VIE DE JEANNE D’ARC

Tome I

CHAPITRE XII. — LA PUCELLE À ORLÉANS.

 

 

Le jeudi 28 avril au soir, Jeanne put voir des hauteurs d’Olivet les clochers de la ville, les tours de Saint-Paul et de Saint-Pierre-Empont, où les guetteurs signalaient sa venue. L’armée suivit les pentes qui descendent vers la Loire et s’arrêta au port du Bouchet, tandis que les chariots et le bétail continuaient leur chemin sur la berge jusque vers l’I1e-aux-Bourdons, devant Chécy, à une lieue en amont[1]. C’est là que devait se faire le débarquement. Au signal des guetteurs, monseigneur le Bâtard, accompagné de Thibaut de Termes et de quelques autres capitaines, sortit de la ville par la porte de Bourgogne, sauta dans une barque à Saint-Jean-de-Braye et alla tenir conseil avec les sires de Rais et de Loré, qui commandaient le convoi[2].

Cependant la Pucelle venait de s’apercevoir qu’elle était sur la rive de Sologne et qu’on’ l’avait trompée en chemin. Elle en ressentait de la douleur et de la colère. On l’avait trompée, cela était sûr. Mais l’avait-on fait exprès ? Avait-on voulu vraiment la tromper ? On rapporte qu’elle avait exprimé la volonté de passer par la Beauce, et non par la Sologne, et qu’il lui avait été répondu : Jeanne, rassurez-vous ; nous vous menons par la Beauce[3]. Est-ce possible ? Pourquoi les seigneurs se seraient-ils joués de la sorte d’une sainte fille que le roi avait mise sous leur garde et qui inspirait déjà du respect à la plupart d’entre eux ? Certains, il est vrai, croyant qu’elle se moquait, l’eussent volontiers moquée. Mais, si l’un de ceux-là lui avait fait cette trufferie, de lui mettre la Sologne en Beauce, comment ne se serait-il trouvé personne pour la désabuser ? Comment frère Pasquerel, son aumônier ; comment son intendant, l’honnête écuyer d’Aulon, se seraient-ils rendus complices de cette grossière plaisanterie ? Tout cela ne se comprend guère, et quand on y songe, ce qui se comprend le moins, c’est que Jeanne eût expressément demandé qu’on allât à Orléans par la Beauce. Puisqu’elle ignorait sa route à ce point qu’en passant le pont de Blois elle ne se douta pas qu’elle allait en Sologne, il y a peu d’apparence qu’elle se représentât assez précisément l’assiette d’Orléans pour préférer y entrer par à couchant ou par le midi. Une jeune tille qui seule connaît la porte par laquelle on entrera dans la ville assiégée et à qui de méchants capitaines font prendre un chemin pour un autre, cela ressemble trop à un conte de ma mère l’oie. Jeanne ne se faisait pas d’Orléans une idée plus claire que de Babylone. Il est vraisemblable de supposer un malentendu. Elle n’avait parlé ni de Sologne ni de Beauce. Ses Voix lui avaient dit que les Anglais ne bougeraient point. Elles ne lui avaient point montré le portrait de la ville ; elles ne lui avaient donné ni plans ni cartes : les gens de guerre n’en usaient point. Jeanne, sans doute, avait dit aux capitaines et aux prêtres ce qu’elle devait bientôt répéter au Bâtard : Je veux aller là où sont Talbot et les Anglais. Et les prêtres, les gens d’armes, avaient répondu très sincèrement : Jeanne, nous allons où sont, Talbot et les Anglais[4]. Ils avaient cru bien dire, puisque Talbot conduisait le siège, et qu’on l’aurait, pour ainsi dire, devant soi, de quelque côté qu’on approchât de la ville. Mais apparemment ils n’avaient pas bien compris ce qu’avait dit la Pucelle, et la Pucelle n’avait pas bien compris ce qu’ils avaient répondu. Car maintenant, de se voir séparée de la ville par les eaux et les sables du fleuve, elle se montrait irritée et dolente. Que pouvait-elle trouver de si fâcheux à cela ? Ceux qui l’approchèrent en ce moment ne le découvrirent pas, et peut-être ses raisons ont-elles été méconnues parce qu’elles étaient spirituelles et mystiques. Certes, elle n’estimait pas qu’on eût commis une faute militaire en amenant par la Sologne les troupes et les vivres. Elle ne connaissait point les chemins ; elle ne pouvait donc savoir quel était le meilleur. Des positions de l’ennemi, des travaux d’attaque et des travaux de défense elle ignorait tout ; elle venait d’apprendre à l’instant sur quelle rive du lieu \e la ville était assise. Il fallait pourtant qu’elle crût avoir une grave raison de se plaindre, car elle s’approcha du seigneur Bâtard et lui demanda vivement :

— Est-ce vous qui êtes le Bâtard d’Orléans ?

— C’est moi, réjoui de votre venue.

— Est-ce vous qui avez donné conseil que je vinsse ici, par ce côté de la rivière, et que je ne vinsse pas droit là où sont Talbot et. les Anglais. ?

— Moi et de plus sages ont donné ce conseil, croyant faire pour le mieux et le plus sûrement.

Mais Jeanne :

— En nom Dieu ! le conseil de Messire est plus sûr et plus sage que le vôtre. Vous avez cru me tromper et vous vous êtes trompés vous-mêmes. Car je vous apporte un meilleur secours qu’il n’en vint oncques à chevalier ou à cité, c’est le secours du Roi des cieux, lequel secours procède de Dieu lui-même, qui, non vraiment pour l’amour de moi, mais à la requête de saint Louis et de saint Charlemagne, a eu pitié de la ville d’Orléans et n’a pas voulu souffrir que les ennemis eussent à la fois le corps du duc et sa ville[5].

On entend : ce qui la fâchait, c’était de n’avoir point été menée droit devant Talbot et les Anglais. Elle venait d’apprendre que Talbot était sur la rive droite avec son camp. Et, en parlant de Talbot et des Anglais, elle entendait désigner seulement les Anglais qui étaient avec Talbot, puisqu’en descendant au Val de Loire, près du guet de Saint-Jean-le-Blanc, elle avait aperçu la bastille des Augustins et les Tourelles du bout du pont et qu’elle ne pouvait pas clouter qu’il n’y eût aussi des Anglais sur la rive gauche. Il reste à savoir pourquoi elle avait tant désiré se montrer tout d’abord à Talbot et à ses Anglais et pourquoi maintenant elle était si marrie d’être séparée de lui par la Loire. Jugeait-elle que le camp retranché de Saint-Laurent-des-Orgerils, où commandaient Scales, Suffolk et Talbot, devait être tout de suite attaqué ? Elle n’avait pu se faire d’elle-même cette idée, puisqu’elle ne connaissait pas les lieux, et aucun homme d’armes n’avait pu lui mettre cette folie en tête, d’attaquer un camp retranché en menant des bœufs et des chariots. Elle n’avait pas songé non plus, comme on l’a dit tant de fois, à forcer le passage entre la bastille Saint-Pouair à l’orée des bois, puisqu’elle ignorait les bastilles et les forêts comme le reste. Et si tel avait été son dessein, elle l’aurait dit clairement au Bâtard, car elle savait se faire entendre, et même les lionnes gens trouvaient qu’elle parlait bien. Quelle était donc sa pensée ? Il n’est pas impossible de la pénétrer, si l’on songe à ce que pouvait être en ce moment la pensée d’une sainte, ou si seulement on se rappelle les paroles et les actes par lesquels Jeanne avait annoncé et préparé sa mission. Elle avait dit aux docteurs de Poitiers : Le siège d’Orléans sera levé et la ville affranchie de ses ennemis après que j’en aurai fait sommation de par le Roi du ciel[6]. Elle avait mandé, de par le Roi du ciel, à Scales, à Suffolk et à Talbot de lever le siège ; elle leur avait écrit qu’elle était toute prête à faire la paix et les avait sommés de retourner en Angleterre. Maintenant elle demandait réponse à Talbot, à Suffolk et à Scales. Puisque les Anglais ne lui avaient point renvoyé son héraut, elle venait à eux, à leurs chefs, comme un héraut de Messire ; elle venait requérir qu’ils fissent paix. Et s’ils ne voulaient faire paix, elle était prête à combattre. C’est seulement après leur refus qu’elle serait assurée de vaincre, non par raisons humaines, mais parce que son Conseil le lui avait promis. Peut-être même, peut-être espérait-elle qu’en se montrant aux capitaines anglais, son étendard à la main, accompagnée de madame sainte Catherine, de madame sainte Marguerite et de monseigneur saint Michel archange, elle les persuaderait de quitter la France ; que, tombant à genoux, Talbot obéirait, non certes à elle, mais à Celui qui l’envoyait, et qu’ainsi elle ferait ce pourquoi elle était venue sans que coulât une goutte de ce sang français qui lui était cher et sans que les Anglais, dont elle avait pitié, perdissent ni leurs corps ni leurs âmes. En tout cas, il fallait obéir à Dieu et pratiquer la charité : la victoire était à ce prix. Et cette pieuse victoire qu’elle apportait, cette victoire angélique, les chefs de son parti, par une fausse prudence, la lui arrachaient des mains. Ils l’empêchaient d’accomplir sa mission, de donner, peut-être, le signe promis et l’entraînaient avec eux dans des entreprises moins sûres et moins belles. De là sa douleur et sa colère.

Même après la déconvenue de son entrée, elle ne se croyait pas dispensée d’offrir la paix aux ennemis, afin d’être agréable à Dieu[7]. Et puisqu’elle ne pouvait aller tout de suite au camp de Talbot, elle voulut se montrer devant le guet de Saint-Jean-le-Blanc[8].

Il n’y avait plus personne derrière les palissades. Mais, si elle y était allée et si elle y avait trouvé des ennemis, elle leur aurait d’abord offert la paix. La conduite qu’elle tint ensuite dans la ville en est la preuve certaine. Elle ne venait pas mettre au service des Orléanais des plans de campagne ou des ruses de guerre ; sa part clans l’ouvre de la délivrance était plus haute et plus pure. Elle apportait à des hommes faibles, malheureux, égoïstes et souffrants, les invincibles forces de l’amour et de la foi, la vertu du sacrifice.

Monseigneur le Bâtard, qui regardait la mission de Jeanne comme purement religieuse et qu’on aurait bien étonné en lui disant qu’il devait consulter cette paysanne sur le fait de la guerre, fit mine de ne point entendre les reproches qu’elle lui adressait et alla pourvoir à ce que les opérations fussent exécutées conformément aux dispositions prises.

Tout avait été soigneusement concerté et préparé, mais voici que survenait une anicroche. Les chalands que les Orléanais devaient envoyer à Chécy pour embarquer les vivres n’avaient pas encore démarré[9]. Ils n’allaient qu’à la voile et, comme le vent soufflait d’amont, ils ne pouvaient pas naviguer. On ne savait pas s’ils le pourraient bientôt, et le temps était cher. Jeanne dit avec confiance à ceux qui s’inquiétaient :

— Attendez un peu. Car, en nom Dieu, tout entrera dans la ville[10].

Elle avait raison. Le vent tourna ; on déploya la toile, et les chalands remontèrent le fleuve sous une brise d’arrière qui les poussait assez fort pour qu’un bateau en pût traîner deux ou trois à sa remorque[11]. Ils passèrent sans encombre devant la bastille Saint-Loup. Monseigneur le Bâtard monta dans un de ces bateaux avec Nicole de Giresme, grand prieur de France en l’ordre de Rhodes, et la flottille aborda au port de Chécy, où elle resta mouillée toute la nuit[12]. Il fut décidé que l’armée de secours camperait cette nuit au port du Bouchet afin de garder le convoi en aval, tandis qu’un détachement se tiendrait vers les îles de Chécy pour veiller en amont, et regarder du côté de Jargeau. La Pucelle, en compagnie de quelques capitaines, avec un détachement de gens d’armes et de trait, suivit la berge et arriva devant l’Ile-aux-Bourdons[13].

Les seigneurs qui avaient amené le convoi décidèrent qu’on partirait tout de suite après le débarquement. L’armée, ayant fait sa besogne, retournerait à Blois pour y prendre ce qui restait de vivres et de munitions ; car on n’avait pas tout emporté eu une fois. Apprenant que ces soldats, en compagnie desquels elle était venue, s’en allaient, elle voulut partir avec eux, et après avoir tant demandé qu’on la menât à Orléans, arrivée aux portes de la ville, elle ne pensait plus qu’à s’en aller. Ainsi l’âme des mystiques tourne aux souffles de l’Esprit ; cette fois, comme toujours, Jeanne obéissait à des raisons purement spirituelles. Elle ne voulait pas se séparer de ces gens d’armes, parce qu’elle les croyait réconciliés avec Dieu, et qu’elle n’était pas sûre d’en retrouver d’autres aussi contrits. Or, pour elle, la victoire ou la défaite dépendaient uniquement de l’état de grâce ou de péché où se trouvaient les combattants ; les mener à confesse, c’était tout son art militaire ; elle n’avait point d’autre science pour combattre derrière des murs ou en rase campagne.

— Quant à ce qui est d’entrer dans la ville, dit-elle, il me ferait mal de laisser mes gens et ne le dois faire. Ils sont tous confessés et, en leur compagnie, je ne craindrais pas toute la puissance des Anglais[14].

En fait, comme on le pense bien, confessés ou non, près d’elle ou loin d’elle, ces soudards commettaient tous les péchés compatibles avec la simplicité d’esprit ; mais l’innocente n’en voyait rien ; ouverts aux choses invisibles, ses yeux étaient fermés aux choses sensibles.

Elle était soutenue clans sa résolution de retourner à Blois par les capitaines qui l’avaient amenée et qui la voulaient emmener, alléguant les ordres du roi. Comme elle portait chance, ils tenaient à la garder. Monseigneur le Bâtard voyait au contraire de graves inconvénients et même des dangers à ce qu’elle s’éloignât. Dans l’état où il avait laissé les habitants d’Orléans, si on tardait à leur montrer leur Pucelle, cris, menaces, émeutes, violences, mouvements de fureur et de désespoir, tout était à craindre, même des massacres. Il demanda en grâce aux capitaines de trouver bon, dans l’intérêt du roi, que Jeanne entrât à Orléans, et il obtint, sans trop de peine, qu’ils retournassent à Blois sans elle. Mais Jeanne ne se rendit pas si vite. Il la supplia de se décider à passer la Loire. Elle refusa et fit une telle résistance qu’il dut s’apercevoir qu’il n’est pas facile de manier une sainte. Il fallut que l’un des chefs qui l’avaient amenée, le sire de Rais ou le sire de Loré, joignît ses prières à celle du Bâtard et lui dit :

— Allez-y sûrement, car nous vous promettons de retourner bientôt vers vous[15].

Enfin, quand elle sut que le frère Pasquerel partirait avec eux, pensant que ses gens seraient bien confessés, elle consentit à rester[16]. Elle passa la Loire avec ses frères, sa petite compagnie, le Bâtard, le maréchal de Boussac, le capitaine La Hire, et débarqua à Chécy qui était alors un très gros bourg, ayant deux églises, un Hôtel-Dieu, une léproserie[17]. Elle fut reçue par un riche bourgeois nommé Guy de Cailly, dans le manoir de Reuilly où elle passa la nuit[18].

Le 29 au matin, les chalands qui avaient mouillé à Chécy traversèrent la Loire, et les convoyeurs les chargèrent de vivres, de munitions et de bétail[19]. La Loire était haute[20]. Les chalands purent dériver à charge par le chenal navigable qui longeait la rive gauche. Les oseraies et les bouleaux de l’Ile-aux-Bœufs les cachaient aux- Anglais de la bastille Saint-Loup qui, d’ailleurs, avaient en ce moment beaucoup à faire. La garnison de la ville, pour les distraire, escarmouchait contre eux. On s’y battait assez rudement ; il y avait morts, blessés et prisonniers des deux partis et les Anglais perdaient tin étendard[21]. Les chalands passèrent à découvert sous le guet de Saint-Jean-le-Blanc, qui était abandonné[22], tournèrent à tribord entre l’Ile-aux-Bœufs et l’îlette des Martinets, pour redescendre, en côtoyant la rive droite, sous l’Ile-aux-Toiles jusqu’à la Tour-Neuve, dont le pied baignait dans la Loire, à l’angle sud-est de la ville. Puis ils se mirent à l’abri dans les fossés de la porte de Bourgogne[23].

Toute la journée, le manoir de Reuilly fut assiégé par une foule de bourgeois orléanais qui, n’y pouvant tenir, étaient venus, au péril de leur vie, voir la Pucelle promise. Elle quitta Chécy seulement à six heures du soir. Les capitaines voulaient ne la faire entrer dans la ville que la nuit tombée, de peur qu’on ne s’écrasât devant elle et qu’il n’y eût de grands désordres[24]. Ils passèrent sans doute par les larges vallées qui descendent au midi de Semoy, sur les confins des paroisses de Saint-Marc et de Saint-Jean-de-Braye. Chemin faisant, elle disait à ceux qui chevauchaient avec elle :

— Ne craignez rien. Il ne vous arrivera aucun mal[25].

En fait, le passage n’était dangereux qu’aux piétons. Les gens de cheval ne risquaient guère d’être poursuivis par les Anglais, qui, dans leurs bastilles, manquaient de chevaux.

Ce vendredi 29 avril, elle entra de nuit dans Orléans par la porte de Bourgogne ; elle était armée de toutes pièces, et montée sur un cheval blanc[26]. Un cheval blanc était la monture des hérauts d’armes et des archanges[27]. Le Bâtard l’avait placée à sa droite. Elle faisait porter devant elle son étendard, sur lequel on voyait deux anges tenant chacun à la main une fleur de lis, et son pennon avec l’image de la Salutation angélique. Puis venaient le maréchal de Boussac, Guy de Cailly, Pierre et Jean d’Arc, Jean de Metz et Bertrand de Poulengy, le sire d’Anion, les seigneurs, capitaines, écuyers, gens de guerre et citoyens qui étaient allés au-devant d’elle à Reuilly[28]. A sa rencontre, se pressaient les bourgeois et les bourgeoises d’Orléans, portant des torches et montrant autant de joie que s’ils eussent vu Dieu lui-même descendre dans leur ville[29]. Ils avaient souffert de grands maux et craint de n’être point secourus, mais déjà ils se sentaient réconfortés et comme désassiégés par la vertu divine qu’on leur avait dit être en cette pucelle. Ils la regardaient avec un pieux amour. Hommes, femmes, enfants se précipitaient, s’étouffaient pour la toucher, elle et son cheval blanc, comme on touche les reliques des saints. Dans cette presse une torche mit le feu au pennon. Ce que voyant, la Pucelle donna de l’éperon et allongea le pas jusqu’à la flamme qu’elle éteignit avec une adresse qui parut merveilleuse ; car tout en elle émerveillait[30]. Gens d’armes et bourgeois ravis l’accompagnèrent en foule, par la ville, à l’église Sainte-Croix, où premièrement elle alla rendre grâces à Dieu, puis à l’hôtel de Jacques Boucher, où son logis était préparé[31].

Jacques, ou comme on disait, Jacquet Boucher, depuis plusieurs années trésorier du duc d’Orléans, était très riche homme et avait épousé la fille d’un des plus notables bourgeois de la cité[32]. Demeuré dans sa ville durant tout le siège, il contribuait à la dépense, faisait des dons de blé, d’avoine et de vin, avançait des deniers pour achats de poudre et d’armes. La garde des remparts appartenant aux bourgeois, Jacques Boucher avait charge de tenir en état de défense la porte Renart où il demeurait et qui se trouvait la plus exposée aux attaques des Anglais. Son hôtel, un des plus beaux et des plus grands de la ville, autrefois habité par une famille Repart ou Renart qui avait donné son nom à la porte, était situé dans la rue des Talmeliers, tout proche l’enceinte. Les capitaines y tenaient conseil, quand ils ne se réunissaient pas dans l’hôtel du chancelier Guillaume Cousinot, rue de la Rose[33]. Le logis de Jacques Boucher était sans doute bien garni de vaisselle d’argent et de tapisseries historiées. Dans une des salles, il y avait, paraît-il, une peinture représentant trois femmes et portant cette inscription : Justice, Paix, Union[34].

La Pucelle fut reçue en cette maison avec ses deux frères, les deux compagnons qui l’avaient amenée au roi et leurs valets. Elle s’y fit désarmer[35] La femme et la fille de Jacques Boucher passèrent la nuit avec elle. Jeanne partagea le lit de l’enfant, qui avait neuf ans et se nommait Charlotte, du nom du duc Charles, que servait son père[36]. C’était l’usage alors que l’hôte partagent son lit avec son hôte, l’hôtesse avec son hôtesse. La civilité le voulait ; les rois n’y manquaient pas plus que les bourgeois. On enseignait aux enfants comment il fallait se comporter avec son compagnon de lit, tenir sa juste place, ne pas bouger et dormir la bouche fermée[37].

Ainsi l’argentier ducal accueillit la Pucelle en son hôtel et l’hébergea aux frais de la ville. Les chevaux de Jeanne furent mis dans l’écurie d’un bourgeois nommé Jean Pillas. Quant aux frères d’Arc, ils ne demeurèrent point avec leur sœur, mais logèrent en l’hôtel de Thévenin Villedart. La ville les défraya de tout, leur fournit notamment les souliers et les houseaux dont ils avaient besoin et leur fit don de quelques écus d’or. Trois compagnons de la Pucelle, fort dénués, qui la vinrent trouver à Orléans, reçurent de quoi manger[38].

Le lendemain, 30 avril, les milices orléanaises furent debout au petit jour. Depuis la veille au soir tout était renversé dans la ville ; la révolte, longtemps contenue, éclatait. Les bourgeois, qui, dès le mois de février, avaient pris la chevalerie en défiance et en haine, la secouaient enfin et la brisaient[39]. Il n’y avait plus ni lieutenant du roi, ni gouverneur, ni seigneurs, ni chefs de guerre ; il n’y avait plus qu’un pouvoir et qu’une force : la Pucelle. La Pucelle était capitaine de la commune. Cette fillette, cette pastoure, cette béguine que les nobles amenaient pour qu’elle leur portât bonheur, leur causait le plus grand dommage qu’ils pussent éprouver ; elle les réduisait à rien. Dès la matinée du 30, ils eurent tout lieu de s’apercevoir que la révolution bourgeoise était accomplie. Les milices attendaient la Pucelle pour la mettre à leur tête et marcher tout de suite avec elle contre les Godons. Les capitaines essayèrent de leur faire comprendre qu’il fallait attendre l’armée de Blois et les gens du maréchal de Boussac qui étaient partis, la nuit, à la rencontre de cette armée. Les bourgeois en armes ne voulaient rien entendre et réclamaient à grands cris la Pucelle. Elle ne parut point. Monseigneur le Bâtard, qui avait la langue dorée, lui avait conseillé de ne se pas montrer[40]. Ce fut le dernier avantage que les chefs prirent sur elle. Encore, en paraissant leur céder, n’avait-elle, cette fois, comme les autres, agi qu’à sa volonté. Quant aux bourgeois, avec ou sans la Pucelle, ils voulaient se battre. Le Bâtard ne put les en empêcher. Ils sortirent, accompagnés par les Gascons du capitaine La Hire et les gens de messire Florent d’Illiers ; ils attaquèrent courageusement la bastille Saint-Pouair, que les Anglais nommaient Paris et qui se dressait à quatre cents toises des murs ; ils culbutèrent le poste avancé et approchèrent la bastille de si près qu’on leur apportait déjà de la ville des fagots et de la paille pour incendier les barrières. Mais les Anglais, au cri de Saint-Georges, sortirent en bon ordre et, après un rude et sanglant combat, repoussèrent l’attaque des bourgeois et des routiers[41].

La Pucelle n’en avait rien su. Venue de Dieu sur son cheval blanc, en messagère armée et pacifique, elle n’estimait ni juste ni pieux de combattre les Anglais avant qu’ils eussent refusé ses offres de paix. Ce jour, comme la veille, tout son désir était d’aller saintement vers Talbot. Elle demanda nouvelle de sa lettre et apprit que les capitaines anglais n’en avaient tenu nul compte et qu’ils avaient gardé son héraut Guyenne[42]. Voici ce qui était arrivé.

Cette lettre, que le Bâtard trouvait faite de paroles bien simples, produisit sur les Anglais un effet prodigieux. Elle les remplit de fureur et d’épouvante. Ils retinrent le héraut qui l’avait portée, et, bien que la coutume et l’usage fussent de respecter la personne de ces officiers, alléguant que le messager de la sorcière ne pouvait être qu’un hérétique, ils le firent mettre aux fers et, après une manière de procès, le condamnèrent an feu comme complice de l’abuseresse[43]. Même, ils dressèrent le poteau où il devait être lié. Toutefois, avant d’exécuter la sentence, ils jugèrent bon de consulter l’Université de Paris, comme l’évêque de Beauvais devait la consulter, en pareille matière, dix-huit mois plus tard[44]. La peur les rendait méchants. Ces malheureux, que l’on traitait de diables, craignaient les diables. Ils soupçonnaient les Français à l’esprit subtil d’être nécromanciens et sorciers, et disaient que les Armagnacs avaient fait mourir le grand roi Henri V par des vers magiques. Redoutant que leurs ennemis n’usassent contre eux de sortilèges et d’enchantements, ils portaient sur eux, pour se préserver de tout mal des bandes de parchemin couvertes de formules conjuratoires qu’on nommait des periapts[45]. Le plus efficace, de ces amulettes, était le premier chapitre de l’évangile de saint Jean. A cette époque, les étoiles les menaçaient et les mathématiciens lisaient dans le ciel leur ruine prochaine. Leur défunt roi Henri V avait, du temps qu’il étudiait à Oxford, appris les règles de la divination par les astres. Il gardait dans ses coffres pour son usage particulier deux astrolabes, l’un d’argent et l’autre d’or. Quand sa femme, Catherine de France, fut près d’accoucher, il opéra lui-même l’élection à la fois sidérale et topique, relative à la venue de l’enfant dans le monde. Et, comme d’ailleurs une prophétie courait l’Angleterre[46], disant que Windsor perdrait ce que Monmouth avait gagné, il défendit à la reine de faire ses couches à Windsor. Mais on ne peut détourner la destinée. L’enfant royal naquit à Windsor. Son père était en France quand il en apprit la nouvelle ; il en conçut de funestes présages et fit venir Jean Halbourd de Troyes, ministre général des trinitaires ou mathurins, excellent en astrologie, qui, ayant dressé le thème de nativité, ne put que confirmer le roi dans ses noirs pressentiments[47]. Et voici que les temps étaient venus. Windsor régnait ; il fallait s’attendre à tout perdre. Merlin l’avait prédit, qu’une vierge les devait bouter hors de France et de tout point les défaire. Quand vint la Pucelle, ils pâlirent d’effroi ; capitaines et soldats perdirent tout courage[48]. Tels qui n’avaient peur d’homme au monde tremblaient devant cette fille, la tenant pour sorcière. C’eût été trop leur demander que de la tenir pour sainte et envoyée du Ciel. Il suffisait qu’ils la prissent pour une magicienne très savante[49]. A ceux qu’elle venait secourir, elle semblait une fille de Dieu ; à ceux qu’elle venait détruire, elle apparaissait comme un monstre horrible en forme de femme. Ce double aspect fit toute sa force : angélique pour les Français et diabolique pour les Anglais, elle se montrait aux uns et aux autres invincible et surnaturelle.

Dans la soirée du 30, elle envoya au camp de Saint-Laurent-des-Orgerils son héraut Ambleville pour réclamer Guyenne, qui avait porté la lettre de Blois et qui n’était pas revenu. Ambleville avait aussi mission de dire à sir John Talbot, au comte de Suffolk et au seigneur de Scales, que de la part de Dieu, la Pucelle les sommait de partir et d’aller en Angleterre ; autrement que mal leur adviendrait. Les Anglais renvoyèrent Ambleville avec un mauvais message.

-- Les Anglais, dit-il à la Pucelle, gardent mon compagnon pour le briller.

Elle répondit :

— En nom Dieu, ils ne lui feront nul mal.

Et elle ordonna à Ambleville de retourner[50].

Elle était indignée, et sans doute grandement déçue. Certes elle n’avait point prévu que Talbot et les chefs du siège feraient un tel accueil à une lettre inspirée par mesdames sainte Catherine et sainte Marguerite et par monseigneur saint Michel ; mais elle avait tant de charité au cœur, qu’elle voulut offrir encore la paix aux Anglais. Dans son innocence, elle ne pouvait croire que les avertissements qu’elle donnait de par Dieu ne fussent point enfin entendus. D’ailleurs, quoi qu’il en dût advenir, elle voulait faire son devoir jusqu’au bout. Elle sortit à la nuit par la porte du Pont et alla jusqu’au boulevard de la Belle-Croix. Il n’était pas rare qu’on s’interpellât d’un parti à l’autre. La Belle-Croix était à portée de voix des Tourelles. La Pucelle monta sur la barrière et cria aux Anglais :

— Rendez-vous, de par Dieu, vos vies sauves seulement.

Mais ceux de la garnison et le capitaine William Glasdall lui-même lui crachèrent de basses injures et d’horribles menaces.

— Vachère ! Si nous te tenons jamais, nous te ferons briller.

Elle leur répondit qu’ils mentaient. Mais ils étaient sérieux et sincères ; ils croyaient fermement que cette fille armait contre eux des légions de diables[51].

Le dimanche 1er mai, monseigneur le Bâtard alla au-devant de l’armée de Blois[52]. Il connaissait le pays ; actif et prudent, il tenait à surveiller l’entrée de ce convoi comme il avait surveillé l’entrée de l’autre. Il partit avec une petite escorte. Adroitement, pour flatter les Orléanais dans leur amour et leur piété, pour se mettre, autant dire, sous la sauvegarde de leur sainte, ne se risquant point, à l’emmener elle-même, il emmena du moins quelqu’un à elle, son intendant, le sire Jean d’Aulon[53]. Il saisissait la première occasion de montrer son bon vouloir à l’endroit de la Pucelle, sentant que désormais on ne pouvait rien faire qu’avec elle et sous son ombre.

La ferveur des citoyens ne tiédissait point. Ce jour encore, clans le grand désir de voir la sainte, ils se pressèrent en foule devant l’hôtel de Jacques loucher avec autant de violence que les pèlerins du Puy dans le sanctuaire de la Vierge noire. On craignit que les portes ne fussent enfoncées. Le cri d’un peuple montait vers elle. C’est alors qu’elle se montra bonne, sage, égale à sa mission et vraiment née pour le salut de tous. Ce peuple f’ou, en l’absence des capitaines et des hommes d’armes, n’attendait qu’un signe d’elle pour courir tumultueusement aux bastilles, s’y briser, s’y meurtrir. Ce signe, malgré les visions guerrières qui l’obsédaient, elle ne le fit pas. Tout entant qu’elle était et ignorante des choses de la guerre et de toute chose humaine, elle trouva en elle le sentiment et la force d’éviter le désastre. Elle mena cette foule d’hommes, non point aux bastilles anglaises, mais aux lieux saints de la cité. Elle chevauchait par les rues, accompagnée de plusieurs chevaliers et écuyers ; la foule des hommes et des femmes se jetait sur son passage et ne pouvait se rassasier de la voir. On s’émerveillait de ce qu’elle pût se tenir à cheval de si noble façon, comme elle faisait, et se comporter en toutes ses manières ainsi qu’un homme d’armes, et l’on se serait écrié que c’était un vrai saint Georges, si l’on n’eût eu soupçon que monsieur saint Georges s’était tourné Anglais[54].

Ce dimanche, elle alla, pour la deuxième fois, offrir la paix aux ennemis du royaume. Elle sortit par la porte Renart et s’avança sur la route de Blois, dans le faubourg incendié, vers la bastille anglaise qui, ceinte d’un double fossé, s’élevait sur un coteau, au carrefour nommé la croix Boissée ou Buissée, parce que les Orléanais y avaient dressé une croix que, chaque année, ils ornaient de buis bénit, le jour de Pâques fleuries. Elle voulait sans doute atteindre cette bastille et, peut-être, se rendre au camp de Saint-Laurent-des-Orgerils qui s’étendait entre la croix Boissée et la Loire et où étaient, comme elle avait dit, Talbot et les Anglais. Car elle ne désespérait pas encore de se faire entendre des chefs du siège. Mais au pied du coteau, en un lieu dit la Croix-Morin, elle rencontra des Godons qui gardaient le passage. Là, gravement, religieusement, saintement, elle les somma de se retirer devant les armées du Seigneur.

— Rendez-vous, la vie sauve tant seulement. Retournez de par Dieu en Angleterre. Si non, je ferai que vous serez affligés[55].

Ces gens d’armes lui répondirent, ainsi qu’avaient fait ceux des Tourelles, par des paroles injurieuses. L’un d’eux, le bâtard de Granville, lui cria :

— Veux-tu donc que nous nous rendions à une femme ?

Ils appelèrent les Français qui étaient avec elle maquereaux et mécréants, pour leur faire honte d’accompagner une ribaude et une sorcière. Mais soit qu’ils crussent que ses charmes la rendaient invulnérable, soit qu’ils tinssent pour honteux de férir quiconque portait un message, pas plus cette fois que les autres ils ne tirèrent sur elle[56].

Ce dimanche, Jacquet le Prestre, varlet de la ville, offrit le vin à la Pucelle[57]. Les procureurs et les citoyens ne savaient mieux faire pour honorer celle qu’ils regardaient comme leur capitaine. Ainsi en usaient-ils avec les seigneurs, les rois et les reines qu’ils recevaient dans leurs murailles. Le vin était alors grandement estimé pour sa noblesse et sa bienfaisance. Jeanne, en formant un souhait, disait volontiers : Dussé-je ne pas boire de vin d’ici à Pâques ![58]... Mais de fait, elle ne buvait point de vin pur et mangeait peu[59].

Durant ces jours d’attente, la Pucelle ne se reposa pas un moment. Le lundi 2 mai, elle monta à cheval et alla aux champs pour voir les bastilles anglaises. Le peuple la suivit en masse, sans crainte, joyeux d’être près d’elle. Et quand elle eut regardé tout à son aise, elle rentra dans la ville et se rendit à l’église cathédrale où elle entendit les vêpres[60].

Le lendemain, 3 mai, jour de l’invention de la sainte Croix, qui était la fête de la cathédrale, elle suivit la procession avec les procureurs et les habitants. Là, maître Jean de Macon, chantre de la cathédrale[61], l’aborda en ces termes :

— Ma fille, êtes-vous venue pour lever le siège ? Elle répondit :

— En nom Dieu, oui[62] !

Les Orléanais croyaient tous que les Anglais étaient innombrables autour de la ville comme les étoiles dans le ciel ; le notaire Guillaume Girault n’attendait plus qu’un miracle[63] ; Jean Luillier, marchand drapier[64] de son état, estimait impossible que les concitoyens pussent tenir longtemps contre des ennemis à ce point plus forts qu’eux[65]. Messire Jean de Macon s’effrayait pareillement de la puissance et de la multitude des Godons.

— Ma fille, dit-il à. la Pucelle, ils sont forts et bien fortifiés, et ce sera une grande affaire que de les mettre dehors[66].

Si le notaire Guillaume Girault, si le drapier Jean Luillier, si messire Jean de Macon, au lieu de nourrir des imaginations tristes, avaient fait le compte des assiégés et des assiégeants, ils auraient reconnu que ceux-ci étaient moins nombreux que ceux-là, et que l’armée de Scales, de Suffolk, de Talbot, semblait maigre et chétive au regard des armées que le roi Henri V avait jadis menées aux grands sièges ; ils se seraient aperçus, en y regardant un peu, que les bastilles horrifiquement nommées Londres et Paris n’étaient capables d’arrêter au passage ni blé, ni bœufs, ni pourceaux, ni gens d’armes, que des marchands avec leurs bestiaux insultaient chaque jour ces gigantesques mannequins ; et qu’enfin les affaires des Orléanais étaient pour l’heure en meilleur état que celles des Anglais. Mais ils n’avaient rien observé par eux-mêmes et ils s’en tenaient au sens commun, qui est rarement le sens du juste et du vrai. La Pucelle n’entra pas dans les fausses raisons de messire Jean de Macon. Des Anglais, elle n’en savait pas plus que lui ; cependant, comme elle était une sainte, elle répondit avec tranquillité :

— Il n’est rien d’impossible à la puissance de Dieu[67]. Et maître Jean de Macon l’approuva de penser ainsi.

Ce qui rendait la situation trouble, dangereuse, effrayante, c’est que les bourgeois se croyaient trahis. Ils se rappelaient le comte de Clermont, l’homme des Harengs, et ils soupçonnaient les gens du roi de les abandonner encore ; ils se voyaient, après avoir tant fait et tant payé, livrés aux Anglais. Cette idée les rendait fous[68]. Le bruit courait que le maréchal de Boussac, parti avec monseigneur le Bâtard au-devant du second convoi de vivres, et qui devait revenir le mardi 3, ne reviendrait pas. On disait que le chancelier de France voulait licencier l’armée. C’était absurde : le Conseil du roi et celui de la reine de Sicile faisaient au contraire de vigoureux efforts pour délivrer la cité ; mais de longues souffrances et un horrible danger troublaient les esprits. On craignait aussi plus raisonnablement qu’il n’arrivât malheur en chemin à ceux de Blois, comme il était arrivé aux autres, à Rouvray. Les inquiétudes des bourgeois envahirent les compagnons de la Pucelle. Un des meilleurs d’entre eux, le sire d’Aulon, son intendant, lui laissa voir ses craintes : elle n’en fut point effleurée. Elle répondit avec la tranquillité radieuse des illuminées :

— Le maréchal viendra. Et je sais bien qu’il ne lui arrivera aucun mal[69].

Ce jour-là, on vit entrer es petites garnisons de Gien, de Château-Regnard et de Montargis[70]. Mais l’armée de Blois ne vint point. Le lendemain au petit jour, elle fut signalée dans la plaine de Beauce. Et, en effet, le sire de Rais, ramené par le maréchal de Boussac et monseigneur le Billard, longeait avec ses hommes d’armes la forêt d’Orléans[71]. Les bourgeois, à cette nouvelle, durent tous s’écrier que la Pucelle avait eu raison de vouloir passer au nez de Talbot, puisque maintenant les capitaines suivaient le chemin qu’elle avait indiqué. En fait il en était un peu autrement qu’on ne croyait. Une partie seulement de l’armée de Blois s’était risquée à forcer le passage entre les bastilles de l’ouest : le convoi avec son escorte venait, comme l’autre, par la Sologne et devait entrer par eau dans la ville, et l’on avait raisonnablement maintenu, pour débarquer les vivres, les dispositions qui s’étaient à l’usage trouvées excellentes une première fois[72].

Le capitaine La Hire et plusieurs chefs demeurés dans la ville allèrent avec cinq cents combattants au-devant du sire de Rais, du maréchal de Boussac et du Bâtard. La Pucelle monta à cheval et partit avec eux. Ils traversèrent les lignes anglaises vers Saint-Ladre et, ayant rencontré l’armée un peu au delà, ils retournèrent à la ville de compagnie. Les prêtres, et parmi eux le frère Pasquerel, portant la bannière, passèrent les premiers sous la bastille de Paris, en chantant des psaumes[73].

Jeanne dîna dans l’hôtel de Jacques Boucher avec son intendant Jean d’Aulon. Quand on eut retiré la nappe, le Bâtard étant venu chez le trésorier, causa un moment avec elle, gracieux et courtois, mais ne disant que ce qu’il voulait dire.

— J’ai su de vrai, fit-il, par gens dignes de foi, que Falstolf doit venir bientôt vers les Anglais qui font le siège, pour les renforcer et les ravitailler, et qu’il est déjà à Janville.

Jeanne, à cette nouvelle, montra une grande joie et dit en riant :

— Bâtard, Bâtard, en nom Dieu, je te commande que sitôt que tu sauras la venue de Falstolf, tu me le fasses savoir. Car, s’il passe sans que je le sache, je te promets que je te ferai ôter la tête.

Sans paraître fâché de ce badinage un peu rude, il lui répondit qu’elle n’eût crainte, qu’il le lui ferait bien savoir[74].

Sir John Falstolf était déjà signalé le 26 avril. C’est surtout pour ne pas .le rencontrer qu’on avait passé par la Sologne. Il se peut qu’on l’eût encore signalé le 4 mai, sans plus de raison. Mais le Bâtard savait autre chose. Le blé du second convoi était, comme celui du premier, descendu par le fleuve ; on avait décidé en conseil que les capitaines attaqueraient dans l’après-dînée la bastille Saint-Loup, pour opérer une diversion, ainsi qu’on avait fait le 29 avril[75] L’attaque était déjà commencée. De cela le Bâtard ne souffla mot à la Pucelle. Il lui apparaissait qu’elle était la seule puissance debout dans la ville, mais il croyait que dans la guerre, elle ne dût vaquer qu’au spirituel[76]

Après qu’il se fut retiré, Jeanne, fatiguée de sa chevauchée matinale, se mit sur son lit avec son hôtesse pour dormir un peu. Le sire Jean d’Aulon, qui était fort las, s’étendit sur une couchette, dans la même chambre, pensant prendre le repos dont il avait besoin. Mais à peine s’était-il endormi que la Pucelle sauta du lit et l’éveilla à grand bruit. Il lui demanda ce qu’elle voulait.

— En nom Dieu ! répondit-elle tout agitée, mon Conseil m’a dit que j’allasse contre les Anglais, mais je ne sais si je dois aller à leurs bastilles ou contre Falstolf, qui les doit ravitailler[77].

Elle avait rêvé et assisté en songe à ce qu’elle appelait son Conseil, c’est-à-dire à la venue des saintes. Elle avait entendu, dans son rêve, madame sainte Catherine et madame sainte Marguerite. Il était arrivé cette fois ce qui arrivait toujours. Les saintes ne lui avaient dit que ce qu’elle savait elle-même ; elles ne lui avaient rien révélé de ce qu’elle avait besoin d’apprendre, elles ne l’avaient pas avertie qu’en ce moment même les Français attaquaient la bastille Saint-Loup et souffraient grand dommage. Et elles s’en étaient allées, les bienheureuses, la laissant dans l’erreur et l’ignorance de ce qui était, clans l’incertitude de ce qu’il fallait faire. Ce n’était pas le bon sire d’Aulon qui pouvait la tirer d’embarras. On ne l’appelait pas, lui non plus, aux conseils des capitaines. Il ne lui répondit rien, et se mit à l’armer le plus vite qu’il put. Il avait déjà commencé, quand ils entendirent une grande rumeur et des cris qui montaient de la rue. Ils apprirent des passants qu’on se battait du côté de Saint-Loup et que les ennemis faisaient beaucoup de mal aux Français. Jean d’Aulon, sans en demander davantage, alla tout de suite se faire armer par son écuyer. Presque en même temps Jeanne descendit et demanda :

— Où sont ceux qui me doivent armer ? Le sang de nos gens coule[78].

Elle trouva dans la rue frère Pasquerel, son chapelain, avec quelques prêtres, et son page Mugot, à qui elle cria :

— Ha ! sanglant garçon, vous ne me disiez pas que le sang de France fût répandu !... En nom Dieu, nos gens ont fort affaire[79].

Elle lui commanda d’amener son cheval et acheva de se faire armer par la femme et la fille de son hôte. Le page, à son retour, la trouva tout équipée. Elle l’envoya chercher son étendard, qui était resté dans sa chambre. Il le lui passa par la fenêtre. Elle le prit et lança son cheval sur la grand’rue, vers la porte de Bourgogne, d’un tel pas, que le feu jaillissait du pavé[80].

— Courez après elle ! cria la femme de l’argentier[81].

Le sire d’Aulon ne l’avait pas vue partir. Il s’imagina, on ne sait pourquoi, qu’elle était sortie à pied et qu’ayant rencontré dans la rue un page monté sur un cheval, elle l’en avait fait descendre et avait pris le cheval[82] Pour aller de la porte Renart à la porte de Bourgogne, il fallait traverser la ville dans toute sa largeur. Jeanne qui, depuis trois jours, parcourait les rues d’Orléans, tira son chemin tout droit. Jean d’Aulon et le page, qui la poursuivaient à grande hâte, ne la rejoignirent qu’à la porte. Comme ils y arrivaient, ils rencontrèrent un blessé qu’on emmenait. La Pucelle demanda aux porteurs qui était cet homme. Ils répondirent que c’était un Français. Elle dit alors :

— Je n’ai jamais vu sang de Français que les cheveux ne me levassent sur la tête[83].

La Pucelle et le sire d’Aulon poussèrent, avec quelques gens d’armes de leur compagnie, par les champs, sur Saint-Loup. Chemin faisant ils virent des hommes de leur parti. Le bon écuyer, peu accoutumé aux grandes batailles, ne se rappelait pas en avoir jamais vu autant à la fois[84].

Depuis une heure, les Bretons et les Manceaux du sire de Rais escarmouchaient devant la bastille. Les derniers arrivés, selon l’usage, faisaient le guet[85]. Mais, si ces combattants, venus le matin dans la ville, avaient attaqué sans prendre le temps de souiller, c’est apparemment qu’ils étaient pressés. Ils faisaient ce qu’on avait fait le 29 avril et pour la même raison[86], c’est-à-dire qu’ils occupaient les Anglais pendant le passage des chalands chargés de blé qui, en ce moment même, descendaient la rivière jusqu’au fossé de l’enceinte. Du buta de leur colline escarpée, dans leur forte bastille, les Anglais s’étaient défendus facilement malgré leur petit nombre, et les gens du roi n’avaient guère tenu, puisque la Pucelle et le sire d’Aulon les trouvaient répandus par les champs. Elle les rassembla et les ramena. C’étaient ses amis : ils avaient voyagé ensemble, chanté ensemble des hymnes et des psaumes, entendu ensemble la messe dans les champs. Ils savaient qu’elle portait chance : ils la suivirent. En marchant à leur tête, elle eut d’abord une pensée religieuse. La bastille était construite sur l’église et le monastère des Dames de Saint-Loup. Elle fit publier à son de trompe qu’on ne prit rien dans l’église[87]. Il lui souvenait que, pour avoir pillé l’église de Notre-Dame de Cléry, Salisbury avait fait une mauvaise fin ; et elle avait à cœur de préserver de male mort ses hommes d’armes[88]. C’était la première fois qu’elle voyait des gens combattre et, sitôt entrée dans la bataille, elle en devint le chef parce qu’elle était la meilleure. Elle fit mieux que les autres, non qu’elle en sût davantage ; elle en savait moins. Mais elle avait plus grand cœur. Quand chacun songeait à soi, seule elle songeait à tous ; quand chacun se gardait, elle ne se gardait de rien, s’étant offerte tout entière par avance. Et cette enfant, qui, comme toute créature humaine, craignait la souffrance et la mort, à qui ses Voit, ses pressentiments avaient annoncé qu’elle serait blessée, alla droit en avant et demeura, sous les traits d’arbalète et les plombées de couleuvrines, debout au bord du fossé, son étendard à la main, pour rallier les combattants[89]. Par elle ce qui n’était qu’une diversion devenait une attaque à fond. On donna l’assaut.

Lorsqu’il sut que la bastille Saint-Loup était attaquée, sir John Talbot sortit du camp de Saint-Laurent-des-Orgerils. Il avait beaucoup de chemin à faire sur ses lignes et le long de la forêt avant d’atteindre la bastille en péril. Il se mit en marche et ramassa sur son passage les garnisons des bastilles de l’ouest. Les guetteurs de la ville virent ces mouvements et sonnèrent l’alarme ; le maréchal de Boussac sortit par la porte Parisis, au nord, et alla vers Fleury s’opposer à la marche de Talbot. Le capitaine anglais se disposait à forcer le passage quand il vit une épaisse fumée s’élever au-dessus de la bastille Saint-Loup. Il comprit que les Français l’avaient prise et brûlée, et il retourna tristement au camp de Saint-Laurent-des-Orgerils[90].

L’assaut avait duré trois heures. Après l’incendie de la bastille, les Anglais grimpèrent dans le clocher de l’église. Les Français les y dénichèrent à grand’peine, mais sans péril aucun. Ils firent une quarantaine de prisonniers et tuèrent tout le reste. De voir tant d’ennemis morts, la Pucelle était toute dolente. Elle plaignait ces pauvres gens qui étaient morts sans confession[91]. Quelques Godons, revêtus d’habits et d’ornements ecclésiastiques, allèrent au-devant d’elle. Elle s’aperçut bien que c’étaient des soldats affublés des aumusses et des étoles qu’ils avaient trouvées dans la sacristie de l’abbaye aux Dames. Mais elle feignit de les prendre pour ce qu’ils se donnaient. Elle les reçut et les fit conduire en son hôtel, sans permettre qu’on leur fit aucun mal. Par une moquerie charitable :

— On ne doit rien demander, dit-elle, aux gens d’Église[92].

Avant de quitter la place, elle se confessa au frère Pasquerel, son chapelain. Et elle le chargea de faire ce mandement à tous les hommes d’armes : Confessez vos péchés et rendez grâces à Dieu de la victoire obtenue. Sinon la Pucelle ne vous aidera plus et ne demeurera pas en votre compagnie[93].

La bastille de Saint-Loup, attaquée par plus de quinze cents Français, avait été défendue par trois cents Anglais seulement. Ce qui donne à croire qu’ils la défendirent mal, c’est qu’il n’y eut, dit-on, du parti des Français, que deux ou trois hommes tués[94]. Cet avantage, les gens du roi de France ne l’avaient point obtenu par profond calcul, ni à grand effort d’intelligence ; et ils ne l’avaient pas payé cher. Pourtant il était énorme. C’étaient les communications des assiégeants avec Jargeau coupées, c’était le cours supérieur de la Loire ouvert et le commencement de la délivrance. Mieux encore, c’était la preuve faite que ces diables dont on avait eu si grande peur étaient des hommes misérables, qu’on pouvait prendre comme des souris, enfumer comme des guêpes dans leur nid. Cet inespéré bonheur était dû à la Pucelle. Elle avait tout fait, puisque sans elle on n’aurait rien fait. C’est elle qui, dans son ignorance plus savante que la science des routiers et des capitaines, avait changé la vaine escarmouche en attaque profonde et donné victoire en donnant confiance.

Le soir même, les procureurs envoyèrent des ouvriers à Saint-Loup, pour détruire les fortifications conquises[95].

Rentrée de nuit en son logis, Jeanne avertit son aumônier que, le lendemain, jour de l’Ascension de Notre-Seigneur, elle s’abstiendrait de s’armer et de guerroyer, par révérence de cette fête. Elle ordonna que nul ne pensât à sortir de la ville, à attaquer ou faire assaut, qu’il ne se fût d’abord confessé. Elle ajouta qu’il fallait que les gens d’armes prissent garde que des femmes dissolues n’allassent point à leur suite, de peur qu’à cause de leurs péchés Dieu ne leur fit perdre la bataille[96].

Au besoin, la Pucelle veillait elle-même à ce que ses prescriptions au sujet des ribaudes et des blasphémateurs fussent exactement observées. Plusieurs fois elle chassa des femmes venues à la suite de l’armée. Elle semonçait les gens d’armes qui juraient et blasphémaient. Un gentilhomme se mit un jour, en pleine rue, à jurer et à renier Dieu. Jeanne, qui l’entendit, lui sauta à la gorge :

— Ah ! maître, osez-vous bien renier notre Sire et notre Maître ? En nom Dieu, vous vous en dédirez avant que je parte d’ici.

Une bourgeoise, qui passait en ce moment dans la rue, vit cet homme, qui lui parut un très grand seigneur, recevoir humblement les reproches de la sainte et témoigner de son repentir[97].

Le lendemain, jour de l’Ascension, les capitaines tinrent conseil en l’hôtel du chancelier Cousinot, rue de la Rose[98]. Là se trouvaient, avec le chancelier, monseigneur le Bâtard, le sire de Gaucourt, le sire de Rais, le sire de Graville, le capitaine La Hire, messire Ambroise de Loré et plusieurs autres. On décida d’attaquer le lendemain les Tourelles du bout du pont, la clé du siège. Il parut nécessaire de tenir en respect, pendant l’attaque, les Anglais du camp de Saint-Laurent-des-Orgerils. La veille, Talbot, parti de Saint-Laurent, n’avait pu venir à temps à Saint-Loup, parce qu’il lui avait fallu suivre une longue courbe, en contournant la ville du couchant à l’orient. Mais la rivière, qu’ils avaient perdue la veille en amont, les ennemis la tenaient encore en aval. De Saint-Laurent, ils pouvaient la passer, par l’Ile-Charlemagne, aussi rapidement que les Français la passeraient par l’Ile-aux-Toiles, et se trouver en grande puissance au Portereau. C’est ce qu’il fallait empêcher, et l’on devait, s’il était possible, attirer à Saint-Laurent-des-Orgerils les garnisons des Augustins et des Tourelles. A cet effet, on résolut de simuler l’attaque du camp de Saint-Laurent et d’y porter la commune orléanaise et les gens des communes, c’est-à-dire des villages, avec manteaux, fagots, échelles. Cependant, la noblesse traverserait la Loire, par l’Ile-aux-Toiles, aborderait au Portereau, sous le guet de Saint-Jean-le-Blanc, que les Anglais avaient évacué, se porterait sur la bastille des Augustins, et, si elle la pouvait prendre, attaquerait les Tourelles[99]. Il y aurait ainsi la bataille des bourgeois et la bataille des nobles ; celle-ci vraie, l’autre feinte, toutes deux utiles, une seule belle et cligne de la chevalerie. Le plan ainsi tracé, quelques capitaines furent d’avis qu’il serait bon d’envoyer quérir la Pucelle pour lui dire ce qu’on avait décidé[100]. Et vraiment elle s’était assez bien montrée la veille pour qu’on ne la tînt plus à l’écart. D’autres jugeaient qu’il n’était pas prudent de l’instruire de ce qui devait être fait contre les Tourelles. Car il importait que l’entreprise restât secrète, et l’on devait craindre que la sainte fille n’en parlât à ses amis de la commune. Finalement, on fut d’accord pour lui faire connaître les décisions qui concernaient la milice orléanaise, puisqu’en effet elle en était le chef, et pour lui taire ce que les bourgeois ne pouvaient savoir sans inconvénient.

Jeanne se tenait dans une chambre de l’hôtel, avec la femme du chancelier. Messire Ambroise de Loré l’alla chercher, et, quand elle fut venue, le chancelier lui annonça qu’on attaquerait le lendemain le camp de Saint-Laurent-des-Orgerils. Elle devina qu’on ne lui disait pas tout. Elle avait sa finesse ; d’ailleurs, puisqu’ils lui avaient jusqu’alors tout caché, il était assez naturel qu’elle soupçonnât qu’ils lui cachaient encore quelque chose. Cette défiance la fâcha. Pensait-on qu’elle n’était pas capable de garder un secret ? Elle parla d’un ton âpre :

— Dites ce que vous avez conclu et appointé. Je cèlerais bien plus grande chose[101].

Et, sans s’asseoir, elle allait et venait dans la salle.

Monseigneur le Bâtard voyait plus d’inconvénient à la fâcher qu’il lui dire la vérité. Il lui donna raison sans donner tort à personne :

— Jeanne, ne vous courroucez pas. On ne peut pas tout dire en une fois. Ce que le chancelier vous a dit a été conclu et appointé. Mais si ceux de l’autre côté [de l’eau, ceux de la Sologne] se départent pour venir aider la grande bastille de Saint-Laurent et ceux de par ici, nous avons appointé de passer la rivière, pour besogner ce que nous pourrons sur ceux de par delà [sur ceux des Augustins et des Tourelles]. Et nous semble que cette conclusion est bonne et profitable.

La Pucelle répondit qu’elle était contente, qu’il lui semblait que cette conclusion était bonne et qu’elle dût être ainsi exécutée[102].

On verra que le secret de la délibération ne fut pas gardé, et que les nobles ne purent faire ce qu’ils avaient conclu, ou du moins qu’ils ne le purent faire comme ils l’avaient conclu.

Ce jour de l’Ascension, la Pucelle envoya pour la dernière fois aux Anglais un message de paix, qu’elle dicta au frère Pasquerel en cette manière :

Vous, hommes d’Angleterre, qui n’avez nul droit en le royaume de France, le Roi des cieux vous prescrit et vous mande par moi, Jeanne la Pucelle, que vous quittiez vos bastilles et retourniez en vos pays, sans quoi, je ferai un tel hahai, qu’il y en aura perpétuelle mémoire. C’est ce que pour la troisième et dernière fois je vous écris, et ne vous écrirai plus.

Ainsi signé : Jhesus-Maria. Jeanne la Pucelle.

Et plus bas :

Je vous aurais envoyé ma lettre plus honnêtement. Mais vous retenez mes hérauts. Vous avez retenu mon héraut Guyenne. Veuillez me l’envoyer et je vous enverrai quelques-uns de vos gens pris à la bastille Saint-Loup : ils ne sont pas tous morts[103].

Jeanne alla à la Belle-Croix, prit une flèche, y attacha sa lettre par un fil et ordonna à un archer de la lancer aux Anglais, en criant :

— Lisez ! Ce sont nouvelles !

Les Anglais reçurent la flèche, ils détachèrent la lettre, et, l’ayant lue, ils se mirent à crier :

— Ce sont nouvelles de la putain des Armagnacs.

En les entendant, les larmes lui vinrent aux yeux et elle pleura. Mais bientôt elle vit ses saintes, qui lui parlèrent de Notre-Seigneur, et elle fut consolée.

— J’ai eu des nouvelles de Messire, dit-elle avec joie[104].

Monseigneur le Billard réclama lui-même le héraut de la Pucelle, menaçant, si on ne le renvoyait, de garder les hérauts que les Anglais lui avaient dépêchés potin traiter de l’échange des prisonniers. On prétend même qu’il menaça de mettre à mort ces prisonniers. Mais Ambleville ne revint point[105].

 

 

 



[1] Procès, t. III, pp. 4 et 5. — Boucher de Molandon, Bulletin de la Société archéologique de l’Orléanais, t. IV, p. 427, et IX, p. 73. — Le même, Première expédition de Jeanne d’Arc, pp. 41 et suiv. — Mistère du siège, vers. 11480 et suiv.

[2] Journal du siège, p. 75. — Chronique de la Pucelle, p. 283. — Chronique de l’établissement de la fête, dans Procès, t. V, p. 289.

[3] Chronique de la Pucelle, p. 281. — Procès, t. III, p. 78.

[4] Procès, t. III, pp. 5-6.

[5] Procès, t. III, p. 5. — Chronique de la Pucelle, p. 284 — Boucher de Molandon, Première expédition de Jeanne d’Arc, p. 49.

[6] Jean Chartier, Chronique, t. I, p. 63. — Journal du siège, p. 48.

[7] Opinion de Martin Berruyer, dans Lanéry d’Arc, Mémoires et consultations, chap. VII.

[8] Procès, t. III, pp. 18 et 214.

[9] Procès, t. III, p. 78. — Journal du siège, pp. 71-75. — Chronique de la fête, dans Procès, t. V, p. 290.

[10] Procès, t. III, p. 105. — Chronique de la Pucelle, p. 284.

[11] Boucher de Molandon, La délivrance d’Orléans et l’institution de la fête du 8 mai, Chronique anonyme du XVe siècle, Orléans, 1883, in-8°, pp. 28, 29.

[12] Procès, t. III, p. 6.

[13] Chronique de la fête, dans Procès, t. V, p. 290. — Morosini, t. III, p. 23, note 5. — Boucher de Molandon, Première expédition de Jeanne d’Arc, pp. 52-56.

[14] Procès, t. III, p. 6.

[15] Procès, t. III, p. 78. — Chronique de la Pucelle, p. 286. — Chronique de la fête, dans Procès, t. V, p. 285. — Bouclier de Molandon, Première expédition de Jeanne d’Arc, pp. 61-62.

[16] Procès, t. III, p. 105. — Mistère du siège, v. 11616.

[17] Boucher de Molandon, Première expédition de Jeanne d’Arc, pp. 62 et 99, note XIV, et dans Bulletin de la Société archéologique de l’Orléanais, t. IV, p. 429 ; t. IX, p. 73.

[18] Journal du siège, p. 75. — Ch. du Lys, Traité sommaire tant du nom et des armes que de la naissance et parenté de la Pucelle d’Orléans et de ses frères, Paris, 1628, in-4°, p. 50. — Abbé Dubois, Histoire du siège, p. 344. — P. Mantellier, Histoire du siège, p. 6. — Bouclier de Molandon, Première expédition de Jeanne d’Arc, p. 65, pièces justificatives, note XV.

[19] Journal du siège, pp. 75-76.

[20] Boucher de Molandon, Première expédition de Jeanne d’Arc, p. 68.

[21] Chronique de la fête, dans Procès, t. V, p. 290.

[22] Journal du siège, pp. 74, 75. — Jean Chartier, Chronique, t. I, p. 69. — Chronique de la Pucelle, pp. 284-285.

[23] Boucher de Molandon, Première expédition de Jeanne d’Arc, pp. 51 et suiv.

[24] Journal du siège, p. 75.

[25] Ibid., p. 76.

[26] Journal du siège, pp. 76-77.

[27] Et maintenant encore les trompettes montent des chevaux blancs (Histoire de Jeanne d’Arc, par Lebrun de Charmettes, 1817, in-8°, t. II, p. 21).

[28] Procès, t. III, p. 7. — Journal du siège, p. 76. — Chronique de la Pucelle, p. 287. — Jean Chartier, Chronique, t. I, p. 72. — Morosini, t. III, pp. 28-30.

[29] Procès, t. III, p. 24.

[30] Journal du siège, p. 77.

[31] Chronique de l’établissement de la fête, p. 28.

[32] Procès, t. I, p. 101 ; t. III, pp. 34, 68, 124 et suiv. ; p. 211. — Chronique de la Pucelle, p. 285. — Boucher de Molandon, Jacques Boucher, sieur de Guilleville, trésorier général du district d’Orléans..., dans Mémoires de la Société archéologique de l’Orléanais, t. XXII, 1889, p. 373. — Bouclier de Molandon, Première expédition de Jeanne d’Arc, p. 101, note XVI ; pièces justificatives, p. 108.

[33] Jean Chartier, Chronique, t. I, p. 73. — Chronique de la Pucelle, éd. Vallet de Viriville, p. 20 [Notice sur G. Cousinot le Chancelier] Cf. Nouvelle Biographie générale. — Vallet de Viriville, Essais critiques sur les historiens originaux du règne de Charles VII, dans Bibliothèque de l’Ecole des Chartes, 1857, 4e série, t. III, pp. 11-14 ; 105-111.

[34] Procès, t. I, p. 101 ; t. III, pp. 68, 124 et suiv. ; t. IV, pp. 153, 219, 227. — Journal du siège, pp. 77, 78. — Boucher de Molandon, Première expédition de Jeanne d’Arc, pp. 69, 101, note XVI.

[35] G. Lefèvre-Pontalis (Chronique d’Antonio Morosini, t. III, p. 101, note) reconnaît dans la Chronique de la Pucelle (XLIV, p. 285) un mauvais emploi d’un trait cité par Dunois dans sa déposition et qu’il faut laisser à la date du 7 mai où Dunois l’a placé (Procès, t. III, p. 9).

[36] Procès, t. III, pp. 34, 68.

[37] Franklin, La vie privée d’autrefois, t. II et XIX, passim. — H. Havard, Dictionnaire de l’ameublement, au mot : lit.

[38] Comptes de forteresse, dans Procès, t. V, pp. 259, 260.

[39] Journal du siège, pp. 43-44.

[40] Procès, t. III, pp. 7 et 211. — Chronique de la Pucelle, p. 287. — Jean Chartier, Chronique, t. I, pp. 74-75.

[41] Journal du siège, p. 78. — Chronique de la fête, dans Procès, t. V, pp. 291-292. — Lettre écrite d’Allemagne dans Procès, t. V, p. 317.

[42] Procès, t. III, pp. 27, 108. — Journal du siège, p. 79.

[43] Chronique de la Pucelle, p. 284. — Procès, t. III, p. 26.

[44] Martial de Paris, dit d’Auvergne, Vigiles de Charles VII, éd. Coustelier, 1724, t. I, p. 98.

[45] La Curne, au mot : Periapt. — Shakespeare, Henry VI, première partie, scène XXIV.

[46] Shakespeare, Henry VI, première partie, scène XI.

[47] Vallet de Viriville, Histoire de Charles VII, t. I, p. 306. — Cartier, Histoire du Valois, t. II, p. 442.

[48] Jarry, Le compte de l’armée anglaise, p. 61.

[49] Shakespeare, Henry VI, première partie, scène 1.

[50] Procès, t. III, p. 26. — Journal du siège, p. 79. — Chronique de la Pucelle, pp. 285-286.

[51] Procès, t. III, p. 108. — Journal d’un bourgeois de Paris, p. 237. — Journal du siège, p. 79. — Chronique de la Pucelle, p. 290.

[52] Procès, t. III, p. 7. — Journal du siège, p. 79.

[53] Procès, t. III, p. 211.

[54] Journal du siège, p. 80. — P. Mantellier, Histoire du siège, pp.92-95.

[55] Ibid., p. 80.

[56] Procès, t. III, p. 68. — Journal du siège, p. 79.

[57] Extraits des comptes de forteresse, dans Procès, t. V, p. 259.

[58] Procès, t. I, p. 64.

[59] Procès, t. III, pp. 9, 15, 18, 22, 60 ; t. V, p. 120. — Chronique de la Pucelle, p. 285. — Morosini, p. 101. — Relation du greffier de La Rochelle, p. 337.

[60] Journal du siège, p. 80. — P. Mantellier, Histoire du siège, p. 95.

[61] Charles Cuissard, Notes chronologiques sur Jean de Macon, dans Mémoires de la Société archéologique de l’Orléanais, t. XI, 1897, pp. 529, 545.

[62] Chronique de la fête, dans Procès, t. V, p. 291. — Lottin, Recherches, t. I, p. 30.

[63] Note de Guillaume Girault, notaire, dans Procès, t. IV, p. 282. — Journal du siège, p. 135.

[64] Procès, t. V, pp. 112-113.

[65] Procès, t. III, p. 23.

[66] Chronique de la fête, dans Procès, t. V, p. 291.

[67] Procès, t. III, p. 23.

[68] Journal du siège, pp. 51-52.

[69] Procès, t. III, p. 79. — Chronique de la Pucelle, p. 286. — P. Mantellier, Histoire du siège, p. 85.

[70] Journal du siège, p. 81.

[71] Chronique de la Pucelle, p. 287. — Journal du siège, p. 81. — Abbé Dubois, Histoire du siège, dissertation IX. — Lottin, Recherches, t. I, p. 205. — Loiseleur, Comptes des dépenses, ch. VII.

[72] Le 4 mai, comme le 29 avril, les blés descendirent par la Loire. En effet, on trouve dans un mandement de paiement mention des nottoniers qui amenèrent les blés qui furent amenés de Blois le iiije jour de may (Boucher de Molandon, Première expédition de Jeanne d’Arc, pp. 58-59).

[73] Procès, t. III, pp. 103, 211.

[74] Procès, t. III, p. 212.

[75] Ibid., t. III, p. 212. — Journal du siège, p. 78.

[76] Chronique de la Pucelle, p. 288.

[77] Procès, t. III, pp. 212-213

[78] Procès, t. III, p. 106.

[79] Ibid., t. III, p. 68.

[80] Chronique de la Pucelle, p. 288.

[81] Procès, t. III, p. 69.

[82] Ibid., t. III, p. 212.

[83] Procès, t. III, pp. 212-213.

[84] Ibid., t. III, p. 213.

[85] Gruel, Chronique d’Arthur de Richemont, p. 72.

[86] Journal du siège, p. 75.

[87] Procès, t. III, p. 124, 126. — Abbé Dubois, Histoire du siège, dissertation VI. — Morosini, t. IV, annexe XIII. — Journal du siège, pp. 83-84. — Jean Chartier, Chronique, t. I, p. 72.

[88] Robert Blondel, De reductione Normanniæ, dans Procès, t. IV, p. 347. — Journal du siège, p. 13. — Chronique de la fête, dans Procès, t. V, pp. 286 et suiv.

[89] Procès, t. III, pp. 109, 127. — Chronique de la Pucelle, p. 295. — Greffier de la Chambre des comptes de Brabant, dans Procès, t. IV, p. 426. — Eberhard Windecke, p. 172.

[90] Perceval de Cagny dit : Tentost après [l’arrivée de la Pucelle au bord des fosses] ceulx de la place se vouldrent rendre à elle : elle ne les voult recevoir à rançon et dist qu’elle les prendroit maulgré eulx, et fist renforcier son assault. Et incontinent fut la place prinse et presque touz mis à mort. Cela est peu croyable. Les Anglais se seraient rendus au dernier goujat de Post des Armagnacs, plutôt que de se rendre à la Pucelle, et celle-ci n’aurait pas refusé vraisemblablement de les prendre à rançon. D’ailleurs, Perceval de Cagny n’a pas la moindre idée de ce qui se passa le 4 mai. Il croit, par exemple, que la Pucelle commença l’attaque. — Perceval de Cagny, pp. 144 et suiv. — Journal du siège, p. 82. — Chronique de la Pucelle, p. 289. — Chronique de la fête, dans Procès, t. V, p. 294.

[91] Procès, t. III, p. 106.

[92] Chronique de la Pucelle, p. 289.

[93] Procès, t. III, p. 106.

[94] A la prise de la bastille Saint-Loup :

Nombre des Français combattants. Journal du Siège : 1.500 sans compter les nobles, Le correspondant de Morosini : 3.500.

Nombre des morts français. Lettre de Charles VII et Eberhard Windecke : 2

Nombre des Anglais combattants. Frère Pasquerel : 100 hommes d’élite, tous tués ou pris. Relation de la fête du 8 mai : de 120 à 140, tous tués ou pris. Perceval de Gagny : 3000, tous tués ou pris. Monstrelet : de 300 à 400, tous tués ou pris.

Nombre des pertes anglaises. Jean d’Aulon : tous tués ou pris. G. Girault : 120 tués ou pris. Lettre de Charles VII : tous tués ou pris. Journal du Siège : 114 tués, 40 pris. Chronique de la Pucelle : 160 tués. Eberhard Windecke : 170 morts, 1300 pris. Les Vigiles de Charles VII : 60 tués, 22 pris.

[95] Comptes de forteresse, dans Journal du siège, p. 281.

[96] Procès, t. III, p. 107. — Chronique de la Pucelle, pp. 289, 290.

[97] Procès, t. III, p. 34.

[98] C’est par erreur que Quicherat dit (Procès, t. IV, p. 57 note) que ce conseil fut tenu chez Jacques Boucher. Cf. Journal du siège, p. 83. — Jean Chartier, Chronique, p. 73. — Boucher de Molandon, dans Mémoires de la Société archéologique de l’Orléanais, t. XXII, p. 373.

[99] Jean Chartier, Chronique, t. I, p. 74.

[100] Ibid., t. I, pp. 74-75, assertions très douteuses.

[101] Jean Chartier, Chronique, t. I, pp. 74-74, très douteux.

[102] Jean Chartier, Chronique, t. I, p. 15.

[103] Procès, t. III, p. 107.

[104] Ibid., t. III, p. 108.

[105] Chronique de la Pucelle, p. 286. — Journal du siège, p. 79.