L'AFFAIRE DU COLLIER

 

XXXVI. — LES MAGISTRATS.

 

 

Les conclusions de Joly de Fleury, procureur général, étaient équitables assurément et modérées. Mais on avait vu des princes du sang solliciter contre la reine. Calonne était à la tête du ministère qui avait, alors la plus grande action, le contrôle général des finances. Il ne pardonnait pas à Marie-Antoinette l'opposition qu'elle lui avait faite pour lui barrer le chemin du pouvoir, ni le jugement, sévère qu'elle portait sur lui : un habile intrigant. Il recourut dans ce procès à toute son activité, à ses relations, aux moyens redoutables dont il disposait. Il fut secondé par son ami, l'habile et intelligent Lenoir, bibliothécaire du roi, sorti de la lieutenance de police le 30 juillet 1785, et qui attribuait à la reine son départ. Il fut secondé pur la famille de Maurepas, qui n'oubliait pas que Marie-Antoinette, lors de la rentrée du ministre au pouvoir, au moment où Louis XVI était monté sur le trime, avait soutenu de toute son ardeur la candidature de Choiseul. Mercy-Argenteau, lié de longue date avec le Premier Président d’Aligre, lequel connaissait si bien sa compagnie, envoie à Kaunitz une très intéressante notice sur les motifs qui déterminèrent les magistrats favorables à Rohan : Sans le secours de l'intrigue et de beaucoup d’argent, le cardinal aurait été entaché. La légèreté et l'indiscrétion de ce pays-ci ont facilité les moyens de savoir les noms des juges opinants et les motifs qui ont déterminé leur avis.

Le président de Lamoignon, qui occupait au Parlement une situation considérable et entrainait toujours à son opinion les présidents Saron et de Saint-Fargeau et M. de Glatigny, était l'ami personnel de Lenoir qui l'avait rapproché du contrôleur général. Le président de Gilbert était dévoué à Calonne, qui lui avait acheté pour le roi, sa terre de Saint-Étienne ; le président Lepeletier de Rosambo, ruiné, faisait beaucoup de demandes d’argent au département de la Finance. Boula de Montgodefroy avait son neveu dans la dépendance du contrôleur général. Oursin était cousin de Lenoir et tout dévoué Calonne, non moins que Pasquier, qui demandait au contrôleur la remise des droits que son fils avait à payer pour sa charge. Delpech était l'ami de Calonne, et Barillon — qui avait coutume d’entrainer à son avis le conseiller Le Pileur — sollicitait du contrôleur la remise de sa capitation qu'il n'avait point payée depuis plusieurs années.

D'autre part, le conseiller d'Outremont était dévoué à la comtesse de Brionne, tante du cardinal, et M. de Guillaume recevait des bienfaits de la maison de Rohan. D'Outremont entrainait le conseiller Langlois. M. de Jonville était attaché aux Soubise. Les Maurepas avaient déterminé Amelot. Et Target, l'avocat du cardinal, qui occupait alors la première place au barreau parisien, avait pour amis personnels Bertignières, Saint-Vincent et Fréteau, lequel entrainait le conseiller Lambert. Quant à MM. Héron de la Michodière, Dubois et Duport, comme nous ne connaissons pas les motifs qui les déterminèrent, tâchons de penser qu'ils jugèrent selon leur conscience.

Constatations précieuses. On n'a cessé de faire grief à Marie-Antoinette du ministère Calonne. Ce financier frivole et prodigue aurait été l'homme de la reine folle de plaisirs, dépensière et légère.

Ce n'est pas Calonne que j'aime,

C'est l'or qu'il n'épargne pas...

fredonnait la rue.

Il est vrai que Marie-Antoinette s'est opposée à l'entrée de Calonne aux affaires et qu'elle n'a cessé de lui témoigner son mépris : qu'importe ! Du premier jour Calonne a poursuivi la reine d'une haine venimeuse, jusqu'au dernier moment il s'est acharné à sa perle : qu'importe !

Et tel était le pouvoir absolu de la monarchie de l'ancien régime ! Nous prenons cet exemple parce qu'il est là, devant nous. L'honneur de la reine est en jeu, la couronne peut être atteinte. Le roi confie le soin du jugement à un tribunal dont aucun juge n'est à sa nomination ; à des magistrats sur lesquels il ne peut rien et ne pourra jamais rien à aucun moment de leur carrière, d'aucune façon ; à des magistrats qui, par esprit et par tradition, lui sont hostiles. Ainsi que le montre Beugnot, le procureur du roi lui-même n'est pas, au Parlement, librement choisi par le roi. Mais, bien plus, voici même le contrôleur général, assisté du bibliothécaire du roi, président au conseil de ses finances, avec l'argent du roi, avec les places et les pensions du roi, sous l'œil du roi, — qui combat directement, dans une circonstance aussi grave, les intérêts du roi et son autorité. Nul ne s'en étonne. Est-il aujourd'hui gouvernement qui ait le cœur venir de voir fleurir sous ses yeux pareilles libertés ?

 

Cependant le peuple chantait :

Si cet arrêt du cardinal

Vous paraissait trop illégal,

Sachez que la finance,

Eh bien !

Dirige tout en France :

Vous m'entendez bien ?

Si ces Messieurs du Parlement

Ont déboursé beaucoup d’argent

Pour acheter leur charge :

Eh bien !

Il revient pour décharge.

Vous m'entendez bien ?

Et, de la rue voisine, proche le palais cardinal, arrivait comme un écho :

Mais le pape, moins honnête,

Pourrait dire à ce nigaud :

Prince, à qui n'a point de tête

Il ne faut point de chapeau !