L'AFFAIRE DU COLLIER

 

XXXVII. — ORDRES D'EXIL.

 

 

La tristesse que Marie-Antoinette laissa paraître après l'arrêt du Parlement en marqua la portée. Elle s'en dit offensée et, par là même, en fit une offense. Avec une joie secrète, les courtisans, les innombrables rivaux des Polignac, apportaient à la souveraine leurs compliments de condoléances. Une reine qu'une décision judiciaire a pu atteindre n'est déjà plus la reine.

Louis XVI, après avoir commis deux fautes — livrer il la publicité l'intrigue du collier et renvoyer l'affaire au Parlement —, en commit, une troisième. La politique commandait de s'incliner avec bonne grâce en répétant : Nul n'est plus heureux que moi de l'innocence du cardinal ! mais, pour satisfaire la reine, nerveuse et irritée, il chargea le baron de Breteuil de porter rue Vieille-du-Temple une lettre de cachet qui exilait le prince Louis en son abbaye de la Chaise-Dieu, en Auvergne, avec ordre de se démettre de toutes ses fonctions et dignités à la cour. Rohan reçut son ennemi le 2 juin et répondit avec hauteur. Il obéira au roi qui l'envoie en exil, mais il n'a pas attendu un ordre pour se démettre des charges dont il a fait parvenir à Versailles la démission dès le matin[1]. Rohan se mit en route le lundi 5 juin dans une berline à six chevaux, accompagné de son frère, l'archevêque de Cambrai, et de son jeune secrétaire, Hamon de Carbonnières. Il était suivi d’une autre berline, aussi à six chevaux, et de cinq voitures portant ses bagages et un nombreux domestique. Et, le voyant partir pour cette abbaye, les Parisiens de faire le calembour qui s'imposait : Le Parlement l'a purgé, le roi l'envoie à la Chaise.

C'était une abbaye de bénédictins, où Rohan arriva le 10 juin. Les gazettes de Hollande en donnèrent aussitôt la description :

Située au bord de la rivière de Senoire, la Chaise-Dieu est très bien bâtie entre deux collines, couronnée par les plus hautes montagnes. En hiver, des monceaux de neige l'environnent. Elle sert de retraite aux voyageurs égarés, que la cloche appelle depuis quatre heures du matin jusqu'à huit heures du soir, et qui reçoivent des religieux les soins touchants de l'hospitalité. Quarante bénédictins, servis par une quarantaine de valets, attendent, dans la plus douce aisance, dans la sécurité la plus parfaite, dans le bonheur le plus inaltérable, que la mort vienne les surprendre[2].

Ces descriptions charmantes n'empêchaient pas la noblesse de crier une fois de plus à la tyrannie. Mme de Marsan se jeta aux pieds de la reine pour obtenir au cardinal, qui souffrait du genou, une autre résidence que ce lieu affreusement malsain.

Le cardinal doit se soumettre aux ordres du roi, dit la reine.

Ce refus me fait comprendre combien ma personne est désagréable à Votre Majesté. C'est la dernière fois que j'ai l'honneur de me présenter devant elle.

Madame, je le regretterai.

Mme de Marsan s'en fut trouver le roi, s'efforça de l'émouvoir en lui rappelant avec quel soin elle l'avait élevé. Louis XVI répondit qu'il lui en était très reconnaissant, mais que pour le moment il ne pouvait rien changer à la punition du cardinal.

Rohan, en homme d'esprit, prit rapidement son parti de la situation nouvelle. Les chanoines du chapitre noble de Brioude vinrent lui offrir leurs meubles les plus précieux. Ses moines, qui ne l'avaient pas connu et le détestaient en raison même de son absence, le voyant toujours aimable et de bonne humeur, le prirent en affection. Les jours passaient en une tranquillité heureuse, quand ses parents et amis arrivèrent à leurs fins et obtinrent un autre exil, en l'abbaye bénédictine de Noirmoutiers près de Tours. Louis de Rohan s'y rendit vers la fin de septembre.

Cagliostro reçut, le même jour que le cardinal, un ordre de relégation. Il était exilé du royaume avec sa femme. On lui laissait quelques jours pour mettre ordre à ses affaires. Il se retira à Passy, d’où il partit le 13 juin à destination de Boulogne-sur-Mer. Le 16, il s'embarquait pour l'Angleterre. Rétaux de Villette demeura à la conciergerie jusqu'au 21 juin. Il avait craint les galères et il était tout heureux du sort qui lui était fait. Aussi à la Conciergerie amusait-il les prisonniers de son violon dont il jouait à merveille. On lui remit les effets et l'argent qu'il avait déposés lors de son entrée à la Bastille. Le 21 juin, son frère, président de l'élection de Bar-sur-Aube, alla le chercher. Me Jaillant-Deschainaits, qui avait défendu Villette devant le Parlement, les reçut le soir à dîner et, peu de jours après, le galant secrétaire de Mme de la Motte prit le chemin de l'Italie. On se rappelle de quelle brutale façon l'inspecteur Quidor avait naguère entravé ce voyage d’agrément. Dans la suite, à Venise, se promenant rêveur parmi les belles filles aux draperies voyantes, le long des canaux noirs, Villette composa et publia, en 1790, une histoire du Collier[3] : une histoire à sa manière, en réalité un libelle abominable où il ramasse ou invente contre la reine et Mme de Polignac les plus sales et misérables calomnies.

***

Quant à Nicole d’Oliva, tel avait été son succès de grâce et de séduction, que les jeunes gens s'empressèrent de toute part. Elle donna d’abord la préférence à son avocat, Me Blondel, et, alla demeurer chez lui, rue Beaubourg. Mais sa santé était altérée. Elle avait été secouée de trop d’émotions, la pauvrette, depuis quelques mois ! L'air de la campagne lui fut recommandé. Elle fut reçue chez son tuteur au village de Passy. L'abbé Georgel ne peut contenir son indignation. A sa sortie de prison, écrit-il, il s'est trouvé, à la honte de nos mœurs, plusieurs rivaux pour l'épouser. Colette choisit celui qui était le père du petit Jean-Baptiste né dans la Bastille. Le 21 avril 1787, elle épousa, en l'église Saint-Roch, Jean-Baptiste-Eugène Toussaint de Beaussire, fils du lieutenant de roi au grenier à sel.

 

 

 



[1] La place de grand aumônier fut donnée à l'évêque de Metz, Laval de Montmorency.

[2] Gazette d'Utrecht, 1786, 23 juin.

[3] Mémoires historiques des intrigues de la Cour et de ce qui s'est passé entre la reine, Mme de la Motte et le comte d'Artois. Venise. 1790, in-8°.