HISTOIRE DE CHARLES VII

LIVRE II. — LE ROI DE BOURGES - 1422-1435

 

CHAPITRE IV. — ACCUSATIONS CONTRE LA JEUNESSE DE CHARLES VII.

 

 

IMMORALITÉ. - AMOUR DU PLAISIR. - INERTIE - 1422-1429

Accusations formulées par Sismondi, M. H. Martin, Vallet de Viriville. — I. Immoralité. Première maîtresse : Jeanne Louvet ; témoignage de Nicole Gilles. — Maison de Marie d'Anjou : la dame de Mirandol et ses deux filles, Mme de Bothéon et de Vaubonnais ; situation de celles-ci ; la première n'arrive à la cour qu'en 1425 ; elle avait épousé dès 1419 Louis de Joyeuse ; haut rang de ce seigneur ; faveur dont lui et sa femme sont l'objet pendant toute leur vie. — Maîtresse présumée : Mlle de La Pau, demoiselle de corps de Marie d'Anjou depuis 1419 ; mariée à Jean du Puy, elle reçoit Jeanne d'Arc chez elle, à Tours, en 1429. — Vie intime du Roi et de la Reine ; nombreux enfants ; sollicitude constante du Roi pour sa femme. — Habitudes religieuses du Roi ; il se montre aussi fervent chrétien que pendant sa régence. — II. Amour du plaisir. Anecdotes du XVIe siècle : les ballets et les fêtes ; le mot de La Hire. — Situation du Roi depuis 1422 : détresse croissante ; pauvreté où il se trouve réduit. — Loin de chercher à se divertir, il est comme accablé sous le poids de l'adversité et place sa confiance en Dieu seul. — III. Inertie. Cette accusation se trouve réfutée par l'exposé fait dans les deux précédents chapitres ; La Trémoille est le véritable Roi. — Contraste entre l'attitude du Roi et celle du Dauphin ; blâme qu'il mérite ; circonstances atténuantes.

 

Avant d'aller plus loin, nous devons nous arrêter aux accusations dont la jeunesse de Charles VII a été l'objet. Elles sont si graves, et l'on peut dire si unanimes, qu'il est indispensable de les examiner avec une sérieuse attention.

Si nous ouvrons nos modernes historiens, nous rencontrons chez la plupart le même concert de reproches et de récriminations.

Le fils de Charles VI et de la pesante Isabeau, dit l'un d'eux[1], avait hérité de ses parents l'amour du plaisir, l'indolence et la mollesse... Livré de bonne heure aux voluptés, épuisé par les plaisirs avant d'avoir appris qu'il avait des devoirs à remplir, il songeait à l'amour, aux fêtes, à la danse ; il écartait autant qu'il pouvait les tristes pensées de l'administration de son royaume... Loin du bruit des affaires et de la guerre, il ne donnait point d'ordres à ses capitaines, il ne correspondait pas avec les provinces.

Charles VII, dit un autre écrivain[2], amolli dès l'adolescence par ce précoce abus des voluptés qui avait coûté la raison à son père et la vie à son frère... avait tous les défauts et aucune des qualités de la jeunesse... Toujours à la merci du premier intrigant qui s'emparait de son esprit en flattant son humeur défiante et ses goûts de paresse et de volupté... il lui fallait absolument quelqu'un qui partageât ses plaisirs, qui gouvernât sa maison et sa personne, qui lui évitât la peine de prévoir, de commander, de penser même.

L'histoire, écrit un troisième écrivain[3], ne peut attester de ce prétendant que son inertie... La nature, l'éducation, une nécessité factice mais irrésistible, conspiraient pour retenir le représentant de la monarchie dans une sorte de longue enfance et de minorité... Doué d'un tempérament débonnaire et timide, diverses causes arrêtèrent en lui, jusqu'à un terme fort tardif, le développement de ses facultés... Ses conseillers s'attachaient à le retenir dans une sorte d'abandon intéressé... La nature, pour la fougue et la puissance de certaines passions, l'avait créé très ressemblant à son père... La vie physique du sang affluait chez lui en des organes adultes... Au sein de ses licencieuses et inaccessibles retraites, tout au plus parvint-il à voiler, à dérober les scandales d'une lascivité (sic) qui semble avoir été chez lui comme un vice congénial et héréditaire.

Nous croyons qu'après avoir lu le précédent volume, le lecteur est à même d'apprécier la valeur d'une partie de ces accusations. Elles portent, on le voit, sur toute la jeunesse de Charles VII, et il se trouve qu'au début de cette jeunesse on ne rencontre aucune trace, ni de l'imbécillité qui aurait été la marque du caractère du prince, ni de l'indolence où il aurait oublié ses devoirs, ni de l'amour des plaisirs où il aurait cherché une diversion à ses malheurs, ni enfin des désordres de mœurs qu'on prétend avoir été chez lui comme un vice de naissance. En étudiant le caractère du Dauphin, nous avons rencontré, au contraire, un enfant heureusement doué, prompt à l'action et au travail, sachant payer de sa personne, montrant de l'intelligence, de l'activité ; de l'ardeur même à certains moments ; enfin d'une piété qui ne laisse aucune prise au reproche d'immoralité.

Ce que nous n'avons point rencontré chez le Dauphin, le trouverons-nous chez le Roi ? Ces accusations ont-elles leur raison d'être pour la période qui nous occupe ? Sur quel fondement reposent-elles ? Pour répondre à ces questions, nous allons examiner successivement les trois griefs d'immoralité, d'amour du plaisir, d'inertie.

§ 1. Immoralité.

Charles VII aurait été, nous dit-on, livré, dès sa jeunesse, à ces désordres de mœurs qui — malheureusement, et cela n'est que trop vrai, — devaient plus tard déshonorer sa vieillesse ; sa vie n'aurait été ainsi qu'une longue carrière d'immoralité[4].

Pour formuler une telle accusation, il faudrait des preuves formelles, des témoignages irrécusables ; on n'a jamais pu en produire. Sur quoi s'appuie-t-on ? Sur un passage des Annales de Nicole Gilles. Cet auteur est mort en 1503. L'édition la plus ancienne de son livre qu'on connaisse, est de 1525, et porte ce titre : Les tres elegantes, tres veridiques et copieuses annales des ires preux, tres nobles, tres chrestiens et tres excellens moderateurs des belliqueuses Gaules. Depuis la triste desolalion de la tres inclyte et tres fameuse cite de Troye jusques au regne du vertueux roy François a present regnant. Compilées par feu... maistre Nicole Gilles jusques au temps de tres prudent et victorieux Roy Loys unziesme. Et depuis additionnées selon les modernes hystoriens jusques en Lan mil cinq cens et vingt[5]. En racontant le renvoi du président Louvet, en 1425, Nicole Gilles s'exprime en ces termes : Aussi en fut envoyée Jeanne Bonnete (sic), femme du seigneur de Joyeuse, laquelle avoit esté longuement fort en la grace du Roy, elle estant damoiselle en l'hostel de la Royne[6].

Ainsi, c'est d'après une compilation publiée en 1525, vingt deux ans après la- mort de l'auteur, revue et augmentée par des continuateurs, et qu'il suffit d'ouvrir pour en constater le peu de valeur et la complète absence de critique, que jusqu'à nos jours on a répété que Charles VII eut une maîtresse durant sa jeunesse, et que cette maîtresse était Jeanne Louvet[7]. Le dernier historien de Charles VII n'a pas craint, pourtant, de se faire, lui aussi, l'écho de ce bruit : L'une des filles de Louvet, nommée Jeanne, écrit-il, qui ne deplaisait pas au roi, fut placée, comme demoiselle d'honneur, auprès de Marie d'Anjou[8]. Ailleurs, le même auteur a été plus explicite encore : Louvet avait deux filles : l'une d'elle s'appelait Jeanne Louvette, du nom de son père. Le roi, qui lui accordait une bonne grâce très intime, l'avait attachée en qualité de demoiselle d'honneur à la reine... C'est Nicole Gilles qui nous révèle ces détails[9].

Quand fut formée la maison de Marie d'Anjou ? C'est évidemment an moment où la reine Yolande, partant pour la Provence (20 juin 1419)[10], laissa sa fille installée an château de Mehun-sur-Yèvre. Dès le mois de décembre suivant un acte dont nous parlerons plus loin nous apprend qu'Éléonore de La Pau était attachée à la personne de la jeune princesse comme damoiselle de corps. Les comptes de l'hôtel.de la Reine, que nous possédons pour les années 1422 à 1427[11], et un extrait du compte du receveur général Guillaume Charrier, qui va du 1er novembre 1422 au 31 décembre 1423[12], nous donnent à cet égard de précieuses indications. A la fin de 1422, nous trouvons en fonctions près de la jeune Reine : Mile de La Pau ; Jeanne d'Orléans, fille du duc ; Mme de Tonnerre (Catherine de l'Isle-Bouchard) ; Isabelle de Gaucourt ; Marie de l'Épine, femme de Rogerin Blosset ; Mme de Vaubonnais. En 1424, apparaissent Mmes de la Roche et Jeanne de Bournan ; en 1425, Mme d'Assé[13] et Mme de Bothéon. D'autre part, nous savons, par des lettres postérieures du Roi, que Matheline de La Gave, femme du président de Provence, dont le nom ne se trouve pas dans les comptes de 1422 à 1427, fut un moment attaché à la personne de Marie d'Anjou[14]. C'est sans doute à elle que la reine Yolande confia sa fille jusqu'à la célébration du mariage, qui eut lieu, on l'a vu, au mois d'avril 1422[15].

La dame de Mirandol, à partir de ce moment, ne fait plus officiellement partie de la maison de la Reine ; mais ses deux filles ne tardent pas à y figurer. En effet, parmi les dames que nous avons nommées, l'une, Mme de Vaubonnais, était Marie Louvet, femme du bâtard d'Orléans ; l'autre, Mme de Bothéon, était précisément Jeanne Louvet. Mais, tandis que sa sœur cadette entre en charge dans le second semestre de 1423, Jeanne ne figure qu'en 1425, et son admission dans la maison de la Reine semble coïncider avec la retraite de Marie, entraînée dans la disgrâce de son père et de son mari. Mme de Bothéon était alors mariée depuis six ans : elle avait épousé, le 29 octobre 1419, Louis de Joyeuse, seigneur de Bothéon, fils de Randon, gouverneur du Dauphiné du 13 novembre 1420 au 10 mai 1425. Louis de Joyeuse était au service du Dauphin dès le mois de mars 1420 — où il fit montre comme chevalier banneret ayant sous ses ordres un chevalier bachelier et vingt-six écuyers employés en la compagnie et sous le gouvernement de monseigneur le Regent, du nombre de cent hommes d'armes à lui ordonnez[16], — et sa sœur épousa, le 15 janvier 1423, le maréchal de la Fayette. La dame de Bothéon était donc femme d'un haut et puissant seigneur, et belle-sœur de l'un des grands officiers de la couronne ; son mari avait reçu, en récompense de ses services, une pension de deux mille livres et le château de Solfet pendant sa vie et celle de sa femme[17], laquelle touchait, de son côté, comme demoiselle de la Reine, une somme de deux mille livres, qui lui avait été assignée, sa vie durant, sur le grenier à sel de Sommières[18]. Elle était encore en charge à la date du 31 juillet 1428[19]. La faveur dont elle jouissait à la Cour ne fut point, d'ailleurs, passagère : devenue la vicomtesse de Joyeuse[20], elle reçut un don du Roi en avril 1441[21], et après la mort de son mari, qui la laissa mère de trois enfants, elle continua à toucher, jusqu'à la fin du règne, cinq cents livres par an sur le trésor royal[22].

Telle est la maîtresse qu'on n'hésite pas à attribuer à Charles VII. Il fallait une demoiselle de la Reine : on a pris Jeanne Louvet. Par malheur, avant 1425, pas la moindre trace de la fille du président dans la maison de la Reine : Jeanne arrive à la Cour juste au moment où elle en serait partie après y avoir longuement demeuré, et aucun indice n'autorise à croire qu'elle y ait joué le rôle qu'on lui attribue gratuitement.

Nicole Gille a eu la main malheureuse. Que n'a-t-il laissé en blanc le nom de la maîtresse ? On aurait pu se livrer à toutes les conjectures. La critique se serait exercée librement, et, grâce à des révélations qui ont été produites de nos jours, un nom pourrait se présenter sous la plume des chroniqueurs d'alcôve : celui de Mlle de La Pau. Celle-là du moins, était depuis longtemps au service de Marie d'Anjou, et il serait périlleux, nous dit-on, de trop approfondir la nature de plusieurs autres causes et considérations qui motivèrent un don qu'elle reçut par lettres du 5 avril 1425[23]. Avec un pareil système, on arriverait facilement à grossir la liste des prétendues maîtresses. Et pourtant, des historiens sérieux n'ont pas craint de se livrer à des insinuations de ce genre[24]. Plus tard, on pourrait, s'appuyant sur leurs conjectures, renouveler le reproche d'immoralité à l'égard de la jeunesse de Charles VII. Disons donc un mot de la demoiselle de Marie d'Anjou.

Éléonore de La Pan, ou plutôt de Paul, était angevine. Peut-être avait-elle été élevée avec la jeune princesse. Toujours est-il que, dès 1419, elle était attachée à sa personne, car, dans des lettres du Dauphin du 20 décembre, lui octroyant une somme de trente-trois livres, elle est qualifiée de damoiselle de nostre très chière et très amée compagne[25]. Elle resta constamment, depuis lors, auprès de la Reine, et nous la retrouvons à Tours, en 1429, recevant la Pucelle dans sa maison, au retour du voyage de Poitiers[26]. Éléonore de La Pau était alors la femme d'un conseiller du Roi en sa Cour des Comptes, Jean du Puy, seigneur de la Roche-Saint-Quentin ; ce magistrat était en même temps chargé à Tours des intérêts de la reine Yolande[27], et c'est à lui que la Pucelle écrivit, au mois de janvier 1430, relativement à un don qu'elle voulait obtenir de la ville de Tours pour la fille du peintre Pouvoir[28]. La fidèle compagne de la Reine, la digne épouse du conseiller de sa mère, ne donne aucune prise aux insinuations que la chronique scandaleuse, pourrait se permettre à son égard.

Cherchons maintenant à pénétrer dans l'intimité du Roi et de la Reine, et à sonder les dispositions morales du jeune prince durant ces premières années de mariage où l'on voudrait faire de lui un époux volage[29].

L'union célébrée au printemps de 1422 n'avait pas tardé à devenir féconde. La jeune Reine, qui avait passé l'hiver de 1423 à Bourges en compagnie de son mari, lui donna un fils le 3 juillet. Sans avoir la beauté de sa mère, Marie d'Anjou avait au moins le charme de la jeunesse. Chez ces deux enfants, presque élevés ensemble, l'affection fraternelle qu'ils se portaient dès le jeune âge avait, par une transition toute naturelle, fait place à l'amour conjugal.

On a vu plus haut que la reine de Sicile vint s'installer à la Cour au moment de la naissance du Dauphin, et que, sauf quelques apparitions à Angers, elle ne cessa d'y résider jusqu'au mois de juin 1427[30]. C'est donc sous les yeux de cette seconde mère, qui avait veillé sur son enfance et qui exerçait alors sur la direction des affaires un contrôle si vigilant, que Charles se serait rendu coupable des infidélités dont on parle. Mais on n'a pas seulement calomnié le jeune Roi : on a osé outrager Yolande, en prétendant qu'elle flattait les mauvais penchants de son gendre et qu'elle encourageait ses infidélités[31]. N'a-t-on pas été jusqu'à dire que c'est elle qui, plus tard, lui donna Agnès Sorel pour maîtresse[32] ? En décembre 1424, la Reine avait accompagné son mari dans le voyage du Puy[33] ; elle ne tarda pas à devenir grosse pour la seconde fois : le 19 septembre 1425, à Poitiers, elle accouchait d'un fils, nommé Jean, qui mourut le jour même[34]. Après son voyage de Saumur, Charles VII rejoignit sa femme à Poitiers (23 octobre), et se rendit avec elle au château de Mehun-sur-Yèvre[35]. C'est là que, le 8 novembre, il rendit une ordonnance portant paiement de cent livres à Jean Burdelot, valet de chambre et apothicaire de la Reine, à cause de certaines choses à elle délivrées, et par le dit Burdelot payées comptant du sien, pour la preservacion de la santé d'icelle nostre compaigne, dès le temps de sa première grossese et gesine d'enffant[36]. La capitainerie de Saint-André-les-Avignon venait d'être enlevée au président Louvet ; Charles VII en donna la jouissance à la Reine[37]. Par lettres du 27 mai 1423, le Roi avait reconnu son épouse pour titulaire du duché de Touraine[38] ; mais des nécessités politiques lui avaient bientôt fait attribuer ce duché au comte de Douglas, et, après la mort du comte, il était passé aux mains de la reine de Sicile. Le 15 juillet 1425, le Roi assigna à la Reine, pour son douaire de vingt mille livres de rente, les château, ville et châtellenie de. Villeneuve d'Avignon, avec le comté de Pézenas et le produit des greniers à sel de Montpellier, Nîmes, Pézenas, Narbonne, etc.[39]. Des lettres du 26 décembre 1425 font mention d'une somme de sept cents livres donnée à la Reine, pour convertir en aucuns ses affaires et dont nous ne voulons que autre declaracion se face[40]. Le 4 février 1426, à Issoudun, le Roi donna à sa femme une somme de douze mille livres tournois, en considération des charges qu'elle avait à supporter, tant pour le soustenement de son estat et des dames et damoiselles estant en sa compaignie et service que autrement en maintes manières[41]. Au début de cette année, Marie d'Anjou accompagne le Roi à Issoudun et à Montluçon. Le 1er avril 1426, à Bourg-Dieu, elle donne quittance d'une somme de cinq cents livres que le Roi lui avait fait délivrer pour un drap d'or destiné à la façon d'une robe[42]. L'été et l'automne de 1426 s'écoulent pour elle à Mehun, où elle réside avec son mari. Nous la voyons, le 8 novembre, demander aux habitants de Tours d'envoyer, pour affaires importantes, cinq ou six notables à Issoudun, où elle se rend, et où doit se tenir une réunion d'États généraux[43]. En 1427, elle séjourne à Chinon, où elle commence une nouvelle grossesse. En janvier 1428, elle est à Amboise avec le Roi[44] ; le 8 février, elle passe par Tours, et reçoit des habitants divers présents qui, dans la détresse où l'on était, ne lui furent point inutiles[45]. Elle ne tarde pas à se fixer à Chinon, enlevé le 4 mars à la duchesse de Guyenne, et que Charles VII lui donne. C'est là quelle accouche de Radegonde, et cette naissance est bientôt suivie de celle d'une autre fille, nommée Catherine.

Les généalogistes ne nous fournissent que des renseignements incomplets et peu précis sur les enfants royaux. Ils ne font pas mention de Jean, l'enfant mort-né en septembre 1425, et ne nous font pas connaître les dates de naissance des deux filles aînées. Pour Radegonde, nous avons un document en date du 29 août 1428, émané du trésorier général de la Reine, Jean Bouju, faisant allusion à la gesine dernièrement faicte, en la ville de Chinon, de madame Arragonde de France. On voit par cette pièce que la Reine avait envoyé à Avignon Étienne Le Vernois, grenetier de son grenier de sel de Montpellier, et André du Beuf, l'un de ses écuyers de cuisine, pour rapporter des draps d'or et de soie nécessaires à la tenture de la chambre où elle devait faire ses couches[46].

Ces quelques données, sans jeter une lumière bien vive sur le problème qui nous occupe, permettent au moins d'apprécier ce que furent les relations du jeune ménage pendant les premières années.

Si nous examinons maintenant quelles étaient les dispositions et les habitudes religieuses de Charles VII durant cette période, nous verrons qu'elles offrent un frappant contraste avec les dérèglements de murs dont on l'accuse. Ce qu'il fut à l'époque de sa régence, Charles le demeura une fois arrivé au trône : mêmes pratiques de dévotion, même empressement à prendre part aux cérémonies du culte. Un auteur écossais qui se trouvait en France lors de la venue de Jeanne d'Arc, nous apprend que le Roi entendait chaque jour trois messes ; qu'il y assistait à genoux, avec une grande dévotion ; qu'il récitait fidèlement ses heures canoniales, en y joignant des prières pour les morts et d'autres oraisons ; allait enfin jusqu'à se confesser quotidiennement, et qu'il ne manquait jamais de communier les jours de fête[47].

Au mois de février 1423, Charles, comme il l'avait fait précédemment pour le Mont-Saint-Michel[48], envoie de Bourges les galopins de sa cuisine en pèlerinage à Notre-Darne du Puy[49]. Lui-même s'y rend, au mois de décembre 1424, en compagnie de la Reine, et il édifie les habitants par les nombreuses visites que, pendant son séjour au château d'Espally, il rend au sanctuaire vénéré[50]. En octobre 1424, il se fait recevoir comme chanoine d'Angers, et, raconte un annaliste angevin, il va tous les jours ouyr le service en l'église cathédrale de monseigneur Saint-Maurice, prenant plaisir à voir l'église si solennellement servie[51]. Le Roi était aussi chanoine de Saint-Hilaire de Poitiers, et assistait aux offices de l'église avec les insignes de cette dignité[52]. Dans des lettres du mois de juillet 1425, rendues en faveur du chapitre de Saint-Hilaire, il témoigne le désir de favoriser l'augmentation et accroissance de cette église, et d'estre participant aux prières et bienfaitz qui ont esté et seront faiz en icelle[53].

On pourrait multiplier ces preuves des dispositions religieuses du Roi. Le 18 mars 1423, il décharge du paiement d'une aide les religieux et habitants de Saint-Léonard, en Limousin, en faveur et devocion de monseigneur Saint-Liénart, et aussi à ce que nous soions plus especialement recommandez ès prières et bienfaiz desdiz religieux[54]. Le 3 juin 1427, il donne des lettres en faveur de l'église de Saint-Jouin, voulans, dit-il, à nostre povoir, ameliorer et augmenter les eglises de nostre royaume, et les garder et preserver des voies de fait et oppressions indues[55]. En 1422 et 1425, de nouvelles ordonnances sont rendues contre les blasphémateurs, et dans les lettres du 11 février 1425 on lit : Est à doubter que, à ceste occasion, entre les autres, nostre dit Createur ait permis à venir en nostre royaume les tribulations, guerres et grans afflictions qui y sont[56].

Tel fut Charles VII pendant toute la première partie de son règne : les faits sont ici d'accord arec le témoignage des auteurs du temps, qui nous parlent de sa piété et nous disent qu'il menait moult saincte vie[57]. Loin de se livrer à ces désordres de mœurs qu'on lui a prêtés gratuitement, il se montre constamment chrétien fervent, fidèle à toutes les pratiques de la foi, et demandant à la religion la seule consolation aux maux qui l'accablent. Privé de tout secours humain, écrit à la date de 1429 un grave prélat, Jacques Gelu, archevêque d'Embrun, et appauvri par la cupidité des siens, il supporte le malheur avec patience, plaçant en Dieu seul sa confiance et intercédant sans cesse auprès de lui par ses prières et par ses aumônes[58].

§ 2. Amour du plaisir.

Une autre accusation, bien plus accréditée que celle d'immoralité, pèse sur la jeunesse de Charles VII : on a dit et répété qu'il chercha dans les plaisirs et dans les fêtes une diversion à ses malheurs ; c'est là une sorte de monnaie courante à l'usage de tous ceux qui ont parlé de ce temps en n'y jetant qu'un coup d'œil superficiel. Sur quoi repose cette accusation ? Un historien du temps, assez mal informé des événements de la première partie du règne, fait allusion à ces divertissements ; il va même jusqu'à prétendre que Charles s'efforça de détourner le bâtard d'Orléans de sa rude besogne d'homme de guerre pour le retenir à sa cour[59] ; mais l'assertion de l'évêque de Lisieux ne suffit pas pour que, sans preuve plus positive, on puisse admettre un tel fait. Ce n'est point lui, d'ailleurs, qui a donné naissance à la tradition si facilement acceptée par l'histoire ; elle nous vient des écrivains du seizième siècle, et la forme pittoresque qu'elle a revêtue n'a pas peu contribué à la répandre. Les enjolivements qu'elle reçut, en passant de bouche en bouche, auraient chi cependant suffire pour inspirer à l'histoire sérieuse une légitime défiance.

Le premier auteur qui ait articulé le fait est Gilles Corrozet, dans un ouvrage publié en 1556, et intitulé : Les divers propos mémorables des nobles et illustres hommes de la chresteinté. Voici en quels termes il s'exprime : La Hire, capitaine françois, estant envoyé de l'armée vers le Roy de France Charles septiesme pour luy remonstrer les affaires de la guerre et que par faulte de vivres, d'argent et autres choses necessaires, les François avoient perdu quelques villes et batailles contre les Anglois : le Roy voulant envers luy user de familiarité luy monstra les delicieux appareils de ses plaisirs, les esbatemens les dames et les banquets en quoy il prenoit sa recreation, luy demandant qu'il luy en sembloit. La Hire librement luy respondit : Sire je ne vey jamais Prince qui perdist plus joyeusement le sien que vous[60].

Nous retrouvons la même anecdote dans les Recherches de la France, par Étienne Pasquier, qui parurent en 1596 : Il estoit au milieu de ses afflictions du tout addonné à ses voluptez, faisoit l'amour à une belle Agnes, oubliant par le moyen d'elle tontes les choses necessaires à son estat : et dit-on que ce brave capitaine La Hire venant un jour, botté, crotté, battu de pluye et du vent, le salifier pour luy conter quelques exploits de guerre par luy faite, il le trouva au milieu des dames, menant sa maistresse à la danse — je me mocque certes de moy quand j'appelle une simple damoiselle maistresse d'un Roy —, lequel demandant à La Hire ce qu'il luy sembloit de ceste belle compagnie, il luy respondit d'une parole brusque et hardie, que jamais il ne s'estoit trouvé Roy qui perdist si joyeusement son Estat comme luy[61].

Enfin un écrivain du commencement du dix-septième siècle, auteur d'une Histoire manuscrite de la Pucelle d'Orléans, souvent citée, a reproduit cette même anecdote[62].

Le dernier historien de Charles VII, en rapportant la substance de cette historiette, constate qu'il n'a pu remonter à sa source historique et authentique au delà du seizième siècle ; mais il ajoute que la tradition ne s'accorde que trop avec les notions historiques les plus positives qui nous sont parvenues sur l'état moral où végétait encore, à cette époque, le roi de France[63].

Sans nous arrêter pour l'instant à cette belle Agnès introduite ici en passant, et à laquelle nous reviendrons plus tard, cherchons si Charles VII a pu s'oublier de la sorte, durant ses malheurs, dans les ballets et les fêtes[64]. La pénurie des documents historiques pour cette époque rendra notre tâche difficile ; nous ne désespérons pas cependant de jeter quelque lumière sur ce problème.

En parlant des joyeux divertissements auxquels se livrait le jeune Roi, l'histoire a parlé aussi du dénuement auquel il se trouva réduit, sans s'apercevoir de la contradiction qui existe entre ces deux faits. On a vu que, pendant sa régence, Charles déployait un luxe vraiment royal. Mais les lourdes charges qui pesaient sur son trésor l'obligèrent enfin à modérer ses dépenses, et il en vint bientôt à tous les expédients pour se procurer les ressources nécessaires. En mars 1422, à la veille de son mariage, nous voyons le Dauphin emprunter au duc d'Orléans les tapisseries de Blois[65]. Les fournisseurs de la Cour ne peuvent être soldés, et refusent de servir à crédit[66]. Le 24 juin 1422, Charles reconnaît devoir au chapitre de Bourges, pour fourniture de poisson d'étang, plus de quatre mille livres parisis, qui ne furent payées qu'en 1440[67]. Le 18 février 1423, il engage son grand diamant le miroir[68], et d'autres joyaux sont ainsi mis en gage. Moyennant ces expédients et l'abandon de certains domaines ou revenus, le président Louvet et d'autres courtisans fournissent le moyen de subvenir aux dépenses de l'État[69] ; mais, d'une part les libéralités du prince, qui ne connaissent point des bornes nécessaires[70] ; de l'autre, les dilapidations et les exigences de ses serviteurs, ajoutent encore à sa détresse.

Quelques faits montreront où en était réduit le trésor royal. En avril 1423, c'est un des queux (cuisiniers) du roi qui prête, la somme nécessaire pour un payement urgent[71]. Le 26 juin de la même année, Charles VII donne 60 livres à un de ses serviteurs, en dédommagement de ce qu'il a longtemps exercé son office sans recevoir de gages[72] ; à la naissance du dauphin Louis (3 juillet 1423), on diffère pendant plusieurs mois le payement de quarante livres pour le rachat des vases d'argent qui ont servi au baptême[73]. Le 12 juin 1426, une ordonnance, en prononçant la révocation de tous dons et mandements précédemment accordés, supprime pendant un an les gages de la plupart des officiers royaux[74]. Nous avons vu plus haut les habitants de Tours, voulant faire un don à la Reine, se préoccuper de ses besoins les plus urgents et lui faire un présent de linge[75]. L'année 1428 et les premiers mois de 1429 marquent le plus haut point de la pénurie du trésor. C'est le temps où Charles VII vend ses joyaux et tout ce qu'il possède[76], où il fait remettre des manches à ses vieux pourpoints[77], où il est contraint de se passer de chaussures neuves. Ce dernier trait mérite d'être cité : Il fut en telle pauvreté, que ung couvrexier (cordonnier) ne luy volt mie croire une paire de houzel ; et il en avoit chaussez ung, et pour tant qu'il ne le pehut payer contant, il luy redechaussit ledict houzel, et lui convient reprendre ses vielz houzel[78]. C'est le temps où le général des finances Regnier de Bouligny, au dire de sa femme, appelée à déposer dans le procès de Jeanne d'Arc, n'avait que quatre écus en caisse[79]. C'est le temps enfin où se place l'historiette rapportée par Martial d'Auvergne dans ses Vigilles de Charles VII :

Un jour que La Hyre et Poton

Le vindrent veoir, pour festoyement

N'avoient qu'une queue de mouton

Et deux poulets tant seulement[80].

Ceci nous ramène à l'anecdote citée plus haut, et dont nous sommes maintenant à même d'apprécier la valeur et la conformité avec les notions historiques les plus positives[81]. Où y a-t-il trace, je le demande, de ces fêtes, de ces danses, de ces banquets dont on a tant parlé ? Où placer ces joyeux esbatements, et cette parole brusque et hardie qui a eu un succès si retentissant ? Au moment où l'on peint Charles VII sous de telles couleurs, les auteurs contemporains nous le montrent courbé sous le poids de l'adversité, abandonné de tous, en proie à un découragement dont rien de le peut arracher, préférant la mort à une telle vie, abîmé dans la prière et dans les larmes[82]. Il ne cesse d'implorer le secours de Dieu, faisant faire des prières publiques et de solennelles processions pour fléchir la colère céleste[83]. Situation vraiment digne d'une respectueuse compassion, et qui a inspiré les lignes suivantes à un écrivain du seizième siècle, plus véridique que Pasquier et du Haillan : Et ne se faut esbahir si Dieu eust pitié de ce pouvre Roy affligé, auquel la grande vexation et tentation avait tellement enlevé l'esprit en Dieu que se trouvant en ceste destresse, l'on le voyoit la nuit se lever de son lict en chemise, et se mettre à genoux, priant Dieu les larmes aux yeux, recongnoissant que le secours et ayde ne luy pouvoit venir d'ailleurs que du Dieu fort et du Seigneur des armées qui exalte les humbles et humilie les orgueilleux[84].

Loin de s'exposer à des reproches mérités de la part de La Hire, Charles, on l'a vu plus haut, ne pense qu'aux moyens d'empêcher Orléans de succomber. Si le vaillant capitaine parait alors à la Cour, c'est pour y entretenir le Roi des périls de la situation, et travailler de concert avec lui à la défense du dernier boulevard de la monarchie[85].

Il faut donc reléguer le mot de La Hire parmi ces fables dont l'histoire sérieuse n'a point à tenir compte. Ne le séparons pas d'ailleurs des circonstances où on le place : c'est la belle Agnès que le Roi aurait ainsi mené à la danse, oubliant par le moyen d'elle toutes les choses nécessaires à son Estat. Or, l'on sait maintenant à quoi s'en tenir sur la présence d'Agnès Sorel à la cour en 1428 : nous démontrerons plus loin qu'elle n'y parut qu'en 1444.

§ 3. Inertie.

Il nous semble que le tableau que nous avons présenté plus haut de la situation générale durant les sept premières années du règne de Charles VII, et les détails qu'on vient de lire, nous dispensent de nous arrêter longuement au reproche d'indolence et d'inertie formulé contre le Roi. On a pu voir que, sans être dénué de fondement, ce reproche est exagéré, et qu'en tout cas il ne doit point peser uniquement sur la mémoire de Charles VII. Dans cette triste période de notre histoire, tout le monde, suivant l'expression pittoresque d'un écrivain du dix-septième siècle, jouoit avec le Roy Charles VII au Roy depouillé[86]. Après Louvet, dont il a subi l'ascendant, et qui gouverne en maître de 1422 à 1425 ; après Richemont, qui lui a imposé si rudement son joug et qui dispose de tout pendant deux années est venu La Trémoille qui, en se substituant au connétable, n'a pas tardé à devenir le véritable maître de la France. La Trémoille, après avoir habilement exploité le mécontentement et les rancunes du Roi contre le connétable, s'est imposé à lui ; il s'est rendu nécessaire en alimentant le trésor royal : du mois de janvier au mois d'août 1428, il avance des sommes s'élevant à environ 27.000 livres, et pour lesquelles la châtellenie de Chinon lui est donnée en gage[87]. Que d'abus ne cachent pas des services aussi chèrement payés ! Sous le voile du dévouement à la chose publique[88], le prêteur ne songe qu'à ses propres intérêts : On a vu aucunes foys, dit Jean Jouvenel dans son Épître aux États de Blois, prester en ce royaume argent au Roy pour emploier à la chose publique, et que ceulx qui le prestoient y gagnoient le tiers ou le quart en trois ou quatre moys[89]. La Trémoille était de ceux dont parle le prélat, qui amoyent plus leur singulier proffit que l'estat de la chose publique. Charles VII voyait le mal, mais il se contentait d'en gémir : Si congnois l'entendement du Roy estre tel, dit encore Jouvenel, que des faultes advenues de son temps il en a assez cognoissance... Et ne veulx point dire que ce soit la faulte du Roy, car en ma conscience je sçay qu'il a grant pitié de son povre peuple, et l'ay veu et sceu ; et estoit très dolent et desplaisant des manières qu'il véoit tenir à aucuns qui estoient à l'environ de luy, et souventes foys ordonnoit des choses dont riens ne se faisoit[90]. La Trémoille avait en effet pris un tel ascendant que, selon l'expression d'un contemporain, personne n'osait même le contredire[91]. Mais il faut reconnaître que l'insouciance du Roi, son absence d'énergie, laissaient la porte ouverte à bien des abus : ce n'était plus le prince que nous avons vu, au début de sa régence, si ardent et si résolu. Le passage suivant des Remontrances sur la réforme du royaume adressées à Charles VII par Jean Jouvenel, montre bien le changement qui s'est opéré : J'ay memoire que l'evesque de Clermont, à l'issue de Paris, fut prins par un seigneur de ce royaume pour avoir argent ; mais vous mesmes en personne vous mistes en chemin et le delivrastes[92]. Depuis fut prins par deux fois ; mais avant qu'il eschappast falut qu'il ballast argent, sans ce que en feissiés oncques diligence, ne feissiés faire[93]. — Ne ay-je pas veu, dit ailleurs le prélat dans les mêmes Remontrances, prendre vos chanceilliers diverses foys, c'est assavoir l'evesque de Clermont, le seigneur de Trèves[94], tuer, prendre les plus prochains de vous ? Ne oncques je n'ay sceu que justice en fut faicte. Oncques tirannies si horribles ne detestables ne furent faictes ou Royaume que ilz ont esté en votre temps ; et tout s'en est alé par dissimulations, abolissions et remissions. Et aucunes foys les plus coulpables aprez estoient au plus prez de vous[95]. — Vous savez, disait encore Jean Jouvenel à Charles VII dans son Épître aux États d'Orléans, que par plusieurs fois et en divers lieux de vostre royaume vous avez fait assembler voz trois estas avant votre sacre, par lesquelz vous ont esté monstrées les tirannies et oppressions cruelles que souffroit vostre peuple, et promettiez de y mettre remède... mais rien ne s'en faisoit. Et si levoit-on l'argent et estoit exposé en boursses particulières, et non mie au prouffit de vostre seignorie ne de la chose publique... Quantes fois sont venues à vous povres creatures humaines plaindre des griefves extorsions que on leur faisoit, ausquelles n'estoit donnée aucune provision ! Hélas ! elles povoient bien dire : quare obdormisi Domine ? Mais elles ne vous povoient esveiller, ne ceulx qui estoient entour vous[96].

Ainsi le faible prince n'est plus qu'un jouet entre d'indignes mains. Se gardent les Roys tant qu'ils pourront, a dit un grave auteur du seizième siècle, que leur estat ne tombe en grande nécessité, de peur d'estre asservis à leurs subjects pour avoir la raison de leurs ennemis[97]. C'est bien la loi que subit Charles VII. Tout en faisant la part du blâme et en condamnant chez le Roi le défaut d'énergie et d'initiative durant cette période, l'histoire a le devoir de reconnaître que la situation est parfois plus forte que les hommes, et que le génie seul peut triompher de certains obstacles. Quand les adversités sont modérées, elles aiguisent le courage ; mais quand elles sont extrêmes, elles finissent par abattre les plus fermes volontés. Il y a un degré au delà duquel la nature humaine plie sous le faix[98]. C'est ce qui arriva pour Charles VII. Obligé de tout souffrir, on le voit dévorer les plus sanglants affronts avec une faiblesse qui paraît pusillanime et honteuse. Souvenons-nous qu'elle était forcée... Charles VII pardonnait tout parce qu'il avait besoin de tout le monde[99]. — Le crime de Charles VII, a-t-on dit, c'est l'impuissance politique[100]. Mais ce crime, il serait injuste d'en accuser le Roi. Si l'on examine de près l'histoire, si l'on ne sépare point de faits qui semblent accablants pour la mémoire du jeune prince les circonstances qui les ont entourés, l'on reconnaîtra que ce n'est pas à l'incapacité de Charles VII qu'il faut attribuer son impuissance dans la première partie de son règne, mais que cette impuissance était le résultat de la situation générale de la France et de la situation particulière de l'institution royale[101].

 

 

 



[1] Sismondi, Histoire des Français, t. XIII, p. 10, 57, 27. Cf. p. 46, 53, 74, 101.

[2] Henri Martin, Histoire de France, t. VI, p. 90, 109, 111.

[3] Vallet de Viriville, Histoire de Charles VII, t. I, p. 361, 422, 159-60, 203, 463, 256. — Ailleurs, l'auteur avait parlé de cette période de désordre et de folie juvénile, excessivement prolongée, et de cette enfance sans fin. Nouvelles recherches sur Agnès Sorel, 1856, p. 19 et 47.

[4] Vallet de Viriville, Histoire de Charles VII, t. I, p. 256.

[5] In-folio, gothique, 2 tomes en un volume. — S'il en fallait croire le P. Le Long, l'ouvrage aurait paru en 1492 ; mais le savant auteur du Manuel du Libraire supposé qu'il y a eu une fausse attribution, et que les prétendues éditions de 1492 et de 1498 sont un autre ouvrage, les Chroniques de France abrégées.

[6] Édition de 1525, f. LXXX v°.

[7] M. de Barante, plus indulgent pour Charles VII et plus exact que la plupart des historiens de notre temps, dit aussi (t. V, p. 211) que la fille du président Louvet était bien venue du Roi. Cependant, plus loin (t. VIII, p. 99), il écrit : Durant ses malheurs et quand il n'était que le roi de Bourges, on louait beaucoup sa piété ; il disait chaque jour ses heures et se montrait fort exact à toutes les dévotions....

[8] Vallet de Viriville, Histoire de Charles VII, t. I, p. 445. — Plus loin (t. III, p. 10), l'auteur dit : La liaison de Charles avec Agnès Sorel ne fut point la première infraction de ce genre dont il se rendit coupable.

[9] Documents sur Dunois, dans le Cabinet historique, t. III (année 1858), p. 4.

[10] Voir tome I, chapitre VII.

[11] Archives, KK 56.

[12] Cabinet des titres, vol. 685, et Ms. fr. 20692, p. 6-15.

[13] Elle s'appelait Marguerite de la Ferrière, et fut comprise pour 200 l. dans une distribution faite par lettres du 15 septembre 1425. Cabinet des titres, vol. 685.

[14] Don à la dame de Mirandol, fait par lettres du 17 juin 1427, pour consideracion des agreables services et plaisirs qu'elle a fait le temps passé à nostre tres chiere et tres amée compagne la Royne, lors qu'elle estoit en sa compagnie... Pièces originales, 1763 : LOUVET. Cf. lettres du 20 février 1425, citées plus haut.

[15] Voir t. I, chapitre VII.

[16] Clairambault, 61, p. 4735. Montre passée à Chinon le 8 juillet 1424. Clairambault, 74, p. 5819.

[17] Archives, P 13971, c. 507 ; indiqué par le P. Anselme, t. III, p. 837.

[18] Quittance du 2 janvier 1427, signée JEHANNE LOUVETE. Pièces originales, 1763 : LOUVET.

[19] Quittance du 31 juillet 1428. Pièces originales, 1763 : LOUVET.

[20] La baronnie de Joyeuse fut érigée en vicomté en faveur de Louis, au mois de juillet 1432. Anselme, t. III, p. 837.

[21] Pièces originales, 1595 : JOYEUSE.

[22] Extraits des Registres du Parlement, dans Baluze, 48, f. 348 v° ; Ms. fr. 23259, f. 2, 11, et 23261, f. 114, etc. ; Quittances de 500 l. t. en date des 8 août 1452 et 18 avril 1454, signées : JEHANNE. Clairambault, 170, p. 5423.

[23] British Museum, Additional charters, n° 4352. Ces lettres ont été publiées en 1846 par M. Vallet de Viriville : Notices et extraits de chartes et de manuscrits appartenant au British museum de Londres, dans la Bibliothèque de l'École des chartes, t. VIII, p. 139-140. — Voici le passage : Pour consideracion des bons, continuels et agreables services... faits en plusieurs et maintes manières à nostre dicte compaigne... et pour lui aidier à supporter les fraiz et despens que, à l'occasion desdiz services, il lui convient chascun jour faire, et aussi pour plusieurs autres causes et consideracions à ce nous mouvans.

[24] En l'absence de preuves historiques suffisantes, nous nous abstiendrons d rechercher la nature de ces autres causes et consideracions. Nous demandons seulement à rapprocher de ce document l'indication d'un autre acte, également inédit, et dont l'analogie nous dispensera de plus ample commentaire : 1454, décembre, lettre de Charles VII qui accorde à Antoinette de Maignelais (cousine et successeresse d'Agnès Sorel) la permission, etc. Vallet de Viriville, l. c., p. 139, note. — Il faut remarquer que, dans son Histoire de Charles VII, l'auteur s'est abstenu de toute allusion à cette prétendue liaison.

[25] Chartes royales, XIV, n° 2.

[26] Procès de Jeanne d'Arc, t. III, p. 86 et 101.

[27] Archives, KK 56, f. 31 v° ; PP 110, f. 16 ; Procès, t. V, p. 154.

[28] Voir Un épisode de la vie de Jeanne Darc, par M. Vallet de Viriville. Bibliothèque de l'École des chartes, t. IV, p. 486-91.

[29] On nous dispensera de nous arrêter aux commérages des auteurs d'historiettes scandaleuses, qui introduisent sur la scène, après Jeanne Louvet, la célèbre Catherine de l'Isle-Bouchard.

[30] Archives, KK 244, passim.

[31] Sismondi, Histoire des Français, t. XIII, p. 40, 60.

[32] Michelet, Histoire de France, t. V, p. 104 et 223 ; Henri Martin, Histoire de France, t. VI, p. 321.

[33] Chroniques de Étienne Médicis, bourgeois du Puy, t. I, p. 245.

[34] La date de la naissance et de la mort nous est révélée par une lettre de Roulin de Mascon aux habitants de Lyon, citée plus haut, et qu'on trouvera aux Pièces justificatives du présent volume. Indépendamment de ce document, on rencontre la trace du fait dans des lettres du 8 décembre 1425, faisant allusion à une première grossesse, et dans les comptes de l'hôtel mentionnant l'obit de l'enfant (KK 56, f. 100).

[35] Lettre de Roulin de Mascon du 23 octobre. Voir aux Pièces justificatives.

[36] Ces lettres en visaient d'autres des 9 mars 1423 et 5 février 1424. Pièces originales, 557 : BURDELOT.

[37] Lettre du 22 décembre 1425. Pièces originales, 1763 : LOUVET.

[38] Voir Chalmel, Histoire de Touraine, t II, p. 186, et Ms. fr. 20418, pièce 1. Cf. lettres du 31 janvier 1426. Pièces originales, 445 : BOUJU.

[39] D. Vaissète, Histoire de Languedoc, t. IV, p. 466, et lettres du 26 novembre 1425. — Le 26 novembre, la Reine nommait Etienne Le Vernois son grenetier à Montpellier.

[40] Chartes royales, XIV, n° 36.

[41] Ms. fr. 20417, f. 3.

[42] Quittance originale du 1er avril 1426. Ms. fr. 20418, pièce 20. Cf. Catalogue Joursanvault, n° 2687.

[43] Archives de Tours. Registres des délibérations, vol. IV, à la date indiquée.

[44] Lettres de la Reine, données à Amboise le 16 janvier 1428. Ms. fr. 26050 (Quittances, 59), n° 829.

[45] Les habitants s'étaient enquis des choses qui pouvaient lui être plus necessaires. Sur le rapport fait au conseil de ville, on décida, le 6 février 1428, que cent ou six vingt livres seroient mises et employez en deux hacins d'argent à laver mains, qui seront donnez et presentez à la Royne, ou en linge, pour ce que par le capitaine a esté sceu que ce sont les choses dont elle a plus grant necessité. Registres des délibérations, vol. IV (cité par M. Vallet de Viriville, Cabinet historique, t. V, p. 106). — Le 9 février, les habitants présentèrent à la Reine quatre tabliers de lin fin, en une pièce chascune de cinq aulnes de long et cinq quartiers de large, qui sont vingt aulnes ; vingt longières en une pièce de tin lin, et trois longières en une pièce contenant seize aulnes et demie de large. Le tout coûta cent livres. Cf. Registres des Comptes, XXIV, f. 44.

[46] Lettres de taxation du 29 août 1428. Pièces originales, 445 : BOUJU.

[47] Confessor enim ejus devotus erat, episcopus videlicet Castrensis, cui quotidie omni die confitebatur ; et in festis sacramentum corporis Christi sumpsit ; tres missas genibus flexis devote audiebat ; matutinas canonicas dicere non omittebat cum animarum commemorationibus, et hoc omni die mundi cum aliis orationibus celebrabat. Le Religieux de Dumferling, dans Quicherat, Procès de Jeanne d'Arc, t. V, p. 340. Cf. p. 482.

[48] Voir tome I, chapitre VII.

[49] Archives, KK 50, f. 92 v°.

[50] Chroniques de Étienne Médicis, p. 245-46.

[51] Jehan de Bourdigné, Histoire agrégative des annales et chroniques d'Anjou, publiée par le comte de Quatrebarbes (1842), t. II, p. 155. Cf. Labbe, Mélanges curieux, à la suite des Eloges des rois de France (1651, in-4°), p. 706-707.

[52] Description de la chape de Charles VII comme chanoine de Saint-Hilaire de Poitiers, dans les Annales archéologiques, t. I, p. 27.

[53] Les lettres sont données, pour amour et contemplacion, requeste et prière que nous a fait faire en ceste matiere nostre tres chiere et ires amée compaigne la Royne, qui a la dicte église en singuliere et especiale devocion. Mémoires de la Société des Antiquaires de l'Ouest, t. XV, p. 77.

[54] Ms. fr. 20915, f. 27.

[55] Ms. latin 5449, f. 85.

[56] Ms. latin 17184, f. 100.

[57] Jacques du Clercq, t. IV, ch. XXIX. — Jouvenel des Ursins, dans son épître de 1439, fait plusieurs fois allusion aux habitudes de dévotion du Roi. Ms. fr. 5022, f. 6 et 15 v°.

[58] Omnia patienter sustinebat, auxilio destitutus humano et avaritia suorum depauperatus, sed spem firmam in Deo eum reposuisse audivimus, ac ad Deum singulariter recurrisse, orationibus et eleemosynis. Tractatus de Puella, dans Procès de Jeanne d'Arc, t. III, p. 400.

[59] Qualis autem miles futurus esset, audita clade quam Francos apud Vernolium pertulisse memoravimus, statim auspicia ostendit. Cum enim rex, qui tunc adhuc juvenis erat, et, ut hujusmodi ætas dare solet, conviviis, choreis et voluptatibus diu noctuque satis indulgens et plusquam utile fuisset, eum, utpote una nutritum et educatum, multum amans, apud se retinere in deliciis vellet et, ne ad arripienda arma convolaret, impediret atque prohiberet, id efficere non potuit. Thomas Basin, t. I, p. 54. Le savant éditeur, M. Quicherat, en rattachant à tort à cette singulière défense l'interdiction faite au bâtard d'Orléans de s'intituler comte de Mortain et de séjourner dans le pays — interdiction qui fut la conséquence du renvoi du président Louvet, beau-père du bâtard, constate les graves inexactitudes de l'historien relativement à la jeunesse et aux premiers faits d'armes de celui qui devait illustrer le nom de Dunois. S'il fallait relever toutes les erreurs et tous les anachronismes commis dans les deux premiers livres de Thomas Basin, la tâche serait laborieuse. — Quant au mot voluptatibus, qui se trouve plus haut, il n'y faut point attacher un sens défavorable aux mœurs du jeune prince : l'évêque de Lisieux, qui s'étend si complaisamment sur les désordres de la dernière partie de la vie de Charles Vil, n'aurait pas manqué de flétrir ceux de sa jeunesse s'ils avaient existé. Il y a, du reste, quelque trace de banquets, de fêtes et de plaisances mondaines (c'est là le vrai sens de voluptatibus) dans la vie du jeune roi : ainsi en 1422, au moment de son mariage ; ainsi en octobre 1424, à Angers, quand il s'y trouva avec la reine Yolande et les princes bretons ; ainsi en octobre 14e, à Saumur, lors de la conclusion du traité avec le duc de Bretagne. Mais, dans les années qui précèdent le siège d'Orléans, on n'en voit aucune trace.

[60] Les divers propos memorables des nobles et illustres hommes de la chresteinté, édition d'Anvers, 1557, in-12, fol. 85. L'auteur dit, dans sa dédicace à Anthoine du Prat : J'ay amassé du tresor de plusieurs volumes ce livre de divers propos des personnages illustres, m'asseurant qu'il s'y en pourra trouver parmy qui n'ont encores esté escrits ailleurs ; lesquels toutefois je n'ay desdaigné joindre avec les autres, pour les avoir entendus et appris par le recit de grands et prudens personnages ayans auctorité entre les hommes de lettres et de reputation.

[61] Recherches de la France, livre VI, chap. IV. Pasquier a évidemment combiné le récit de Corrozet avec le passage suivant de Du Haillan (De l'Estat et succes des affaires de France, Paris, 1570), reproduit en substance dans l'Histoire de France du même auteur : Il estoit homme aymant ses plaisirs et qui n'apprehendoit pas le mal et la ruine de son royaume, s'amusant à faire l'amour à sa belle Agnes, et à faire de beaux parterres et jardins, ce pendant que les Anglois, avec la craye en la main, se pourmenoient par son royaume (fol 68 v°).

[62] Brief, le roy Charles VII estoit saisy d'une telle tristesse qu'on avoit bien de la peine à le consoler : et pour se divertir ayant faict un ballet, La Hire s'estant trouvé comme il repeloit ce ballot, le Boy demanda à ce chevalier sans peur ce qui luy en sembloit. Baptista Egnatius et le chancelier de l'Hospital raccomptent que La Hire dist qu'on n'avoit jamais veu ni ouy parler qu'aucun prince perdist si gayement son Estat que luy. Ce qui fut cause que le Boy se resolut et prist à cœur ses affaires un peu plus qu'auparavant, quoy que les Anglois prosperassent de jour à autre. Histoire de la Pucelle, Ms. fr. 10448 (anc. suppl. fr. 4901), fol. 6. — J'ai cherché en vain, dans le De exemplis illustrium virorum de l'italien Egnazio (Venet., 1554, in-4°) et dans divers écrits de l'Hospital l'anecdote en question ; mais il importe peu de remonter à la source où Bicher aurait puisé : l'autorité de ces deux auteurs serait ici complètement nulle.

[63] Vallet de Viriville, Histoire de Charles VII, t. II, p. 39. En 1859, dans l'article LA HIRE de la Nouvelle biographie générale, le même auteur s'exprimait ainsi : La forme de cette anecdote et les détails peuvent être apocryphes, mais le fond n'offre rien que de vraisemblable et de très-conforme à ce que nous savons de Charles VII et de La Hire. — Un sagace historien (Levesque, La France sous les cinq premiers Valois, t. IV, p. 14) constatait pourtant, au XVIIIe siècle, que ce récit n'est pas confirmé par les auteurs contemporains ; et, dès le commencement du XVIIe siècle, Scipion Dupleix, dans son Histoire générale de France (Paris, 1621-28, 3 vol. in-fol., t. I, p. 198), s'exprimait en ces termes : Mais ce qui luy estoit plus dur, estoit le continuel mescontentement de ses subjets contre luy : et mesure comme inesprisant ses affaires, il s'adonnoit l'amour Je la belle Agnes. Tache qui flaistrit encore le nom de Charles VII en la commune creance du peuple françois, enregistrée comme certaine vérité aux Historiens de nostre temps qui ont escrit de ce regne. Comme c'est mon style de puiser aux originaux, et n'alleguer pour autheur un nouvel escrivain, j'ay recherché soigneusement ce qu'en ont marqué les anciens. Main Chartier secretaire du Roy (lisez Berry) n'en dit un seul mot. Monstrelet (c'est-à-dire son continuateur) n'en parle que par occasion sur la lin de son règne L'histoire de saint Denys faite par l'historiographe de Fiance l'excuse tout à fait en ces termes... Quoy qu'il en soit, ce chapperon est demeuré sur la teste de Charles, qu'il ne tenoit compte de ses affaires perdant le temps et le sens, après cette femme et ses jardins.

[64] Dans l'article CHARLES VII donné par lui en 1855 à la Nouvelle biographie générale (t. IX, col. 835), M. Vallet s'exprimait en ces termes : Charles VII, sans ressort et sans énergie, et bien que de plus en plus éprouvé par les coups répétés de l'infortune, pliait sous le destin. Futile, insouciant au bord du précipice, il passait sa vie de château en château, et de jardin en jardin, ivre en même temps de frivolités et réduit à la détresse ; confiant son sceptre à une série inépuisable de parasites, de favoris, et son sort à la fatalité.

[65] Vallet de Viriville, t. I, p. 324, et dans la Bibliothèque de l'École des chartes, t. VIII, p. 136.

[66] En avril 1421, Pierre Enjorran, boucher de Bourges, suspendit ses fournitures. Archives, KK, 50, f. 6 v° (voir extr. dans Chartier, t. III, p. 316). — Le 1er avril 1423, le Roi ordonne de payer la somme de 3.200 livres pour être employée ès prests qui ont esté ordonnés estre fais aux marchans servans l'hostel dudit seigneur, tant de blez, vins, aveines, comme de boucherie, poullaillerie et autres choses necessaires pour l'hostel dudis seigneur. KK, 50, fol. 87 v°. — Le 8 janvier 1425, le Roi ordonne de payer 4.000 l. à un marchand d'Avignon auquel il devait 1.914 écus d'or pour draps d'or, soie et laine, et diverses étoffes, voulans, dit-il, les bons marchans frequentans nostre royaume et par especial ceux qui volontiers et de bonne foy nous ont baillé leurs marchandises, estre contentez et payez entièrement. Fontanieu, 113-114.

[67] Voir Archives, KK, 50, fol. 87 v° ; cf. Raynal, Histoire du Berry, t. III, part. I, p. 6, d'après les Archives du Cher.

[68] Voir Catalogue Joursanvault, n° 779. — Item a eu le grand diamant... lequel lui fut baillé depuis près de trois ans (à la fin de 1422 par conséquent) pour la somme de quatre mil escus, qu'il fit délivrer pour certains marchands en plusieurs parties par le commandement et pour la nécessité et besoing du Roy. — Au temps où ledit miroir et perle furent baillez, lit-on plus loin, la nécessité estoit telle en fait d'argent que on n'y trouvoit nul remède, et se failloit ayder de ce qui estoit pour subvenir le fait du Roy. Réponse du président Louvet aux demandes faites au nom du Roi (16 août 1425), dans Le Grand, vol. VI, f. 5-8.

[69] On voit par les lettres du 5 juillet 1425 et la réponse du 16 août, que Louvet avait été un des principaux préteurs.

[70] Aux termes des lettres du 28 février 1423, c'est pour donner de la vaisselle d'or et des joyaux à diverses personnes que le miroir est engagé. — Il faut faire remarquer que ces dons ne recevaient pas toujours d'exécution, et n'étaient soldés parfois qu'après deux ou trois ans et plus. Voir le P. Anselme, t. III, p. 817 ; Clairambault, 136, p. 2265, et 205, p. 8779 ; Ms. fr. 20888, pièce 15.

[71] Pièces originales : RAGUIER. Voir Vallet, t. I, p. 374.

[72] Pièces originales : VILLEBRESME.

[73] Cinquième compte de Guill. Charrier, receveur général de toutes finances (1422-1423), dans les preuves des Historiens de Charles VI, par Godefroy, p. 798.

[74] Sauf les membres du Parlement, les maîtres des requêtes de l'hôtel et les capitaines de gens de guerre. Ordonnances, t. XIII, p. 117.

[75] Voir plus haut.

[76] Tractatta de Puella, auct. Jac. Gelu. Procès de Jeanne d'Arc, t. III, p. 400.

[77] Dans un compte du receveur des deniers royaux à Chinon, il est fait mention d'une somme de 20 sols, pour manches neuves mises à un vieil pourpoint du Roy. Notice archéol. et histor. sur le château de Chinon, par M. de Coligny. Chinon, 1860, in-8°, p. 59.

[78] Tableau des Rois de France, par le doyen de Saint-Thibaud de Metz, fragment publié par M. Quicherat, Procès de Jeanne d'Arc, t. IV, p. 325. Et plusieurs autres soffertés et pauvretés ay-je oy dire et conter de luy, ajoute l'auteur, qui est tout à fait contemporain, dont je m'en rapporte à ses cronicques.

[79] Quo tempore erat in hoc regno et in partibus regi obedientibus tanta calaraitas et pecuniarum penuria quod erat pietas. Et hoc soit loquens quia ejus maritus erat tune temporis receptor generalis, qui illo tempore, nec de pecunia regis, nec de sua, habebat nisi quatuor scuta. Déposition de Marguerite La Touroulde, veuve de Regnier de Bouligny. Procès de Jeanne d'Arc, t. III, p. 85.

[80] Les Vigilles du Roy Charles VII, t. I, p. 56.

[81] Vallet de Viriville, Histoire de Charles VII, t. II, p. 39.

[82] Sine spe adjutorii desperatus, omni auxilio, consilio et favore destitutus, pecunia exutus, servis suis belligeris denudatus, in corde mœrens, solus relictus, inter angustias positus, potius mori quam vivere desiderans, lacrimabiliter loquebatur, dicens flebili voce : Ad te levavi oculos meos, qui habitas in cœlis, et levavi oculos meos in montes unde veniat auxilium mihi ; ac etiam : Ad Dominum quum tribularer clamavi. Religieux de Dumferling, l. c., p. 340.

[83] Une Chronique de Tournai, écrite par un contemporain, et conservée dans la Bibliothèque de Bourgogne à Bruxelles (n° 19684), s'exprime en ces termes sur l'état moral du Roi à ce moment : Dont le Roi estoit moult dolent (du progrès de l'ennemi) ; mais ce ne lui povoit aidier, à cause que le heure ne estoit point venue en laquele Dieu le estoit à mettre hors de opprobre et de misère. Et fait à presumer et à croire que pour aulcuns peschiés ou de princes ou de peuples, le ayde de Dieu fut attargée, le Roi tousjours lui requerrant son ayde et souccours, et mandant souventesfois aux colleges des eglises cathedrales de son royaulme faire processions et exhorter le peuple à euh amender et prier pour lui et son roiaulme, considerant et ramenant en sa memoire que les persecucions de guerre, mortalité et famine, sont vergues de Dieu à punir les enormitez du peuple on des princes. (Recueil des chroniques de Flandre, publié par le chanoine de Smet, t. III, p. 405.) Jouvenel, dans son Epitre aux Etats de Blois (juillet 1433), après avoir rappelé les succès remportés depuis la délivrance d'Orléans, ajoute : Ces choses sont-elles venues par les vaillances et vertus des nobles, par les prières des gens d'église ? Je croy que non. Mais Dieu l'a fait, et a donné courage à petite compaignie de vaillans hommes ad ce entreprendre et faire, à la requeste et prière du Roy.

[84] Guillaume Paradin, Annales de Bourgogne, Lyon, 1566, in-fol., p. 703.

[85] Voir le compte fort précieux, déjà cité, qui a pour titre : Le fait de l'advitaillement et secours sur les Anglois de la ville d'Orliens. — La Hire, on l'a vu, y est mentionné à plusieurs reprises. En septembre 1428, on le voit se rendre d'Orléans à Chinon près du Roi, et retourner à Orléans, où ledit seigneur l'envoya pour l'entretenement des gens d'armes ilec. En novembre, il revient à Chinon, pour remonstrer au dit seigneur et faire sçavoir de l'estat de la dicte ville et d'aucunes places et forteresses d'environ, et il repart avec des fonds pour le paiement des gens de guerre qui devaient être employés à certaine entreprise secrète faite par le dit La Hire à l'encontre des Anglois. En mai-juin 1429, il reçoit, pour ses gages et ceux des gens de sa compagnie, 2.042 l. 10 s. tournois. Compte des dépenses laites par Charles VII pour secourir Orléans pendant le siège de 1428, publié par M. J. Loiseleur. Orléans, Herlusion, 1868, gr. in-8° de 2112 p.

[86] Guy Allard, Histoire généalogique des familles de Bonne, de Crequy, etc. (1672), p. 193.

[87] Lettres du 29 octobre 1428, auxquelles est joint le rôle des sommes avancées par La Trémoille (Archives du duc de la Trémoille). Par des lettres du mois d'août, le Roi avait abandonné Chinon à La Trémoille, de l'exprès consentement de la Reine ; mais La Trémoille se souvint que Chinon faisait partie auparavant du douaire de la duchesse de Guyenne, épouse de Richemont : alléguant le prétexte que la Reine n'avait reçu aucun dédommagement, et afin qu'on ne peust dire qu'il voulsist riens entreprendre ou prejudice d'elle, il se fit donner, par lettres du 29 octobre, la châtellenie de Lusignan. Les lettres sont contresignées par l'archevêque de Reims, le comte de Vendôme, les évêques de Séez (Rouvres) et d'Orléans (Kirkmichael), le sire de Trèves (Le Maçon), le vicomte de Rochechouart et le seigneur d'Argenton.

[88] Lequel congnoissant et veant le grant besoing que en avions, et pour la grant affection qu'il a eu et a au bien de nous et de nostre seigneurie et à la deffense d'icelle... Lettres du 29 octobre 1428. — La Trémoille, préteur au Roi, empruntait de son côté : le 31 juin 1429, à Loches, il reconnait devoir 1.500 écus d'or à Robert Le Maçon et à Etienne Bernait, dit Moreau, et s'engage à les leur rembourser dans le délai de six mois. Orig. signé, Archives du duc de la Trémoille.

[89] Ms. fr. 2701, f. 4 v°.

[90] Ms. fr. 2701, f. 2 v°.

[91] Neantmoins nul ne fut qui contredire l'osast. Cousinot, Geste des nobles, p. 201.

[92] Allusion au siège de Sully par le Dauphin, en 1418. La Trémoille y tenait enfermé Martin Gouge. Voir ci-dessus, t. I, chapitre IV.

[93] Ms. fr. 2701, f. 109.

[94] Allusion au même fait et à l'enlèvement de Robert Le Maçon, seigneur de Trèves par les affidés de Giac.

[95] Ms. fr. 2701, f. 102.

[96] Ms. fr. 5022, f. 4 v°.

[97] Jean du Tillet, Recueil des traictez d'entre les roys de France et d'Angleterre, édit. de 1606, p. 349.

[98] D'une polémique récente à l'occasion de Charles VII et de Jeanne d'Arc, par M. Nettement. Union du 16 juillet 1856.

[99] Gaillard, Histoire de la rivalité entre la France et l'Angleterre, t. IV, p. 19.

[100] M. Emile Chasles, Une question de justice historique : le caractère de Charles VII. Revue contemporaine du 30 juin 1856, t. XXII, p. 325.

[101] Cette remarque pleine de sens a été présentée par M. Nettement, dans l'article que nous venons de citer. — M. Emile Chasles a dit aussi : Les faits mêmes, la situation, les caractères conspiraient contre le roi et le tenaient dans l'impuissance (l. c., p. 319). Et ailleurs : Que cette époque du règne soit fort obscure, nous en convenons ; cependant nous ne trouvons pas qu'elle permette de ravaler le caractère de Charles VII (p. 324).