HISTOIRE DE CHARLES VII

LIVRE II. — LE ROI DE BOURGES - 1422-1435

 

NOTES SUPPLÉMENTAIRES.

 

 

I

Le Meurtre de Montereau

 

Nous ne pensions pas avoir à revenir sur le tragique épisode qui a été longuement raconté dans notre premier volume. Mais une communication qui nous a été faite récemment rend une note supplémentaire nécessaire.

Au mois de mai dernier, M. Sandret, directeur de la Revue d'histoire nobiliaire, qui, depuis bien des années, s'occupe du dépouillement des archives de M. le duc de la Trémoille, nous signala l'existence, dans ce riche dépôt, d'une pièce qu'il venait de rencontrer et qui était relative à Robert Le Maçon. Le duc de la Trémoille, avec son obligeance et sa libéralité habituelles, voulut bien la mettre à notre disposition.

Cette pièce est un Vidimus original, sur parchemin, portant la date du 30 juillet 1426. Ce Vidimus contient plusieurs documents, qui tous ont pour objet, de décharger, de près ou de loin, l'ancien chancelier du Dauphin de toute participation au meurtre de Montereau. Ils sont au nombre de quatre : 1° des lettres patentes de Charles VII, du 22 février 1426 ; 2° des lettres de Tanguy du Chastel, du 16 juillet 1425 ; 3° des lettres de Jean Louvet, président de Provence, du 2 juillet 1426 ; 4° un instrument notarié, du 18 juillet 1426, contenant une déposition faite par Jean de Poitiers, évêque de Valence.

Ce Vidimus, que nous allons reproduire in extenso, appelle quelques observations préalables.

Et tout d'abord, il est malaisé de s'expliquer comment, dans un document notarié et ayant par conséquent un caractère public, tout en voulant dégager la responsabilité du chancelier du Dauphin, on accuse de la façon la plus grave le gouvernement et la personne même du prince, et cela dans un moment où il importait tant de ne pas compromettre Charles VII auprès du duc de Bourgogne, puisque les négociations entamées sous les auspices du comte de Richemont et du duc de Bretagne se poursuivaient encore.

Il est fort étrange que le Roi délivre, par lettres patentes, à l'un de ses conseillers, un certificat ayant pour but d'établir sa non participation au meurtre de Jean sans Peur, et que, dans ces lettres, il déclare ne savoir oncques qu'il fust consentant, complice ou coulpable de ladicte mort, ni qu'il lui la eût conseillée directement ou indirectement ; car il semblait ainsi reconnaître que d'autres conseillers l'avaient poussé à se défaire, par un assassinat, de la personne du feu duc, et il les désignait par là même à la vindicte du duc Philippe.

Il n'est pas moins singulier que, dès le mois de juillet 1425, alors que Tanguy du Chastel était encore à la Cour, à la veille de se retirer dans le midi, Robert Le Maçon eût songé à prendre ses précautions en se faisant délivrer par lui un certificat, et que, dans ce certificat, il soit constaté que, non seulement il y eut un complot — auquel le chancelier était resté étranger — pour enlever la vie à Jean sans peur, mais qu'il ne tint qu'au chancelier et à Tanguy que le coup n'eût été tenté lors de la seconde entrevue qui précéda, au mois de juillet 1419, le traité de Pouilly.

On se demande également comment Jean Louvet, l'ennemi déclaré du chancelier, qui, dans sa haine, le poursuivait ainsi de ses accusations, put être amené à donner en sa faveur les lettres de décharge portant la date du 2 juillet 1426.

Enfin, il est difficile de s'expliquer l'insistance avec laquelle l'évêque de Valence, dans sa déposition, cherche à établir, contrairement au témoignage d'un grave historien du temps (Jouvenel des Ursins) que Robert Le Maçon n'assista point à l'entrevue du 10 septembre ; car le récit qu'il fait tendrait à prouver, non seulement que le meurtre fut prémédité, mais que le Dauphin n'ignora point le complot, et que s'il n'y donna point un assentiment formel, il laissa faire ceux qui en étalent les promoteurs

Aussi des érudits, auxquels nous avons communiqué ce document, se sont-ils demandé si son authenticité ne pouvait être mise en doute.

L'examen de la pièce, aussi bien que sa provenance, suffisent pour écarter toute supposition de fabrication au point de vue extrinsèque.

Mais en est-il de même si l'on considère la forme intrinsèque du document ?

Au milieu de toutes les intrigues qui s'agitaient à la Cour, de la lutte entre Giac et La Trémoille qui commençait alors, à la veille de l'arrestation arbitraire de Robert Le Maçon (voir plus haut, p. 124), n'a-t-on pu, dans un but qu'il nous est impossible de déterminer, fabriquer le texte même de la pièce ? Elle porte au dos cette mention ; Vidimus des lettres servans à l'excusacion de monseigneur de Treves, pour la mort de feu monseigneur le duc Jehan de Bourgoigne. A la suite se trouve la cote de l'inventaire du chartrier de Thouars (N° XXXIIII). Comment ce Vidimus se trouve-t-il parmi les papiers de Georges de la Trémoille ? On a peine à se l'expliquer. La pièce n'est point scellée, et l'absence de queue donne lieu de supposer que le sceau n'a jamais existé. Elle porte cette signature : Bovis, qui est celle du notaire Jean Beur. Ce notaire a ajouté ces mots à la suite de sa signature : Collation est faicte avec les lettres originales ci-dessus incorporées. Tout repose donc sur la bonne foi de l'officier public, et l'attestation du notaire est, il ne faut pas l'oublier, dépourvue du sceau garantissant l'authenticité.

Ce n'est point le lieu d'entrer dans une discussion approfondie. Notre devoir était de porter à la connaissance du public un document, inconnu jusqu'à présent, qui introduit de nouveaux éléments dans le débat : c'est ce devoir que nous remplissons.

A touz ceulx que ces présentes lettres verront, Guillaume Fredet, licentié en loiz, garde du seel le Roy nostre sire estably aux contratz en la prévosté de Bourges, salut. Sachent touz que Jehan Beuf, clerc juré du Roy nostre dit seigneur et du dit seel notaire, usant de nostre auctorité et quant à ce de nous commis, nous a relaté et tesmoigné luy, le xxx jour du moys de juillet, l'an mil CCCC vint et six, avoir veu, tenu et leu de mot à mot unes lettres patente du Roy nostre dit seigneur, scellées de son scel de secret en cyre vermeille soubz double queue, saynnes et entières, contenant la forme qui s'ensuyt :

CHARLES, par la grace de Dieu Roy de France, à toux coula qui ces presentes lettres verront, salut. Nostre amé et feal conseiller Robert le Maçon, seigneur de Treves, nous a exposé que aucun ses malveillans, par hayne et de leur malte volenté, ont dit et rapporté en pluseurs lieux, contre verité, et pour lui pourchacer mal et dommage, que.ledit seigneur de Treves, au temps que il estoit nostre chancelier, avoit conseillié la mort de feu nostre cousin de Bourgoigne, et qu'il en avoit esté participant et complice, et nous avoit voulu induire à y consentir. Laquelle chose lui pourroit tourner en grant peril de sa personne et estai, dangier et charge sans cause, ores et pour le temps advenir ; et pour ce nous a humblement supplié que, comme il nous ait tousjours loyaument servi et conseillié de son povoir, et que nous soions bien acertenez que de ladicte mort il ne fut conseilleur ne complice, nous lui vueillons sur ce donner noz lettres vaillaibles à sa justiffication et descharge. Pour quoy nous, ces choses considerées, qui ne vouldrions ledit seigneur. de Treves encourir, par tels parolles et rappors d'enviex, en aucunes haynes, perilz ou dangiers, à tort et sang cause, certifiions à tous par ces presentes que ledit seigneur de Treves, durant le temps qu'il estoit nostre chancelier, et tousjours depuis, nous a conseillié loyaument et induit de son povoir à toutes choses convenables au bien de la paix de nostre royaume, et que nous ne sceusmes oncques qu'il fust consentant, complice ou coulpable de ladicte mort en aucune manière, et à icelle consentir ou vouloir ne nous induist ou conseilla directement ne indirectement oncques en sa vie ; ançois lors, par avant, et depuis, nous a tousjours conseillié et induit à tenir toutes voies convenables et à fuir les moiens dont esclandre ou turbacion se peut ensuir en nostre royaume ; et se aucun blasme ou charge lui est donné sur ce, c'est à tort et sans cause ; et que telle a tousjours esté notre estimacion et ferme creance ; et de ce avons bien memoire et souvenance, quelques rappors qui soient faiz au contraire. En tesmoign de nous avons signé ces presentes de nostre main, et à icelles fait mettre nostre seel secret, en l'absence du grant. Donné à Yssoldun le XXIIe jour de fevrier, l'an de gram mille quatre cens XXV et de nostre regne le quart. Et sont soubz scriptes en marge desoubz : Par le Roy, le conte de Foix, le mareschal de la Fayete, et le sire de Gyac, presens, et signé : MALLIERE[1].

Item, unes lettres de noble et puissant messire Tanguy du Chastel, chevalier, signées de son seign et sellée de son scel en cire vermeille et queue pendant, si comme il apparoit de prime face saynnes et entieres, contenant ceste forme :

Tanguy du Chastel, chevalier, gram maistre d'ostel du Roy, à touz ceulx qui ces presentes verront, salut. Savoir faisons que, comme nagueres messire Jehan Lovet, president de Provence, pour certaines haynes qu'il a avecques Robert le Maçon, seigneur de Treves, et jadis chancelier du Roy pour le temps qu'il estoit regent le royaume, ait dit et semé ledit Lovet en plusieurs lieux, pour donner charge audit seigneur de Treves, qu'il fut cause, consentant et participant et du conseil de fers mourir feu monseigneur de Bourgoigne, et lui ait dit, presens plusieurs, que s'il avient qu'il soit prins et accusé dudit cas, qu'il en chergeroit tous ceulx de Postel du Roy, tant les couppables que ceulx qui rien n'en savoist (sic), et que s'il mouroit vouldroit que tous ceulx de rouste et tous ses amis et anemis morissent quant et lui ; par quoy doubte ledit seigneur de Treves que parla jangle et mençongieres parolles dudit president, on l'en eust eu suspect dudit cas, en nous requerant à tres grant instance que nous lui vousissons donner certifficacion et lettre de tesmoignage de verité dudit fait, pour ly en valloir à sa seurté et des-charge ou temps à venir, cy ly en estoit fait question ou demande, Pour quoy nous, voulans tesmoigner verité dudit cas et que charche (sic) ne soit pas donnée par raison à ceulx qui pas ne la doivent avoir, certifiions à touz et par la foy et serment de nostre corps, sur l'onneur que devons à chevallerie et sur le dampnement de nostre arme (sic) que ontiques ledit Robert le Maçon, seigneur de Treves, ne fut present ne au conseil donner de la mort dudit seigneur de Bourgoigne, ainsois s'en celloit-on de lui et ne voulloit point ledit president que en nulle maniere n'en lui en touchast, pour doubte qu'il ne l'empeschat, pour ce què autreffoiz ledit president Guida faire, le Roy estant à Mellun et feu mondit seigneur de Bourgoigne estant à Corbeil, faire (sic) prendre et executer feu inondit seigneur de Bourgoigne la seconde foiz qu'il vint devers le Roy entre Mellun et Corbeil ; et de fait eust fait executer ledit cas se ledit Robert et nous ne l'efrussions lors empesché ; et durant le temps que le consail fut tenu et prins du cas dessudit, ledit Robert estoit absant et fut par l'espace de xv jours c'est assavoir au chasteau de Dient, trois lieuez pres de Montereau ou fault Yonne, avecques les evesques de Clermont et de Vallence, et ne scèust riens ne qu'il lui en eust esté rien revellé. Et ces choses nous tesmoignons et certifiions entre vrayes par les sermens dessudiz. En tesmoing desquelles nous avons signées (sic) ces presentes de notre saign manuel. Donné et escript à Mirebeau, le lundi XVIe jour de juillet l'an mil IIIIc et XXV. Ainxi signée : TANGUY.

Item, unes lettres de messire Jehan Louvet, dit president de Provence, signées de son saingn manuel et scellées de son seel en cire vermoule et queue pendant, si comme de prime face apparoit saynnes et entieres, desquelles la teneur est telle :

A tous ceux qui ces presentes verront, je Jehan Louvet, chevalier, dit président de Provence, conseiller et chambellan du Roy, certiffle par la foy et serment de mon corps et sur mon honneur, que, moy estant residamment au service du Roy, ne depuis, ne sceu oncques ne apparceu ne peu cognoistre en quelconque maniere, ne du temps de la mort feu monseigneur de Bourgoigne ne depuis, que messire Robert le Maçon, seigneur de Treves, fust en quelconque maniere %cavant ne consentant de la mort de feu monda seigneur de Bourgoigne, aynsois, sur Dieu et sur mon aine, croy tout le contraire, c'est assavoir tiens qu'il en est du tout innocent. Et en tesmoign de ce ay ceste presente signée de ma main et scellée du seel de mes armes. A Saint Andry les Avignon, le second jour de juillet l'an mil nue vint et six. Ainsi signée : J. LOUVET.

Item, unes lettres ou public instrument signées du saign manuel de noble et reverend pere en Dieu messire Jehan, evesque de Valence et Dyoiz, et seelée de son seel en cire vermoule et queue double, si comme il apparoit de prime face, receues par maistre Hervé de Fresnoy, notaire public, apostolic, real et imperial, signé de son saign et subscription, saynnes et entleres, contenant ceste forme :

In nomine Domini, amen. Per hoc publicum instrunaentum cunctis patent evidenter quod, anno a nativitate ejusdem Domini millesimo quadringentesimo vicesimo sexto, mensis vero julii, die decima octave, indictione quarta pontifIcatus sanctissimi patris et domini nostri Martini, divine providentia Pape quinti, anno nono, regnique cristianissimi ac serenissimi principis domini nostri Francorum Regis Karoli septimi nunc regnantis anno quarto, in mei notarii publici et testium infrascriptorum,presencia personaliter constitutis, reverendo in Christo patri et domino Johanne de Pictavis, episcopo Vaientinensis, ex una, et. egregio magnificoque domino Roberto Lathomi, domino de Treveriis, èx alteris partibus, prefati domini nostri Regis consiliarti. Is dominus de Treveriis moleste referens quod cum nonnulli ejus emuli et malivoli moliantur sibi imputare onus quod fuerit in causa concensiens et participons factionis necis illustrissimi principis Johannis Burgundie duels ultimo vita functi, et quod tempore casus illius necis ipse erat cancellarius predicti domini nostri Francorum Regis presentis, tune Dalphini Viennensis et regnum Regentis, et assistebat in ipsius domini nostri Regis comitiva durci accidit casus ille ; asserens per suum juramentum nitro prestitum se fuisse et esse insontem et prorsus innocentera de ipso casu, nec presentem extitisse ad hujus modi casum tractandum aut consulendum, neque gratum aut ratura habuisse quoquomodo ; quinymo quod primum suarn pervenit ad noticiam, Inde contristantem pariter et dolentem, requisilt propterea ipse dominus de Treveriis prefatum dominum episcopum Valentinensis cum maxima instancia, quia tempore prelibate necis una conversabantur et simul hospitati erant, de suisque quod super hec tune colloquas et gestibus habere memoriam sperat, eundem dominum episcopum Valentinensis quantus pro affictura valitudine coram me et in mei presencia tanquam persona publica, vellet testimonium perhibere . veritati de et super Mis que sciret de dicto casu serviencia et convenentias ad probacionem innocentie ipsius domini de Treveriis, me requirende ut deposicionem hujus domini episcopi Valentinensis cum exactione soliti et debiti juramenti in scriptis redigerem et reciperern. Quiquidem dominus episcopus Valentinensis per me vice illortun quorum intererit stipulantem et recipientem instantissime requisitus et per solemne juramentum ut in talibus moris ut juratus dicere et deponere veritatem super premissis, aflirmavit michi pro veritate ejus depositionem esse contentam et bene referatam in quadem cédule quam michi tradidlt, cujus tenor de verbo ad verbum talis est :

Nous, Jehan de Poitiers, evesque de Valence et de Die, disons et deposons et par nostre serment affermons que, l'année que feu hault et puissant prince monseigneur le duc de Bourgoigne derrenier trespassé finit ses jours au lieu de Monstereau ou foule d'Yonne, nous estions venus ung mois par avant par devers le Roy, lors regent, pour la delivrance de la conté de Valentinoys pour messire Loys de Poitiers, nostre frere, et avecques ce pour parler à monseigneur l'evesque de Langres, aussi nostre frere, sur ladicte matiere, lequel estoit lors en la compaignie de monda seigneur de Bourgoigne, et alarmes en la compaignie du Roy. lors regent, et avecques lui, de Montargis jusques à ung chastel nommé Dient, situé à trois lieues prés dudit Monstereau, au quel lieu de Dient demoura le Roy aucuns jours, et d'ilec s'en alla audit Monstereau, et nous demourasmes audit lieu de Ment. Et trois jours apres que le Roy fut parti dudit Dient, ledit sire de Treves, pour lors chancellier, arriva de Montargis audit lieu de Dient ; et fut logié dedans ledit chastel de Dient, sans en partir par l'espace de quinze jours, ou quel pareillement estions logiez ; et y feusmes nous deux ensemble continuellement, disnant et soppans tous les jours jusques au samedi au soir[2], dont ledit monseigneur de Bourgoigne trespassa l'endemain, que le Roy manda audit seigneur de Treves, son chancelier, qu'il alast par devers lui audit lieu de Monstereau. Et parti le samedi apres disner, et nous avecques lui ; et arrivasmes nous deux assez fart ; et n'y avoit eu par avant ledit seigneur de Treves point de logis, ne peu liner, ne savons pour quoy c'estoit, on se c'estoit pour ce qu'il y avoit trop grant quantité de gens d'armes qui tenoient lesdiz logis, ou pour les causes qui se demenoient adonques ; et pensons par ce que dirons cy apres que on ne vouloit point qu'il enst logis audit lieu de Monstereau pour se celer de lui dudit traictié plus que pour autre cause. Disons oultre que le soir que nous et ledit seigneur de Treves y arrivasmes, le president de Provence nous preste son logis, ou quel ledit seigneur de Treves fut logié avecques nous la nuyt, et y souppasmes et couchasmes ensemble, et y disnasmes le lendemain. Et ne sceusmea ne apperceusmes qu'il y eust onques conseil tenu ledit jour de dimenche, si non en la presence des seigneurs de Bourgoigne quant ils vindrent devers le Roy lors regent pour recevoir le serement des gens du Roy, ou quel conseil nous fusmes presens, ne n'y fut autre chose traictié que nous oyssons ne entendissions. Disons en oultre que, apres que les seremens furent ainsi raiz, comme le Roy lors regent vouloit partir à aler sur la place, il appelle ledit seigneur de Treves, lui dist qu'il alast avecques lui, et parla bien peu et court à lui à part. Et veismes bien, aux manieres dudit seigneur de Treves, qu'il cuidoit empescher le Roy et (sic) parler avec lui plus longuemeqt, et, comme il nous povoit sembler, contrestoit aux paroles du Roy. Et lors le Roy se parti assez rudement, et fist appeller ledit seigneur de Treves deux ou trois foiz à aler apres lui, lequel n'y voult onques aller, mais se demeura en ladicte chambre, et nous avecques lui, et autres pluseurs, des noms desquelx ne sommes recors. Et veismes que si test que le Roy lors regent fut parti, ledit seigneur de Treves se laissa cheoir adens sur ung lit ; et nous approchasmes de lui et lui demandasmes qu'il avoit ; lequel seigneur de Treves nous repondi et dit ces parolles : Pleust à Dieu, monseigneur de Valence, que je fusse à Jherusalem, sans denier ne sans maille, et que jamais je n'eusse veu ce seigneur ycy ; car j'ay grant doubte qu'il ne soit mauvaisement consentie, et qu'il ne face aujourduy chose de quoy cest royaume et lui soient perduz. Et disoit ces paroles tres tristement, dolentement et de couralge marry ; et commende à ses gens qui illec estoient qu'ilz allassent prestement querir ses chevalx et qu'il s'en vouloit aler. Et tantost lui furent amenez sesdiz chevaulx ; et monta pour s'en aler. Et nous, voyant ces choses, rencontrasmes le page dudit president de Provence sur ung cheval, lequel mismes à terre et montasmes dessus. Et venismes ensemble à la porte dudit Monstereau pour cuider yssir ; mais nous la trouvasmes fermée ; puis la List ouvrir ledit seigneur de Treves à tres grant paine. Et en yssant oysmes le hu et le bruit de la mort de mondit seigneur de Bourgoigne[3]. Et nous en alasmes tout droit audit lieu de Dient, au giste, celle nuyt, à nos gens que nous y avions lessiez. Et ledit seigneur de Treves et autres pluseurs qui le suyvoient estoient ou chemin de Mora en Gastinoys, ne savons qu'il devint celle nuyt. Et depuis, trois ou quatre jours apres, retournasmes pour cuider avoir delivrance de ladicte conté de Valentinois ; et parlasmes audit seigneur de Treves, que nous trouvasmes en ses paroles et par semblance tousjours tres courrocié dudit cas. Et par tant nous creons, en nostre conscience, que ledit seigneur de Treves ne fut onques en cause participant ou consentant de la mort de mon, dit seigneur de Bourgongne ; et si charge lui en a esté donnée, c'est à tort.

Cujus siquidem cedule tenorem in memorati domini episcopi Valentinensis et testium infrascriptorum presencia, voce intelligibili et ipsis attente ascribentibus legt. Qua perlecta iterum prenominatus dominus epjscopus Valentinensis, ad suum pectus manum apponens, asseruit, afilrmavit et testincavit, perhibet et testiticat, et pro sua disposicione tradidit, porrexit et exhibuit, traditque, porrigit et exhibet. De quibus premisais supradictus dominus de greverils peciit instantissime a me n°-tarie public° infrascripto sibi redigi in formam publicam deposicionem et attestacionem hujusmodi et de hoc confici unum vel plura publicum vel publica instrumentum vel instrumenta. Ad quorum premissorum majorem certitudinem predictus dominus episcopus Valentinensis huic instrumento publico suum manuale signum apposuit simulque proprium sigillum duxit appendentem. Acta fucrunt in villa Magduni supra Evram Biturensis diocesis et patrie, anno, mense, die, indicione, pontilicatu et regno primo dictis, presentibus venerabilibus et circunspectis vins domino Ludovico Porterii, Viennensis, legum doctore, antedicti domini nostri Regis Dalphini Viennensis in suo Dalphinatu consiliario et magistro computorum, nec non fratre Petro de Peschero, Claromentensis priore Sancti Marli Cistericensis diocesum, ac Petro Bernardi, Vivariensis diocesum, procuratore ipsius domini episcopi Valentinensis, testibus ad premissa vocatis specialiter et rogatis. Ainsi signé : Ita est : J. DE PICTAVIA, EPISCOPUS ET COMES VALENTINENSIS ET DIENSIS. Ainsi signée : FRESNOY, et estoit escript en marge dessoubz : Ego Herveus de Fresnoy, Parisiensis, publicus apostolica et imperiali auctoritatibus prefatique domini nostri Regis notarius, preinsertam depositionem predicti domini episcopi Valentinensis, ad requestam et instantiam prenominati domini Roberti Lathoini, domini de Treveriis, audivi, vidi, legi, et in hanc publicain formain redegi valituram ipsi domino de Treveriis, ad ejus exoneracionem et innocentiam de casu necis prelibate defuncti domini ducis Burgondie loto et tempore congruis, id quod de jure et racione sibi valere debebit, ac atiis premissis, quetnadmodum supernis exarantur, cum preinscriptis testibus presens fui. Idcirco hujusmodi publico instrumento alterius manu fideliter extracto, me circa alla legitime prepedito, una cum signo manuali et sigillo ejusdem domini episcopi Valentinensis, solitum publicum meum signum hic me, propria manu subscribens, apposui, requisitus in fidem et testimonium veritatis eorumdem.

En tesmoign desquelles vision et transcript des lettres dessus incorporées, nous garde dessus nommé, à la relation dudit notaire, ledit seel réal de ladicte prevosté de Bourges avons mis à ces presentes lettres. Donné les jour et an dessus premiers ditz.

BOVIS.

Collation est faicte avec les lettres originales cy dessus incorporées.

 

II

Le complot de Bedford contre le duc de Bourgogne

 

C'est Michelet qui, le premier, a parlé du complot qu'aurait dirigé le duc de Bedford contre son beau-frère. Parlant de l'alliance anglaise (Histoire de France, t. V, p. 189), il dit : Cette alliance n'avait jamais été solide ni sûre. Le duc de Bourgogne avait dans ses Archives un gage touchant de l'amitié anglaise, à savoir : les lettres secrètes de Glocester et de Bedford ou les deux princes agitaient ensemble les moyens de l'arrêter ou de le tuer. Bedford, beau-frère du duc de Bourgogne, opinait pour le dernier parti, sauf la difficulté de la chose.

Michelet écrivait d'après un inventaire de pièces alors perdues et dont on n'avait que l'analyse. Mais ces pièces, qu'un heureux hasard plaça un jour, aux archives de Lille, sous la main de M. le baron Kervyn de Lettenhove (voir sa lettre du 2 mars 1861 dans le mémoire de Desplanque) ne sont pas les seules faisant allusion à cet obscur incident. Outre le rouleau provenant de la mairie de Linselles et qui contenait : 1° une lettre de Glocester à Suffolk ; 2° des instructions de Glocester à Suffolk ; 3° un mémoire secret de Guillaume Benoit ; 4° une lettre de Suffolk à Robersart ; 5° une autre lettre de Suffolk ; 6° la première déposition de Guillaume Benoit (5 juin 1427) ; 7° la seconde déposition du même (10 juin), il y avait, parmi les preuves de L'Histoire de Bourgogne de D. Plancher (t. IV, p. LXIV-LXV) des instructions, émanant de la chancellerie du duc de Bretagne, dont Michelet aurait pu prendre connaissance, et qui lui auraient montré, non seulement que Bedford avait songé à se défaire de la personne du duc de Bourgogne ; mais que le duc de Bretagne était au courant du complot, et qu'il s'en était fait une arme auprès du duc Philippe pour le détacher des Anglais.

Aujourd'hui, les documents sont tous à la disposition du public, grâce a un mémoire de feu A. Desplanque, le jeune et regrettable archiviste du Nord, enlevé par une mort prématurée, qui a donné en 1867 toutes les pièces (Mémoires couronnés et Mémoires des savants étrangers, publiés par l'Académie de Bruxelles, t. XXXIII ; tirage à part : Bruxelles, Hayez, 1867, in-4° de 77 p.) et les a soumises à une critique judicieuse. Desplanque se pose cette double question :

1° Y a-t-il eu, à l'époque indiquée (de 1424 à 1426), un complot tramé entre Glocester, Suffolk, Salisbury et autres leurs adhérents, notoirement connus comme ennemis personnels du duc de Bourgogne, complot ayant eu pour but de perdre ce prince, en l'attirant dans un guet-apens ?

2° Bedford qui, en sa qualité de régent, dominait la situation politique, et dont on est porté à considérer le grand caractère comme au-dessus de pareilles suspicions, a-t-il ou non trempé dans ce honteux complot ?

Un éminent historien — celui-lit noème auquel est due la découverte fortuite des pièces visées par Michelet — a, dans sa savante Histoire de Flandre (t. III, p. 180, note), posé un troisième point d'interrogation :

Faudrait-il reconnaître dans tout ceci une intrigue d'Arthur de Richemont pour brouiller le duc et les Anglais ?

Desplanque répond affirmativement à ses deux questions ; mais il déclare que les conclusions auxquelles il est arrivé reposent sur un calcul de probabilités plutôt que sur une démonstration rigoureuse. Les pièces sont fabriquées ; mais les faits allégués ne sont point inventés. Ni Glocester, ni Suffolk n'ont écrit les lettres en question ; mais ils étalent hommes à le faire. Glocester par ambition personnelle, Suffolk et Salisbury par jalousie maritale, ont médité pendant deux ans et plus la perte du Cm de Bourgogne, et Bedford s'est laissé entraîner, d'accord avec eux, aux plus sinistres desseins.

M. Wallon, dans la troisième édition de sa Jeanne d'Arc (Paris, 1875, t. I, p. 344-46) a consacré une note à la question du complot, et, après avoir discuté l'opinion de Desplanque, il refuse d'en admettre la réalité. Il nous parait plus sûr, dit-il, en matière si grave, de conclure que, si Guillaume Benoit a forgé les pièces en vue du complot, Il a bien pu imaginer aussi le complot même. L'éminent historien ne croit donc pas qu'on puisse Incriminer le duc de Bedford.

Mais, en dehors de la culpabilité de Bedford, que penser de la connivence du connétable de Richemont et du duc de Bretagne dans cette intrigue ? Les deux dépositions de Guillaume Benoit paraissent accablantes pour le premier. On y voit que Richemont fit refaire à Guillaume son mémoire, paire qu'il ne faisait pas suffisamment mention du duc de Bretagne (Projet d'assassinat, p. 65) ; que, malgré les instances d'un de ses chapelains, frère Guillaume Josseaume, il fit remplir un blanc en forgeant une prétendue lettre de Suffolk (id., p. 65-66), lettre qui fut écrite de la main du clerc de Nicolas Briffaut, trésorier de la duchesse de Guyenne — le même qui avait été envoyé au duc aussitôt après le renvoi de Louvet, et qui joua un rôle actif dans ces intrigues et ces falsifications, de concert avec Jean de Chevery — ; enfin qu'il alla jusqu'à tromper son frère, en lui faisant présenter comme vrais les documents forgés par Chevery et Briffaut, avec sa propre connivence (id., p. 67).

La conjecture de M. Kervyn de Lettenhove nous donnerait-elle la clef de cette ténébreuse intrigue ?

Si l'on admet la véracité des déclarations faites par Guillaume Benoit dans le procès commencé à Dordrecht en avril-mai et continué à Lille en juin 1427, il est difficile de décharger Richemont de la responsabilité qui pèse sur sa mémoire. Que dut penser le duc de Bourgogne, quand il apprit, par la déposition de Benoit en date du 5 juin, que, pour arriver plus sûrement à son but, son beau-frère le connétable avait été jusqu'à falsifier des documents, à faire forger des pièces, à inventer des faits controuvés ?

On voudrait ne pas croire à la participation du connétable à cette intrigue. Mais, si l'on rapproche ces tristes révélations de l'acte du 8 mars 1425 que nous avons reproduit plus haut, on est forcé de convenir que, dans sa ligne de conduite politique, Richemont avait pour principe que la lin justifie les moyens, et qu'aucun scrupule ne l'arrêtait quand il s'agissait d'assurer la réalisation de ses desseins.

 

NOTA. — L'étendue considérable de ce volume nous met dans la nécessité de renvoyer au Tome III les Pièces justificatives qui devaient y figurer.

 

 

 



[1] On remarquera que, bien que ces lettres dussent recevoir la signature royale, comme cela était énoncé dans le texte, cette signature n'est point mentionnée comme s'y trouvant.

[2] L'évêque de Valence semble oublier le voyage qu'il lit à Bray, près de Jean sais Peur, entre le 3 et le 10 septembre, pour le déterminer à venir à Montereau (Voir t. I, p. 160). Le fait est indubitable, car il est attesté par les comptes de la recette da duc de Bourgogne et par Monstrelet.

[3] Il faut faire observer que, comme nous l'avons dit plus haut, Jouvenel des Ursins désigne formellement (p. 373) Robert Le Maçon comme ayant assisté le Dauphin dans son entrevue avec Jean sans Peur sur le pont de Montereau.