HISTOIRE DE MARIE DE BOURGOGNE

FILLE DE CHARLES-LE-TÉMÉRAIRE, FEMME DE MAXIMILIEN, PREMIER ARCHIDUC D'AUTRICHE, DEPUIS EMPEREUR

 

PRÉFACE.

 

 

LA biographie a des avantages qui manquent à l'histoire générale ; elle développe mieux les objets, elle peint mieux les caractères ; elle peut descendre, sans s'avilir, jusqu'à des détails intéressants, que l'histoire générale est forcée de négliger parce qu'ils gêneraient sa marche, ou qu'ils chargeraient trop ses tableaux. L'histoire particulière rassemble ces détails, elle s'en nourrit, elle accumule, quoiqu'avec choix, les traits qui distinguent les hommes, qui font connaître la trempe de leur âme ; et tandis que l'histoire générale fait sa principale affaire des événements qu'elle trace, qu'elle enchaîne, et auxquels elle rapporte, pour ainsi dire, les personnages, l'histoire particulière subordonne ces mêmes événements aux personnages, et s'attache principalement à procurer la connaissance des hommes, sans laquelle la science des faits serait si stérile.

L'époque à laquelle on s'arrête dans cet ouvrage est une des plus importantes de notre histoire : elle présente l'origine de l'ancienne rivalité des maisons de France et d'Autriche. L'acharnement de Louis XI contre les restes du sang de Bourgogne, le mariage de Maximilien avec la princesse Marie, la riche succession de Bourgogne recueillie en partie par l'Autriche et disputée par la France, avaient fait naître ces haines cruelles, perpétuées de branche en branche dans les deux maisons rivales pendant plusieurs siècles, envenimées par tous les évènements postérieurs, surtout par la concurrence de Charles-Quint et de François Ier à l'empire, et par celle de l'empereur Charles VI et de Philippe V au trône d'Espagne. La sagesse de notre gouvernement répare aujourd'hui, autant qu'il est possible, les fautes de Louis XI. Ces haines, qui semblaient devoir être éternelles, sont converties en une amitié sincère en une alliance utile, plus capable d'assurer le repos de l'Europe que cette balance chimérique et toujours inégale qui a fait verser tant de sang. La France et l'Autriche alliées[1] offrent un spectacle nouveau dans le monde politique, mais plus agréable encore aux puissances amies de la paix et à tous les bons citoyens des deux empires. Ils gémissaient pendant le cours de la dernière guerre de voir des intérêts différents diviser des souverains que les mêmes vertus invitaient à s'unir. Puissent ces nouveaux nœuds se resserrer de jour en jour, et devenir plus durables que les discordes qui les ont précédés

Mais, indépendamment de l'intérêt que les circonstances actuelles peuvent répandre sur ce sujet, par la comparaison qui s'offre naturellement entre la politique simple, prudente, heureuse de Louis XV, et la politique trop souvent artificieuse, violente et funeste de Louis XI, les malheurs et les vertus de Marie de Bourgogne nous ont paru dignes de la curiosité des lecteurs. Une princesse de vingt ans qui, appelée sous les plus cruels auspices à gouverner des peuples indociles et malheureux, poursuivie au-dehors par un ennemi implacable, opprimée au-dedans par des sujets rebelles, oppose au premier une constance inébranlable, aux seconds une douceur inaltérable, et défend contre tous, du fond de sa prison, ses États déchirés ; qui s'humiliant glorieusement sous un peuple frénétique, en faveur de deux ministres fidèles, implore leur grâce, et voit tomber leurs têtes à ses pieds ; qui, arrachée à son conseil, à ses parents, à ses amis, à ses domestiques, ne s'abandonne point elle-même et ne perd rien de son courage ; qui, recherchée avec empressement par les plus puissants monarques, échappe avec peine à l'horreur d'épouser malgré elle un monstre souillé des plus grands crimes ; qui, rétablie, à force de malheurs, dans un État plus libre et plus tranquille, ne se venge de ses indignes sujets qu'en les forçant de l'aimer ; qui, enfin, après avoir fait par son mariage le destin de l'Europe, meurt par un accident bizarre, lorsqu'elle touchait aux portes du bonheur : une telle princesse mérite sans doute de vivre dans la mémoire des hommes, et sa vie offre un tableau qui ne pourrait manquer d'être intéressant, si les talents du peintre répondaient à la dignité du sujet.

 

 

 



[1] L'auteur a publié cette Histoire en 1757.