LA MORT DE LA REINE

LES SUITES DE L'AFFAIRE DU COLLIER — D'APRÈS DE NOUVEAUX DOCUMENTS RECUEILLIS EN PARTIE PAR A. BÉGIS

 

VIII. — TOUSSAINT DE BEAUSIRE[1].

 

 

Jean-Baptiste-Toussaint de Beausire, le père du petit bonhomme né dans la Bastille le 12 mai 1786, aux sympathies de la France entière, reconnut son fils et, comme il a été dit, épousa le 24 avril 1787, en l'église Saint-Roch, la jeune maman, la charmante Marie-Nicole Leguay, dite baronne d'Oliva[2]. Il appartenait à une vieille famille de bourgeois parisiens, bourgeois notables, dont une des rues de Paris avait pris le nom dès 1538, pour le conserver jusqu'à nos jours. Son arrière-grand-père, Jean, avait été un des bons architectes du XVIIe siècle, architecte du roi, maitre des hautes œuvres de la ville de Paris et académicien un 1718. Il avait obtenu la survivance de ses charges pour son fils, Jean-Baptiste-Augustin, qui construisit les égouts de Ménilmontant à la Seine, organisa les Pètes données à Louis XV en 1744 et fut admis à l'Académie d'architecture. Jean-Baptiste-Augustin dut reporter sur son gendre, Laurent Destouches, la survivance de sa charge de contrôleur des bâtiments de la ville, car son fils, Jean-Baptiste, n'avait aucune disposition pour les arts. Ce dernier est le père de Jean-Baptiste-Toussaint gril épousa Nicole Leguay.

Jean-Baptiste-Toussaint naquit le 13 novembre 1761 sur la paroisse Saint-Cosme, de Jean-Baptiste de Beausire, lieutenant du roi au grenier à sel, et de Jeanne-Félicité Lamoureux de La Genetière. Dès 1762, il perdit malheureusement son père, qui demeurait alors rue des Francs-Bourgeois, el sa mère en 171. Orphelin de père et de mère à dix ans, son oncle et tuteur, M. Bordenave, professeur à l'Académie royale de chirurgie et membre de l'Académie des jours. Son arrière-grand-père, Jean, avait été un des bons architectes du XVIIe siècle, architecte du roi, maitre des hautes œuvres de la ville de Paris et académicien en 1718. Il avait obtenu la survivance de ses charges pour son fils, Jean-Baptiste-Augustin, qui construisit les égouts de Ménilmontant à la Seine, organisa les fêtes données à Louis XV en 1744 et fut admis à l'Académie d'architecture. Jean -Baptiste-Augustin dut reporter sur son gendre, Laurent Destouches, la survivance de sa charge de contrôleur des bâtiments de la ville, car son fils, Jean-Baptiste, n'avait aucune disposition pour les arts. Ce dernier est le père de Jean-Baptiste-Toussaint qui épousa Nicole Leguay.

Jean-Baptiste-Toussaint naquit le 6 novembre 1761 sur la paroisse Saint-Cosme, de Jean-Baptiste de Beausire, lieutenant de roi au grenier à sel, et de Jeanne-Félicité Lamoureux de La Genetière. Dès 1762, il perdit malheureusement son père, qui demeurait alors rue des Francs-Bourgeois, et sa mère en 1771. Orphelin de père et de mère à dix ans, son oncle et tuteur, M. Bordenave, professeur à l'Académie royale de chirurgie et membre de l'Académie des sciences, le mit au collège de Justice, d'où il passa au collège de la Marche le 11 juillet 1772. Beausire avait fort peu de goût pour l'étude, mettait les classes sens dessus dessous. Il se fit enfermer, le 3 mars 1775, à Saint-Lazare pour avoir volé soixante livres dans le tiroir de son précepteur. A Saint-Lazare, il fut confié à un nommé Lebrun, chargé de la direction des pensionnaires de la maison libre. C'était un séjour affreux. En janvier 1777, il est remis au collège de la Marche. Il y devait faire des études de physique et de droit, pour devenir procureur au Châtelet : mais, le 27 juin, l'abbé Desfeux, directeur du collège, vint déclarer que le dimanche précédent, entre dix et onze heures du matin, le jeune Beausire s'était échappé, en compagnie de son cousin de La Genetière, pour se réfugier dans l'enclos du Temple. Il avait emporté la majeure partie de ses effets, sans compter la montre de l'un de ses. camarades. Quand il eut dépensé sa dernière ressource, le jeune homme revint, enfant prodigue, auprès de son tuteur, qui le ramena au collège de la Marche, mais où l'on ne voulut plus le recevoir.

Bordenave, excédé des mauvais procédés du mineur, de sa mauvaise conduite et de l'inutilité de ses soins, demanda à être déchargé de ses fonctions. Il devint tuteur honoraire, la tutelle onéraire étant confiée à un nommé Michel-François Bluteau, bourgeois de Paris, qui avait la spécialité de prendre telles charges moyennant rétribution.

Nous sommes en 1780. Beausire est alors placé chez un nommé Genevois, chargé de lui faire faire des études pour embrasser l'état militaire. Une assemblée de famille fixe sa pension à 4800 livres. La fortune laissée par le père était considérable pour l'époque. Beausire avait, pour sa part, à cette date, près de 30.000 livres de revenu. Mais, dès le mois de mai 1781, les dettes qu'il avait contractées, s'élevaient à 95.000 francs. Il prenait le titre de comte ou de chevalier, se disait gentilhomme de M. le prince de Condé, et escroquait les marchands qui lui livraient des effets et des bijoux : nouvelle édition du baron de Fages. Mais comme Beausire était très drôle, très amusant, gentil garçon somme toute, une parente, Mme Destouches, le recueillit chez elle, et commença des démarches pour le faire entrer en qualité de volontaire dans la marine. Le futur marin ne tarda pas à en avoir assez de la bonne dame et retourna dans l'enclos du Temple.

Il loge en garni, aux Deux Écus. Pour se procurer des ressources, il a mis tous ses habits en gage et s'en est commandé de neufs qu'il n'a pas payés. Il fait des dettes d'honneur, ce qui lui vaut celui d'être arrêté par ordre des maréchaux de France et renfermé dans les prisons de l'Abbaye Saint-Germain. On verra le nombre invraisemblable de maisons de détention par lesquelles Beausire se promena durant son existence. Latude ne fut auprès de lui qu'un amateur. Après quatre mois il est mis en liberté, sa famille ayant versé 668 livres. Dix jours sont à peine écoulés qu'il remet sa montre au Mont-de-Piété, prend à son service un domestique, lui emprunte sa montre, sous prétexte que la sienne est engagée, et la porte encore au Mont-de-Piété.

Il achète chez le sieur Bourdillat, orfèvre sur le quai Pelletier, des boucles d'oreilles et des anneaux d'or.

Ah ! maitre Bourdillat, si vous saviez comme Manon est charmante !

Je n'en doute pas, monsieur le chevalier.

Comme le chevalier n'a pas d'argent, il fait un billet payable le 1er février. Le 24 janvier, il revient sous prétexte qu'une des boucles est cassée, et, comme Manon est non seulement charmante, mais impatiente en diable....

Elles sont toutes comme ça, monsieur le chevalier !

Beausire choisit une autre paire de boucles d'une valeur de cinquante-huit livres, qu'il ne paie pas plus que la première, puis il revient et reprend cette première qui a été réparée, mais sans plus la payer que la seconde, ce qui fit que, le billet n'ayant pas été soldé le 1er février, Me Bourdillat déposa une plainte en escroquerie.

En mars 1782, Beausire va demeurer à Senlis chez son beau-frère, Me Leclerc-Duport, qui a succédé à Me Bordenave comme tuteur honoraire. Au bout de trois mois de séjour, écrit Duport au Prévôt de Paris, après avoir emprunté du tiers et du quart et avoir pris chez les marchands des bijoux à crédit, le sieur Beausire s'est évadé de chez moi, le 15 juillet 1782, emportant avec lui tout ce qui pouvait lui procurer de l'argent dans la capitale.

De nouvelles dettes d'honneur ramènent Beausire devant les maréchaux de France qui le replacent à l'Abbaye. A cette époque, 4783, le chiffre de ses dettes, en ne parlant que de celles qui viennent à la connaissance de l'assemblée de famille, s'élèvent à 250.000 francs. Remis en liberté après avoir été détenu six mois à l'Abbaye, il imagine, pour se procurer de l'argent, de signer trois enrôlements différents entre les mains de trois officiers recruteurs. La recrue louchait d'avance sa prime d'engagement. Et voici le prince de Poix qui le réclame pour son régiment de dragons. L'affaire était sérieuse. Me de Senneville, avocat au Parlement, qui lui a été désigné comme conseil judiciaire, parvient à obtenir une résiliation, mais bientôt, dégoûté lui aussi, il se désiste à son tour de ses fonctions. Pour soustraire Beausire aux réclamations des deux autres enrôleurs, la famille le fait incarcérer, par lettre de cachet, dans la fameuse maison des époux Marie de Sainte-Colombe, à Picpus, près la barrière du Trône, une des plus curieuses institutions produites par le régime des lettres de cachet, où, un peu plus tard, Beausire sera rejoint par Saint-Just.

Afin de sauver ce qui subsistait de son patrimoine, dont la moitié avait été gaspillée en quelques années, ses parents le font interdire par sentence du Châtelet du 12 mai 1786, interdiction qui subsistera après la majorité que Jean-Baptiste-Toussaint doit atteindre le 6 novembre suivant. Me Joly, huissier-priseur, lui est donné comme curateur. Sa pension annuelle est fixée à 4.000 livres. Le conseil de famille est composé de Laurent Destouches, Pierre Payen et Louis-Pierre Moreau, directeur des bâtiments de la Ville de Paris. Beausire s'est opposé de toute son énergie à l'interdiction qui a été prononcée et il poursuit d'une aversion particulière l'architecte Moreau qui s'est montré, dans les assemblées de famille, le plus sévère à son égard.

Cependant Toussaint rencontrait notre petite amie Nicole Leguay. On sait si Colette avait la tête près du bonnet, et ce bonnet, si elle s'entendait à le faire voler par-dessus les moulins ! D'argent, les jeunes gens n'en ont pas plus l'un que l'autre, mais en additionnant leurs dettes on obtient un chiffre imposant. Éclate l'affaire du Collier. Du fond de la Bastille, Mme de La Motte fait tenir des avis à la jeune femme, qu'elle a nommée baronne d'Oliva. Bras dessus, bras dessous, les amoureux se sauvent à Bruxelles, où ils espèrent d'ailleurs vivre à meilleur marché qu'à Paris.

On a vu[3] comment Nicole et son ami furent arrêtés à Bruxelles le 17 octobre 1785 et mis à la Bastille le 2 novembre. Le 11 mars 1786, Beausire vit lever son écrou, mais il ne sortit de la Bastille que pour être remis chez les époux Marie de Sainte-Colombe. Son interdiction ayant été prononcée, il fut enfin rendu libre au mois d'août suivant.

Le voilà marié, père d'un gros bambin auquel la France entière s'est intéressée. Hélas ! le mariage fit passer l'amour. Est-ce coutume ? Le 19 janvier 1789, Louis Joron, conseiller du roi, commissaire au Châtelet de Paris, entendait une triste histoire. Marie-Nicole Leguay, épouse de Jean-Baptiste-Toussaint de Beausire, écuyer, lui racontait comment ayant connu ledit Beausire, celui-ci était devenu le maître absolu de ses actions et de ses volontés, ainsi que de sa fortune et de ses propriétés mobilières, en sorte qu'il en était résulté un enfant mâle qui était encore vivant. Nicole pleurait :

A peine ai-je été mariée que j'ai essuyé de la part de mon mari des traitements indignes. Non content de me communiquer une affreuse maladie, il me maltraitait et il m'a battue à plusieurs reprises. Il mène la vie la plus scandaleuse et débauchée, passant les nuits dans les tripots de jeu, couchant avec d'autres femmes. Et pendant ce temps je suis confinée à la maison où je manque de tout. Nous occupons le même appartement, mais logeons séparément, lui, sur le devant, dans une belle chambre, moi, dans un petit cabinet par derrière. Il mange rarement chez nous et lorsque cela arrive, il mange séparément. Loin de me donner le nécessaire, il a engagé mes hardes, effets, bijoux, au Mont-de-Piété. Et, à présent, il veut que je m'en aille, que je me retire dans un couvent, mais sans me donner aucun moyen d'existence. Alors, hors de moi, je me suis sauvée lundi dernier, emportant le peu d'effets à mon usage qui me restait et me suis retirée à l'hôtel Monpensier, au Palais-Royal, où j'ai déjà demeuré avec lui, avant notre mariage, alors qu'il m'aimait. Je viens me pourvoir contre mon mari afin que M. le lieutenant de police, après avoir désigné un couvent où je puisse me retirer, le force à me donner une pension qui me permette de vivre avec mon enfant[4].

Nicole Leguay entra donc au couvent. Elle s'y consumait. Il lui fallait l'air de la campagne. On la conduisit à Fontenay-sous-Bois ; mais sa vie était brisée. Elle mourut le 24 juin 1789 et fut inhumée au cimetière de Vincennes.

Elle était très belle, disait Mme de La Motte, et très bonne et très bête. C'est ce qui fit son destin.

 

Mais nous nous apitoyons, tandis que déjà tonne le canon révolutionnaire. Debout, citoyens : c'est la liberté !

Beausire fut parmi les vainqueurs de la Bastille. On sait comment ces honorables citoyens, qui avaient eu la modestie, après la victoire, de se sauver et de se cacher pour la plupart, se trouvèrent, quelques jours après, quand il fut admis que leurs faits et gestes étaient des actions d'éclat, avoir été excessivement nombreux. Cet héroïsme valut à Beausire d'être choisi pour commander le bataillon du district des Pères de Nazareth. Il donna à ses hommes un drapeau où était figurée une hydre à deux têtes, abattue par un athlète, avec cette devise, criée par un coq qui ouvrait un énorme bec : Il est enfin terrassé ! Il donna aussi des uniformes à trois citoyens peu fortunés. Le 5 octobre, il marcha sur Versailles. Le 21 juin 1791, jour du retour des tyrans, s'écrie-t-il, il fut constamment sous les armes. L'ardeur qu'il déploya en cette se journée mémorable fut telle qu'il en attrapa une fluxion de poitrine, laquelle, interrompant le cours de ses exploits, l'obligea de se retirer à la campagne. Il se fixa à Choisy-sur-Seine, où il se remaria, le 6 octobre 1791, avec Adélaïde Duport, fille d'un fabricant de chapeaux.

Devenu impuissant à déployer sa valeur militaire, Beausire n'en ressentait pas une ardeur moindre à servir la cause de la liberté. Lors des élections pour la Convention nationale, il rédigea une circulaire en faveur des bons candidats :

Citoyens !

La Patrie est en danger ! Son salut dépend de nous ! Réunissons-nous et que notre union soit un rempart impénétrable contre les factions et l'intrigue ! Le despotisme allait nous asservir de nouveau. Les bons citoyens se sont montrés. Toutes les manœuvres de nos tyrans vont être dévoilées. Nous étions à deux doigts de notre perte, les cabales de la Cour, le fanatisme avaient creusé l'abime. Sans l'énergie et le patriotisme de nos frères nous y étions précipités. Il faut opter entre la liberté et l'esclavage, et c'est du choix que vous ferez dans vos assemblées primaires que dépend le sort de l'Empire. Rallions-nous ! Que l'intérêt personnel se taise, que l'égoïsme, ce fléau de l'humanité, soit anéanti !...

Cette éloquence dure assez longtemps. Il y a tout un grand placard que Beausire fit afficher à ses frais, non seulement dans sa commune, mais dans les communes avoisinantes.

Serons-nous surpris que ses concitoyens, remplis d'admiration, l'aient nommé procureur de la commune de Choisy-sur-Seine ? Il y fit de grandes choses, veilla à l'approvisionnement en grains. Au nom de la liberté, il força les fermiers de la région à battre, puis à apporter leur blé au marché de Choisy, et fit entendre raison aux charbonniers qui attendaient, pour vendre leurs marchandises, un moment plus favorable. Il fonda des assemblées populaires, qui se réunirent au ci-devant hôtel des Menus-Plaisirs, et en inaugura les séances par un discours qui nous a été conservé :

Citoyens !

Voici désormais le lieu de vos séances. Il fut un des apanages des despotes ! Il est destiné à la réunion de plusieurs communes voisines et vous ne ferez qu'un tout. On viendra puiser dans nos séances les maximes de liberté, qui peuvent seules assurer notre bonheur et celui de nos enfants. On trouvera en nous des amis, des frères ; mais toujours surveillans et sans cesse occupés du bien public ! Si quelqu'un s'écartait des principes inestimables de notre sainte Révolution, vos conseils sages et fraternels le feraient rentrer dans la route. Continuez vos travaux, citoyens, faites propager les principes irrévocables et fondamentaux de notre République. Veillez sur les malveillants de toute espèce, fondiez l'esprit public. L'estime de tous les bons citoyens sera la douce récompense due à votre zèle et à votre dévouement pour la cause de la liberté !

Ces fortes paroles ne tombèrent pas dans les oreilles d'une assemblée de sourds. Le tridi de la 2e décade de brumaire de l'an II de la République française une et indivisible, jour de la Pie du topinambour (3 novembre 1793), des frères et amis, mais toujours surveillans et sans cesse occupés du bien public comme disait Beausire, — mus par la sollicitude du bien public qui leur faisait porter un œil attentif sur tout ce qui pouvait concourir à entretenir et exciter l'ardeur républicaine des jeunes Français, comme ils disaient eux-mêmes, dénoncèrent le sieur Beausire aux membres du Comité de Sûreté générale comme ci-devant noble et ci-devant attaché au ci-devant comte d'Artois.

L'affaire ne traîna pas. En marge de la dénonciation on lit ces mots : Arrestation à faire. Le 5 novembre 1793, le procureur de la commune de Choisy-sur-Seine était dans les prisons du Luxembourg. Dès le lendemain, la commune de Choisy, assemblée au son de la cloche, envoya au comité une délégation pour réclamer son procureur, homme honnête et ferme républicain. Mais qu'est-ce cela ?

La députation, composée de douze membres, arrive au Comité. Elle ne peut avoir audience dans la séance du matin. Neuf des membres, s'étant retirés sur la terrasse des Feuillants pour y dîner et attendre que la séance reprît, sont cernés par la force armée. On les conduit au corps de garde de la Convention. A onze heures, cinq d'entre eux sont mis en liberté ; mais les quatre autres gardés sous les verrous. Ils se nommaient Barier, Nourrit, Joanis et Chevillard. On les interroge.

Nous sommes venus à Paris demander la liberté du citoyen Beausire.

Devant les administrateurs au département de la police, le citoyen Deschamps, aide de camp de la force armée de Paris, et le citoyen Didier, juré au tribunal révolutionnaire, déclarèrent : Barier, notaire à Choisy, est membre du ci-devant club de la Sainte-Chapelle ; Nourrit, peintre à Choisy, a hautement approuvé le massacre du Champ de Mars et il existe contre lui une dénonciation à la Société populaire ; Joannis, commandant de la garde nationale, s'est appliqué à calomnier les plus grands patriotes, Marat et Robespierre ; Chevillard, limonadier, s'est retiré de la Société populaire parce que celle-ci avait donné son approbation à la condamnation du tyran, disant à plusieurs des membres qu'ils étaient des scélérats. Le cas du pauvre Beausire était pire que par devant.

Les quatre délégués furent gardés sous clé jusqu'en janvier 1794 et les habitants de Choisy-sur-Seine ne se soucièrent plus d'envoyer des délégations.

Pour sortir de prison, Beausire estima que le meilleur moyen était de dénoncer ceux de ses camarades de captivité qui avaient l'imprudence de laisser échapper des paroles compromettantes. Il le dit fièrement, écrivant le 30 juillet 1794 : Je ne regrette pas la liberté, puisque j'ai pu, même dans ma prison, être utile à la chose publique en dévoilant les complots qui s'y tramaient. Et comme le Comité de Sûreté générale aurait pu trouver qu'il était opportun de le laisser dans un poste où il rendait de si bons services, Beausire se hâte d'ajouter : Mais je crois que je serais plus à même d'être utile à mes concitoyens partout ailleurs qu'ici, et c'est ce qui me fait désirer avec plus d'ardeur d'être rendu à ma patrie.

Comme cet appel demeure sans écho, le prisonnier revient à la charge le 18 août : Dans le courant de ventôse, j'ai été assez heureux pour découvrir les complots que tramaient, dans ma prison, lès Grammont, les Dillon et autres. Je les ai dénoncés, les traîtres ont été punis et je suis resté dans les fers.

Beausire trouva même, en cette circonstance, le moyen de jouer un bon tour à ce Louis-Pierre Moreau, son parent, directeur des bâtiments de la Ville, que nous avons vu dans les conseils de .famille occupé à brider ses fredaines de jeunesse. Il le comprit dans ses dénonciations et le fit guillotiner. J'atteste l'Être suprême, écrivait Moreau au Tribunal révolutionnaire, le 9 juillet 1794, qu'il n'est venu à ma connaissance aucun projet de porter des mains sacrilèges sur les représentants du peuple. Les témoins ne peuvent administrer ni preuves, ni vraisemblances contre moi. Le citoyen Beausire, mon proche parent, ayant eu une jeunesse répréhensible, il m'a trouvé dans les assemblées de famille rangé aux avis qui l'ont réprimée. Il doit la conservation d'une partie de sa fortune à une interdiction qui a duré au delà de la majorité. Il a conçu de là contre moi une haine qui le rendrait récusable et dont l'effet serait aujourd'hui bien funeste si l'équité des citoyens jurés et du tribunal qui doit prononcer sur mon existence ne la rectifiait. Le poète Ducis, de la ci-devant Académie française, était intervenu en sa faveur. Le citoyen Moreau, dit-il, a toujours été soumis aux lois. Il a donné 30.000 livres pour la guerre contre les brigands de la Vendée. Il est marié, père de famille. Sa femme, ses filles sont en larmes. Peine inutile. Moreau fut condamné à mort et exécuté, le jour même (9 juillet) où il écrivait la défense que nous venons de lire. C'était un artiste de grande valeur, qui avait obtenu au début de sa carrière le brevet de l'École de Rome, avait été admis à l'Académie en 1762, était devenu directeur des bâtiments de la Ville en 1763 et architecte du Roi en 1783. Il est l'auteur, entre autres œuvres, de la façade du Palais-Royal sur la cour d'honneur et sur la rue Saint-Honoré.

Un rapprochement s'impose. Alors qu'il était détenu chez la dame Marie de Sainte-Colombe, à Picpus, Beausire y avait peut-être rencontré le grand Saint-Just. Arrivé au pouvoir, et à cette même époque, Saint-Just avait le plaisir de satisfaire ses rancunes de la même façon. L'une de ses victimes, Armand Brunet, dit d'Evry, écrit courageusement, le 9 août 1794, au président de la Convention nationale :

Citoyen Président,

Détenu depuis six mois, je vais te mettre sous les yeux le fait suivant :

Saint-Just, aussi mauvais fils que mauvais citoyen, avait enlevé à sa mère les effets les plus précieux. Il l'avait injuriée et maltraitée. Je fus chargé par cette mère infortunée de demander la réclusion de ce fils dénaturé, et il fut enfermé à Picpus, par ordre de de Crosne, alors lieutenant de police. La haine que m'a vouée Saint-Just me le fait regarder comme l'auteur de mon arrestation, ma conscience ne me reprochant absolument rien.

D'Evry ne se trompait pas[5]. Saint-Just, pour compléter son opération, avait en outre fait guillotiner ce brave Thiroux de Crosne, qui, lors de son passage à la Lieutenance de police, avait peut-être eu à se reprocher d'avoir été un peu sot, mais certainement d'avoir été trop bon.

Cependant Beausire, malgré son zèle, — et peut-être, après tout, parce qu'on appréciait les services qu'il rendait si bien dans les prisons où on le gardait, — loin d'obtenir sa liberté, fut transféré à Sainte-Pélagie le 12 août, au Plessis le 8 novembre, et à l'Hospice de l'archevêché le 6 décembre 1794, d'où il fut traduit, devant le Tribunal révolutionnaire le 3 avril 1793.

Le plaisant est que le vent de thermidor s'était levé sur ces entrefaites et que l'ami Beausire, arrêté en 1793 comme ci-devant noble et ci-devant attaché au ci-devant comte d'Artois, se trouvait — par suite de son zèle à dénoncer ses camarades de détention — décrété d'accusation, le 3 avril 1795, comme complice de Fouquier-Tinville, à qui l'on coupa la tête le

7 mai suivant. Il parvint heureusement à se tirer d'affaire, en alléguant qu'il avait exécuté des ordres supérieurs, et il fut acquitté la veille du jour où son terrible coaccusé monta sur l'échafaud.

Beausire mourut bien des années plus tard, le 3 février 1818, étant contrôleur des contributions du Pas-de-Calais. Il était devenu un serviteur dévoué de l'Empire et était demeuré en fonction sous la Restauration. De sa seconde femme, Adélaïde Duport, il laissait six enfants.

 

Dans son beau livre, le Marquis de La Rouerie, M. G. Lenôtre dit très bien : Les personnages secondaires, les Lalligand, les Chévetel, tiennent dans la trame de la Terreur une place plus importante qu'on ne pense. On pourrait comparer la Révolution à un tableau qui a besoin d'être rentoilé. Il a été si souvent peint et repeint. Pour en retrouver les dessous, c'est par l'envers qu'il faut le prendre, détacher la trame fil par fil, dégager la peinture originale. Quand on épiloguerait pendant mille ans sur les idées politiques de Robespierre, qui n'en avait pas, sur la légalité du jugement du roi, sur les causes officielles de la chute des Girondins, on n'en connaîtrait pas mieux la Révolution. Il faut plonger dans les bas-fonds. Ce qu'on y trouve mérite d'être mis en lumière.

On accordera peut-être une petite place à Beausire à côté des Lalligand et des Chévetel, dont M. G. Lenôtre a fait revivre la physionomie. Toussaint de Beausire paraît avoir été le type moyen du révolutionnaire. D'autres ont eu une destinée plus brillante : Mirabeau, parce qu'il parlait mieux ; Carnot, parce qu'il était plus intelligent[6] ; Saint-Just, parce qu'il était encore plus hypocrite ; Robespierre, parce qu'il était habile à prendre des poses qui, de loin, faisaient un certain effet ; mais en les examinant de près on retrouvera en chacun d'eux Toussaint de Beausire. La valeur de la monnaie est plus grande, certes : la frappe est identique.

Sur cette constatation, qui ne sera peut-être pas accueillie sans réserve, rejoignons Mme de La Motte laissée en Angleterre, où nous ne la quitterons plus.

 

 

 



[1] Ce chapitre a été écrit exclusivement d'après les documents conservés aux Archives nationales dans les cartons F1, 4657, 4659, 4781 ; W, 78, 93, 117 et 186 ; — Y, 5072, 5081, 5093, 5112, 5141, 5163, 11571, 11581 et 13981 ; et à la Bibliothèque de l'Arsenal. Archives de la Bastille, ms. 12457.

[2] L'Affaire du Collier, chap. XXXVII.

[3] L'Affaire du Collier, chap. XXVI.

[4] Procès-verbal, par le commissaire Joron, Arch. nat., Y, 13981.

[5] Le dossier a été publié en entier par M. Alfred Bégis, Paris (imprimé pour la Société des Amis des livres), 1892, in-8° de 50 p.

[6] Sur la jeunesse de Carnot, on lira la notice de M. Alfred Régis, Carnot membre du Comité de salut public, son emprisonnement à Béthune, en exécution d'une lettre de cachet, Paris (imprimé pour la Société des Amis des livres), 1900, in-8° de 89 p.