HISTOIRE DE CHARLES VII

LIVRE V. — L'EXPULSION DES ANGLAIS. - 1449-1453.

 

CHAPITRE IX. — LA SECONDE CONQUÊTE DE LA GUYENNE.

 

 

1452-1453

 

Situation de la Guyenne ; mécontentement des habitants ; députation envoyée au Roi ; conjuration contre la France. — Expédition de Talbot ; la Guyenne redevient anglaise. Mesures prises par Charles VII. — Doubles opérations au sud et à l'est de Bordeaux ; Talbot, après un défi aux chefs de l'armée du Médoc, évite tout engagement. — L'armée de le Dordogne prend Chalais et Gensac et assiège Castillon. — Talbot marche au secours de cette ville ; bataille de Castillon ; déroute des Anglais. — Soumission de Castillon, de Saint-Émilion et de Libourne. — Opérations de l'armée du Médoc : prise de Castelnau ; sièges de Blanquefort et de Cadillac. — Le Roi arrive à la tête de l'armée de réserve : prise de Fronsac ; siège de Bordeaux. — Part prise par le Roi aux opérations militaires ; assaut livré à Cadillac, suivi de la reddition de la ville et du château ; soumission de Blanquefort. — Les Bordelais, pressés par la famine, se décident à entrer en composition ; députation reçue par le Roi, qui rejette ses offres de soumission. — Reprise des hostilités ; ouvertures faites par le sire de Camoys à Joachim Rouault ; nouvelle députation envoyée à Lormont ; négociations entamées ; traité conclu ; abolition accordée aux Bordelais. — Bordeaux est livré au Roi ; prise de Bénauges et de Rions. — La Guyenne reconquise en cinq mois.

 

Grâce à l'ascendant de ses armes, Charles VII avait imposé sa domination à la Guyenne ; mais, malgré les concessions faites, les privilèges libéralement accordés[1], il n'avait point conquis les sympathies de la population. Un grand nombre de seigneurs gascons demeuraient fidèles à l'Angleterre ; plusieurs restèrent en relations avec le gouvernement de Henri VI, et reçurent de lui des faveurs et des encouragements ; ceux-là même qui avaient traité avec Charles VII et obtenu des avantages personnels[2] ne craignirent point d'accepter, soit des titres seigneuriaux, soit des fonctions. On eût dit que la Guyenne n'était point soustraite à l'obéissance du roi d'Angleterre et que celui-ci continuait à en être le souverain de droit[3].

Pendant la première année qui suivit l'occupation française, le traité du 12 juin 1451 fut strictement observé. Mais, au bout d'un an, le sénéchal de Guyenne, Olivier de Coëtivy, et les autres officiers royaux manifestèrent des exigences de nature à exciter les susceptibilités des Bordelais. Ils prétendirent imposer des tributs pour l'entretien des troupes, et les motifs qu'ils alléguèrent ne firent qu'augmenter le mécontentement[4]. Les Bordelais réclamèrent avec énergie. N'ayant rien obtenu des représentants du Roi, ils résolurent de s'adresser directement à ce prince : une députation partit, au mois de juillet 1452, pour aller le trouver et lui porter plainte[5]. Les habitants de Bordeaux avaient des lettres scellées du grand sceau royal, consacrant le maintien de leurs privilèges ; sous le gouvernement des rois d'Angleterre, ils avaient toujours été exempts d'impositions et de tailles, et n'avaient point été assujettis à recevoir de garnisons : ce serait leur causer un notable préjudice, si, par crainte de malheurs incertains et invraisemblables, on les astreignait à des charges fort lourdes ; en cas d'attaque, ils sauraient bien défendre leur contrée et leur ville contre l'ennemi : point n'était pour cela besoin de garnisons ; au temps de la domination anglaise, ils avaient bien su résister aux Français qui les cernaient de toutes parts ; ils pouvaient actuellement se défendre contre les Anglais dont ils étaient séparés par la mer[6]. Les députés bordelais réclamaient donc l'observation des engagements contractés à leur égard[7]. Après avoir mis l'affaire en délibération dans son Conseil, Charles VII fit répondre que la conservation de la Guyenne exigeait des sacrifices dont il ne pouvait exempter les Bordelais ; des troupes étaient nécessaires pour assurer la sécurité de la province ; il fallait que l'impôt servant à leur solde fût perçu sur les habitants[8].

Les députés, de retour à Bordeaux, rendirent compte de leur mission ; une violente indignation se manifesta. Elle fut à son Comble quand le comte de Clermont, gouverneur de la Guyenne, ordonna à tous barons, seigneurs, nobles et sujets du Roi en Guyenne de se mettre en armes, prêts à partir au premier signal, et prescrivit de tenir les places fortes en état de défense et de les approvisionner en cas de péril. Dans son mandement, le comte s'appuyait sur une délibération des Trois États de la province, récemment assemblés à Bordeaux[9].

Cependant, une conjuration s'était formée pour secouer le joug de la France ; elle s'étendit bientôt à toutes les classes de la population. A la tête des conjurés étaient, avec un haut dignitaire ecclésiastique, le doyen de Saint-Seurin[10], la plupart des seigneurs gascons : Bernard Angevin, seigneur de Rauzan ; Bertrand de Montferrand ; Gaillard de Durfort, seigneur de Duras ; le sire de la Lande, le sire d'Anglade, lesquels n'avaient cessé d'entretenir des rapports avec l'Angleterre. Deux personnages qui avaient en Guyenne une situation considérable, Gaston de Foix, comte de Caudale, et Pierre de Montferrand, soudic de la Trau et seigneur de Lesparre[11], s'offrirent pour aller solliciter l'intervention du gouvernement de Henri VI et l'envoi d'une armée en Guyenne : ils partirent secrètement dans le courant d'août[12].

Les circonstances étaient favorables au succès de cette démarche : le duc de Somerset venait de sortir vainqueur d'une nouvelle attaque dirigée contre lui. Au mois de février 1452, le duc d'York avait été contraint de déposer les armes et de prêter serment de fidélité à la royauté ; Somerset était resté seul maître. Une amnistie générale, rendue sur l'initiative personnelle de Henri VI, donna alors au pouvoir royal un regain de popularité, et un voyage entrepris par le Roi dans les cantons de l'ouest affermit son autorité[13]. Le moment était donc propice pour répondre à l'appel des Bordelais. Le gouvernement anglais, craignant depuis quelques mois une attaque sur Calais[14], avait réuni une flotte prête à prendre la mer, et Talbot avait été désigné comme chef du corps expéditionnaire[15] ; on n'avait qu'à en changer la destination : par lettres des 1er et 2 septembre, le comte de Shrewsbury fut investi de la lieutenance en Aquitaine, avec les pouvoirs les plus étendus[16].

Malgré son âge avancé[17], le grand capitaine conservait toute sa vigueur : il brûlait du désir de prendre sa revanche des humiliations que Charles VII avait fait subir à l'Angleterre. On réunit quatre ou cinq mille hommes, choisis parmi les plus expérimentés : avec cette troupe d'élite, Talbot ne doutait pas du succès de l'entreprise.

Il partit le 17 octobre 1452. La flotte anglaise, favorisée par le vent, parvint le quatrième jour en vue de la Guyenne[18]. Le débarquement s'effectua sur la côte du Médoc, près de Soulac, dans une crique aujourd'hui ensablée qui porte le nom de l'anse à l'Anglot[19]. D'après une tradition conservée dans le pays, un soulèvement populaire aurait éclaté à l'arrivée du corps d'armée, lequel ne serait parvenu sous les murs de Bordeaux qu'après avoir livré plusieurs combats et réduit certaines forteresses[20]. La rapidité de la marche, la facilité avec laquelle s'opéra l'occupation de Bordeaux ne permettent guère d'accepter cette tradition : il n'est point douteux que les Anglais furent accueillis comme des libérateurs, et qu'ils rencontrèrent peu de résistance de la part des troupes royales[21]. Le soulèvement des Bordelais, la prompte arrivée de Talbot, rendirent tous les efforts inutiles. Coëtivy voulut au moins sortir de la ville les armes à la main : il en fut empêché par les habitants et fait prisonnier avec les siens[22]. Le 23 octobre, Bordeaux était occupé par Talbot. Muni de la plénitude des pouvoirs civils et militaires[23], il prit aussitôt la direction des affaires. Sa tâche lui fut rendue facile par la soumission des principales places : à la première sommation Blanquefort, Libourne, Castillon, Rions, Cadillac, Saint-Macaire, Langon, etc., ouvrirent leurs portes. En présence de l'adhésion spontanée des habitants, les garnisons françaises furent réduites à l'impuissance. En quelques jours tout le Bordelais fut recouvré ; il ne resta au pouvoir de Charles VII que Fronsac, où Joachim Rouault était parvenu à introduire six cents lances ; Bourg et Blaye, occupées par de forts détachements[24].

Chose curieuse, tandis que les Anglais, persuadés que Calais était sérieusement menacé, s'apprêtaient à protéger cette place, on croyait en France à une prochaine descente sur les côtes de Normandie. C'est de ce côté que toutes les mesures de défense avaient été prises, et c'est sans doute ce qui fit renoncer à l'entreprise projetée sur Calais. Au mois de novembre 1452, Dunois avait été nommé lieutenant en Normandie[25] ; Gaucourt avait été envoyé à Harfleur[26]. Le connétable de Richemont, chargé depuis 1450 du gouvernement de la province, se trouvait à Dieppe vers le mois d'août en compagnie de Dunois et d'autres commissaires royaux venus pour procéder à une réformation générale, quand il apprit la formation de l'année d'Angleterre. Aussitôt il se concerte avec Dunois,. mande Brezé et Floquet, avec lesquels un conseil de guerre est tenu à Rouen. Toutes les mesures sont prises : le connétable se tiendra à Caen, à Carentan et aux alentours, investi du soin de veiller sur la Basse-Normandie[27] ; Dunois s'établira à Dieppe jusqu'à ce qu'on sache où s'opérera la descente ; on rassemble les garnisons ; on tient tous les francs-archers prêts ; on transporte de l'artillerie de Paris à Rouen, et on la distribue entre les places les plus exposées ; on organise le guet de la mer ; enfin on se prépare, par tous les moyens possibles, à repousser une tentative d'invasion qui paraît imminente[28].

Du côté de la Guyenne, on se croit tranquille : on vit sur la foi des serments. Tout à coup on apprend que, sans coup férir, Talbot s'est rendu maître de toute la contrée. C'est une conquête nouvelle à entreprendre. Au témoignage de. Thomas Basin, Charles VII supporta cet échec avec un mâle courage et s'occupa aussitôt d'y porter remède[29].

Il fallait tout d'abord contenir l'ennemi dans la province : Pour cela, le Roi envoya un corps de troupes sous les ordres du maréchal de Jalognes et du sire d'Orval[30] ; puis il passa l'hiver à réunir l'argent et les forces nécessaires[31] ; il convoqua le ban et l'arrière-ban ; il mit sur pied les francs-archers dans les provinces du centre et du midi[32].

En Angleterre, le gouvernement ne resta point inactif. Au commencement de mars, une nouvelle armée de quatre mille hommes, sous les ordres du vicomte Lisle, fils de Talbot, et de Roger, baron de Camoys, fit voile pour Bordeaux ; elle apportait de vastes approvisionnements[33].

Ce fut Talbot qui entama les hostilités. Il mit le siège devant Fronsac, et obligea les défenseurs de la place à capituler[34]. Mais il ne poursuivit pas son attaque : il allait se trouver en présence d'un déploiement de forces considérable.

A la fin du printemps, quatre corps d'armée étaient prêts à envahir la Guyenne. Le premier, commandé par le comte de Clermont, lieutenant général du Roi et gouverneur de la Guyenne, se tenait sur la frontière méridionale ; le second, sous les ordres du comte de Foix, investi du titre de lieutenant général, avait été rassemblé en Béarn et ne tarda point à opérer de concert avec le comte de Clermont ; le troisième, sous les ordres des maréchaux de Jalognes et de Lohéac, de l'amiral de Bueil, de Jacques de Chabannes et du comte de Penthièvre, qu'accompagnaient Joachim Rouault, le seigneur de Boussac et Louis de Beaumont, sénéchal de Poitou, devait opérer sur la Dordogne ; enfin le quatrième, dont le Roi s'était réservé le commandement, formait l'arrière-garde ou la réserve.

Le comte de Clermont avait autour de lui le sire d'Albret, Saintrailles, Valpergue, le sire d'Orval, le sire de Culant, et Pierre de Beauvau, seigneur de la Bessière, qui conduisait la compagnie du comte du Maine ; le comte de Foix était accompagné de son frère le vicomte dé Lautrec, de Geoffroy de Saint-Belin, bailli de Chaumont ; de Pierre de Louvain, du bâtard de Beaumanoir, etc.[35] Après avoir réduit Saint-Sever[36], les deux lieutenants du Roi s'avancèrent à travers le Bazadais et le Bordelais, sans rencontrer de résistance, et pénétrèrent dans le Médoc. Là, ils ne tardèrent point à recevoir un message de Talbot, apporté par deux hérauts, et daté du 21 juin, sous les Landes de Bordeaux. Le capitaine anglais, agissant comme représentant du roi d'Angleterre, leur faisait savoir qu'il s'était mis sur les champs pour avoir affaire à eux, honorablement, sans porter dommage au pauvre peuple et au pays. Et pour ce que de vous ne pouvons bonnement avoir certaines nouvelles, disait-il, et que chacun jour changez logis et pays, nous, afin que Dieu n'en soit déplaisant et le pauvre peuple grevé ni détruit, si ainsi est que vous veuilliez demeurer et attendre en lieu raisonnable et champ ouvert, et avoir affaire l'un avec l'autre, nous vous faisons savoir que, dedans trois jours prochain venant, nous y serons en notre personne, si vous ne vous reculez et que la faute soit en vous[37]. Les deux hérauts étaient chargés de rapporter la réponse à leur maître.

Le comte de Clermont se chargea de répondre. Pour faire passer au capitaine anglais son envie de le voir, il lui promettait, en parole de prince, qu'il l'attendrait pendant trois jours sans déloger : Talbot n'y sauroit venir de heure que il ne le trouvât là, tout prêt et appareillé de le recevoir, et de jouer au tire poil et à tous autres essais où chacun pourroit mieux festoyer son compagnon[38].

Le comte se concerta avec le comte de Foix, et les deux corps d'armée se rapprochèrent de telle sorte qu'ils n'étaient qu'à un quart d'heure de distance, prêts à se joindre pour tenir tête à l'ennemi. Talbot, ayant sous ses ordres six à sept mille combattants, vint occuper un gros village du nom de Martignas, situé entre les bois de Caudale et Illac. Mais, à la nouvelle de la concentration des deux corps du comte de Clermont et du comte de Foix, le capitaine anglais hésita : il se demanda si, dans de telles conditions, il était prudent d'engager une action[39]. Oubliant qu'il avait dit aux Bordelais qu'il leur amènerait prisonniers, le lendemain, le comte de Clermont et tous les Français, il s'arrêta soudain. Quand l'armée française se présenta devant Martignas, elle n'y trouva personne à qui parler : on apprit par les gens du village que Talbot n'avait fait que repaistre les chevaulx bien legièrement, et que, après une halte de deux heures, il avait rebroussé chemin. C'est en vain que l'on se mit à sa poursuite : deux lieues plus loin on rencontra cinq à six cents archers, accablés de fatigue, incapables de faire la moindre résistance, qui furent taillés en pièces. Quant à Talbot, il s'était replié en toute hâte sur Bordeaux.

Les vivres manquaient dans le Médoc : il fut décidé que, afin de pourvoir plus facilement à leur subsistance, les deux corps d'armée se sépareraient de nouveau ; ils se répandirent de coté et d'autre, attendant qu'une sortie des Anglais fournît l'occasion de livrer bataille[40].

Pendant ce temps, le troisième corps avait commencé ses opérations par le siège de Chalais, ville de l'Angoumois qui avait ouvert ses portes aux Anglais. Joachim Rouault décida, par sa vaillance, le succès de l'attaque : investi le 12 juin, Chalais fut emporté au bout de quelques jours, malgré une vive résistance. Le sire d'Anglade, venu au secours de la place, dut rebrousser chemin et rentra dans Bordeaux[41]. L'armée de la Dordogne, poursuivant sa marche, s'avança jusqu'à Gensac, au sud de la Dordogne, et s'en empara (8 juillet)[42]. De là, sur l'avis de Jean Bureau, on alla assiéger Castillon. C'est en ce lieu que devait se décider le sort de la Guyenne.

Les forces réunies devant Castillon s'élevaient à environ dix-huit cents lances[43], avec un corps de francs archers ; elles étaient sous les ordres de l'amiral de Bueil, du grand-maître Chabannes, des maréchaux de Lohéac et de Jalognes, du comte de Penthièvre, etc.[44] Les opérations du siège, dirigées par Jean Bureau, Joachim Rouault et le sire de Boussac, commencèrent aussitôt. La garnison envoya en toute hâte prévenir Talbot. Loin de céder aux instances des Bordelais qui, lui rappelant la promesse qu'il avait faite de les protéger contre les Français, le pressaient de marcher contre eux et de faire lever le siège de Castillon, le lieutenant du roi d'Angleterre répondit : On les peut bien encore laisser approcher de plus près. Soyez sûrs que, au plaisir de Dieu, j'accomplirai ma promesse quand je verrai que temps et heure sera. Ces paroles soulevèrent de violents murmures ; en présence de cette démonstration, Talbot se décida à agir[45]. Mais une autre version, plus vraisemblable, nous montre le vieux capitaine aussi prompt à saisir cette occasion de se mesurer avec l'ennemi qu'il l'avait été à se retirer devant les armées réunies des comtes de Clermont et de Foix. Dans le Médoc, il se trouvait en présence de forces considérables, avec une brillante cavalerie, et il n'était point maître de choisir le lieu et l'heure du combat ; du côté de la Dordogne, il pensait n'avoir affaire qu'à un corps peu nombreux, composé en majeure partie d'infanterie, et traînant à sa suite grand charroi et artillerie : ce devait être une proie facile à saisir[46]. Talbot n'hésita point : il partit à la hâte, à la tête d'environ sept mille hommes, et marcha droit sur Castillon[47]. Il trouva les Français retranchés dans un vaste camp situé à deux kilomètres à l'est de la ville, entre la Dordogne et la Lidoire, et adossé à cette rivière[48].

L'armée royale, dont la majeure partie était concentrée dans le camp, qui avait environ six cents mètres de longueur sur deux ou trois cents de largeur, occupait en outre une abbaye, plus tard le prieuré Saint-Florent, qui dominait Castillon ; enfin, sur le plateau du mont Horable, près du village de Capitourlan, se tenaient les Bretons du comte d'Étampes, au nombre de deux cent quarante lances, sous les ordres des sires de la Hunaudaye et de Montauban. On avait employé la nuit à fortifier le camp, entouré de fossés profonds et défendu par une Puissante artillerie. Talbot attaqua aussitôt l'abbaye, défendue Par huit cents francs-archers sous les ordres de Joachim Rouault et de Pierre de Beauvau. Les archers, terrifiés par l'impétuosité des Anglais, qui poussaient le cri de guerre de leur vieux capitaine, abandonnèrent l'abbaye, et se replièrent dans la direction du camp retranché, poursuivis par l'ennemi[49]. Sur le bruit de la venue de Talbot, Jacques de Chabannes était sorti du camp, et s'était avancé à la tête de deux cents lances. De concert avec Rouault et Beauvau, il protégea la retraite des francs-archers. Un engagement très vif eut lieu ; une centaine d'hommes furent tués de part et d'autre. Rouault, renversé de cheval, ne dut son salut qu'au dévouement de ses francs-archers, auxquels il avait juré de vivre et de mourir avec eux. Chabannes, un instant entouré, fut délivré par ses gens. Bref la retraite put s'opérer[50]. Talbot rallia ses gens et regagna l'abbaye. Là, s'emparant des vivres abandonnés par les Français, il fit défoncer les tonneaux et distribuer du vin à ses soldats[51]. Il était encore de, bonne heure ; le comte de Shrewsbury lit Célébrer la messe par son chapelain[52]. Le saint sacrifice allait commencer, quand on vint lui annoncer que les Français abandonnaient leur parc et s'enfuyaient[53] : Jamais, s'écria-t-il, je n'ouirai messe, ou aujourd'hui j'aurai rué jus la compagnie des Français qui est devant moi. Et il donna l'ordre de marcher en avant.

Les Anglais s'avancent en poussant leur cri de guerre : Talbot ! Talbot ! Saint-Georges ![54] Monté sur une petite haquenée, le vieux capitaine est vêtu d'une simple casaque de velours rouge[55]. En vain veut-on l'arrêter, lui représentant que c'est un faux rapport et qu'il convient d'attendre tranquillement le choc de l'ennemi : il répond par des injures à son porte-étendard[56] qui lui donne ce conseil, et l'écarte, dit-on, d'un coup d'épée à travers le visage.

Arrivé devant les palissades, Talbot commence à crier : A pied ! A pied tout le monde ! Ses hommes d'armes, soutenus par les archers qui peu à peu arrivent et se mettent en ligne[57], sont accueillis par une décharge formidable : trois cents bombardes, veuglaires, couleuvrines et ribaudequins, dont le feu est dirigé par le fameux artilleur Giribault, lancent leurs projectiles qui font de nombreuses victimes[58]. Les Anglais hésitent. Talbot les ramène, les forme en tortue ; abrités derrière leurs boucliers, ils attaquent les retranchements. Talbot réussit à faire planter sur le bord du fossé la bannière de saint Georges et celle d'Angleterre. Une mêlée terrible s'engage ; pendant plus d'une heure, on lutte corps à corps.

Soudain, des hauteurs voisines, les sires de Montauban et de la Hunaudaye descendent avec leurs Bretons et prennent l'ennemi en flanc[59] : ce mouvement décide de l'issue du combat. Les Anglais s'arrêtent pour faire face à ce corps de troupes fraîches. La terrible tempête de l'artillerie[60] ne cesse de pleuvoir sur eux. Saisissant l'occasion, les Français s'élancent hors de leur camp, les uns à pied, les autres à cheval, et chargent avec fureur. Talbot, quoique blessé, tient bon. Un coup de couleuvrine l'atteint à la jambe et le renverse sous son cheval. Les archers français l'entourent et le percent de leurs traits. Sou fils, qui l'avait vainement engagé à fuir[61], meurt à ses côtés en s'efforçant de le protéger[62]. Les Anglais, voyant tomber leur chef, s'enfuient en désordre[63]. Les uns veulent regagner leurs vaisseaux[64] ou franchir la Dordogne au gué de Rozan ; les autres prennent la route de Saint-Émilion. Un corps d'environ deux mille hommes, sous la conduite des seigneurs gascons, se replie en bon ordre sur Castillon et réussit à pénétrer dans la place. Les Français, lassés, travaillés, hors d'haleine, renoncent à poursuivre l'ennemi ; seul le comte de Penthièvre, avec ses troupes, donne la chasse aux fuyards dans la direction de Saint-Émilion. L'armée anglaise est anéantie : trente chevaliers et quatre mille soldats ont péri ; dans la chaleur de l'action on a tué impitoyablement[65]. On rapporte que, de nos jours encore, on retrouve des ossements dans la plaine qui fut le théâtre de cette lutte sanglante. Du côté des Français les pertes ont été sensibles ; quelques-uns des chefs, l'amiral de Bueil, Jacques de Chabannes, Pierre de Beauvau sont blessés, mais sans gravité.

Malgré le renfort amené par les seigneurs gascons, Castillon ne pouvait opposer une longue résistance : la ville capitula le 20 juillet. De là, l'armée marcha aussitôt sur Saint-Émilion[66] et sur Libourne, qui ouvrirent leurs portes.

Charles VII était encore à La Rochefoucauld[67]. Il accueillit avec grande joie la nouvelle de la victoire signalée remportée par ses troupes et fit aussitôt chanter un Te Deum. En recevant la gorgerette de Talbot, que Jacques de Chabannes lui avait envoyée : Dieu face merci, dit-il, au bon chevalier ! Par une circulaire adressée à ses bonnes villes, il fit part de cet heureux événement et ordonna de rendre au ciel des actions de grâces[68].

Nous avons laissé les comtes de Clermont et de Foix dans le Médoc. Afin d'empêcher le ravitaillement de Bordeaux, ils ravagèrent la contrée et firent main basse sur tous les vivres[69]. Puis ils se portèrent sur Castelnau, qu'ils assiégèrent le 14 juillet : la place, défendue par Gaston, seigneur de l'Isle, n'opposa pas une longue résistance[70]. Le comte de Clermont marcha ensuite dans la direction de Bordeaux ; il parut devant Blanquefort, dont il espérait s'emparer par surprise ; Mais ce château, vieux donjon à six tours avec enceinte crénelée, était occupé par Gailhard de Durfort, seigneur de Duras, qui s'y était enfermé après la défaite de Castillon ; une première attaque demeura infructueuse : il fallut en entreprendre le siège. Le comte de Foix, de son côté, traversa le Bas-Médoc et se présenta devant Cadillac à la tête d'environ quatre cents lances et de cinq à six mille arbalétriers. Le capitaine, un Gascon nommé Gaillardet, était venu devant Castelnau lui faire des offres de soumission. Le comte espérait que, durant la nuit, Gaillardet tiendrait sa promesse : vain espoir ; il dut entreprendre un siège en règle. La place était très fortifiée : Chabannes, le comte de Castres, le maréchal de Jalognes et Jean Bureau, arrivèrent avec huit cents lances et une puissante artillerie. Pendant le siège, deux corps de troupes furent détachés : l'un sous les ordres de Saintrailles, alla s'emparer de Saint-Macaire ; l'autre, commandé par le sire d'Albret, occupa Langon et Villandraut[71].

Deux sièges importants étaient donc entrepris simultanément, l'un au nord, l'autre au sud de Bordeaux, et la capitale de la Guyenne allait être attaquée à son tour.

L'armée de réserve s'ébranla le 28 juillet[72] ; elle était commandée par le Roi en personne, qui avait autour de lui les comtes du Maine, d'Angoulême, de Castres, de Vendôme, d'Étampes et de Nevers. Charles VII s'arrêta à Libourne (8 août), d'où il envoya assiéger Fronsac, qui n'opposa point de résistance. Puis, pénétrant dans l'Entre-Deux-Mers, il vint s'établir (13 août) au château de Montferrant, à douze kilomètres de Bordeaux[73]. Une partie de son armée campa à Lormont, sur la rive droite de la Garonne ; une autre, dont faisait partie Jean Bureau, alla renforcer devant Cadillac le corps du comte de Foix.

Le siège de Bordeaux était une difficile entreprise. La ville avait trois enceintes, dont l'étendue formait une circonférence de près de six mille mètres. De grosses tours, au nombre de vingt, protégeaient les murs, défendus en outre par le fleuve, dont la largeur en cet endroit n'est pas moindre de six cents mètres[74]. Une flotte importante gardait l'entrée du port. II fallait à la fois opérer le blocus de la ville au moyen d'une armée navale, et mettre l'armée de terre à l'abri d'un coup de main. Charles VII avait rassemblé depuis longtemps des navires venus de Bretagne, d'Espagne, de La Rochelle : il les plaça dans l'embouchure de la Gironde, et fit construire à Lormont, sur les bords du fleuve, une vaste bastille, où il logea ses troupes et sou artillerie, sous les ordres de l'amiral de Bueil, nommé lieutenant du Roi sur la mer et sur terre au delà de la Gironde[75], et dont l'ascendant grandissait chaque jour[76]. De leur côté, les défenseurs de Bordeaux élevèrent sur la Garonne, un kilomètre de la ville, une bastille merveilleusement forte pour protéger leur flotte.

Roger, baron de Camoys, nommé sénéchal de Guyenne, avait pris le commandement après la bataille de Castillon. Il réunit l'assemblée des Etats et passa un traité[77] par lequel il s'engageait, moyennant le remboursement de ses dépenses, à assurer la défense de Bordeaux et des places qui restaient encore aux Anglais. Les Bordelais redoutaient avant tout de retomber sous le joug de la France : ils déclarèrent qu'ils aimaient mieux mourir que de se soumettre[78], et s'en remirent à Camoys du soin de la résistance[79]. Aussitôt, la solde des capitaines fut assurée ; le procureur du roi fut chargé d'aller en Angleterre chercher du secours[80] ; des mesures furent prises Pour envoyer des renforts à Libourne, à Cadillac, à Blanquefort ; on pourvut à la garde de la bastille eu construction, des portes et des lieux fortifiés[81]. Il était d'autant plus urgent d'organiser la défense que déjà des défections se produisaient dans les rangs des seigneurs gascons, et que certains, pressentant une défaite imminente, entraient en composition avec Charles VII[82]. Camoys avait autour de lui Thomas Clifton, les bâtards de Somerset et de Salisbury, et tous les seigneurs gascons qui étaient parvenus à regagner Bordeaux : le sire de Lesparre, le sire de Rauzan, le sire de Duras, etc.

Charles VII était, nous l'avons dit, au château de Montferrant, appartenant à Bertrand, seigneur de Montferrant, l'un des Gascons qui avaient violé leurs serments. Mais il ne restait point inactif : il allait et venait, se portant à Lormont, à Saint-Macaire, peut-être même à Cadillac[83], partout où se trouvaient ses gens, donnant cœur aux chefs de son armée et à tous ses gens de guerre[84]. Le 19 septembre, un premier assaut fut livré à Cadillac : la ville fut emportée, et les Anglais se réfugièrent dans le château ; ils ne tardèrent pas à demander à capituler, offrant de payer dix mille écus et de s'en aller chacun un blanc bâton au poing. On consulta le Roi. Charles VII répondit qu'il avait assez d'argent, et qu'il entendait avoir la garnison à discrétion. Les défenseurs de Cadillac finirent par céder : ils demeurèrent prisonniers, et s'engagèrent à procurer la reddition de Bénauges et de Rions[85]. Le capitaine Gaillardet, Gascon d'origine, eut la tête tranchée[86]. A la nouvelle de la capitulation de Cadillac, le seigneur de Duras traita avec le comte de Clermont pour la remise de Blanquefort, et, s'échappant à travers les marais, il parvint à gagner Bordeaux.

Toutes les forces de l'armée royale étaient désormais concentrées devant la capitale de la Guyenne. Le comte de Clermont était établi du côté du Médoc. La ville se trouva ainsi complètement bloquée, et la famine commença bientôt à s'y faire sentir. D'autre part, dans le camp de Charles VII, une épidémie se déclara, et fit d'inquiétants ravages[87]. Le grand Maitre Chabannes fut emporté ; Pierre de Beauvau mourut aussi, soit de la peste, soit par suite des blessures reçues à Castillon[88].

Les Bordelais avaient vu successivement tomber toutes les places qui s'étaient efforcées de résister. D'un autre côté les Anglais commençaient à se lasser d'une lutte sans espoir. Pour prévenir toute désertion, le baron de Camoys avait fait dégréer les navires qui se trouvaient dans le port. Des conflits s'élevaient chaque jour entre les Gascons, acharnés dans une résistance où leur vie était engagée, et les Anglais qui se désintéressaient du sort 'des armes. Un conseil fut tenu ; on décida qu'un sauf-conduit serait demandé au Roi pour entrer en composition.

Dans les derniers. jours de septembre, cent notables habitants, gens d'église, nobles, jurats et bourgeois, se rendirent au château de Montferrant. Admis en présence de Charles VII, ils lui demandèrent de les recevoir à merci, offrant de remettre entre ses mains la ville de Bordeaux, moyennant qu'ils eussent la vie sauve et qu'ils conservassent leurs biens. Le Roi répondit en personne à la députation : Si vous n'avez charge d'autrement parler, dit-il, vous avez sûreté de venir devers nous et de vous en retourner : vous pouvez dresser votre chemin du retour quand bon vous semblera ; car de la requête que nous faites ne ferons rien, attendu les grandes fautes que par ci-devant avons trouvé en vous. Et c'est notre intention, à l'aide de notre Créateur, d'avoir la ville, tous ceux qui sont dedans, et leurs biens, à notre plaisir et volonté, pour de leurs corps prendre punition selon ce qu'ils ont offensé pour avoir été contre leurs serments et Matités à nous faits par ci-devant, en telle manière que ce sera exemple aux autres et mémoire au temps à venir[89].

La députation, toute troublée et moult dolente, reprenait déjà le chemin de Bardeaux, quand survint Jean Bureau : Sire, dit-il, je viens d'autour de la ville, et j'ai regardé et bien visité à mon pouvoir les places convenables à asseoir votre artillerie ; mais si tel est votre bon plaisir, je vous promets, et sur ma vie, qu'en peu de temps je vous rendrai la ville toute détruite et dévastée par vos engins volants, en telle manière que ceux qui vivent dedans ne sauront où tenir, et vous les aurez du tout à votre bon plaisir et volonté. Faites bonne diligence, reprit le Roi, car mon intention n'est pas de partir d'ici sans les avoir mis en mon obéissance[90].

Les hostilités reprirent avec vigueur. Une nouvelle flotte, arrivée de La Rochelle[91], était venue renforcer celle qui était établie en face de la bastille de Lormont. La bastille construite par l'ennemi sur la rive opposée fut attaquée sans relâche. Les Bordelais, de plus en plus pressés par la famine, craignirent de se trouver à la merci du vainqueur. Dans les premiers jours d'octobre, Camoys lit des ouvertures à Joachim Rouault qui, pendant l'occupation française, avait rempli les fonctions de connétable de Bordeaux ; il lui offrit un sauf-conduit pour venir dans la ville et recevoir les propositions des habitants. Rouault, ayant obtenu l'agrément du Roi, vint trouver Camoys, qui lui fit bon accueil. Un nouveau conseil fut tenu : on décida qu'une députation serait envoyée à Lormont pour traiter avec les représentants du Roi.

Le vendredi 5 octobre avant midi, la députation, à la tête de laquelle était le baron de Camoys, se présentait à Lormont. Elle fut reçue par l'amiral de Bueil, qu'entouraient les commissaires désignés par le Roi, savoir le chancelier, Jean d'Estouteville, Louis de Beaumont et Jean de Chambes. On dîna en l'hôtel de l'amiral, et on tint une première conférence, qui n'aboutit à aucun résultat. La députation revint le lendemain. On rouvrit les pourparlers, sans arriver à un accord. Les Bordelais consentaient, moyennant que le Roi leur donnât des lettres d'abolition, à rendre leur ville, en renonçant à tous privilèges et en payant une somme de cent mille écus ; les commissaires royaux exigeaient le paiement de cent mille marcs d'argent et demandaient la livraison aux mains du Roi de vingt personnes à son choix. Camoys, pendant ce temps, avait jeté avec l'amiral de Bueil les bases d'un traité réglant les conditions relatives aux Anglais, à leur flotte, à leur artillerie, aux facilités qui leur seraient données pour se rendre en Angleterre, avec denrées et marchandises, et pour emporter tous leurs biens meubles. Cet arrangement, qui paraît avoir été conclu dès le 5 octobre[92], fut signé définitivement le 8 ; il portait reddition de la bastille et remise de tous les prisonniers qui avaient été faits[93].

Le 9 octobre, Camoys, accompagné de huit ou dix notables, tant Anglais que Bordelais, vint trouver le Roi au château de Montferrant. Sire, dit-il, je viens devers vous et vous amène ces chevaliers, écuyers et bourgeois de la ville de Bordeaux, vous suppliant qu'il vous plaise leur remettre et pardonner l'offense qu'ils ont faite et commise envers vous, et leur donner abolition de corps et de biens meubles et immeubles, et ils renonceront à tous privilèges. Si vous baillerai et mettrai en votre obéissances la ville et cité de Bordeaux, et de plus ils vous donneront cent mille écus. Vous pourrez toujours prendre d'eux ce qu'il vous plaira. Pour Dieu, Sire, ayez pitié et merci d'eux. Sans répondre à Camoys, Charles VII fit sortir la députation et tint conseil. Il fut unanimement reconnu qu'il fallait accepter ces propositions, tout en maintenant la condition posée à Lormont, savoir la remise de vingt des plus coupables, entre lesquels les sires de Lesparre et de Duras.

Cette décision prise, les députés furent rappelés et on leur fit connaître les intentions du Roi. Camoys se récria, discuta longuement, et finit par céder, moyennant que les vingt seigneurs auraient la vie sauve et que le Roi se contenterait de les bannir à perpétuité[94].

Le même jour des lettres patentes étaient données, par lesquelles le Roi, sur la supplication des habitants de Bordeaux, leur accordait pleine et entière abolition, moyennant le paiement de cent mille écus, mais en retenant leurs privilèges jusqu'à son bon plaisir et en exemptant de l'amnistie vingt personnes, auxquelles toutefois il accordait la vie sauve et l'autorisation d'emporter autant de biens meubles qu'elles pourraient ; le Roi autorisait en outre quarante des habitants à se retirer où ils voudraient, emportant leurs biens meubles, avec faculté de pouvoir, dans un délai d'un mois, vendre, donner ou transporter leurs héritages[95].

Le 12 octobre, douze otages, moitié Anglais moitié Gascons, furent livrés en garantie du traité. Le 14, les autres otages et la bastille furent remis aux gens du Roi. Conformément au traité, les portes de la ville devaient s'ouvrir le 16 ; un délai de trois jours fut accordé : c'est seulement le 19 que les bannières de France flottèrent sur les tours de Bordeaux[96]. Les Anglais composant la garnison purent se retirer avec les honneurs de la guerre. Fidèle à ses habitudes de libéralité à l'égard des vaincus, Charles VII fit distribuer un écu à chacun d'eux, et, pour protéger leur embarquement, les lit accompagner par ses hérauts, officiers d'armes et gens de guerre[97].

Il ne restait que deux places à soumettre : Rions et Bénauges, Comprises dans la capitulation de Cadillac, avaient refusé d'ouvrir leurs portes. Ce n'étaient point les Anglais qui résistaient ainsi, c'étaient les Gascons. Il y eut même des rixes entre Anglais et Gascons. Charles VII, dédaignant d'employer la force pour triompher de cette opposition, fit bloquer étroitement les deux forteresses : prises par la famine, elles durent se rendre[98].

Le Roi ne fit point aux Bordelais l'honneur d'entrer dans leurs murs. Quand le dernier Anglais eut disparu du sol de la Guyenne, il partit pour Lusignan, d'où il regagna Montils-les-Tours, laissant, pour présider au gouvernement de la province, le comte de Clermont, assisté de Jean Bureau et de Théodore de Valpergue.

En moins de cinq mois la seconde conquête avait été opérée. Ce grand résultat, si brillamment obtenu, et auquel Charles VII avait pris une notable part, fut célébré par des réjouissances publiques. Une des premières médailles qui aient été frappées est consacrée à en perpétuer le souvenir. On y voit, au droit, Charles VII armé en guerre, l'épée nue, au galop de sa monture ; sur le revers, le Roi est assis en majesté, tenant l'épée d'une main et le sceptre de l'autre. La légende du revers est ainsi conçue :

REGNA PATER POSSIDENS, IN PACEQUE LILIA TENENS

HOSTIBUS FUGATIS, REX, VIVUS, SEPTIME REGNANS

KAROLE, FEROX REBELLIBUS, SUBDITIS EQUUS,

ERGA TUOS JUSTUS, IN HOSTIS FORTIS ET VERAX[99].

L'œuvre commencée par Jeanne d'Arc, dont le Roi poursuivait alors la réhabilitation auprès de la cour de Rome, était heureusement et définitivement accomplie : les Anglais étaient boutés hors de toute France. Charles VII avait bien mérité ce surnom de victorieux que la reconnaissance publique lui décerna, et qui a été consacré par la postérité.

 

 

 



[1] Par le traité du 12 juin 1451, le Roi avait promis de maintenir les habitants de la Guyenne dans leurs franchises, privilèges, libertez, statuts, loix, coustumes, establisemons, stiles, observances et usances, de les garder de tort et de force, de soy mesure et de tous autres, laissant pleine liberté à ceux qui ne voudraient pas lui prêter serment de se retirer où ils voudraient, tout en conservant la possession de leurs biens ; il avait donné à tous abolition generale de tous cas civils et criminels ; à ceux qui resteraient, il avait accordé une entière liberté commerciale, l'exemption de tout service militaire, de toutes contributions, du logement des gens de guerre ; ses officiers étaient tenus de piéter serment de maintenir les privilèges de Bordeaux ; défense serait faite à son procureur qu'il ne vexe ou travaille aucuns des habitans d'icelle ville et du pays sans requeste de partie et sans qu'il y ait auparavant due et convenable information faicte.

[2] Pierre de Montferrant, soudic de la Trau ; Gaillard de Durfort, seigneur de Duras ; Jean de la Lande ; Jean, seigneur d'Anglade ; Bernard Angevin, seigneur de Rauzan, et plusieurs autres étaient pensionnés sur le trésor royal. Voir Troisième complu de Mathieu Beauvarlet, dans le ms. 685 du Cabinet des titres, f. 154 v°.

[3] M. Ribadieu, dans son Histoire de la conquête de la Guyenne, cite (p. 260 et suivantes) de nombreux actes rendus, en 1451 et 1452 par le gouvernement anglais en faveur du Captal de Buch, de son fils le comte de Candale, de Bernard Angevin et de nombreux seigneurs ou bourgeois. Cf. Mathieu d'Escouchy, t. I, p. 413.

[4] Thomas Basin, t. I, p. 256-258.

[5] La députation trouva le Roi à Bourges. Or, l'itinéraire de Charles VII nous montre qu'il était à Mehun-sur-Yèvre dès le commencement de juillet 1452.

[6] Thomas Basin, t. I, p. 258-259.

[7] Voici la clause du traité du 12 juin 1451, relative aux gens de guerre : Si le Roy laisse aucunes gens d'armes en ladicte cité et ville de Bourdeaulx et païs de Guyenne Peur la seureté, garde et deffense d'iceulx, il les payera de leurs gages.

[8] Thomas Basin, t. I, p. 259.

[9] Le mandement du comte de Clermont est daté de Libourne le 21 août ; le texte que nous avons sous les yeux est adressé au soudic de la Trau, seigneur de Lesparre, ou à son capitaine audit lieu. (Pièces originales, 1657 : LATRAC.) Le seigneur de Lesparre dont il est ici question n'était pas Pierre de Montferrant, mais Amanieu d'Albret, seigneur d'Orval, auquel la seigneurie de Lesparre avait été donnée par lettres du mois d'août 1450.

[10] Il est appelé Dominus Petrus de Tastasio dans la Relation latine de la conquête de Guyenne publiée par M. Barckausen (Archives historiques du département de la Gironde, t. XII, p. 343), et Pierre de Tastar dans des lettres de Henri VI du 9 janvier 1454 (Bréquigny, 83, f. 43).

[11] Le seigneur de Lesparre avait épousé une fille naturelle du duc de Bedford.

[12] Mathieu d'Escouchy, t. II, p, 28-29 ; Chartier, t. II, p. 330-331 ; Th. Basin, t. p. 260-261 ; Berry, p. 468.

[13] Voir la savante introduction placée par M. J. Gairdner en tête des Paston Letters, t. I, p. LXII et suivantes.

[14] Voir plus haut, chapitre II.

[15] Lettres de Henri VI du 27 juin 1152 : nomination de Talbot (Carte, Rôles gascons, t. II, p. 328).

[16] Voir ses provisions de lieutenant (1er septembre), et les pouvoirs qui lui furent donnés (2 septembre), dans Bréquigny vol. 33, et dans Rymer, t. V, part. II, p. 42.

[17] Talbot avait alors environ quatre-vingts ans.

[18] La Relation latine citée plus haut place le débarquement au 4 octobre, l'arrivée devant Bordeaux au 14, et l'occupation de la ville au 15.

[19] Ribadieu, l. c., p. 272.

[20] Ribadieu, l. c., p. 272-273.

[21] Mathieu d'Escouchy raconte (t. I, p. 413 et suivantes) que le comte de Clermont et plusieurs capitaines, attirés dans un guet-apens par les seigneurs gascons qui étaient de connivence avec les Anglais, faillirent être pris par Talbot entre Macau et Bordeaux, et parvinrent à grand'peine à gagner Bourg.

[22] Coëtivy, fait prisonnier par Berthodet de Rivière et Louis de Bretails, fut emmené en Angleterre, avec ses capitaines, en compagnie de plusieurs seigneurs gascons et du sous-maire de Bordeaux, Jean du Puy de Fou, restés fidèles à leurs serments ; il y demeura jusqu'en 1457 (Ribadieu, p. 277-279 ; Stevenson, t. II, p. 407 et suivantes). — Sur la connivence des Bordelais, voir l'enquête faite en février 1454, dans Le Grand, vol. IV, f° 26. — On a une quittance de 4.500 l., donnée par Saintrailles le 27 mars 1453, pour le paiement de ses gens et pour moy aider à racheter de prison et remectre sus mes gens qui ont esté prins par les Anglois à la prinse de Bordeaux. Pièces originales, 2356 : POTON, n° 24.

[23] Il fut accueilli comme un vice-roi. On l'appela le roi Talbot, et c'est ainsi, dit M. Ribadieu (p. 282), que l'appellent encore dans leurs légendes les paysans du Médoc et les riverains des deux fleuves.

[24] Chartier, t. II, p. 332-33 ; Th. Basin, t. I, p. 261. On voit par le Troisième compte de Beauvarlet (l. c., p. 166 v°) que le Roi avait envoyé en octobre Boniface de Valpergue pour pourvoir à la sûreté de Blaye. — Les Anglais se répandirent aussitôt dans toute la contrée et la ravagèrent : on voit par une lettre de rémission (octobre 1453, Archives, JJ in, n° 4) que, vers le 10 novembre, ils vinrent courir en la paroisse de Xanxains, près de Ribérac (Dordogne).

[25] Lettres de provision en date du 27 mars 1452. Ms. fr. 5909, f. 223 v°.

[26] Deuxième compte de Beauvarlet, f. 150 v°.

[27] Le 22 septembre, à Caen, Richement ordonnait au vicomte d'Ange d'assembler des troupes pour s'opposer à une invasion anglaise. British Museum, Additional Charters, 12422.

[28] Mémoire présenté au Roi par le bailli de Caux Havart. Ms. fr. 18442, f. 144 (éd. Cosneau, l. c., p. 644) ; documents divers dans Cosneau, p. 645.

[29] Non est proinde consternatus animo, sed magnanimiter casum adversum ferens, statim de remedio apponendo cogitavit. Th. Basin, p. 262. — Comme prudent et saige n'en fist oncq semblant ne chière plus marrie, ainçois et en toute haste manda gens d'armes de toutes pars. Histoire de Gaston de Foix, f. 71 v°.

[30] Voir Mathieu d'Escouchy, t. II, p. 31.

[31] Au mois de novembre 1452, Jean de la Cardelle, prévôt de l'hôtel, fut envoyé de Moulins en Auvergne pour faire déloger certains gens de guerre qui y étaient ; Pierre de pannetier du Roi, fut envoyé à Bergerac et aux environs pour mettre ordre aux gens de guerre ; Jean de Lizac, huissier d'armes, fut envoyé en Lyonnais (Compte Beauvarlet, f. 166 v° et suivants). — Par lettres du 8 janvier 1453, le Roi donnait commission pour demander aux États de Languedoc une somme de cent mille francs (Ms. fr. 20409, f. 11). Dans l'impossibilité où l'on était de faire de l'argent à bref délai, des emprunts furent contractés (Archives, K 69, n° 105 ; Ms. fr. 26081, n° 6560 ; Fontanieu, 421-22). Une somme de quatre mille quatre cents livres fut, par lettre du 3 mars 1453, imposée en sus de la taille, dans les pays de Languedoil, pour l'achat de quatre cents brigandines (Ms. fr. 21426, f. 14).

[32] On voit par des lettres de Charles VII, en date dés 17 février et 22 juin 1453, que les  nobles du royaume et autres, tenant fief et arrière-fief, avaient été mandés (Ms. fr. 5909, f. 233 et 238 v°). Le 2 janvier 1453, Charles VII donnait ordre au sénéchal de Limousin de lever des troupes destinées à tenir tête aux Anglais, tant en nostre pays de Guyenne où nagueres sont venus et descendus et en icelui prins nostre cité de Bourdeaux et autres villes et places d'environ, qui en noz pays et duchié de Normandie. (Document extrait des archives des Basses-Pyrénées, publié dans la Revue des sociétés savantes, en 1877, t. VI, p. 311.) On nomme des commissaires pour la levée des francs-archers. Jean de Meauze, écuyer, seigneur de Maugouverne, capitaine des francs-archers de Touraine, reçoit 100 l. pour se mettre en équipage (Quatrième compte de Beauvarlet, f. 165 v° et 166). — Au mois d'avril, Jean Tibergeau va chercher cent hommes d'armes et deux cents archers que le duc de Bretagne avait promis au Roi. De son côté, Tanguy du Chastel, écuyer d'écurie, va en Bretagne, pour avoir le navire dudit pays. (Id., f. 166 v°.)

[33] Chartier, t. III, p. 333. — Le 30 janvier 1453, un mandement de Henri VI ordonnait le paiement des troupes qui devaient partir sous les ordres de Jean, vicomte Lisle. Stevenson, t. II, p. 479. Cf. lettres du 17 février, dans Lettres des Rois, etc. ; t. II, p. 481, et documents publiés par Stevenson, t. II, p. 486 et 491.

[34] Chartier, t. III, p. 333.

[35] L'Histoire de Gaston de Foix nomme ici Jacques de Chabannes ; mais Chabannes était au troisième corps, que nous verrons plus loin opérer sur la Dordogne. La présence à ravinée du comte de Fois du sire de Culant, qui avait été récemment convaincu de malversations, et disgracié, nous paraît fort douteuse. — Il y avait aussi dans l'armée royale des seigneurs gascons : les comptes nous apprennent (ms. 685 du Cabinet des f. 165 v°) qu'Aimery de Durfort, seigneur de Duras, reçut du Roi un harnais, au mois de juin.

[36] Ce fait est mentionné dans le Troisième compte de Mathieu Beauvarlet, où on lit ce passage : Jacques de la Jude, escuier, lequel fut le premier qui entra dedans Saint-Sever quant la place fut reduile en l'obeissance du Roy, VIxx XVII l. X s. en avril. Le compte est de l'année 1452-53 et va du 1er octobre au 30 septembre. Le paiement eut lieu en avril 1453.

[37] Nous avons publié celle lettre dans notre Supplément aux Preuves de Mathieu d'Escouchy, p. 33. Cf. Histoire de Gaston de Foix, f. 72 v°.

[38] Histoire de Gaston de Foix, f. 72 v°.

[39] Sy pensa en soy mêmes qu'il estoit mieulx proye pour noz gens que noz gens n'estoient pour luy, et qu'ils estoient trop puissans. Histoire de Gaston de Foix, 73.

[40] Tous ces faits ne se trouvent relatés que dans l'Histoire de Gaston de Foix. — Le Roi était tenu au courant de toutes les opérations : Jehan de la Tonnière, homme d'armes de la compagnie du seigneur (sic) de Clermont, XXVII l. X s. en juin pour les nouvelles de la guerre de Guyenne, et autant en juillet. (Quatrième compte de Beauvarlet, f. 165 v°.) Par lettres du 27 juillet, les généraux des finances ordonnaient le paiement de 1.200 l. t. à Jean de Narbonne, qui avait présidé à l'envoi d'une somme de dix mille francs de Montpellier à Toulouse, pour le paiement des comtes de Foix et d'Armagnac et du seigneur d'Albret et de leurs gens, et avoir apporté les nouvelles de la course et autres bons exploiz de guerre faix par Mgr le conte de Clermont et ceulx de sa compaignie au païs de Medoc. (Ms. fr. 26081, n° 6589.)

[41] Dès le début se manifesta le caractère de la nouvelle campagne : on ne fit aucune merci aux seigneurs gascons pris les armes à la main ; ils furent exécutés, tandis que les Anglais furent mis à rançon. Mathieu d'Escouchy, t. II, p. 31 ; Chartier, t. II, p. 334. — Chartier donne la date du 3 juin ; la date du 12, qui parait plus vraisemblable, se trouve en variante dans un manuscrit.

[42] Mathieu d'Escouchy, t. II, p. ; Berry, p. 468. — La date est fournie par la relation latine citée plus haut.

[43] Berry et Chartier disent seize à dix-huit cents. Seul Mathieu d'Escouchy dit quatre mille, chiffre évidemment exagéré.

[44] Jean, seigneur de Bueil, est désigné dans le commentaire de Tringant comme chef de l'armée qui opérait sur la Dordogne (Jouvencel, t. II, p. 296). Jean Chartier ne fait pas de distinction entre les capitaines qui, estoient lors commissaires pour la conduite d'icelle armée et pour la mettre en bon ordre (t. III, p. 4). Le P. Anselme dit (t. V, p. 573) que le comte de Penthièvre avait été, par lettres du 19 mars 1153, nommé lieutenant général de l'armée du Roi. Nous n'avons pas rencontré ces lettres. — Pierre de Beauvau, à la tête de la compagnie du comte du Maine, avait-quitté l'armée du comte de Clermont pour prendre part à l'attaque de Castillon (Histoire de Gaston de Foix).

[45] Mathieu d'Escouchy, t. II, p. 34-35.

[46] Les seigneurs qui estoient delà la Gironde estoient grant puissance et gens à cheval et ne les trouveroit sinon à leur plaisir, et les autres ne luy pouvoient fuyr, ainsi qu'il boy sembloit. Commentaire du Jouvencel, par Guillaume Tringant, éd. du Jouvencel, t. II, p. 290. — Les défenseurs de Castillon avaient fait dire à Talbot que les Francoys qui là estoient venuz mettoyent grant peine d'eulx clorre et fortifier comme gens qui desjà avoient grant paour, et que il leur sembloit, à la contenance que ledit Francoys monstroyent, que se Talbot y voulloit venir, il les desconfiroit et en auroit si beau marché qu'il vouldroit. Histoire de Gaston de Foix.

[47] Sur la bataille de Castillon, voir Mathieu d'Escouchy, t. II, p. 35 et suivantes ; Chartier, t. III, p. 3 et suivantes ; Berry, p. 469-70 ; Th. Basin, t. I, p. 265-68 ; Æneas Sylvius, Europæ status, cap. XXXIX ; lettre du 19 juillet 1453, publiée dans la Bibliothèque de l'École des chartes, t. VIII, p. 246-247 ; un récit qu'on n'a point encore utilisé et qui se trouve dans l'Histoire de Gaston de Foix ; enfin une lettre de Charles VII, malheureusement très brève, en date du 22 juillet, que nous avons rencontrée aux archives municipales de Lyon. — Le chiffre de l'armée de Talbot nous est fourni par deux sources irrécusables : la lettre du Roi du 22 octobre et la lettre sur la bataille en date du 19. Les chroniqueurs varient dans leur évaluation : huit Cents à mille combattants à cheval et quatre à cinq mille hommes de pied (Berry et Chartier) ; sept à huit mille combattants (Histoire de Gaston de Foix) ; huit à dix mille combattants (Mathieu d'Escouchy) ; plus de dix mille (Thomas Basin). Ce qui parait certain, c'est que les Français étaient inférieurs en nombre aux Anglais ; cela résulte du passage suivant du Jouvencel (t. II, p. 65) : A Castillon en Pierregort, les Angloys, beaucoup plus grande puissance que les Francoys, marcheront et allerent requerir les Francoys jusques en leur champ, etc.

[48] Et à leur venue, maigre Jehan Bureau, avecques ses pionniers, fist cloire ung champ grant et spacieux, très bien clos et advironné de larges et protons fossez ; et oudit champ il fist mettre tout le bagaige et l'artillerie. (Histoire de Gaston de Foix, f. 73 v°.) — Voir la description donnée par M. Leo Drouyn dans son savant ouvrage : La Guienne militaire (t. II, p. 99), description accompagnée d'un plan dressé sur les lieux mêmes en juillet 1862.

[49] Ce camp était à dix-huit cents mètres environ de l'abbaye.

[50] Tous les Français se trouvèrent ainsi rassemblés dans le camp : En petit de heure, tout s'y trouva pour illec vivre ou mourir ensemble, dit l'Histoire de Gaston de Foix.

[51] Beuvoient dedans avec leurs salades comme en beau let. Histoire de Gaston de Foix.

[52] Et pour ce que ladicte escarmouche avoit esté faicte sy matin que encores icellui iselneur de Tallehot n'avoit pas oy la messe, un chapellain se prepara de illec chanter a messe. (Math. d'Escouchy, t. II, p. 38.) Tous les chroniqueurs sont unanimes à dire que l'action fut engagée de très bonne heure ; aussi est-ce avec surprise que nous lisons dans la lettre du Roi que les Anglais vindrent environ neuf heures du matin pour secourir la place de Castillon.

[53] Les Français avaient mis pied à terre et renvoyé les chevaux hors du camp ; un nuage de poussière s'éleva sur leur passage et fit croire à l'évacuation du camp. Thomas Basin, t. I, p. 263 ; Chronique Martinienne, f. 295.

[54] Les Anglais avaient dix à douze bannières déployées (Histoire de Gaston de Foix). Plusieurs étendards étaient chargés d'inscriptions et devises injurieuses au mespris et desdain des bons François (Chartier).

[55] On dit que c'est au moyen de ce subterfuge que Talbot se mit en règle avec sa conscience : il ne crut pas violer ainsi le serment qu'il avait prêté de ne point porter les armes contre Charles VII (Voir Du Clercq, p. 77). Mais cette casaque était, une brigandine (Mathieu d'Escouchy, t. I, p. 41), c'est-à-dire un vêtement de toile épaisse ou résistante ou de cuir, sur lequel étaient clouées des écailles de fer... recouvertes d'une autre toile épaisse servant de doublure à la dernière étoffe extérieure qui était en drap, en velours ou en soie. (René de Belleval, Du Costume militaire des Français en 1446, p. 62 et suivantes. Cf. Victor Gay, Glossaire archéologique du moyen âge et de la renaissance, au mot BRICANDINE.) On ne peut donc dire que Talbot n'estoit point armé. Il faut ajouter qu'il résulte des témoignages contemporains que Talbot n'avait fait que pour une année le serment de ne point porter les armes contre la France. — Sur la prétendue brigandine de Talbot conservée au château d'Amboise, voir Belleval et V. Gay, et un article de M. Le Roux de Lincy dans la Bibliothèque de l'École des chartes, t. IX, p. 418.

[56] Thomas Basin le nomme : il s'appelait Thomas Evringham.

[57] On lit dans l'Histoire de Gaston de Foix : Et feit un grant [tort] aux Angloys ce que leurs gens de pié ne peurent pas tous venir si tost que ceulx de cheval ; et pour ce qu'ilz estoient fort armez, ilz venoient las et hors d'alaine ; et à la mesure qu'ilz arrivoient les Françoys en tuoient tant qu'ilz voulloient.

[58] Les fossés du camp avaient été disposés de telle façon que de quelque côté que l'ennemi se présentât, il était foudroyé de plusieurs points à la fois, dit M. Leo Drouyn (la Guienne militaire, l. c.), qui ajoute qu'il a parfaitement reconnu, en 1862, la trace de ces fossés, lesquels, comblés qu'ils étaient par les propriétaires riverains, tendaient dès lois à disparaitre.

[59] L'Histoire de Gaston de Foix dit que Pierre de Beauvau, avec les gens du comte du Maine, faisait partie de ce corps d'armée.

[60] Jean Chartier, t. III, p. 6.

[61] Voir le traité rapporté par Æneas Sylvius et cité par nous dans notre édition de Mathieu d'Escouchy, t. II, p. 41, note.

[62] C'est un Breton, Olivier Giffart, qui eut l'honneur de s'emparer de la bannière de Talbot. Fragment intitulé : la destrousse de Talebot, dans un manuscrit de la Bibliothèque Sainte-Geneviève (Histoire, Lf 2, f. 131) ; cf. Quicherat, édit. de Thomas Basin, t. I, p. 269, note.

[63] Et ne sariés ymaginer ne penser la grande desconfiture et le crit qui lors fut entre lesdiz Anglois. Lettre du 19 juillet.

[64] Il résulte de la lettre du Roi que des navires amenèrent par la Dordogne une partie de l'armée ; elle parle des Anglais qui se sauvèrent en leurs navires.

[65] Car nul n'estoit retenu prisonnier. (Lettre du 19 juillet.) Pourtant l'Histoire de Gaston de Foix dit : Et de prisonniers il y en eult bien de sept à huit cens. Et on lit dans la lettre du Roi : Et beaucoup de prisonniers, desquels on n'a encores peu bonnement savoir le nombre.

[66] Traité de reddition, en date du 21 juillet. Voir Ordonnances, t. XIV, p. 280.

[67] C'est dans cette ville que, dès le 23, il ordonna de faire une enquête sur certains incidents qui s'étaient produits à la prise de Castillon et qui avaient causé parmi ses capitaines une vive émotion. Voir Ms. fr. 18442, f. 46 (document publié en partie par le P. Daniel, Histoire de la milice françoise, t. I, p. 446, et intégralement dans notre Supplément aux Preuves de Mathieu d'Escouchy, p. 34) ; Du Chesne, 108, f. 35 et suivants.

[68] Lettres des généraux des finances en date du 9 août 1453, ordonnant le paiement de 6 l. t. à Pierre de la Place, chevaucheur de l'écurie du Roi, pour le deffrayer de partie de sa despense qu'il a faicte à nous apporter en ceste ville de Montpellier lettres closes dudit seigneur touchant les bonnes nouvelles de la desconfiture nagueres faicte sur les Anglois devant la place de Castillon en Peuregort, où le sire de Talebot et plusieurs autres seigneurs d'Angleterre en grand nombre avoyent esté tuez et autres prias prisonniers, lesquelles nouvelles ledit seigneur fait savoir par tout son royaume pour en faire rendre graces à Dieu et fere solemnitez ès eglises ainsi que bien faire se doit. (Ms. fr. 26081, n° 6592.) — Les registres de délibération de Compiègne mentionnent les notables processions faites, à partir du 15 juillet, pour la prosperité du Roy et la desconfiture de Talebot et autres Anglois en Bordelois. (Bibliothèque de l'École des chartes, t. XXIV, 496.)

[69] Chartier, t. III, p. 11-12 ; Berry, p. 470. — M. Ribadieu paraît avoir exagéré les ravages qu'aurait faits l'armée du comte de Clermont. Voir p. 320 et suivantes.

[70] Le 20 juillet, elle était livrée au comte de Foix. Lettres du comte en date de ce jour, citées plus loin.

[71] Berry ; Chartier.

[72] La date est fixée par une lettre du Roi au chancelier Jouvenel et au sire de Torcy, publiée dans notre Supplément aux preuves de Math. d'Escouchy, p. 37. Cf. Berry, p. 471.

[73] Ce château fort se trouvait sur la hauteur qui sépare Bassens et Ambarès ; on y voit encore les douves et un endroit qu'on appelle la place de Montferrand ; mais les ruines en ont servi à construire le château de Beauval, le bourg de Bassons et le Carbon-Blanc, qui fut commencé en 1500. L'abbé O'Reilly, Histoire complète de Bordeaux, 2e édit., t. II, p. 31 note ; cf. p. 62, et Ribadieu, les Châteaux de la Gironde, p. 328.

[74] Voir Bordeaux vers 1450, par M. Leo Drouyn. Bordeaux, 1874, in-4°.

[75] Voir Favre, Introduction biographique au Jouvencel, l. c., p. CCVI.

[76] Voir Favre, Introduction biographique au Jouvencel, l. c., p. CCVII.

[77] Cy ensuit ce que le seigneur de Camoys demande à ceulx de la cité de Bordeaulx, qu'il leur a loyaument preslé à la propre requeste, et dont le conseil, tant pour le Roy son souverain seigneur que ceulx qui estoient esleuz pour gouverner la cité, lui promisdrent loyaument rembourser sans en avoir aucun domaige. Document sans date, Copie du temps, dans Du Chesne, 108, f. 31-33.

[78] Ilz respondirent tous à une voix, crians piteusement, qu'ilz avoient plus cher morir que venir à ladicte subgeccion du Roy. Document sans date, Copie du temps, dans Du Chesne, 108, f. 31-33.

[79] Ilz respondirent qu'ilz avaient esleu ledit sire de Camoys leur gouverneur et encuves eslisoient, et lui priaient humblement de ordonner tout ce qui lui semblerait bon, tant ett fortifficacions comme de trouver facon d'entretenir les gens d'armes, par quoy resistacion peust astre faicte contre le Roy. Document sans date, Copie du temps, dans Du Chesne, 108, f. 31-33.

[80] On n'avait pas attendu cet appel désespéré des Bordelais pour préparer l'envoi de nouveaux secours. Durant les mois de juillet et d'août, on s'occupait de faire partir une armée dont lord Bonville devait être le chef. Voir Proceedings and ordinances, t. VI, p. 143, 151 et suivantes ; Stevenson, t. II, p. 481-492.

[81] La dépense s'éleva à 17.600 francs : somme que ledit seigneur de Camoys a mis à la requeste des trois estaz du pais de Guienne, qui se mente la somme de XVIIm VIc fr., monnoye de Bordelais.

[82] Par lettres du 20 juillet, le comte de Foix donnait des lettres d'abolition à Gaston de Lila, chevalier, seigneur de L'Isle et de la Rivière, en considération de ce qu'il avait remis Castelnau aux mains du comte, ainsi que d'autres places, et aussi qu'il a faiz à mon dit seigneur (le Roi) et à nous plusieurs services et advertissemens prouffitables touchant le fait de la conqueste dudit pays. Archives, JJ 182, n° 14.

[83] Jean Chartier dit que le Roi se trouva en personne à l'assaut de Cadillac : Le dix-huitième (al. 27 et 28) jour dudit mois de juillet, le Roy en personne, et son ost, assaillirent ladite place de Cadillac, laquelle d'abord fut prinse et emportée d'assault. Ainsi s'exprime le chroniqueur officiel (t. III, p. 14), et la chose semblerait ne pouvoir être contestée. Mais, d'abord, l'itinéraire du Roi nous le montre les 18, 27 ou 28 juillet (jours indiqués par les différentes variantes) à La Rochefoucauld ou à Angoulême. D'un autre côté, il est constant que l'assaut ne fut livré qu'après plusieurs semaines de siège, et le 19 septembre seulement (Math. d'Escouchy, t. II, p. 64). Enfin, on voit par les détails de la capitulation qu'au moment de l'assaut Charles VII était devant Bordeaux (Id., ibid.). Une chronique un peu postérieure (cotée L 354, à la Bibl. nationale) dit : A la prise d'aucunes places fut le Roi présent, car il estoit tiré en Angolesme et de là audit pais de Bordeloys. Enfin, voici ce qu'on lit à ce sujet dans les comptes du temps : Pierre de Dinteville, escuyer, pannetier du Roy, XXV l. qu'il avoit donné du sien et IIIIxx VI l. en septembre pour avoir descouvert les chemins entre Genissac et Saint-Macaire, neuf lieues de pays, et de Saint-Macaire au siège de Cadillac, affin que le Roy, bagues, chariots et sommiers de son hostel y peussent passer aysement sans danger, et pour eschelles faites pour l'assaut dudit Cadillac. — Jehan de Sommelon, escuyer, seigneur dudit lieu, LVIII l. XV s. en septembre pour avoir conduit le Roy et douze arbalestriers et une bombarde depuis Tarbe (?) jusques au siège devant Cadillac. Quatrième compte de Beauvarlet, f. 162 et 165 v°.

[84] Le Jouvencel, t. I, p. 31. — Tant comme le siège dura à Cadillac, le Roy fut à Montferrant et à Saint-Macaire, allant et venant de l'un à l'autre, pour tousjours reconforter ses gens tant ceux qui tenoient le siège que ceux de la Bastille et du navire... Et en verité le Roy notre souverain seigneur y travailla et peina grandement, en reconfortant et ordonnant le fait de son ost et de son armée, en allant de place en place, en mandant et commandant à ses armées et compagnies ce qu'ils avoient à faire. Berry, p. 471 et 472. Cf. Martial d'Auvergne, t. II, p. 154.

[85] Mathieu d'Escouchy, t. II, p. 67. — Par lettres données à Saint-Macaire, au mois de septembre, Charles VII confirma le traité et reddition de Bénauges, en date du 25 septembre. Ordonnances, t. XIV, p. 262.

[86] Mathieu d'Escouchy, t. II, p. 56 ; Histoire de Gaston de Foix.

[87] La mortalité estoit très grant en nostre est par terre et encores plus ou navire, qui estoit chose de très grant esbahissement à toutes manières de gens. Lettre de Charles VII en date du 28 octobre.

[88] La mort de Jacques de Chabannes mit fin à un différend qui s'était élevé entre lui et Jean de Bueil, relativement au rôle joué par eux à Castillon, chacun s'attribuant l'honneur de la victoire. Voir l'Introduction biographique de M. Favre au Jouvencel, p. CCII et suivantes. — Parmi les documents inventoriés à Tours au commencement du règne de Louis XI (Ms. fr. 2899, f. 81), se trouvait l'informacion sur la bataille de Castilhon.

[89] Mathieu d'Escouchy, t. II, p. 71.

[90] Mathieu d'Escouchy, t. II, p. 71.

[91] Mathieu d'Escouchy, t. II, p. 72 et 79. La date du 8 octobre, donnée par le chroniqueur, ne peut se concilier avec les faits : le traité d'évacuation fut signé le 8.

[92] Certaines des stipulations devaient recevoir dès le 6 octobre leur exécution, à moins qu'il ne faille lire XVIe au lieu de VIe dans le texte, dont nous n'avons qu'une copie non authentique.

[93] Ce traité ne se trouve que dans le ms. fr. 5909, f. 243, et encore incomplet. Il a été publié pour la première fois dans l'édition du Jouvencel, t. II, p. 364.

[94] Mathieu d'Escouchy, l. c.

[95] Ces lettres se trouvent, en copie du temps, dans le registre X1a 8605, f. 179, aux Archives nationales, et à la Bibliothèque nationale, dans le ms. fr. 5909, f. 241 v°, et dans Du Chesne, 108, f. 45 ; elles ont été publiées dans le recueil des Ordonnances, t. XIV, p. 271 note.

[96] C'est ce qui est établi par une circulaire du Roi, en date du 28 octobre, que l'on trouvera aux Pièces justificatives. On remarquera la parfaite conformité du récit de Mathieu d'Escouchy avec cette source officielle (voir t. II, p. 76).

[97] Mathieu d'Escouchy, t. II, p. 77.

[98] Mathieu d'Escouchy, t. II, p. 78.

[99] Voir le curieux mémoire de M. Vallet de Viriville : Notice historique sur la médaille frappée à la monnaie de Paris en souvenir de l'expulsion des Anglais de 1415 à 1460. Paris, s. d. (1867), gr. in-8° de 53 pages. — L'auteur y décrit huit types différents. Le premier type fut frappé en 1451, après la première campagne de Guyenne. L'exergue porte :

OYANT JE FV FAIT SANS DIFERANCE

AV PRVDENT ROI AMI DE DIEV

ON OBEISSOIT PARTOVT EN FRANCE

FORS A CALAIS QVI EST FORT LIEV.

Un autre type, qui parait être de 1454, offre l'exergue suivant :

GLORIA, PAX, TIBI SIT, REX KAROLE, LAVSQUE PERENNIS :

REGNUM FRANCORUM TANTO DISCRIMINE LABIENS,

HOSTILI RABIE VICTA VIRTVTE REFORMANS,

CHRISTI CONSILIO LEGIS ET AUXILIO.

Il est intéressant de remarquer que ces médailles étaient frappées, à un grand nombre d'exemplaires, en or, en argent, en cuivre doré, et qu'elles se répandaient ainsi, non seulement parmi les seigneurs de la cour et les capitaines, mais parmi les simples archers. C'était comme une sorte de médaille militaire qu'on portait sur le pectoral de l'armure ou sur la salade, et qui se conservait ensuite dans les familles.