HISTOIRE DE CHARLES VII

LIVRE VI. — CHARLES VII PENDANT SES DERNIÈRES ANNÉES. - 1454-1461.

 

NOTES SUPPLÉMENTAIRES.

 

 

I. — Le Procès d'Otto Castellain.

Chapitre VII.

 

Nous réunissons ici les données que les documents du temps nous fournissent sur ce procès.

Castellain et Gouffier furent d'abord emprisonnés au château de Pierre-Assise :

Pierre de Roussoy, dit le Fauconnier, IIII l. IX s. VI d., le 14 avril (1457), pour avoir les menues necessitez aux festes de Pasques à Lyon, où ils (sic) estoient detenus prisonniers pour le fait du procez de Guillaume Gouffier, escuyer, seneschal de Xaintonge, leur maistre, et Otto Castelan, lors prisonnier au chastel de Pierre Assise[1].

Maistre Pierre de Ligonnes, licentié ès loix, VIII l. X s., 17 may (1457), pour conduire de Lyon à La Palice Guillaume Gouffier[2].

Jehan de Lannoy, escuyer d'escuyerie, LXVIII l. XVI s., en juillet (1457), en recompense des travaux qu'il a eus à la garde de Guillaume Gouffier, prisonnier au chastel de Pierre Assise[3].

Le procès d'Otto Castellain s'instruisit d'abord à Toulouse, devant le Parlement de cette ville. Trois conseillers : Jean Le Baud, président au Parlement ; Mathurin Baudet et Jacques Boson, conseillers, furent désignes comme commissaires pour le fait de Otto Castellan[4]. Puis Charles VII évoqua la cause devant le grand Conseil, et Lit transférer Otto Castellain de Toulouse à Tours.

Guillaume Vigier, escuyer, seigneur de la Valette, pour ses despens à Tolose, luy buitiesme, en attendant. que les gens du Parlement luy eussent delivré Otto Castellan et Pierre Lentremont, prisonniers, qu'il a amené à Tours, XXXVII l.[5]

Guillaume Vigier, escuyer, seigneur de la Valette, pour sa despense de huit, hommes et huit chevaux pour amener seurement de Tolose à Tours Otto Castellan, argentier du Roy, et Pierre Lantremont, prisonniers, VIIxx XVII l.[6]

Le 11 avril 1459, Charles VII écrivait au Parlement de Toulouse pour lui enjoindre de déléguer deux conseillers à Tours, afin de poursuivre le procès, de concert avec les membres du Conseil désignés à cet effet ; ces deux conseillers devaient être rendus à Tours le 1er mai[7]. Les comptes nous apprennent que, dès le 20 avril, ils étaient à leur poste. On remarquera que, dans tous ces documents, il n'est plus question de Guillaume Gouffier. Le procès s'instruit contre l'argentier du Roi, et contre Varry Castellain et Pierre Perrin, dit Lentremont, ses complices ; Gouffier a été jugé et condamné par le grand Conseil[8].

Jacques de Heriçon, conseiller à Tolose, pour avoir vacqué à Tours et à Chinon, avec autres conseillers, aux procez desdiz prisonniers du 26 avril 1459 au 22 juin, VIIIxx XIII l.[9]

Jehan de Graille (?), escuyer, pour louages de chevaux et mulles pour apporter de Tolose à Tours le procez de Otto Castelan, Varry Castelan, et Lantrennin, et pour sa despense, XXII l.[10]

Quels sont les juges ? Nous venons de voir que Jacques de Heriçon est l'un d'entre eux[11]. Les comptes mentionnent les suivants :

Me Guillaume Blanchet, conseiller au Parlement, pour avoir vasque au procez d'Otto Castelan du 1er mai au 18 juin (1459), VIIxx VII l. — Me Jehan Chambon, conseiller au Parlement, idem, idem. — Me Hebert Malenfant, conseiller au Parlement de Tholose, idem du 26 avril au dernier juillet, IIc IIIIxx V l.[12]

D'autres documents nous apprennent que Jean Le Baud, président, et Pierre Varinier, conseiller au Parlement de Toulouse, figurèrent au nombre des juges avec leur collègue Hébert Malenfant[13]. En outre, Guillaume de Culan, examinateur au Chatelet, procéda à plusieurs informations du 26 décembre 1458 au 19 juin 1459 :

M. Guillaume Culan, examinateur au Chastelet, pour plusieurs informations qu'il a fait touchant le procez d'Otto castelan, C l. — Me Guillaume de Culan, examinateur au chastelet, du 26 décembre au 16 juin, IIIc L l.[14]

De Chinon, Castellain fut transféré à Paris, où le procès se poursuivit devant le Parlement.

Jehan de la Gardette, escuyer, prevost de Postel, pour avoir nourri et entretenu, ès chasteaux de Tours et de Chinon, Otto Castellan et Pierre Lentremont, prisonniers eu justice, quatre archers pour leur garde, deux hommes pour les servir, et ustencilles, depuis le 14 décembre 1458 au 16 juin suivant, IIcXXXIII l. V s., et pour les conduire à Paris, LV l.[15]

Me Jacques Beson, pour faire conduire de Chinon à Paris toutes les escriptures, livres et papiers touchant le procès d'Otto Castellan et Pierot Perrin, dit Lentremont, XIII l. XV s.[16]

Les derniers renseignements que nous rencontrons sont du printemps de 1461, après l'arrêt rendu contre Otto Castellain le 6 septembre 1460 :

Penultiesme mars (1461) :

Entre Otto Castellain, à present detenti prisonnier, requerant que, en ensuivant l'arrest de la Court donné à l'encontre de luy le vis septembre dernier, il fust mis hors de prison et emmené hors du royaume, et le procureur du Roy opposant d'autre. Finalement fut dit, en ensuivant ledit arrest, que ledit Castellain sera mis hors du royaume, non obstant chose proposée par le procureur du Roy[17].

XVe avril LXI :

Entre Me Jehan Avin, conseiller, etc., requerant que Otto Castellain, prisonnier, ne soit delivré jusqu'à ce qu'il soit payé du contenu en certaine cedulle. Dit a esté que, non obstant ladicte requeste, il sera delivré, sauf audit Avin sou action contre qui il appartiendra[18].

 

II. — Date d'une lettre du Dauphin au Roi. Genappe, 22 décembre.

Chapitre XI.

 

Nous avons mentionne plus haut une lettre du Dauphin au Roi, que M. Étienne Charavay, dans son recueil des Lettres de Louis Dauphin, place à l'année 1456[19].

Quelle est la date de cette lettre ?

Nous estimons qu'elle ne peut avoir été adressée à Charles VII en 1456 :

1° Le Dauphin avait écrit à son père le 26 octobre 1456, et, à la Mine date, il annonçait aux membres du Conseil que le duc de Bourgogne envoyait présentement ses ambassadeurs, par lesquelx, disait-il, nous lui escripvons[20].

2° L'ambassade du duc de Bourgogne, composée de Jean de Croy, seigneur de Chimay, Simon de Lalain, seigneur de Montigny, et Toison d'Or, partit le 27 octobre et ne revint prés du duc, à Bruxelles, que le 8 janvier 1457[21].

3° Les très gracieuses lettres du Roi dont il est parlé ne peuvent avoir été écrites an lendemain de la fuite du dauphin.

40 Ces lettres n'ont pu être apportées par les ambassadeurs du duc lesquels n'étaient point de retour le 22 décembre.

5° Enfin, la lettre du Dauphin, en date du 22 décembre, est datée de Genappe, et nous avons montre que le Dauphin ne s'y installa qu'à la fin de juillet 1457, après l'arrivée de la Dauphine en Flandre[22].

La lettre du Dauphin ne peut être, ni du mois de décembre 1457, n du mois de décembre 1459 : il n'y eut pas d'ambassade envoyée par 1e, duc de Bourgogne en décembre 1457, et en décembre 1459 les ambassadeurs de Charles VII étaient à la cour du duc.

Restent les dates de 1458 et de 1460.

A première vue, ou pourrait pencher peur la dernière, car nous avons la mention d'une ambassade envoyée, au mois de décembre 1460, par le duc de Bourgogne, et qui se composait de Jean de Croy et de Simon de Lalain. Mais le Dauphin n'a pu charger, le 22 décembre 1460, Croy et Lalain de poursuivre son fait, quand, le 13 décembre précédent, il avait écrit à son père pour accréditer auprès de lui Jean Wast, seigneur de Montespedon, qui arriva à Bourges le 3 janvier 1461.

Nous sommes donc ramenés forcément à la date de 1458.

Voyons maintenant si les faits concordent avec le texte de la lettre du 22 décembre.

Les ambassadeurs envoyés par le duc de Bourgogne à Vendôme sont de retour le 2 novembre 1458[23].

A son retour de Vendôme, Jean de Croy se rends liai vers le Dauphin, en compagnie du duc de Bourgogne, et y séjourne du 13 au 20 novembre[24].

Le 8 janvier 1459, Jean de Croy, Jean, seigneur de Lannoy, et Toison d'Or partent pour se rendre auprès de Charles VII[25].

Le 7 février suivant, Jean de Croy présente au Roi un long exposé, tel nom du Dauphin.

Les indications contenues dans la lettre du 22 décembre sont donc concordantes avec ce qui se passa à ce moment.

Reste une difficulté à résoudre. L'ambassade de janvier 1459 se composait de Jean de Croy et de Jean de Lannoy ; Simon de Lalain, mentionné dans la lettre du 22 décembre, n'en faisait pas partie.

Mais il faut faire observer que nous ne possédons qu'une copie moderne de cette lettre et que cette copie porte la mention de Simon de Lannoy. En admettant que l'original donne le nom de Simon de Lalaing, comme cela parait probable, et comme l'imprime M. Charavay, en corrigeant le texte, il peut se faire que, dans l'intervalle du 22 décembre au 8 janvier, il y ait eu une substitution de Jean de Lannoy à Simon de Lalain. Nous voyons en effet que, dans les premiers jours de janvier, Simon de Lalain fut désigné pour faire partie de l'ambassade envoyée au pape Pie II, et qu'il partit le 5 janvier[26].

Par tous ces motifs, nous sommes amenés à maintenir la date de 1458, que, en 1875, dans notre étude sur le Caractère de Charles VII[27], nous avions assignée à la Lettre du 22 décembre.

 

III. — Causes de la mort de Charles VII

Opinion du docteur Notta.

 

De l'analyse des divers documents que j'ai sous les yeux, il résulte : que Charles VII, après une existence des plus agitées, usé par une vie des plus licencieuses et par des préoccupations morales de toute nature, qu'il ait esté ou non en dangier d'empoisonnements, ou d'intoxications, comme l'écrivait en 1451 un grand prélat du temps, était encore très bien portant en septembre 1455, ainsi qu'il l'écrit lui-même à Chabannes : Mais grâces à Notre-Seigneur, nous sommes très bien guéri et aussi en bonne santé et disposition que filmes longtemps.

C'est peu de temps après que le Roi commence à décliner, et à partir de décembre 1457, il nous est représenté par les chroniqueurs comme infirme et valétudinaire. Son état moral est affecté. Les terreurs qui remontaient à son jeune âge redoublent. Il est vrai qu'un complot tramé contre lui légitimait ces terreurs ; mais je.ne vois rien, chez les historiens du temps, qui, pendant les quatre dernières années de sa vie, puisse faire supposer qu'il ait été empoisonné. Ainsi, en décembre 1457, il a une indisposition qui dure dix jours. Il fut si malade qu'on disait tous lei jours qu'il était mort. Qu'est-ce que cela prouve ? N'en disait-on pas autant de nos jours de l'empereur Guillaume, aussitôt qu'il avait la moindre indisposition ? Ce qui me parait au contraire évident, c'est que le Roi, usé par les excès, avait déjà depuis longtemps, en 1458, une cause incessante d'épuisement dans le mal incurable de sa jambe, quelle qu'en fût d'ailleurs la nature.

Les minées qui suivent nous montrent le Roi dépérissant chaque jour et souvent tellement faible que l'on croyait qu'il allait s'éteindre. Zantfliet déclare qu'en 1460, après avoir pris du poison — sumto veneno — il ne doit la vie qu'a la clémence du ciel. Il nie semble qu'une semblable affirmation aurait dû être un peu moins laconique et appuyée sur quelques preuves. Charles VII n'aurait-il pas éprouvé plutôt, une de ces recrudescences du mat, si fréquentes dans le cours des affections chroniques et que l'on aurait attribuée au poison, supposition à laquelle l'attitude et le caractère de son pouvaient donner quelque créance. On doit en effet s'étonner que, épuisé et malade comme il l'était, Charles VII ait pu impunément absorber le poison et se rétablir si promptement — post modicum tempus.

Enfin nous arrivons au mois de juillet 1461. Dans les premiers jours du mois, le Roi souffrait d'un mal étrange dans la bouche et dut subir l'extraction d'une dent. Cette opération fut suivie d'une fluxion et d'un abcès.

C'est alors que Charles VII, persuadé qu'on voulait l'empoisonner, refusa, dit-on, tonte nourriture, et lorsque, au bout de huit jours, il céda aux instances de son entourage, il ne put avaler et ne tarda pas à expirer.

Quel était ce mal étrange ? y avait-il une ulcération cancéreuse ? s'agissait-il seulement d'une dent cariée ? Eu tout cas cette extraction de dent n'a pas été une chose ordinaire, puisqu'elle a été suivie d'une fluxion et d'un abcès, qui ont dû s'accompagner d'une vive inflammation de la bouche et des premières voies digestives, inflammation qui, chez un malade aussi débilité, a pu amener certaines complications plus ou moins graves, le muguet, par exemple, et qui, même en dehors de toute complication, expliquerait, sans qu'il soit nécessaire de faire intervenir le poison ou la crainte du poison, l'impossibilité où le Roi se trouvait de prendre quoi que ce fût. Nous voyons tous les jours des per sonnes atteintes de phlegmon de la mâchoire et d'une violente inflammation de la bouche rester plusieurs jours sans pouvoir avaler aucun aliment et ne parvenir à absorber quelques gouttes de liquide qu'au prix d'horribles souffrances. Ne serait-ce pas la le cas de Charles VII ? Seulement, épuisé de vieille date, il n'aurait pu supporter une abstinence aussi prolongée ; et je serais assez porté à croire, avec les correspondants du duc de Milan, qu'il est mort d'un apostème qui lui vint dans la mâchoire. L'apostème aurait été la goutte d'eau qui a fait verser le vase.

Si Charles VII était mort empoisonné ou s'il avait pris du poison pendant les dernières années de sa vie, il me semble qu'en parlant de ses indispositions les historiens auraient eu à noter, au moment de l'empoisonnement, quelque symptôme saillant, comme des douleurs vives ou des vomissements répétés, survenant tout à coup au milieu d'un état de santé excellent ; tandis, au contraire, en lisant les dire mêmes du temps, bien que çà et là il soit question de tentatives d'empoisonnement, on assiste à l'évolution de la déchéance morbide d'un sujet épuisé par la débauche, par les fatigues de toute nature, physiques et morales, et par le mal incurable de sa jambe. Je sais bien que la conduite du Dauphin à l'égard de son père, sa joie non dissimulée au moment de la mort du Roi, l'emprisonnement du médecin de Charles VII sur un simple soupçon, la fuite de son chirurgien, n'ont pas peu contribué à donner une certaine créance aux tentatives d'empoisonnement dont le Roi aurait été l'objet. Sans entrer ici dans la discussion de ces diverses circonstances qui ont dû frapper beaucoup l'esprit des contemporains, je persiste à penser qu'elles ne sont pas suffisantes pour nous autoriser à attribuer la mort du Roi à un empoisonnement, ou à un suicide ; je suis bien plutôt porté à croire qu'elle a été naturelle.

Dr NOTTA.

 

 

 



[1] Huitième compte de Mathieu Beauvarlet. Cabinet des titres, 685, f. 192 ; cf. f. 190 v°.

[2] Cabinet des titres, 685, f. 192.

[3] Cabinet des titres, 685, f. 191.

[4] Cabinet des titres, 685, f. 192 v°. On trouve dans le même compte (f. 191 v°) la mention suivante, qui parait se rapporter à retire d'Otto Castellain : Jacques Beson et Pierre Alignon, à chascun XX l. t., en septembre, pour estre venu de Toulouse à Souvigny et pour retourner à Toulouse.

[5] Cabinet des titres, 685, f. 208 v°.

[6] Cabinet des titres, 685, f. 212.

[7] Pièces originales, 701 : CASTELLAIN, n° 23 ; éd. Jean de Reilhac, t. I, p. 84, note. — De Montbazon, en février ou mars 1459, Charles VII avait envoyé Jean de Grente, écuyer, à Toulouse, touchant le fait du procès d'Otto Castellan, et de là en Armagnac. Cabinet des titres, 685, f. 212.

[8] Dans des lettres des trésoriers de France du 17 mai 1468, il est parlé de la privacion d'offices et condempnacion nagaires faix et prononcez contre lui par les gens du grant Conseil. Pièces originales, 1366 : GOUFFIER, n° 18.

[9] Cabinet des titres, 685, f. 210.

[10] Cabinet des titres, 685, f. 211.

[11] Voir en outre deux documents des 30 juin 1459 et 12 avril 1460 dans Pièces originales, 1514 : HERIÇON, n° 4 et 6.

[12] Troisième compte de Robert de Molins. Cabinet des titres, 685, t. 201 v°. — Voir en outre, pour Malenfant, Pièces originales, 1812 : MALENFANT, n° 5.

[13] Rôle des parties ordonnées à être payées sur l'aide de 114.000 l. octroyé au Puy en décembre 1460. Ms. fr. 20498, f. 79 v°.

[14] Cabinet des titres, 685, f. 208 et 201 v°.

[15] Cabinet des titres, 685, f. 210.

[16] Cabinet des titres, 685, f. 211.

[17] Ms. fr. 5908, f. 106.

[18] Ms. fr. 5908, f. 106 v°.

[19] Lettres de Louis XI, t. I, p. 84.

[20] Lettres de Louis XI, t. I, p. 80 et 83.

[21] Archives du Nord, 13 1026, f. 116 et 116 v°.

[22] Voir plus haut, chapitre VII.

[23] Archives du Nord, B 2034, f. 13 ; B 2030, f. 173 v°, 199 et 204 v°.

[24] Archives du Nord, B 2034, f. 73 et 73 v°.

[25] N., ibid., f. 94.

[26] Archives de Nord, B 2034, f. 75 et 93.

[27] Revue des questions historiques, t. XVII, p. 120.