L’ÉLOQUENCE DES DÉLATEURS

 

Thierry FROMENT

 

 

Avant le Ier siècle de l’ère chrétienne le mot délateur (delator) n’existait pas dans la langue latine. C’est un mot qui date de Tibère et qui a reçu droit de cité sous ses successeurs. On le rencontre pour la première fois dans Quintilien et dans Martial. A ce mot nouveau correspond un nouveau genre d’éloquence, éloquence de lucre et de sang, dont la vénalité n’exclut pas l’art et dont le succès appelle l’examen de la critique.

Tout a été dit sur la bassesse et la cruauté des délateurs, sur leur rôle dans le gouvernement et leur influence dans la société[1]. Mais on connaît moins les procédés de leur éloquence. Comment expliquer pourtant le crédit dont jouirent pendant près d’un siècle tant de vils personnages, aventuriers d’humble extraction ou d’illustre origine, affranchis, artisans, grands seigneurs, avocats improvisés, dont pas un seul, suivant le mot de Cicéron, n’avait un poil d’honnête homme[2], si l’on n’étudie de près le secret de leur force et l’instrument de leur puissance ?

Ce n’étaient pas d’obscurs espions et de vulgaires dénonciateurs que ces redoutables intrigants qui s’élevaient par la délation à la fortune et au consulat, et dont la renommée s’étendait d’un bout à l’autre de l’empire : J’ose prétendre, dit Tacite, que Marcellus Eprius et Vibius Crispus (deux délateurs)[3] ne sont pas moins connus aux extrémités du monde que dans leurs villes natales, Capoue et Verceil. Eh bien ! ils ne doivent cette réputation ni l’un ni l’autre à leurs trois cents millions de sesterces (bien qu’après tout ce soit le prix de leur éloquence), mais à cette éloquence elle-même... Plus l’origine de ces deux orateurs est basse et abjecte, plus furent profondes l’indigence et la pauvreté qui entourèrent leur berceau, et plus aussi leur destinée met en lumière le pouvoir de la parole... En effet, sans naissance et sans richesses pour soutenir leur ambition, tous deux avec des mœurs qui leur font peu d’honneur, l’un d’eux avec un extérieur qui l’expose au mépris, ils sont depuis un grand nombre d’années les hommes les plus puissants de l’État : et après avoir été aussi longtemps qu’ils ont voulu les premiers du barreau, ils sont aujourd’hui les premiers dans la faveur de César[4]. Ainsi parle Tacite dans le Dialogue des Orateurs, par la bouche de Marcus Aper ; et Quintilien, l’honnête Quintilien, cherchant des exemples de bien dire pour l’avocat qu’il veut former, cite, à côté de Cicéron, de Calvus et de Messala, les plus fameux délateurs des règnes de Tibère et de Néron : Domitius Afer, Vibius Crispus, Julius Africanus[5].

C’est qu’en effet les délateurs étaient les seuls orateurs de cette époque. Ceux-là du moins ne parlaient pas pour le vain plaisir de faire des phrases ; ils ne jouaient pas dans le vide avec des mots ; ils ne débitaient pas des tirades en l’air : ils ne cultivaient pas l’art pour l’art, en rhéteurs frivoles, à la piste d’une expression rare, d’une figure brillante, d’un cliquetis de syllabes sonores et de stériles applaudissements. Ils avaient un but défini qu’ils visaient directement, un but supérieur à leur art et qui donnait à leurs paroles une singulière portée. Incorrects ou polis, subtils ou grossiers, leurs discours disaient toujours quelque chose. Leur éloquence pouvait être sèche ou verbeuse, triviale ou déclamatoire, elle ne semblait jamais ni creuse, ni banale : la mort, qui eu était la conclusion, lui prêtait toujours assez de sens et d’accent.

Cette éloquence demandait-elle beaucoup d’étude et de talent ? Avait-elle une méthode spéciale ? un style propre ? un caractère distinct ? S’inspirait-elle des traditions du forum romain, des habitudes du barreau d’Auguste ou des doctrines de l’école ?

A en croire les délateurs, ils se rattachaient aux orateurs de la République. Ils continuaient la tradition inaugurée par Caton le Censeur, le plus grand accusateur de la vieille Rome. Ils exerçaient ce droit antique de la libre accusation, toujours exercé jusque-là par les plus nobles citoyens et les plus intègres magistrats. Ils étaient les gardiens de la loi, custodes legum : beau titre que leur donnait Tibère, empruntant au passé son langage pour déguiser des forfaits nouveaux et consacrant la parodie d’un droit qui n’était plus qu’un trafic[6].

Ce titre les délateurs le revendiquent à toute occasion c’est là leur premier artifice.

Silanus, proconsul d’Asie, est dénoncé par sa province comme concussionnaire[7]. Trois délateurs s’emparent aussitôt de cette victime et l’accusent d’avoir offensé la divinité d’Auguste et la, majesté de Tibère. L’un est un rhéteur ambitieux, fier de quelques succès d’école et qui se pousse aux honneurs par la voie qu’il croit la plus courte, Brutidius Niger[8]. L’autre, un ancien maître d’école, devenu sénateur par le crédit de Séjan, Junius Otho. Le troisième est un des plus grands noms de l’empire, un consulaire, le dernier descendant de la gens Æmilia, Mamercus Scaurus. Il est l’arrière-petit-fils de ce Scaurus qui fut censeur et prince du sénat au temps de Marius et de Sylla, homme sape, dont Cicéron a pu dire qu’il était doué d’une autorité naturelle et qu’en défendant un accusé il ressemblait moins à un avocat qui plaide qu’à un témoin qui dépose[9]. Le petit-fils est plus éloquent que son aïeul : il a le don de la réplique ardente et de la raillerie vengeresse. C’est le plus fécond et le plus populaire des orateurs du temps de Sénèque[10]. De quel front ce consulaire ose-t-il s’associer à un pédant et à un rhéteur pour immoler une victime condamnée d’avance ? Il s’abrite sous l’autorité de ses ancêtres ; il se compare aux grands citoyens qui poursuivaient jadis les ennemis du peuple et de l’État. Scipion Émilien avait été deux fois consul, il avait anéanti les deux terreurs de Rome, Numance et Carthage, lorsqu’il accusa L. Cotta[11]. C’est Scipion Émilien, le second Africain et l’accusateur de Cotta ; c’est Caton, l’implacable adversaire de Thermus, qu’invoque Scaurus au début de son discours[12]. Il rappelle qu’Æmilius Scaurus, son bisaïeul, a traduit en justice P. Rutilius, un stoïcien, un citoyen éminent par ses services et ses dignités, le jour où il le crut dangereux pour la République[13]. Il ne craint pas de marcher sur ses traces et d’être comme lui le gardien de la loi.

Qu’un Caton, un Varron, un Dolabella, les héritiers des plus nobles familles, se fassent les instruments de la politique ombrageuse et des vengeances de Tibère ; qu’ils chassent et déchirent, comme des limiers, la proie que leur désigne le prince, ils s’autorisent de leurs aïeux pour justifier leur infamie et répètent hautement les paroles de Cicéron : Il est utile que dans un État il y ait beaucoup d’accusateurs, afin que l’audace soit contenue par la crainte.... Il peut arriver, il est vrai, que l’innocence soit quelquefois réduite à se justifier ; mais c’est un moindre mal que si le crime n’était jamais poursuivi[14].

Séjan et Tibère veulent perdre un général, un triomphateur, C. Silius, qui pendant sept ans a commandé les légions de Germanie, vaincu le rebelle Sacrovir, et que ses succès, non moins que l’amitié de Germanicus, leur ont rendu suspect. C’est le consul lui-même, Visellius Varron, fils d’un lieutenant de Germanicus ; d’un frère d’armes de Silius, qui se charge de perdre la victime du prince et le frère d’armes de son père. Réveillant je ne sais quels souvenirs, griefs réels ou supposés, il se porte comme le vengeur des insultes faites à son père par C. Silius (paternas inimicitias obtendens). La vendetta n’est pas née en Corse et ne date pas des temps modernes. Elle remonte aux plus anciens temps de l’histoire de Rome, où les vengeances se transmettaient comme un héritage. On connaît le mot de Caton rencontrant un jeune homme qui venait d’obtenir des juges l’exil d’un ennemi de son père : Bravo, jeune homme ! les libations que nous demandent les mânes de nos parents, ce sont les larmes de leurs ennemis condamnés[15]. Ce sont ces libations que le consul Varron prétend faire aux mânes de son père. Romain de vieille race, fidèle aux vieilles mœurs, gardant l’âme de ces époques qu’étudia si pieusement un autre Varron, il remplit un devoir de reconnaissance filiale en accusant l’ennemi de son père. Le devoir, le respect du passé deviennent le voile dont il couvre sa servilité et ses complaisances. Et comme l’accusé proteste contre cette perfidie et demande au moins que le consul soit sorti de charge pour se porter accusateur, le prince répond que de tout temps les magistrats ont cité des particuliers en justice : qu’il ne faut pas attenter aux droits du consul, sur la vigilance duquel repose le salut de la République[16].

Voilà le caractère de ce nouveau langage : un perpétuel abus de mots, un démenti constant à la vérité, un travestissement effronté des faits, des idées et des expressions : la tyrannie et l’arbitraire sous le manteau de la justice ; les rancunes et les convoitises privées sous le nom des devoirs de famille ou de l’intérêt de l’État ; le passé sans cesse invoqué par ceux mêmes qui l’effacent des esprits, des institutions et des lois ; la délation confondue avec l’accusation ; et ceux que Cicéron flétrissait du nom de quadruplateurs[17] érigés en sauveurs du prince et de la République.

Rien pourtant ne ressemble moins aux accusations d’un Porcius Caton, d’un Scipion Émilien, d’un Æmilius Scaurus dans la Rome républicaine que les accusations d’un Junius Otho, d’un Mamercus Scaurus et d’un Visellius Varron dans la Rome des Césars.

Avant Auguste, quand la parole était libre et le peuple souverain, l’accusation était publique, soit qu’elle eût lieu devant les comices, soit devant les commissions permanentes (quæstiones perpetuœ) ; c’était sur le forum que Scribonius Libo, assisté de Caton le Censeur, traduisait en justice Sulpicius Galba. C’était sur le forum que les deux adversaires soutenus par leurs amis échangeaient de mordantes répliques ou déployaient toutes les ressources de l’action et de la passion. Mais le jour où César, le vainqueur de Pharsale, transporta le tribunal du forum dans sa maison ; le jour où le dictateur, appelant la cause du roi Déjotarus, tint l’audience dans son appartement (intra domesticos parietes), il priva les accusés de la plus précieuse des garanties, la publicité ; il livra les prévenus aux caprices du juge et à la mauvaise foi des accusateurs. Déjà Cicéron, avocat de Déjotarus, signalait à César le tort qu’il portait à la défense ; il regrettait l’affluence accoutumée de ses concitoyens, le palais du sénat, le forum, le ciel, ce témoin qu’il ne pouvait plus invoquer : mais il ne prévoyait pas encore toutes les conséquences d’une pareille innovation.

Les jugements soustraits au peuple, c’était le pouvoir judiciaire remis tout entier aux mains du prince ; c’était le jury de la République remplacé par les magistrats d’Octave ou de Tibère ; c’était le sénat transformé en cour de justice et chargé de connaître exclusivement des crimes de lèse-majesté ; c’était la corruption plus profonde des tribunaux, la déviation imminente du droit d’accuser et de poursuivre.

Jadis le prévenu pouvait récuser un certain nombre de ses juges. Comme Sulpicius Galba ne composait le tribunal que de ses compagnons de table : Quand sortiras-tu enfin de ta salle à manger ? lui dit Libon. — Quand tu sortiras de la chambre à coucher des autres, répondit Galba[18]. Dorénavant plus de discussion à cet égard. Les accusés n’ont qu’un juge, l’empereur, dont le sénat, serviteur docile, interprète tous les désirs et enregistre la volonté. Tibère ne suit pas seulement en personne les affaires portées devant le sénat : il assiste encore aux audiences du préteur, assis dans un coin du tribunal ; il siège à côté des magistrats et leur rappelle au besoin les lois, leur serment et le délit qui leur est soumis[19]. Claude, le débrouilleur de procès (a cognitionibus), juge partout, chez lui, dans les basiliques, sur le forum devant le temple d’Hercule, le jour et-la nuit, même en juillet, en août et toujours, au gré de ses impressions et de son humeur. C’est Dandin ou Philocléon investi du pouvoir suprême, maître absolu de l’instruction et de la peine[20]. Quand Valerius Asiaticus, ancien préfet de Rome, deux fois consul, est accusé par le délateur Suilius, à l’instigation de Messaline, de corrompre les soldats à force de largesses, il n’obtient même pas la faveur de se justifier devant le sénat (neque data senatus copia). C’est dans la chambre de Claude (intra cubiculum), en présence des deux consuls, Claude lui-même et Vitellius, sous les regards de Messaline, son ennemie, qu’il est obligé de se défendre et de repousser à l’improviste des crimes imaginaires. Il ne tonnait aucun des témoins qui le chargent. Un soldat, qui prétendait avoir été son complice et à qui l’on demandait où était Asiaticus, montra un homme chauve qui par hasard se tenait à peu de distance de l’accusé. C’était le seul signalement qu’il eût de sa personne[21].

Jadis le jugement était précédé d’une série d’actes préparatoires dont les lenteurs calculées modéraient l’empressement des accusateurs et mettaient les prévenus à l’abri des pièges et des surprises[22]. Celui qui voulait intenter une accusation devait s’adresser d’abord au préteur et lui demander l’autorisation d’accuser la personne qu’il désignait : c’était la postulatio. Il devait ensuite affirmer par serment qu’il était de bonne foi dans sa poursuite et n’avait en vue que l’intérêt de la justice et le bien général, calumniam jurabat[23]. Cette formalité accomplie, la postulatio était affichée au forum et le public était informé de la requête.

Si plusieurs accusateurs se présentaient pour la même cause, ils prêtaient tous le serment de bonne foi ; le tribunal choisissait ensuite entre les divers concurrents, d’après leur âge, leurs mœurs ou leur talent, celui qui devait soutenir l’accusation et mener l’affaire à titre de partie principale. Ce procès préliminaire s’appelait Divinatio[24]. L’accusateur, une fuis désigné, déférait officiellement au préteur le nom de l’inculpé, son crime, la peine encourue. Cette déclaration était la nominis ou la criminis delatio[25]. Quelquefois dans l’intervalle des deux actes, entre la postulatio et la nominis delatio, l’inculpé quittait Rome et se dérobait aux poursuites. Ce départ arrêtait toute procédure.

Si l’inculpé se présentait au contraire en même temps que son accusateur, celui-ci procédait à l’interrogatio[26]. Les questions et les réponses étaient mentionnées au procès-verbal (inscriptio) ; et le préteur déclarait ensuite l’inculpé en état d’accusation (in reatu). Cette déclaration solennelle s’appelait nominis receptio. Dès lors les parties et les témoins pouvaient comparaître devant les jurés ; l’accusateur avait le droit de requérir toutes les pièces comme d’assigner tous les témoins ; et l’affaire devait s’engager et se débattre sur les questions posées au procès-verbal[27].

Encore qu’on ne doive trop s’arrêter aux formalités, disait Loisel au XVIe siècle, toutefois il ne les faut mépriser,... car ce, sont comme les cerceaux du muid qui retiennent le vin. Sous Tibère ces formalités protectrices furent négligées ou complètement abolies. La postulatio et la divinatio qui permettaient d’apprécier l’honnêteté et la capacité du poursuivant disparurent tout à fait. On ne fit plus de difficultés pour recevoir comme accusateurs des gens que la loi n’admettait jadis ni à l’accusation, ni au témoignage, des gens notés d’infamie ou déjà convaincus de calomnie et de prévarication. De tous les actes préparatoires institués par la loi et consacrés par l’usage ; nominis ou criminis delatio, interrogatio, inscriptio, nominis receptio, le seul qui survécut et dans lequel se confondirent tous les autres fut la criminis delatio, la désignation du crime, la dénonciation de l’inculpé. Plus de délais et de lenteurs gênantes ! La criminis delatio résume seule la procédure qui précédait le jugement[28]. En dehors de tout examen, de toute instruction, de toute enquête, dès qu’il s’agit du crime de lèse-majesté, toute déposition, toute delatio fut accueillie. De là le nom de Delatores donné sous l’empire aux accusateurs.

A cette procédure sommaire répondit un genre de discours non moins abrégés et tout aussi peu formalistes. L’éloquence fut simplifiée comme la procédure. Elle se débarrassa des règles de goût et de morale, des scrupules et des bienséances qui pouvaient entraver sa marche et ralentir son essor. Les formes oratoires eurent le même sort que les formes juridiques : elles furent sacrifiées du même coup. Plus de ces exordes et de ces confirmations développées ; plus de ces précautions et de ces détours où se complaisait Cicéron ; plus de ces digressions savantes destinées à reposer l’esprit de l’auditeur ; plus de ces ornements sans lesquels l’accusateur de Verrès ne concevait pas l’éloquence. L’avocat et le juge courent d’un pas également rapide vers le même but : la perte de l’accusé.

Tandis qu’en avocat consciencieux, Pline le jeune développe d’un style grave et cicéronien toutes les parties de sa cause ; tandis qu’il jette à pleines mains les faits, les arguments, les comparaisons ; qu’il enfonce et retourne longuement l’aiguillon dans l’âme de ceux qui l’écoutent, le délateur Regulus saisit d’abord son adversaire à la gorge. Je saute sur lui, dit-il, et je l’étrangle[29]. Il se moque des lenteurs et des circonlocutions de Pline le Jeune, cet homme qui se pique d’imiter Cicéron et ne goûte pas le style de son tempscui est cura Cicerone œmulatio et contentus non est cloquentia sœculi nostri[30]. Terrible style que celui de Regulus et de ses pareils ! dur et tranchant comme une lame d’épée. L’accusateur ne s’arrête pas à discuter pour mieux convaincre ; il ne contrôle pas les faits, ne pèse pas les témoignages, n’examine pas la valeur des pièces ; il ne cherche pas à prévoir une objection pour la réfuter d’avance. Il n’argumente pas, il affirme. L’affirmation du crime tient lieu de preuve : l’audace dispense de dialectique. La déposition d’un esclave, le rapport du premier venu vaut toutes les raisons du monde et prévient toutes les objections.

Quelle objection d’ailleurs pourrait-on craindre ? La plupart du temps l’accusé n’a pas de défenseur. Voici, dès la seconde année du règne de Tibère, un jeune homme de grande famille, Libo Drusus, de la gens Scribonia, soupçonné de complot contre le prince. Quatre délateurs se disputent le privilège d’accabler le malheureux devant le sénat : Catus, Fulcinius Trio, Fonteius Agrippa, C. Vibius Serenus (certabant cui jus perorandi in reum daretur). D’après l’ancienne législation le sénat eût dû trancher le débat et désigner l’accusateur principal, auquel les concurrents évincés se seraient adjoints comme subscriptores[31]. Mais la divinatio entraînait trop de retards. C. Vibius Serenus, voyant qu’aucun des poursuivants ne voulait renoncer au privilège de la parole et que Libon était sans défenseur (Libo sine patrono introissel), déclare qu’il ne fera pas de discours et se bornera à exposer l’un après l’autre les chefs d’accusation. Ainsi, sans appuyer ses griefs de démonstrations sérieuses ou spécieuses, sans prouver l’autorité, l’authenticité des documents qu’il apporte ; sans chercher même à colorer ses dénonciations d’une apparence de réalité, il énumère seulement les charges qui pèsent sur le prévenu. La plaidoirie est tronquée comme l’instruction qui la précède. Vibius Serenus, dit Tacite, produisit des pièces vraiment extravagantes, d’après lesquelles Libon se serait enquis des, devins s’il aurait un jour assez d’argent pour en couvrir la voie Appienne jusqu’à Brindes. Les autres griefs étaient aussi absurdes, aussi frivoles. Cependant une des pièces contenait le nom des Césars et des sénateurs avec des notes, les unes hostiles, les autres mystérieuses, écrites, selon l’accusateur, de la main de Libon. Celui-ci les désavouant, on proposa d’appliquer à la question ceux de ses esclaves qui connaissaient son écriture : et comme un ancien sénatus-consulte défendait qu’un esclave fût interrogé à la charge de son maître, le rusé Tibère, inventeur d’une nouvelle jurisprudence, les fit vendre à un agent du fisc, afin qu’on pût, sans enfreindre la loi, les forcer à déposer contre Libon[32]. Sous la République, quand les preuves et les témoignages semblaient contestables, ou paraissaient au contraire trop graves, les juges déclaraient n’être pas assez éclairés (non liquet), et renvoyaient l’affaire à un nouvel examen. Cet appointement ou seconde instance se nommait ampliatio. On vit jusqu’à huit instances successives, huit renvois prononcés pour un même procès, quand Scipion Émilien accusa L. Cotta[33]. Sous Tibère, Libo Drusus, harcelé par quatre adversaires qu’escorte une foule d’espions devenus des témoins, obtient seulement un jour de délai. Il en profite pour se donner la mort. L’accusation n’en fut pas poursuivie avec moins de chaleur dans le sénat et les biens de Libon furent partagés entre ses accusateurs.

Cinq ans plus tard (22 ap. J.-C.), le proconsul d’Asie Silanus, en proie à trois délateurs, auxquels se joignent son questeur et son lieutenant et qui tous font partie du sénat, n’a pas non plus d’avocat pour se défendre. Il ne paraissait pas douteux que ce proconsul ne fût coupable d’exactions et de violences : mais l’orage amassé sur sa tête eût fait trembler l’innocence elle-même. A tant de sénateurs ligués contre lui, aux plus habiles orateurs de l’Asie choisis pour l’accuser, il fallait qu’il répondit seul, sans connaître l’art de la parole (solus et orandi nescius) et cela dans un danger personnel, circonstance qui intimide l’éloquence la mieux exercée. Tibère l’accablait encore de sa voix et de ses regards, le pressant de questions multipliées, sans qu’il lui fût permis de rien éluder, de rien combattre...[34] Si le proconsul n’eût été coupable que de concussions, il eût trouvé sans doute un avocat : mais le crime de lèse-majesté, qui s’ajoutait aux autres griefs, arrêtait le zèle de ses amis et faisait du silence une nécessité (vinclum et necessitas silendi). Silanus fut exilé dans file de Cythnum, au sud de l’Eubée, par une faveur spéciale et grâce à la clémence de Tibère. La sentence était peut-être méritée et pouvait frapper justement un magistrat concussionnaire : mais l’interrogatoire, la plaidoirie, l’application de la peine, la procédure en un mot n’en était pas moins dérisoire ; et l’oubli des solennités requises, le mépris des garanties nécessaires, l’insolence des délateurs faisaient de ce procès, comme de celui de Cremutius Cordus[35], une parodie de la justice et le type des procès les plus scandaleux.

Quintilien dit qu’en général l’accusation est plus facile que la défense, de même qu’il est plus aisé de faire une blessure que de la guérir[36]. L’accusateur arrive tout préparé ; l’accusé doit répondre à des allégations imprévues. L’un se borne à. produire des témoins[37] ; l’autre tire sa défense du fond même c Le la cause. Enfin les crimes de sacrilège ou de lèse-majesté fournissent toujours au premier une ample matière, même quand les faits incriminés sont faux ; tandis que le second n’a d’autre ressource que de nier. — Quintilien pensait peut-être aux procès que nous venons de citer quand il appréciait ainsi le rôle de l’accusateur. En tout cas, dans les conditions nouvelles où le délateur déploie son éloquence, les efforts et les longues études que recommandait Cicéron lui sont inutiles. Ces nouveaux avocats ignorent ou dédaignent le droit, la morale, la dialectique[38]. Ils ne possèdent pas les sénatus-consultes ; ils tiennent pour suspect la philosophie et les philosophes, et quiconque enseigne ou pratique la sagesse. Ils ont restreint et mutilé le domaine de la parole. Cependant ils ne manquent ni d’art ni de talent. Disciples de Cassius Severus, ils remplacent la composition du discours, la justesse et l’élévation des idées par le mouvement du style, la hardiesse des mots et l’éclat des images : ils remplacent la logique par la passion.

Leur langue à la fois négligée et prétentieuse, mélangée de tours poétiques et de locutions familières, est souvent irrégulière et brutale, mais toujours vive et pressante. C’en est fait de la période classique. Des phrases courtes, brusques saccadées tombent de leurs lèvres comme une grêle de traits. Ils ont la plaisanterie amère, la verve injurieuse et provocante. Ils ne connaissent ni les ménagements ni la mesure : les contradictions, les hyperboles, les invraisemblances même ne les choquent point. Du moment que les faits sont admis sans preuves, l’imagination suffit pour les présenter, les interpréter, les noircir, — ou les inventer. Ne craignant pas d’être réfutés, ils peuvent tout oser et tout se permettre : qu’ils avancent les assertions les plus hardies, les sénateurs se garderont bien de ne pas y croire. Ils soutiennent leurs affirmations par la violence du geste, l’impudence du regard, la volubilité du débit. Ils ont perdu la tradition du génie romain, qui, suivant Sénèque, s’estimait trop pour ne pas se faire entendre à loisir. Leurs invectives se précipitent, leurs coups se pressent sans relâche : ils veulent éveiller les craintes ou déchaîner les colères.

Hispo Romanus, qui figure dans les Controverses de Sénèque et dans les Annales de Tacite, est un rhéteur irascible et haineux. Il était naturellement porté, dit Sénèque, vers un style âpre et véhément[39]. Il avait l’humeur agressive et batailleuse (accusatoria pugnacitas). C’est lui qui reproche à Granius Marcellus, gouverneur de Bithynie, d’avoir placé sa propre statue plus haut que celle des Césars ; et d’avoir décapité une statue d’Auguste pour y placer la tête de Tibère. — Mamercus Scaurus doit sa renommée à la chaleur et à l’éclat de son improvisation. Il plaidait avec négligence et préparait ses plaidoiries sur les bancs des avocats et parfois même en s’habillant[40] : mais nul ne savait mieux provoquer une interruption de l’adversaire pour la rétorquer contre lui et se procurer l’avantage d’une réplique mordante. Même dans les exercices de l’école, dans les controverses fictives où Sénèque avait pu l’apprécier, il entraînait l’auditoire par l’impétuosité de sa parole. Il semblait mollis plaider une cause que soutenir une querelle (litiganti similior quam agenti). Ironique, railleur implacable, il ne laissait jamais passer une sottise, une maladresse impunie. Il avait blessé Tibère, le premier jour où celui-ci parut dans le sénat après les obsèques d’Auguste : et le prince ne lui pardonna pas cette blessure. L’accusateur de Silanus, le consulaire Mamercus Scaurus, fut à son tour accusé de lèse-majesté, convaincu de sacrifices magiques, d’adultère et d’allusions offensantes pour le prince, insérées dans une tragédie qui devenait le plus grand de ses crimes. Malgré les hontes de sa vie et l’obscénité de ses mœurs[41], malgré l’immoralité de sa conduite privée et publique, le délateur Mamercus Scaurus se souvint qu’il descendait des Émiles. Avec un courage digne de ses aïeux, il prévint le jugement qui l’attendait, sur le conseil de sa femme Sextia qui partagea sa mort après l’avoir conseillée[42]. — Comme Scaurus, comme Hispo Romanus, Fulcinius Trio était d’un tempérament fougueux et d’une éloquence enflammée et vénale. Exercé aux luttes du barreau et toujours prêt à défier les haines (facilis capessendis inimicitiis) c’est lui qui dénonce Drusus Libo ; c’est lui qui se porte accusateur de Pison ; c’est lui qui poursuit sans pitié tous les complices de Séjan. A ce prix il devient consul (31 ap. J.-C.). Tant qu’il demande la tête des victimes désignées, à ses, coups, son langage n’est jamais trop brusque, ni trop énergique ; mais quand il brigue les honneurs, Tibère, qui lui promet son appui, l’engage à modérer l’emportement, de sa parole — monuit ne facundiam violentia præcipitaret[43]. Auguste disait de même à propos d’un rhéteur fameux, mais trop vif : Il faut l’enrayersufflaminandus est[44].

L’éloquence dont Cassius Severus avait offert le premier modèle n’avait donc pas été proscrite ni chassée de Rome avec lui[45]. Née de la haine du nouveau régime ; elle avait changé de parti sans changer d’allures : elle avait mis au service de la tyrannie l’ardeur qu’elle avait d’abord déployée contre elle. Quand l’opposition eut été réduite au silence, l’éloquence du républicain Cassius devint l’arme des délateurs.

Les classiques avaient pourtant quelques partisans dans cette horde de rhéteurs mercenaires. En face des discoureurs violents de l’école de Cassius Severus, un avocat célèbre rappelait par sa gravité, sa lenteur[46], les orateurs posés (statarios) que loue Cicéron[47]. C’était Domitius Afer. Celui-là marchait à pas comptés dans ses harangues (gradarius)[48] : il avait la maturité qui manquait à la plupart de ses émules du barreau. Voyant un jour l’avocat Mallius Sura, qui se démenait en plaidant, sautait, agitait les bras ; abaissait et relevait sa toge : Il ne plaide pas, dit-il, il s’agitenon agace dixit, sed satagere, jeu de mots intraduisible. Originaire de Nîmes, dans la Narbonnaise, il contrastait par la sobriété sévère de son style et le sel gaulois de sa parole avec l’emphase espagnole des élèves de Porcius Latro et la fougue déréglée des imitateurs de Cassius Severus. L’harmonie de ses périodes n’était pas exempté d’une certaine rudesse : il était tellement ennemi des modulations délicates et douces à l’oreille qu’il les rejetait quand elles s’offraient d’elles-mêmes. Il glissait à la fin des phrases quelques mots destinés à rompre la mesure, à briser le rythme (asperandœ compositionis gratia), surtout au début d’un discours (maxime in proœmiis)[49]. Aux invectives, aux diatribes empoisonnées de Fulcinius Trio et d’Hispo Romanus, il substituait des attaques plus calmes, des traits moins amers et plus piquants. Il excellait dans l’art de raconter et de relever le récit par des tours originaux et imprévus, par des, anecdotes et des bons mots. On avait publié un recueil de ses réparties les plus spirituelles[50]. Didius Gallus, après avoir instamment brigué le gouvernement d’une province, se plaignait, l’ayant obtenu, qu’il fût contraint de l’accepter. Eh bien ! lui dit ironiquement Afer, acceptez ce fardeau par dévouement pour la République[51]. L’Empereur, donnant audience sur les bords du Tibre, avait, dans un moment d’impatience, fait jeter à l’eau l’avocat Julius Gallicus. Le client de Gallicus apporta le lendemain sa cause à Domitius Afer : Qui vous a dit, répondit Afer, que je nageais mieux que Gallicus ?[52] Quintilien, qui fut son élève, le cite comme un modèle d’urbanité et n’hésite pas à le mettre sur la même ligne que les anciens. Il ne peut lui comparer parmi ses contemporains que Julius Africanus, délateur célèbre du temps de Néron. Mais celui-ci avait plus de feu, plus de rapidité et prodiguait outre mesure les métaphores (concitatior et in translationibus parum modicus). Afer l’emportait par le sang-froid, la méthode et les qualités générales du style[53]. Il ne donnait pas dans le goût de son siècle pour les représentations oratoires, les admirations de commande et le charlatanisme usité parfois dans les tribunaux. Plaidant un jour devant les centumvirs, il entendit dans une salle voisine un bruit et des clameurs étranges. Il s’arrêta. Quand le bruit eut cessé, il reprit la suite de sa plaidoirie. Nouvelles clameurs. Mais qui plaide donc à côté ? demanda-t-il. — On lui répondit que c’était Licinius, que des claqueurs recrutés d’avance applaudissaient à deniers comptants. — Juges, s’écria-t-il alors, voilà comment meurt l’éloquence[54]. Il se faisait une plus haute idée de son art.

Il n’hésita pas cependant à devenir le complice des rancunes et de la politique de Tibère. Il avait quarante ans, et sortait de la préture sans avoir atteint encore la célébrité qu’il souhaitait. Prêt à tout oser pour être illustre, il s’associa aux poursuites intentées contre Clodia Pulchra, amie et cousine d’Agrippine, et l’accusa de dérèglements, d’adultère et de maléfices. C’était Agrippine que visait Tibère en frappant Claudia Pulchra. Afer saisit cette occasion de faire éclater son éloquence. Il déploya les perfides ressources d’un art accompli, et reçut du prince, avec des éloges publics, le titre de véritable orateur (suo jure disertum)[55]. Entré dans cette voie, il ne s’arrête, pas Clodia Pulchra avait un fils, Quintilius Varus. Après avoir fait condamner la mère, Domitius accusa le fils. Personne, dit Tacite, ne fut surpris que Domitius, longtemps pauvre et qui avait dissipé follement un premier salaire, courût à de nouvelles bassesses ; mais on s’étonna de voir Dolabella, le vainqueur de Tacfarinas, souscrire à cette délation[56]. Quintilien peut louer la diction savante de son maître ; il ne justifiera jamais de pareils actes. Un auteur moderne cependant, M. Grellet-Dumazeau, dans une biographie consciencieuse et détaillée, tâche d’excuser Domitius Afer et discute le témoignage de Tacite. Il rappelle que l’auteur du Dialogue des Orateurs, citant Afer, parle de la dignité de sa vie (dignitate vitæ). C’est excuser une mauvaise action par un contresens. L’auteur du Dialogue fait allusion aux honneurs, aux dignités qu’obtint Afer pour prix de son éloquence : il parle de l’éclat et non de la dignité de sa vie[57]. Peu considéré lorsqu’il n’était encore que préteur (modicus dignationis), Afer s’avilit en devenant illustre et ne fit briller son talent qu’en dégradant son caractère.

La délation, c’est. la déviation du droit d’accuser ; c’est l’affirmation du délit tenant lieu d’enquête et de preuves ; mais c’est aussi le sophisme triomphant du bon sens et de l’équité : c’est la casuistique appliquée aux crimes d’État.

A côté des rhéteurs violents qui frappent cyniquement la victime ou de ceux qui l’attaquent en face avec calme, il y a les sophistes qui dissimulent leur perfidie, et dont les coups, pour être obliques, n’en sont pas moins sûrs et mortels, Junius Otho, la créature de Séjan, qui de maître d’école devient sénateur, est un de ces discoureurs redoutables qui sont passés maîtres dans l’art des insinuations malveillantes, des sous-entendus et des réticences. Il réussissait surtout, dit Sénèque[58], à traiter les causes on il fallait faire naître des soupçons — has controversias quœ suspiciose dicendœ erant. C’est un des accusateurs du proconsul d’Asie Silanus. Un stoïcien, Publius Egnatius Celer, couvre des maximes de Zénon et de Chrysippe l’indigne vénalité de ses témoignages. Ami, client et précepteur de Soranus, il dépose à prix d’or contre son élève, invoquant pour l’assassiner le respect de la vérité qu’il outrage : Un stoïcien a fait tuer Soranus Boréa, s’écrie Juvénal ; philosophe, il a dénoncé son ami ; vieillard, il a tué son élève[59]. C’est un genre de sophismes que Cicéron ne soupçonnait pas dans ce qu’il appelait les broussailles et les épines du stoïcisme.

Le type de ces sophistes sanguinaires est Cossutianus Capito, le gendre de Tigellin et l’accusateur de Thraséas. Ce Cossutianus Capito, que Tacite appelle un homme taré, tout chargé dé souillures (maculosum fœdumque), avait exercé les plus odieuses rapines dans la Cilicie dont il était gouverneur. Poursuivi par les Ciliciens, il avait été condamné comme concussionnaire et chassé du Sénat. Le crédit de son beau-père l’y fit rentrer[60] ; et pour signaler sa reconnaissance, il accusa de lèse-majesté un ancien tribun du peuple, Antistius, qui, paraît-il, avait lu dans un souper des vers injurieux pour le prince. Le Sénat allait voter la sentence de mort contre Antistius quand Thraséas, prenant la parole, rappela les sénateurs au respect des lois et obtint que le malheureux serait seulement relégué dans une île. Thraséas avait attiré sur sa tête les coups dont il préservait Antistius. Il faut lire, dans le XVIe livre des Annales, le résumé du discours de Capito contre Thraséas pour voir la torture infligée par les délateurs à la langue, à la raison et au droit ; pour apprécier l’art hypocrite avec lequel les faits les plus simples en apparence sont défigurés, interprétés et deviennent grâce à d’ingénieux commentaires et de spécieuses inductions, une série d’attentats criminels. Ce ne sont pas les votes de Thraséas que l’on accuse, ce ne sont même pas ses paroles : c’est son maintien, sa physionomie, son silence. Il ne croit pas à la divinité de Poppée ; il n’offre pas de victimes aux dieux pour la voix céleste du prince : donc, il n’a ni religion, ni patriotisme. Il s’abstient de paraître au Sénat ; donc, il conspire. Il affiche des mœurs austères ; c’est, pour blâmer la vie dissolue de l’Empereur. Les journaux s’occupent de lui ; c’est son coup de grâce. Autant de mots ; autant d’allusions et d’offenses ! On sait jusqu’où l’on peut aller dans cette voie :

On néglige l’air de Henri,

Biribi,

Pour la façon de Barbari,

Mon ami.

Biribi veut dire, en latin,

L’ère républicaine ;

Barbari, c’est, j’en suis certain,

Un peuple qu’on enchaîne ;

Mon ami, ce n’est pas César...

Il suffirait de changer peu de chose à la spirituelle chanson de Béranger pour y retrouver (toute proportion gardée) la satire des procédés qu’employait Cossutianus Capito pour calomnier et immoler Thraséas. Certains reproches de celui-ci seraient bouffons, s’ils ne faisaient frémir. Les casuistes du moyen âge, comme Jean Petit et ses émules, n’ont jamais dépassé la perverse habileté de Cossutianus[61].

Ces tragiques harangues prenaient quelquefois un intérêt nouveau et je ne sais quel accent plus passionné, si c’est possible, quand deux délateurs s’attaquaient devant les tribunaux et se reprochaient mutuellement leurs cruautés. Suilius et Trachalus se trouvent un jour aux prises : S’il en est comme tu le dis, s’écrie Suilius, tu vas en exil. — S’il en est autrement, repart Trachalus, tu y retournes[62]. Qu’on se rappelle, à l’avènement de Vespasien, Eprius Marcellus et Regulus menacés, au sein du Sénat, par ceux dont ils ont fait périr ou les parents ou les amis. Helvidius, gendre de Thraséas, veut punir Eprius Marcellus. Montanus, inspiré par l’indignation, dépeint Regulus chargé de dépouilles consulaires, gorgé de sept millions de sesterces, enveloppant dans une même ruine des enfants et des vieillards, des femmes du rang le plus élevé : et les deux délateurs, entourés d’ennemis, tiennent cependant tête aux menacés et parviennent à conjurer la tempête[63].

Regulus avait la poitrine faible et la langue épaisse : il avait la mémoire courte et paresseuse. La nature ne semblait pas l’avoir destiné à l’éloquence. Hérennius Sénécion le définissait un malhonnête homme inhabile dans l’art de la parole ; Modestus l’avait nommé le plus méchant de tous les bipèdes : et pourtant sans autre secours qu’une volonté inflexible, une audace imperturbable, une effronterie à toute épreuve, il finit par être le plus renommé des délateurs, le plus écouté des avocats[64]. Tout jeune encore, pour se signaler, il avait sollicité du Sénat l’autorisation d’accuser Crassus, dont Néron voulait se délivrer[65]. Quand la conspiration de Pison et de Lateranus eut été découverte, il prit une part active aux dénonciations qui la suivirent. Mais c’est sous Domitien surtout qu’il multiplia les delationes et brava sans hésitation les plus légitimes ressentiments.

Rusticus Arulenus ayant publié les éloges de Thraséas et d’Helvidius Priscus, qu’il appelait’ les plus vertueux des hommes, Regulus l’accusa, le fit mettre à mort ; et, non content de cette condamnation, diffama dans un libelle injurieux la mémoire de sa victime[66]. Il déchira avec tant d’emportement Hérennius Sénécion, que le délateur Carus, qui venait de le faire condamner, s’écria : Quel droit avez-vous sur mes morts ? Me voit-on remuer les cendres de Crassus ? Pline le Jeune eut à se défendre plus d’une fois des attaques et des pièges de Regulus : Je l’avais pour adversaire, écrit-il, dans un procès ou je plaidais pour Arionille, femme de Timon. Je fondais en partie mon droit et mes espérances sur une sentence rendue jadis par Metius Modestus, homme d’une haute probité, mais que Domitien avait exilé. Ce fut un prétexte à Regulus de me faire cette demande : « Pline, que pensez-vous de Modestus ? » Voyez à quel danger je m’exposais si j’eusse répondit que je pensais du bien de Modestus et à quelle honte si j’eusse réponde le contraire. « Je répondrai à votre question, lui dis-je, quand les centumvirs auront à la juger. » Il insista. « Je demande, reprit-il, ce que vous pensez de Modestus ? »« Jusqu’à présent, répliquai-je, on était dans l’habitude d’interroger les témoins sur les accusés et non sur les condamnés — solebant testes in reos, non in damnatos interrogari. » Il revint à la charge. « Je ne vous demande pas précisément ajouta-t-il, ce que vous pensez de Modestus lui-même, mais ce que vous pensez de son dévouement à Domitien. » — « Je pense, lui répondis-je, qu’il n’est pas permis de remettre en question la chose jugée — At ego ne interrogare quidem fas puto, de quo pronuntiatum est. » Cette fois mon homme demeura muet — conticuit[67]. Voilà dans quel réseau de questions insidieuses Regulus cherchait à enlacer ses adversaires ; voilà par quelle tactique il cherchait à les étonner et à les surprendre.

Et cependant quand mourut cet homme que Pline nous dépeint si mal doué mais si redoutable, si lâche, si passionné, si pervers, Pline ne put s’empêcher de regretter sa perte et de rendre hommage à son talent. Depuis qu’il n’avait plus à le craindre, il appréciait mieux son mérite, C’est que Regulus aimait son art et tenait l’éloquence en grand honneur (habebat studiis honorem) ; il préparait, il écrivait ses discours ; il tremblait et pâlissait en parlant ; il savait attirer la foule et (chose plus difficile encore) retenir les juges et les obliger à l’entendre[68]. Malgré ses superstitions et ses cruautés, malgré ses défauts naturels ; il était parvenu à passer pour éloquent. Martial le compare à Cicéron[69] ; il est vrai que son témoignage est suspect ; mais les aveux échappés à Pline en disent plus que les éloges de Martial. C’est grâce à cette renommée, à cette puissance de la parole que Regulus put, en dépit des haines soulevées contre lui, achever paisiblement sa vieillesse sous le règne de Trajan.

Il fallait donc un réel talent pour remplir jusqu’au bout ce terrible râle et pratiquer sans défaillance le métier des Regulus, des Marcellus Eprius, des Afer et des Cossutianus Capito. Les plus faibles succombaient en route. C’est assurément une éloquence caninecanina eloquentia, dit Quintilien[70], que celle d’un avocat qui fait profession de médire et de déchirer pour autrui. L’avocat, qui l’exerce, doit être armé de toutes pièces, non seulement pour attaquer, mais pour se défendre, car il peut s’attendre à d’énergiques représailles. Phèdre, le fabuliste, l’a dit à propos des délateurs : Comptons combien d’entre eux ont péri dans leur tentative l Vous trouverez que le plus grand nombre a été puni de son audace[71]. Tibère, d’ailleurs, n’épargnait pas ceux qui restaient au-dessous de leur tâche. Considius Æquus et Cœlius Cursor, deux chevaliers romains, qui n’avaient pas su prouver l’accusation de lèse-majesté dirigée contre le préteur Magius, furent punis, sur la demande du prince, par un décret du Sénat[72].

Le temps n’a laissé subsister aucun débris de cette éloquence canine. Mais on en peut deviner la méthode et retracer les traits généraux d’après les témoignages qui nous restent de Quintilien, de Tacite et de Pline le Jeune. Ses principales ressources sont la violence et la ruse. Affranchie de toutes les règles de la jurisprudence et du goût, elle exige plus de tempérament que d’étude, plus d’imagination que de dialectique, plus d’audace encore que d’imagination. Elle frappe fort ; elle tranche, elle tue. Elle procède par affirmations violentes, par mouvements brusques et passionnés. Même quand elle se modère, elle a quelque chose de rude et de heurté. Sa langue est imagée et nerveuse. Elle a tout un arsenal d’expressions perfides, d’inductions trompeuses, de tours captieux, d’équivoques et d’insinuations. C’est un mélange de brutalité et de casuistique, de cynisme et d’hypocrisie. Elle invoque salés pudeur les grands souvenirs de la vieille Rome : mais elle est née de l’alliance des rhéteurs et des Césars[73]. Elle s’adapte à la nouvelle procédure, tronquée et mutilée comme elle : elle s’adapte à la nouvelle politique. En somme, elle caractérise une époque ; et c’est à ce titre qu’elle méritait d’être étudiée.

 

Annales de la Facultés des Lettres de Bordeaux — 1880

 

 

 



[1] Sur les Délateurs, leur rôle et leur influence, voir : Boissier, L’Opposition sous les Césars, chap. IV. — Champagny, Histoire des Césars. — Dezobry, Rome au siècle d’Auguste, t. IV, lettre CXVIII. — Grellet-Dumazeau, Le Barreau romain. — Laboulaye, Les Lois criminelles des Romains. — Dubois-Guchan, Tacite et son siècle. M. Dubois-Guchan, procureur impérial à Nantes en 1861, prend en main la cause des délateurs et plaide en leur faveur les circonstances atténuantes : Les délateurs, c’est-à-dire les accusateurs impériaux, furent nécessaires pour défendre les empereurs contre les complots à main armée, contre les coups d’opinion, contre les compétitions des grands personnages dont l’attitude et le faste manifestaient la rivalité, enfin contre les intrigues de la cour. Mais comme tout usage implique la possibilité d’un abus, nul doute qu’on n’ait abusé des délateurs... La prévention contre eux résulta de beaucoup de causes : elle naquit de la lutte des lois et de l’opinion, mais d’une opinion tout aristocratique ; de la résistance des grands aux répressions criminelles ; d’un certain libéralisme de convention qui fit que les empereurs mède, quand leur politique le permettait ou l’exigeait, désavouèrent les délateurs pour se populariser. Tacite en stigmatisant l’abus a flétri l’usage : chez lui le génie du peintre a prévalu sur l’équité de l’historien. Tacite et son siècle, Ier vol. chap. XII, les Césars. Cf. Zeller, Les Empereurs romains, chap. II, Tibère : Le temps se trouva avoir mis à la disposition de la justice impériale un instrument terrible : la loi de lèse-majesté et des serviteurs bien dangereux : les délateurs, etc., Cf. Al. Stahr, Tiberius (Bilder aux dem Alterthume), 1863.

[2] Cicéron, Pro. Q. Roscio, § 7 : Ne ullum pilum viri boni habere dicatur.

[3] Sur Marcellus Eprius, v. Tacite, Annales, XII, 4 ; XVI, 12. — Histoires, IV, 6. — Henzen, Inscript., 5423. Sur Vibius Crispus, v. Tacite, Histoires, II, 10 : Vibius Crispus pecunia, ingenio inter claros magis quam inter bonos...

[4] V. Dialogue de Orator., § 8 : Ausim contendere Marcellum hunc Eprium et Crispum Vibium.

[5] Quintilien, Institut. Orat., L. X, § 1.

[6] V. Tacite, Annales, IV, 30. Cf. § 19.

[7] Tacite, Annales, III, 66 : C. Silanum proconsulem Asiae, repetundarum a sociis postulatum, etc.

[8] Sur Brutidius Niger, V. Senec. Rhetor., Controvers., L. II, 9. Suasor., VI. Ed. Bursian.

[9] V. Cicéron, Brutus sive De claris oratoribus, § 29 : Gravitas summa, etc.

[10] Tacite, Annales, III, 31 : Mamercus oratorum ea ætate uberrimus erat. Cf. Senec. Rhet., Controv., L. X. Præfat. : Non novi quemquam cujus ingenio populus Romanus pertinacius ignoverit... Nihil erat illo venustius, nihil paratius. Cf. Controv., L. I, 2, p. 77, éd. Bursian.

[11] V. Cicéron, Pro Murena, § 28. Cf. Divinat. in Cæcilium, § 21.

[12] Tacite, Annales, III, 66 : Mamercus antiqua exempla jaciens, L. Cottam a Scipione Africano, Serv. Galbam a Catone censorio, S. Rutilium a M. Scauro accusatos, etc.

[13] V. Cicéron, Brutus, § 30 : Multaque opera multaque industrie Rutilius fuit : doctus vir et græcis litteris eru litus, Panætii auditor, prope perfectus in Stoïcis, etc.

[14] Cicéron, Pro Sexto Roscio Amerino, § 20 : Accusatores multos esse in civitate utile est, etc.

[15] Voir Plutarque, Vie de Caton, § 15.

[16] Tacite, Annales, IV, § 18 et 19 : Nec infringendum consulis jus... etc.

[17] V. Cicéron, Divinat. in Cæcilium, § 21 : Per homines honestissimos virosque fortissimos, non imperitos adolescentulos aut illiusmodi quadruplatores leges judiciaque administrentur. Ceux qui avaient fait condamner un accusé recevaient le quart de ses biens : de là le nom de quadruplateurs donné à ceux qui faisaient de l’accusation un métier pour s’enrichir.

[18] V. Cicéron, de Oratore, II, 65. Quando tandem, Galba, de triclinio tuo exibis ?Quum tu, inquit, de cubiculo alieno.

[19] V. Tacite, Annales, I, 75. — Nec patrum cognitionibus satiatus judiciis assidebat. Cf. Suétone, Tibère, § 33 : Subitus aderat, etc.

[20] V Senec. Apokolokyntoce jus dicebam totis diebus, mense Julio et Augusto, § 7. Cf. Suétone, Claude, 15, et Dion Cassius, Hist. Rom., L. 60, § 4.

[21] V. Dion Cassius, Hist. Rom., l. 60, § 29.

[22] Pour plus de détails sur ces actes préparatoires, V. Laboulaye, Essai sur les lois criminelles des Romains ; Grellet-Dumazeau, le Barreau romain. Cf. Ayrault, Ordre, formalité et instruction judiciaire des anciens Grecs et Romains. (Lyon, in-4°, 1640.)

[23] V. Senec. Rhetor., Controv., VII, 19, éd. Bursian.

[24] V. Cicéron, Divinatio in Cæcilium.

[25] Cicéron, Divinat. in Cæcil., § 3 : Quum de pecuniis repetundis nomen cujuspiam deferatur. Epistol. ad familiar., VIII, 6 : Inter postulationem et nominis delationem uxor a Dolabella discessit.

[26] Ps. Ascon., In Verr., act. I : Quid est reum fieri nisi apud prœtorem legibus interrogari ? Quum in jus ventum esset, dicebat accusator apud prætorem reo : Αΐο te, etc. Cf. Laboulaye, Essai sur les lois criminelles des Romains.

[27] Si l’accusé devant le tribunal était convaincu d’un crime différent de celui qui était qualifié par l’inscriptio, il devait être acquitté.

[28] V. Tacite, Annales, II, 75 : Postulantibus Vitellio ac Veranio, qui crimina et accusationem, tanquam adversus receptos jam reos, instruebant. Cf. Juvénal, Sat. VI, v. 221, v. 245. Suétone, Claude, § 15 : In cognoscendo autem ac decernendo mira varietate animi fuit, etc. Pline le Jeune, passim.

[29] Pline le Jeune, Lett. I, 20 : Ego jugulum statim video, hunc premo. Promit sane quod eligit, sed in eligendo frequenter errat.

[30] Pline le Jeune, Lett. I, 5. Cf. Lett. IV, 7, sur le délateur Regulus.

[31] En général tous ceux qui avaient pris part au procès de la divinatio, devenaient subscriptores... Ceux-ci soutenaient l’accusateur dans ses attaques et comblaient les lacunes qui se trouvaient dans ses discours. Laboulaye, 3. Cf. Cicéron, Pro Flacco, 33. Pseud. Asconius.

[32] Tacite, Annales, II, 30. Vibius protulit libellos vecordes, etc.

[33] V. Valère Maxime, L. VIII, cap. 1, § 11, de Judiciis publicis : Scipio Æmilianus L. Cottam ad prætorem accusavit : cujus causa, quanquam gravissimis criminibus erat confossa, septies ampliata et ad ultimum octavo judicio absoluta est. Ne pas confondre l’ampliatio, c’est-à-dire le renvoi à un plus ample informé, avec la comperendinatio qui n’est pas une nouvelle instance.

[34] Tacite, Annales, III, 67. Traduction Burnouf : Neque refellere aut eludere dabatur. Igitur... defensionem sui deseruit.

[35] Tacite, Annales, IV, 34. Cf. Sur Cremutius Cordus, Sénèque, Consolat. ad Marciam, § 22 : Accusatores, Sejano auctore, adeunt consulum tribunalia, etc.

[36] Quintilien, Instit. orator., V. 13 : Tanto est accusare, quam defendere, quanto facere, quam sanare vulnera facilius.

[37] C’était l’accusateur qui conduisait l’interrogatoire des témoins. V. Cicéron, in Verr., actio prima. Cf, Pseud. Ascon., in Verr.

[38] V. Tacite, Dialog. de Orator., § 32 : ... ignorent leges, non teneant senatusconsulta, jus civitatis ultro derideant, sapieutiæ vero studium et prœcepta prudentium penitus reformident, in paucissimos sensus et angustas sententias detrudant eloquentiam, velut expulsam regno suo.

[39] Senec. Rhet., Controv., IX, 26 : Hispo Romanus erat natura qui asperiorem dicendi viam sequeretur : itaque hoc colore exit ut inveheretur... p. 264. Hispo Romanus accusatoria pugnacitate usus... Ibid., I, 2, p. 74, éd. Bursian.

[40] Senec. Rhet., Controv., X, præfat. : Sæpe causam in ipsis subselliis, sæpe dura amicitur discebat :... vires suas noverat.

[41] Sur les mœurs de Mamercus Scaurus, v. Sénèque, de Beneficiis, III, 31 : Numquid purus videri volebat ?,.. Pollioni Asinio obscœno verbo usus, etc.

[42] Tacite, Annales, VI, 29.

[43] Tacite, Annales, III, 19.

[44] Senec. Rhet., Excerpt. Controv., L. IV, præfat, p. 377.

[45] Sur l’orateur Cassius Severus, v. notre étude, Annales de la Faculté de Bordeaux, n° 2 (1879).

[46] V. Pline le Jeune, II, 14. Quum diceret graviter et lente (hoc enim illi actionis genus erat).

[47] Cicéron, Brutus, § 30.

[48] Sénèque, Lettres à Lucilius, 40.

[49] Quintilien, Instit. Orat., IX, 4.

[50] Quintilien, Instit. Orat., VI, 3 : Dictorum poque ab eodem urbane sunt editi libri. — Afer epim venuste Mallium Suram, multum in agendo discursantem, salientem, etc.

[51] Quintilien, Instit. Orat., VI, 3 : Age, inquit, aliquid et rei publicæ causa elabora.

[52] V. Don Cassius, Hist. Rom., l. LX, 33.

[53] Quintilien, X, 1 : Domitius Afer et Julius Africanus longe præstantissimi : arte ille et toto genere dicendi prœferendus.

[54] Pline le Jeune, Lettres, II, 14.

[55] Tacite, Annales, IV, 52. Suo jure disertum, ne veut pas dire disert dans le droit qui lui convenait comme traduit M. Grellet-Dumateau, mais : appelé justement orateur, à bon droit. Cf. Tacite, édit. Jacob.

[56] Tacite, Annales, IV, 66.

[57] Dialog. de Orator., § 13. Cf. Grellet-Dumazeau, le Barreau romain, p. 382.

[58] Senec. Rhet., Controv., II, 9, p. 130, éd. Bursian.

[59] Juvénal, Sat. III, v. 116. Stoicus occidit Baream, delator amicum. Cf. Tacite, Annales, XVI, § 32 et Histoires, IV, 10.

[60] Tacite, Annales, XIV, 48 : Sanatorium ordinem precibus Tigellini, soceri sui, receperat.

[61] Tacite, Annales, XVI, 22 : Ejusdem animi est Poppæam divam non credere, cujus in actes divi Augusti et divi Julii non jurare.

[62] Quintilien, Instit. Orat., VI, 15. Si hoc ita est, is in exsilium, etc.

[63] Tacite, Histoires, IV, 42.

[64] Pline le Jeune, Lett. IV, 7. VI, 2. — I, 5. Imbecillum latus, os confusum, hœsitans lingua, tardissima inventio, memoria nulle ; nihil denique præter ingenium insanum.

[65] Tacite, Histoires, IV, 42. Regulus était d’une naissance illustre et son père avait été proscrit par Néron.

[66] Pline le Jeune, Lett., I, 5 : Exsultaverat morte, adeo ut librum recitaret publicaretque, in quo Rusticum insectatur. Cf. Suétone, Domitien, § 10.

[67] Pline le Jeune, Lett., I, 5, loc. citat.

[68] Pline le Jeune, Lett., VI, 2 : Illa perquam jucunda una dicentibus, quod libera tempora petebat, quod audituros corrogabat, etc.

[69] V. Martial, Epigram., I, 112, — IV, 16.

Magnus ab infernia revocetur Tullius umbris,

Et te defendat Regulus ipse licet.

[70] Quintilien, Instit. Orat., XII, 9 : Ea est enim prorsus canina, ut ait Appius, eloquentia, cognituram male dicendi subire.

[71] Phèdre, Fables, liv. V, 4 : L’Homme et l’Âne.

[72] Tacite, Annales, III, 37.

[73] Nous repoussons, absolument le parallèle que M. Dubois-Guchan, dans un chapitre fort savant du reste et plein de détails précis, établit entre ce qu’il appelle la délation sous l’empire et la délation sous la démagogie. Les délateurs de Tibère et de Domitien ne ressemblent en rien, on vient de le voir, aux accusateurs de la République. A plus forte raison peut-on s’étonner de trouver chez le même auteur un rapprochement entre Eprius Marcellus et Bossuet ; entre les doctrines, du délateur de Thraséas et la Politique tirée de l’Écriture sainte. L’expérience ou la haute raison qui en tient lieu, dit-il, ont la même doctrine politique et là-dessus Marcellus et Bossuet se rencontrent. (Tacite et son siècle, Ier vol., p. 18.) — Un pareil rapprochement est une injure. Et M. Dubois-Guchan, dans ses deux gros volumes, montre trop d’érudition, d’exactitude et de sincérité pour que la critique ne relève pas de si singulières appréciations.