HISTOIRE DE CHARLEMAGNE

INTRODUCTION

 

CHAPITRE II. — Histoire abrégée de la première Race.

 

 

CLOVIS

 

LES guerres des peuples barbares, comme nous l'avons dit, sont moins déraisonnables que les nôtres, parce qu'elles ne sont pas tout-à-fait sans objet ; mais par cela même qu'elles ont un objet, elles sont plus atroces, plus continuelles, plus acharnées ; les rois ne sont alors que des généraux d'armée, ou plutôt que des soldats, chefs de soldats, et plus exposés qu'eux à tous les hasards. Dans les batailles, hors des batailles, leur vie est sans cesse menacée ; et c'est peut-être là le caractère le plus frappant qui distingue les guerres des peuples barbares[1].

Clovis monte sur le trône ; il a un rival dans Siagrius, fils de ce comte Gilles qui avait été le rival de Childéric, père de Clovis[2] ; ainsi il y avait entre les deux chefs une rivalité déjà héréditaire, à laquelle se joignait une rivalité nationale ; car Siagrius, ainsi que le comte Gilles, était gouverneur dans la Gaule pour les Romains, que les Français chassaient alors de la Gaule [486, 487, 488]. Clovis défait Siagrius près de Soissons ; le vaincu va chercher un asile auprès d'Alaric, roi des Visigoths ; Clovis menace Alaric, se fait livrer Siagrius, se sert de Siagrius lui-même pour engager ses sujets à remettre toutes ses places comme le prix de sa liberté, lui fait ensuite trancher la tête, et, par ce mélange de fraude et de violence, met fin dans la Gaule à la domination déjà bien ébranlée des Romains, qui durait depuis Jules César.

On sait l'histoire du vase de Soissons, et la vengeance que prit Clovis de l'insolence du gendarme qui avait donné un coup de hache sur ce vase ; Clovis, dans une autre occasion, l'ayant trouvé en faute sur des choses qui concernaient le service militaire, lui fendit la tête d'un coup de hache, en lui disant : C'est ainsi que tu frappas le vase de Soissons. Ce fait, susceptible de diverses interprétations, a donné lieu à différentes opinions sur l'étendue et les bornes de l'autorité royale dans ces premiers temps : pour nous, nous ne considérons que ce qui concerne les mœurs ; un roi qui tue un de ses soldats, de sa main, sans jugement préalable, ne révolta personne alors, et inspira, dit Grégoire de Tours, plus de respect que d'horreur.

Dans cette bataille de Tolbiac [496] contre les Allemands, où Clovis, près d'être vaincu, invoqua le Dieu de sa femme, et promit de le reconnaître était vainqueur, le roi des Allemands resta sur la place, et Clovis victorieux se fit chrétien[3]. Ce vœu mercenaire, dit l'abbé Le Gendre, semblait plutôt un marché qu'une prière qui méritât d'être exaucée. Tout vœu est-il autre chose dans l'intention de celui qui le fait ?

Les mœurs des autres peuples qui partageaient encore alors la Gaule avec les Francs, étaient à-peu-près les mêmes.

Ces peuples étaient les Bourguignons, qui, outre les provinces auxquelles le nom de Bourgogne est resté, possédaient le Lyonnais et les provinces voisines de l'Italie ; les Visigoths, qui joignaient à l'Espagne le Languedoc et d'autres provinces méridionales de France ; les Bretons, qui, chassés de la Bretagne, c'est-à-dire de l'Angleterre par les Anglo-Saxons, s'étaient établis dans cette province maritime de France, qui, de leur nom, s'est nommée Bretagne, comme l'ancienne Bretagne s'est nommée Angleterre, du nom des Anglo-Saxons.

Gondioche, roi des Bourguignons, avait laissé quatre fils : Gondebaud, Gondégisile, Chilpéric, Gondemar ; ils avaient partagé le royaume de Bourgogne, comme les fils et les petits-fils de Clovis partagèrent depuis le royaume de France. Les deux aînés firent une ligue pour dépouiller les deux autres ; Gondebaud assiégea dans Vienne Chilpéric et Gondemar, brûla ce dernier dans une tour où il se défendait [477], fit massacrer Chilpéric et ses deux fils, qui étaient tombés entre ses mains, et jeter sa femme dans la rivière, une pierre au cou.

Chilpéric laissait deux filles ; Gondebaud leur laissa la vie, et on peut s'en étonner. On peut cependant aussi concevoir cette espèce de politique ; une femme âgée n'était bonne à rien ; des fils étaient dangereux ; des filles n'étaient point à craindre, elles n'héritaient pas, et elles pouvaient servir à former des alliances utiles : en effet, une de ces filles épousa Clovis, ce fut la célèbre reine Clotilde ; l'autre se fit religieuse.

Gondebaud et Gondégisile, comme on peut le penser, se brouillèrent pour le partage des États qu'ils avaient enlevés à leurs frères. Gondégisile propose à Clovis un traité secret pour dépouiller Gondebaud et partager ses États ; Clovis y consent, et, par une petite finesse de barbare, concertée avec Gondégisile, au lieu d'attaquer les terres de Gondebaud, c'est sur celles de Gondégisile qu'il se jette. Celui-ci appelle son frère à son secours ; Gondebaud y vient ; mais dans une bataille qui se livre près de Dijon, sur les bords de la rivière d'Ouche, Gondégisile passe du côté de Clovis ; Gondebaud, se voyant trahi, s'enfuit dans Avignon[4] ; Clovis l'y poursuit, l'y assiège ; on négocie [500] ; Gondebaud s'engage à payer tribut-à Clovis, ne le paye point, lie une intrigue, choisit son temps, surprend Gondégisile dans Vienne, le fait tuer dans une église, malgré le respect des asiles, et réunit toute la monarchie des Bourguignons [501].

Clovis était occupé ailleurs. Alaric, roi des Visigoths, jeune, vaillant, ambitieux comme lui, possédant une grande partie de la Gaule, devait naturellement être son rival et son ennemi. On savait dès lors assez de politique pour être faux et hypocrite ; Alaric était arien Clovis tira un grand parti de cette circonstance pour mettre le clergé dans ses intérêts ; il ne parlait que de défendre la divinité du Verbe et la consubstantialité du Père et du Fils ; il transforma cette querelle d'ambition en une guerre de religion.

Après diverses hostilités, les deux rivaux se rencontrèrent dans la plaine de Vouillé, près de Poitiers [507]. Comme cette expédition est la plus importante de celles de Clovis, elle est aussi chez les historiens la plus chargée de circonstances ou merveilleuses ou au moins singulières. Une biche indiqua aux Français un gué pour passer la Vienne ; cet endroit s'appelle encore le pas de la biche. On vit une aurore boréale qui paraissait partir du clocher de Saint-Hilaire de Poitiers ; ce fut un signe céleste qui annonçait aux Français la victoire. Elle fut encore prédite plus clairement. La superstition, toujours compagne de la barbarie, avait trouvé un moyen de forcer Dieu de converser avec les hommes, et de leur dévoiler l'avenir. On ouvrait au hasard l'écriture sainte, et le premier passage qu'on y trouvait, ou le verset qu'on en tendait chanter en entrant dans l'église, était la réponse qu'on demandait. On se rappelle qu'Alexandre, voulant forcer la prêtresse de Delphes à lui rendre malgré elle un oracle, et l'ayant prise rudement par la main pour la faire entrer dans son temple, elle s'écria : Mon fils, rien ne peut vous résister[5] ! et qu'Alexandre, s'en tenant à ce mot, ne voulut point d'autre oracle. Clovis, également heureux, tomba sur ces deux versets du psaume dix-septième[6] :

Vous m'avez revêtu de force pour la guerre, vous avez supplanté ceux qui s'étaient élevés contre moi.

Vous avez mis mes ennemis en fuite, et vous avez exterminé ceux qui me haïssaient.

Il ne fut plus possible de douter de la victoire ; n'en pas douter est souvent un moyen sûr de l'obtenir. Les Français avaient juré de ne se point faire la barbe qu'ils n'eussent vaincu leurs ennemis[7] ; ces sortes de vœux aident encore à vaincre. Les Visigoths furent défaits ; Clovis renversa de cheval Alaric, et le tua de sa main ; tout ce qui est entre la Loire et les Pyrénées fut soumis ; chaque bataille alors entraînait un régicide et une conquête. Théodoric, roi des Ostrogoths, c'est-à-dira des Goths d'Italie, vengea son gendre Alaric, en remportant sur Clovis, auprès d'Arles, une grande victoire, qui ne coûta la vie à aucun roi, mais qui priva Clovis d'une grande partie de ses conquêtes, qui réunit le royaume dès Visigoths à celui des Ostrogoths, et qui conserva pour la suite le premier au jeune Amalaric, fils d'Alaric et petit-fils de Théodoric.

Le reste de la vie de Clovis, le plus grand roi, et pour ainsi dire le Charlemagne de la première race, n'est plus qu'un tissu de crimes, et ces crimes sont autant de régicides. Il fait tuer Sigebert, roi de Cologne [510], par Clodoric, fils de Sigebert même, et, après avoir chargé Clodoric de ce parricide, il soulève contre lui ses propres domestiques, qui le massacrent à son tour. Il force Cararic, roi des Morins, et son fils, d'entrer dans les ordres et de lui abandonner leurs États ; et sur quelques menaces échappées au fils de réclamer un jour ses droits, il envoie les égorger l'un et l'autre.

Il fendit lui-même la tête à coups de hache à Ragnacaire, roi de Cambray, et à Riguier, son frère, qui lui furent livrés par leurs propres sujets, séduits par ses artifices ; il joignit à l'égard de ces malheureux l'insulte à la cruauté : Comment, dit-il à Ragnacaire, un roi se laisse-t-il ainsi garrotter ?Et toi, dit-il à Riguier, comment ne l'as-tu pas empêché ?[8] Mais il donna une grande leçon aux traîtres qui lui avaient livré ces deux princes ; il était convenu de leur donner pour récompense des bracelets et des baudriers d'or ; ceux-ci s'aperçurent que l'or était faux, et s'en plaignirent ; Clovis les renvoya, en leur disant qu'ils méritaient de mourir dans les supplices pour avoir trahi leur maître. Tout le monde avait le droit de leur tenir ce discours, excepté Clovis.

Enfin il fit assassiner Renomer, roi du Mans, et son frère, dans leur propre ville ; j'envahit les États de tous ces princes [511].

On ne sait pas bien quelle était l'origine et l'étendue de tous ces petits royaumes qui subsistaient alors dans la Gaule. Tout ce qu'on sait c'est que tous ces princes sont qualifiés rois dans l'histoire ; qu'ils étaient tous parents de Clovis, et que quelques uns l'avaient bien servi, entre autres Cararic, roi des Morins, et Ragnacaire, roi de Cambray, qui n'avaient pas peu contribué à le faire triompher de Siagrius ; ils en reçurent cette récompense[9]. Voilà bien l'esprit de guerre dans toute sa férocité.

Clovis craignait, dit Grégoire de Tours, que les Francs ne choisissent un autre chef : de là tant de violences et de crimes.

Si, d'un autre côté, aux prodiges qui accompagnent la bataille de Vouillé nous joignons la sainte Ampoule, apportée du ciel par une colombe, l'écu semé de fleurs de lis, et l'étendard de l'oriflamme, déposés par un ange entre les mains de l'ermite de Joyenval, le don de guérir des écrouelles, accordé à Clovis — comme il le fut depuis en Angleterre à Édouard-le-Confesseur —, et ce même don, éprouvé avec succès par Clovis sur Lanicet son favori ; nous trouverons dans tout ce règne le mélange de violence et de superstition qui caractérise la barbarie, et nous ne verrons peut-être à louer dans Clovis que le bonheur qu'il eut d'être en France le premier roi chrétien, et dans la chrétienté le seul prince orthodoxe : avantage qui attira ou retint dans son obéissance les Gaulois ; auxquels la domination des Goths et des Bourguignons, princes ariens, était odieuse.

Au reste, Clovis n'était dévot que parce que tout le monde l'était alors ; il faisait de grands présents à l'église de Saint-Martin de Tours, et croyait devoir à la protection de ce saint une partie de ses victoires ; il disait de lui, qu'il servait assez bien ses amis, mais qu'il était un peu cher : mot qui semblerait avoir été dit dans un de ces siècles qu'on appelle éclairés, et qui ne sont peut-être que frivoles, on l'on croit n'être pas superstitieux, parce qu'en riant de tout on rit quelquefois de la superstition.

Un écrivain, non moins distingué par ses titres littéraires que par son rang et ses dignités, a développé, dans un mémoire plein de vues et de sagacité[10], la politique de Clovis, qu'il compare à celle de Ferdinand-le-Catholique et de Charles-Quint ; il compare aussi une entrevue de Clovis et d'Alaric à Amboise avec la fameuse conférence de Nice, entre Charles-Quint et François r, et surtout la conversion de Clovis avec l'alpin, ration de Henri IV ; il justifie toutes ces comparaisons, par la ressemblance des objets, des vues, des motifs, des causes et des effets ; il compare encore la rédaction de nos lois saliques sous Clovis avec la promulgation des lois romaines sous Justinien, et il trouve le code salique plus simple et plus uniforme. En parcourant toutes les expéditions militaires de Clovis, il fait voir comment elles se rapportent à un but unique, qui est de réunir la Gaule entière sous la domination de Clovis, comme le but de Ferdinand-le-Catholique fut de régner seul en Espagne, et celui de Charles-Quint de rendre sa puissance, sinon unique, au moins absolument prépondérante dans l'Europe ; il relève les fautes que fit Clovis en politique, et les démarches inconséquentes qui l'éloignèrent quelquefois de son objet ; mais en détestant les violences et les perfidies de Clovis à l'égard de tous ces petits rois du nord de la Gaule, ses parents, il montre comment ces crimes rentraient dans le plan d'ambition et de conquête que Clovis s'était fait ; il observe que Clovis, perdant l'espérance de s'agrandir du côté du midi, où Théodoric lui opposait une puissance au moins égale et une habileté peut-être supérieure ; il devait naturellement tourner ses vues vers lès objets sur lesquels son ambition pouvait s'exercer.

Au reste, la politique de Clovis — et M. le D. de N. ne le dissimule pas — était purement machiavéliste, et n'avait que la conquête pour objet : nous nous dispensons donc de la louer, et nous réservons notre estime pour la finesse avec laquelle M. le D. de N. a su démêler tous les ressorts, pénétrer tous les mystères et clé-voiler toutes les fautes de cette politique.

 

LES QUATRE FILS DE CLOVIS.

 

LE royaume de Clovis fut divisé entre ses quatre fils : Thierry, roi de Metz, Clodomir d'Orléans, Childebert de Paris, Clotaire de Soissons[11]. Cette division était encore un effet de la barbarie des Francs et de l'ignorance des vrais intérêts. On voyait seulement que les femmes ne devaient pas hériter, parce qu'elles ne font point la guerre, et qu'une nation toute guerrière ne pouvait être conduite que par un guerrier ; mais on ne concevait pas que la monarchie ne souffre point de partage, que l'héritier du trône doit être unique, qu'il doit être certain, et que ce doit être l'aîné de la branche aînée, avec représentation à l'infini, tant en ligne collatérale qu'en ligne directe : voilà ce qui été bien compris que par succession de temps ; et la seconde race n'a sur ce point aucun avantage sur la première.

Une autre particularité qui tenait encore aux mœurs du temps, c'est que Thierry, quoique né d'une concubine, hérita aussi-bien que les fils de Clotilde. Cet usage ne provenait pas cependant, comme oh pourvoit le croire, de cette ignorance ou de ce mépris des lois sacrées du mariage, dont nous verrons dans la suite trop d'exemples. Une concubine alors n'était pas ce qu'on entend aujourd'hui par ce mot : c'était une faufile légitime, dont le mariage, quoiqu'il eût été moins solennel, à cause du défaut de dot ou à cause d'une disproportion marquée de rang et de fortune, n'en était pas moins indissoluble. Si cette femme ne jouissait pas dans la maison de la même considération qu'une épouse de condition égale, elle tenait en quelque sorte le milieu entre une femme et une maîtresse, et ses enfants étaient légitimes[12]. Des conciles ont paru approuver cette espèce d'union[13] : les lois romaines l'avaient consacrée ; mais il y avait sur ce point, entre les Romains et les Francs, cette différence essentielle, que chez les Romains les enfants nés d'une telle union, quoiqu'ils fussent retardés comme légitimes, ne pouvaient succéder. L'incertitude et les abus qui naissaient du défaut de solennité dans ces mariages les ont fait réprouver dans la suite.

On retrouve sous les fils de Clovis les mêmes horreurs que sous leur père, le même massacre de rois, et un plus grand encore, soit parmi les Francs, soit chez les peuples voisins [517, 518]. Un prince ou capitaine danois, nommé Cochiliac, qui se prétendait issu de Clodion, exerçait des pirateries avec ce qu'on appelait alors une flotte, et força les Francs d'avoir aussi quelques vaisseaux ; il fit une descente sur les terres de Thierry, qui envoya contre lui Théodebert son fils. Celui-ci surprit le Danois au moment où il allait se rembarquer avec le butin qu'il avait fait : il l'attaqua, le défit, et le tua de sa propre main, selon l'usage.

Hermenfroy, Balderic et Berthier, rois de Thuringe, étaient divisés comme l'avaient été les rois de Bourgogne : Hermenfroy, après avoir fait périr Berthier, fit, avec Thierry, pour dépouiller Balderic, son autre frère, le même traité de partage, c'est-à-dire de brigandage, que Gondégisile avait fait avec Clovis : Balderic fut tué dans une bataille, et Hermenfroy manqua de parole à Thierry, toujours suivant l'usage. Thierry emporte par force plus qu'on ne lui avait promis par le traité, il soumet toute la Thuringe. Hermenfroy, réduit à demander grâce, vient le trouver à Tolbiac sur sa parole [531]. Un jour, pendant qu'il se promenait avec Thierry sur les remparts de la ville, un homme de la suite de Thierry pousse Hermenfroy, le fait tomber dans le fossé, où on le laisse mourir faute de secours, et la Thuringe reste à Thierry.

Berthier avait laissé un fils, nommé Amalafroy, et une fille, nommée Radegonde ; Clotaire, roi de Soissons, épouse Radegonde, et fait assassiner Amalafroy. C'était son usage de faire périr les enfants ou les frères des femmes qu'il épousait : nous le verrons égorger les fils de Clodomir son frère, en épousant sa veuve et leur mère.

Les Français et les Thuringiens étaient ennemis mortels, depuis qu'un roi de Thuringe, dans une incursion qu'il avait faite en France, avait exercé une de ces cruautés auxquelles les peuples, même barbares, ne sont point accoutumés. Environ deux cents jeunes filles et à-peu-près un pareil nombre de jeunes hommes étant tombés entre ses mains, il avait fait égorger les filles et pendre les hommes. Les Français n'oublièrent jamais cette horreur, et s'en vengèrent par d'autres horreurs.

Gondebaud, roi de Bourgogne, avait laissé deux fils, Sigismond et Gondemar. Sigismond avait eu d'une première femme, nommée Ostrogothe, fille de Théodoric, roi des Ostrogoths en Italie, un fils, nommé Sigeric. Il épousa dans la suite une servante, qui, suivant l'usage des marâtres dans les siècles barbares, irrita tellement Sigismond contre Sigeric, par ses intrigues et ses calomnies, qu'il le fit étrangler dans son lit ; il alla ensuite le pleurer quelque temps dans un couvent [522], et crut avoir satisfait à la religion et à la nature par quelques largesses qu'il fit aux moines, et qui l'ont fait mettre au nombre des saints.

Les trois fils de Clotilde, sous le prétexte vrai ou faux que Sigismond retenait injustement le bien de leur mère, attaquent Sigismond ; il tombe avec sa femme et ses enfants entre les mains de Clodomir, roi d'Orléans, qui les fait égorger et jeter dans un puits : le royaume de Bourgogne fut pour lors conquis par les Francs.

Il fut reconquis le moment d'après par Gondemar, frère de Sigismond ; les Francs, conduits par Clodomir, ne tardèrent pas à lui présenter la bataille ; ce fut à Veseronce auprès de Vienne [524]. Clodomir, vainqueur, poursuivant les fuyards avec l'ardeur imprudente de ces temps-là, fut tué. Les Bourguignons lui coupèrent la tête, et la mirent au bout d'une lance pour insulter les Français. Des auteurs prétendent qu'il fut trahi et livré aux ennemis par Thierry son frère, et alors son allié. Quoi qu'il en soit, ses soldats victorieux vengèrent sa mort par une de ces horribles dévastations, qui paraissent toujours aux barbares le plus doux fruit de la victoire. Les rois francs, frères de Clodomir, complétèrent sa vengeance, et satisfirent son ambition, en soumettant entièrement les États de Gondemar, qui, ayant été fait prisonnier dans une bataille, fut mis dans une tour, où il mourut de désespoir. Ainsi finit le premier royaume de Bourgogne ; il avait duré environ cent vingt ans.

Clotilde, fille de la célèbre reine de ce nom, et sœur des rois francs, avait épousé Amalaric, roi des Visigoths, petit-fils du grand roi d'Italie Théodoric, et fils de cet Alaric tué par Clovis à la bataille de Vouillé. Arien zélé, il la persécutait parce qu'elle était catholique ; il la tenait en prison, où elle éprouvait des traitements si rigoureux, qu'enfin sa patience étant lassée, elle envoya aux rois ses frères un mouchoir teint de son sang, monument de ses outrages. Childebert fut le seul qui s'arma pour les intérêts de sa sœur ; il gagna sur Amalaric une grande bataille près de Narbonne. Amalaric fut tué dans sa fuite ; Clotilde, que son frère ramenait libre et vengée, mourut en route [531, 532].

Cette victoire n'entraîna pas la conquête du royaume des Visigoths ; mais la capitale de ce royaume fut reculée de Narbonne à Tolède, les rois visigoths sentant la nécessité de s'éloigner des rois francs.

Childebert s'était porté avec d'autant plus d'ardeur à la vengeance de sa sœur, qu'il s'agissait des intérêts de la foi. Son zèle sur cet article paraît être le caractère qui le distingue parmi ses frères ; il le poussait à un tel point, qu'ayant entendu dire que le pape Pelage était suspect d'hérésie, il lui envoya demander sa profession de foi. Le pape, dans une réponse très modérée, prie Childebert et les évêques de France de ne pas croire légèrement aux bruits injurieux qu'on peut répandre contre lui, et qu'il attribue aux Nestoriens[14] ; il renvoie sur les hérésies du temps — qui concernaient la divinité du Verbe, et qui étaient comme autant de branches de l'arianisme — aux lettres du pape Léon, et à la décision du concile de Chalcédoine ; il anathématise ceux qui pensent autrement sur la foi.

Les rois francs n'étaient ni plus unis, ni moins cruels entre eux, qu'avec leurs voisins. La mort de Clodomir parut à Childebert et à Clotaire une occasion favorable pour envahir ses États. Clodomir avait laissé trois fils : Théodebert, Gontaire et Clodoald, qui étaient élevés avec beaucoup de tendresse par la reine Clotilde, leur aïeule. Childebert et Clotaire la prient de les leur envoyer, pour qu'ils les mettent en possession des États de leur père. Clotilde, consacrée dans la retraite à la vertu et à la piété, ne put soupçonner ses fils d'un crime, et leur livra leurs victimes. On ne sait s'ils voulurent insulter à sa crédulité, ou s'ils crurent lui montrer un reste d'égard, en lui donnant pour ses petits-fils le choix des ciseaux ou du poignard. Dans son indignation et dans sa douleur, elle s'écria, sans savoir ce qu'elle disait, qu'elle aimait mieux les voir morts que tondus et enfermés dans un cloître. Ce mot fut leur arrêt ; Clotaire prend un poignard, et renverse l'aîné mort à ses pieds. Le second embrasse les genoux de Childebert, qu'il crut moins impitoyable, et lui demande la vie. Childebert se sentit ému, et voulut engager Clotaire à épargner cet enfant. Clotaire, transporté de fureur à cette proposition, menace son frère de le tuer lui-même, lui arrache l'enfant, et le poignarde à ses yeux [534]. Le troisième eut le bonheur d'échapper ; il se consacra aux autels, et vécut seul en paix parmi tous ces monstres guerriers. On l'invoque sous le nom de saint Cloud, qu'il a donné à ce bourg, situé sur la Seine, à deux lieues de Paris, qui lui avait servi d'asile. Clotaire se dédommagea de cette victime perdue en massacrant de sa main les domestiques des princes.

Thierry demande au même Clotaire un entretien secret, pour traiter de quelques affaires : Clotaire en entrant dans le lieu indiqué, aperçut des soldats dont les pieds passaient par-dessous une tapisserie, derrière laquelle ils avaient prétendu se cacher ; il retint son escorte, tout se passa tranquillement, et il ne fut parlé ni de l'escorte ni des soldats cachés. Tels étaient les stratagèmes du temps.

Un seigneur franc, nommé Munderic, qui se disait du sang royal, et qu'on croit avoir été un fils naturel de Clovis, prétendait avoir droit à la couronne aussi-bien que Thierry : Thierry le fit assassiner. Munderic mourut en roi, du moins en roi du sixième siècle. Investi dans le château de Vitry, on n'avait pu l'en tirer qu'en lui promettant la vie. Quand il se fut rendu, on donna le signal pour le massacrer. Munderic s'en aperçut ; il s'élança sur le capitaine qui le trahissait ainsi, le tua, et, avec une poignée de monde qui le suivait, vendit chèrement sa vie.

Ce Thierry, si injuste envers Munderic, passa pour justicier et pour populaire, parce qu'il fit trancher la tête à Sigivalde, un de ses parents, pour quelques exactions faites sur le peuple dans son gouvernement d'Auvergne. A la mort de Thierry, Childebert et Clotaire s'unirent pour envahir sa succession, comme ils avaient envahi celle de Clodomir [538] : mais Théodebert, fils de Thierry, était en état et dans l'intention de se défendre ; il les prévint, et sut les diviser au point que Childebert S'unit peu de temps après avec lui contre Clotaire ; car. ces sortes de parties de jeu se liaient ainsi en sens contraire, suivant les conjonctures ; et voilà ce' que nous. nous piquons d'imiter encore aujourd'hui. La plupart de nos guerres sont ainsi contradictoires les unes aux autres, de manière que l'une détruit l'ouvrage de l'autre, et qu'en supposant deux guerres consécutives non avenues, on se retrouverait au même point, au sang et à l'argent près. Un orage, qu'on voulut regarder comme un miracle accordé par le ciel aux prières de sainte Clotilde, fit faire la paix, et quoique un historien philosophe ait tourné en ridicule, dans une autre occasion[15], cette influence du tonnerre et de la pluie sur la paix et sur la guerre, faute, peut-être, d'avoir assez pensé dans cet endroit à la profonde superstition des peuples barbares et guerriers, il est certain que souvent il ne leur faut pas de meilleurs motifs pour se déterminer.

Childebert et Clotaire, toujours ennemis des Visigoths, les avaient poursuivis jusqu'au-delà des Pyrénées ; ils avaient ravagé l'Aragon et assiégé Saragosse ; il ne fallut, pour désarmer les Français, que porter en procession, autour des murs, la tunique de saint Vincent ; ils firent la paix, sans exiger autre chose que cette tunique, qui fut donnée à Childebert ; il s'empressa de faire bâtir, pour la recevoir, l'église de Saint-Vincent, aujourd'hui Saint-Germain-des-Prés à Paris.

Théodebert, après s'être agrandi du côté de la Germanie, alla s'engager dans de fâcheuses guerres en Italie [537], où il était appelé à-la-fois et par l'empereur Justinien, et par les Ostrogoths, ennemis de l'Empire. Il écouta toutes leurs propositions, dans l'espérance de les perdre les uns par les autres, et de former de leurs débris un grand établissement. Il fit avec ces deux puissances des traités frauduleux, dont elles ne furent pas longtemps les dupes, et qui tournèrent enfin à sa honte. C'était pour le seconder dans cette expédition que ses oncles avaient entrepris celle d'Espagne ; ils se promettaient bien de trahir à-la-fois et les Goths, et les Grecs, et leur propre neveu. Telle est la bonne foi des temps barbares, et si c'est encore celle de nos temps policés, c'est que nos temps policés sont encore infiniment barbares.

Théodebert, guerrier violent, mourut, non à la guerre, mais à la chasse, exercice qui a été funeste à plus d'un prince[16]. M. de Buffon fait de la chasse un éloge capable d'en inspirer le goût aux princes qui pourraient ne le pas avoir ; un autre auteur moderne cite Platon, qui appelle la chasse un exercice divin, et l'école des vertus militaires. M. Hume, au contraire, observe qu'elle était le seul amusement, et à-peu-près la principale occupation des princes guerriers, dans un temps où les charmes de la société étaient peu connus, et où les beaux arts offraient peu d'objets dignes d'attention[17]. On sait ce que disait de la chasse le duc de Sully, cet inflexible ennemi de toutes les passions de son maître.

Un taureau sauvage, que Théodebert attendait un épieu à la main, et que ses veneurs poussaient de son côté, rompit une forte branche d'arbre qui vint frapper rudement Théodebert à la tête [548] ; le prince mourut des suites de ce coup[18].

Les chroniqueurs l'ont beaucoup vanté, parce qu'd a beaucoup fait la guerre, et avec une sorte d'éclat. On lui a même donné le surnom de prince utile, titre glorieux, qui invite d'abord à chercher quel est le bien qu'il a fait aux hommes. On trouve alors qu'il a été nommé ainsi pour la victoire qu'il avait remportée sur Cochiliac. Il était utile sans doute de chasser des États de son père des pirates qui les infestaient ; mais ce titre de prince utile présentait une idée plus étendue et plus favorable à l'humanité. Théodebert ne fut point utile à ses peuples ; car il les accabla d'impôts, pour subvenir-aux frais de ses guerres continuelles : les peuples s'en vengèrent sur Parthénius, ministre de ses exactions, qu'ils assommèrent à coups de pierres, après l'avoir rassasié d'outrages. C'était, dit Mézeray[19], un homme horriblement gourmand, comme le sont presque tous les gens de cette sorte, qui prenait de l'aloès pour digérer les viandes dont il se gorgeait, et qui lâchait son ventre encore plus vilainement qu'il ne le remplissait. Ce trait prouve avec quelle facilité les mœurs corrompues s'allient avec les mœurs barbares.

On cite de Théodebert un mot remarquable. Il avait prêté aux habitants de Verdun, à la prière de leur évêque, une somme dont ils avaient besoin : lorsqu'au bout d'un certain temps l'évêque rapporta cette somme ; Théodebert refusa de la reprendre. Nous sommes trop heureux, dit-il à l'évêque, vous de m'avoir procuré l'occasion de faire du bien, et moi de ne l'avoir pas laissé échapper. Le mot est beau ; quant à l'action, pour juger si elle mérite d'être louée, il faudrait en savoir mieux les circonstances. Si ce don fut pris sur les épargnes de Théodebert, on peut le louer ; s'il ne fit que prendre sur son peuple pour donner à une partie de ce même peuple, comme en usent tant de princes à l'égard de leurs courtisans, cette action est loin de mériter aucune louange.

Théodebert s'était montré esclave de ses passions ; il avait répudié Wisigarde sa femme, fille de Wachon, roi des Lombards, pour épouser Deuterie, dame de Cabrières, qui avait son mari. On raconte de cette femme, qu'étant devenue jalouse de sa fille du premier lit, pour qui Théodebert paraissait prendre du goût, elle fit atteler au char de cette fille, au lieu de bœufs, deux taureaux indomptés, qui la précipitèrent de dessus le pont de Verdun dans la Meuse. Deuterie en fut punie par l'indignation publique, qui força Théodebert de la répudier à son tour, et de reprendre Wisigarde : mais Théodebalde, né de Deuterie, et par conséquent bâtard adultérin, succéda sans difficulté à Théodebert ; et ses grands-oncles, qui avaient essayé de dépouiller Théodebert, ne tentèrent pas la même chose à l'égard de Théo. debalde. Celui-ci mourut, sans avoir rien bit que d'envoyer ou de laisser aller deux armées françaises périr en Italie. Ses deux grands-oncles devaient lui succéder également ; mais Clotaire ayant cinq fils, et Childebert n'ayant que des filles, Clotaire envahit toute cette succession ; bientôt il recueillit encore celle de Childebert lui-même, et réunit tonte la monarchie française.

Fortunat donne à Childebert un éloge que ce prince n'a mérité que par comparaison, celui d'avoir haï la guerre, d'avoir aimé la paix, les lettres et la justice. C'est le premier de nos rois qui ait su le latin. Clovis son père, et Childéric son aïeul, parlaient la langue des Sicambres[20].

Chramne, fils de Clotaire, avait pris les armes contre lui, à l'instigation de Childebert, qui cherchait à se venger de l'injustice avec laquelle Clotaire l'avait frustré de sa part dans la succession de Théodebalde, son petit-neveu. Chramne, privé de l'appui de Childebert, se retira auprès de Conober, roi ou prince de Bretagne. Clotaire l'alla chercher dans cette province, lui livra bataille [560] : les Bretons furent défaits, Conober tué, Chramne pris. Clotaire fit enfermer le malheureux Chramne, avec sa femme et ses enfants, dans une chaumière[21], y fit mettre le feu, et les y brûla tous impitoyablement. On a observé que Chramne était, de tous ses enfants, celui qu'il avait le plus aimé. Il se comparait à David, et Chramne à Absalon : mais David ne brûla point Absalon dans une grange, et pleura sa mort, qu'il avait voulu prévenir.

Cette horrible action de Clotaire fut la dernière de sa rie. A peine avait-il réuni cet empire qui lui avait coûté tant de crimes, que la mort vint le lui arracher. On dit qu'il eut des remords ; mais on avait alors un moyen facile de s'en délivrer, et il usa de ce moyen, c'était de faire  de grands dons aux églises.

Clotaire, en mourant, trouvait le roi du ciel bien puissant de disposer ainsi de la vie des plus grands rois. Cet homme se faisait une assez haute idée d'un roi de Soissons ou de Paris.

On a dit que Clotaire était mort au bout d'une année [561], au même jour et à la même heure où il avait brûlé Chramne et ses enfants. Nos vieux auteurs recherchent trop ces rapports singuliers, qui sont rarement vrais.

Jamais prince n'abusa autant que Clotaire du mariage, et n'en profana tant la sainteté. A la mort de Clodomir son frère, il épousa Gondioche sa veuve. Mère dénaturée, belle-sœur incestueuse, elle livra ses fils au fer de leur bourreau, et l'épousa sur leur cendre. Clotaire, à la mort de Théodebalde, son petit-neveu, épousa de même sa veuve Waldrade, fille de Wachon, roi des Lombards[22]. Cet homme se croyait obligé d'épouser toutes les veuves de sa famille. Il eut jusqu'à trois femmes à-la-fois, dont deux étaient sœurs ; c'étaient Ingonde et Aregonde. Voici comment la chose se passa, la manière ajoute encore à la peinture des mœurs. Ingonde était, de toutes ses femmes, celle qu'il avait le plus aimée ; elle faisait venir en France Aregonde sa sœur, et elle pressait Clotaire de la marier avec quelque seigneur de sa cour. Clotaire lui dit : Il faudra voir votre sœur. Il la vit, la trouva belle, l'épousa sur-le-champ, et dit à Ingonde : J'ai vu votre sœur, elle est très-bien ; et comme je ne connais point dans ma cour de plus grand seigneur que moi, c'est de moi que j'ai fait choix pour son mari[23].

Des quatre fils qu'il laissa, trois étaient de la première de ces deux sœurs, et le quatrième de la seconde : il ne paraît pas que l'inceste qui avait présidé à leur naissance leur ait seulement été objecté.

Quant à la polygamie simple, les rois alors se la permettaient souvent ; on ne sait pas jusqu'à quel point leurs sujets, à leur exemple, osaient violer toutes les bienséances dans leurs mariages. Un canon du second concile d'Orléans qui défend d'épouser sa belle-mère ou la femme de son père, peut faire conjecturer que le désordre avait été poussé fort loin.

Clotaire avait eu en tout six femmes, soit à-la-fois, soit successivement. Ces mariages, dit M. de Montesquieu[24], étaient moins un témoignage d'incontinence, qu'un attribut de dignité.

 

LES QUATRE FILS DE CLOTAIRE. - FRÉDÉGONDE. - BRUNEHAUT.

 

LE royaume de Clovis, partagé d'abord entre ses fils, déchiré par l'effet inévitable de ce partage même, réuni ensuite sous Clotaire Ier, fut partagé pour la seconde fois entre les quatre fils de ce prince [561]. Chérebert fut roi de Paris ; Gontrant, d'Orléans et de Bourgogne ; Sigebert d'Austrasie ; Chilpéric, de Soissons. Ce second partage ramena les mêmes troubles que le premier a voit causés ; l'ambition de ces princes ne pouvait se contenir dans les limites qui leur avaient été assignées. Chilpéric surtout, le plus inquiet des quatre, cherchait sans cesse les occasions de s'agrandir aux dépens de ses frères ; il leur fit souvent la guerre, surtout à Sigebert : mais leur ambition ne devint insatiable, ni leur haine implacable, que quand deux femmes violentes les animèrent l'un contre l'autre.

Chérebert et Gontran n'avaient fait que s'avilir par leurs mariages avec des servantes, ou des filles de cardeurs de laine ou de bergers : Sigebert et Chilpéric, par leurs mariages, firent leur malheur et celui de leurs peuples[25]. Sigebert épousa Brunehaut ou Brunichilde, fille d'Athanagilde, roi des Visigoths, qui possédaient alors l'Espagne [565] : c'était un mariage assorti, et qui semblait devoir être heureux ; mais le germe de méchanceté que Brunehaut cachait sous un extérieur séduisant ne tarda pas à se développer[26]. Gogon, maire du palais d'Austrasie, qui l'avait été chercher en Espagne, fut sa première victime : la place qu'il occupait, et plus encore son mérite, lui donnaient beaucoup de part au gouvernement : ce fut par-là qu'il déplut à Brunehaut, qui voulait gouverner seule. Elle ne cessa d'irriter Sigebert contre lui, jusqu'à ce qu'elle en eût arraché l'ordre de faire mourir ce ministre.

Quant à Chilpéric, il avait, d'une femme nommée Audouère — dont les historiens ne marquent point la condition —, trois fils, Théodebert, Mérovée, et Clovis[27]. Audouère eut encore une fille ; Chilpéric était absent lorsqu'elle naquit ; Frédégonde, une des femmes d'Audouère, lui persuada de tenir elle-même sa fille sur les fonts, et elle se servit ensuite de ce prétexte pour la faire répudier, en alléguant l'alliance spirituelle qu'Audouère avait contractée avec Chilpéric ; car, selon les idées du temps, on ne pouvait épouser l'homme ou la femme dont on avait tenu les enfants sur les fonts de baptême. Ce prince, qui se laissoit dès-lors séduire par les artifices et les charmes de Frédégonde, prit tous les scrupules qu'elle voulut lui donner ; il quitta Audouère, et l'enferma dans un monastère au Mans : il ne se livra pourtant pas encore entièrement à sa passion pour Frédégonde ; il voulut suivre l'exemple de Sigebert, et fit demander Galasonte ou Galsuinde, sœur aînée de Brunehaut [566]. On ne la lui accorda pas sans peine ; on prit, pour assurer le bonheur de cette princesse, des précautions qui hâtèrent sa perte : on voulut que Chilpéric jurât sur les reliques des saints, en présence des ambassadeurs d'Espagne, de n'avoir point d'autre femme que Galasonte tant qu'elle vivrait[28].

Cependant Frédégonde enchaînait de plus en plus Chilpéric par des refus perfides : Je ne puis être à vous, lui disait-elle, tant que Galasonte vivra : un serment inviolable vous unit à elle seule, tant qu'elle respire. Chilpéric entendit trop bien ce que ces refus et ces scrupules voulaient dire : on trouva Galasonte étranglée dans son lit, et Frédégonde monta sur le trône[29].

Les frères de Chilpéric eurent horreur de ce crime. Brunehaut- poursuivit ardemment la vengeance de la mort de sa sœur. Sigebert, gouverné par Brunehaut, comme Chilpéric par Frédégonde, jura une guerre éternelle à Chilpéric ; les intérêts politiques secondaient les projets de vengeance : on voulait punir Chilpéric, parce qu'on voulait le dépouiller.

Le lot de chacun des frères était devenu plus considérable [570]. Chérebert, dont Grégoire de Tours ne dit que du mal, dont Fortunat ne dit que du bien, et dont on ne sait presque rien, sinon qu'il fut excommunié par son évêque pour un mariage incestueux, Chérebert était mort sans enfants mâles : ses trois frères avaient partagé son royaume, et même la ville de Paris[30]. Chacun d'eux s'était engagé, par serment, à ne point entrer dans cette ville sans l'aveu des deux autres, sous peine de perdre sa part et de Paris, et du royaume de Chérebert.

Sigebert prend les armes, et alors commence la longue et funeste rivalité de Frédégonde et de Brunehaut, qui produisit tant de malheurs et de crimes, sans qu'aucune de ces deux femmes, également habiles et méchantes, succombât jamais sous les coups de sa rivale.

Gontran tenait la balance entre les deux frères et les deux femmes.

Chilpéric eut dans cette guerre tous les revers qu'il méritait. Théodebert, son fils aîné, attaquant des provinces du partage de Sigebert, fut pris et tué de sang-froid ; son corps dépouillé resta sur le champ de bataille [575], confondu parmi les morts. Si Chilpéric sentit vivement cette perte, Frédégonde s'en applaudit en marâtre[31].

Rien n'arrêtait les succès de Sigebert. Chilpéric, forcé de fuir devant lui, jusqu'à l'extrémité de ses États, va s'enfermer dans Tournai avec sa femme et ses enfants. Sigebert entre dans Paris, malgré le traité de partage du royaume de Chérebert ; Brunehaut vient, avec ses enfants, y étaler son triomphe, y établir son trône : Imprudente, dit Adrien de Valois, qui ne voyait pas qu'elle allait se livrer entre les mains de ses ennemis, si le sort venait à changer.

Sigebert, toujours animé par elle, court assiéger son frère dans Tournai. Saint Germain, évêque de Paris, témoin de ces violences, en tombe malade de douleur ; il écrit à Brunehaut pour la prier d'inspirer des sentiments plus doux à son mari, et n'obtient rien. Tournai est investi ; Chilpéric et Frédégonde n'ont plus de ressource, ils touchent au moment d'expier la mort de Galasonte. Au milieu de ces périls si pressants, Frédégonde accouche d'un fils à Tournai : cet enfant ne semblait naître que pour tomber entre les mains de ses ennemis ; Frédégonde ne l'avait désiré que pour être mère d'un roi. Grégoire de Tours [l. 4, c. 45.] dit, que voyant, ses espérances trompées elle entra dans une si violente rage, qu'elle eût tué son fils de sa propre main, si Chilpéric ne l'en eût empêchée ; elle tourna donc cette rase contre Sigebert. Tous les Neustriens reconnaissaient l'empire de ce prince : il va recevoir leurs hommages à Vitry ; mais tandis qu'on l'élève sur le pavois, deux assassins, envoyés par Frédégonde, le laissent expirant entre les mains de ceux qui le .portaient : ils poignardent ensuite, par l'ordre de Frédégonde, Charégisile, chambellan de Sigebert. Ce second coup les fait remarquer ; ils sont massacrés sur-le-champ ; et leur secret eût péri avec eux, si Frédégonde ne l'eût publié elle-même, pour faire admirer et redouter les ressources de sa politique.

Ce coup hardi produisit la révolution la plus subite : les Austrasiens, qui étaient devant Tournai, levèrent le siège, et ayant rejoint ceux qui étaient à Vitry, tous se retirèrent en désordre. Chilpéric et Frédégonde les poursuivent, et ayant surpris à Tournai Sigilla, qui avait été dans la plus grande faveur auprès de Sigebert, ils exercent sur lui des cruautés dignes d'eux ; ils lui font appliquer des fers rouges à toutes les jointures, et le font couper ensuite par morceaux.

Les Neustriens rentrent sous l'obéissance de Chilpéric : plusieurs Austrasiens s'y soumettent ; Brunehaut est investie dans Paris, et Childebert son fils, âgé de cinq ans, allait tomber entre les mains des meurtriers de Sigebert, sans le zèle et l'adresse du duc Gombaud, seigneur austrasien, en qui Brunehaut, dans ce grand revers, mit toute sa confiance. Il sauva Childebert[32], en le descendant par-dessus les murailles de la ville, dans une corbeille, à la faveur de la nuit : un homme affidé le reçut au pied de la muraille et le porta dans Metz, où les Austrasiens l'élevèrent sur le pavois ; ils le mirent sous la protection de Gontran, roi de Bourgogne, son oncle.

L'évasion du jeune Childebert enlevait à Chilpéric et à Frédégonde le fruit de la mort de Sigebert, et leur imposait la nécessité de ménager Brunehaut. : on se contenta de la reléguer à Rouen, d'où elle suscita bien des affaires à ses ennemis [596].

Chilpéric avait envoyé Mérovée, l'aîné des fils qui lui restaient de la reine Audouère, pour s'emparer du Poitou, qui était du partage du jeune Childebert. Mérovée n'ignorait pas la haine de Frédégonde pour tous les enfants d'Audouère ; il savait tout ce qu'il avait à craindre d'une femme de ce caractère : il paraît qu'il voulut se faire un appui contre elle de tous ceux qui devaient la haïr ; il va donc d'abord à Tours, et au lieu de prendre la route du Poitou, il tourne vers le Mans, où il voit la reine Audouère sa mère, qui, depuis sa répudiation, y était renfermée dans un couvent ; il va ensuite à Rouen, où il voit Brunehaut, l'épouse, quoique veuve de Sigebert, son oncle. Prétextat, évêque de Rouen, fort attaché aux intérêts de Brunehaut, plus attaché encore à ceux de Mérovée son filleul, fit ce mariage, qui paraît avoir été concerté entre Audouère, Mérovée, Prétextat et Brunehaut.

Chilpéric, à cette nouvelle, vole à Rouen, donne des gardes à Brunehaut, et emmène Mérovée.

Le courroux de Chilpéric eût pu se borner à cette expédition, si Frédégonde l'eût permis ; mais c'était, pour elle une trop belle occasion de perdre un fils d'Audouère. Divers seigneurs austrasiens qui, à la mort de Sigebert, s'étaient donnés à Chilpéric, retournaient tous les jours vers Childebert : Godin, un de ces seigneurs ; voulant y retourner avec un gage qui le rendît important, s'était emparé de Soissons, où il avait pensé surprendre Frédégonde ; mais il avait été lui-même surpris, défait, et tué. Frédégonde, liant habilement cet incident avec celui du mariage de Mérovée, fit envisager le tout à Chilpéric, comme l'effet d'une conjuration dont elle accusait Mérovée et Brunehaut d'être l'âme, et Prétextat d'être un des principaux instruments. Chilpéric, l'exécuteur le plus soumis de toutes les volontés de Frédégonde, fit arrêter son fils, le força de se faire ordonner prêtre, et l'enferma dans un monastère. Mérovée s'échappa quelque temps après de sa prison, et se. sauva dans l'église de Saint-Martin de Tours.

Brunehaut était toujours gardée à Rouen ; les Austrasiens la redemandèrent, et Chilpéric la voyait dans ses États avec tant d'inquiétude, qu'il fut charmé de la renvoyer. Mérovée se mit en chemin pour l'aller joindre, mais les Austrasiens refusèrent de le recevoir ; il resta errant et caché dans la Champagne, sans asile ; sans secours et sans desseins [577]. Deux traîtres entreprirent de le livrer à Frédégonde : c'était Gilles, évêque de Reims, et Gontran Bozon, seigneur austrasien, qui, dans le temps des succès de Sigebert, dont il était un des généraux, avait fait tuer Théodebert, frère aîné de Mérovée. Depuis la mort de Sigebert et le rétablissement des affaires de Chilpéric, il s'était réfugié au tombeau de Saint-Martin de Tours, pour échapper au supplice que Chilpéric lui destinait ; était secrètement appuyé par Frédégonde, qui lui savait gré de l'avoir défaite d'un des fils d'Audouère, et qui voulait se Servir encore de lui pour faire périr Mérovée. Gilles et Gontran Bozon persuadèrent à Mérovée qu'ils lui feraient. livrer la ville de Térouenne. Mérovée, sur leur parole s'engagea dans un village où Chilpéric, averti par ces traîtres, vint l'envelopper. Mérovée, se voyant près de tomber entre les mains d'une marâtre impitoyable et d'un père sur qui la nature pouvait moins que Frédégonde, pria Gaïlen, son confident, de le percer de son épée ; Gaïlen lui donna cette horrible marque de son attachement. Quelques uns disent que Frédégonde fit courir ce bruit, mais qu'en effet Mérovée fut massacré par ses ordres ; et l'affreuse mutilation qu'elle fit souffrir depuis à Gaïlen, et dont il mourut, ne détruit point cette idée.

Elle avait fait faire le procès à Prétextat, dans un concile qui se tenait à Paris : Chilpéric s'était rendu l'accusateur de cet évêque. Outre le mariage de Mérovée avec Brunehaut, dont il était difficile de le disculper, il lui reprochait encore la conjuration chimérique dont j'ai parlé ; il soutenait que Prétextat avait fait des largesses au peuple pour le soulever. Frédégonde produisit, Sur, cette conjuration, de faux témoins, que Prétextat confondit ; mais les prélats de l'assemblée, séduits ou intimidés par Frédégonde, n'osaient ni condamner ni absoudre Prétextat. Grégoire de Tours fut le seul qui se déclara hautement en sa faveur ; on l'écouta, en tremblant et sans lui répondre, et les prélats courtisans allèrent le dénoncer à Chilpéric. Frédégonde voulut acheter le suffrage de l'évêque de Tours ; il fut incorruptible, ce qui lui attira dès-lors, et dans la suite, diverses persécutions. Enfin, des émissaires de Frédégonde insinuèrent à Prétextat que le roi voulait seulement éviter la honte du personnage de calomniateur, et se ménager en public la gloire d'une grande action de clémence ; qu'il fallait donc que Prétextat s'avouât coupable de tous les crimes que le roi lui imputait, et qu'il lui en demandât pardon ; qu'à ce prix il devait être sûr, non seulement de sa grâce, mais encore de toute la faveur du roi. Prétextat eut la faiblesse de les croire ; et au milieu de l'assemblée des évêques, se jetant aux genoux du roi, il avoua qu'il avait attenté à sa vie et corrompu la fidélité de ses sujets. Sur cet aveu, Chilpéric, au lieu de prononcer sa grâce, demande justice aux évêques. Il n'était plus possible d'absoudre un accusé convaincu par sa propre bouche. Prétextat fut relégué dans un île du Cotentin ; et Mélance son ennemi, vendu aux fureurs de Frédégonde, fut mis à sa place sur le siège de Rouen.

Il restait encore à Chilpéric un fils de la reine Audouère : c'était Clovis. Il en avait aussi trois de Frédégonde : Samson, Clodebert et Dagobert ; une maladie pestilentielle, qui ravageait alors la France, les emporta tous trois [579]. Frédégonde, outrée de douleur, jalouse que Chilpéric eût encore un fils, tandis qu'elle perdait tous les siens, alarmée d'ailleurs de quelques menaces imprudentes qui étaient échappées au jeune Clovis, résolut de le perdre [580]. Ce prince aimait une des filles de la suite de Frédégonde ; Frédégonde se fit rapporter que la mère de cette fille était sorcière, et qu'à l'aide de ses maléfices Clovis avait fait périr les trois jeunes princes[33]. Sur ce rapport elle fit arrêter cette malheureuse fille, la fit attacher à un poteau devant l'appartement de Clovis, et fouetter cruellement en sa présence ; elle fit appliquer la mère à la question, et la lui fit donner si rigoureuse, qu'il fallut bien qu'elle chargeât Clovis de tout ce qu'on voulait lui imputer. Frédégonde demanda vengeance à Chilpéric, qui, ne sachant pas lui résister, lui abandonna son fils unique : elle le fit arrêter, et, après l'avoir accablé d'ignominie, elle l'envoya enchaîné à Noisy-sur-Marne, où on le trouva mort d'un coup de couteau dans le flanc ; en même temps la reine Audouère, sa mère, fut étranglée dans son couvent ; Basine, sœur de Clovis, fut déshonorée par les satellites du roi son père, qui l'enfermèrent ensuite dans un couvent à Poitiers. Les Romains, avant d'envoyer une vierge au supplice, lui faisaient ravir sa virginité par le bourreau[34] : c'était une horreur, et elle faisait partie du supplice, mais du moins c'était une espèce d'hommage rendu à la virginité. On ne voit pas bien pourquoi il fallait ôter la virginité à une fille pour en faire une religieuse ; mais il ne s'agit pas de raisonner sur ces atrocités, il suffit de les exposer : mille autres cruautés furent exercées sur les amis de Clovis. Cette femme, à qui les tortures avaient arraché une accusation calomnieuse contre lui, n'en fut pas moins brûlée vive.

Frédégonde eut un autre fils, nommé Thierry ; elle le perdit encore, et encore, à ce qu'elle crut ou feignit de croire, par des sortilèges : il en coûta la vie à plusieurs femmes, dont quelques unes furent brûlées, d'autres noyées ; quelques autres, par une barbarie digne de ce temps-là, et digne de Frédégonde, furent rouées[35].

Il naquit enfin un dernier fils à Frédégonde [584], et ce fils vécut : c'était Clotaire ; il devait un jour réparer les crimes de Chilpéric et de Frédégonde, et punir ceux de Brunehaut.

Chilpéric, lorsque sa mesure fut comblée, selon l'expression de Mézerai, fut assassiné à Chelles, en revenant de la chasse. Frédégaire attribue sa mort à Brunehaut, dont cette mort relevait les affaires ; l'auteur des Gestes, Adon, Réginon, Aimoin en accusent Frédégonde elle-même, qui, par un mot imprudent, lui avait révélé par hasard son intrigue avec Landry, et qui avait tout à craindre pour son amant et pour elle-même, si elle ne prévenait les effets de la jalousie de Chilpéric.

Le corps de Chilpéric, abandonné de tout le monde — tant sa personne était haïe —, serait resté sur la place, si Malulfe, évêque de Senlis, d'ailleurs mécontent de lui, n'eût pris soin, par décence, de le transporter à Paris. Chilpéric est appelé, par Grégoire de Tours, le Néron et l'Hérode de la France[36] ; il se piquait

fois d'irréligion et de théologie, et il n'avait que de la superstition : les prêtres étaient l'objet éternel de ses railleries, et on le faisait trembler au nom de saint Martin. Pour terminer les disputes de l'arianisme, il fit un édit, par lequel il défendait d'admettre aucune distinction de personnes dans la Trinité ; et ce ne fut pas à titre d'incrédule qu'il fit cet édit, mais à titre de théologien. Salvius, évêque d'Alby, et Grégoire de Tours, qu'il consulta, l'avertirent que c'était renouveler l'erreur de Sabellius ; il dit qu'il consulterait des gens plus habiles qu'eux ; et Grégoire de Tours lui répondit avec franchise qu'il ne trouverait que des insensés qui fussent de son avis : voilà sa théologie. Quant à sa superstition, en voici des traits.

Il avait fait avec ses frères un traité, par lequel il s'engageait à ne point venir à Paris ; il avait juré, par saint Polyeucte, saint Hilaire et saint Martin, et s'était soumis aux malédictions les plus terribles en cas d'infidélité. Il vint à Paris cependant ; mais il prit la précaution de faire porter devant lui en procession beaucoup de reliques, pour opposer aux trois saints, par lesquels il avait juré, un plus grand nombre de saints, qu'il croyait avoir mis par-là clans ses intérêts.

Il voulait enlever de l'asile de Saint-Martin de Tours son fils Mérovée, qui s'y était réfugié ; il écrivit à saint Martin pour en obtenir la permission ; la lettre fut déposée sur le tombeau de saint Martin, avec un morceau de papier blanc, qu'on eut soin d'y ajouter, pour que le saint n'eût qu'à écrire sa réponse. Un historien grave assure que le saint n'en fit point. De son côté, Mérovée consulta saint Martin, par l'ouverture des, livres saints : toutes les réponses furent sinistres ; aussi Mérovée périt-il : voilà les lumières des siècles où on ne sait que faire la guerre. A la vérité la dévotion de Louis XI, dans un siècle plus avancé, ne fut pas plus éclairée, et ce prince eut plusieurs traits de conformité avec Chilpéric.

Chilpéric se piquait encore d'être grammairien et bel esprit ; il faisait des vers, dont on se moquait même à sa cour ; il fit un édit — car il en faisait volontiers — pour introduire dans l'alphabet les lettres doubles des Grecs, et ces lettres ne furent point introduites dans l'alphabet.

Gontran, roi de Bourgogne, pendant le règne de Chilpéric, son frère, s'était déclaré le protecteur du jeune Childebert, son neveu ; et, se voyant sans enfants mâles, il l'avait désigné solennellement son successeur. Les sentiments et la conduite de Brunehaut à l'égard de Gontran, furent toujours assez équivoques ; d'un côté, elle sentait que la protection de ce roi lui était nécessaire contre Chilpéric et Frédégonde ; de l'autre, elle craignait l'ascendant que ces titres de protecteur et de bienfaiteur pouvaient faire prendre à ce prince sur l'esprit de Childebert, et l'autorité qu'il pouvait s'arroger dans le gouvernement des affaires d'Austrasie. Elle était jalouse à l'excès de cette autorité ; l'usage qu'elle en faisait soulevait contre elle de jour en jour tous les grands d'Austrasie. Dans le choc de toutes ces cabales, on parvint quelquefois à diviser Gontran et Childebert ; tantôt Childebert et Chilpéric se réunissaient contre Gontran ; tantôt Gontran paraissait prêt à s'unir avec Chilpéric contre Childebert ; mais un penchant plus décidé le ramenait toujours vers Childebert, auquel il destinait sa succession. Ils étaient unis centre Chilpéric, lorsque ce prince mourut. Frédégonde fut alors à-peu-près dans le même embarras où Brunehaut s'était trouvée à la mort de Sigebert. Childebert était à Meaux ; Frédégonde s'enfuit de Chelles, et se sauva dans l'église de Paris : elle n'avait pas de meilleur parti à prendre que celui de se mettre, avec son fils, sous la protection de Gontran, comme avait fait Brunehaut. Gontran envoya Frédégonde au Vaudreuil, près de Rouen, où elle se trouva plus en sûreté ; il promit de tenir sur les fonts Clotaire, son fils, âgé de quatre mois, et le fit reconnaître pour roi par les sujets de Chilpéric[37].

Cette conduite de Gontran donna de l'inquiétude à Brunehaut et à Childebert ; ils envoyèrent des ambassadeurs à Gontran, pour le prier de remettre Frédégonde entre leurs mains, afin qu'elle fût livrée au supplice que méritaient ses crimes. Gontran ne put y consentir ; sur son refus, d'autres ambassadeurs d'Austrasie vinrent lui redemander des places qui appartenaient, disaient-ils, à Childebert. Gontran refusa de les rendre : Vous nous refusez, lui répondit insolemment un des ambassadeurs, eh bien, la hache qui a abattu les têtes de vos frères n'est pas perdue.

Gontran, toujours placé ainsi pendant le reste de son règne, entre Frédégonde et Brunehaut, et ne pouvant se résoudre à sacrifier ni l'une ni l'autre, les eut toutes deux pour ennemies ; il ne dut la conservation d'une vie toujours menacée qu'aux précautions qu'il prit contre les assassins, en faisant redoubler sa garde, et qu'à la précaution plus sûre encore d'intéresser tous ses sujets à la durée de son règne, par un gouvernement sage et doux. Brunehaut ne songeait qu'à lui susciter des affaires, afin qu'il se mêlât moins de celles d'Austrasie. Frédégonde était moins touchée de ses bienfaits qu'irritée de la réforme qu'il faisait des abus qu'elle avait introduits sous Chilpéric, et surtout de ce qu'il avait rétabli Prétextat dans son siège [586] ; elle s'en vengea d'abord sur Prétextat, qu'elle ne craignit point de faire assassiner dans son église au pied de l'autel. Un seigneur austrasien, qui détestait le crime, ne put contenir son zèle, et alla l'accabler chez elle des plus violents reproches[38] : elle parut les recevoir avec douceur ; elle témoigna du repentir, retint ce seigneur à dîner ; et l'empoisonna. Elle livra ensuite au neveu de Prétextat l'assassin dont elle s'était servie pour tuer cet évêque, mais elle ne le livra qu'après être convenue avec le neveu de Prétextat qu'il l'empêcherait de parler, en se défaisant de lui : en effet, lorsque cet assassin voulut nommer Frédégonde et Mélance, le neveu de Prétextat se hâta de le mettre en pièces à coups de hache. Frédégonde, sachant que Gontran voulait poursuivre la vengeance de la mort de Prétextat, tâcha de le prévenir ; il n'y avait presque point de jour qu'elle ne tendît quelque piège à Gontran, qu'elle n'envoyât contre lui quelque assassin[39] ; elle passa tout le reste de sa vie à aiguiser le fer, à préparer le poison contre Gontran, contre Brunehaut, contre Childebert, contre Théodebert fils de Childebert, enfin contre tous ses ennemis : elle fomenta, par mille intrigues, les troubles que l'irrégularité de l'administration de Brunehaut faisait naître en Austrasie. Ces complots, continuellement découverts, faisaient place, presque sans interruption, à de nouveaux complots : elle envoyait de tous côtés des assassins, qu'elle punissait ensuite ou de lui avoir obéi ou d'avoir manqué leur coup ; jamais le crime n'avait été si insolent, si actif, si intrépide.

Un aventurier, nommé Gondebaud, qui se disait fils du roi Clotaire Ier, et que Gontran disait fils d'un homme qui avait été meunier et cardeur de laine, avait prétendu, dès le temps de Chilpéric, demander un partage à ses frères, qui avaient rejeté sa demande avec mépris. Quand il vit le royaume en proie aux factions, l'Austrasie et la Neustrie gouvernées par deux femmes, sous le nom de deux enfants, le roi de Bourgogne fort embarrassé à défendre sa vie contre deux monstres, qu'il n'avait pu ni apprivoiser par ses bienfaits, ni dompter par les armes, tous les seigneurs des différents États prenant parti dans ces troubles au gré de leurs passions, il crut l'occasion favorable pour faire valoir ses droits prétendus. Quelques factieux l'élevèrent sur le pavois à Brive-la-Gaillarde [585] : cette entreprise paraissait intéresser également les trois princes ; cependant, non seulement Childebert et Clotaire ne se joignirent point à Gontran, dans les provinces duquel Gondebaud faisait principalement son irruption, mais encore Frédégonde et Brunehaut, désirante également de secouer le joug de Gontran, firent des avances à Gondebaud, et conspirèrent avec lui contre Gontran. Ce prince eut lieu de soupçonner Brunehaut d'avoir envoyé des ambassadeurs et des présents à Gondebaud, et d'avoir voulu l'épouser ; et lorsque Gondebaud, après quelques succès stériles, eut été tué par ceux mêmes qui l'avaient fait roi, Gontran eut des avis que Brunehaut avait aussi fait faire la même proposition au fils de Gondebaud. C'est ainsi que cette femme artificieuse, lasse d'un bienfaiteur importun, et craignant son propre fils même, qui, avançant en âge, pouvait lui ôter les rênes du gouvernement, cherchait à prolonger son empire, en lui opposant un homme dont elle aurait réalisé les chimériques prétentions, qui aurait été tout par elle, et qu'elle aurait replongé dans le néant quand elle aurait voulu. Frédégonde avait eu la même politique, et il serait étonnant qu'elle ne l'eût pas eue ; elle avait aussi fait des avances à Gondebaud : M. de Valois croit qu'elle avait aussi dessein de l'épouser ; mais un outrage qu'elle reçut des partisans de Gondebaud la détacha du parti.

Rigonte, fille de Frédégonde, allait en Espagne épouser Récarède, fils de Leuvigilde, roi des Visigoths : Didier, duc de Toulouse, un des chefs du parti de Gondebaud, arrêta Rigonte, mit en fuite ceux qui l'accompagnaient, et pilla ses trésors. Frédégonde reçut cette nouvelle ; celui qui la lui porta, éprouva que la douleur, dans cette âme féroce, devenait toujours fureur ; elle le traita indignement, ainsi que tous ceux qui avaient abandonné Rigonte[40]. Cependant on lui rendit sa fille, pour le malheur de toutes deux : Frédégonde l'aimait d'abord, car ce monstre paraît avoir connu quelquefois les sentiments de la nature ; Rigonte la détestait, la méprisait, lui reprochait continuellement la bassesse de sa naissance. La tendresse de Frédégonde se lassa enfin, et fit place à la haine ; l'antipathie devint réciproque ; Grégoire de Tours dit qu'elles se battaient souvent : Frédégonde attenta même à la vie de sa fille ; elle feignit un jour de vouloir lui donner ce qui restait des trésors de son père, et au moment où Rigonte avait la tête avancée dans un des coffres qui les contenait, Frédégonde referma le coffre en lui pressant la tête avec violence pour l'étouffer ; des domestiques accourant aux cris que poussait une femme présente à ce spectacle, sauvèrent Rigonte.

Malgré tant de crimes, soit que Frédégonde connût mieux que Brunehaut l'art de gouverner, soit qu'elle inspirât plus de terreur, on ne vit jamais s'élever dans l'intérieur de son royaume des orages pareils à ceux qui agitèrent l'Austrasie sous l'administration de Brunehaut. Dès les premières années de cette administration, on voit les plus grands seigneurs d'Austrasie, le duc Rauchin Gontran Boson, Gilles évêque de Reims, et surtout Ursion et Bertefrède, soulevés contre elle, s'armer pour accabler Loup., duc de Champagne, qui était devenu leur ennemi par son attachement inviolable à Brunehaut et à Childebert : il est vrai que cette révolte servit à mettre dans un beau jour le courage de Brunehaut. Les forces des rebelles étaient très supérieures à celles du duc de Champagne ; et celui-ci allait infailliblement succomber ; Brunehaut se présente tout-à-coup entre les deux armées, et, par les instances les plus pressantes, désarme, pour le moment, la fureur d'Ursion et de Bertefrède qui commandaient les rebelles[41]. Elle ne parut point intimidée des menaces insolentes d'Ursion qui, sans vouloir l'entendre, criait arrogamment : Qu'on fasse retirer cette femme, ou nous l'écraserons sous les pieds de nos chevaux ; qu'il lui suffise d'avoir régné sous le nom de son mari, sans prétendre régner encore sous le nom de son fils ; c'est par nos forces, non par celles de cette femme, que ce royaume est défendu et qu'il se conserve.

Un emportement si brutal contre la mère du roi, annonce de violents sujets de mécontentement ; il ne fit qu'augmenter,-dans la suite, par quelques actes de rigueur et de perfidie que Brunehaut fit exercer sur les mécontents [586]. Childebert, par son conseil, invite le duc Magnoalde à venir dans son palais voir un combat de bêtes ; Magnoalde vient, et il est assassiné ; Gontran Boson est arrêté : Rauchin, Ursion, Bertefrède prennent l'alarme, et, de concert avec Frédégonde, forment le projet de tuer Childebert, de s'emparer de Théodebert son fils, et d'éloigner Brunehaut des affaires[42]. Le complot est découvert [587] ; Childebert mande le duc Rauchin, sous prétexté de lui communiquer quelque secret ; il lui prodigue les marques de confiance les plus fortes ; Rauchin soit content, et se croit en faveur ; des gardes, placés le long de l'escalier, se jettent sur lui et l'assomment ; le roi s'empare de tous ses biens. Ursion et Bertefrède se retirent dans une église ; l'asile est violé, ils sont massacrés. Gontran Boson du moins fut jugé et condamné à mort juridiquement ; Ageric, évêque de Verdun son ami, sur la parole duquel il s'était présenté, en mourut de douleur. L'évêque de Reims fut jugé aussi, et déposé. Gontran Boson et Gilles méritaient leur sort par leurs infidélités et leurs trahisons, et voilà pourquoi ils furent livrés à la justice, il était difficile de convaincre les autres, on les assassina. Tant de coups d'autorité, parmi lesquels il y en avait beaucoup d'illégitimes et de criminels, firent de plus en plus détester le gouvernement de Brunehaut.

Gontran mourut réconcilié avec Childebert [592 ou 595], auquel il avait appris enfin à se défier de sa mère ; Childebert fut son héritier, et joignit le royaume de Bourgogne à celui d'Austrasie.

Gontran, dit l'abbé Le Gendre, était dévot, à la liberté près qu'il se donnait d'entretenir autant de femmes qu'il voulait. Avec cette liberté, il aurait dû mieux choisir celles qu'il honorait du nom d'épouses et de reines. Il épousa d'abord la servante d'un de ses domestiques, ensuite une fille d'un rang plus convenable, qu'il .répudia bientôt, parce que, disait-il, sa mère était décriée pour les mœurs. Il épousa depuis une femme-de-chambre, qui eut le titre de reine. Celle-ci ; désespérée de mourir à trente-deux ans d'une maladie que ses médecins ne purent guérir, pria Gontran de les faire mourir ; ce qui fut religieusement exécuté, comme dernière volonté d'une reine mourante.

On ne peut le disculper encore d'avoir ordonné le combat judiciaire entre deux de ses officiers, pour un taureau sauvage tué dans ses forêts : l'accusateur fut blessé mortellement ; mais le champion de l'accusé, voulant désarmer son ennemi, se perça lui-même, et mourut sur la place. C'étaient trop de morts- pour un animal tué ; nul intérêt de chasse ne pouvait mériter un pareil sacrifice. Gontran ne fut pas encore satisfait ; il jugea que la mort du champion de l'accusé, quoique arrivée par hasard, et en quelque sorte hors du combat, était une conviction du crime, et il fit lapider l'accusé, vieillard infirme, qui, par cette raison, n'a-voit pu combattre en personne.

Gontran a été mis au nombre des saints, et c'est en effet un des moins mauvais rois de la première race. Ce fut aussi celui qui fit le moins la guerre.

Dans un concile qu'il prit soin d'assembler à Mâcon, on débattit fortement la question : Si la femme peut être comprise sous la dénomination d'homme. On se rendit enfin à l'autorité de la Genèse, qui dit expressément : Il le créa male et femelle.

Childebert mourut deux ans après Gontran [595], lorsqu'il semblait vouloir gouverner sans Brunehaut : Faileube sa femme, qui eût. pu avoir la tutelle de ses enfants, et en exclure Brunehaut, mourut aussi presque en même temps. On a dit qu'ils étaient morts de poison, et on a soupçonné Frédégonde, mais plus encore Brunehaut elle-même, qui n'avait plus que ce moyen de conserver l'autorité.

Enfin Frédégonde mourut [597], et Brunehaut, se voyant délivrée à-la-fois d'un prince qui voulait la tenir sous sa tutelle, d'un fils qui voulait s'échapper de la sienne, et d'une rivale dont la haine industrieuse et terrible l'obligeait de veiller sans cesse sur elle-même, ne mit plus de bornes à la licence de son gouvernement ni à l'emportement de ses passions.

Théodebert et Théodoric, ses petits-fils, partagèrent les États de Childebert leur père. Théodebert eut l'Austrasie, Théodoric la Bourgogne.

Frédégonde avait laissé à Clotaire le royaume de Neustrie, riche, puissant, et en état de se défendre contre les deux royaumes ennemis.

Brunehaut gouvernait ces deux royaumes sous le nom de ses deux petits-fils ; Mais elle demeurait en Austrasie, à la cour de Théodebert, l'aîné de ces deux princes, où elle poursuivait le cours de ses violences. Wintrion, duc de Champagne, fut la dernière victime qu'on lui laissa immoler à son avarice en Austrasie ; tous les grands de ce pays se soulevant à-la-fois contre elle, obligèrent son petit-fils de l'abandonner[43] : cette révolution universelle, cette réunion de tous les chefs de la nation contre Brunehaut, prouvent que les révoltes qu'on a vues précédemment, n'étaient pas dépourvues de motifs plausibles. Brunehaut fut donc honteusement chassée d'Austrasie [599], et conduite sur la frontière, où ayant été laissée seule, elle fut rencontrée dans la campagne d'Arcis-sur-Aube, par un homme à qui elle se fit connaitre, et qu'elle pria de la mener vers Théodoric, son autre petit-fils ; cet homme obéit, et eut depuis, pour récompense, l'évêché d'Auxerre.

Brunehaut fut très bien reçue de Théodoric ; elle eut bientôt l'adresse de se rendre aussi puissante en Bourgogne, qu'elle l'avait été en Austrasie ; mais elle eut la maladresse d'y être aussi violente, aussi avide, aussi déréglée dans sa conduite, Pour s'assurer un empire éternel sur l'esprit et sur les États de Théodoric, elle s'attacha, toujours à le rendre incapable de gouverner ; elle eut soin de l'environner de concubines et de filles infâmes ; elle l'empêcha toujours de prendre une ; femme légitime, qui eût pu devenir pour elle une rivale de crédit et d'autorité — car on savait dès-lors tous ces secrets du machiavélisme — : pour l'apprivoiser plus aisément avec le vice, elle lui en donna l'exemple ; elle se prostituait aux jeunes gens de la cour, sa puissance suppléant, pour les attirer, à ce que l'âge avait pu lui ôter d'agréments.

Saint Didier, évêque de Vienne, ayant cru devoir lui faire quelques remontrances sur les désordres de sa vie[44], elle le fit déposer [602] et condamner à l'exil, par une assemblée de prélats vendus à ses caprices[45] ; mais le vœu unanime des évêques ayant obtenu, quelques années après, le rappel de saint Didier, et ce saint prélat montrant toujours la même fermeté, elle le fit lapider [605].

Saint Colomban, fondateur de l'abbaye de Luxeuil, en Franche-Comté, avant voulu exhorter Théodoric à prendre une femme légitime[46], et ayant commencé à le persuader, elle le chassa des États de ce prince [606].

Son ambition et son avidité rendant toujours coupables à ses yeux les hommes riches et puissants, elle cherchait à les perdre et à les dépouiller ; elle fit -tuer Égila, patrice de Bourgogne, sans qu'il fût coupable d'aucun crime, et uniquement pour s'enrichir de sa dépouille[47].

Elle préférait à tous ses autres amants un jeune Romain ou Gaulois, nommé Protade. Pour lui procurer la dignité de maire du palais, dont Bertoald était revêtu, elle fit exposer Bertoald à la guerre, à des périls auxquels il était impossible qu'il échappât, et Protade eut sa place.

Les enfants de Childebert, depuis qu'ils étaient montés sur le trône, avaient presque toujours été en guerre contre Clotaire : ce prince les avait Vaincus à la bataille de Leucofao, où l'on avait vu trois rois, l'un âgé de douze ans (Clotaire), les autres de dix (Théodebert) et de neuf (Théodoric), commander en personne leurs armées ; depuis, il avait été moins heureux contre eux ; il avait été battu : par Théodoric dans un combat près d'Étampes ; où Bertoald avait été tué, mais où Clotaire avait été mis en fuite, et où Mérovée son fils avait été fait prisonnier ; Théodoric entra triomphant dans Paris ; ensuite Théodebert et Théodoric firent la paix avec Clotaire pour se détruire l'un l'autre.

Ils y étaient excités par Brunehaut, qui ne pouvoir pardonner à Théodebert l'affront qu'il lui avait fait de consentir à son expulsion de l'Austrasie ; elle ne cessait d'animer Théodoric contre lui : Que ne redemandez-vous à Théodebert, disait-elle, les trésors de votre père, dont il s'est emparé ? Vous savez qu'il n'est point votre frère, et que c'est le fils d'un jardinier. Théodoric sentait sa cupidité s'enflammer par ce discours : Protade appuie Brunehaut, et par leurs instigations la guerre est résolue. Les armées étant en présence, et près d'en venir aux mains, les chefs de l'armée de Théodoric eurent horreur de voir une aïeule animer ses petits-fils à s'égorger l'un l'autre : ils respectèrent en elle ce titre d'aïeule de leur maître, qu'elle oubliait ; mais ils tournèrent tout leur ressentiment contre Protade, auteur, ou du moins fauteur de ces mauvais conseils. Le despotisme avide et insolent de ce ministre avait, depuis longtemps, ulcéré contre lui tous les cœurs.

Un cri unanime s'élève dans le camp : Il vaut mieux sacrifier un seul homme, que de mettre toute l'armée a en danger. Le roi envoie Uncilène pour apaiser le tumulte : Uncilène, ennemi secret de Protade, déguisant ses ordres, annonce que le roi l'envoie pour déclarer qu'il consent à la mort de Protade, et ce ministre est tué dans la tente du roi ; la paix se fit pour lors entre les deux frères.

Brunehaut montra bien l'intérêt qu'elle prenait à Protade, par la vengeance qu'elle exerça sur les principaux auteurs de sa mort[48]. Uncilène, dépouillé de tous ses biens, et cruellement Mutilé, mourut dans la misère et dans les douleurs ; le patrice Wulfe, qui était à la tête des ennemis de Protade, fut tué. Brunehaut ne put souffrir que la paix durât longtemps entre ses petits-fils ; ils reprirent les armes [609] : le sort fut favorable à Théodoric ; il défit Théodebert dans deux grandes batailles, l'une auprès d'Andelau, l'autre à Tolbiac ; dans l'endroit même où Clovis avait vaincu les Allemands [612]. Théodoric poursuivit Théodebert jusqu'à Cologne : le malheureux Théodebert y fut pris, et périt, ou par la main de Théodoric, ou par celle des habitants de Cologne, qui ne purent éviter qu'à ce prix le ravage de leurs terres.

Un trait paraît peindre Théodebert ; il avait épousé, sans doute par quelque intrigue de Brunehaut son aïeule, une Bilichilde qui avait été esclave de Brunehaut ; il s'en dégoûta, et devint amoureux d'une autre femme, nommée Theudichilde, qu'il- voulut épouser ; il pouvait ou répudier la première, ou avoir deux femmes à-la-fois, comme plusieurs, rois de sa race ; le barbare aima mieux poignarder Bilichilde de sa main.

A la mort de Théodebert, les fils qu'il laissait, tous dans l'enfance, furent égorgés de la main de Théodoric, ou de la propre main de Brunehaut ; un d'entre eux, à peine sorti des eaux du baptême, eut la tête écrasée contre une pierre.

Théodoric devint amoureux d'une fille de Théodebert, qui était sa prisonnière, et voulut l'épouser ; Brunehaut, qui ne voulait point souffrir qu'il se mariât, lui représenta pour l'en détourner qu'il ne lui était pas permis d'épouser sa nièce — quoique elle-même eût épousé son neveu —. Théodoric, détestant alors les crimes qu'elle lui avait fait commettre, s'écria, plein d'indignation : Méchante femme, horreur de Dieu et des hommes, ne m'avais-tu pas dit qu'il n'était pas mon frère ? Tu m'as donc rendu fratricide ? Alors, mettant l'épée à la main, il l'aurait percée, si on ne l'eût dérobée à sa fureur[49].

La mort de Théodoric suivit de près cet emportement, et le plus grand nombre des auteurs dit sans détour qu'il fut empoisonné par Brunehaut, parce qu'il commençait à la connaître.

Pendant que Brunehaut commettait ou faisait commettre tous ces crimes, Clotaire Ir, prince habile, songeait à en recueillir le fruit. Théodoric, peu de temps avant sa mort, lui avait fourni un prétexte plausible de reprendre les armes en lui faisant quelque querelle sur les limites fixées par les traités[50]. Brunehaut espérait régner encore en Austrasie et en Bourgogne, sous le nom de ses arrières-petits-fils, enfants de Théodoric ; ils étaient au nombre de quatre, tous nés de concubines ; mais l'exemple de Thierry, fils aîné de Clovis, qui avait eu sa part du royaume de son père, quoiqu'il fût né d'une concubine, et beaucoup d'autres exemples pareils, leur étaient favorables. Ces quatre enfants se nommaient Sigebert, Childebert, Corbe, Mérovée[51]. Brunehaut destinait l'Austrasie à Sigebert, l'aîné, âgé de douze ans, et la Bourgogne à Childebert, âgé, de dix ; mais les seigneurs austrasiens et bourguignons, las du joug de Brunehaut, traitèrent avec Clotaire,

dont le gouvernement juste et modéré invitait les peuples -à le reconnaître. Brunehaut voulut tenter le sort des armes ; l'armée de Clotaire et celle des quatre fils de Théodoric se rencontrèrent sur les bords de la Saône ; celle des enfants de Théodoric était secrètement vendue à Clotaire ; et au lieu de combattre, elle lui livra les princes. Childebert seul échappa ; on n'a jamais su ce qu'il était devenu.

A l'égard de ses frères, l'opinion la plus commune est que Clotaire fit périr Sigebert et Corbe, et n'épargna que Mérovée, parce qu'il l'avait tenu sur les fonts.

Brunehaut, qui voyait approcher le terme que le ciel avait marqué à ses crimes, s'était enfermée dans le château d'Urbe, au pays des Transjurains ; elle y fut prise et menée à Clotaire.

Austrasiens, Bourguignons, Neustriens, tous les Français étaient assemblés autour de Clotaire, qui leur demanda justice des crimes de cette femme, oubliant que sa propre mère Frédégonde en avait bien commis d'aussi nombreux et d'aussi atroces [613].

Sur l'accusation de Clotaire, tous les Français s'écrièrent d'une voix unanime que Brunehaut méritait les plus rigoureux tourments ; ce fut là son arrêt, il fut exécuté[52] ; elle fut livrée pendant trois jours aux tortures, promenée ensuite dans tout le camp sur un chameau, enfin attachée à la queue d'un cheval fougueux, ou, selon quelques auteurs, tirée à quatre chevaux : les restes sanglants et déchirés de son cadavre furent jetés au feu.

Ainsi fut traitée, à près de quatre-vingts ans, une reine, fille et mère de tant de rois ; mais aussi une femme meurtrière, et empoisonneuse de ses propres enfants ; des auteurs l'ont nommée la Jésabel et l'Athalie de son siècle. L'auteur des Gestes des Français prétend qu'elle ne désespérait pas de séduire Clotaire, qui, pour l'engager à se remettre en sa puissance, lui avait fait parler de mariage ; il ajoute qu'elle parut devant Clotaire, pompeusement parée, comme Jésabel devant Jéhu, et avec le même succès. Son supplice fut affreux, si l'on considère son rang, son sexe et son âge ; il fut juste, si l'on considère ses crimes.

L'histoire de la première race de nos rois ne présente rien de plus frappant que les fureurs et-les crimes de Frédégonde et de Brunehaut. Ces deux femmes, si implacables dans leurs haines, si terribles dans leurs vengeances, si impétueuses dans toutes leurs passions, si jalouses de l'autorité, si peu scrupuleuses sur les moyens de l'acquérir et de la conserver, étonnèrent, à force de cruautés, même leur siècle barbare. L'une, avec une plus insolente audace, employant presque publiquement contre tous ses ennemis le fer et le poison, parut outrager l'humanité en général par un plus grand nombre d'attentats : l'autre, ménageant avec plus d'art ces détestables ressources, mais les employant presque toujours contre son propre sang, parut outrager plus particulièrement la nature. Leurs noms sont également dévoués à l'exécration publique.

Les auteurs espagnols, et parmi les français, M. de Cordemoy, et quelques autres, ont fait de vains efforts pour justifier Brunehaut, d'après un conte de Bocace, où tous les fondements de l'histoire sont renversés, et où l'on dit que Clotaire, qui fit périr Brunehaut, était son fils. Bocace, très ignorant en histoire, est postérieur de sept à huit siècles à Brunehaut, et pendant ces sept à huit siècles, il ne s'était pas élevé une voix en faveur de cette princesse, ni un doute sur la. justice de son arrêt.

C'est de Frédégonde, au contraire, qu'il a plu à l'abbé Le Gendre de faire son héroïne.

Brantôme s'est déclaré le panégyriste de Catherine de Médicis, qu'il avait cependant connue.

Le plus illustre de nos écrivains a prétendu justifier Pierre-le-Cruel.

Quiconque prendra la peine de remonter aux sources, et de les examiner de bonne foi, n'adoptera jamais ces paradoxes brillants.

 

CLOTAIRE II.

 

MALGRÉ tous les efforts que font les apologistes de Brunehaut, pour décrier Clotaire II, son ennemi, la notoriété des faits les force de rendre hommage à ses vertus, et d'avouer ses bienfaits envers la nation. Clotaire II est le premier de nos rois qui ait pris en considération le bonheur du peuple, et qui ait fait entrevoir une faible aurore de cet esprit de paix, sans lequel il n'est point de gouvernement. Depuis la réunion de l'empire français sous son autorité, on le voit sans cesse occupé à réparer les désordres des règnes précédents ; il diminue les impôts, source de toutes les guerres intestines, et prend l'engagement de n'en jamais créer de nouveaux sans le consentement de la nation ; il révoque les dons excessifs ; ressource fâcheuse, mais souvent nécessaire : il rentre dans ses domaines engagés ; ressource encore fâcheuse, et peut-être injuste, lorsque le temps a détruit toute proportion entre le prix originaire de l'engagement et la valeur des domaines, mais juste quand ces proportions ne sont pas sensiblement altérées, et nécessaire dans un temps où les rois vivaient de leur domaine. Les dettes et les impôts, fruits de la guerre, marchent de front, non seulement parce que les dettes rendent les impôts nécessaires, mais encore parce qu'un principe commun de dissipation et de désordre fait naître à-la-fois l'un et l'autre. De même l'abolition des impôts et le paiement des dettes marchent ensemble — quoique l'une de ces ressources paroisse nuire à l'autre —, parce qu'un même principe les fournit l'une et l'autre. On a écrit, on écrira des volumes sur l'administration des finances ; tout pourrait se réduire à ces deux mots : économie et justice ; mots dont l'efficacité est infinie, lorsqu'on ne se contente pas de les prononcer. Clotaire II, dans toute la grossièreté du septième siècle, en savait plus sur ce point que Louis XIV dans toute la splendeur du dix-septième. Mais pour pouvoir être économe, il faut éviter la guerre, qui détruit toute économie. Les Lombards étaient tributaires de la France ; Clotaire II leur remit le tribut, et acheta, si l'on veut, la paix, qu'on ne peut trop acheter. Pourquoi faut-il en effet qu'un peuple soit tributaire d'un autre ? Eh qu'ils soient tous libres et heureux, qu'ils travaillent tous au bonheur les uns des autres, par les communications vivifiantes du commerce. Qu'importe un tribut stérile, bien moins profitable à celui qui le reçoit, qu'humiliant pour celui qui le paye ; un tribut qui, rappelant sans cesse l'abus de la victoire, nourrissant le ressentiment de la défaite, et invitant à la vengeance par l'attrait de la liberté-, n'est qu'une source féconde de discorde ? Cependant, comme on aimait alors à imposer des tributs, et qu'on ne savait faire aucun sacrifice à la paix, on publia que les Lombards avaient gagné à prix d'argent les maires et les ministres de Clotaire, pour obtenir la remise de ce tribut.

Mais cet esprit de guerre que Clotaire II cherchait ainsi à éteindre, même au-dehors, fermentait dans l'intérieur du royaume ; le peuple se soulevait, quand on l'accablait d'impôts, et c'était les grands, quand on von-boit le soulager ; car les grands, qui partageaient les dépouilles du peuple, avaient intérêt qu'il fût opprimé. Clotaire II avait confié le gouvernement de la Bourgogne transjurane à Herpin, homme ami de l'ordre et de la justice, et qui ne négligeait rien pour remplir les vues bienfaisantes du roi sur .son peuple ; les grands, dont il réprimait les vexations, excitèrent contre lui une sédition, dans laquelle il périt. Sa mort fut vengée par le supplice des plus coupables.

Le patrice Alétée, qui eut après lui le même gouvernement, avait été l'âme de cette conspiration[53] ; il s'était conduit avec tant d'adresse, que, loin d'en avoir été soupçonné, il en avait recueilli le fruit [614]. Animé par ce premier succès du crime, il forma de plus vastes entreprises ; il se disait issu des anciens rois de Bourgogne, et ce fut jusqu'au trône qu'il porta ses vues. Leudemonde, évêque de Sion, son complice, vint trouver la reine Bertrude, femme de Clotaire, et lui lit part d'une révélation qu'il avait eue du ciel, que le roi mourrait dans l'année, et serait remplacé par Alétée ; en conséquence, il exhorta la reine à rassembler ses trésors, à les mettre en sûreté ; il lui offrit pour cet usage sa ville de Sion, et l'invita surtout à épouser Alétée, pour conserver le trône. Bertrude aimait tendrement Clotaire ; la révélation l'alarma : sans répondre à l'évêque, elle se renferma pour pleurer ; l'évêque sentit le danger où il s'était mis, il s'enfuit, et parvint dans la suite à faire sa paix. La reine, comme il l'avait prévu d'après son silence, redit tout à Clotaire, qui moins effrayé de la révélation, qu'inquiet des desseins d'Alétée, le fit arrêter, et lui fit faire son procès. Alétée eut la tête tranchée. Cette intrigue d'Alétée et de Leude-monde peint les mœurs du temps : on y voit quel parti les méchants cherchaient alors à tirer de la superstition, et combien il importe aux princes de la détruire ; le patrice et l'évêque avaient espéré de séduire la reine. Il suffisait alors d'être prêtre, et d'alléguer une révélation, pour être cru ; la reine crut l'évêque, puisqu'elle pleura d'avance la mort de Clotaire. Pour peu que cette superstition. l'eût emporté sur sa tendresse, elle devenait coupable, elle suivait les conseils de l'évêque, elle trahissait son mari et son roi.

Elle mourut avant lui ; Clotaire épousa une autre femme, nommée Sichilde, et fit épouser à Dagobert, son fils aîné, Gomatrude, sœur de cette Sichilde [620] Le roi devint jaloux d'un seigneur, nommé Boson, qu'il crut amoureux de sa nouvelle femme, et, payant le tribut à la barbarie de son siècle[54], il le fit tuer.

L'histoire lui reproche encore la mort violente de Godin, fils de Garnier ou de Warnachaire, maire du palais de Bourgogne[55]. Godin, malgré les canons et des édits nouvellement publiés, avait épousé Berthe, veuve de son père : on l'obligea de la quitter ; il obéit. Berthe ne put le lui pardonner : dans son dépit, elle l'accusa d'une conspiration contre la vie du roi. Clotaire eut la faiblesse de la croire sans -examen ; et quoique Godin, traîné d'église en église, eût protesté de son innocence sur toutes les reliques des saints, il n'en fut pas moins assassiné par ordre du roi ; tant les passions l'emportent encore sur la superstition, et méritent encore plus d'être combattues !

L'esprit de guerre, malgré les efforts de Clotaire, dominait toujours en France, et même à sa cour. Tandis qu'il était à Clichy, un de ses favoris, nominé Egina, fit assassiner un des principaux officiers d'Aribert, second fils de Clotaire, nommé Eginaire[56]. Aribert voulut tirer vengeance de ce crime, il trouva de la résistance ; on se cantonna ; Egina et ses amis occupèrent les hauteurs de Montmartre ; les partisans d'Aribert tenaient la plaine. On allait en venir aux mains, si le roi, en menaçant de fondre avec toutes ses forces sur les deux partis, ne les eût fait rentrer dans lé devoir.

On commençait à sentir un inconvénient qui deviendra beaucoup plus sensible sous Charlemagne, c'est celui de l'agrandissement de l'empire français, trop accru par les conquêtes de ses rois, surtout par celles que Théodebert et les autres avaient faites du côté de la Germanie ; les douces influences du gouvernement de Clotaire II ne pouvaient s'étendre jusqu'à des frontières si reculées. Cette raison, et le désir d'instruire son successeur dans l'art de régner, engagèrent Clotaire à donner le premier exemple qu'on trouve dans notre histoire d'une association à la couronne, ou plutôt, ce fut moins une association à la royauté qu'un véritable partage du royaume que Clotaire fit avec Dagobert, son fils aîné. La France était, depuis longtemps, divisée en Austrasie, ou partie orientale, et Neustrie, ou partie occidentale, Clotaire donna l'Austrasie à soit fils avec titre de roi [624], et le mit sous la direction de deux ministres.qui jouissaient, de la plus haute réputation de sagesse et de vertu[57] : c'étaient saint Arnoul, évêque de Metz, gouverneur de Dagobert, et Pepin, dit, le Vieux, ou de Landen. Que. l'on compare cette confiance de Clotaire en son fils avec la défiance qu'une politique sombre et, jalouse a depuis inspirée à l'égard de leurs enfants, à des rois réputés grands dans des siècles, réputés éclairés ; que l'on compare ce choix des ministres, qu'il lui donne, avec les principes qui président si souvent au choix des instituteurs auxquels on livre l'enfance des princes et la destinée des empires, et qu'on juge si la barbarie était du côté de Clotaire.

Saint Arnoul, avant d'être engagé dans les ordres, avait été marié, et avait eu des enfants ; c'est de lui que descend de mâle en mâle la seconde race de nos rois ; elle descend aussi de Pepin par les femmes, comme on l'expliquera dans la suite. Ainsi, de ces deux hommes, que la tendresse éclairée de Clotaire II avait donnés pour guides à la jeunesse de Dagobert, devaient naître les princes destinés à enlever le trôné à la race de Dagobert et de Clotaire II.

Clotaire, en cédant à son fils l'Austrasie, s'était réservé quelques provinces et quelques places, qui lui paraissaient convenir à l'arrondissement des deux royaumes[58] qu'il gardait ; Dagobert osa se plaindre de ces démembrements et redemander tout ce qui avait été du royaume d'Austrasie, comme s'il eût réclamé des droits. Tout autre que Clotaire eût retiré ses dons, puisqu'on n'en était pas content ; mais la modération et la bonté étaient devenues le caractère du roi ; il consentit de prendre pour arbitres, entre son fils et lui, douze des principaux seigneurs, qui adjugèrent à Dagobert la meilleure partie de ses prétentions [626] ; non qu'ils pussent lui supposer d'autres droits que la bonne volonté de son père ; parce qu'ils crurent sans doute cet arrangement plus convenable au bien des affaires, et plus propre à remplir l'objet même que Clotaire s'était proposé en cédant l'Austrasie à son fils ; cet objet était d'assurer la défense et la bonne administration  du royaume. Clotaire consentit à tout.

Ce règne assez pacifique, et le seul qui l'eût encore été, finit par une guerre bien cruelle, si l'on en croit l'auteur des Gestes des rois de France. La manie qu'on avait de rendre ses voisins tributaires forçait d'avoir toujours les armes à la main ; le refus ou le délai de payer le tribut était toujours une cause suffisante de guerre. De tous les peuples tributaires des Francs, les Saxons étaient le plus indocile et le plus redoutable. Dagobert, dans une bataille qu'il leur livra, et qui fut si peu décisive, qu'on ne sait pas même quel en fut l'événement, reçut à la tête un coup d'épée qui lui fendit son casque, et lui abattit quelques cheveux avec une partie de la peau ; il s'empressa d'envoyer à son père ces dépouilles sanglantes, comme un témoignage et du danger qu'il avait couru, et de la valeur qu'il avait montrée. Clotaire accourut à son secours ; Bertoald, duc des Saxons, croyait Clotaire mort, ou l'avait publié ainsi pour encourager ses soldats, en leur persuadant qu'ils n'auraient à, combattre qu'un jeune roi sans expérience. Clotaire, instruit de ces bruits, paraît à la tête de son armée, à la vue de Bertoald, et, ôtant son casque, déploie sa chevelure blanchie avant le temps ; Bertoald le reconnut, et laissant percer malgré lui le dépit et l'effroi à travers le mépris brutal qu'il s'efforçait de montrer : Te revoilà donc, bête morte ! s'écria-t-il. C'était sur les bords du Veser ; la rivière les séparait ; Clotaire la passe à la nage, et court droit à Bertoald, qui s'enfuit lâchement ; Clotaire l'atteint, le renverse et le tue de sa main, comme son bisaïeul Clovis avait tué Alaric au combat de Vouillé ; mais Alaric ne fuyait pas.

La victoire du Veser ne fut pas moins complète que celle de Vouillé ; l'armée de Bertoald fut taillée en pièces, Clotaire porta la désolation dans tout le pays des Saxons, et, si l'on en croit l'auteur que j'ai cité, dont il faut avouer que le témoignage est suspect aux critiques, à cause du silence des autres auteurs, il n'y laissa pas subsister un seul homme qui excédât la hauteur de son épée. Quoi qu'il en soit de cette histoire, dans laquelle on peut au moins soupçonner de l'exagération, Clotaire Il fut un des plus grands et des meilleurs rois de la première race ; il eut, autant-que son siècle le permettait, des mœurs douces et modérées, et il faut en savoir gré doublement au fils de Chilpéric et de Frédégonde.

Quelques auteurs lui ont même donné le titre de gland ; d'autres, mais ce ne sont que des modernes, ont cherché à le décrier en faveur de Brunehaut ; ils ont aisément trouvé des reproches à lui faire ; Clotaire n'avait ni changé les mœurs de son siècle, ni échappé entièrement à leur empire. Clotaire n'était qu'un barbare plus doux et plus -modéré que ses prédécesseurs : mais les barbares sont encore plus près de la nature que certains peuples qui se croient policés, et que des raffinements de politique rendent quelquefois méchants par système. Clotaire II fut certainement un meilleur père et un meilleur roi que ce Louis XI, dont on a voulu vanter la politique détestable, et même que d'autres rois modernes, moins odieux que Louis XI, ruais que le machiavélisme avait écartés de la nature.

 

DAGOBERT.

 

DAGOBERT [629], son fils aîné ne fut point le modèle parfait des plus parfaits monarques, comme on le dit dans les mauvais vers qui sont au bas de son portrait dans Mézeray. Il commença par être injuste envers Aribert son frère, qu'il priva du partage qui lui était dû[59].

Les partages étaient des abus sans doute, non pas que l'égalité dans le partage des successions ne soit l'arrangement le plus conforme à la nature ; mais il n'en est pas des royaumes comme des successions ordinaires, les peuples ne sont point .aux rois, ce sont les rois qui sont aux peuples, et la réunion l'État dans une même main peut seule assurer la paix, qui peut seule assurer le bonheur des peuples : ces principes n'étaient point connus alors, on regardait la couronne comme le patrimoine des mâles, et on la partageait entre eux ; cet abus était consacré par un usage constant, qui ne pouvoir plus être détruit que par une loi portée, sans intérêt et sur le vœu national, dans un temps où il n'y aurait point de partage à faire ; la réunion ainsi réglée aurait coupé une des plus fortes racines des guerres civiles : mais l'introduire par un principe d'avidité, par des moyens de force, c'était vouloir se jeter dans une nouvelle guerre civile ; et en effet, elle eût été inévitable avec un prince moins doux et moins patient qu'Aribert.

Une autre considération favorable alors aux partages se tirait des accroissements successifs de l'empire français, et principalement de l'étendue qu'il avait acquise au-delà du Rhin, étendue qui avait rendu nécessaire la division de la France en Austrasie et Neustrie, et qui avait déterminé Clotaire II à céder la Neustrie à Dagobert. Cette libéralité d'un monarque envers son fils, libéralité sans exemple jusqu'alors, aurait dû empêcher Dagobert de commettre, à l'égard de son frère, une injustice sans exemple aussi jusqu'à lui.

Brunulfe, oncle maternel d'Aribert, paria vouloir réclamer les droits de son neveu ; on le craignit du moins ; et sur cette crainte, Dagobert le fit assassiner.

Il consentit cependant de céder à son frère quelques-unes des provinces méridionales, situées au-delà de la Charente. Cet État, trop faible pour rendre Aribert redoutable, était assez grand pour mériter le titre de royaume ; Toulouse en fut la capitale.

Aribert mourut deux ou trois ans après son père, à la suite d'un voyage à la cour de Dagobert ; circonstance fâcheuse, et qui fut observée. Il avait tin fils, nommé Chilpéric, qui mourut peu de jours après lui ; circonstance qui aggrava la première. Dagobert rentra dans les provinces cédées à Aribert, et réunit l'empire français.

Cependant Aribert laissait deux autres fils, Boggis et Bertrand, de la postérité desquels nous aurons beaucoup à parler dans la suite.

Ce qu'Horace dit des poètes, qu'ils éternisent le souvenir des grandes actions et des grands hommes, qui, sans eux, seraient ensevelis dans l'oubli[60], Salluste le dit, avec raison, des historiens éloquents. Il rend justice aux guerriers illustres qui ont porté si loin la gloire d'Athènes, mais il croit qu'ils ont été bien servis par les grands historiens, qui, en décrivant leurs exploits, les ont gravés dans la mémoire des hommes, plus beaux, plus éclatants peut-être qu'ils n'ont été[61]. Nos chroniqueurs font précisément le contraire, ils éteignent, ils anéantissent tout ; sous leurs funestes mains tout se flétrit ou s'atténue, les hommes et les événements disparaissent. Un marchand, natif de Sens, selon les uns, ou de Soignies en Hainaut, selon les autres, voyageant loin de sa patrie pour les affaires de son commerce, trouve un assez grand peuple esclave d'un autre peuple voisin ; il lui apprend à se mettre en liberté ; il montre tant de talent, de valeur et de prudence dans l'exécution de ce projet, qu'il est élu roi par la reconnaissance publique ; il gouverne pendant trente-six ans avec une sagesse digne d'un autre temps et d'un autre pays le peuplé qu'il a fait libre ; il le rend heureux au-dedans, redoutable au-dehors ; il continue de l'enrichir par le commerce, il donne aux plus grands princes des leçons et des exemples qu'ils n'étaient pas alors en état de suivre ; ce peuple, ce sont les Esclavons que les Huns, ou Avares ou Abares, avaient soumis ; ce marchand couronné, ce roi libérateur, c'est l'aventurier Samon. Les chroniqueurs l'apportent ces faits, sans en deviner l'importance, et comme s'ils rapportaient qu'un barbare a tué un autre barbare.

On nous reproche quelquefois de l'indifférence pour notre histoire ; où est-elle cette histoire ? Si elle offre un fait digne de l'attention des hommes, il est presque toujours enseveli par la maladresse des chroniqueurs. Les circonstances dont se compose l'histoire, ces détails qui lui donnent, l'âme et la vie, ces couleurs dont l'éloquence sait l'embellir, cet intérêt, que la sensibilité sait y répandre, ces réflexions qui en font la leçon du genre humain et le principe du bonheur public, enfin tout ce qui grave les événements dans l'imagination, tout ce qui les fait vivre dans la mémoire, est presque inconnu dans notre histoire moderne en général : mais quant aux premiers temps, ce sont les matériaux mêmes de l'histoire qui manquent chez pas chroniqueurs, et l'histoire est, pour ainsi dire, coupée par la racine. M. de Montesquieu dit que les faiseurs de chroniques savaient à-peu-près de l'histoire de leur temps ce que les villageois savent aujourd'hui de celle du nôtre. Cela est un peu exagéré, car ces chroniqueurs étaient des moines, et les moines étaient alors des hommes d'État ; mais à voir le peu qu'ils disent, il semble qu'ils aient seulement voulu faire des notes pour soulager leur mémoire. Ce n'est donc point par un respect superstitieux pour l'antiquité, c'est encore moins par une indifférence coupable pour notre pays, que nous préférons l'histoire grecque et romaine ; c'est par la raison que dit Salluste, et dont il est lui-même un exemple à l'égard des Romains : Quia provenere ibi scriptorum magna ingenia ; parce que des hommes de génie ont écrit leur histoire.

Dagobert eut le malheur d'avoir Samon pour ennemi. La fortuné qu'avait faite ce marchand attirait vers l'Esclavonie beaucoup d'autres marchands français : il arriva que quelques uns d'entre eux furent volés dans les États de Samon [631] ; celui-ci leur devait sa protection comme à des compatriotes et à des confrères, et il savait combien le commerce a besoin de sûreté et de liberté[62]. Dagobert lui fit porter de justes plaintes : mais ou il choisit mal son ambassadeur, ou il lui donna de mauvaises instructions ; cet homme, dans l'audience qu'il eut de Samon, ne sut que s'emporter ; il appela les Esclavons des Païens et des Chiens, et ne ménagea guère plus leur roi. Ces chiens-là, lui répondit Samon, mordent les insolents qui manquent de respect à un peuple libre, et au roi que ce peuple a élu librement ; et il chassa cet imprudent. La guerre s'ensuivit. Dagobert fit attaquer les Esclavons par les Allemands, alors ses sujets, et les Lombards ses alliés, qui firent chez les Esclavons des ravages que ceux-ci rendirent avec usure aux Français austrasiens. L'avantage fut si marqué du côté de Samon, que des peuples, sujets ou tributaires de la France, se soumirent aux Esclavons. Les Saxons firent à la France une offre qui fut acceptée ; ils se chargèrent de réprimer les courses des Esclavons, pourvu qu'on leur remît — à eux Saxons — un tribut annuel de cinq cents bœufs ou vaches qui leur avait été imposé ; on leur remit le tribut, et ils ne réprimèrent point les courses des Esclavons, qui forcèrent enfin Dagobert à faire pour Sigebert.son fils aîné ce que Clotaire II son père avait fait pour lui, c'est-à-dire à lui céder le royaume d'Austrasie. Un roi particulier émit devenu nécessaire à cette partie de l'empire français, pour contenir toutes ces nations germaniques qu'on avait mal-à-propos assujetties ou voulu assujettir, et qui étaient toujours prêtes à secouer le joug ou à se jeter sur la France. C'était l'effet de l'agrandissement, c'était le fruit des conquêtes ; tout État qui s'agrandit renonce à la paix, et se dévoue à une agitation éternelle.

Samon, homme étonnant en tout, et chez qui la force du corps paraît avoir égalé la force de l'aine, eut, ou tout à-la-fois, ou successivement, jusqu'à douze femmes, il laissa vingt-deux fils et quinze filles, en tout trente-sept enfants, qui laissèrent à leur tour une nombreuse et vigoureuse postérité.

Dagobert eut aussi un grand nombre de femmes, dont cinq tout à-la-fois portèrent également les titres de femmes et de reines ; c'était une liberté que prenaient assez souvent les rois de la première race. Le nombre de ses maîtresses fut si grand, que l'histoire ne s'est pas même chargée de leurs noms. Ses débauches furent si excessives et devinrent si funestes à l'État, par les dépenses qu'elles entraînaient, que les grands, sous prétexte d'intérêt pour sa santé, le prièrent de se modérer. En effet, dans la fleur de son âge, il était déjà dans un état d'épuisement déplorable : mais l'épuisement de l'État était bien plus' déplorable encore.

Il avait deux causes, l'incontinence du roi, vice trop ordinaire dans la jeunesse, et son avarice, défaut presque monstrueux à cet âge ; il est vrai que cette avarice est plutôt alléguée que prouvée ; il dépouillait, dit-on, des églises, mais il en enrichissait d'autres ; il fonda et dota Saint-Denis : de là vient que les moines chroniqueurs se sont partagés sur son compte ; les .uns l'exaltant, parce qu'il leur donnait ; les autres le décriant, parce qu'il leur ôtait. L'abbé Le Gendre dit que Dagobert n'était pas une belle âme, parce qu'il n'enrichit l'église de Saint-Denis que de la dépouille d'autres églises. Fallait-il donc prendre encore sur les peuples de quoi enrichir ces nouveaux moines ? Dagobert n'était pas une belle âme, parce qu'il faisait payer à ses sujets ses débauches et ses vices, parce qu'il priva son frère de ses droits, parce qu'il fit assassiner, de sang-froid, Brunulfe et plusieurs autres, parce qu'il commit toutes les violences que nous avons rapportées, et d'autres que nous rapporterons encore ; mais qu'importait que de belles portes de fonte fussent à Saint-Hilaire de Poitiers ou à Saint-Denis ? Ce qui eût été important, c'est que les richesses de l'État, au lieu d'être enfouies dans des monastères, où personne ne doit ni ne peut jouir au-delà de ce qui est prescrit par la régie, eussent continué de circuler dans l'État, qui peut toujours augmenter et multiplier ses jouissances.

Comme les chroniqueurs n'expliquent rien, il est difficile de dire comment ces idées de l'épuisement de l'État et de l'avarice du roi se concilient avec ce qu'on raconte de la magnificence des Français dans ces temps-là, avec cette orfèvrerie si fameuse de saint Éloi, avec ce siège et ce trône d'or massif qu'il fabriqua, avec ces ceintures couvertes de pierreries qu'il portait lorsqu'il vint à la cour de Dagobert, avec cette profusion des matières les plus précieuses, qui ne parait pas avoir eu d'influence marquée sur la monnaie ni sur le prix des denrées.

On a principalement expliqué cette richesse par le commerce du Levant : en effet, les guerres encore trop fréquentes, mais devenues moins continuelles sous Clotaire II et sous Dagobert, avaient permis à l'esprit de paix d'amener à sa suite le commerce et les arts. L'aventure de Samon, et toute cette magnificence de saint Éloi, semblent annoncer des progrès à cet égard. Mais l'antiquité a divinisé les premiers inventeurs des arts encore bruts et grossiers. Un marchand devenu roi, un orfèvre devenu évêque et ministre, attestent de même le respect des peuples barbares pour les premiers hommes qui leur apportaient des commodités inconnues et des avantages nouveaux. C'est dans leur berceau que les arts sont les plus honorés ; l'ignorance les exagère, l'admiration les divinise. Dans nos chroniques, cette magnificence brille un moment sous Dagobert, et ne reparaît plus sous la première race ; c'est qu'elle avait été inconnue jusqu'alors, et qu'on s'y accoutuma dans la suite.

Au reste, ces relations de commerce avec l'empire d'Orient firent peut-être plus de mal que de bien : nos rois, instruits du faste de la cour de Constantinople, voulurent l'imiter dans un pays où un commerce naissant ne fournissait pas encore assez de ressources ; ils foulèrent leurs peuples, et c'est ainsi que la misère des sujets s'allie trop aisément avec le luxe des rois.

Voici un exemple des finesses des barbares : la France, en vertu d'un traité, avait aidé Sisenand à monter sur le trône des Visigoths ; le traité portait que Sisenand, devenu roi, donnerait à la France un grand bassin d'or enrichi de pierreries, et pesant cinq cents livres, qui venait du célèbre Aétius, et que la France désirait par cette raison. Sisenand, qui voulait garder le bassin, n'osa cependant le refuser aux ambassadeurs de Dagobert, lorsqu'ils le réclamèrent conformément au traité ; mais il aposta sur leur route des voleurs qui le leur enlevèrent. Sur les plaintes, et encore plus sur les menaces de Dagobert, on négocia, et Dagobert voulut bien se contenter d'un assez faible dédommagement.

Le règne de Dagobert fut souillé par une faute énorme en politique, et un grand crime contre l'humanité. Une peuplade de Bulgares, nation dont les anciens chroniqueurs rapportent et beaucoup de merveilles, et beau coup d'horreurs qui ne sont pas de notre sujet, était venue s'établir en Pannonie avec les Huns ou Avares et n'avait fait qu'un peuple avec eux ; ils se brouillèrent pour l'élection d'un roi, chacun voulant en avoir un de sa nation ; les Bulgares furent entièrement défaits : il n'en resta que neuf mille, qui vinrent, avec leurs femmes et leurs enfants, se réfugier sur les frontières de la France, offrant de les défendre, et demandant qu'on leur donnât un canton à cultiver. Dagobert envoya ordre aux Bavarois, qui étaient alors sous la domination de la France austrasienne, de les nourrir, par provision, pendant l'hiver, qui commençait alors[63] ; puis, après avoir plus mûrement délibéré sur la demande des Bulgares, il suivit, dit l'auteur des gestes de Dagobert, un conseil bien sage, sapienti consilio, ce fut d'envoyer ordre aux mêmes Bavarois de massacrer tous les Bulgares, ce qui fut inhumainement exécuté il n'en échappa que sept cents. L'abbé Le Gendre a raison ; Dagobert n'était pas une belle âme[64]. Toute moralité à part, il était impossible de prendre un plus mauvais parti. Grimoald, usurpateur du trône des Lombards, mais grand roi, en usa bien différemment dans le même siècle. Une colonie de ces mêmes Bulgares étant venue s'établir dans ses États, il leur donna des terres à cultiver ; en effet, quelle raison peut avoir un État pour refuser des habitants qui peuvent le défendre par les armes et l'enrichir par la culture ? A la cruauté près nous avons renouvelé cette faute dans un temps plus éclairé, lorsqu'au lieu de profiter de celle que faisait l'Espagne de chasser les Maures, qui n'étaient plus depuis longtemps que des sujets soumis, nous refusâmes à ces malheureux l'asile qu'ils demandaient dans les landes de Bordeaux, qu'ils offraient de défricher, et qui sont encore incultes. Recevons tous ceux qui nous offrent du service et du travail ; mais en admettant ainsi des étrangers au nombre des citoyens, il y a peut-être une précaution à prendre, c'est de ne les pas laisser subsister en corps de nation, de les confondre et de les incorporer avec la nation dominante. Tendons toujours à unir, tâchons de faire disparaître, par des moyens doux, les différences trop marquées, qui deviendraient des signes de ralliement et des principes de discorde : il ne faut point d'État dans l'État ; les Bulgares et les Avares ne se brouillèrent que parce qu'ils n'étaient pas un, que parce qu'ils formaient deux peuples distincts ; les Ilotes étaient un tort dans le gouvernement de Sparte, et pouvaient être un danger.

Au reste, plaignons le sort de l'humanité, contre laquelle se rassemblent tant de fléaux et tant de vices, et à la destruction de laquelle tant de causes différentes viennent également aboutir. Ce massacre des Bulgares, commis en Bavière, dans le septième siècle, par pure grossièreté d'ignorance et de barbarie, se reproduisit, à la fin du treizième siècle, en Italie, par fureur de vengeance, sous le nom de Vêpres Siciliennes ; dans le seizième en France, par raffinement de politique, par profondeur de machiavélisme, sous le nom de la Saint-Barthélemy ; dans le dix-septième en Irlande, par fanatisme : tant l'esprit de guerre est fécond en principes de désolation et de ruine, sans compter l'effusion continuelle de sang qu'entraîne la guerre proprement dite et qui en est toujours le seul fruit !

On rapporte de Dagobert des traits de violence singuliers. Saint Arnoul, son gouverneur, ne respirait que la retraite, c'était là son ambition ; il en parla au roi, qui, soit habitude de le voir, soit connaissance et sentiment du besoin qu'il avait de ses conseils, le pria de rester ; Arnoul insista : le roi ne trouva pas de moyen plus doux de le retenir que de le menacer de faire périr son fils ; et comme Arnoul ne se rendait point encore, le roi, passant par affection aux plus violents transports de la haine, tira son épée, et voulut l'en percer lui-même.

Selon l'auteur des gestes de Dagobert, ce prince, du vivant de Clotaire II, par un mouvement de colère ou de jeunesse, outragea ce même gouverneur d'une manière si coupable, que, craignant le ressentiment de son père, il se retira dans une petite chapelle de Saint-Denis, comme dans un asile. Il fit de là sa paix avec son père, et dans la suite, en mémoire de cet événement, et en expiation de ce tort[65], il fit bâtir dans le même lieu l'église et le monastère de Saint-Denis, qui fut longtemps, dans l'opinion publique, son plus beau titre de gloire.

La sagesse-de Clotaire II, sa tendresse pour son fils, et son amour pour ses peuples, avaient paru dans le choix qu'il avait fait de saint Arnoul et de Pepin de Landen, pour conduire la fougueuse jeunesse de Dagobert, lorsqu'il lui avait cédé le royaume d'Austrasie. Tant que Dagobert se régla par leurs avis et par ceux de Cunibert, évêque de Cologne, qui remplaça saint Arnoul, son gouvernement mérita des louanges[66] ; lorsqu'il s'éloigna d'eux, ou lorsqu'il les força de s'éloigner de lui, les favoris et les femmes s'emparèrent aisément de cette âme vide et faible ; cependant, comme au milieu de ses vices il conserva de la piété, il eut le mérite ou le bonheur d'être toujours servi par des saints. Saint Arnoul, évêque de Metz, fut son précepteur, puis son ministre ; saint Éloi, évêque de Noyon, son trésorier ; saint Ouen ou Audoen, évêque de Rouen, son référendaire ; saint Cunibert, évêque de Cologne, fut de son conseil ; saint Amand, évêque de Tongres, eut aussi beaucoup de crédit sur son esprit. Si la vertu était rare alors, elle en était plus révérée ; le respect qu'inspiraient ces saints personnages était utile aux affaires ; on comptait sur des engagements garantis par des saints. Judicaël, roi, ou duc, ou comte des Bretons, se soulève et ravage les frontières de la France ; Dagobert lui envoie saint Éloi, qui ramène lui-même à Saint-Denis, aux pieds du roi, auquel il demande pardon, et dont il reconnaît la souveraineté. Le trait suivant, quoique petit, peint les mœurs du temps. Dagobert veut retenir à dîner le prince breton ; Judicaël le refuse ; on s'étonne ; son excuse fut qu'il était engagé chez le référendaire Audoen, et que c'était pour un saint qu'il manquait à un roi. L'excuse fut admise.

Dagobert mourut de vieillesse à trente-six ans, ou tout au plus à trente-huit [638], laissant deux fils, Sigebert, auquel il avait cédé l'Austrasie, et Clovis, auquel il assura la succession des deux royaumes de Neustrie et de Bourgogne, condamnant par-là hautement sa conduite à l'égard d'Aribert, dont il redoutait le sort pour le second de ses fils, âgé de quatre ou cinq ans. Celui-ci resta sous la tutelle de Nantilde sa mère, et d'Éga maire du palais de Neustrie. Sigebert l'aîné, quoique déjà roi depuis six ans, n'en avait que sept ou huit, et resta sous la puissance de Pepin de Landen.

Ici finit l'autorité des rois, et commence la puissance royale des maires du palais.

Arrêtons-nous un moment à considérer quel a été, dans l'espace de temps qui vient d'être parcouru, le résultat de cet esprit de guerre, toujours dominant chez les peuples barbares, et qui n'avait éprouvé qu'un folle ralentissement sous Clotaire II et sous Dagobert.

Examinons et les mœurs et le sort des rois, et jugeons par-là des mœurs et du sort des peuples.

Leur foi était pure, dit l'abbé Le Gendre, et leurs mœurs païennes : leur cour ressemblait assez à celle du grand-seigneur. Le maire ou grand-maître de leur maison était ce qu'est aujourd'hui le grand-vizir parmi les Turcs. Le palais était un sérail ; les rois avaient publiquement autant de femmes qu'ils en voulaient ; ils en épousaient souvent plusieurs à la fois, et leur donnaient le nom de reines, lorsqu'elles avaient eu des enfants ; ceux-ci avaient part à la succession du père, sans distinguer les légitimes d'avec ceux qui ne l'étaient pas.

La France s'était agrandie ; elle avait même passé les limites que la nature semble avoir fixées à cet empire. Quel était le fruit de cet agrandissement ? La nécessité de partager le royaume. Et quel était le fruit de ces partages ? Des guerres continuelles.

Le nombre des rois et des fils de rois morts de mort violente en France[67] ou sur les frontières, dans l'espace de temps que nous examinons, est effrayant ; il n'a peut-être pas été assez remarqué. C'est le tableau le plus capable de décrier à jamais l'état de guerre.

Clovis meurt dans son lit ; mais je vois plus de dix rois ou fils de rois[68], tués ou de sa main, soit dans les combats, soit hors des combats, ou par ses intrigues.

Comptons-les. Siag-rius, fils de cet Ægidius, roi des Français, en concurrence avec Childeric ; Alaric, roi des Visigoths, et lé roi des Allemands, tués dans des batailles ; Gondégisile, roi de Bourgogne, tué par. Gondebaud son frère, mais par une suite de ses intrigues avec Clovis. Nous ne parlons point de Gondemar et de Chilpéric, frères de Gondebaud et de Gondégisile ; le premier brûlé par Gondebaud, dans une tour où il se défendait ; le second, père de Clotilde, massacré avec ses deux fils par le même Gondebaud, et sa femme jetée dans la rivière une pierre au cou. Ces événements ou précédent le règne de Clovis, ou paraissent lui être étrangers.

Mais en voici qui lui sont propres. Sigebert, roi de Cologne, et son fils Codoric ; Cararic, roi des Morins, et son fils ; Ragnacaire, roi de Cambray, et Riguier son frère ; Renomer, roi du Mans, et son frère, tous parents de Clovis, tous assassinés par lui ou par ses ordres ; quelquefois les uns par les autres, quelquefois le fils par le père.

Sous les enfants de Clovis ; Théodebert tué à la chasse ; Clodomir, roi d'Orléans, dans une bataille ; deux de ses fils égorgés par leur oncle Clotaire, qui brûle vif Chramne, son propre fils, avec ses enfants, dont on ne sait pas le nombre.

Sigismond, roi de Bourgogne, fils de Gondebaud, fait étrangler Sigéric son fils dans son lit ; Clodomir le fait massacrer lui-même avec sa femme et deux enfants ; Gondemar, frère de Sigismond, meurt en prison.

Mundéric, qu'on croit avoir été fils de Clovis, est assassiné par ordre de Thierry, son frère.

Badéric et Bertier, rois de Thuringe, sont tués par leur frère Hermenfroy, que Thierry, roi d'Austrasie, fait précipiter du haut des murs de Tolbiac ; Amalafroy, fils de Bertier, est tué par Clotaire son beau-frère.

Sous les enfants de Clotaire Ier, Sigebert, roi d'Austrasie ; Chilpéric, roi de Neustrie ; trois fils de Chilpéric, Théodebert, Mérovée et Clovis, sont assassinés on croit que Childebert, fils de Sigebert, fut empoisonné, et par Brunehaut sa mère. Théodebert, son fils aîné, fut tué par Théodoric son frère, à l'instigation de Brunehaut leur aïeule. Les deux fils de Théodebert, Clovis et Mérovée, sont tués ou par Théodoric leur oncle, ou par Brunehaut leur bisaïeule.

On croit que Théodoric lui-même, fut empoisonné par Brunehaut son aïeule. Quatre fils qu'il laisse sont égorgés ou engagés dans les ordres. On ignore le sort comme le nom de deux autres.

Aribert, second fils de Clotaire II, et Chilpéric, fils d'Aribert, furent, suivant l'opinion commune, empoisonnés par Dagobert Ier frère d'Aribert et oncle de Chilpéric. Dagobert, en dépouillant Aribert et ses enfants du partage qui leur était dû, mérita d'être soupçonné de leur mort.

Voilà, dans l'espace d'environ 150 ans, depuis l'an 48i jusqu'à l'an 63o, époque de la mort d'Aribert et de Chilpéric, plus de quarante rois ou fils de rois, ou tués dans les batailles, ou assassinés de sang-froid, ou empoisonnés, sans compter beaucoup d'enfants de ces princes, tués au berceau, et dont on ne sait ni les noms ni le nombre.

Nous ne parlons pas encore de Childéric II, et d'un de ses fils, assassiné par Bodillon, ni de Dagobert II, fils de Sigebert II, assassiné par ses sujets ; ces événements sont postérieurs à l'époque où nous nous arrêtons dans ce moment.

Par l'effet de cette férocité qu'entretient l'esprit de guerre chez les nations barbares, tel était le sort des rois chez les Français et chez leurs voisins, dans le temps que nous examinons.

Observons encore que la vie de ces rois, active jusqu'à l'agitation et à la turbulence, ne remplissait jamais le temps ordinaire de la durée de l'homme. La fatigue, poussée jusqu'à l'épuisement, consumait avant le temps ceux dont le fer et le poison respectaient la vie.

Pour ne parler que de ces derniers, ce Clovis, dont le règne paraît avoir été long, parce qu'il fut plein, et que les époques en sont marquées par de grands événements et de grands crimes, Clovis mourut à quarante-cinq ans, Thierry à cinquante-cinq, Théodebalde avant vingt ; Childebert et Clotaire ne passèrent pas soixante ans ; Chérebert ne passa pas cinquante. Gontran fut le seul qui, ayant mené une vie plus paisible, la poussa jusqu'au-delà de soixante-huit ans. Clotaire II, dont le règne est réputé long, parce qu'il fut roi à quatre mois, mourut vieux à quarante-cinq ans, et Dagobert décrépit à trente-six.

Cette liste est courte, parce qu'elle ne contient que les rois morts dans leur lit ; le plus grand nombre est de ceux qui périrent d'une mort violente.

La brièveté de la vie des premiers est plus sensible encore dans le reste de la première race.

Des deux fils de Dagobert Ier, Sigebert II, roi d'Austrasie, et Clovis II, roi de Neustrie, moururent à vingt-un ans.

Des trois fils-de Clovis II, Clotaire III mourut avant dix-huit ans, et Thierry avant quarante. Encore un .coup, nous ne parlons pas de Childéric, qui fut assassiné avec son fils, ni de Dagobert II, fils de Sigebert II, assassiné par ses sujets.

Des deux fils de Thierry, Clovis III mourut avant quinze ans, et Childebert à vingt-huit.

Dagobert III, fils de ce dernier, mourut à seize ans. Chilpéric II n'atteignit pas cinquante ans.

Thierry de Chelles, fils de Dagobert III, mourut à vingt-deux ou vingt-trois ans.

La durée de la vie des rois est à-peu-près la même sous la seconde race.

Sous la troisième, elle est plus longue et plus égale. Le plus grand nombre est de ceux qui meurent de cinquante à soixante ans : mais il est peut-être à remarquer que, dans l'espace de près de quatorze siècles, dans trois races différentes, dans une liste de soixante-cinq rois[69], en ne comptant que ceux qui ont régné à Paris ; de cent au moins, en comptant tous ceux qui ont régné dans les différentes parties de la France, liste qui peut encore être grossie par celle des héritiers du trône non parvenus au trône on ne trouve que deux rois septuagénaires, Charlemagne et Louis XIV[70] ; soit que cette brièveté générale de la vie des rois vienne des embarras et des chagrins du trône, ou de la facilité funeste qu'ont les rois et les princes de satisfaire toutes leurs passions[71].

 

 

 



[1] JUVÉNAL, satire 10.

Ad generum Cereris sine cœde et vulnere pauci

Descendant reges et sicca morte tyranni.

Que l'on voit peu d'usurpateurs et de tyrans mourir de leur mort naturelle !

[2] Greg. Tur. lib. 2. Fredeg. Epitom. c. 15. Gest. Franc. c. 19, Roric. l. 2.

[3] Greg. Tur. Gest Franc, c. 37. Roric. l. 2.

[4] Greg. Tur. l. 2, c. 32. Gest. Franc. c. 16. Fredeg. Epit. c. 22.

[5] Plutarch. in Alexandro.

[6] Vers. 43 et 44.

[7] Greg. Tur. l. 2, c. 37. Roric. l. 4. Gest. Franc. c. 17. Aimoin, l. I.

[8] Greg. Tur. l. 2, c. 40, 41, 42, Fredeg. Epitom. c. 26, 27.

[9] Clovis prétendait cependant que la conduite de Cararic à la bataille de Soissons n'avait pas été bien nette ; qu'il s'était longtemps tenu à l'écart, et n'avait montré de la valeur et du zèle, que quand il avait vu la victoire décidée.

[10] Mém. de Littérature, tome 20, page 147 et suivantes.

[11] Greg. Tur. l. 3, c. 1. Fredeg. c. 30. Gest. Franc. c. 10.

[12] Leg. 3. Digest. de concubin. Leg. stuprum, Digest. ad leg. Jul. de adulter. Cujac. de cohahit. cleric. et mulier.

[13] Premier concile de Tolède, canon 17. Concil. rom. sub Eugen. 2, can. 37.

[14] Lettre du pape Pelage à Childebert ; conciles de France du P. Sirmond t. I, p. 304.

[15] M. de Voltaire, Essai sur l'Histoire générale. C'est à l'occasion de la paix de Brétigny, à laquelle Édouard III fut déterminé par un orage qu'il essuya dans les plaines de Chartres, et qui lui parut un ordre du ciel de faire la paix.

[16] Agath. l. I. Greg. Tur. l. 3, c. 36.

[17] M. Hume, Plantagen., t. I, c. 5.

[18] Agathias raconte ainsi sa mort ; les antres auteurs le font mourir de maladie. Cette maladie, que quelques uns qualifient de maladie de langueur, peut avoir eu pour cause l'accident dont parle Agathias.

[19] Mézer. Abr. chronolog., t. I, sous Childebert.

[20] Cum bella odisset, pacem et litteras ac justitiam amabat : primus enim regum nostrorum latine scivit, cum parens atque avus sicambrice locuti fuissent.

[21] Fredeg. Epitom. c. 54. Gest. Franc. c. 23.

[22] Théodebert et Théodebalde son fils étaient beaux-frères, ayant épousé les deux sœurs ; savoir, Théodebert Wisigarde, et Théodebalde Waldrade, toutes deux filles de Wachon, roi des Lombards.

[23] Je vous nommerais, madame, un autre nom,

Si j'en savais quelque autre au-dessus de Néron.

[24] Esprit des lois, liv. 18, ch. 24.

[25] Greg. Tur. l. 4, C. 25, 26, l. 6, c. 24. Fredeg. Epitom. c. 56. Gest. Franc. c. 30.

[26] Greg. Tur. l. 4, c. 27. Gest. Franc. 31. Fredeg. Ep. c. 59.

[27] Gest. Franc. c. 31.

[28] Greg. Tur. l. 4, c. 28. Gest. Franc. c. 31. Fredeg. Epit. c. 60.

[29] L'abbé Le Gendre, qui semble avoir causé avec Brunehaut, assure qu'elle avait du brillant dans la conversation ; que Galsuinde sa sœur, n'était pas, à beaucoup près, aussi belle, mais qu'elle avait une physionomie d'esprit et un air à se faire aimer ; qu'Audouère, première femme de Chilpéric, était une beauté fade ; il l'appelle : cette belle statue. On pourrait à la vérité savoir ces détails par les historiens ; mais ces historiens sont des chroniqueurs qui ne détaillent et ne peignent rien.

[30] Greg. Tur. l. 6, c. 24.

[31] Greg. Tur. l. 4, c. 45, 46. Gest. Franc. c. 32. Fredeg. Epitom. c. 71.

[32] Greg. Tur. l. 5, c. 2. Fredeg. Epitom. c. 72.

[33] Greg. Tur. toto lib. 5.

[34] L'exemple de la fille de Séjan est connu. Cette malheureuse enfant n'avait mérité ni d'être déshonorée, ni d'être égorgée. Ce n'était pas sa faute si elle avait reçu la naissance d'un homme qui, après avoir été dans la plus grande faveur, était tombé dans la disgrâce. En combien de manières l'humanité a été outragée, quelquefois même par les lois.

[35] Alias totis ossibus confractis innectit. Greg. Tur. l. 6, c. 35.

[36] Greg. Tur. l. 6, c. 46.

[37] Greg. Tur. toto lib. 7.

[38] Greg. l. 8, c. 31.

[39] Greg. Tur. Fredegar. et alii, passim.

[40] Greg. l. 7, c 15.

[41] Greg. l. 6, c. 4.

[42] Greg. l. 8, c. 36.

[43] Fredeg. Chron. c. 18.

[44] Adon. in martyr. S Desid.

[45] Fredeg. Chron. c. 31.

[46] Jonas, in vita S. Colomb.

[47] Fredeg. Aimoin, l. 3, c. 89.

[48] Fredeg. c. 28.

[49] L'auteur des Gestes, c. 39. Adon, dans sa Chronique. Aimoin, l. 2, c. 100.

[50] Fredeg. Chron. c. 40, 41, 42.

[51] Il y en avait deux autres, mais l'histoire n'a pas conservé leurs noms.

[52] Fredeg. Sigebert de Gemblours. Aimoin, Appendis ad Chron. Marii. Jonas. Adon. Reginon.

[53] Fredeg. Chron. c. 42, 43, 44.

[54] VIRG. Egl. 4.

Pauca tamen suberunt priscæ vestigia fraudis.

Cependant il restera quelques traces de l'ancienne méchanceté des hommes.

[55] Fredeg. Chron. c. 54.

[56] Egina, Eginaire, Basin, roi de Thuringe, et Basine sa femme ; Théodoric, beau-père d'Alaric, et grand-père d'Amalaric et d'Athalaric, rois, l'un des Visigoths, l'autre des Ostrogoths ; Ostrogothe, fille du roi des Ostrogoths, etc. Ces rapports de noms, très communs dans notre histoire, donnent quelquefois un air de fables à des faits d'ailleurs constatés.

[57] Fredeg. Chron. c. 47.

[58] Celui de Neustrie et celui de Bourgogne.

[59] Fredeg. Chron, c. 56. Gest. Dagob. c. 15.

[60] HORAT.

Vixere fortes ante Agamemmona

Multi, serf onmes illacrymobiles

Urgentur, ignotigue longa,

Nocte, cazrent quia vate sacro.

Il y a eu bien des braves avant Agamemnon ; mais tous sont pressés les uns sur les autres, sans faire verser des larmes, et sont plongés inconnus dans une nuit obscure, parce qu'ils manquent de poètes pour être célébrés.

[61] Atheniensium res gestæ, sicuti ego æstimo, satis amplæ magnificæque fuere, uerum aliquanto minores tamen quam fama feruntur. Sed quia provenere ibi scriptorum magna ingenia, per terrarum orbem Atheniensium facta pro maximis celebrantur. Ita eorum qui fecere virtus tanta habetur, quantum eam verbis potuere extollere præclara ingenia. (Sallust. de bello Catilinar.)

[62] Fredeg. c. 68. Gest. Dagob. c. 27.

[63] Fredeg. c. 72.

[64] Gest. Dagob. I, reg. Francor. c. 28.

[65] L'auteur des Gestes de Dagobert, selon son usage, charge ce récit de circonstances merveilleuses que nous épargnons à nos lecteurs.

[66] Fredeg. c. 75, 85. Gest. Dagob. c. 31.

[67] J'entends ici par la France le pays qui a depuis porté ce nom, et qui s'appelait alors la Gaule. Il était d'abord partagé, comme nous l'avons dit, en différentes dominations.

[68] On donnait alors le nom de rois aux enfants des rois.

[69] Peut-être n'en faut-il compter que soixante-un ; car il ne parait pas que Pharamond ni les trois rois suivants, jusqu'à Clovis, aient étendu leur domination jusqu'à Paris ; cette ville du moins n'était pas leur capitale.

[70] Louis-le-Germanique, celui des princes de la seconde race qui, après Charlemagne, a vécu le plus longtemps, est mort dans sa soixante-dixième année.

[71] Ordéric Vital, en parlant de Philippe Ier, qui mourut dans sa cinquante-septième année, dit qu'il était accablé de vieillesse et d'infirmités.

Senio et infirmitate deciderat.