HISTOIRE DE CHARLES VII

LIVRE I. — LE COMTE DE PONTHIEU, LE DAUPHIN ET LE RÉGENT - 1403-1422

 

NOTES SUPPLÉMENTAIRES.

 

 

I. — Le traité de Saint-Maur

(Chapitre IV)

Il parait ressortir du texte du traité de Saint-Maur, malgré l'ambigüité des termes, que les ambassadeurs du Dauphin étaient tombés d'accord avec les représentants de la partie adverse sur les termes de la convention : Et finablement sont choux et condescendus d'un commun accord en certains points et articles. (Ordonnance., t. X, p. 474.) — Les Registres du Parlement, à la date du 16 septembre 1418, contiennent la mention suivante : Ce jour la Royne, les ducs de Bourgoigne, de Bretaigne, d'Anjou et d'Alençon, les ambassadeurs et conseillers de monseigneur le Dauphin, et autres plusieurs du conseil du Roy, furent assemblez ou chastel du Bois de Vincennes pour conclure un traictié qui avoir esté pourparlé entre eulx par plusieurs journées... Et prindrent oudit traictié certaines conclusions et advis agreables à tous les dessusdis, lesquelles conclusions devoient estre rapportées au Roy et à monseigneur le Daulphin pour ratifier, enteriner et accomplir tout ce qui avoit esté conclud et traictié par les dessusdis seigneurs, ambassadeurs et conseillers. (Archives, X1a 1480, f. 147.) — Monstrelet dit aussi : Firent un traictié avec les gens du Daulphin qui y estoient, par le moien desdiz cardinaulx, lequel sembloit estre bon et proufiltable pour toutes les parties (t. I, p. 288). Mais le Fèvre de Saint-Remy, qui suit de si près Monstrelet, ne parle pas de la présence des ambassadeurs du Dauphin (t. I, p. 336). Le Religieux de Saint-Denis, lui, dit formellement que les conditions, rédigées à l'avance par le conseil royal, furent remises par écrit au duc de Bretagne, et il présente le traité comme un projet concerté entre les fondés de pouvoirs du Roi et de la Reine, le duc de Bourgogne et le duc de Bretagne. Les témoignages de Saint-Remy et du Religieux — tous les deux bourguignons — font déjà naître des doutes.

Si nous consultons les auteurs du parti opposé, Jouvenel nous dit : Et y eut des articles faits et comme accordes (p. 355). Quant à Cousinot, il est plus explicite ; il dit formellement : Sans le consentement des quelz messages, ne aucune chose appointer en leur presense, fut illec la paix criée et à Paris (p. 174). Et la chancellerie du Dauphin, dans des documents que l'histoire n'a point utilisés jusqu'ici, contient la même affirmation, après laquelle le doute ne nous parait plus permis : A laquelle convention nos diz ambaxeurs n'ont esté..... Et toutes voyer nos diz ambaxeurs n'y ont esté ouys ni appelez, comme il apert par les lettres qu'ilz nous ont escriptes sur ce. (Lettre du Dauphin, en date du 29 septembre, adressée aux gouverneur et gens du Dauphiné, éditée par Mlle Dupont, dans son édition de Pierre de Fenin, p. 272-73.)Et soit avenu que, à une assemblée faicte à Saint Mor des Fossez, ceulz de Paris baillèrent une cedule en effect contraire aux articles dessus diz, laquelle fu en la dicte assemblée accordée sans y appeler ne oïr nos ambaxeurs..... ainsi qu'ilz nous ont dit et rapporté. (Lettre du Dauphin, en date du 14 octobre, adressée aux habitants de Lyon. Archives de Lyon, AA 22, fol. 25). — Pour ce que nous ne savons se vous avez eu nozlettres, nous vous escripvons de rechief ces presentes, et vous certifiions que à icelle paix, que nous desirions moult, nous avions envoyé ambaxadeurs ; mais, eu vérité, ils n'y furent oncques oys ne appelles. (Autre lettre du 31 octobre, aux mêmes. Id., ibid., fol. 23.)

 

II. — Le titre de Régent

(Chapitre IV)

M. Vallet de Viriville pense (Histoire de Charles VII, t. I, p. 135) que Charles prit le titre de régent dès le 26 octobre 1418, et il invoque, à l'appui de son opinion, un acte de cette date, émané de Henri V, et dont voici les termes : Cum illustris et potens princeps consanguineus noster carissimus et adversarii Franciæ Dauphinus de Vienna, regens Franciæ ut dicitur..... (Rymer, t. IV. part. III, p. 67.) M. Pardessus prétend, au contraire (Table chronologique des Ordonnances, 1847, p. 340, note 1), que les lettres du 21 août 1419 sont le premier document dans lequel Charles Dauphin ait pris la qualité.de régent ; jusqu'alors, d'après ce savant, Charles aurait agi comme lieutenant général. Entre ces deux assertions, quelle est la vérité ? C'est ce qu'il faut examiner.

A la date du 30 octobre 1418, le Dauphin rend une ordonnance par laquelle il défend d'obéir aux mandements du Roi pendant sa détention et maladie : cette ordonnance, visée dans celle de Charles VI du 13 novembre 1418, et indiquée par le P. Anselme (Histoire généalogique, t. VI, p. 395), semblerait confirmer l'affirmation de M. Vallet. Mais les lettres de Charles VI du 13 novembre nous montrent que le Dauphin ne prenait point encore officiellement le titre de régent. On y lit : Nostre dit filz, soy disant nostre lieutenant general par tout nostre royaume (Ordonnances, t. X, p. 490). — Nous ne relèverons point ici ce que disent Monstrelet (t. III, p. 278), Jouvenel des Ursins (p. 360), le Religieux de Saint-Denis (t. VI, p. 382), Berry (p. 440). — Cousinot, dans la Geste des nobles (p. 175), nous fournit une date précise : il dit que Charles prit la régence après la prise de Tours, qui eut lieu le 30 décembre 1418 ; mais il se trompe en prétendant que ce fut dans un grand conseil tenu à Poitiers, car le Dauphin se rendit, non en Poitou, mais en Berry, en quittant Tours. Des lettres du Dauphin, en date des 22 janvier, 4 et 23 février 1419, que nous trouvons dans les Titres scellés de Clairambault (vol. 29, 179 et 50), confirment le témoignage de Cousinot, que vient corroborer d'une manière irréfragable un document produit par François du Chesne dans son Histoire des chanceliers (1680, in-fol., p. 464), et dont M. Vallet a lui-même cité un extrait dans ses additions (t. III, p. 464) : Ce jour (31 décembre 1418) furent baillées lettres à la cour de par Monsieur Maistre Jean de Vailly, president, en icelles escrites le vingt et sixiesme décembre 1418, au siège devant Tours : par lesquelles icelluy president escrivoit qu'il avoit esté conclud que doresnavant Monsieur le Dauphin en toutes ses lettres, s'appelleroit ou intituleroit Charles, fils du Roy de France, Regent le Royaume, Dauphin de Viennois, duc de Berry, de Touraine et comte de Poictou ; et que plus n'y fut mis le titre de lieutenant du Roy. Nous avons une quittance de Jean Tudert, du 29 décembre, où le prince est qualifié de Regent le Royaume. Dans les registres du Parlement de Poitiers, à la date du 22 décembre, le Dauphin ne s'intitule pas encore régent ; ce n'est que le 2 janvier qu'il prend ce titre (X1a 9195, f. 1 v°). — Ajoutons que Henri V ne se trompait pas complètement, dans ses lettres du 26 octobre : si Charles ne prenait pas officiellement le titre de régent, on le lui donnait dès lors assez volontiers, comme le prouve une quittance du 15 octobre 1418, où l'archevêque de Reims est, qualifié de lieutenant du Roy nostre sire et de Monseigneur le Regent. (Clairambault, 84, p. 6603.)

 

III. — L'alliance anglaise de Jean sans Peur

(Chapitre V)

Il est tait allusion à l'alliance du duc Jean sans Peur avec les Anglais dans un grand nombre de documents du temps.- Charles VI, dans une lettre du 13 mai 1417, adressée aux habitants de Tours (Luzarche, Lettres de Tours, p. 16), dit à ce props : Sans nostre congié et licence il (le duc) a esté par devers lui (le roi d'Angleterre) à Calais, et ont longuement parlementé ensemble, sans nous rien faire savoir des matières parlées entre eulx, et s'envoyent l'un à l'autre gens et ambaxadeurs. Il en est fait également mention dans la déclaration de Charles VI du 5 septembre 1417 (Recueil de Besse, p. 132), et dans les articles rédigés lors des conférences de La Tombe en mai 1418 (Religieux de Saint-Denis, t. VI, p. 212-214, et appendice aux Mémoires de Fenin, p. 265), ainsi que dans les Avis fais pour le bien de la paix, du 4 août 1418 (même appendice, p. 279-80), et dans le traité de Pouilly du 11 juillet 1419 (Monstrelet, t. III, p. 327). Le passage de ce dernier traité contient, ce nous semble, un aveu implicite de la part du duc : Et se aucunes alliances ou traictiez avoient esté fait devant la date de ces presentes avecques les dessusdiz ennemis anciens ou aucuns autres à nous prejudiciables, ou à l'un de nous, doresenavant à icelles renonçons et les voulons estre nullez. — Dans les instructions du Dauphin au comte d'Aumale et dans le récit des faits qui précédèrent l'événement de Montereau, il est parlé très nettement des traictiés et pacdons qui, dès l'assemblée du Roy d'Angleterre et de Monseigneur de Bourgbgne faicte à Calais, ont duré et esté continués entre eulx.

Les auteurs contemporains parlent aussi de cette alliance. Nous avons déjà cité le témoignage de Jouvenel (p. 340), auquel on peut ajouter celui de Thomas Basin (t. I, p. 17 et 26). Une chronique qui n'est point absolument contemporaine, mais qui ne doit pas être négligée, la Chronique Antonine (Ms. fr. 1371, f. 236 ; cf. f. 236 v°) contient, sur l'entrevue de Calais, le passage suivant : Et avec lui (l'empereur Sigismond) rapassa à Calais le Roy IIenry, en la compaignie desquelz le duc Jehan de Bourgongne se trouva. On ne scait qu'ilz y firent ; mais il fu clerement apres congneu que le duc de Bourgongne avoit entendement au Roy d'Engleterre, car depuis il se manifesta ennemy des Françoys. — Dans un autre passage (f. 260), la même chronique dit que l'empereur Sigismond échoua dans sa mission pacificatrice, obstant ce que le Roy Henry d'Engleterre se tenoit trop fier, tant à cause de la victoire qu'il avoit eue à la bataille d'Agincourt, que pour l'aliance qu'il avoit prime avecques Jehan, duc de Bourgongne.

Quant aux auteurs anglais, si sobres de détails à ce sujet, voici le passage le plus étendu que nous ayons trouvé. Il émane d'un chapelain de Henri V (Henrici quinti Angliæ Regis Gesta, éd. par Benjamin Williams, p. 102-103) :

Et obviaverunt duci Burgundiæ prope Calesiam dominus Warwici capitaneus valse et Thomas Erpyngham, senescallus hospitii regii, qui ipsum ad hospitium prœparatum pro eo, jam percutiente hora XIe per urbis medium conduxerunt. Et horà tertia post nonam, mitigatà priùs, ut dicebatur, per regem, antiqua querela inter imperatorem et eum, et parait viâ, accessit ad imperialem prœsentiam. In quo accessu cum adeptus esset ejus aspectum et fecisset duas inclinations accedendo, et jam de prope ferè in terram tertiam obtulisset, noluit imperator, sed à statione prosiliens eum per brachia sustulit et à latere collocavit. Et sumptis Inde speciebus vultu et valedicto, accessit ad regem in castrum. Qui conductus in majorem cameram receptus est a rege per omnia ut apud imperatorem juxtà illorum relata qui utrique adcessui affuerunt. Inde ductus in secretiorem cameram usque in crepusculum noctis cum rege solo in mysterio concilii occupatur. Et cum deinceps in communione et tractatibus triduum occupassent, die Jovis rex fecit sibi et optimatibus suis convivium grande extra castrum in tentorils. Et emensis inde quatuor diebus in communication silentissima, sequenti die martis uterque dux noster, viz. Gloucestriaa et ipse Burgundiaa consimiliter ut à propriis adducti sunt, ad propria reducuntur. Qualem vero conclusionem hæc mystica colloquia et communicationes fuerint operata ultra pectus regium vel taciturnitatem concilii, non transivit. Solo qui scribo quod opinio populi dat eum tenuisse regem nostrum toto isto tempore in amphiboliis.