VIE DE JEANNE D’ARC

Tome I

CHAPITRE V. — LE SIÈGE D’ORLÉANS, DU 12 OCTOBRE 1428 AU 6 MARS 1429.

 

 

Depuis la victoire de Verneuil et la conquête du Maine, les Anglais ne gagnaient guère en France, et ce qu’ils y tenaient leur était moins assuré que jamais[1]. S’ils épargnaient les terres du duc d’Orléans, leur prisonnier, ce n’était point par vergogne. On disait bien, sur les bords de la Loire, que ceux-là manquaient à l’honneur qui prenaient les domaines l’un seigneur dont ils tenaient le corps[2], mais en guerre où est le profit n’est point la honte. Le Régent ne s’était pas fait scrupule de s’emparer du duché d’Alençon, alors que le possesseur était prisonnier[3]. Ce qui est vrai c’est que le bon duc Charles, par prières et finances, dissuada les Anglais d’attaquer son duché. De 1424 à 1426, les habitants d’Orléans payèrent pour obtenir abstinence de guerre[4]. Les Godons acceptaient d’autant plus volontiers ces accommodements qu’ils se sentaient moins en état d’entrer en campagne. Pendant la minorité de leur roi mi-anglais, mi-français, le duc de Glocester, frère et lieutenant du Régent, et son oncle, l’évêque de Winchester, chancelier du royaume, se prenaient aux cheveux et leurs discordes ensanglantaient les rues de Londres[5]. A la fin de l’année 1425, le Régent se rendit en Angleterre où il passa dix-sept mois à calmer l’oncle et le neveu et à rétablir la tranquillité publique. A force de finesse et d’énergie, il y réussit assez pour rendre à ses compatriotes le désir et l’espoir d’achever la conquête de la France. En 1428, le Parlement d’Angleterre vota des subsides à cet effet[6].

Le plus subtil, le plus expert, le plus heureux en armes de tous les princes et capitaines d’Angleterre, Thomas Montaigu, comte de Salisbury et du Perche[7], qui avait beaucoup fait la guerre dans la Normandie, dans la Champagne et dans le haine, recruta en Angleterre une armée en vue d’une expédition sur la Loire. Il trouva des archers à sa suffisance ; quant aux chevaliers et aux hommes d’armes, il eut du mécompte. Seuls les gens de petit état voulaient aller se battre dans un pays de famine[8]. Enfin, le noble lord, le beau cousin du roi Henri passa la mer avec quatre cent quarante-neuf hommes d’armes et deux mille deux cent cinquante archers[9] Il trouva en France des troupes recrutées par le Régent, quatre cents lances dont deux cents normandes, à trois archers par lance suivant la coutume d’Angleterre[10]. Il conduisit ces troupes à Paris où des résolutions irrévocables furent prises[11]. Jusque-là on se disposait à prendre la ville d’Angers ; on décida en dernier lieu d’assiéger Orléans[12].

Entre la Beauce et la Sologne, en avant des provinces fidèles, Touraine, Blaisois, Berry, la cité ducale se présentait à l’ennemi, sur la Loire recourbée, comme sur l’arc tendu la pointe de la flèche[13]. Évêché, université, marché du haut et bas pays, fière de ses clochers, de ses flèches et de ses tours, qui levaient vers le ciel la croix de Notre-Seigneur, les trois tueurs de lis de la ville et les trois fleurs de lis de ses ducs, Orléans abritait, sous les hauts toits d’ardoise de ses maisons de pierre ou de bois plantées sur des rues tortueuses et sur de sombres venelles, quinze mille habitants, officiers de justice et de finance, orfèvres, droguistes, épiciers, tanneurs, bouchers, poissonniers, riches bourgeois fins comme l’ambre, qui aimaient les beaux habits, les beaux logis, la musique et la danse ; curés, chanoines, régents et suppôts de l’université, libraires, écrivains, imagiers, peintres, écoliers qui n’étaient pas tous des fontaines de sapience, mais qui jouaient joliment de la flûte ; moines de toute robe, jacobins, cordeliers, mathurins, carmes, augustins ; et les artisans et les gens de métier, forgerons, tonneliers, charpentiers, bateliers, pêcheurs[14].

D’origine romaine, la ville gardait la carrure qui lui avait été donnée au temps de l’empereur Aurélien. Le côté du midi, qui longeait la Loire, et le côté du nord, s’étendaient sur une ligne de trois mille pieds. Les petits côtés du levant et du couchant n’avaient que treize cent cinquante pieds de long. Elle était ceinte de murs épais de sis pieds et élevés de dix-huit à trente-trois pieds au-dessus du fossé qui en noyait la base. Ces murs étaient flanqués de trente-quatre tours, percés de cinq portes et de deux poternes[15]. Voici l’emplacement de ces portes, poternes et tours, avec les noms de celles qui firent parler d’elles durant le siège.

C’était, en allant de l’angle sud-est des murs à l’angle sud-ouest : la tour Neuve, énorme et ronde, baignant dans la Loire : trois autres tours portant sur les grèves ; la poterne Chesneau qui seule, s’ouvrait sur l’eau et qu’on fermait par une herse de fer : la tour de la Croiche-Meuffroy, ainsi nommée de la croiche ou éperon qui, de son pied, s’avançait dans la rivière ; deux autres tours baignant dans la Loire ; la porte du Pont, avec pont-levis et flanquée de deux tours ; la tour de l’Abreuvoir ; la tour Notre-Dame, qui tirait son nom d’une chapelle adossée aux murs de la ville ; la tour de la Barre-Flambert, la dernière de ce côté, à l’angle sud-ouest de l’enceinte, et qui barrait la rivière. Tout le long de la Loire, les murs étaient garnis d’un parapet de pierres et munis de mâchicoulis crénelés, d’où l’on pouvait lancer des carreaux, en cas d’escalade, renverser les échelles. Les tours se dressaient à un jet d’arc les unes des autres.

Sur le côté ouest, on comptait d’abord trois tours, puis les deux tours de la porte qu’on appelait Regnard ou Renard, du nom clos bourgeois, possesseurs autrefois d’un hôtel y attenant, habité en 1428 par Jacques Boucher, trésorier du duc d’Orléans ; puis une autre tour, et, enfin, la porte Bernier ou Bannier, à l’angle nord-ouest de l’enceinte. Les remparts, de ce côté, avaient été construits à une époque où déjà on faisait usage de l’arbalète qui portait plus loin que l’arc : les tours étaient à un jet d’arbalète les unes des autres, et les murs moins hauts qu’ailleurs.

Du côté nord, qui regardait la forêt : dix tours distantes entre elles d’une portée d’Arc ; la deuxième, celle de Saint-Samson, servait d’arsenal ; la sixième et la septième flanquaient la porte Parisis.

Du côte de l’Est, dix tours également et à la même distance les unes des autres que celles du Nord ; la cinquième et la sixième étaient celles de la porte de Bourgogne, dite aussi de Saint-Aignan, parce qu’elle était proche de l’église de Saint-Aignan hors les murs ; la dernière était la grosse tour d’angle, dite tour Neuve, qui se trouve ainsi comptée deux fois.

Le pont de pierre, bordé de maisons, qui reliait. la ville à la rive gauche de la Loire, était renommé dans le monde entier. Il avait dix-neuf arches d’ouvertures inégales. La première, sur laquelle on passât en sortant de la ville par la porte du Pont, se nommait l’Allouée ou pont Jacquemin-Rousselet ; un pont-levis était pratiqué dans sa voûte. La cinquième arche appuyait sa culée sur une île étroite et longue, en forme de bateau, comme toutes ces îles des fleuves. Elle s’appelait en amont Motte-Saint-Antoine, d’une chapelle dédiée à ce saint, qui y était élevée ; en aval Motte-des-Poissonniers, parce qu’on y amarrait des bateaux dont le fond était percé, pour conserver le poisson. En 1417, les Orléanais, prévoyant le cas où l’ennemi ferait une descente dans cette île, avaient construit au delà de la sixième arche une bastille, la bastille ou forteresse Saint-Antoine, qui occupait toute la largeur du pont. Le pilier commun à l’onzième et à la douzième arche portait, sur un socle de pierre historiée, une croix de bronze doré. C’était, comme on disait, la Belle-Croix. Sur la dix-huitième arche et ses deux piliers, formant culée, s’élevait un châtelet composé de deux tours réunies par un porche voûté. Ce châtelet avait nom les Tourelles. La dix-neuvième et dernière arche portait, comme la première, un pont-levis. Après l’avoir franchie on se trouvait sur le Portereau ; et l’on avait devant soi la route de Toulouse qui rejoignait, au delà du Loiret, sur les hauteurs d’Olivet, la route de Blois[16].

La Loire traînait alors ses eaux paresseuses entre des îles recouvertes d’oseraies et de bouleaux, qui ont été enlevées depuis pour rendre le passage plus aisé aux bateaux. Une lieue à l’est d’Orléans, à la hauteur de Chécy, l’île aux Bourdons était séparée par un mince bras de la rive de Sologne et par un étroit chenal, de l’Ile-aux-Bœufs, qui étalait, vers la rive de Beauce, devant Combleux, ses herbages et ses buissons. Un bateau, s’il descendait le cours du fleuve, côtoyait ensuite les deux îles Saint-Loup, et, doublant la tour Neuve, glissait entre les deux petites îles des Martinets, à droite, et l’Ile-aux-Toiles à gauche. Puis il passait sous le Pont qui traversait, comme nous l’avons vu, une île dite en haut Motte-Saint-Antoine et en bas Motte-des-Poissonniers. Enfin, en aval des remparts, vis-à-vis de Saint-Laurent-des-Orgerils, il rencontrait les deux petites îles Biche-d’Orge et Charlemagne[17].

Les faubourgs d’Orléans étaient les plus beaux du royaume. Au midi, le faubourg batelier du Portereau, avec l’église et le couvent des Augustins, s’étendait le long du fleuve, au pied des vignobles de Saint-Jean-le-Blanc qui mûrissaient le meilleur vin du pays[18]. Plus haut, sur les pentes douces conduisant au maigre plateau de Sologne, le Loiret, ses sources agitées, ses eaux limpides, ses rives ombreuses, les jardins et les fontaines d’Olivet, riaient aux regards d’un ciel pluvieux et doux.

Au levant, le faubourg de lit forte Bourgogne était de tous le plus peuplé et, le mieux bâti. C’est là qu’on admirait l’église Saint-Michel et l’église Saint-Aignan, dont le cloître passait pour une merveille[19]. Au sortir de ce faubourg, en suivant, au bord des vignes, le bras de sable ou d’eau que la Loire allongeait entre sa berge et l’Ile-aux-Bœufs, on atteignait, après un quart de lieue, la côte roide de Saint-Loup, et, si l’on s’avançait encore à l’est, entre la rivière et la route romaine d’Autun à Paris, on découvrait, l’un après l’autre, les clochers de Saint-Jean-de-Bray, de Combleux et de Chécy.

Au nord de la ville, s’élevaient de beaux moustiers et de riches églises, la chapelle Saint-Ladre, dans le Cimetière ; les Jacobins, les Cordeliers, l’église de Saint-Pierre-Ensentelée. En plein nord, le faubourg de la porte Bernier bordait la route de Paris et, tout proche, s’étendait la sombre cite des loups, la profonde forêt de chênes, de charmes, de hêtres et de bouleaux, où s’enfonçaient, comme des bûcherons et des charbonniers, les villages de Fleury et de Samoy[20].

Au couchant, parmi les cultures, le faubourg de la porte Renard longeait la route de Châteaudun, et le hameau de Saint-Laurent, la route de Blois[21].

Lorsque les gens des faubourgs se renfermèrent dans la cité à l’approche des Anglais, le nombre des habitants fut plus que doublé, tant ces faubourgs étaient amples et populeux[22].

Les habitants d’Orléans étaient résolus à combattre, non certes pour l’honneur : un bourgeois, en ce temps-là, ne s’attirait aucun honneur à défendre sa ville ; par contre il y courait un terrible danger. La ville prise, les hauts et riches seigneurs, qui se trouvaient pris avec, en étaient quittes pour payer rançon, et le vainqueur leur faisait bonne chère ; les menus et pauvres seigneurs risquaient davantage. En cette année 1428, les gentilshommes qui défendirent Melun et se rendirent après avoir mangé leurs chevaux et leurs chiens, furent noyés dans la Seine. Rien n’y valut hautesse, dit une chanson bourguignonne[23]. Ordinairement hautesse, valait la vie sauve. Quant aux bourgeois assez courageux pour s’être défendus, ils avaient chance d’être mis à mort. Il n’existait pas de règles fixes à leur égard ; tantôt on en pendait plusieurs, tantôt un seul, tantôt on les pendait, tous ; il était loisible aussi de leur couper la tête ou de les jeter à l’eau, cousus dans un sac. En cette même année 1428, les capitaines La, Hire et Poton ayant manqué leur coup de main sur Le Mans et décampé à propos, les bourgeois qui les avaient aidés furent décapités place du Cloître-Saint-Julien, sur la pierre Olet, par ordre de ce même William Pole, comte de Suffolk, qui débridait déjà à Olivet, et de ce même John Talhot, le plus courtois des chevaliers anglais, qui allait bientôt venir[24]. Exemple suffisant pour instruire les citoyens d’Orléans.

La ville, sous l’autorité d’un gouverneur, s’administrait elle-même au moyen de douze procureurs élus par le suffrage des bourgeois pour deux ans, moyennant l’approbation du gouverneur[25]. Ces procureurs risquaient plus que les autres citoyens, et l’un d’eux, quand il passait par le cloître Saint-Sulpice, où l’on mettait à mort les condamnés, songeait sans doute qu’avant un an il pourrait bien être justicié là pour avoir défendu l’héritage de son seigneur. Les douze étaient résolus à défendre cet héritage et ils agissaient avec promptitude et sagesse pour le salut commun.

Les Orléanais n’étaient pas pris au dépourvu. Leurs pères avaient vu de près les Anglais et mis la ville en état de défense. Eux-mêmes, en l’an 1425, s’étaient si bien attendus à subir un siège, qu’ils avaient amassé des armes dans la tour Saint-Samson et que tous, riches ou pauvres, avaient été requis pour creuser des fossés et construire des boulevards[26]. La guerre a toujours coûté cher. Ils consacraient, chaque année, les trois quarts du revenu de la ville à l’entretien des remparts et de l’armement. Avertis que le comte de Salisbury approchait, ils se préparèrent avec une merveilleuse ardeur à le recevoir. Les murs, hors ceux qui regardaient la rivière, étaient sans parapets, mais il y avait dans les magasins des pieux et des traverses destinés à faire des garde-fous. On les monta et l’on établit des mantelets dans lesquels étaient pratiquées des barbacanes en charpente, afin que, du haut des murs habillés de la sorte, les défenseurs pussent tirer à couvert[27]. On établit, à l’entrée de chaque faubourg, des barrières de bois, avec un corps de garde et une loge pour le portier chargé de les ouvrir et de les fermer. Les remparts, bastilles et boulevards furent munis de soixante et onze bouches à feu, tant canons que bombardes, sans compter les couleuvrines. On tira de la carrière de Montmaillard, située à trois lieues de la ville, des pierres que les artisans façonnaient en boulets de canon ; on fit venir à grands frais du plomb, de la poudre et du soufre, que les femmes finaient pour le service des canons et des couleuvrines. On fabriquait chaque jour par milliers des flèches, des traits, des fûts de viretons aboutés de pointes de fer et empennés de parchemin, et nombre de pavas, grands boucliers faits de douves assemblées à tenons et mortaises et recouvertes de cuir. On acheta du blé, du vin, du bétail à force pour la nourriture des habitants et des hommes d’armes qu’on attendait, gens du roi et routiers[28].

Par un privilège dont ils se montraient fort jaloux, les habitants avaient la garde de leurs remparts. Ils étaient répartis par corps de métiers en autant de compagnies qu’il y avait de tours. Se gardant eux-mêmes, ils jouissaient du droit de ne pas recevoir garnison dans leurs murs. Ce droit leur était précieux parce qu’il leur évitait d’être pillés et dérobés, incendiés et molestés à tout moment par les gens du roi. Ils y renoncèrent avec empressement, sentant bien que seuls, avec leur milice civique et les milices des communes, c’est-à-dire les paysans, ils ne pourraient soutenir l’effort d’un siège et qu’il leur l’allait, pour bien faire, des hommes de cheval tenant roidement la lance et des gens de pied habiles à manœuvrer l’arbalète. Tandis que le sire de Gaucourt, leur gouverneur, et monseigneur le Bâtard d’Orléans, lieutenant général du roi, se rendaient à Chinon et à Poitiers pour obtenir des conseillers du roi assez d’hommes et d’argent[29], des bourgeois partaient en mission, deux par deux, et allaient jusqu’en Bourbonnais et en Languedoc demander des secours aux villes[30]. Les procureurs faisaient appel aux routiers qui tenaient la campagne pour les fleurs de lis et leur annonçaient, par les deux hérauts de la ville, Orléans et Cœur-de-Lis, qu’il y avait chez eux de l’or et de l’argent en abondance, des vivres et des armes pour nourrir et armer deux mille combattants pendant deux ans, et que tout gentil et honnête capitaine qui voudrait défendre leur ville avec eus le pourrait faire, et qu’on se battrait à mort[31].

Les habitants d’Orléans craignaient Dieu. En ce temps-là Dieu se faisait beaucoup craindre ; il était presque aussi terrible qu’au temps des Philistins. Les pauvres pécheurs avaient peur d’être mal reçus s’ils s’adressaient à lui dans leurs afflictions ; mieux valait, croyaient-ils, prendre un biais et recourir à l’intercession de Notre-Dame et des saints. Dieu respectait sa mère et s’efforçait de lui complaire en toute occurrence. Il montrait pareillement de la déférence aux bienheureux assis à ses côtés dans le paradis et écoutait volontiers les requêtes qu’ils lui présentaient. Aussi était-ce la coutume, en cas de grande nécessité, de faire des prières et des présents aux saints pour les rendre favorables. Les bourgeois d’Orléans se rappelèrent à propos Monsieur saint Euverte et Monsieur saint Aignan, patrons de leur ville. Saint Euverte s’était assis très anciennement dans le siège épiscopal occupé en 1428 par messire Jean de Saint-Michel, écossais, et il y avait resplendi de toutes les vertus apostoliques[32]. Saint-Aignan, son successeur, avait obtenu de Dieu qu’il regardât sa ville dans un péril semblable à celui qu’elle courait présentement. Voici son histoire telle que les Orléanais la savaient :

Le bienheureux Aignan s’était retiré dès sa jeunesse dans une solitude près d’Orléans. Saint Euverte, alors évêque de cette ville, l’y découvrit, l’ordonna prêtre, l’institua abbé de Saint-Laurent-des-Urgerils et le désigna pour son successeur dans le gouvernement des fidèles. Et quand saint Euverte eut trépassé de cette vie à l’autre, le bienheureux Aignan fut proclamé évêque, du consentement du peuple orléanais, par la voix d’un petit enfant. Car Dieu, qui lire sa louange de la bouche des enfants, permit que l’un d’eux, porté dans ses langes sur l’autel, parlât et dit : Aignan, Aignan, Aignan est élu de Dieu pour être évêque de cette ville. Or, dans la soixantième année de son pontificat, les Huns envahirent la Gaule, conduits par Attila, leur roi, qui publiait que devant lui les étoiles tombaient, la terre tremblait, et qu’il était le marteau du monde, stellas pre se cadere, terram tremere, se malleum esse universi orbis. Toutes les villes qu’il avait rencontrées sur son chemin, il les avait détruites, et il marchait sur Orléans. Alors le bienheureux Aignan alla trouver dans la cité d’Arles le patrice Aetius, qui commandait l’armée romaine, et lui demanda son aide en un si grand péril. Ayant obtenu du patrice promesse de secours, Aignan revint dans sa ville épiscopale qu’il trouva entourée de guerriers barbares. Les Huns avaient fait des brèches dans les murs, et ils se préparaient à donner l’assaut. Le bienheureux monta sur le rempart, se mit à genoux, pria, et, ayant prié, cracha sur les ennemis. Cette goutte d’eau fut suivie, par la volonté de Dieu, de toutes les gouttes d’eau suspendues dans le ciel ; un orage éclata, une pluie si abondante tomba sur les barbares, que leur camp en fut noyé ; leurs tentes s’abattirent sous la force des vents, et plusieurs d’entre eux périrent frappés de la foudre. La pluie dura trois jours, après lesquels Attila fit battre par de puissantes machines les remparts de la cité. Les habitants voyaient avec épouvante tomber leurs murailles. Quand tout espoir de résister fut perdu, le saint évêque alla, revêtu de ses habits sacerdotaux, vers le roi des Huns et l’adjura d’avoir pitié du peuple orléanais, le menaçant de l’ire céleste s’il était dur aux vaincus. Ces prières et ces menaces ne changèrent pas le cœur d’Attila. L’évêque, revenu parmi ses fidèles, les avertit qu’ils ne devaient s’assurer qu’en la puissance de Dieu, mais que ce secours ne leur manquerait pas. Et bientôt, selon la promesse qu’il leur avait donnée, Dieu déliera la ville par le moyen des Romains et des Français, qui défirent les Huns dans une grande bataille. Peu de temps après cette merveilleuse délivrance de sa ville bien-aimée, saint Aignan s’endormit dans le Seigneur[33].

C’est pourquoi, en ce grand péril où les mettaient les Anglais, les citoyens d’Orléans attendaient de Monsieur saint Euverte et de Monsieur saint Aignan aide et réconfort. Aux merveilles que saint. Aignan avait accomplies dans sa vie mortelle, ils mesuraient les miracles qu’il louvait opérer maintenant qu’il était au Paradis. Ces deux confesseurs avaient, dans le faubourg de Bourgogne, chacun son église où l’on gardait précieusement leur corps[34]. Les os des martyrs et des confesseurs inspiraient alors une vénération profonde. Ils répandaient parfois, disait-on, une odeur balsamique, ce qui signifiait les grâces qui en émanaient. On les enfermait dans des châsses dorées et semées de pierres précieuses et il n’est point de miracle qu’on ne pensât obtenir par le moyen de ces saintes reliques. Le 6 août 128, le clergé de la ville alla prendre dans l’église où elle était conservée la châsse de Monsieur saint Euverte et la porta autour des murs, afin qu’ils en fussent affermis, et la châsse vénérée fit le tour de la cité, suivie du peuple entier. Le 8 septembre, un tortis de cent dix livres fut offert à Monsieur saint Aignan. Pour les gagner, on faisait aux saints, quand on avait besoin d’eux, des présents de toute nature, robes, joyaux, argent monnayé, maisons, terres, bois, étangs ; mais on pensait que la cire vierge leur était particulièrement agréable. Un tortis était une rouelle de cire sur laquelle on plantait des cierges et deux petits panonceaux aux armes de la ville[35].

Ainsi les Orléanais travaillaient à se munir et protéger.

Des aventuriers de tout pays répondaient à l’appel des procureurs. Messire Archambaud de Villars, capitaine de Montargis ; Guillaume de Chaumont, seigneur de Guitry ; messire Pierre de la Chapelle, gentilhomme beauceron ; Raimond Arnaud de Corraze, chevalier béarnais ; don Mathias d’Aragon, Jean de Saintrailles et Poton de Saintrailles accoururent les premiers. L’abbé de Cerquenceaux, naguère étudiant à l’Université d’Orléans, arriva à la tète d’une bande de partisans[36]. Il entra ainsi dans la ville à peu près autant d’amis qu’on attendait d’ennemis. On les solda, on leur fournit pain, chair, poisson, fourrage en abondance, et l’on défonça pour eux des tonneaux de vin. Dans les premiers jours les habitants les traitèrent comme leurs propres enfants. Ils se les partagèrent entre eux et les nourrirent de ce qu’ils avaient. Mais cette concorde ne régna pas longtemps, et, quoi qu’en dise une tradition conciliante[37], les choses ne se passèrent pas à Orléans différemment que dans les autres villes assiégées : les bourgeois ne tardèrent pas à se plaindre de la garnison.

Le 5 septembre, le comte de Salisbury parvint à Janville après s’être emparé sans peine de quarante villes, églises fortes ou châteaux. Et ce n’était pas le meilleur de son affaire ; car si peu de monde qu’il eût laissé dans chaque place, il avait semé en route une partie de son armée, déjà trop encline à s’égrener[38].

Il envoya de Janville deux hérauts à Orléans pour sommer les habitants de se rendre. Les procureurs logèrent ces hérauts honorablement dans le faubourg Bannier, à l’hôtel de la Pomme, et leur remirent un présent de vin pour le comte de Salisbury, car ils savaient à quoi le devoir les obligeait envers un si haut prince ; mais ils refusèrent d’ouvrir leurs portes à une garnison anglaise, alléguant sans doute, selon la coutume des bourgeois d’alors, qu’ils ne le pouvaient pas, ayant plus forts qu’eux dans leurs murs[39].

Le 6 octobre, le péril approchant, prêtres, bourgeois, notables marchands, artisans, les femmes, les enfants, firent une belle procession avec croix et bannières, chantant des psaumes et invoquant les gardiens célestes de la cité[40].

Le mardi 12 du même mois, à la nouvelle que l’ennemi venait par la Sologne, les procureurs envoyèrent des gens de guerre abattre les maisons du Portereau, faubourg de la rive gauche, l’église et le couvent des Augustins, qui s’élevaient dans ce faubourg, ainsi que tous les bâtiments où l’ennemi pouvait se loger et se retrancher. Les gens de guerre furent pris de court. Ce jour même les Anglais occupèrent Olivet et se montrèrent au Portereau[41].

Là se rassemblaient les vainqueurs de Verneuil, la fleur de la chevalerie anglaise : Thomas, seigneur de Scales et de Nucelles, capitaine de Pontorson, que le roi d’Angleterre appelait son cousin ; William Neville, lord Falcombridge ; Richard Guethin, chevalier gallois, bailli d’Évreux ; lord Richard Gray, neveu du comte de Salisbury ; Gilbert Halsall, Richard Panyngel, Thomas Guérard, chevaliers, et d’autres encore de haute renommée.

Sur les deux cents lances de Normandie flottaient les étendards de William Pole, comte de Suffolk, et de John Pole, deux frères issus d’un compagnon du duc Guillaume ; de Thomas Rampston, chevalier banneret, chambellan du Régent ; de Richard Walter, écuyer, capitaine de Conches, bailli et capitaine d’Évreux ; de William Molins, chevalier ; de William Glasdall, que les Français nommaient Glacidas, écuyer, bailli d’Alençon, homme de petite naissance[42].

Les archers étaient tous à cheval. Il n’y avait, autant dire, point de fantassins. Des chariots attelés de bœufs traînaient les barils de poudre, les arbalètes, les traits, les canons de toutes sortes, canons à main, fowlers et grosses pièces, et les pierres à canons. Les deux maîtres de l’artillerie anglaise, Philibert de Moslant et Guillaume Appilby, accompagnaient les troupes. Il s’y trouvait aussi deux maîtres mineurs avec trente-huit ouvriers. Les femmes ne manquaient pas, dont plusieurs servaient d’espions[43].

Cette armée arrivait, à vrai dire, très diminuée par les défections, ayant de victoire en victoire semé des fuyards. Les uns s’en retournaient en Angleterre, les autres allaient par le royaume de France pillant et dérobant. Ce même jour du 12 octobre, ordre était envoyé de Rouen aux baillis et capitaines de Normandie d’arrêter les Anglais qui s’étaient départis de la compagnie de monseigneur le comte de Salisbury[44].

Le fort des Tourelles et son boulevard fermaient l’entrée du pont. Les Anglais s’établirent au Portereau, placèrent leurs canons et leurs bombardes sur la levée de Saint-Jean-le-Blanc[45], et, le dimanche qui suivit, ils lancèrent sur la ville force boulets de pierre, qui firent grand dommage aux maisons, mais ne tuèrent personne, sinon une Orléanaise, nommée Belles, demeurait près de la poterne Chesneau, au bord de la rivière. Ainsi commença par la mort d’une femme ce siège qui devait finir par la victoire d’une femme.

Cette même semaine les canons anglais détruisirent douze moulins à eau établis près de la tour Neuve. Sur quoi les Orléanais, pour ne pas manquer de farine, construisirent dans la ville onze moulins à chevaux[46]. Il y eut quelques escarmouches en avant du pont, et le jeudi 21 octobre les Anglais donnèrent l’assaut au boulevard des Tourelles. La petite troupe de routiers au service de la ville et les milices bourgeoises firent une belle défense. Les femmes les aidèrent. Pendant les quatre heures que dura l’assaut, les commères en longues files couraient sur le pont, portant au boulevard leurs marmites et leurs écuelles pleines de charbons allumés, d’huile et de graisse bouillantes, avec une joie furieuse d’échauder les Godons[47]. L’assaut fut repoussé, mais, deux jours après, les Français s’aperçurent que le boulevard était miné ; c’est-à-dire que les Anglais avaient creusé en dessous des galeries dont ils avaient ensuite incendié les étais. Ce boulevard, devenu intenable, au dire des gens de guerre, fut détruit et abandonné. On ne crut pas pouvoir défendre les Tourelles ainsi démunies. Ces châtelets qui, jadis, arrêtaient pendant des mois toute une armée, ne valaient plus rien contre les pierres de canon. On construisit en avant de la Belle-Croix un boulevard de terre et de bois, on coupa deux arches du pont en arrière du boulevard, on mit à la place un tablier mobile. Et quand ce fut fait, on laissa, non sans regret, le fort des Tourelles aux Anglais, qui firent un boulevard de terre et de fagots sur le pont, et rompirent deux arches, l’une en avant, l’autre en arrière de leur boulevard[48].

Le dimanche, vers le soir, quelques heures après que l’étendard de saint Georges eut été planté sur le fort, le comte de Salisbury monta dans une des tours avec William Glasdale et quelques capitaines, pour observer l’assiette de la ville. S’approchant d’une fenêtre, il vit les murs armés de canons, les tours coiffées en pointe ou terminées en terrasse, l’enceinte sèche et grise, les faubourgs ornés, pour quelques jours encore, de la pierre dentelée de leurs églises et de leurs moustiers, les vignes et les bois jaunis par l’automne, la Loire et ses îles ovales endormies dans la paix du soir. Il cherchait le point faible des remparts, l’endroit où il pourrait faire brèche et appuyer les échelles. Car son projet était de prendre Orléans d’assaut. William Glasdale lui dit :

— Monseigneur, regardez bien votre ville. Vous la voyez d’ici bien à plain.

A ce moment, un boulet de canon écorne l’embrasure de la fenêtre, une pierre de la muraille va frapper Salisbury et lui emporte un œil avec la moitié du visage. Le coup était parti de la tour Notre-Dame. C’est du moins ce qu’on s’accorda à croire. On ne sut jamais qui l’avait tiré. Un homme de la ville, accouru au bruit, vit un enfant qui s’échappait de la tour et le canon déserté. On pensa que cette pierre avait été lancée par la main d’un innocent, avec la permission de la Mère de Dieu, irritée de ce que le comte de Salisbury avait dépouillé les moines et pillé l’église Notre-Dame-de-Cléry. On disait encore qu’il était puni pour avoir manqué à son serment, ayant promis au duc d’Orléans de respecter ses terres et ses villes. Porté secrètement à Meung-sur-Loire, il y trépassa le mercredi 27 d’octobre ; de quoi les Anglais furent dolents[49]. La plupart d’entre eux estimaient qu’ils perdaient gros à la mort de ce chef qui menait le siège avec vigueur et avait, en moins de douze jours, enlevé le joyau de guerre des Orléanais, les Tourelles ; niais d’autres jugeaient qu’il avait été bien simple de croire que ses boulets de pierre, après avoir traversé les eaux et les sables d’un large fleuve, renverseraient le mur épais contre lequel ils arrivaient essoufflés et mourants, et qu’il avait été bien fou de vouloir emporter de force une ville qu’on ne pouvait réduire que par la famine. Et ils songeaient : Il est mort. Dieu ait son âme ! Mais il nous a mis dans de vilains draps.

On conta que maître Jean des Builhons, astrologue fameux, avait prédit cette mort[50], et que le comte de Salisbury, la nuit d’avant le jour funeste, avait rêvé qu’un loup l’égratignait. Un clerc normand fit de cette male mort deux chansons, l’une contre et l’autre pour les Anglais. La première, qui est la meilleure, se termine par un couplet digne, en sa profonde sagesse, du roi Salomon lui-même[51] :

Certes le duc de Bedefort,

Se sage est, il se tendra

Avec sa femme en ung fort,

Chaudement le mieulx[52] que il porra,

De bon ypocras fanera.

Garde son corps, lesse la guerre :

Povre et riche porrist en terre.

Le lendemain de la perte des Tourelles et quand on y avait déjà remédié autant que possible, le lieutenant général du roi entra dans la ville. C’était le seigneur Jean, bâtard d’Orléans, comte de Porcien et de Mortaing, grand chambellan de France, fils du duc Louis, assassiné en 1407 par l’ordre de Jean-Sans-Peur et dont la mort avait armé les Armagnacs contre les Bourguignons. La dame de Cany, sa mère, l’avait robé à la duchesse d’Orléans. Non seulement, il ne nuisait en rien aux enfants d’être conçus en adultère et autrement qu’en légitime mariage, mais encore c’était grand honneur que de se pouvoir dire bâtard de prince. Jamais on n’avait vu tant de bâtards qu’en ces temps de guerre et l’on faisait courir ce dicton : Les enfants sont comme le froment : semez du blé volé, il poussera aussi bien que d’autre[53]. Le Bâtard d’Orléans avait alors tout au plus vingt-six ans. L’année précédente, en petite compagnie, il avait couru porter des vivres aux habitants de Montargis, assiégés par le comte de Warwick. La ville qu’il venait seulement ravitailler, il l’avait délivrée, avec l’aide du capitaine La Hire, ce qui était de bon augure pour Orléans[54]. Le Bâtard était déjà le plus adroit seigneur de son temps. Il savait la grammaire et l’astrologie et parlait mieux que personne[55]. Il tenait de son père par son esprit aimable et clair, mais il était plus prudent et plus tempéré. En le voyant si aimable, courtois et avisé, on disait qu’il était en la grâce de toutes les dames et même de la reine[56]. Il était apte à tout, à la guerre comme aux négociations, merveilleusement adroit, et d’une dissimulation consommée.

Monseigneur le Bâtard amenait quelques chevaliers, capitaines et écuyers de renom, c’est-à-dire de faute maison ou grande vaillance, le maréchal de Boussac, messire Jacques de Chabannes, sénéchal de Bourbonnais, le seigneur de Chaumont, messire Théaulde de Valpergue, chevalier lombard, le capitaine La Hire, qui guerroyait et pillait merveilleusement, et venait de si bien faire à la rescousse de Montargis ; et Jean, sire de Bueil, un de ces jouvenceaux venus au roi sur un cheval boiteux et qui avaient reçu les leçons de deux dames expertes : Souffrance et Pauvreté. Ils arrivaient suivis de huit cents hommes, archers, arbalétriers et fantassins d’Italie, portant de grandes targes, comme les Saint Georges des églises de Venise et de Florence. C’était tout ce qu’on avait pu ramasser pour le moment de seigneurs et de routiers[57].

L’armée de Salisbury, ayant perdu son chef, se dissipait en troubles et en désertions. L’hiver venait ; les capitaines voyant que, pour l’heure, il n’y avait rien à tenter, quittèrent la place avec ce qui leur restait d’hommes et s’allèrent abriter sous les murs de Meung et de Jargeau[58]. Le 8 novembre au soir, il ne demeurait devant la ville que la garnison des Tourelles, composée de cinq cents hommes des lances de Normandie, sous le commandement de William Molyns et de William Glasdall. Les Français pouvaient les assiéger et les réduire : ils ne bougèrent pas. Le gouverneur, le vieux sire de Gaucourt, venait de se casser le bras en tombant sur le bavé de la rue des Hôtelleries ; il ne pouvait se remuer[59]. Mais les autres ?

La vérité est que personne ne savait que faire. Sans doute ces gens de guerre connaissaient plusieurs moyens de secourir une ville assiégée, mais qui tous revenaient à un coup de main[60] Ils ne s’entendaient qu’aux rescousses, aux escarmouches, aux embuscades, aux vaillantises d’armes. S’ils ne réussissaient pas à faire lever un siège tout de suite, par surprise, ils restaient cois, à bout de ressources et d’invention. Leurs plus expérimentés capitaines n’étaient pas capables d’un effort commun, d’une action concertée, de toute entreprise enfin exigeant quelque esprit de suite et la subordination de tous à un seul. Chacun n’en faisait qu’à sa tète et ne songeait qu’au butin. La défense d’Orléans passait de beaucoup leur entendement.

Durant vingt et un fours, le capitaine Glasdall resta retranché, avec ses cinq cents Anglais, sous ses Tourelles écornées, entre son boulevard du Portereau, qui n’avait pu être tout de suite bien redoutable, et son boulevard du Pont, qui n’était qu’une barrière de bois qu’un tison pouvait faire flamber.

Cependant les bourgeois travaillaient. Ils accomplirent, après le départ des Anglais, un labeur énorme et douloureux. Pensant avec raison que l’ennemi reviendrait, non plus par la Sologne, mais par la Beauce, ils détruisirent tous leurs faubourgs du couchant, du nord et du levant, comme ils avaient déjà détruit ou commencé de détruire le Portereau. Ils incendièrent et abattirent vingt-deux églises et moutiers, entre autres l’église Saint-Aignan et son cloître si beau que c’était pitié de le voir abîmé, l’église Saint-Euverte, l’église Saint-Laurent-des-Orgerils, non sans promettre aux benoîts patrons de la ville de leur en rebâtir de plus belles quand ils seraient délivrés des Anglais[61].

Le 30 novembre, le capitaine Glasdall vit venir aux Tourelles sir John Talbot, qui lui amenait trois cents combattants munis de canons, bombardes et autres engins de guerre, et, dès lors, le bombardement reprit plus violent que la première fois, crevant des toits, écornant des murs et faisant plus de bruit que de besogne. Dans la rue Aux-Petits-Souliers, une pierre de bombarde tomba sur la table autour de laquelle cinq personnes dînaient et qui n’eurent point de mal. On estima que c’était un miracle accompli par Notre-Seigneur à la requête de saint Aignan, patron de la ville[62]. Ceux d’Orléans avaient de quoi répondre. Douze canonniers de métier desservaient, avec des servants à eux, les soixante-dix canons et bombardes qui composaient l’artillerie de la ville. Un très subtil ouvrier nommé Guillaume Duisy avait fondu pour eux une bombarde qui fut placée à la croiche ou éperon de la poterne Chesneau et qui jetait sur les Tourelles des pierres de cent vingt livres. Près de cette bombarde on mit deux canons, l’un s’appelait Montargis, parce que c’était les habitants de Montargis qui l’avaient prêté, l’autre portait le nom d’un diable très populaire Rifflart[63]. Un couleuvrinier, natif de Lorraine et demeurant à Angers, avait été envoyé par le roi à Orléans où il recevait douze livres de solde par mois. Il avait nom Jean de Montesclère ; tenu pour le meilleur maître qui fût alors de son métier, il gouvernait une grosse couleuvrine qui causait grand dommage aux Anglais[64]. Maître Jean était de plus un homme jovial. Parfois, quand tombait une pierre de canon dans son voisinage, il se laissait choir à terre et se faisait porter en ville, à la grande joie des Anglais qui le croyaient mort. Mais leur joie était courte, car maître Jean revenait bientôt à son poste et les bombardait comme devant[65]. Ces couleuvrines se chargeaient avec des balles de plomb, au moyen d’une baguette de fer. C’était de très petits canons ou, si l’on veut, de grands fusils posés sur un chariot. On les maniait aisément[66]. Aussi, maître Jean portait-il la sienne partout où il en était besoin.

Le 25 décembre, pour célébrer la Nativité de Notre-Seigneur, on fit trêve. Comme les deux peuples avaient même foi et même religion, ils cessaient d’être ennemis aux jours de fête et la courtoisie renaissait entre chevaliers des deux camps chaque fois que le calendrier leur rappelait qu’ils étaient chrétiens. La Noël est une féerie joyeuse. Le capitaine Glasdall désira la chômer avec des chansons, selon la coutume d’Angleterre. Il demanda à Monseigneur Jean, bâtard d’Orléans, et au maréchal de Boussac, de vouloir bien lui envoyer une troupe de ménétriers, ce qu’ils firent gracieusement. Les ménétriers d’Orléans se rendirent aux Tourelles avec leurs trompettes et leurs clairons et jouèrent aux Anglais des Noëls qui leur réjouirent le cœur. Les Orléanais, qui vinrent sur le pont écouter la musique, trouvèrent que c’était grande mélodie. Mais, sitôt la trêve expirée, chacun prit garde à soi. Car, d’une rive à l’autre, les canons reposés lancèrent avec une nouvelle vigueur les boulets de pierre et de cuivre[67].

Ce que les Orléanais avaient prévu se réalisa le 30 décembre. Ce jour-là, les Anglais vinrent en force par la Beauce à Saint-Laurent-des-Orgerils. Toute la chevalerie française alla au-devant d’eux et fit des prouesses ; mais les Anglais occupèrent Saint-Laurent : le véritable siège commençait[68]. Ils construisirent un boulevard sur la rive gauche de la Loire, à l’ouest de Portereau, en un lieu nommé le champ de Saint-Privé. Ils en construisirent un autre dans l’île Charlemagne. Sur la rive droite, ils établirent à Saint-Laurent-des-Orgerils un camp retranché ; puis, à une portée d’arbalète sur la route de Blois, en un lieu dit la Croix-Boissée, ils construisirent un autre boulevard. A deux portées d’arbalète, au nord, sur la route du Mans, au lieu dit des Douze-Pierres, ils élevèrent une bastille qu’ils nommèrent Londres[69].

Ces travaux achevés, Orléans n’était cerné qu’à moitié. Autant dire qu’il ne l’était pas du tout : on y entrait et on en sortait à peu près comme on voulait. De petites compagnies de secours, envoyées par le roi, arrivaient sans encombre. Le 5 janvier, l’amiral de Culant traverse la Loire devant Saint-Loup avec cinq cents combattants et pénètre dans la ville par la porte de Bourgogne. Le 8 février, William Stuart, frère du connétable d’Écosse, et plusieurs chevaliers et écuyers font leur entrée avec mille combattants très bien équipés. Ils sont suivis le lendemain par trois cent vingt soldats. Les vivres et les munitions ne cessent d’arriver. En janvier, le 3, neuf cent cinquante-quatre pourceaux et quatre cents moutons ; le 10, poudres et victuailles ; le 12, six cents pourceaux ; le 24, six cents têtes de gros bétail et deux cents pourceaux ; le 31, huit chevaux chargés d’huiles et de graisses[70].

Lord Scales, William Pole et sir John Talbot, qui conduisaient le siège depuis la mort du comte de Salisbury[71], s’apercevaient que des mois s’écouleraient et des mois encore avant que l’investissement fût complet et la place enfermée dans un cercle de bastilles reliées entre elles par un fossé continu. En attendant, les malheureux Godons enfonçaient dans la boue et la neige et gelaient dans leurs mauvais abris de terre et de bois qu’on nommait des taudis. Ils risquaient, leurs affaires allant de ce train, d’y être plus dépourvus et plus affamés que les assiégés. Ainsi, de même que le défunt comte de Salisbury, s’efforçaient-ils parfois encore de brusquer les choses. De temps en temps, ils essayaient, sans grand espoir, de prendre la ville d’assaut.

Du côté de la porte Renart, le mur était moins haut qu’ailleurs et, comme ils se trouvaient en force et puissance de ce côté, ils attaquaient ce mur de préférence. Il faut dire qu’ils n’y mettaient guère de malice. Ils se ruaient sur la porte Renart en criant furieusement : Saint Georges ! se heurtaient aux barrières et se faisaient reconduire à leurs boulevards par les gens du roi et les gens de la commune[72]. Ces assauts, mal préparés, leur faisaient perdre chaque fois quelques gens d’armes bien inutilement. Et déjà ils manquaient d’hommes et de chevaux.

Ils n’avaient pas réussi à effrayer les Orléanais en les bombardant sur deux côtés à la fois, au midi et au couchant. On frit, longtemps à rire, dans la ville, d’une grosse pierre de canon tombée à la porte Bannier, au milieu de plus de cent personnes, sans en toucher aucune, si ce n’est un compagnon à qui elle ôta son soulier et qui en fut quitte pour se rechausser[73].

Cependant les seigneurs français faisaient à leur plaisir des vaillantises d’armes. Ils coururent aux champs, selon leur fantaisie, sous le moindre prétexte, mais toujours pour ramasser quelque butin, car ils ne songeaient guère qu’à cela. Un jour, entre autres, vers la fin de janvier, comme il faisait grand froid, quelques maraudeurs anglais vinrent dans les vignes de Saint-Ladre et de Saint-Jean-de-la-Ruelle enlever des échalas pour se chauffer. Le guetteur les signale : aussitôt voilà toutes les bannières au vent. Le maréchal de Boussac, messire Jacques de Chabannes, sénéchal du Bourbonnais, messire Denis de Chailly, maint autre seigneur et avec eux routiers et capitaines, courent aux champs. Chacun d’eux n’avait certainement pas vingt hommes à commander[74].

Le Conseil royal travaillait avec ardeur à secourir Orléans. Le roi appela sa noblesse d’Auvergne, demeurée fidèle aux fleurs de Lis depuis le jour où, dauphin et chanoine de Notre-Dame-d’Ancis, presque enfant encore, il était allé avec quelques chevaliers ramener à l’obéissance deus ou trois seigneurs révoltés sur leurs puys sauvages[75]. A l’appel du roi, la noblesse auvergnate sortit de ses montagnes et, sous l’étendard du comte de Clermont, arriva, dans les premiers jours de février, à Blois, où elle se réunit aux Écossais de John Stuart de Darnley, connétable d’Écosse, et aux gens du Bourbonnais, venus sous les bannières des seigneurs de la Tour-d’Auvergne et de Thouars[76].

On apprit à ce moment que sir John Falstolf amenait de Paris aux Anglais d’Orléans un convoi de vivres et de munitions. Monseigneur le Bâtard quitta Orléans, accompagné de deux cents hommes d’armes, et alla s’entendre avec le comte de Clermont sur ce qu’il y avait à faire. I1 fut décidé qu’on attaquerait d’abord le convoi. Toute l’armée de Blois, sous le commandement du comte de Clermont et la conduite de monseigneur le Bâtard, marcha sur Étampes à la rencontre de sir John Falstolf[77].

Le 11 février, quinze cents combattants commandés par messire Guillaume d’Albret, sir William Stuart, frère du connétable d’Écosse, le maréchal de Boussac, le seigneur de Gravelle, les deux capitaines Saintrailles, le capitaine La Hire, le seigneur de Verduzan et autres chevaliers et écuyers, sortirent d’Orléans, mandés par le Bâtard, avec ordre de rejoindre l’armée du convie de Clermont sur la route d’Étampes, au village de Rouvray-Saint-Denis, proche Angerville[78].

Ils arrivèrent à Rouvray le lendemain samedi 12 février, veille des Brandons, quand l’armée du comte de Clermont était encore assez loin ; là, de bon matin, les Gascons de Poton et de La Hire aperçurent la tète du convoi qui, par la route d’Étampes, s’avançait dans la plaine. Trois cents charrettes et chariots de vivres et d’armes roulaient à la file conduits par des soldats anglais, par des marchands et des paysans normands, picards et parisiens, quinze cents hommes au plus, tranquilles et sans méfiance. I1 vint aux Gascons l’idée naturelle de tomber sur ces gens et de les culbuter au moment où ils s’y attendaient le moins[79]. En toute hâte, ils envoyèrent demander au comte de Clermont la permission d’attaquer. Beau comme Absalon et comme Pâris de Troye, plein de faconde et de jactance, le comte de Clermont, jouvenceau non des plus sages, armé chevalier le jour même, en était à sa première affaire[80]. Il fit dire sottement aux Gascons de ne point attaquer avant sa venue. Les Gascons obéirent à grand déplaisir, voyant ce qu’on perdait à attendre. Car, s’apercevant enfin qu’ils sont dans la gueule du loup, les chefs anglais, sir John Falstolf, sir Richard Guethin, bailli d’Évreux, sir Simon Morhier, prévôt de Paris, se mettent en belle ordonnance de bataille. Ils font, dans la plaine, avec leurs charrettes, un parc long et étroit où ils retranchent les gens de cheval, et au devant duquel ils placent les archers derrière des pieux fichés en terre, la pointe inclinée vers l’ennemi[81]. Ce que voyant, le connétable d’Écosse perd patience et mène ses quatre cents cavaliers contre les pieux où ils se rompent[82]. Les Anglais, découvrant qu’ils n’ont affaire qu’à une petite troupe, font sortir leur cavalerie et chargent si roidement qu’ils culbutent les Français et en tuent trois cents. Cependant les Auvergnats avaient atteint Rouvray et, répandus dans le village, ils en mettaient les celliers à sec. Monseigneur le Bâtard s’en détacha et vint en aide aux Écossais avec quatre cents combattants. Mais il fut blessé au pied et en grand danger d’être pris[83].

Là tombèrent messire William Stuart et son frère, les seigneurs de Verduzan, de Châteaubrun, de Rochechouart, Jean Chabot, avec plusieurs autres de brande noblesse et renommée vaillance[84]. Les Anglais, non encore saouls de tuerie, s’éparpillèrent à la poursuite des fuyards. La Hire et Poton, voyant alors les étendards ennemis dispersés dans la plaine, munirent ce qu’ils purent, soixante à quatre-vingts combattants, et se jetèrent sur un petit parti d’Anglais qu’ils écrasèrent. A ce moment, si les autres Français avaient rallié, l’honneur et le profit de la journée leur serait peut-être revenu[85]. Dais le comte de Clermont, qui n’avait pas fait mine de secourir les hommes du connétable d’Écosse et du Bâtard, déploya jusqu’au bout son inébranlable lâcheté. Les ayant vu tous tuer, il s’en retourna avec son armée à Orléans, où il arriva fort avant dans la nuit (12 février)[86]. Le seigneur de La Tour-d’Auvergne, le vicomte de Thouars, le maréchal de Boussac, le Bâtard se tenant à grand’peine sur sa monture, suivaient avec leurs troupes en désarroi. Jamet du Tillay, La Hire et Poton venaient les derniers, veillant à ce que les Anglais des bastilles ne leur tombassent dessus, ce qui eût achevé la déconfiture[87].

Comme on entrait dans le saint temps du carême, les vivres, amenés de Paris aux Anglais d’Orléans par sir John Falstolf, se composaient surtout de harengs saurs qui, durant la bataille, avaient beaucoup pâti dans leurs caques défoncées. Pour faire honneur aux Français d’avoir déconfit tant de Dieppois, les joyeux Anglais nommèrent cette journée la journée des Harengs[88].

Le comte de Clermont, bien qu’il fût beau cousin du roi, reçut mauvais accueil des Orléanais. On jugeait, sa conduite honteuse et malhonnête et quelques-uns le lui firent entendre. Le lendemain, il s’esquiva avec ses Auvergnats et ses Bourbonnais, aux applaudissements du peuple qui ne voulait pas nourrir ceux qui ne se battaient pas[89]. En même temps, messire Louis de Culant, amiral de France, et le capitaine La Hire, quittaient, la ville avec deus mille hommes d’armes et, quand on sut leur départ, ce furent de telles huées, qu’il leur fallut, pour apaiser les bourgeois, leur promettre qu’ils les allaient secourir de gens et de vivres, ce qui était la pure vérité. Messire Regnault de Chartres, qui était venu dans la ville à un moment qu’on ne saurait dire, partit avec eux, ce dont on ne pouvait lui faire grief, puisque, chancelier de France, sa place était au Conseil du Roi. Mais ce qui devait paraître assez étrange, c’est que le successeur de Monsieur saint Euverte et de Monsieur saint Aignan, messire de Saint-Michel, quitta alors son siège épiscopal et délaissa son épouse affligée[90]. Quand les rats s’en vont, c’est que le navire va couler. Il ne restait plus dans la ville que monseigneur le Bâtard et le maréchal de Boussac. Encore le maréchal ne devait-il pas demeurer très longtemps. Il partit au bout d’un mois, disant qu’il lui fallait aller près du roi et aussi prendre possession de plusieurs terres qui lui étaient échues du chef de sa femme, par la mort du seigneur de Châteaubrun son beau-frère, qui avait été tué à la journée des Harengs[91]. Ceux de la ville tinrent cette raison pour bonne et suffisante, il leur promit de revenir bientôt, et ils furent contents. Or, le maréchal de Boussac était un des seigneurs les plus attachés au bien du royaume[92]. Mais quiconque avait terre se devait, à sa terre.

Les bourgeois, se croyant trahis et délaissés, avisèrent à leur sûreté. Et puisque le roi ne les savait garder, ils résolurent, pour échapper aux Anglais, de se donner à plus puissant que lui. Ils envoyèrent à monseigneur Philippe, duc de Bourgogne, le capitaine Poton de Saintrailles, qui lui était connu pour avoir été son prisonnier, et deux procureurs de la ville, Jean de Saint Avy et Guion du Fossé, avec mission de le prier et requérir qu’il voulût bien les regarder favorablement et que, pour l’amour de son bon parent, leur seigneur Charles, duc d’Orléans, prisonnier en Angleterre et empêché de garder lui-même ses terres, il lui plût amener les Anglais à lever le siège, jusqu’à ce que le trouble du royaume fût éclairci. C’était leur ville qu’ils offraient de remettre en dépôt- aux mains du duc de Bourgogne, selon les vœux secrets de Monseigneur Philippe, qui, ayant envoyé quelques centaines de lances bourguignonnes sous Orléans, aidait les Anglais à prendre la ville et n’entendait pas les y aider gratuitement[93].

Les Orléanais, en attendant le jour incertain et lointain où ils seraient, ainsi gardés, continuèrent à se garder eux-mêmes de leur mieux. Mais ils étaient soucieux et non sans raison. Car s’ils veillaient à ce que l’ennemi ne pût entrer, ils ne découvraient aucun moyen de le chasser bientôt. Dans les premiers jours de mars, ils observèrent avec inquiétude que les Anglais creusaient un fossé pour aller à couvert d’une bastille à l’autre depuis la Croix-Boissée jusqu’à Saint-Ladre. Ils essayèrent de détruire cet ouvrage. Ils attaquèrent les rodons avec vigueur et firent quelques prisonniers. Maître Jean tua de sa couleuvrine, en deux coups, cinq personnes, parmi lesquelles lord Gray, neveu du feu comte de Salisbury[94] ; mais ils n’empêchèrent pas les Anglais d’accomplir leur travail. Ils voyaient le siège se poursuivre avec une terrible rigueur. Agités de doutes et de crainte, brûlés d’inquiétude, sans sommeil, sans repos et n’avançant à rien, ils commençaient à désespérer. Tout a coup naît, s’étend, grandi une rumeur étrange. On apprend que par la ville de Gien a passé nouvellement une pucelle annonçant qu’elle se rendait à Chinon auprès du gentil dauphin et se disant envoyée de Dieu pour faire lever le siège d’Orléans et sacrer le roi à Reims[95].

Dans le langage familier, une pucelle était une fille d’humble condition, gagnant sa vie à travailler de ses mains, et particulièrement une servante. Aussi nommait-on pucelles les fontaines de plomb dont on se servait dans les cuisines. Le terme était vulgaire sans doute ; mais il ne se prenait pas en mauvaise part. En dépit du méchant dire de Clopinel : Je lègue ma pucelle à mon curé, il s’appliquait à une fille sage, de bonnes vie et mœurs[96].

Cette nouvelle qu’une petite sainte d’humble condition, une pauvresse de Notre-Seigneur, apportait secours divin aux Orléanais, frappa vivement les esprits que la peur tournait à la dévotion et qu’exaltait la fièvre du siège. La Pucelle annoncée leur inspira une curiosité ardente que Monseigneur le Bâtard, en homme avisé, jugea bon d’entretenir. Il envoya à Chinon deux gentilshommes chargés de s’enquérir de la jeune fille. L’un, messire Archambaud de Villars, capitaine de Montargis, qu’il avait déjà, durant le siège, expédié au roi, était un très vieux chevalier, familier autrefois du duc Louis d’Orléans, un des sept Français qui combattirent contre les sept Anglais en l’an 1402, à Montendre[97] ; un Orléanais de la première heure qui, malgré son grand âge, avait rigoureusement défendu les Tourelles, le 21 octobre. L’autre, messire Jamet du Tillay, écuyer breton, venait de se faire honneur en couvrant avec ses hommes la retraite de Rouvray. Ils partirent et la ville entière attendit anxieusement leur retour[98].

 

 

 



[1] Journal d’un bourgeois de Paris, p. 190. — Alain Chartier, L’espérance ou consolation des trois vertus, dans Œuvres, p. 271. — Jean Chartier, Chronique, t. I, p. 14.

[2] Mistère du siège, vers 1197.

[3] Perceval de Cagny, pp. 21-22.

[4] Chronique de la Pucelle, p. 255. — Chronique de l’établissement de la fête, dans Procès, t. V, p. 286. — Le Maire, Histoire et antiquités de la ville et duché d’Orléans, Orléans, 1645, in-4°, pp. 129 et suiv. — Lottin, Recherches historiques sur la ville d’Orléans, Orléans, 1836-1845 (7 vol. in-8°) t. I, p. 197.

[5] Stevenson, Letters and papers, introduction, t. I, p. XLVII. — De Beaucourt, Histoire de Charles VII, t. II, p. 17.

[6] Rymer, Fœdera, t. IV, part. IV, p. 135. — Mademoiselle A. de Villaret, Campagne des Anglais dans l’Orléanais, la Beauce chartraine et le Gâtinais (1421-1428), Orléans, 1893, in-8°, pièces justif., p. 134. — Stevenson, Letters and papers, t. I, pp. 403 et suiv.

[7] Monstrelet, t. IV, p. 300.

[8] L. Jarry, Le compte de l’armée anglaise au siège d’Orléans, 1428-1429, Orléans, 1892, in-8°, pp. 59 et suiv.

[9] Monstrelet, t. IV, p. 293. — Rymer, Fœdera, t. IV, partie. IV, pp. 132, 135, 138.

[10] L. Jarre, Le compte de l’armée anglaise, pp. 26-27.

[11] Monstrelet, t. IV, p. 294. — Stevenson, Letters and papers, p. LXII.

[12] Boucher de Molandon et A. de Beaucorps, L’armée anglaise vaincue par Jeanne d’Arc sous les murs d’Orléans, Orléans 1892, in-8°, p. 61. — L. Jarry, loc. cit.

[13] Le Maire, Antiquités, p. 29.

[14] Astesan dans Paris et ses historiens, par Le Roux de Lincy et Tisserand, pp. 528 et suiv. — Le Maire, Antiquités, ch. XIX, pp. 75 et suiv. — P. Mantellier, Histoire du siège d’Orléans, in-18, pp. 22, 24. — E. Fournier, Le Conteur orléanais, p. 111. — C. Cuissard, Étude sur la musique dans l’Orléanais, Orléans, 1886, p. 50. — Jodocius Sincere, Itinerarium Galliœ, Amstelodami, 1655, pp. 24, 25. — Paul Charpentier et Cuissard, Histoire du siège d’Orléans, mémoire inédit de H. l’abbé Dubois, Orléans, 1894, in-8°, p. 129. — De Buzonnière, Histoire architecturale de la ville d’Orléans, 1849 (2 vol. in-8°), t. I, p. 76.

[15] Jollois, Histoire du siège d’Orléans, Paris, 1833, in-4°, fig. — Lottin, Recherches, t. I, pp. 183 et suiv.

[16] Jollois, Lettre à Messieurs les membres de la Société des Antiquaires de France, sur l’emplacement du fort des Tourelles de l’ancien pont d’Orléans, Paris, 1834, in-f°, fig. — Abbé Dubois, Histoire du siège, dissertation V. Lottin, Recherches, t. I, pp. 15-18. — Vergniaud-Romagnési, Des différentes enceintes de la ville d’Orléans, pp. 17-19. — A. Collin, Le pont des Tourelles à Orléans, Orléans, 1895, in-8°. — Morosini, t. III, p. 13, note 2.

[17] Jollois, Histoire du siège, planche 1. — Abbé Dubois, Histoire du siège, pp. 193, 199. — Boucher de Molandon, Première expédition de Jeanne d’Arc, p. 16.

[18] Symphorien Guyon, Histoire de l’église et diocèse d’Orléans, Orléans, 1647, t. I, préface. — Le Maire, Antiquités, p. 36.

[19] Journal du siège, pp. 13, 15. — Chronique de la Pucelle, p. 270. — Hubert, Antiquités historiques de l’église royale d’Orléans, Orléans, 1661, in-8°. — Le Maire, Antiquités, p. 281. — Abbe Dubois, Histoire du siège, pp. 133, 205, 277 et passim. — Jollois, Histoire du siège, p. 21. — H. Baraude, Le siège d’Orléans et Jeanne d’Arc, Paris, 1906, pp. 10 et suiv.

[20] Le Maire, Antiquités, p. 43.

[21] Abbé Dubois, Histoire du siège, p. 296. — Boucher de Molandon, Première expédition de Jeanne d’Arc, le ravitaillement d’Orléans, nouveaux documents, Orléans, 1874, gr. in-8°, plan topographique : Orléans, la Loire et ses îles en 1429.

[22] Abbé Dubois, Histoire du siège, pp. 391, 399. — Jollois, Histoire du siège, pp. 41, 44. — P. Mantellier, Histoire du siège, Orléans, 1867, in-8°, p. 24. — Lottin, Recherches sur Orléans, t. I, p. 141.

[23] Le Roux de Lincy, Chants historiques et populaires du temps de Charles VII, Paris, 1862, in-18, p. 28.

[24] Journal d’un bourgeois de Paris, pp. 225-226. — Geste des Nobles, p. 202. — Chronique de la Pucelle, p. 251. — Jean Chartier, Chronique, t. I, p. 59. — Jarry, Le compte de l’armée anglaise, pp. 107-112.

[25] Lottin, Recherches, t. I, pp. 164, 171. — P. Mantellier, Histoire du siège, p. 25.

[26] Le religieux de Dunfermling, dans Procès, t. V, p. 341. — Le Maire, Antiquités, pp. 283 et suiv. — Lottin, Recherches, t. I, pp. 160-161.

[27] Jollois, Histoire du siège, p. 6. — Lottin, Recherches, t. I, pp. 202-203.

[28] Comptes de forteresses, dans Journal du siège, pp. 301 et suiv. — Jollois, Histoire du siège, p. 12. — P. Mantellier, Histoire du siège, pp. 15-17. — Loiseleur, Comptes des dépenses faites par Charles VII pour secourir Orléans pendant le siège de 1428, Orléans, 1868, in-8°, p.113. — Bouclier de Molandon et de Beaucorps, L’armée anglaise vaincue par Jeanne d’Arc, p. 81.

[29] Compte de Hémon Raguier, Bibl. Nat., Fr. 7858, fol. 41. — Loiseleur, Comptes des dépenses, p. 65. — Pallet, Nouvelle Histoire du Berry, t. III, pp. 78-80. — Vallet de Viriville, dans Bulletin de la Société d’Histoire de France. — Cabinet Historique, V, 2e partie, 107. — P. Mantellier, Histoire du siège, p. 15.

[30] A. Thomas, Le siège d’Orléans, Jeanne d’Arc et les capitouls de Toulouse, dans Annales du Midi, avril 1889, p. 232. — M. Boudet, Villandrando et les écorcheurs à Saint-Flour, pp. 18 et 19. — A. de Villaret, Campagne des Anglais, p. 61.

[31] Le religieux de Dunfermling, dans Procès, t. V, p. 341.

[32] Journal du siège, p. 51. — Chronique de la fête dans Procès, t. V, p. 196. — Lottin, Recherches, t. I, pp. 27-31.

[33] Hubert, Antiquités historiques de l’église royale de Saint-Aignan d’Orléans, Orléans, 1661, in-8°, pp. 1-15.

[34] Procès, t. III, p. 32. — Journal du siège, p. 14. — Hubert, loc. cit., chap. III-IV. — Lottin, Recherches, t. I, pp. 82-83.

[35] Le Maire, Antiquités, p. 285. — P. Mantellier, Histoire du siège, p. 16.

[36] Chronique de la Pucelle, pp. 257-258. — Journal du siège, pp. 6-7. — Lottin, Recherches, t. I, p. 204. — J. Devaux, Le Gâtinais au temps de Jeanne d’Arc, dans Ann. Soc. hist. et arch. du Gâtinais, V, 1887, p. 220.

[37] Journal du siège, p. 92.

[38] Geste des Nobles, p. 204. — Chronique de la Pucelle, p. 256. — Lettre de Salisbury à la Commune de Londres, dans Delpit, Collection de documents français qui se trouvent en Angleterre, pp. 236-237. — Jarry, Le compte de l’armée anglaise, pp. 79-89.

[39] Abbé Dubois, Histoire du siège, p. 11. — Jarry, Le compte de l’armée anglaise, p. 82. — Boucher de Molandon, Les comptes de ville d’Orléans des quatorzième et quinzième siècles, Orléans, 1880, in-8°, pp. 91 et suiv.

[40] Lottin, Recherches, t. I, p. 205. — P. Mantellier, Histoire du siège, p. 17.

[41] Journal du siège, p. 4.

[42] Journal du siège, pp. 2-4. — Bouclier de Molandon et de Beaucorps, L’armée anglaise vaincue par Jeanne d’Arc, p. 129.

[43] L. Jarry, Le compte de l’armée anglaise, pp. 26, 28, 29. — Boucher de Mulandon et de Beaucorps, L’armée anglaise vaincue par Jeanne d’Arc, pp. 50 et suiv. — Mademoiselle A. de Villaret, Campagne des Anglais, ch. 1V, pp. 39, 53 ; comptes du siège, n° 30, 31, p. 214. — Lottin, Recherches, t. I, p. 205.

[44] L. Jarry, Le compte de l’armée anglaise, p. 61.

[45] Chronique de la Pucelle, p. 258. — Jean Chartier, Chronique, p. 66. — Jean Raoulet dans Chartier, Chronique, t. III, p. 193. — Journal du siège, pp. 1, 2. — Abbé Dubois, Histoire du siège, p. 246. — P. Mantellier, Histoire du siège, p. 27. — H. Baraude, Le siège d’Orléans et Jeanne d’Arc, p. 31.

[46] Journal du siège, p. 4.

[47] Ibid., p. 7-8. — Lottin, Recherches, t. I, pp. 203, 210.

[48] Journal du siège, pp. 5 à 8.

[49] Journal du siège, pp. 10, 12. — Chronique de la Pucelle, p. 264. — Monstrelet, t. IV, p. 298. — Jean Charlier, Chronique, t. I, p. 63. — Mistère d’Orléans, vers 3104 et suiv. — Chronique de la fête, dans Procès, t. V, p. 288. — Morosini, t. III, p. 131. — Lorenzo Buonincontro, dans Muratori, Rerum Italicarum Scriptores, t. III, col. 136. — Jarry, Le compte de l’armée anglaise, pp. 85-86.

[50] Procès, t. IV, p. 345. — Chronique de la Pucelle, p. 263. — Journal du siège, p. 10. — Vallet de Viriville, Histoire de Charles VII, t. II, p. 32.

[51] L. Jarry, Deux chansons normandes, Orléans, 1894, in-8°, p. 11.

[52] Le texte publié par M. Jarry porte mieux.

[53] Vallet de Viriville, Histoire de Charles VII, t. I, p. 25 ; t. II, p. 389.

[54] Monstrelet, t. IV, pp. 273, 274. — Chronique de la Pucelle, pp. 24 :3, 247. — Jean Chartier, Chronique, t. I, p. 54. — Journal d’un bourgeois de Paris, p. 121. — Cronique Martiniane, p. 7.

[55] Jean Chartier, Chronique, t. II, p. 105.

[56] Mathieu d’Esrouchy, Chronique, édit. de Beaucourt, Paris, 1863, t. I, p. 186. — De Beaucourt, Histoire de Charles VII, t. II, p. 236.

[57] Journal du siège, pp. 10 et 12. — Cronique Martiniane, p. 8. — Le Jouvencel, p. 277. — Loiseleur, Comptes des dépenses, pp. 90, 91.

[58] Journal du siège, pp. 12, 13. — Abbé Dubois, Histoire du siège, p. 243. — Boucher de Molandon et de Beaucorps, L’armée anglaise vaincue par Jeanne d’Arc, pp. 92, 111. — Jean de Bueil, Le Jouvencel, passim.

[59] Journal du siège, p. 7.

[60] Le Jouvencel, t. I, p. 141.

[61] Journal du siège, p. 19. — Chronique de la Pucelle, p. 2 M. — Jean Chartier, Chronique, t. I, p. 61. — Le P. Denifle, La désolation des églises de France, supplique C.

[62] Journal du siège, pp. 16 et 17.

[63] Ibid., p. 17. — J.-L. Micqueau, Histoire du siège d’Orléans par les Anglais, traduite par Du Breton, Paris, 1631, p. 27. — Abbé Dubois, Histoire du siège, p. 287. — Lottin, Recherches, t. I, pp. 109, 110.

[64] Journal du siège, p. 18. — S. Luce, Jeanne d’Arc à Domremy, p. CLXXXV. — Loiseleur, Compte des dépenses faites par Charles VII pour secourir Orléans, dans Mém. Soc. Arch. de l’Orléanais, t. IX, pp. 114 et 186.

[65] Journal du siège, p. 28. — Lottin, Recherches, t. I, p. 214.

[66] Loiseleur, Comptes, p. 114. — P. Mantellier, Histoire du siège, p. 33.

[67] Journal du siège, pp. 15, 18.

[68] Ibid., p. 20. — Chronique de la Pucelle, p. 265. — Abbé Dubois, Histoire du siège, p. 252. — Jollois, Histoire du siège, pp. 26, 27.

[69] Relation de G. Girault, dans Procès, t. IV, p. 233. — Morosini, t. III, p. 16, note 5 ; t. IV, annexe XIII.

[70] Journal du siège, pp. 22, 23, 24, 23, 27, 34.

[71] Boucher de Molandon et A. de Beaucorps, L’année anglaise vaincue par Jeanne d’Arc, pp. 3 et suiv. — Jarry, Le compte de l’armée anglaise, pièce justificative V, p. 233.

[72] Journal du siège, pp. 21, 22, 30.

[73] Ibid., p. 26.

[74] Journal du siège, p. 32.

[75] Gallia Christiana, t. II, p. 732. — Vallet de Viriville, Histoire de Charles VII, t. I, p. 213 ; t. II, p. 6, note 2. — S. Luce, Jeanne d’Arc à Domremy, p. CCXCV.

[76] Journal du siège, pp. 21, 36-38. — Compte de Hémon Raguier, Bibi. Nat., fr. 7858, fol. 41. — Loiseleur, Comptes et dépenses de Charles VII pour secourir Orléans, loc. cit.

[77] Journal du siège, p. 37.

[78] Journal d’un bourgeois de Paris, p. 231. — Chronique de la Pucelle, pp. 266, 267. — Journal du siège, pp. 31, 38.

[79] Journal du siège, pp. 38, 39. — Chronique de la Pucelle, pp. 267, 268. — Mistère du siège, vers 8867. — Dom Plancher, Histoire de Bourgogne, t. IV, p. 127.

[80] Monstrelet, t. IV, p. 312. — Journal du siège, p. 43. — Chastellain, éd. Kervyn de Lettenhove, t. II, p. 164.

[81] Monstrelet, t. IV, p. 311. — Journal du siège, p. 39. — Journal d’un bourgeois de Paris, p. 231. — Chronique de la Pucelle, pp. 267 et 268. — Perceval de Cagny, pp. 137 et 139.

[82] Journal du siège, pp. 40, 41.

[83] Ibid., p. 43. — Journal d’un bourgeois de Paris, p. 232.

[84] Ibid., p. 43. — Chronique de la Pucelle, p. 269. — Monstrelet, t. IV, P. 313.

[85] Journal du siège, p. 42. — Jean Chartier, Chronique, t. I, p. 63.

[86] Ibid., p. 44.

[87] Ibid., pp. 43, 44.

[88] Journal d’un bourgeois de Paris, pp. 230-233. — Monstrelet, t. IV, p. 313. — Jean Chartier, Chronique, t. II, p. 62. — Symphorien Guyon, Histoire de la ville d’Orléans, t. II, p. 195. — Vallet de Viriville, Histoire de Charles VII, t. II, p. 37.

[89] Journal du siége, pp. 50, 52.

[90] Ibid., p. 51.

[91] Journal du siège, p. 59.

[92] Thaumas de la Thaumassière, Histoire du Berry, Bourges, 1689, in-fol., pp. 648-656.

[93] Monstrelet, t. IV, p. 317. — Journal du siège, p. 52. — Chronique de la Pucelle, p. 269. — Jean Chartier, Chronique, t. I, p. 65. — Morosini, pp. 16, 17 ; t. IV, annexe XIV. — Du Tillet, Recueil des traités, p. 221.

[94] Journal du siège, p. 54.

[95] Procès, t. III, pp. 21-23. — Journal du siège, pp. 46 et suiv. — Chronique de la Pucelle, p. 278.

[96] La Curne et Godefroy, au mot : Pucelle.

[97] Relation contemporaine du combat de Montendre, dans Bulletin de la Société de l’Histoire de France, 1834, pp. 109-113.

[98] Procès, t. III, pp. 3, 125, 215. — Journal du siège, pp. 5, 6, 31, 44. — Nouvelle Biographie Générale, articles de Vallet de Viriville.