VIE DE JEANNE D’ARC

Tome I

CHAPITRE PREMIER. — L’ENFANCE.

 

 

De Neufchâteau à Vaucouleurs la Meuse coule libre et pure entre les trochées de saules et d’aulnes et les peupliers qu’elle arrose, se joue tantôt en brusques détours, tantôt en longs circuits, et divise et réunit sans cesse les glauques filets de ses eaux, qui parfois se perdent tout à coup sous terre. L’été, ce n’est qu’un ruisseau paresseux qui courbe en passant les roseaux du lit qu’il n’a presque pas creusé ; et, si l’on approche du bord, on voit la rivière, ralentie par des îlots de joncs, couvrir à peine de ses moires un peu de sable et de mousse. Mais dans la saison des pluies, grossie de torrents soudains, plus lourde et plus rapide, elle laisse, en fuyant, une rosée souterraine qui remonte çà et là, en flaques claires, à fleur d’herbe, dans la vallée.

Cette vallée s’étend, toute unie, large d’une lieue à une lieue et demie, entre des collines arrondies e L basses, couronnées de chênes, d’érables et de bouleaux. Bien que fleurie au printemps, elle est d’un aspect austère et grave et prend parfois un caractère de tristesse. L’herbe la revêt avec une monotonie égale à celle des eaux dormantes. On y sent, même dans les beaux jours, la menace d’un climat rude et froid. Le ciel y semble plus doux que la terre. Il l’enveloppe de son sourire humide ; il est le mouvement, la grâce et la volupté de ce paysage tranquille et chaste. Puis, quand vient l’hiver, il se mêle à la terre dans une apparence de chaos. Les brouillards y deviennent épais et tenaces. Aux vapeurs blanches et légères qui flottaient, par les matins tièdes sur le fond de la vallée, succèdent des nuages opaques et de sombres montagnes mouvantes, qu’un soleil rouge et froid dissipe lentement. Et, le long des sentiers du haut pays, le passant matinal a cru, comme les mystiques dans leurs ravissements, marcher sur les nuées.

C’est ainsi qu’après avoir laissé à sa gauche le plateau boisé du haut duquel le château de Bourlémont domine le val de la Saônelle et à sa droite Coussev avec sa vieille église, la rivière flexible passe entre le Bois Chesnu au couchant et la côte de Julien au levant, rencontre, sur sa rive occidentale, les villages de Domremy et de Greux, qui se touchent, sépare Greux de Maxey-sur-Meuse, atteint, entre autres hameaux blottis au creux des collines ou dressés sur les hautes terres, Burey-la-Côte, Marey-sur-Vaise et Burey-en-Vaux, et va baigner les belles prairies de Vaucouleurs[1].

Dans ce petit village de Domremy, situé à moins de trois lieues en aval de Neufchâteau et à cinq lieues en amont de Vaucouleurs, une fille naquit vers l’an 1410 ou 1412[2], destinée à l’existence la plus singulière. Elle naissait pauvre. Jacques ou Jacquot d’Arc, son père[3], originaire du village de Ceffonds en Champagne[4], vivait d’un gagnage ou petite ferme, et menait les chevaux au labour. Ses voisins et voisines le tenaient pour bon chrétien et vaillant à l’ouvrage[5]. Sa femme était originaire de Vouthon, village situé à une lieue et demie au nord-ouest de Domremy, par delà les bois de Greux. Ayant nom Isabelle ou Zabillet, elle reçut, à une époque qu’on ne saurait indiquer, le surnom de Romée[6]. On appelait ainsi ceux qui étaient allés à Rome ou avaient fait quelque grand pèlerinage[7], et l’on peut croire qu’Isabelle gagna son nom de Romée en prenant les coquilles et le bourdon[8]. Un de ses frères était curé, un autre, couvreur ; un de ses neveux charpentier[9]. Elle avait déjà donné à son mari trois enfants : Jacques ou Jacquemin, Catherine et Jean[10].

La maison de Jacques d’Arc touchait au pourpris de l’église paroissiale, dédiée à saint Remi, apôtre des Gaules[11]. On n’eut que le cimetière à traverser pour porter l’enfant sur les fonts. Les formules d’exorcismes, que le prêtre récite à la cérémonie du baptême, étaient, à cette époque, dans ces contrées, beaucoup plus longues, dit-on, pour les filles que pour les garçons[12]. Sans savoir si messire Jean Minet[13], curé de la paroisse, les prononça dans leur teneur exacte sur la tête de l’enfant, nous rappelons cet usage comme un des nombreux indices de l’invincible défiance qu’inspira toujours à l’Église la nature féminine.

Selon la coutume d’alors, cette enfant eut plusieurs parrains et marraines[14]. Les compères furent Jean Morel, de Greux, laboureur ; Jean Barrey, de Neufchâteau ; Jean Le Langart ou Lingui et Jean Rainguesson ; les commères, Jeannette, femme de Thevenin le Royer, dit Roze, de Domremy ; Beatrix, femme d’Estellin, laboureur au même lieu ; Edite, femme de Jean Barrey, Jeanne, femme d’Aubrit, dit Jannet, qu’on appela le maire Aubrit, quand il fut nommé officier de plume au service des seigneurs de Bourlémont[15] ; Jeannette, femme de Thiesselin de Vittel, clerc à Neufchâteau, de toutes la plus savante, car elle avait entendu lire des histoires dans des livres. On désigne encore, parmi les commères, la femme de Nicolas d’Arc frère de Jacques, ainsi que deux obscures chrétiennes nommées l’une Agnès, l’autre Sibylle[16]. Il se rencontrait là nombre de Jean, de Jeanne et de Jeannette, comme en toute assemblée de bons catholiques. Saint Jean-Baptiste jouissait d’une très haute renommée ; sa fête, célébrée le 24 juin, était une grande date de l’année religieuse et civile ; elle serrait de terme usuel pour baux, locations et contrats de toutes sortes. Saint Jean l’Évangéliste, qui avait reposé la tête contre la poitrine du Seigneur et qui devait revenir sur la terre à la consommation des siècles, passait aux yeux de certains religieux, aux yeux surtout des mendiants, pour le plus grand des saints du Paradis[17] C’est pourquoi, en l’honneur du Précurseur ou de l’apure bien-aimé, on imposait très souvent, de préférence à tout autre nom, les noms de Jean et de Jeanne aux nouveau-nés. Et, pour mieux approprier ces saints noms à la petitesse de l’enfance et à l’infimité promise à la plupart des destinées humaines, on les diminuait en Jeannot et Jeannette. Les paysans des bords de la Meuse avaient un goût particulier pour ces petits noms à la fois humbles et caressants, Jacquot, Pierrollot, Zabillet, Mengette, Guillemette[18]. L’enfant reçut, de la femme du clerc Thiesselin, le nom de Jeannette. Au village, elle ne porta que celui-là. Plus tard, en France, on l’appela Jeanne[19].

Elle fut nourrie dans la maison paternelle. Pauvre demeure de Jacques[20] ! La façade était percée d’une ou deus fenêtres chiches de lumière. Le toit de pierres plates, incliné sur un demi-pignon, descendait presque à terre du côté du jardin. Sur le seuil, à la coutume du pars, s’amassaient le fumier, les souches et les instruments de labour, recouverts de rouille ou de boue. Mais l’humble jardin, à la fois verger et potager, était, au printemps, tout fleuri de blanc et de rose[21].

Ces bons chrétiens eurent encore un enfant, le dernier, Pierre qu’on nommait Pierrelot[22].

Jeanne grandit sur une terre avare, parmi des gens rudes et sobres, nourris de vin rose et de pain bis, endurcis par une dure vie. Elle grandit libre. Les, enfants, chez les paysans laborieux, vivent le plus sou, vent entre eus, hors du regard des parents. La fille d’Isabelle semble s’être très bien accordée avec les enfants du village. Une petite voisine, Hauviette, de trois ou quatre ans plus jeune qu’elle était sa compagne de tous les jours. Elles avaient plaisir à coucher dans le même lit[23]. Mengette, dont les parents habitaient tout contre, venait filer dans la maison de Jacques d’Arc. Elle s’y acquittait avec Jeanne des soins du ménage[24]. Souvent aussi Jeanne, emportant sa quenouille, allait faire la veillée chez un laboureur, Jacquier, de Saint-Amance, qui avait une fille toute jeune[25]. Les garçons, comme de raison, croissaient avec les filles. Jeanne et le fils de Simonin Musnier, étant voisine et voisin, furent élevés ensemble. En son enfance, le fils Musnier tomba malade ; Jeanne l’alla soigner[26].

Il n’était pas sans exemple en ce temps-là que des villageoises connussent leurs lettres. Maître Jean Gerson, peu d’années auparavant, conseillait à ses sœurs, paysannes champenoises, d’apprendre à lire, promettant, si elles y réussissaient, de leur donner des livres d’édification[27]. Bien que nièce de curé, Jeanne n’étudia pas sa Croix-de-Dieu, semblable en cela à plusieurs enfants de son village, non pourtant à tous, car il y avait à Maxey une école où allaient les garçons de Domremy[28].

Elle apprit de sa mère Notre Père, Je vous salue, Marie, et Je crois en Dieu[29]. Elle entendit conter quelques belles histoires de saints et de saintes. Ce fut tout l’enseignement qu’elle reçut. Aux jours fériés, dans la nef de l’église, elle se tenait sous la chaire, assise sur les talons, à la manière des paysannes, tandis que les hommes demeuraient debout contre le mur, et elle entendait le sermon du curé[30].

Dès qu’elle en eut l’âge, elle travailla aux champs, sarclant, bêchant et, comme font encore aujourd’hui les filles du pays lorrain, accomplissant des tâches d’homme.

Les prairies, don du fleuve, étaient la principale richesse des riverains de la Meuse. Quand la récolte des foins était faite, tous les habitants clé Domremy avaient droit de pâture dans les prairies du village, et ils y pouvaient mettre clés têtes de bétail en nombre proportionnel à celui des fauchées de pré qu’ils possédaient en propre. Chaque famille prenait à son tour la garde des troupeaux ainsi rassemblés. Jacques d’Arc, qui avait un peu d’herbage, mettait ses bœufs et ses chevaux avec les autres. Lorsque venait son tour de garde, il s’en déchargeait sur sa fille Jeanne, qui allait au pré, sa quenouille à la main[31].

Mais elle aimait mieux vaquer aux soins du ménage, coudre et filer. Elle était pieuse. Elle ne jurait ni Dieu ni les saints et, pour affirmer qu’une chose était vraie, elle se contentait de dire : Sans faute[32]. Quand les cloches sonnaient l’Angélus, elle se signait et s’agenouillait[33]. Le samedi, jour de la Sainte Vierge, gravissant le coteau d’herbes, de vignes et de vergers au pied duquel s’appuie le village de Greux, elle gagnait le plateau boisé d’où l’on découvre., à l’est, la verte vallée et les collines bleuissantes. Sur la hauteur, à une petite lieue du village, dans un ravin plein d’ombre et de murmures, la fontaine de Saint-Thiébault, dont l’eau très pure guérit de la fièvre et cicatrise les plaies, jaillit sous les hêtres, les frênes et les chênes. Au-dessus de la fontaine, s’élève la chapelle de Notre-Dame de Bermont. Dans la belle saison, elle est toute parfumée de l’odeur des prés et des bois. Et l’hiver enveloppe ce haut lieu de tristesse et de silence. En ce temps-là, vêtue du manteau royal et la couronne au front, dans ses bras son divin enfant, Notre-Dame de Bermont recevait les prières et les offrandes des jeunes garçons et des jeunes filles. Elle faisait des miracles. Jeanne l’allait visiter en compagnie de sa sœur Catherine, de quelques filles ou garçons du pays ou toute seule. Et le plus souvent qu’elle pouvait, elle brûlait un cierge en l’honneur de cette céleste dame[34].

A une demi-lieue à l’est de Domremy, s’élevait une colline couverte d’un bois épais où l’on ne s’aventurait guère de peur des sangliers et des loups. Les loups étaient la terreur du pars. Les maires des villages payaient des primes pour chaque tête de loup ou de louveteau qu’on leur apportait[35]. Ce bois, que Jeanne voyait du seuil de sa porte, c’était le Bois Chesnu, le bois de chênes, ce qu’on pouvait entendre au sens de bois chenu, vieille forêt[36]. Nous verrons plus tard comment à ce Bois Chesnu fut appliquée, en France, une prophétie de Merlin l’Enchanteur.

Au pied de la colline, du côté du village, était une fontaine[37] que les groseilliers épineux, en recourbant leurs branches, bordaient de leurs buissons grisâtres. On la nommait la Fontaine-aux-Groseilliers, la Fontaine-aux-Nerpruns[38]. Si, comme le croyait un maître de l’Université de Paris[39], Jeanne appelait cette fontaine la Fontaine-aux-Bonnes-Fées-Notre-Seigneur, c’était assurément parce que les gens du village la désignaient de même manière. Et il semblerait que ces âmes rustiques eussent voulu, par ce nom, rendre chrétiennes ces clames des bois et des eaux qui ne l’étaient guère, et en qui certains docteurs reconnaissaient des démons autrefois adorés des païens comme déesses[40].

Et c’était la vérité. Déesses vénérées et redoutées à l’égal des Parques, elles s’étaient nommées les Fatales[41] et on leur avait attribué un pouvoir sur les destinées des hommes. Mais, depuis longtemps déchues de leur puissance et de leurs honneurs, ces fées de village se faisaient aussi simples que les gens près desquels elles vivaient. On les invitait aux baptêmes et l’on mettait leur couvert dans la chambre attenante à celle de l’accouchée. A ces festins, elles mangeaient seules, entraient, sortaient sans qu’on le sût ; il ne fallait pas trop les épier, de peur de leur déplaire. C’est l’usage des personnes divines d’aller et de venir mystérieusement. Elles faisaient des dons aux nouveau-nés. Il y en avait de très bonnes ; mais, pour la plupart, sans être méchantes, elles se montraient irritables, capricieuses, jalouses, et, si on les offensait, même par mégarde, elles jetaient des sorts. Elles laissaient voir parfois, à d’inexplicables préférences, qu’elles étaient femmes. Plus d’une prenait pour ami un chevalier ou un rustre ; le plus souvent ces belles amours finissaient mal. Enfin, terribles ou douces, elles étaient encore les Fatales, elles étaient toujours les destinées[42].

Tout proche, à l’orée du bois, au-dessus du grand chemin de Neufchâteau, s’élevait un hêtre très vieux qui répandait une belle et grande ombre[43]. Il était vénéré presque à l’égal de ces arbres tenus pour sacrés avant que les hommes apostoliques eussent évangélisé les Gaules[44]. Ses branches, qu’aucune main n’osait toucher, descendaient jusqu’à terre. Les lis, disait un laboureur, ne sont pas plus beaux[45]. Comme la fontaine, l’arbre avait plusieurs noms. On l’appelait l’Arbre-des-Dames, l’Arbre-aux-Loges-les-Dames, l’Arbre-des-Fées, l’Arbre-Charmine-Fée-de-Bourlémont, le Beau-Mai[46].

Qu’il fût des fées et qu’on en eût vu sous l’Arbre-aux-Loges-les-Dames, tout le monde à Domremy le savait. Dans les anciens jours, au temps où Berthe filait, un seigneur de Bourlémont, nommé Pierre Granier[47], devenu le bel ami d’une fée, l’allait trouver le soir sous le hêtre. Un roman traitait de leurs amours. Et l’une des marraines de Jeanne, dont le mari était clerc à Neufchâteau, avait entendu lire cette histoire qui ressemblait sans doute à celle de Mélusine, tant connue en Lorraine[48]. Seulement on doutait si les fées venaient encore sous le hêtre. Les uns croyaient que non, les autres croyaient qu’oui. Béatrix, marraine aussi de Jeanne, disait : J’ai ouï conter que les fées venaient sous l’arbre dans l’ancien temps. Mais, pour leurs péchés, elles n’y viennent plus[49].

La simple créature entendait par là que ces dames fées étaient les ennemies de Dieu, et que le curé les avait mises en fuite. Jean Morel, parrain de Jeanne, pensait de même[50].

En effet, la veille de l’Ascension, aux Rogations ou Petites Litanies, les croix étaient portées par les champs et le curé allait sous l’Arbre-des-Fées chanter l’évangile de saint Jean. Il le chantait encore à la Fontaine-aux-Groseilliers et aux autres fontaines de la paroisse[51]. Et pour chasser les mauvais esprits, on ne connaissait rien qui valut l’évangile de saint Jean[52].

Le seigneur Aubert d’Ourches estimait que les fées avaient disparu de Domremy depuis vingt ou trente ans. Au rebours, plusieurs dans le village croyaient savoir que les chrétiens allaient encore se promener avec elles, et que le jeudi était le jour des rendez-vous[53].

Une troisième marraine de Jeanne, la femme d’Aubery, le maire, avait vu de ses yeux les fées autour de l’arbre. Elle l’avait dit à sa filleule. Et la femme d’Aubery était réputée bonne et prude femme, non devineresse ni sorcière[54].

Jeanne soupçonnait en tout cela quelque sortilège. Pour elle, elle n’avait jamais rencontré les dames sous l’arbre. Mais qu’elle eût vu des fées ailleurs, c’est ce qu’elle n’aurait pas su dire[55]. Les fées ne sont pas comme les anges ; elles ne se font pas toujours connaître pour ce qu’elles sont[56].

Chaque année, le quatrième dimanche de Carême, que l’Église nomme le dimanche de Lœtare, parce qu’on chante à la messe de ce jour l’introït qui commence par ces mots : Lœtare Jerusalem, les paysans du Barrois célébraient une fête rustique et faisaient ce qu’ils appelaient leurs Fontaines, c’est-à-dire qu’ils allaient en troupe boire à quelque source et danser sur l’herbe. Ceux de Greux faisaient leurs Fontaines à la chapelle de Notre-Dame de Bermont ; ceux de Domremy les faisaient à la Fontaine-des-Groseilliers et à l’Arbre-des-Fées[57]. On se rappelait le temps où le seigneur et la dame de Bourlémont y conduisaient eux-mêmes la jeunesse du village. Mais Jeanne était encore dans les langes, quand Pierre de Bourlémont, seigneur de Domremy et de Greux, mourut sans enfants, laissant ses terres à sa nièce Jeanne de Joinville qui, mariée à un chambellan du duc de Lorraine, vivait à Nancy[58].

Le jour des Fontaines, les filles et les garçons de Domremy se rendaient ensemble au vieux hêtre. Après y avoir suspendu des guirlandes de fleurs, ils soupaient, sur une nappe étendue à terre, de noix, d’œufs durs et de petits pains d’une forme étrange, que les ménagères avaient pétris tout exprès. Puis ils allaient boire à la Fontaine-des-Groseilliers, dansaient des rondes et s’en retournaient chacun chez soi à la tombée de la nuit.

Jeanne faisait ses Fontaines comme toutes les jouvencelles de la contrée. Bien qu’elle fût de la partie de Domremy rattachée à Greux, elle les faisait non pas à Notre-Dame de Bermont, mais à la Fontaine-des-Groseilliers et à l’Arbre-des-Fées[59].

En son premier âge, elle dansait avec ses compagnes au pied de l’arbre. Elle y tressait des guirlandes pour l’image de Notre-Dame de Domremy, dont la chapelle s’élevait sur un coteau voisin. Les jeunes filles avaient coutume de suspendre des guirlandes aux branches de l’Arbre-des-Fées. Jeanne en suspendait, comme les autres, et, comme les autres, tantôt elle les emportait, tantôt elle les laissait. On ne savait ce qu’elles devenaient, et il parait que la disparition de ces fleurs était de nature à inquiéter les personnes scientifiques et d’entendement. Ce qui est certain c’est que les malades, s’ils buvaient à la fontaine et se promenaient ensuite sous l’arbre, guérissaient de la fièvre[60].

Pour fêter le printemps on faisait un homme de mai, un mannequin de feuilles et de fleurs[61].

Près de l’Arbre-des-Dames, sous un coudrier, une mandragore promettait les richesses à qui, n’ayant peur ni de l’entendre crier, ni de voir le sang dégoutter de son petit corps humain et de ses pieds fourchus, oserait, durant la nuit, selon les rites, l’arracher de terre[62].

L’arbre, la fontaine, la mandragore rendaient les habitants de Domremy suspects de commercer avec les mauvais esprits. Un savant docteur a dit en propres termes que le pays était connu pour le grand nombre de ses habitants qui usaient de maléfices[63].

Jeanne, encore en sa prime jeunesse, fit plusieurs fois le voyage de Sermaize en Champagne, où elle avait des parents. Le curé de la paroisse, messire Henri de Vouthon, était son oncle maternel. Elle y avait un cousin, Perrinet de Vouthon, qui y exerçait l’état de couvreur avec son fils Henri[64].

Domremy est séparé de Sermaize par quinze grandes lieues de forêts et de landes. Jeanne, à ce qu’on peut croire, faisait le voyage en croupe avec son frère sur la petite jument, la bâtière du gagnage[65]. A chaque fois due l’enfant s’y rendait, elle passait plusieurs jours dans la maison de Perrinet, son cousin[66].

Le village de Domremy se divisait, selon le droit féodal, en deux parties distinctes. Celle du midi, avec le château sur la Meuse et une trentaine de feux, appartenait aux seigneurs de Bourlémont et dépendait de la châtellenie de Gondrecourt, mouvant de la couronne de France. C’était Lorraine et Barrois. La partie du nord, sur laquelle s’élevait le moustier, relevait de la prévôté de Montéclaire et Andelot au bailliage de Chaumont en Champagne[67]. On l’appelait quelquefois Domremy de Greux, parce qu’elle ne fanait qu’un, pour ainsi dire, avec le village de Greux tout proche sur la route, vers Vaucouleurs[68]. Un ruisseau jailli à peu de distance, au couchant, d’une triple source et qu’on nommait, dit-on, pour cela le ruisseau des Trois-Fontaines, séparait les serfs de Bourlémont des hommes du roi. Il passait humblement sous une pierre plate devant l’église, puis se jetait par une pente rapide dans la Meuse, vis-à-vis de la maison de Jacques d’Arc, qu’il avait laissée à gauche, en terre de Champagne et de France[69]. Voilà ce qui paraîtrait le plus solidement établi ; mais craignons de savoir ces choses mieux qu’on ne les savait à l’époque. En 1429, on ignorait dans le conseil du roi Charles, si Jacques d’Arc était de condition libre ou serve[70]. Et sans doute, Jacques d’Arc lui-même n’en savait rien. Lorrains ou Champenois, des deux côtés du ruisseau c’était pareillement des paysans menant une même vie de labeur et de peine. Pour ne point dépendre du même maître, les uns et les autres n’en formaient pas moins une communauté étroitement unie, une seule famille rustique. Intérêts, besoins et sentiments, ils partageaient tout. Menacés des mêmes dangers, ils avaient tous les mêmes inquiétudes.

Situé à la pointe sud de la châtellenie de Vaucouleurs, le village de Domremy se trouvait pris entre le Barrois et la Champagne au levant, la Lorraine au couchant[71]. Terribles voisins que ces ducs de Lorraine et de Bar, ce comte de Vaudemont, ce damoiseau de Commercy, ces seigneurs évêques de Metz, de Toul et de Verdun, toujours en guerre entre eus. Querelles de princes. Le villageois les observait comme la grenouille de la vieille fable regarde les taureaux combattre dans la prairie. Pâle, tremblant, le pauvre Jacques se voyait déjà piétiné par les féroces combattants. En un temps où la chrétienté tout entière était au pillage, les hommes d’armes des Marches de Lorraine avaient renommée des plus grands pillards du monde. Malheureusement pour les laboureurs de la châtellenie de Vaucouleurs, tout contre ce domaine, au nord, vivait de rapines Robert de Saarbruck, damoiseau de Commercy, particulièrement prompt à dérober selon la coutume lorraine. Il était de l’avis de ce roi d’Angleterre qui disait que guerre sans incendie ne valait rien, non plus qu’andouilles sans moutarde[72]. Un jour, assiégeant une petite place où les paysans s’étaient enfermés, le damoiseau fit brûler pendant toute une nuit les moissons d’alentour, pour y voir plus clair à prendre ses positions[73].

En 1419, ce seigneur faisait la guerre aux frères Didier et Durand de Saint-Dié. Il n’importe pour quelle raison. De cette guerre, ainsi que des autres, les villageois faisaient les frais. Et comme les gens d’armes se battaient sur toute la châtellenie de Vaucouleurs, les habitants de Domremy avisèrent à leur sûreté. Voici de quelle manière. Il y avait à Domremy un château qui s’élevait dans la prairie à la pointe d’une île formée par deux bras de la rivière, dont l’un, le bras oriental, est depuis longtemps comblé[74]. De ce château dépendaient une chapelle de Notre-Dame, une cour munie d’ouvrages de défense et un grand jardin entouré de fossés larges et profonds. C’est ce qu’on nommait communément la forteresse de l’Ile, ancienne habitation des sires de Bourlémont. Le dernier de ces seigneurs étant mort sans enfants, Jeanne de Joinville, sa nièce, hérita de ses biens. Mais ayant épousé, peu de temps après la naissance de Jeanne, un seigneur lorrain nommé Henri d’Ogiviller, elle le suivit dans le château d’Ogiviller et à la cour ducale de Nancy. Depuis son départ, la forteresse de l’Ile restait inhabitée. Ceux du village la prirent à loyer, pour y mettre à l’abri des pillards leurs outils et leurs bêtes. La location fut adjugée sur enchères. Un nommé Jean Biget, de Domremy, et Jacques d’Arc, le père de Jeanne, s’étant trouvés les plus forts enchérisseurs et ayant fourni les garanties suffisantes, un bail fut passé entre eux et les représentants de la dame d’Ogiviller. Pour neuf années, à compter de la Saint-Jean-Baptiste de l’an 1419, et moyennant un loyer annuel de quatorze livres tournois et de trois imaux de blé[75], Jacques d’Arc cet Jean Biget eurent la jouissance de la forteresse, du jardin, de la cour, ainsi que des prés qui défendaient de ce domaine. Outre les deux locataires principaux, il y eut cinq locataires subsidiaires, dont le premier en nom fut Jacquemin, l’aîné des fils de Jacques d’Arc[76].

La précaution n’était pas inutile. En cette même année 1419, Robert de Saarbruck et sa compagnie se rencontrèrent avec les hommes des frères Didier et Durand, au village de Maxey, qui étendait en face de Greux, sur l’autre côté de la Meuse, au pied des collines boisées, ses toits de chaume. Les deux partis se livrèrent en ce lieu un combat dans lequel le damoiseau victorieux fit trente-cinq prisonniers, qu’ensuite il rançonna très âprement, selon l’usage. Dans le nombre se trouvait ce Thiesselin de Vittel, écuyer, dont la femme avait tenu sur les fonts du baptême la seconde fille de Jacques d’Arc. Jeanne, qui avait alors sept ans, et peut-être un peu plus, put voir, d’une des collines de son village, le combat où fut pris le mari de sa marraine[77].

Cependant les affaires du royaume de France allaient au plus mal. On le savait à Domremy, car le village était sur la route et les passants apportaient les nouvelles[78]. C’est ainsi qu’on y avait appris le meurtre du duc Jean de Bourgogne à qui les conseillers du dauphin firent payer sur le pont de Montereau le sang versé rue Barbette et qui en furent les mauvais marchands, cette mort ayant mis très bas leur jeune prince. La guerre s’en était suivie entre Armagnacs et Bourguignons. Et cette guerre n’avait que trop profité aux Anglais, obstinés ennemis du royaume, qui depuis deux cents ans possédaient la Guyenne et y faisaient un grand négoce[79]. Mais la Guyenne était loin et peut-être ne savait-on pas à Domremy qu’elle avait été jadis dans les appartenances des rois de France. Ce qu’on y savait très bien, au contraire, c’est que durant les derniers troubles du royaume les Anglais avaient repassé la mer et que monseigneur Philippe, fils du feu duc Jean, leur avait tendu la main. Ils occupaient la Normandie, le Maine, la Picardie, l’Ile-de-France, Paris la grande ville[80]. Or les Anglais étaient très haïs et très craints, en France, pour leur grande réputation de cruauté. Non qu’ils fussent en réalité beaucoup plus méchants que les autres peuples[81]. En Normandie, leur roi Henri avait fait respecter les femmes et les biens dans tous les lieux de son obéissance. Mais la guerre est cruelle en soi et qui la porte chez un peuple devient justement odieux à ce peuple. On les disait perfides et non toujours à tort, car la bonne foi est rare parmi les hommes. On les tournait en dérision de diverses manières. En jouant sur leur nom en latin et en français on les nommait anges. Or, s’ils étaient des anges, c’étaient assurément de mauvais anges. Ils reniaient Dieu et avaient sans cesse à la gorge leur Goddam[82], tant qu’on les appelait les Godons. C’étaient des diables. On disait qu’ils étaient coués, c’est-à-dire qu’ils avaient une queue au derrière[83]. On eut deuil dans beaucoup de maisons françaises, quand la reine Ysabeau, faisant des nobles fleurs de Lis litière au léopard, livra le royaume de France aux coués[84]. Depuis lors, le roi Henri V de Lancastre et le roi Charles VI de Valois, le roi victorieux et le roi fol s’étaient suivis, à quelques jours de distance, devant Dieu qui juge le bon et le mauvais, le juste et l’injurieux, le faible et le puissant. La châtellenie de Vaucouleurs était française[85]. Il s’y trouvait des clercs et des nobles pour plaindre cet autre Joas arraché tout enfant à ses ennemis, orphelin dépouillé de son héritage, en qui tout l’espoir du royaume était renfermé. Mais croira-t-on que les pauvres laboureurs avaient loisir de considérer ces choses ? Croira-t-on que vraiment les paysans de Domremy tenaient pour le dauphin Charles, leur droiturier seigneur, tandis que les Lorrains de Maxey, suivant le parti de leur duc, tenaient pour les Bourguignons ?

Maxey, sur la rive droite de la Meuse, n’était séparé de Domremy que par la rivière. Les enfants de Domremy et de Greux y allaient à l’école ; des querelles s’élevaient entre eux ; les petits Bourguignons de Maxey et les petits Armagnacs de Domremy se livraient des batailles. Plus d’une fois, le soir, à la tête du pont, Jeanne vit revenir tout en sang les gars de son village[86]. Qu’une fillette ardente comme elle ait épousé gravement ces querelles et en ait conçu une haine profonde des Bourguignons, cela se conçoit. On aurait tort pourtant de chercher dans ces jeux de vilains en bas âge un indice de l’état des esprits. Les jeunes garnements de ces deux paroisses en avaient pour des siècles à s’insulter et à se battre[87]. Partout et toujours, quand les enfants vont en troupe et que ceux d’un village rencontrent ceux du village voisin, les injures et les pierres volent. Les paysans de Domremy, de Greux et de Maxey, se souciaient peu, sans doute, des affaires des ducs et des rois. Ils avaient appris à craindre les capitaines de leur alliance à l’égal des capitaines de l’alliance contraire, et à ne point faire de différence entre les gens de guerre amis et les gens de guerre ennemis.

En l’an les Anglais occupèrent le bailliage de Chaumont et mirent des garnisons dans plusieurs forteresses du Bassigny. Messire Robert, seigneur de Baudricourt et de Blaise, fils de feu messire Liébault de Baudricourt, était alors capitaine de Vaucouleurs et bailli de Chaumont pour le dauphin Charles. Il pouvait être estimé grand pillard, même en Lorraine. Au printemps de cette année 1420, le duc de Bourgogne ayant envoyé des ambassadeurs au seigneur évêque clé Verdun, sire Robert, d’accord avec le damoiseau de Commercy, les fit prisonniers à leur retour. Pour venger cette offense, le duc de Bourgogne déclara la guerre au capitaine de Vaucouleurs et la châtellenie fut ravagée par des bandes d’Anglais et de Bourguignons[88].

En 1423, le duc de Lorraine était aux prises avec un terrible homme, cet Étienne de Vignolles, routier gascon, déjà fameux sous le rude sobriquet de La Hire[89], qu’il devait laisser après sa mort au valet de cœur des jeux de cartes graissés par les doigts des soudards. La Hire tenait le parti du dauphin Charles, mais, de fait, ne guerroyait que pour son propre gain. A cette heure, il battait le Barrois au couchant et au midi, brûlant les églises et détruisant les villages.

Comme il occupait Sermaize, dont l’église était fortifiée, Jean comte de Salm, gouverneur du duché de Bar pour le duc de Lorraine, l’y vint assiéger avec deux cents chevaux. Un coup de bombarde, tiré par les canonniers lorrains, tua Collot Turlaut, marié depuis deux ans à Mengette, fille de Jean de Vouthon et cousine germaine de Jeanne[90].

Jacques d’Arc était alors doyen de la communauté. Le doyen avait beaucoup à faire, surtout dans les temps troublés. Il convoquait le maire et les échevins à leurs réunions, faisait les cris des ordonnances, commandait le guet de jour et de nuit, gardait les prisonniers. Il était aussi chargé de la collecte des tailles, rentes et redevances, office des plus pénibles à remplir dans un pays ruiné[91].

Robert de Saarbruck, damoiseau de Commercy, qui, pour le moment, était armagnac, pillait et rançonnait, sous couleur de protection et de sauvegarde, les villages barrisiens de la rive gauche de la Meuse[92]. Le 7 octobre 1423, Jacques d’Arc signa, comme doyen, au-dessous du maire et de l’échevin, l’acte par lequel le damoiseau extorquait à ces pauvres gens le paiement annuel de deus gros par feu entier et d’un gros par feu de veuve, imposition qui ne montait pas à moins de deux cent vingt écus d’or, que le doyen était chargé de colliger pour la Saint-Martin d’hiver[93].

L’année suivante fut très mauvaise au dauphin Charles, car les chevaliers français et écossais de son parti furent aussi maltraités que possible à Verneuil. Cette année-là, le damoiseau de Commercy se tourna bourguignon et n’en valut ni plus ni moins pour cela[94]. Le capitaine La Hire se battait encore dans le Barrois, mais cette fois c’était contre le jeune fils de madame Yolande, le beau-frère du dauphin Charles, René d’Anjou, nouvellement sorti de tutelle et désormais investi du duché de Bar. Le capitaine La Hire réclamait, à la pointe de la lance, certaines sommes d’argent que le cardinal duc de Bar lui devait[95].

En même temps Robert, sire de Baudricourt, était aux prises avec Jean de Vergy, seigneur de Saint-Dizier, sénéchal de Bourgogne[96]. Ce fut une belle guerre. Des deux parts on prenait pain, vin, argent, vaisselle, habits, gros et menu bétail, et l’on brûlait ce que l’on ne pouvait emporter. On mettait à rançon hommes, femmes, enfants. Dans la plupart des villages du Bassigny, le labour fut abandonné, presque tous les moulins furent détruits[97].

Dix, vingt, trente bandes de Bourguignons parcouraient la châtellenie de Vaucouleurs et y mettaient tout à feu et à sang. Les paysans cachaient leurs chevaux pendant le jour et se relevaient la nuit pour les mener paître[98]. A Domremy on vivait dans une alarme perpétuelle. Un veilleur à toute heure se tenait sur la tour carrée du moustier. Chaque habitant, et, si l’on s’en rapporte à la coutume, le curé lui-même, y faisant le guet à son tour, épiait, dans la poussière, au soleil, sur le ruban pale des routes, la lueur des lances, scrutait du regard la profondeur effrayante des bois, et la nuit, voyait avec terreur s’allumer à l’horizon les villages. A l’approche des gens d’armes il lançait à toute volée ces cloches qui, tour à tour, célébraient les naissances, pleuraient les morts, appelaient le peuple à la prière, conjuraient la foudre et annonçaient les périls. Les villageois réveillés sautaient demi-nus aux étables et poussaient pêle-mêle les troupeaux vers le château qu’entouraient les deux bras de la Meuse[99].

En l’été de 1425, certain chef de bandes, qui faisait meurtres et larcins sans nombre dans tout le pays, Henri d’Orly, dit de Savoie, tomba un jour avec ses larrons sur les villages de Greux et de Domremy. Cette fois le château de l’Ile ne fut d’aucun secours aux habitants. Le seigneur Henri de Savoie prit tout le bétail des deux villages et le fit conduire à quinze ou vingt lieues de là, dans son château de Doulevant. Il avait aussi dérobé beaucoup de meubles et de biens, en sorte que, ne pouvant tout loger en un seul endroit, il en fit porter une partie à Dommartin-le-Franc, village assez proche où il y avait un château précédé d’une si grande cour, que ce lieu en prit le nom de Dommartin-la-Cour. Les paysans, cruellement dépouillés, étaient en voie de mourir de faim. Heureusement pour eut, à la nouvelle de cette volerie, la dame d’Ogiviller envoya au comte de Vaudemont, en son château de Joinville, un message pour se plaindre à lui, comme à son bon parent, d’un tort fait à elle-même, puisqu’elle était dame de Greux et de Domremy. Le comte de Vaudemont avait dans sa mouvance immédiate le château de Doulevant. Dès qu’il eut reçu le message de sa parente, il envoya un homme d’armes, avec sept ou huit combattants, reprendre le bétail. Cet homme d’armes, nommé Barthélemy de Clefmont, âgé de vingt ans à peine, était habile au fait de guerre. Il trouva dans le château de Dommartin-le-Franc les animaux volés, les prit et les conduisit à Joinville. En route il fut poursuivi et attaqué par les gens du seigneur d’Orly, et mis en grand péril de mort. Mais il se défendit si bien qu’il arriva sauf à Joinville, ramenant le bétail, que le comte de Vaudemont fit reconduire dans les prairies de Greux et de Domremy[100].

Bonheur inespéré ! Le laboureur embrassa ses bœufs en pleurant. Mais n’était-il pas exposé à les perdre sans retour le lendemain ?

Jeanne avait alors treize ou quatorze ans. La guerre partout autour d’elle, même dans les jeux des enfants ; le mari d’une de ses marraines pris et rançonné par les gens d’armes ; le mari de sa cousine germaine Mengette tué d’un coup de bombarde[101], le pays natal foulé par les routiers, incendié, pillé, dévasté, tout le bétail emporté ; des nuits d’épouvante, des rêves affreux, voilà ce qu’elle connut dans son enfance.

 

 

 



[1] Ch. Chapellier, Étude historique et géographique sur Domremy, pays de Jeanne d’arc, Saint-Dié, 1890, in-8°. — E. Hinzelin, Chez Jeanne d’Arc, Paris, 1894, in-18.

[2] C’est ce qu’on peut induire de Procès, t. I, p. 46. Mais Jeanne ne savait pas à quel âge elle avait quitté la maison de son père (Procès, t. I, p. 51). Je n’ai pas fait usage de Procès, t. V, p. 116, qui est tout à fait fabuleux.

[3] Darc (Procès, t. I, p. 191, t. II, p. S2), Dars (Siméon Luce, Jeanne d’arc à Domremy, p. 360) ; Day (Procès, t. V, p. 150) ; Daiz (communication de M. Pierre Champion), et cette graphie paraît attester la prononciation de Jeanne d’Arc. — Sur l’orthographe du nom de d’Arc, cf. Lanéry d’Arc, Livre d’Or de Jeanne d’Arc, notices 647-657.

[4] Procès, t. I, pp. 46, 208. — E. de Bouteiller et G. de Braux, La famille de Jeanne d’arc, Paris, in-8°, 1878, p. 185 ; Nouvelles recherches sur la famille de Jeanne d’Arc, Paris-Orléans, 1819, in-12, p. x et passim. — Boucher de Molandon, Jacques d’Arc, père de la Pucelle, Orléans, 1885, in-8°.

[5] Procès, t. II, pp. 378 et suiv.

[6] Procès, t. I, pp. 191 et 208 ; t. II, p. 74, n. 1. — Armand Bouclier de Crèvecœur, Les Romée et les de Perthes, famille maternelle de Jeanne d’Arc, Abbeville, 1891, in-8°. — Lanéry d’Arc, Livre d’Or, notices 1278 à 1308.

[7] Du Cange, Glossaire, au mot : Romeus. — G. de Braux, Jeanne d’Arc à Saint-Nicolas, Nancy, 1889, p. 8. — Revue catholique des Institutions et du Droit, août 1846. — E. de Bouteiller, Nouvelles recherches, p. XII. — Vallet de Viriville, Histoire de Charles VII, t. II, p. 43.

[8] Très probablement avant la naissance de Jeanne : J’ai pour surnom d’Arc ou Romée dit Jeanne (Procès, t. I, p. 191). On voit qu’elle se donne indifféremment le surnom de son père ou celui de sa mère, bien qu’elle dise (Procès, t. I, p. 191) que les filles, dans son pays, portaient le surnom de leur mère.

[9] Procès, t. V, p. 252. — E. de Bouteiller et G. de Braux, Nouvelles recherches sur la famille de Jeanne d’arc, Paris, 1879, pp. 3 à 20. — Ch. du Lys, Traité sommaire tant du nom et des armes que de la naissance et parenté de la Pucelle d’Orléans et de ses frères, édit. Vallet de Viriville, Paris, 1857, p. 28. — E. Georges, Jeanne d’Arc considérée au point de vue Franco-Champenois, Troyes, 1893, in-8°, p. 101.

[10] Rien de moins certain que l’ordre de naissance des enfants de Jacques d’Arc (Procès, à la table, au mot : Arc).

[11] Procès, t. II, p. 393 et passim. — S. Luce, Jeanne d’Arc à Domremy, XVI, p. 357.

[12] A. Monteil, Histoire des Français, 1853, in-18, t. II, p. 194.

[13] Procès, t. I, p. 46, Jean Minet était originaire de Neufchâteau.

[14] J. Corblet, Parrains et marraines, dans Revue de l’art chrétien, 1881, t. XIV, pp. 336 et suiv.

[15] Siméon Luce, Jeanne d’Arc à Domremy, LI, p. 98.

[16] Cf. Procès, à la table, aux articles : parrains et marraines. — Il n’est pas toujours possible de donner aux personnes les noms et l’état qu’elles avaient précisément à la date où nous les voyons intervenir.

[17] Relation du greffier de La Rochelle, dans Revue Historique, t. IV, p. 362. Cf. Eustache Deschamps, ballade 354, t. III, p. 83, éd. Queux de Saint-Hilaire.

[18] Procès, t. II, pp. 711-388 ; t. V, pp. 151, 220 et passim.

[19] Procès, t. I, p. 46. — Henri Lepage, Jeanne d’Arc est-elle Lorraine ? Nancy, 1852, pp. 57 à 79.

[20] Procès, t. V, pp. 244 et suiv. — La maison de Jacques d’Arc était sans doute sur la route ; les Du Lys, ou plutôt les Thiesselin, la démolirent et bâtirent à la place une maison qui n’existe plus. Les écus qui en ornaient la façade ont été appliqués sur la porte de celle qu’on montre aujourd’hui comme la maison de Jeanne. Ce qu’on donne pour la chambre de Jeanne est le fournil (E. Hinzelin, Chez Jeanne d’Arc, p. 74. Voir un article de Henri Arsac, dans l’Écho de l’Est, du 26 juillet 1890). Il y a sur ce sujet toute une littérature (Lanéry d’Arc, Livre d’Or, pp. 330 et suiv.).

[21] Emile Hinzelin, Chez Jeanne d’Arc, passim.

[22] Procès, t. V, pp. 151, 220.

[23] Procès, t. II, p. 417.

[24] Ibid., t. II, p. 429.

[25] Ibid., t. II, p. 408.

[26] Ibid., t. II, p. 423.

[27] E. Georges, Jeanne d’Arc considérée au point de vue Franco-Champenois, p. 115. — De La Fons-Mélicocq, Documents inédits pour servir à l’histoire de l’instruction publique en France et à l’histoire des mœurs au XVe siècle, dans Bulletin de la Société des Antiquaires de la Morinie, t. III, pp. 460 et suiv.

[28] Procès, t. I, pp. 65-66. — (Item., je donne à Oudinot, à Richard et à Gérard, clerez enfantz du maistre de l’escole de Marcey dessoubz Brixey, doubz escus pour priier pour mi et pour dire les sept psaulmes.) Testament de Jean de Bourlemont, 23 octobre 1399, dans S. Luce, Jeanne d’arc à Domremy, preuve xiii.

[29] Procès, t. I, pp. 46, 47.

[30] Voyez dans Montfaucon, Monuments de la Monarchie française, t. III, la gravure de la seconde miniature des Douze périls d’enfer.

[31] Procès, t. I, pp. 51, 66. — S. Luce, Jeanne d’Arc à Domremy, p. lij.

[32] Ibid., t. II, p. 404.

[33] Ibid., t. I, p. 423.

[34] Procès, table, au mot : Bermont. — Du Haldat, Notice sur la chapelle de Belmont, dans les Mémoires de l’Académie Stanislas de Nancy, 1833-1834, p. 96. — E. Hinzelin, Chez Jeanne d’Arc, p. 93. — Lanéry d’arc, Livre d’Or, p. 330.

[35] Alexis Monteil, Histoire des Français, t. I, p. 91.

[36] Procès, table, au mot : Bois Chesnu.

[37] Ibid., table, au mot : Fontaine des Groseilliers.

[38] Procès, t. I, pp. 67-210 ; t. II, pp. 391 et suiv.

[39] Journal d’un bourgeois de Paris, éd. Tuetey, p. 267.

[40] Procès, t. I, p. 209.

[41] Ibid., t. I, pp. 67, 187, 209 ; t. II, pp. 390, 404, 450.

[42] Wolf, Mythologie des fées et des elfes, 1828, in-8°. — A. Maury, Les fées au moyen âge, 1843, in-18 et Croyances et légendes du moyen âge, Paris, 1896, in-8°.

[43] Richer, Histoire manuscrite de Jeanne d’Arc, ms. fr. 10448, fol. 14-15.

[44] Sur le culte des arbres, voir l’étude de M. Henry Carnoy dans la Tradition, du 15 mars 1889.

[45] Procès, t. II, p. 422.

[46] Ibid., à la table, au mot : Arbre des Fées.

[47] Procès, t. II, p. 404.

[48] Ibid., t. II, p. 404 et passim. — Simple crayon de la noblesse des ducs de Lorraine et de Bar dans Le Brun des Charmettes, Histoire de Jeanne d’Arc, t. I, p. ?66. — Jules Baudot, Les princesses Yolande et les ducs de Bar de la famille des Valois, Ire partie : Mélusine, Paris, 1901, in-8°, p. 121.

[49] Propter eorum peccata, dans Procès, t. II, p. 396. Le sens n’est pas douteux.

[50] Ibid., t. II, p. 390.

[51] Procès, t. II, p. 397.

[52] Berbier, Dictionnaire de Théologie, au mot : Conjuration.

[53] Procès, t. II, p. 450.

[54] Ibid., t. I, pp. 67, 209.

[55] Ibid., t. I, pp. 178, 209 et suiv.

[56] Sur les traditions relatives aux fées à Domremy et sur ce qu’en pensait Jeanne : Procès, table, au mot : Fées.

[57] Sur le dimanche et la fête des Fontaines à Domremy. Procès, table, au mot : Fontaine.

[58] Procès, t. I, pp. 67, 212, 404 et suiv. — S. Luce, Jeanne d’Arc à Domremy, pp. xx à xxij.

[59] Procès, t. II, pp. 391-462.

[60] Ibid., t. I, pp. 67, 209, 210.

[61] Ibid., t. II, p. 434.

[62] Atropa Mandragor, mandragore femelle, main-de-gloire, herbe-aux-magiciens : Procès, t. I, pp. 89 et 213. — Journal d’un bourgeois de Paris, p. 236.

[63] Procès, t. I, p. 209.

[64] Cela est probable, non certain. — Procès, t. II, pp. 74, 388 ; t. V, p. 252. — E. de Bouteiller et G. de Braux, Nouvelles recherches sur la famille de Jeanne d’Arc, pp. XVIII et suiv. ; 7, 8, 10 et passim. — C. Gilardoni, Sermaize et son église, Vitry-le-François, 1893, in-8°.

[65] Capitaine Champion, Jeanne d’Arc écuyère, Paris, 1901, in-12, p. 28.

[66] Boucher de Molandon, La famille de Jeanne d’Arc, p. 627. — E. de Bouteiller et G. de Braux, Nouvelles recherches, pp. 9 et 10. — S. Luce, Jeanne d’Arc à Domremy, pp. XLV et suiv.

[67] E. Misset, Jeanne d’Arc champenoise, Paris, s. d. (1894), in-8°. — Sur la nationalité de Jeanne d’Arc il y a toute une littérature d’une richesse extrême dont il m’est impossible de donner ici la bibliographie. Cf. Lanéry d’Arc, Livre d’Or, pp. 295 et suiv.

[68] Procès, t. I, p. 208.

[69] P. Jollois, Histoire abrégée de la vie et des exploits de Jeanne d’Arc, Paris, 1821, pl. I, p. 190. — A. Renard, La patrie de Jeanne d’Arc, Langres, 1850, in-18, p. 6. — S. Luce, Jeanne d’Arc à Domremy, Supplément aux preuves, pp. 281, 282.

[70] Procès, t. V, p. 152.

[71] Colonel de Boureulle, Le pays de Jeanne d’Arc, Saint-Dié, 1890, in-8°, 28 p. pl. — J.-Ch. Chappellier, Etude historique sur Domremy, pays de Jeanne d’Arc, 2 plans. — C. Niobé, Le pays de Jeanne d’Arc, dans Mémoires de la Société académique de l’Aube, 1894, 3e série, t. XXXI, pp. 307 et suiv.

[72] Juvénal des Ursins, dans la Collection Michaud et Poujoulat, col. 561.

[73] A. Tuetey, Les écorcheurs sous Charles VII, Montbéliard, 1814, t. I, p. 87.

[74] Procès, t. I, pp. 66, 215.

[75] Imal, dit Le Trévoux, mesure de grains dont on se sert à Nancy. La quarte fait deux imaux, et quatre quartes le réal qui contient quinze boisseaux, mesure de Paris.

[76] Archives départementales de la Meurthe-et-Moselle, layette huppes, II, n° 28. — Le bail à ferme du 2 avril 1410 a été publié pour la première fois par M. J.-Ch. Chappellier dans le Journal de la Société d’archéologie lorraine, janvier-février 1889, et Deux actes inédits du XVe siècle sur Domremy, Nancy 1889, in-8°, 16 p. — S. Luce, La France pendant la guerre de cent ans, 1890, in-18, pp. 274 et suiv. — Lefèvre-Pontalis, Étude historique et géographique sur Domremy, pays de Jeanne d’Arc, dans Bibliothèque de l’École des Chartes, t. LVI, pp. 154-168.

[77] Procès, t. II, pp. 420-426. — S. Luce, Jeanne d’Arc à Domremy, p. lxiv.

[78] Liénard, Dictionnaire topographique de la Meuse, introduction, p. x.

[79] Dom Devienne, Histoire de Bordeaux, pp. 98 et 103. — L. Bachelier, Histoire du commerce de Bordeaux, Bordeaux, 1862, in-8°, p. 45. — D. Brissaud, Les Anglais en Guyenne, Paris, 1875, in-8°.

[80] Ch. de Beaurepaire, De l’administration de la Normandie sous la domination anglaise, Caen, 1859, in-4°, et États de Normandie sous la domination anglaise, Evreux, 1859, in-8°. — De Beaucourt, Histoire de Charles VII, t. V, pp. 40-56, pp. 261-286.

[81] Thomas Basin, Histoire de Charles VII et de Louis XI, éd. Quicherat, t. I, p. 27.

[82] La Curne, aux mots : Anglois et Goddons.

[83] Voragine, La légende de Saint-Grégoire. — Du Cange, Glossaire, au mot : Caudatus. — Le Roux de Lincy, Recueil de chants historiques français, Paris, 1851, t. I, pp. 300-301. — Cette injure se trouve déjà couramment chez Eustache Deschamps ; elle est encore vivace au XVIIe siècle (Sommaire tant du nom et des armes que de la naissance et parenté de la Pucelle, éd. Vallet de Viriville).

[84] Carlier, Histoire du Valois, t. II, pp. 441 et suiv. — S. Luce, Jeanne d’Arc à Domremy, ch. III.

[85] Dom Calmet, Histoire de Lorraine, t. II, col. 631. — Bonnabelle, Notice sur la ville de Vaucouleurs, Bar-le-Duc, 1879, in-8° de 75 pages.

[86] Procès, t. I, pp. 65-66. — S. Luce, Jeanne d’Arc à Domremy, pp. 18 et suiv.

[87] N. Villiaumé, Histoire de Jeanne d’Arc, 1864, in-8°, p. 52, note 1.

[88] S. Luce, Jeanne d’Arc à Domremy, ch. III.

[89] Pierre d’Alheim, Le jargon jobelin, Paris, 1892, in-18, glossaire, au mot : Hirenalle, p. 61, et communication verbale de M. Marcel Schwob. — Cronique Martiniane, éd. P. Champion, p. 8, note 3. — Journal d’un bourgeois de Paris, p. 270. — De Montlezun, Histoire de Gascogne, 1847, in-8°, p. 143. — A. Castaing, La patrie du valet de cœur, dans Revue de Gascogne, 1869, X, 29-33.

[90] S. Luce, Jeanne d’Arc à Domremy, pp. lxxiij et 87, note 1. — E. de Bouteiller et G. de Braux, Nouvelles recherches, pp. 4-15.

[91] Bonvalot, Le tiers état d’après la charte de Beaumont et ses filiales, Paris, 1886, p. 412.

[92] S. Luce, Jeanne d’Arc à Domremy, pp. lxxi et suiv.

[93] S. Luce, Jeanne d’Arc à Domremy, preuve LI.

[94] De Beaucourt, Histoire de Charles VII, t. II, pp. 16-17.

[95] S. Luce, Jeanne d’Arc à Domremy, preuve LXII.

[96] Du Chesne, Généalogie de la maison de Vergy, Paris, 1625, in-folio. — Nouvelle Biographie Générale, t. XLV, p. 1125.

[97] S. Luce, Domremy et Vaucouleurs, de 1412 à 1425, dans Jeanne d’arc à Domremy, ch. III.

[98] Procès, t. I, p. 66.

[99] Ibid, t. I, p. 66. — S. Luce, Jeanne d’Arc à Domremy, p. LXXXVI et preuve XIV, p. 20.

[100] S. Luce, Jeanne d’Arc à Domremy, pp. 275 et suiv.

[101] E. de Bouteiller et G. de Braux, Nouvelles recherches, pp. 4-15.