominait ou opprimait, restreindre les possessions de l'Autriche en agrandissant ses propres adversaires de ses domaines, et fortifier la France par l'acquisition de ses frontières naturelles, tels étaient ses desseins dès l'ouverture de la succession de Mantoue, et qu'il nous expose lui-même dans des considérations si nettes qu'il ne nous est pas permis d'y substituer des paroles moins autorisées.

Il disait donc, en conseil : Qu'il fallait avoir un dessein perpétuel d'arrêter le cours des progrès d'Espagne, et au lieu que cette nation avait pour but d'augmenter sa domination et étendre ses limites, la France ne devait penser qu'à se fortifier en elle-même, et bâtir et s'ouvrir des portes pour entrer dans tous les États de ses voisins, et les pouvoir garantir de l'oppression de l'Espagne quand les occasions s'en présenteraient ; que pour cet effet la première chose qu'il fallait faire, c'était de se rendre puissant sur la mer qui donnait entrée à tous les États du monde ; qu'ensuite il fallait penser à se fortifier à Metz, et s'avancer jusqu'à Strasbourg, s'il était possible, pour acquérir une entrée dans l'Allemagne, ce qu'il fallait faire avec beaucoup de temps, grande discrétion, et une douce et couverte conduite ; qu'il fallait faire une grande citadelle à Versoix pour se rendre considérable aux Suisses, y avoir une porte ouverte, et mettre Genève en état d'être un des dehors de la France.... qu'il n'y avait personne bien sensé et bien affectionné à la France qui n'estimât que ces étrangers étaient ceux dont Sa Majesté devait conserver plus soigneusement l'alliance, tant parce qu'ils séparent l'Allemagne de l'Italie que parce que, faisant profession de la guerre, ce n'est pas peu de les acquérir et en priver ses ennemis.... que si l'Espagne dépouillait M. de Mantoue, elle serait maîtresse en Italie, étant certain que tous les potentats qui étaient au delà des Alpes, pleins d'affection pour la France et de mauvaise volonté pour l'Espagne, seraient esclaves de sa volonté tyrannique si elle venait à bout de son dessein.... qu'il fallait penser au marquisat de Saluce, soit par accommodement avec M. de Savoie, en lui donnant quelques plus grandes conquêtes en Italie, soit en profitant de la mauvaise intelligence qui était entre les habitants dudit marquisat et lui, et le reconquérant ; garder cette conquête qui, étant contiguë à nos États, se conserverait facilement en y faisant une grande et forte place ; que pour se mettre encore plus en état d'être considéré par force en Italie, il était besoin d'entretenir encore trente galères, changeant tous les trois ans ceux qui en avaient la charge ; qu'on pourrait encore penser à la Navarre et à la Franche-Comté comme nous appartenant, étant contiguës à la France, et faciles à conquérir toutes et quantes fois que nous n'aurions pas autre chose à faire ; mais qu'il n'en parlait point, d'autant que ce serait imprudence d'y penser, si premièrement ce qui était ci-dessus n'avait réussi[32].

Ainsi, il ne s'agissait plus pour la France de conquêtes lointaines, ni de menaces à l'indépendance des États voisins. Richelieu ne voulait pénétrer chez ses voisins que pour les préserver de l'oppression par le plus fort ; il ne voulait conquérir à son profit que le complément de son territoire naturel, pour assurer la France en elle-même contre d'injustes empiétements. En substituant l'attitude prudente et légitime de la défensive aux façons inquiétantes de l'agresseur, en se proclamant protecteur au lieu de conquérant, il ralliait à lui tous ceux qui avaient besoin de secours, et assurait, par la reconnaissance, leur adhésion aux bénéfices qui lui reviendraient des efforts communs. C'était la politique d'équilibre retournée, en faveur de la France.

Son premier moyen fut, comme il le déclarait, le rétablissement d'une marine. Il faut l'entendre, dans l'assemblée des notables de 1626, expliquer pourquoi la France a besoin de vaisseaux. Il propose de créer de grandes compagnies de commerce, qui aient les reins assez forts pour équiper de bons vaisseaux, capables de résister aux corsaires de Dunkerque ou de Hollande, et d'assurer la liberté des mers. Mais les efforts des particuliers seraient stériles, si le roi n'avait lui-même une flotte de guerre, pour appuyer puissamment les entreprises des marchands. Il remontre surtout que l'Espagne n'est redoutable que par sa puissance sur mer, que le petit État des Pays-Bas ne fait résistance à ce grand royaume que par ce moyen, que l'Angleterre ne supplée à ce qui lui défaut, que par cette voie, tandis que la France, destituée de ces ressources, est impunément offensée par ses voisins[33]. On voit encore, dans le Testament politique, comment il entendait rompre, par des flottes, les communications de l'Espagne avec les parties éparses de ses États, ou avec les princes qu'elle dominait. Ceux d'Italie, en particulier, attendaient cette assurance pour reprendre cœur contre la tyrannie étrangère. Il rappelle que le duc de Toscane, après le mariage de Marie de Médicis, ayant été obligé de rétablir une liaison avec l'Espagne, en donnait avec regret cette excuse : Si le roi avait eu 40 galères à Marseille, je n'aurais pas fait ce que j'ai fait. De ces fortes convictions, sortit en peu de temps la flotte qui chassa, puis écarta les Anglais de l'île de Ré, et décida la prise de la Rochelle. Une fois la guerre déclarée à l'Espagne (1635), il maintint dans la Méditerranée vingt galères et vingt vaisseaux ronds, et plus de soixante bien équipés en l'Océan ; Ce qui, dit-il, n'a pas seulement diverti les ennemis des divers desseins qu'ils avaient formés sur nos côtes, mais leur a fait autant de mal qu'ils pensaient nous en causer. Dans la Succincte Narration, il prend plaisir à exalter les victoires navales remportées sur les Espagnols, entre autres sur une flotte appelée vierge parce qu'elle n'avait jamais été battue par les Anglais et par les Hollandais.

Le second moyen fut de tenir son alliance ou ses secours à la disposition de tous ceux qui avaient intérêt à combattre l'Autriche. Dès son avènement, il traita avec l'Angleterre par le mariage de la princesse Henriette, pour ravir à l'Espagne une alliance désirée par Philippe IV, pour conserver aux Hollandais les soldats anglais qui faisaient leur principale force contre l'Espagne. Il renouvela les traités de Henri IV avec la Hollande, pour empêcher cette protégée de la France d'accepter de l'Espagne une paix à laquelle pouvaient la réduire sa lassitude et ses divisions (1624). Il prit en main la cause des Grisons à qui les Espagnols serraient les pieds, comme la gorge à l'Italie, par les forts de la Valteline ; il obtint la démolition des forts, et la restitution du territoire à ses alliés (1624). L'Espagne prétendait dépouiller la maison de Nevers de l'héritage de Mantoue, sans autre titre que celui de sa bienséance, se fondant sur sa licence et injustice accoutumée comme sur un droit équitable. Richelieu interrompit la lutte contre les huguenots pour courir en Italie, il intercala, entre la prise de la Rochelle et la soumission du Languedoc, la première guerre de Casal ; la seconde, entreprise après la pacification d'Alais, malgré les intrigues de la reine mère, consacra l'indépendance de l'héritier des Gonzague. L'Empereur l'avait provoqué à son tour en secourant les Espagnols en Italie, en menaçant la Champagne et les Trois-Évêchés par des troupes que les succès de Waldstein permettaient de grossir chaque jour. Aussitôt Richelieu prit parti pour les mécontents d'Allemagne, appela le roi de Suède, et de concert avec les princes, y compris le duc de Bavière, obtint la disgrâce de Waldstein et le désarmement de l'empereur. Il appuya les Suédois pendant la vie et après la mort de Gustave-Adolphe, puis, quand la bataille de Nordlingen eut constaté leur impuissance, il se déclara ouvertement en guerre contre l'Espagne et contre l'empereur (1635), mais ce fut avec l'approbation et le concours de tous ceux qui avaient quelque chose à gagner à la lutte. Le traité de Rivoli réunit contre l'Espagne, maîtresse du Milanais, les ducs de Savoie, de Parme et de Mantoue. Les traités de Saint-Germain et de Wesel donnèrent à la France, pour lieutenants contre l'empereur, Bernard de Saxe-Weimar et le landgrave de Hesse, par la perspective d'agrandissements territoriaux ; Bernard reçut même immédiatement l'Alsace, retirée des mains des Suédois. Richelieu tâcha encore de ranimer l'ardeur des Hollandais, par tin traité de partage des Pays-Bas espagnols, qui promettait à la France le Cambrésis, l'Artois, la Flandre, le Hainaut, Namur et le Luxembourg. Enfin, il souleva contre l'Espagne la Catalogne et le Portugal, appuyant les privilèges de l'une contre la centralisation, les droits de l'autre à recouvrer son indépendance nationale. Cette double attaque aux deux extrémités de la péninsule, détermina, par la division des forces ennemies, ses succès les plus décisifs. .

Une bonne partie de ces alliés étaient protestants. Le cardinal, évêque et théologien, non-seulement savant, mais bien plus dévoué à la foi qu'on ne le croit communément, avait mûrement pesé cette circonstance et le blâme qui pourrait en retomber sur sa politique. II est bon de lire, dans ses Mémoires, les objections qu'il s'adressait à lui-même au moment où il fut question du mariage de Madame Henriette avec Charles Ier. Il passa outre par plusieurs considérations. Nous avons vu comment il donna l'exemple de la tolérance complète et réciproque ; en ôtant aux huguenots tout pouvoir politique, il leur avait laissé leur culte, mais il avait entendu que, par le même principe, l'Église catholique se rétablit et fût libre partout où les calvinistes l'avaient abolie, ou supprimée, au temps de leur domination. Il ne croyait pas que la force persuadât les consciences, ni que le temps fût venu où la réforme, comme toutes les œuvres de l'erreur, finirait par la stérilité ou la désuétude. Il fallait la supporter partout où elle était établie, comme l'empereur lui-même s'y résignait dans la plus grande partie de ses États, entre autres en Alsace. Mais ce qu'il était permis d'entreprendre, c'était de propager hors de France, dans les pays protestants, ce que la France avait réglé chez elle par les pacifications, de réclamer des protestants intolérants la tolérance pour les catholiques, et de faire prévaloir cette demande par les avantages de l'alliance française. Que nous puissions à juste titre, disait Richelieu[34], demander la liberté de conscience, c'est chose claire ; puisque nous la donnons en France à une secte nouvelle, on la peut bien donner, en Angleterre, à un corps ancien comme le nôtre duquel ils sont contraints de confesser qu'ils sont sortis. Cette espérance domina tous ses traités avec les protestants. Il obtint des Anglais que Madame Henriette eût le droit de bâtir, dans tous les châteaux et maisons où elle demeurerait, de grandes chapelles capables de contenir tant de gens qu'il lui plairait : ce qui n'était pas un petit gain pour la religion, dans un pays où les catholiques ne pouvaient exercer leur culte sans s'exposer à une perpétuelle boucherie. Il mit des conditions analogues à son alliance avec la Hollande. Jusqu'alors, sur cette terre prétendue libre, on ne souffrait la célébration de la messe en aucun lieu ; on n'acceptait pas d'ambassadeur français qui ne fût huguenot ; on interdisait aux troupes françaises mêmes toute pratique catholique. Richelieu exigea que la Hollande reçût désormais un ambassadeur catholique, qui ferait dire la messe dans sa maison, et que les troupes françaises eussent des aumôniers pour leur dire la messe et leur administrer les sacrements. L'alliance avec Gustave-Adolphe stipula les mêmes réserves. Le roi de Suède et ses auxiliaires ne devaient pas toucher à la religion catholique ; loin de la détruire là où elle existait, ils étaient tenus de la rétablir là où elle avait été interdite. Ainsi toutes les garanties étaient prises pour que la guerre contre l'Autriche ne compromit pas la religion, et si elles ne furent pas toujours respectées par les alliés, c'est la faute de leur mauvaise foi, et non de l'indifférence religieuse du cardinal[35].

On a vu que Richelieu recommandait d'agir avec beaucoup de temps, une grande discrétion, une douce et couverte conduite. Il observa lui-même ses conseils. A l'exception de la petite guerre de la Valteline, et des deux guerres de Mantoue, il se tint longtemps au second plan. Durant dix ans, il occupa les forces des ennemis par celles des alliés, en mettant la main à la bourse, et non aux armées ; il n'entra en guerre ouverte que lorsque les alliés ne pouvaient plus subsister seuls[36]. Cette prudence singulière lui permit tout à la fois d'avancer son œuvre sans donner d'ombrage à ses voisins, et de préparer les ressources nécessaires à l'action directe. Constatons maintenant les résultats. La seconde guerre de Casal, du consentement du duc de Savoie, et à la grande joie des petits princes, livra à la France Pignerol, c'est-à-dire une porte sur l'Italie (1632). Pendant que les Suédois luttaient seuls en Allemagne, le duc de Lorraine intervenu maladroitement dans les affaires personnelles de Gaston d'Orléans, provoqua la vengeance du roi. Louis XIII occupa la Lorraine qui devait rester pendant 25 ans à la France, et s'avança vers Strasbourg (1634). Quelques années plus tard, la mort de Bernard de Saxe-Weimar transmit à Richelieu son armée sans chef, ses possessions sans défenseur, c'est-à-dire l'Alsace et Brisach ; la France atteignit la limite du Rhin et eut une entrée en Allemagne (1639). Aux Pays-Bas, les opérations furent moins actives par la lenteur calculée des Hollandais, qu'on pourrait appeler les plus égoïstes et les plus jaloux des alliés, s'il n'avait pas existé des Suédois. Cependant la France conquit l'Artois et fit un grand pas vers sa frontière du Nord (1641). A l'autre extrémité du royaume, la révolte des Catalans permit de conquérir, non pas la Navarre au delà des Pyrénées, mais le Roussillon en deçà, c'est-à-dire cette frontière, du midi, si exactement déterminée, dont Louis XI et Ferdinand le Catholique avaient également reconnu l'importance, l'un en se la faisant donner, l'autre en se la faisant rendre. En 1642, il ne manquait à la réalisation du plan de 1629 que les détails que son auteur n'avait pas eu le temps d'entreprendre, mais que ses successeurs, formés par ses exemples, ne devaient pas négliger.

La mort de Richelieu va livrer son œuvre inachevée à une crise plus tumultueuse que meurtrière, et cependant féconde en difficultés qui en feront languir la conclusion. Si la gloire des batailles monte plus haut que jamais, l'intérieur se trouble et s'agite. A cette agréable surprise de la disparition du maitre, les humiliés, les vaincus, les incarcérés, qui n'avaient pas eu le temps, ou d'oublier leurs disgrâces, ou. de prendre l'habitude de la soumission, essayent de jouer encore à l'intrigue, au pillage de la fortune publique, à la guerre civile, à la ruine de l'autorité royale. L'étranger, rassuré par ces symptômes de faiblesse, reprend cœur à faire le difficile, et il faut scinder en deux époques à onze ans de distance, la paix européenne que le grand cardinal eût emportée de haute lutte et tout d'une pièce. Mais l'ouvrage de Richelieu avait d'assez solides fondements pour supporter ces tempêtes, sans autre dommage qu'un obscurcissement passager. Les turbulents s'épuiseront dans une série d'efforts qui complétera leur défaite par la conviction de leur impuissance ; l'étranger, une première fois dompté en Westphalie, fera une soumission définitive aux Pyrénées ; et la France et la royauté, fortifiées l'une par l'autre, passeront aux mains de Louis XIV émancipé, pour consommer l'unité nationale et dominer l'Europe pendant un demi-siècle.

 

 

 



[1] L'Espagne avait, par une possession immédiate, le royaume de Naples. le duché de Milan, les présides de Toscane ; par le souvenir de ses services et la crainte de sa puissance, elle avait à sa discrétion Florence qui lui devait Sienne, l'arme qui lui devait Plaisance, la Savoie qu'elle avait reconstituée, Venise qui redoutait sa concurrence maritime et se fit son alliée.

[2] Mémoires de Montluc et de Tavannes.

[3] C'étaient le duché d'Albret, les comtés de Foix, d'Armagnac, de Bigorre, de Rouergue, de Périgord, de Limoges, de Tarascon, de Roch, de Beaumont-le-Vicomte, les comtés de Soissons, de Marie, de La Fère, le duché d'Alençon. La Navarre était bien aussi domaine, mais ce n'était pas un fief français. Elle ne fut réunie au domaine royal de France que sous le règne suivant.

[4] Poirson, Histoire d'Henri IV. Voir le chapitre curieux, tom. II, ch. XII, où sont exposées toutes ces menées des calvinistes.

[5] Mémoires de Richelieu, en 1610, liv. I.

[6] Richelieu, Mémoires, liv. I, an 1610, attribue à Henri IV les plans suivants : Il s'ouvrit à la reine de la résolution qu'il avait prise de réduire à son obéissance Milan, Montferrat, Gênes et Naples, donner au duc de Savoie la plus grande partie du Milanais et du Montferrat, en échange du comté de Nice et de la Savoie ; ériger le Piémont et le Milanais en royaume, faire appeler le duc de Savoie roi des Alpes.... Son intention était d'intéresser tous les princes d'Italie à ses conquêtes, la république de Venise par quelque augmentation contiguë à ses Etats, le grand-duc de Toscane,... les ducs de Parme, de Modène,... et Mantoue... Il voulait passer en Flandre, donner ordre aux troubles arrivés à Clèves et à Juliers, allumer la guerre en Allemagne, non à dessein d'y chercher quelque établissement au delà du Rhin... Peut-être que l'appétit lui fût venu en mangeant, et que, outre le dessein qu'il faisait pour l'Italie, il se fût résolu d'attaquer la Flandre, où ses pensées se portaient quelquefois, aussi bien qu'a rendre le Rhin la borne de la France, y fortifiant trois ou quatre places.

[7] Voir le cahier de l'assemblée de Saumur (1611) et les réponses favorables du roi.

[8] Cette complicité des huguenots est attestée par le duc de Rohan, dans son discours sur le gouvernement de la reine en 1647 : Monsieur de Nevers ne s'est excusé de se joindre à Monsieur le Prince dans les derniers mouvements, que sur ce que ceux de la religion étaient de la partie.

[9] Soissons se fit donner à lui-même le gouvernement de Normandie, et à son fils celui du Dauphiné. Condé se fit d'abord donner Amboise, outre la Guienne ; plus tard, il prit Chinon et le Berry. Mayenne fit ajouter le gouvernement de Paris à celui de l'Ile-de-France.

[10] Manifeste du prince de Condé en 1615.

[11] Soissons, au commencement de la régence, disait : Si au moins on faisait quelque chose de notable pour moi, je pourrais fermer les yeux à ce que l'on désire. Sur quoi, on lui donna une pension de 50.000 écus, le gouvernement de la Normandie, le Dauphiné et la charge de grand-maître pour son fils, et 200.000 écus pour acquitter les dettes de sa femme.

[12] Discours du duc de Rohan en 1617.

[13] Mémoires de Richelieu. Voir aussi la déclaration du roi contre les princes rebelles, février 1617. V. l'instruction rédigée par Richelieu pour le comte de Schomberg, envoyé à cette époque en Allemagne pour justifier auprès des princes allemands la conduite du roi de France envers les rebelles.

[14] Dans les conseils donnés à ce sujet par la reine-mère à son fils, on croit reconnaître l'inspiration de Richelieu, et la prudence qu'il pratiqua lui-même vis-à-vis des huguenots au commencement de son ministère.

[15] Rohan, discours VIII. — Raisons de la paix faite devant Montpellier, 1622.

[16] Mémoires de Richelieu, an 1619.

[17] Mémoires de Richelieu, 1622.

[18] Rohan, Discours sur les derniers troubles : Nous obtînmes une paix sinon telle qu'elle nous était nécessaire, au moins meilleure que la précédente, parce que les fortifications faites subsistèrent, et que, par le consentement du roi, le roi d'Angleterre en demeura caution.

[19] Rohan, Discours.

[20] Rohan, Discours.

[21] Mémoires de Richelieu, 1629.

[22] Il dit aux ministres que Sa Majesté aurait un soin particulier de faire connaître à leur avantage, qu'en qualité de sujets, il ne faisait pas de distinction entre eux et les catholiques ; que, pour son particulier, il s'estimerait heureux de leur faire connaître par effet que, s'il désirait ardemment leur salut, il souhaitait aussi leur conservation temporelle. (Mémoires de Richelieu, 1629.)

[23] Succincte Narration.

[24] Mémoires de Richelieu, 1624.

[25] Mémoires de Richelieu, 1627.

[26] Succincte Narration.

[27] V. Mémoires de Richelieu, année 1634, la relation du conseil, où il propose au roi cinq moyens de sortir d'embarras.

[28] Mémoires de Gaston d'Orléans : Le cardinal est averti de toutes parts que Monsieur prend la route de Languedoc, mais il ne peut s'imaginer qu'il y soit appelé par M. de Montmorency, outre qu'il avait été son meilleur ami pendant le voyage de Lyon, et ne croyait pas lui avoir donné sujet de changer cette bonne volonté. Les protestations qu'il avait faites, par plusieurs de ses lettres, de sa fidélité inviolable au roi, ne permettaient pas non plus à Sa Majesté d'ajouter foi à ce qui s'en publiait au contraire...

[29] Succincte Narration.

[30] Mémoires de Richelieu, 1632.

[31] Déclaration du duc d'Orléans, 3 août 1642.

[32] Mémoires de Richelieu, liv. XX, année 1629.

[33] Mémoires de Richelieu, liv. XVIII, 1627.

[34] Avis de Richelieu dans le conseil, à propos du mariage de Madame Henriette. — Mémoires, 1624.

[35] Richelieu tient beaucoup à se préserver du reproche d'avoir compromis la religion. On lit dans la Succincte Narration :

La seconde remarque digne de grande considération à ce sujet, est que Votre Majesté n'a jamais voulu, pour se garantir du péril de la guerre, exposer la chrétienté à celui des armes ottomanes qui lui ont été souvent offertes. Elle n'ignorait pas qu'elle accepterait un tel secours avec justice, et cependant cette connaissance n'a pas été assez forte pour lui faire prendre une résolution hasardeuse pour la religion, mais avantageuse pour avoir la paix. L'exemple de quelques-uns de ses prédécesseurs et de divers princes de la maison d'Autriche, qui affecte particulièrement de paraître aussi religieuse devant Dieu qu'elle l'est en effet à ses propres intérêts, s'est trouvé trop faible pour la porter à ce que l'histoire nous apprend avoir été pratiqué plusieurs fois par d'autres.

[36] Succincte Narration.