L'AFFAIRE DU COLLIER

 

XV. — LA FAVEUR DE LA REINE.

 

 

La comtesse de la Motte avait de son côté dressé ses batteries. En avril 1784 elle commença de parler au cardinal, discrètement d’abord, de ses relations avec la reine[1]. Puis elle donna des détails que Rohan, tenu éloigné de la Cour, ne pouvait contrôler. Elle accumulait les anecdotes avec son imagination précise, vivante, et qui, dans le courant même de la conversation, la servait avec tant d’abondance et glu rapidité. Le cardinal, très confiant, ne doutait, pas, doutait d’autant moins que peu à peu elle lui donnait les nouvelles les plus agréables. Elle était reçue dans l'intimité de la reine, disait-elle, qui n'avait plus de secrets pour elle, qui lui confiait ses pensées, à elle, son amie, sa cousine, fille des Valois, pensées dont le fond lui était à présent connu peut-être mieux qu'au roi lui-même. Et elle pouvait affirmer que la reine revenait peu à peu de ses impressions premières, des mensonges perfides que lui avait insinués le comte de Mercy, des calomnies que lui apportait le courrier de Vienne. La conduite glu cardinal de Rohan, si généreuse vis-à-vis du prince de Guéméné, son neveu, et d’autres traits de sa bienfaisance montrent, disait la reine, que le grand aumônier a le cœur bon[2]. En mai, Jeanne déclara au prince Louis que, pénétrée de reconnaissance pour tant de bienfaits reçus de lui, elle était résolue de consacrer désormais à lui être utile toute l'influence dont elle disposait à la Cour et en mai, le visage radieux, elle lui annonça, que, sans doute, le but ne tarderait pas d’être atteint[3].

Elle alla plus loin et, renouvelant le procédé qui avait si bien réussi en 1777 à Mme Cahouet de Villiers avec le fermier général Béranger, elle persuada à Rohan que la reine, en passant, lui ferait un signe de tète où il verrait clairement une marque de son intérêt. Rohan fut aux aguets, et ce signe, cette nuance, comme il dira lui-même, il crut effectivement l'apercevoir à plusieurs reprises[4]. Ce point acquis, Mme de la Motte fit un pas de plus. Elle se hasarda à mettre sous les yeux du prince Louis des lettres sur papier blanc vergé, bordé d’un liséré bleu clair, avant aux coins les lis de France, que la reine écrivait à sa cousine, la comtesse de Valois, et où, de temps à autre, passait le nom du grand aumônier.

Le Pire Loth déposera phis tard devant les commissaires du Parlement : Je me rappelle qu'une fois, me présentant chez Mme de la Motte pour lui parler, je ne pus entrer parce qu'elle était, me dit-on, occupée avec le sieur Villette. On ouvrit la porte peu après et je vis auprès du lit de Mme de la Motte une petite table de nuit, sur laquelle étaient posés un écritoire et du petit papier vergé bordé de vignettes bleues[5]. Le fidèle Deschamps allait acheter le papier à vignettes chez un parfumeur rue Saint-Anastase, et parfois chez un papetier rue des Francs-Bourgeois.

Mme de la Motte dit bientôt, au cardinal : Mes instances ont eu leur effet. Je suis autorisée par la reine à vous demander votre justification par écrit. Jeanne avait un sourire enchanteur, une voix qui persuadait ; Rohan écoutait, enchanté, persuadé. Rohan écrivit sa justification. Il y mit un soin infini. Le brouillon en fut fait et déchiré vingt fois. Enfin il en donna le teste. Mme de la Motte apporta quelques jours après une réponse sur papier de petit format, doré sur tranches. La reine y disait : Je suis charmée de ne plus vous trouver coupable. Je ne puis encore vous accorder l'audience que vous désirez. Quand les circonstances le permettront, je vous en ferai prévenir. Soyez discret. Et la comtesse de la Motte engagea le cardinal à répondre pour dire sa joie, sa gratitude.

Villette avouera devant, le Parlement qu'il a commencé à écrire au cardinal des lettres soi-disant de la reine, en mai 1784. Il écrivait sous la dictée de Mme de la Motte. C'étaient, dira-t-il, des lettres agréables. Il avait d’abord dit d’inclination, mais il s'est repris.

Je ne comprenais pas, déclarera Villette, ce que Mme de la Motte me faisait écrire ; mais je m'apercevais que, par ses écrits, elle voulait tromper le cardinal et, par les réponses du cardinal, je voyais qu'il avait l'ambition de se servir du crédit de Mme de la Motte auprès de la reine, pour devenir premier ministre[6].

Ces lettres furent assez nombreuses, mais toutes, celles qui étaient censées émaner de la reine aussi bien que les réponses du prince Louis, étaient brillées au fur et il mesure. par Jeanne de Valois[7].

Ce fut ainsi, observe l'abbé Georgel[8], que les lettres et les réponses se succédèrent. Cette correspondance dont malheureusement, on n'a pins trouvé de vestige, était graduée et nuancée dans les prétendues lettres de la reine, de manière à faire croire au cardinal qu'il était parvenu à inspirer a celle princesse la plus intime confiance et le plus grand intérêt.

Georget parle à cette date des conciliabules entre Rohan, le baron de Planta, son homme de confiance, Cagliostro et le secrétaire particulier du cardinal, Haillon de Carbonnières.

Le baron Frédéric de Planta appartenait à une bonne famille des Grisons. Il était protestant et avait servi avec distinction comme capitaine dans les armées du roi de France et dans celles du roi de Prusse. Le prince Louis l'avait rencontré à Vienne, où Planta lui avait rendu de grands services comme observateur des choses de la Cour et de la politique. Carbonnières était un jeune homme très distingué, mais d’une imagination exaltée et qui joua plus tard, comme député de Paris, un rôle à la tribune et dans les comités de l'Assemblée législative. Ace petit conseil fut adjointe Mme de la Motte. On lisait en grand secret, à la lueur des chandelles, les billets à liséré bleu. Mme de la Motte, remarque Georgel, les jouait tous. Cagliostro invoquait l'ange de lumière et l'esprit des ténèbres. Il prophétisa que cette heureuse correspondance allait placer le prince an plus haut point de la faveur, que sou influence dans l'État allait devenir prépondérante et qu'il en userait pour la propagation des bons principes, la gloire de l'Etre suprême et le bonheur des Français. Tant et si bien que Rohan ne douta plus du désir que la reine avait de le recevoir pour lui dire seule à seul ses sentiments d’affection et d’estime, mais qu'à cause de Breteuil et de sa faction encore si puissante sur l'esprit du roi, ce revirement devait Mye tenu caché quelque temps encore. La première entrevue aurait. lieu secrètement, le soir, au fond d’une allée solitaire du parc de Versailles, à quelque distance du château.

Ce fut pour Rohan une aurore radieuse de lumière et de joie. Dans l'éloignement, la reine était devenue pour lui une créature surnaturelle, rayonnant dans la gloire royale de l'éclat de sa grâce et de sa bonté. Et c'était la bonté qui la rapprochait de lui. Elle savait à présent la cause de ses dettes, de ces dettes tant reprochées, et se reprochait sans doute à elle-même sa dureté, ce dédain froid et hautain dont elle l'avait si longtemps meurtri. Elle allait lui dire elle-même sa rentrée en faveur et qu'elle savait à présent qui il était. Elle viendrait lui dire ce retour en grâces, seule, dans le silence de la nuit, en attendant le jour où elle le proclamerait devant la France entière.

Rohan était accoudé à l'appui de la fenêtre ouverte sur les jardins de l'hôtel Soubise. Le soir s'obscurcissait. Ses idées devenaient incertaines. Il ne démêlait plus lui-même ses sentiments. Ce n'était plus en lui qu'une émotion de reconnaissance, de reconnaissance pour la souveraine gracieuse et clémente, et pour la jeune femme aussi, Jeanne de Valois, qu'il avait assistée dans sa misère de quelques deniers, comme une pauvresse, et qui, a présent, de ses faibles mains, par un effet de la Providence trop attentive au peu qu'il avait fait, le portait, lui, prince de l'Église, jusqu'auprès du trône royal.

J'ai toujours remarqué — dira l'an d’après un pamphlétaire, au cours d’un libelle vendu sous le manteau, — dans le génie de M. le Cardinal, une sorte d’élévation, de droiture et de pénétration, qui nie l'ont fait regarder comme un homme rare, dont les qualités ne paraissent pas avec tout leur avantage, parce qu'il ne s'assujettit pas assez pour les montrer dans un certain jour et pour s'attirer l'estime qu'elles méritent. C'est une pierre précieuse qui, polie selon dès lois moins ordinaires, rend un genre d’éclat d’après lequel on n'est pas encore assez habitué d’en juger le prix[9].

 

 

 



[1] Notes de Rohan pour Target, Bibl. v. de Paris, ms. de la réserve.

[2] Notes de Rohan pour Me Target. Bibl. v. de Paris.

[3] Notes de Rohan pour Me Target. Bibl. v. de Paris.

[4] Déclaration rédigée par le cardinal du Rohan à la Bastille pour Vergennes et le Maréchal de Castrie le 20 août 1785.

[5] Confrontation de Rohan au P. Loth, 16 mars 1786, Arch. nat., X1, B,1117.

[6] Notes rédigées pour la défense du cardinal de Rohan. Doss. Target, Bibl. v. Paris, ms. de la réserve.

[7] Déclaration de Rétaux de Villette.

[8] Mémoires, II, 42.

[9] Lettre à l'occasion de la détention de S. E. M. le cardinal de Rohan à la Bastille (s. l., 1785). p. 17.