VIE DE JEANNE D’ARC

Tome I

CHAPITRE IV. — VOYAGE À NANCY. - ITINÉRAIRE DE VAUCOULEURS À SAINTE-CATHERINE-DE-FIERBOIS.

 

 

Le duc Charles II de Lorraine, allié aux Anglais, venait de jouer un bien mauvais tour à son cousin et ami le duc de Bourgogne, en donnant en mariage Isabelle sa fille aînée, l’héritière de Lorraine, à René, second fils de madame Yolande, reine de Sicile et de Jérusalem, duchesse d’Anjou[1]. René d’Anjou, dans ses vingt ans, était un gentil esprit, amoureux de bon savoir autant que de chevalerie, bienveillant, affable et gracieux. Quand il ne faisait point de chevauchées et ne maniait pas la lance, il se plaisait à peindre des images dans des livres ; il avait du goût pour les jardins fleuris et les histoires en tapisserie, et, comme son beau cousin le duc d’Orléans, il composait des poèmes en français[2]. Investi du duché de Bar par le cardinal duc de Bar, son grand-oncle, il devait hériter le duché de Lorraine après la mort du duc Charles, qui ne pouvait beaucoup tarder. Ce mariage était justement regardé comme un beau coup de madame Yolande. Mais qui terre a guerre a. Le duc de Bourgogne, fort mal content de voir lin prince de la maison d’Anjou, le beau-frère de Charles de Valois, s’établir entre la Bourgogne et les Flandres, excitait contre René le comte de Vaudemont, prétendant à l’héritage de Lorraine, et la politique angevine rendait difficile la réconciliation du duc de Bourgogne avec le roi de France. René d’Anjou était engagé dans les querelles de son beau-père de Lorraine. Et précisément, en 1429, il faisait aux habitants de Metz la guerre de la Hottée de pommes. On la nommait ainsi parce que la cause en était une hottée de pommes entrée dans la ville de Metz, sans qu’on eût payé de droits aux officiers du duc de Lorraine[3].

Cependant, madame sa mère faisait envoyer de Blois des convois de vivres aux habitants d’Orléans, assiégés par les Anglais. Bien qu’elle fût pour lors en mauvaise intelligence avec les conseillers du roi Charles, son gendre, elle se montrait vigilante à combattre les ennemis du royaume, qui menaçaient son duché d’Anjou. René, duc de Bar, avait donc des parentés, des amitiés, des intérêts tout à la fois dans le parti d’Angleterre et Bourgogne et dans le parti de France. Tel était le cas où se trouvaient la plupart des seigneurs français. Ses rapports avec le capitaine de Vaucouleurs restaient amicaux et fréquents[4]. Il est possible que sire Robert l’ait informé qu’il tenait à Vaucouleurs une jeune fille prophétisant sur le royaume de France. Il est possible que le duc de Bar, curieux de la voir, l’ait fait envoyer à Nancy où il devait se rendre lui-même vers le 20 février ; mais, bien plus probablement, René d’Anjou se souciait moins de la Pucelle de Vaucouleurs, qu’il n’avait jamais vue, que du petit More et du fort dont s’égayait son hôtel ducal[5]. En ce mois de février 1429, il n’avait ni l’envie ni les moyens de beaucoup s’appliquer aux affaires de France ; et, tout beau-frère qu’il était du roi Charles, il se préparait, non pas à secourir la ville d’Orléans, mais à mettre le siège devant la ville de Metz[6].

Le duc de Lorraine, vieux et malade, vivait en son hôtel avec sa belle amie Alison du Mai, bâtarde, fille de prêtre, qui en avait chassé l’épouse légitime, madame Marguerite de Bavière. Madame Marguerite était de haute naissance et pieuse, mais vieille et laide ; et madame Alison était jolie ; le duc Charles lui avait fait plusieurs enfants[7].

Voici ce qui parait le plus vrai. Il y avait à Nancy des personnes de bien qui désiraient que le duc Charles reprit sa bonne femme et comptaient, pour l’y amener, sur les exhortations d’une dévote, ayant révélations du Ciel et se disant fille de Dieu. Ces personnes annoncèrent au vieux duc égrotant la fille de Domremy comme une sainte guérisseuse. Par leurs conseils il la fit appeler, dans l’espoir qu’elle aurait des secrets pour le soulager de ses maux et l’empêcher de mourir.

Dès qu’il la vit, il lui demanda si elle ne pouvait pas le rétablir en bonne forme et santé.

Elle répondit que de cette matière elle ne savait rien. Cependant elle l’avertit qu’il se gouvernait mal, et lui annonça qu’il ne guérirait oncques s’il ne s’amendait. Et elle lui enjoignit d’avoir à renvoyer Alison sa concubine et à reprendre sa bonne femme[8].

Sur ce chapitre, on lui avait un peu fait la leçon, sans doute, mais elle ne disait que ce qu’elle pensait, car elle avait les mauvaises femmes en aversion.

Elle était venue vers le duc parce que son état le voulait, parce qu’une petite sainte ne se refuse pas aux consultations d’un haut seigneur et parce qu’enfin on l’y avait amenée. Mais sa pensée était ailleurs ; elle ne songeait qu’à délivrer le royaume de France.

Considérant que le fils de madame Yolande, le duc de Bar, avec une belle compagnie d’hommes d’armes, apporterait grand’aide au Dauphin, elle demanda au duc de Lorraine, en prenant congé, d’envoyer ce jeune seigneur avec elle en France.

— Donnez-moi votre fils, lui dit-elle, avec des gens pour me conduire. En récompense, je prierai Dieu pour le rétablissement de votre santé.

Le duc ne lui donna pas d’hommes d’armes ; il ne lui donna pas le duc de Bar, héritier de Lorraine, allié des Anglais, qui devait toutefois la rejoindre bientôt sous les étendards du roi Charles. Mais il lui donna quatre francs et un cheval noir[9].

C’est peut-être à son retour de Nancy qu’elle écrivit à ses parents pour leur demander pardon de les avoir quittés. On sait seulement qu’ils reçurent une lettre d’elle et pardonnèrent[10]. Il y aurait lieu, sans doute, d’être surpris que Jacques d’Arc qui, pour avoir vu seulement en rêve sa fille avec des gens d’armes, jurait de la noyer de ses mains si ses fils ne la noyaient, demeurât coi tout un long mois pendant qu’elle se tenait à Vaucouleurs. Car il devait bien savoir qu’elle y vivait parmi les hommes d’armes. Ç’avait été déjà de sa part beaucoup de simplicité dé l’avoir laissée partir, sachant l’humeur dont elle était. On ne peut se défendre de supposer que des personnes pieuses, qui croyaient en la bonté de Jeanne et avaient hâte qu’elle fût conduite en France pour le salut du royaume, prirent soin de rassurer le père et la mère sur les façons et comportements de leur fille et peut-être même firent entendre à ces bonnes gens que, si Jeanne allait vers le roi, toute sa famille en tirerait honneur et profit.

Avant ou après le voyage de Nancy (on ne sait) quelques habitants de Vaucouleurs ayant foi en la jeune inspirée, firent faire ou achetèrent pour elle des vêtements d’homme, un justaucorps, un gippon de drap, des chausses attachées au justaucorps par des aiguillettes, des houseaux, des souliers, des éperons, tout un harnais de guerre. Sire Robert lui donna une épée[11].

Elle fit tailler ses cheveux en rond, à la manière des jeunes garçons[12]. Jean de Metz et Bertrand de Poulengy, avec Jean de Honecourt et Julien, leurs servants, devaient, l’accompagner, ainsi que Colet de Vienne, messager du roi, et Richard, l’archer[13]. Il y eut encore quelques hésitations, et l’on tint des conseils. Car les gens d’armes d’Antoine de Lorraine, seigneur de Joinville, infestaient la contrée. On ne voyait dans la campagne que gens faisant pilleries, larcins, meurtres et tyrannies cruelles, prenant les femmes de force, incendiant les églises et les abbayes et y commettant des péchés abominables. C’était le temps le plus dur à passer qu’homme eût jamais vu[14]. Mais la jeune fille ne craignait rien et disait :

— En nom Dieu ! menez-moi vers le gentil dauphin et ne faites doute que vous ni aloi n’aurons nul mal et nul empêchement[15].

Enfin, le mercredi 23 février, la petite troupe sortit. de Vaucouleurs par la porte de France[16].

Quelques amis l’avaient suivie jusque-là et la regardaient partir. Il se trouvait parmi eux Henri Leroyer et Catherine, ses hôtes, et messire Jean Colin, chanoine de Saint-Nicolas, près de Vaucouleurs, à qui Jeanne s’était plusieurs fois confessée[17]. Songeant à la longueur du chemin, aux périls du voyage, ils s’effrayaient pour leur sainte.

— Comment, lui disait-on, comment pourrez-vous faire un tel voyage, quand il y a de tous côtés des gens de guerre ?

Mais elle répondait, dans la paix souriante de son cœur :

— Je ne crains point les gens de guerre : j’ai mon chemin tout aplani. S’il se trouve des hommes d’armes, messire Dieu saura bien me frayer la route pour aller à messire le dauphin. Je suis venue pour cela[18].

Sire Robert assistait au départ. Il fit jurer, selon la formule usuelle, à tous les hommes d’armes de bien et sûrement conduire celle qu’il leur confiait. Puis, comme il était homme de peu de foi, il dit à Jeanne en manière d’adieu

— Va ! et advienne que pourra[19] !

Et la petite troupe s’en fut dans la brume qui recouvre en cette saison les prairies de la Rieuse.

Il fallait éviter les voies fréquentées, se garder surtout de passer par Joinville, par Montiers-en-Saulx, par Sailly où se tenaient les gens d’armes du parti contraire. Sire Bertrand et Jean de Metz, accoutumés à ces sourdes chevauchées, connaissaient les chemins de traverse et savaient prendre les précautions utiles, comme d’envelopper de linges les pieds des chevaux pour amortir le bruit des sabots sur le sol[20].

A la nuit tombante la compagnie, ayant échappé à tous les dangers, s’approcha de la rive droite de la Marne et atteignit l’abbaye de Saint-Urbain[21]. C’était de temps immémorial un lieu d’asile, et, à l’époque où nous sommes, elle avait pour abbé Arnoult d’Aulnoy, parent de Robert de Baudricourt[22].

La porte du sévère édifice s’ouvrit aux voyageurs qui passèrent sous la voûte en tiers-point[23]. L’abbaye renfermait un corps de logis pour les étrangers. C’est là qu’ils trouvèrent le gîte de leur première étape.

L’église abbatiale s’élevait à droite de la porte extérieure ; on y gardait les reliques de saint Urbain, pape. Le 24 février, au matin, Jeanne y entendit la messe conventuelle[24]. Puis elle se remit en selle avec ses compagnons. Ils franchirent le pont sur la Marne vis-à-vis de Saint-Urbain et poussèrent vers la France.

Ils avaient encore cent vingt-cinq lieues de pays à parcourir et trois rivières à traverser dans une contrée infestée de brigands. Onze jours, ils chevauchèrent ; par crainte de l’ennemi, ils voyageaient la nuit[25]. Pendant les couchées sur la paille, la jeune paysanne, gardant ses chausses liées à son justaucorps, dormait tout habillée, sous une couverture, entre Jean de Metz et Bertrand de Poulengy qui lui inspiraient de la confiance. Ils ont dit depuis qu’ils n’eurent point désir de cette fille à cause de la sainteté qu’ils voyaient en elle[26] ; on peut le croire ou ne le pas croire. Jean de Metz n’était point échauffé d’une si grande foi dans cette inspirée, puisqu’il lui demandait avec inquiétude :

— Ferez-vous bien ce que vous dites ?

A quoi elle répondait :

— N’ayez crainte. Ce que je fais, je le fais par commandement. Dies frères du Paradis me disent ce que j’ai à faire. Il y a déjà quatre ou cinq ans que mes frères du Paradis et Messire m’ont dit qu’il fallait que j’allasse en guerre pour recouvrer le royaume de France[27].

Ces rudes compagnons n’éprouvaient pas tous en sa présence un respect religieux ; certains la moquaient et, par amusement, parlaient devant elle comme s’ils étaient du parti des Anglais. Quelquefois, en manière de plaisanterie, feignant une alerte, ils faisaient mine de tourner bride. C’était de la malice perdue. Elle les croyait, mais elle n’avait pas peur et disait gravement à ces gens qui pensaient l’effrayer avec des Anglais :

— Gardez-vous de fuir. En nom Dieu, ils ne vous feront pas de mal[28].

Et à l’approche de tout danger feint ou réel, il lui venait aux lèvres des paroles de réconfort

— Ne craignez rien. Vous verrez comme à Chinon le gentil dauphin nous fera bon visage[29].

Son plus grand chagrin était de ne pas faire aussi souvent qu’elle le voulait ses dévotions aux églises. Elle répétait chaque jour :

— Si nous pouvions, nous ferions bien d’entendre la messe[30].

Évitant les grandes routes, ils ne se trouvaient guère à portée, des ponts et ils durent souvent passer à gué les rivières grossies par les pluies. Ils traversèrent l’Aube près de Bar-sur-Aube, la Seine près de Bar-sur-Seine, l’Yonne devant Auxerre, où Jeanne entendit la messe dans l’église Saint-Étienne : puis ils atteignirent la ville de Gien, assise sur la rive droite de la Loire[31].

Ces Lorrains voyaient enfin une ville française obéissant au roi de France. Ils avaient fait soixante-quinze lieues en pars ennemi sans être attaqués ni molestés, ce qui, par la suite, fut tenu pour merveilleux. Mais était-il impossible à sept ou huit cavaliers armagnacs de traverser sans malencontre les pays anglais ou bourguignons ? Le capitaine de Vaucouleurs faisait parvenir fréquemment des lettres au dauphin, le dauphin lui envoyait des courriers ; Colet de Vienne[32] venait de porter son message.

En fait, le péril n’était guère moindre pour les gens du dauphin dans les provinces de son obéissance que dans les territoires soumis à d’autres maîtres[33]. Les routiers à la solde du roi Charles ne s’inquiétaient pas, pour piller et rançonner les voyageurs, de savoir s’ils étaient Armagnacs ou Bourguignons, et c’est précisément après avoir traversé la Loire que les compagnons de Bertrand de Poulengy se trouvèrent exposés aux plus grands dangers.

Avertis de leur venue, quelques hommes d’armes du parti français allèrent au devant d’eux et se mirent en embuscade pour les surprendre. Ils voulaient s’emparer de la jeune fille, la jeter dans une fosse et l’y laisser sous une grosse pierre, comptant que le roi, qui la faisait venir, donnerait beaucoup d’argent pour la ravoir[34]. Les routiers et les soudoyers avaient coutume d’enfouir ainsi dans un trou les voyageurs qu’ils délivraient ensuite, moyennant rançon. Dix-huit ans auparavant, à Corbeil, cinq hommes avaient été mis dans une fosse au pain et à l’eau, par des Bourguignons. Trois d’entre eux moururent, faute de pouvoir payer[35]. Il s’en manqua de peu que Jeanne ne subit un traitement de ce genre. Mais les mauvais garnements qui la guettaient, au moment de faire le coup restèrent tranquilles, on ne sait pour quelle cause et peut-être par crainte dé n’être pas les plus forts[36].

De Gien, la petite troupe longea la lisière nord du duché de Berry, passa dans le Blaisois, traversa peut-être Selles-sur-Cher et Saint-Aignan, puis, entrée en Touraine, atteignit les pentes vertes de Fierbois[37]. C’était là que l’une des deux dames du Ciel qui visitaient familièrement chaque jour la jeune paysanne avait son sanctuaire le plus renommé ; c’était là que sainte Catherine recevait une foule de pèlerins et faisait de beaux miracles. La créance populaire donnait à son culte, en ce lieu, une origine nationale et guerrière qui remontait aux plus profondes antiquités françaises. On contait que, vainqueur des Sarrasins à Poitiers, Charles-Martel avait déposé son épée dans l’oratoire de la bienheureuse Catherine[38]. Mais depuis lors ce sanctuaire, il fallait bien l’avouer, avait subi l’injure d’un long abandon. Un peu plus de quarante ans avant la venue de la fille de Domremy, ses murs, au fond d’un bois, disparaissaient sous les ronces et les épines.

Il n’était pas rare alors que les saints et les saintes laissés dans un injuste oubli vinssent eux-mêmes se plaindre à quelque pieuse personne du tort qu’on leur faisait sur la terre. Ils apparaissaient soit à un moine, soit à un paysan ou à un bourgeois, lui dénonçaient en termes pressants, parfois assez vifs, l’impiété des fidèles et lui donnaient l’ordre de rétablir leur culte et de relever leur sanctuaire. C’est ce que fit madame sainte Catherine. En l’an 1375, elle donna mission à un prud’homme du pays de Fierbois, nommé Jean Godefroy, qui était aveugle et paralytique, de rétablir son oratoire dans son éclat et sa célébrité, lui promettant guérison s’il faisait neuvaine au lieu où Charles-Martel avait déposé son épée. Jean Godefroy se fit porter à la chapelle abandonnée, niais il fallut d’abord que ses valets ouvrissent, à force de coignée, un chemin à travers les halliers. Madame sainte Catherine rendit à Jean Godefroy l’usage de ses yeux et de ses membres, et ce fut par un bienfait qu’elle rappela au peuple tourangeau sa gloire délaissée. L’oratoire fut réparé, les fidèles en reprirent le chemin, et les miracles y abondèrent. La sainte s’occupa d’abord de guérir les malades ; puis, quand le pays endura les guerres, elle s’employa spécialement à tirer des mains des Anglais les prisonniers qui avaient recours à elle. Parfois elle rendait les captifs invisibles à leurs gardiens, parfois elle rompait liens, chaînes, serrures ; témoin un gentilhomme du nom de Cazin du Boys, qui fut pris, en 1418, avec la garnison de Beaumont-sur-Oise. Mis dans une huche fermée à clef, liée d’une grosse corde et sur laquelle dormait un Bourguignon, il s’y remémora madame sainte Catherine et se voua à cette glorieuse vierge ; aussitôt la huche s’ouvrit. Parfois encore elle obligeait les Anglais à déferrer eux-mêmes leurs prisonniers et à les renvoyer sans rançon. C’était un grand miracle. Elle en opéra un non moins grand en faveur de Perrot Chapon, de Saint-Sauveur, près Luzarches. Étant aux fers en chartre anglaise, depuis un mois, Perrot Chapon se voua à madame Sainte Catherine et s’endormit. Il se réveilla, tout enchaîné encore, dans sa maison.

Le plus souvent, elle aidait ceux qui s’aidaient eux-mêmes. Ainsi fit, en 1424, Jean Ducoudray, natif de Saumur, qui, prisonnier au château de Bellême, se recommanda dévotement à madame sainte Catherine, puis sauta dehors, étrangla l’homme du guet, escalada le mur d’enceinte, se laissa tomber d’une hauteur de deux lances et s’en alla librement par les champs[39].

Peut-être ces miracles eussent-ils été moins fréquents si les Anglais avaient entretenu plus de monde en France ; mais ils manquaient d’hommes : en Normandie, ils s’enfermaient dans les villes, abandonnant les campagnes aux partisans qui battaient le pays, enlevaient les convois et favorisaient de la sorte grandement l’intervention de madame sainte Catherine[40].

Les captifs qui s’étaient voués à elle et qu’elle avait délivrés faisaient, pour acquitter leur vœu, le glorieux pèlerinage de Fierbois et venaient suspendre dans la chapelle leurs cordes, leurs chaînes, leur harnois, ou par cas spécial, le harnois d’un ennemi.

C’est ce qu’avait fait, neuf mois avant la venue de Jeanne à Fierbois, un gentilhomme nommé Jean du Chastel. Il s’était échappé des mains d’un capitaine qui l’accusait, en cela, de félonie, affirmant que du Chastel lui avait donné sa foi. Du Chastel soutenait, au contraire, qu’il n’avait rien juré ; et il appela le capitaine en combat singulier. L’issue du combat prouva le bon droit du gentilhomme français ; car, avec l’aide de madame sainte Catherine, il eut la victoire. En reconnaissance, il vint offrir à sa sainte protectrice le harnois de l’Anglais vaincu, en présence de Monseigneur le bâtard d’Orléans, du capitaine La Hire et de plusieurs autres seigneurs[41].

Jeanne dut se plaire à entendre de telles ou semblables merveilles qu’on lui récita, et à voir tant d’armes suspendues aux murs de la chapelle. Elle dut être bien aise que la sainte, qui la visitait à toute heure et lui donnait conseil, se montrât si manifestement l’amie des pauvres soldats et des paysans, la libératrice des prisonniers mis en huche, en fosse, aux fers ou aux ceps par les Godons.

Elle fit ses dévotions et entendit deux messes dans la chapelle[42].

 

 

 



[1] Le P. Anselme, Histoire généalogique de la Maison de France, II, p. 218. — Ludovic Drapeyron, Jeanne d’Arc et Philippe le Bon, dans Revue de Géographie, novembre 1886, p. 236. — S. Luce, Jeanne d’Arc à Domremy, pp. LXVI, CXCIX.

[2] Œuvres du roi René, par le comte de Quatrebarbes, Angers, 1845, t. I, notice, pl. LXXVI et suiv. — Lecoy de la Marelle, Le roi René, sa vie, son administration, ses travaux artistiques et littéraires, Paris, 1875, 2 vol. in-8°, et Giry, compte rendu dans Revue Critique.

[3] Dom Calmet, Histoire de Lorraine, t. II, col. 695, 703.

[4] S. Luce, Jeanne d’Arc à Domremy, pp. CXCVII, CLXXXVII, CLXXXVIII et 236. — Le registre des Archives de la Meuse, B 1051, conserve la trace d’une correspondance active du duc de Bar arec Baudricourt.

[5] Chronique du doyen de Saint-Thibaud, dans Dom Calmet, Histoire de Lorraine, preuves, t. II, col. CXCIX. — S. Luce, Jeanne d’Arc à Domremy, pp. CXCVII et suiv.

[6] Lettre de Jean Desch, secrétaire de la ville de Metz, dans Procès, t. V, p. 355. — Dom Calmet, Histoire de Lorraine, t. II, preuves, col. CXCIX.

[7] S. Luce, Jeanne d’Arc à Domremy, p. CC, note.

[8] Procès, t. III, p. 7. — Dom Calmet, Histoire de Lorraine, t. III, preuves, col. vj.

[9] Procès, t. II, pp. 391 et 444.

[10] Ibid., t. I, p. 129.

[11] Procès, t. I, p. 54 ; t. II, pp. 438, 445, 447, 457. — Relation du greffier de La Rochelle, dans Revue Historique, t. IV, p. 336.

[12] Relation du greffier de La Rochelle, dans Revue Historique, ibid.

[13] Procès, t. II, pp. 432, 442, 457 ; t. III, p. 209. — S. Luce, Jeanne d’Arc à Domremy, pp. XCV, 143, note 3. — G. de Braux et E. de Bouteiller, Nouvelles recherches, pp. XXIX et suiv.

[14] Les routiers en Lorraine, dans Journal de la Société archéologique de Lorraine, 1866, p. 161. — Dr. A. Lapierre, La guerre de cent ans dans l’Argonne et le Rethélois, Sedan, 1900, in-8°.

[15] Chronique de la Pucelle, p. 272 (texte assez suspect à cause de sa tendance hagiographique).

[16] Procès, t. I, p. 54 ; t. II, p. 437. — Chronique du Mont-Saint-Michel, t. I, p. 30. — De Boismarmin, Mémoire sur la date de l’arrivée de Jeanne d’Arc à Chinon, dans Bulletin du Comité des travaux historiques et scientifiques, 1892, pp. 350-359. — Ulysse Chevalier, L’abjuration de Jeanne d’Arc, p. 10, note 1.

[17] Procès, t. II, pp. 431, 446.

[18] Procès, t. II, p. 449.

[19] Ibid., t I, p. 55.

[20] De Pimodan, La première étape de Jeanne d’Arc, Paris, 1891, in-8°, cartes.

[21] Procès, t. I, p. 54.

[22] Jolibois, Dictionnaire historique de la Haute-Marne, p. 492.

[23] De Pimodan, La première étape de Jeanne d’Arc, loc. cit.

[24] Procès, t. I, pp. 54-55.

[25] Ibid., t. II, pp. 437, 457.

[26] Procès, t. II, p. 457.

[27] Ibid., t. II, p. 449.

[28] Ibid., t. III, p. 199.

[29] Procès, t. II, pp. 437, 458.

[30] Ibid., t. II, pp. 437, 457.

[31] Ibid., t. II, p. 54 ; t. III, pp. 3-21.

[32] Ibid., t. II, pp. 406, 432, 445, 448, 457.

[33] Monstrelet, t. V, p. 269. — Th. Basin, t. I, p. 44. — Bueil, Le Jouvencel, introduction, — Lettres de rémission, dans E. Boutaric, Institutions militaires de la France avant les armées permanentes..., 1863, in-8°, p. 266. — Récit du prieur de Droillet, M. Quicherat, dans Bibliothèque de l’École des Chartes, IVe série, t. III, p. 359. — Mantullier, Histoire de la communauté des marchands fréquentant la rivière de Loire, t. I, p. 195. — Le P. H. Denifle, La désolation des églises, monastères hôpitaux en France, vers le milieu du XVe siècle, Mâcon, in-8°.

[34] Procès, t. III, p. 293.

[35] Abbé J.-J. Bourassé, Les miracles de madame Sainte Katerine de Fierboys en Touraine, d’après un manuscrit de la Bibliothèque Impériale, Paris, in-12, 1858, p. 28.

[36] Je joins ici ce que dit Seguin, Procès, t. III, p. 203, et ce que dit la Touroulde, Procès, t. III, pp. 86, 87. II me semble bien qu’il s’agit du même fait, rapporté sommairement par le premier, inexactement par la seconde.

[37] Procès, t. I, pp. 56, 75 ; t. III, pp. 3, 21 ; t. V, p. 378.

[38] Que sainte Catherine ait été connue en Occident un peu avant les croisades, cela est possible, mais que son culte remonte à Charles-Martel, non pas ; il était du moins très vivace au temps de Jeanne d’Arc. Cf. H. Moranvillé, Un pèlerinage en Terre sainte et au Sinaï au XVe siècle, dans Bibliothèque de l’École des Chartes, t. LXVI (1905), pp. 70 et suiv.

[39] Les miracles de madame sainte Katerine, passim. — G. Launay, Notice..., dans Bull. Soc. archéol. du Vendômois, 1880, t. XLX, p. 23-25.

[40] G. Lefèvre-Pontalis, La guerre des partisans dans la Haute Normandie (1424-1429), dans Bibliothèque de l’École des Chartes (1893-1896).

[41] Les miracles de madame sainte Katerine, passim.

[42] Procès, t. I, 75.