LES DUCS DE GUISE ET LEUR ÉPOQUE

 

Étude historique sur le seizième siècle

TOME PREMIER

CHAPITRE II. — DE LA BATAILLE DE PAVIE À LA MORT DE FRANÇOIS Ier.

 

 

1525-1547.

 

Claude de Guise, devenu le personnage le plus important de la Régence, donna un libre essor à ses pensées ambitieuses. Des exemples récents autorisaient toutes les prétentions. A la couronne venaient d'arriver successivement, après des hasards et des revers, deux rois qui n'étaient pas fils de rois. Louis XII, dans sa jeunesse, avait été fait prisonnier les armes à la main, rebelle contre son Roi ; François Ier avait pu craindre, au dernier moment, de se voir exclu par le mariage tardif de son prédécesseur. Ces fortunes si hautes, enviées par de jeunes imaginations qu'exaltaient les aventures des romans de chevalerie, excitèrent l'émulation de tous ceux qui avaient plus d'orgueil que de scrupules. Le connétable de Bourbon avait voulu se former un royaume en saisissant la souveraineté des provinces dont les revenus lui étaient contestés. Claude de Guise rêva au trône de son aïeul le bon roi René, et se sentit hanté par l'idée de restaurer une dynastie angevine.

Des débris de la maison d'Anjou et des biens acquis par mariages, René II, le père de Claude de Guise, avait fait deux parts : la première, pour son aîné, comprenait la souveraineté de la Lorraine avec les titres pompeux de roi de Jérusalem, de Naples, de Sicile, de Hongrie, d'Aragon, d'Anjou et de Provence ; la seconde, qui échut à Claude de Guise, comprenait les terres soumises au roi de France : Guise, Aumale, Mayenne, Joinville, Elbeuf, Harcourt, Longjumeau, Boves, Sablé, Laferté-Bernard, Esgallière, Orgon et Lambesc[1]. Malgré ces apanages, Claude de Guise affecta de ne pas se laisser prendre pour l'un des sujets du Roi de France ; il adopta l'écusson de Lorraine aux alérions d'argent, qu'il posa hardiment sur ceux des huit maisons souveraines dont il était issu[2] ; il se présenta comme prince étranger, et réclama la préséance sur tous les seigneurs français, même princes du sang. Cette étrange prétention fut presque constamment appuyée par les rois, jusqu'au jour où Henri II, effrayé des airs de souveraineté qu'affectionnaient les Guises, s'empara, en 1551, du titre de duc d'Anjou pour un de ses fils, celui qui devint le roi Henri III.

Ce bel apanage du second fils de René II ne porta point préjudice à la fortune du troisième, Jean : à trois ans y il avait été choisi pour coadjuteur de l'évêque de Metz. Le Roi de France le fit nommer cardinal dès qu'il eut vingt ans, en 1518, puis se plut à accumuler sur sa tète les revenus ecclésiastiques de tous les diocèses qui devenaient vacants. Le cardinal Jean de Lorraine réunit dans ses mains les archevêchés de Reims, Lyon, Narbonne, les évêchés de Metz, Toul, Verdun, Thérouanne, Luçon, Albi, Valence, Nantes, Agen, les abbayes de Cluny, Marmoutiers, Saint-Ouen, Gorze, Fécamp. Il se démit plus tard de l'archevêché de Reims au profit de l'un des fils de son frère Claude de Guise, dès que cet enfant eut atteint l'âge de dix ans, et de certains évêchés ou bénéfices au profit d'autres neveux[3]. Vers la même époque, le cardinal Wolsey, en Angleterre, était archevêque d'York, évêque de Bath, de Winchester, de Durham, et abbé de Saint-Alban[4]. Le soin que pouvaient donner à leurs diocèses des prélats accablés de revenus aussi considérables était apprécié en ces termes par un prédicateur anglais, Latimer : Je vais poser une question singulière : quel est le prélat le plus zélé de toute l'Angleterre ? Je peux répondre ; je sais qui c'est ; je le connais. Vous me regardez : vous attendez que je vous le nomme. Il y en a un qui est actif, le plus actif de tous ceux de l'Angleterre. Voulez-vous le connaître ? Je vais vous le dire : c'est le diable. De tous ceux qui ont des affaires, c'est lui qui s'applique le mieux aux siennes. Imitez-le, prélats négligents. Si vous n'apprenez rien de Dieu, du moins, par honte, apprenez du diable[5]. Le modèle que proposait ce prédicateur semble être celui qu'avait choisi le cardinal de Lorraine, si l'on croit ce que disent de ses habitudes Brantôme et de Thou : Quand arrivoit à la cour quelque fille ou dame nouvelle qui fust belle, il la venoit aussitost accoster et, la raisonnant, lui disoit qu'il la vouloit dresser de sa main... Je crois que la peine n'y estoit pas si grande comme à dresser quelque poulain saurage ; aussi, pour lors, disoit-on qu'il n'y avoit guères de dames on filles résidentes à la Cour qui ne fussent desbouchées ou attrapées par la largesse dudit monsieur le cardinal. C'était, remarque de Thou, l'emploi dont il s'acquittait le mieux. Ce premier cardinal de Lorraine était l'homme le plus riche de son temps et le plus accablé de dettes ; il gaspillait dans les fêtes de son hôtel de Cluny ses revenus insaisissables, et se moquait de ses créanciers. Sans frein dans ses fantaisies et sans contrainte dans ses opinions, il s'entourait des esprits les plus hardis, et se plaisait à écouter les idées nouvelles de ses amis Rabelais, Érasme, Ramus. II aimait les vers de Marot et les bijoux de Benvenuto Cellini. Il était si accoutumé à répandre des poignées d'or sans compter, qu'on le reconnaissait à la richesse de ses dons, et qu'un aveugle, à Rome, lui cria après avoir reçu son aumône : Tu es Jésus ou le cardinal de Lorraine[6].

Ce prélat épicurien et prodigue, si différent de son frère Claude, ne fut pas inutile à la grandeur de la maison : ses largesses attiraient des partisans ; ses galanteries assuraient le tout-puissant appui des femmes ; la délicatesse de son goût ralliait aux Guises le petit monde des poètes et des artistes. Il jetait un certain éclat sur cette fortune naissante qu'aurait assombrie l'âpreté de son frère.

La tâche qu'imposait au nouveau Conseil la captivité du Roi était accablante. Ce n'était plus le Milanais à conquérir, c'étaient la Bourgogne et la Provence à conserver. Les caisses publiques étaient vides, les gens de guerre pris ou découragés, le peuple ruiné et mécontent. On n'aurait plus vu, comme au temps de Bertrand du Guesclin, toutes les fileuses de France s'attacher à leur quenouille pour filer la rançon. Les dernières bandes armées, les derniers cavaliers qui nous restaient, avaient été mis sous le commandement de Guise ; c'était une ressource suprême contre l'invasion des Impériaux, qui était imminente. Guise risqua cette armée pour maintenir les intérêts des princes lorrains.

Les paysans de Lorraine étaient sollicités par les manants de Souabe de secouer le joug des seigneurs, et de former avec eux une sorte de fédération communiste. Le désir du pillage semble avoir été leur principale inspiration. Sous prétexte d'établir la communauté des biens, s'assemblèrent environ trente mille paysans, qui saccageaient les châteaux et les maisons isolées, tuoient femmes et enfants avecques cruauté inusitée[7]. Claude de Guise, sans attendre des ordres, sans même prévenir la Régente, n'hésita pas à dégarnir la frontière au moment du plus grand danger qu'ait encore couru la France, à s'enfoncer en Lorraine avec nos six mille derniers soldats, et à les risquer dans une lutte contre les paysans. Il rencontra leur troupe à Saverne, la massacra presque tout entière et se vit acclamé comme un sauveur par la Lorraine et l'Alsace.

Madame la Régente ny le conseil de France ne trouvèrent bonne l'entreprise. Charles-Quint dut l'approuver, au contraire, car elle le débarrassait fort à propos d'une révolte redoutable dans ses États, et lui permettait de tourner toutes ses forces contre la France. Mais Guise avait atteint son but : se poser par ce nouvel exploit comme le défenseur de l'ordre établi et de la religion ; il était vainqueur au moment où tous les autres chefs ne comptaient que des défaites ; il recevait les félicitations du Parlement et du Pape ; il acquérait au milieu de la chrétienté une situation si importante, que François Ier à son retour de captivité, crut devoir le traiter comme un prince du sang et lui conférer le rang de duc et pair, qui n'appartenait encore qu'à trois princes : les ducs de Nemours, de Longueville (Dunois) et de Vendôme, C'était la première fois qu'un simple gentilhomme[8] se trouvait, par la volonté du monarque, élevé à ce rang[9] et investi des mêmes droits que les pairs symboliques qui étaient représentés dans les cérémonies du sacre, à Reims, Bourgongne, Normandye, Guyenne, Tholose, Flandres et Champaigne ; les lettres patentes avaient soin de le spécifier. Innovation heureuse, si des droits précis, au lieu de simples honneurs de cour, avaient été conférés aux nouveaux ducs, et si ces dignitaires avaient établi et conservé parmi eux les traditions d'une politique nationale, comme surent le faire les pairs du royaume d'Angleterre. Une forte aristocratie, aimée du pays, liée à son histoire, connue par ses sacrifices à ses intérêts, aurait pu se constituer de bonne heure au-dessus d'une noblesse sans droit politique et sans cohésion. Mais il est peu probable que François Ier ait compris qu'une aristocratie était plus solide qu'une noblesse, et qu'il ait voulu fonder un nouvel ordre dans l'État. Peut-être n'eut-il pas même l'intention d'inaugurer un système de hautes récompenses pour ses sujets ; il prétendit simplement amoindrir les princes du sang en leur assimilant des princes étrangers ; il ne conféra, durant tout son règne, des duchés-pairies qu'à des princes du sang ou à des princes étrangers[10].

L'énormité de cette innovation révolta le Parlement. Ce corps rédigea des remontrances, et ne consentit à l'enregistrement des lettres patentes que sous la condition d'une extinction de plein droit, à défont d'héritiers mâles. Guise reçut en même temps un don qu'il dut apprécier presque autant que cet honneur extraordinaire. En érigeant le comté de Guise en duché, le Roi y ajouta les terres voisines, pour qu'il peust mieux durer es noms et dignités de duché. La donation comprenait, en outre, les revenus de la seigneurie de Guise, dont l'usufruit, échu à la famille de Rohan, fut rachète par le Roi de ses deniers, et abandonné au nouveau duc. Peu de temps après avoir obtenu cette dotation, Guise sut encore demander et se faire accorder les produits du greffe de Toulouse[11]. Il ne négligeait aucun profit, si petit qu'il fût.

C'est probablement cette science dans l'art de s'agrandir qui a donné naissance à la réputation d'avarice et de rapacité des Lorrains. Les Lorrains ont autant de désintéressement et de générosité que les autres Français ; mais on ne les connaissait en France que par ce seigneur qui regardait comme perdue toute journée où sa maison ne s'était pas enrichie. Le prince a fait la renommée de la province. On a prêté à tous ses compatriotes les traits que l'on observait en lui.

Ces hommes froids, dont toutes les idées ont pour centre le point étroit de leur intérêt privé, ne manquent jamais de partisans. On s'unit à eux par foi en leurs succès ; on sait qu'ils ne se perdent point par les fautes dans lesquelles entraînent le dévouement ou l'enthousiasme. Guise était le chef naturel de tous les courtisans qui craignaient de s'attacher à la fortune incertaine des favorites, ou qui admiraient la constance de son bonheur à travers les disgrâces de ses égaux à la cour.

La plus éclatante de ces disgrâces fut celle de la comtesse de Châteaubriant. Louise de Savoie avait enfin réussi à écarter cette favorite en faisant usage d'artifices étranges chez une mère. Comme François Ier arrivait à Mont-de-Marsan, tout étourdi de ses premières heures de liberté, ivre de sentir qu'il était encore roi, sa mère mit sous ses yeux une de ses filles d'honneur, grande et blanche Picarde, aux cheveux blonds avec des reflets d'or. Anne d'Heilly[12]. Aussi spirituelle et moins âgée de dix ans que la brune comtesse de Châteaubriant, cette fille du Nord éblouit un prince qui venait de passer deux ans en Espagne dans un donjon.

Elle usa sans pitié de son pouvoir. Non contente d'exiger le renvoi de la comtesse de Châteaubriant, elle voulut humilier et pousser à bout cette rivale vaincue, et lui donna l'ordre de restituer les bijoux et les parures qu'elle avait reçus du Roi au temps de sa faveur ; la comtesse fit briser les joyaux et fondre l'or, et ne renvoya que les lingots. Elle vécut encore douze années dans l'amertume et l'exil, maltraitée par son mari qui fut accusé de l'avoir fait mourir, oubliée de tous, sauf du poète Marot, qui s'écria à sa mort : Cy gist un rien là où tout triompha.

La jeune fille qui usait de la victoire avec tant de barbarie avait soin de demeurer soumise à la Régente. Louise de Savoie put se sentir seule souveraine en France. La reine Claude était morte, la comtesse de Châteaubriant chassée, et elle-même avait eu l'art d'attacher le Roi à Anne d'Heilly par des liens assez étroits pour que la nouvelle reine, Éléonore de Portugal, la sœur de Charles-Quint, se trouvât, dès son arrivée, une étrangère près de son mari, aussi délaissée et aussi humiliée que l'avait été la reine Claude. Par la docilité de ses deux filles d'honneur, Louise de Savoie avait su s'assurer successivement la condamnation de Semblançay et l'autorité sur le Roi. Ce pouvoir suprême de la protectrice fut transmis sans difficulté à la suivante, quand Louise de Savoie mourut jeune encore[13].

Anne d'Heilly voulut avoir un mari. On lui trouva un ami de M. de Saint-Vallier, qui avait été proscrit avec lui à l'époque de la révolte du connétable de Bourbon ; ce fut Jean de Brosses, petit-fils du confident de Louis XI, Philippe de Comines. Il accepta de devenir l'époux de la favorite et d'habiter la Bretagne dont il reçut le gouvernement. A cette condition, ses terres confisquées lui furent restituées. Elles furent érigées en duché-pairie. Ce nouveau duc et pair prit rang immédiatement après le duc de Guise et se nomma le duc d'Étampes.

Une autre Picarde, plus adroite encore que la duchesse d'Étampes, devenait reine d'Angleterre. Anne de Boleyn fut d'abord fille d'honneur de Marguerite, sœur de François Ier ; elle passa ensuite au service de la Reine d'Angleterre, Catherine d'Aragon, qu'elle parvint à faire répudier. Elle fut couronnée reine à Westminster et fit porter la traîne de sa robe par une duchesse et deux évêques[14], avec la même pompe que peu d'années auparavant sa souveraine, vivante encore et abandonnée.

Le pouvoir absolu qu'exerçaient les femmes dans l'État convenait aux esprits souples comme le duc de Guise, mais il avait ses opposants et ses frondeurs : Par malheur, disaient-ils, les dames peuvent tout ; madame d'Estampes en fit bien chasser de plus grands que moy qui ne s'en vantèrent pas, et m'estonne de ces braves historiens qui ne l'osent dire[15]... Elles tiennent les roys par les pièces qu'ils estiment le plus, leur font oubher les capitaines assiégez en Italie, ayment mieux mil escus en leur bourse qu'une province à Leurs Majestez. Peu sert de sçavoir les batailles et assauts, qui ne sçait la Cour et les Dames. Vengeance, colère, amour, inconstance, légèreté, impatience, précipice, les rendent incapables du maniement des affaires d'Estat[16].

Ce portrait ne saurait représenter la sœur du Roi, Marguerite de Valois, qui est peinte au contraire comme ayant la raison la plus solide, non-seulement de toutes les femmes, mais aussi de tous les hommes, de sorte que dans les affaires de l'État, on ne pouvait trouver de meilleurs conseils[17]. Elle luttait avec les théologiens[18] et les poètes ; la sérénité de son caractère et la sûreté de son goût lui assuraient le succès dans ses discussions avec les esprits délicats ou avec les pédants, de même que l'étendue de ses connaissances et la constance de son amour pour son frère lui faisaient une place à part dans la Cour, au milieu des filles et des jeunes femmes que les fêtes, la faveur des princesses, les fortunes de la comtesse de Châteaubriant et de la duchesse d'Étampes y avaient assemblées. Le poète Marot chantait leurs charmes ; chacune d'elles eut ses étrennes. On peut repeupler les galeries de Fontainebleau en faisant revivre ce monde léger qui s'agite dans les dizains du poète, et qui s'épanouit au rire de mademoiselle d'Albert[19].

Elle a très-bien cette gorge d'albastre.

Ce doux parler, ce cler teint, ces beaux yeux ;

Mais en effet ce petit ris folastre

C'est, à mon gré, ce qui lui sied le mieux.

Ces femmes savaient justifier et comme consacrer l'autorité et la prépondérance dont elles jouissaient, par la fierté dé cœur avec laquelle elles demandaient et favorisaient la valeur. Il ne fallait point, pour leur plaire, le calme somptueux d'une existence timide et assurée. Ces héroïnes voulaient que leurs maris acquissent de la gloire par les armes. Elles n'avaient ni la modestie, ni la modération de la femme moderne ; mais elles commandaient l'élévation des sentiments, et elles méprisaient les petitesses et les vilenies : Le naturel de toutes les femmes est tel, qu'elles hayssent mortellement les couards et les poltrons, encore qu'ils soient bien peignés, et ayment les hardis et courageux, pour difformes qu'ils soient. Elles participent à vostre honte, et quoy qu'elles soient entre vos bras dans le lict, faisant semblant d'estre bien ayses de vostre retour, elles voudroient que vous fussiez esté estouffé, pensant que la plus grande honte qu'elles ayent est d'avoir un mari couard[20]. Aussi, quand le duc d'Alençon s'est enfui de Pavie, il meurt, accablé de honte sous le regard de sa femme ; quand la Châtaigneraie est jeté à terre dans un duel, devant les dames, il ne veut plus reparaître vaincu sous leurs yeux, et il déchire de ses doigts l'appareil qui panse sa blessure. Elles rachetaient leurs galanteries en exigeant le courage.

Claude de Guise se tenait en dehors de ce monde enchanté où trônait son frère, le cardinal Jean ; il n'y conservait de relations que ce qui était indispensable pour entretenir son crédit ; ce n'était point par austérité de mœurs, mais ses passions étaient renfermées dans les limites de son gouvernement et s'étendaient dans une région inférieure. Il eut longtemps pour maîtresse la fille du président des Barres, à Dijon.

Il s'éprit d'une paysanne des environs de Joinville, dans une des visites qu'il faisait à sa femme, la pieuse Antoinette de Bourbon. La vertueuse femme sut que son mari avait un rendez-vous secret avec la paysanne dans une chaumière ; elle y fit tendre la plus belle de ses tapisseries et allumer des flambeaux de cire[21], pour le rappeler au respect de lui-même par le contraste du luxe et de la misère. Elle ne put le défendre contre la bassesse d'une autre inclination ; on ne sait pas la condition de la femme qui en fut l'objet, mais on racontait que le duc avait pour rival un palefrenier, qui était neveu du bourreau de Langres. C'est ce dernier que les pamphlets considéraient comme le père de l'enfant que le duc de Guise reconnut comme étant de lui et fit nommer abbé de Cluny[22]. Ce singulier abbé, dom Claude, se signala par ses exploits à la Saint-Barthélemy, fut accusé d'avoir empoisonné son frère, le second cardinal de Lorraine, et mourut en 1612, après une vie méprisée.

Outre ce fils, le duc de Guise eut, ainsi que son père, douze enfants légitimes ; les deux aînés moururent en bas âge, comme étaient morts ses deux frères aînés. En 1519, naquit François, le futur duc de Guise, le grand Balafré, et en 1524, Charles, le second cardinal de Lorraine, l'héritier du cardinal Jean, aussi intelligent, aussi dépravé que cet oncle, mais plus actif et plus ambitieux.

Le duc Claude vivait au milieu de cette nombreuse famille, et devenait comme un petit souverain dans ses châteaux ; il s'était fait affilier aux ordres des Frères Prêcheurs et de Cîteaux, mais sans que cette formalité lui imposât beaucoup de privations, car il avait reçu du Saint-Siège, moyennant une rétribution, des bulles qui accordaient à lui et à cinquante personnes de chaque sexe qu'il désignerait, la permission de la viande aux jours maigres et les indulgences gagnées par le pèlerinage aux églises de Rome, pendant le Carême[23].

Cette affectation à se renfermer dans ses gouvernements fut momentanément nuisible à son influence. Le principal crédit se partagea entre Montmorency et Brion[24].

Le connétable de Montmorency était le chef de cette famille de barons qui se faisaient appeler les premiers barons de France, mais qui prenaient rang aux états généraux après les comtes, les vicomtes et vidames, et n'avaient aucune préséance sur les barons des provinces autres que l'Île-de-France, pas plus que n'en prétendaient sur eux les premiers barons du Périgord[25] Il ne fut élevé à la dignité de duc et pair qu'en 1552, sous le règne de Henri II. C'était un courtisan souple et accoutumé aux intrigues, qui savait cacher sous des dehors de rudesse et même de brutalité une âme capable de toutes les servilités. Il vous repassoit ses capitaines grands et petits, asseurez-vous qu'il leur feisoit boyre de belles hontes, et non-seulement à eux, mais à toutes sortes d'estats, comme à ces messieurs les présidents, conseillers et gens de justice ; la moindre qualité qu'il leur donnoit, c'estoit qu'il les appeloit asnes, veaux, sots... Asseurez-vous qu'ils trembloient devant luy et les renvoyoit ainsi qualifiés. Cette terreur s'éveillait facilement chez ceux qui savaient que l'exercice de ses dévotions ne l'interrompait pas dans les exécutions qu'il aimait à ordonner. On disoit qu'il se falloit garder des patenostres de M. le connétable, car en les marmottant, lorsque les occasions se présentoient, il disoit : Allez-moi pendre un tel ; attachez celui-là à cet arbre ; faites passer celui-là par les picques tout à ceste heure, ou les arquebuses, tout devant moy ; taillez-moi en pièces tous ces marauds ; boutez-moi le feu partout, un quart de lieue à la ronde. Tout cela, sans se débander nullement de ses Pater[26].

Aussi âpre que le duc de Guise dans sa cupidité, il était effréné dans ses galanteries, et voulait racheter ses cruautés et son libertinage par une dévotion exaltée ; mais pour son esprit étroit, la dévotion se bornait au respect des autorités établies, le Pape et l'Empereur. Aussi fut-il opposé, durant toute sa carrière, à la politique du Roi de France, et poussa jusqu'aux limites de la trahison son obstination dans ridée d'une union avec le Pape et l'Empereur, pour faire la guerre aux Turcs, et maintenir l'ordre constitué dans la chrétienté. Son avarice causa presque autant de dommages que son incapacité militaire et sa nullité politique ; en se faisant donner le monopole du sel de Savoie, et en refusant de s'en dessaisir, il nous fit perdre l'alliance de Gènes, et, avec Gènes, la flotte de Doria.

Chabot de Brion, amiral de France, lieutenant général en Bourgogne, Dauphiné et Normandie, était le rival de Montmorency dans la faveur du Roi. Il se fit combler de biens, ainsi que son frère, Chabot de Jarnac, gouverneur d'Aunis. Non content des dons que lui octroyait la munificence royale, il perçut pour son compte un impôt de vingt sous sur les matelots de Normandie qui partaient pour la pèche du hareng, et un droit de six livres sur les bateaux de pèche au maquereau[27].

Cette rapacité avait été mise à la mode par Louise de Savoie. Son confident, le cardinal Duprat, mourut quatre ans après elle, en laissant quatre cent mille écus d'or cachés dans ses coffres ; c'était le produit de ses exactions comme homme de loi, et de ses complaisances comme ministre ; il aspirait à la tiare et espérait réussir à l'aide de ses écus d'or. Le trésorier des guerres, Spifame, laissa cinq cent mille écus d'or[28]. Dans ce pillage, on est heureux de remarquer la générosité du garde des sceaux Monthelon, qui reçut du Roi un don de deux cent mille livres confisquées sur les Rochelais après une émeute, et qui fit, avec cette somme, construire un hôpital a la Rochelle.

Ces malversations étaient d'autant plus criminelles, que la guerre continuait sur toutes nos frontières, et que nos alliés contre Charles-Quint menaçaient toujours de se séparer de nous. Le Roi d'Angleterre n'avait rompu avec l'Empereur que malgré les intérêts et les réclamations de ses sujets ; pour ménager leur mécontentement, notre ambassadeur, du Bellay, recommandait au moment d'une entrevue que devaient avoir les deux princes[29] : Surtout, je vous prie que vous ostiez de la Cour ceux qui ont la réputation d'estre mocqueurs et gaudisseurs, car c'est bien la chose en ce monde la plus haïe de cette nation.

La Provence fut de nouveau envahie en 1536 ; Guise vint s'établir à Paris avec sa femme et ses enfants, et promit aux bourgeois de les défendre, tandis que toutes nos forces militaires se réunissaient dans la vallée du Rhône pour arrêter l'Empereur. En même temps, le maréchal de Fleuranges s'enferma dans Péronne, où il fut bientôt assiégé par le comte de Nassau[30]. La France était ainsi entamée au nord et au midi. En Provence, la dévastation systématique des campagnes empêcha l'armée envahissante de se ravitailler, et ne la laissa arriver au Rhône qu'épuisée et sans forces. Au nord, Paris était dans la terreur ; on savait que Péronne n'avait plus de poudre et très-peu de défenseurs ; qu'elle ne pouvait tarder à être enlevée, comme venaient de l'être la ville et le château de Guise. Irrité par la nouvelle du pillage de ses biens et de l'affront fait à sa terre ducale, Claude de Guise résolut de délivrer Péronne. Il quitta Paris secrètement avec sa cavalerie et quatre cents arquebusiers chargés de sacs de poudre ; il traversa, de nuit, le campement de l'armée assiégeante, et introduisit ses arquebusiers avec leur poudre dans la place. Au petit jour, le comte de Nassau vit les arquebusiers qui défilaient sur la muraille, et la cavalerie au loin qui se repliait en bon ordre sur Paris. Il leva le siège.

Le succès de ce coup de main fit l'admiration des Parisiens ; on oublia Fleuranges qui avait tenu un mois dans Péronne, pour célébrer le seul duc de Guise qui avait su y introduire les arquebusiers.

Après avoir ainsi rappelé son nom aux Parisiens, Guise rentra en Champagne pour reprendre sa guerre d'incursions sur les frontières ; il se sentait tellement indépendant dans les provinces de Bourgogne et de Champagne, qu'il osa refuser au connétable de lui envoyer des pièces de canon qui se trouvaient à Troyes ; il fallut une lettre de François Ier pour le contraindre à la discipline. Reims, il donna aux chanoines la permission d'enfreindre les ordonnances royales, et fut, pour ce délit, cité devant le Parlement de Paris[31].

Cependant, son frère le cardinal de Lorraine ne tarda guère à lui faire savoir qu'il devait reparaître à Fontainebleau, et songer à se ménager de nouveaux alliés, s'il voulait assurer l'avenir. Le Roi voyait naître sous ses yeux une petite Cour, rivale de celle de madame d'Étampes, à l'exemple de celle qu'il avait opposée lui-même à Anne de Bretagne, sous le règne de Louis XII. Il avait vu revenir sans tendresse ses fils qui l'avaient remplacé dans les prisons de l'Espagne. Les jeunes princes avaient été, à leur retour, environnés de toutes les intrigues, et courtises de tous les ambitieux, que pouvait tenir en éveil la santé délabrée du Roi. L'aîné s'était épris d'une fille d'honneur de la reine Éléonore, mademoiselle de Lestrange, qui parait avoir été une personne assez modeste et peu disposée à entrer en lutte contre la redoutable duchesse d'Étampes.

Le second, Henri, fuyait les femmes, restait sombre et taciturne. Son père, un jour, devant la grande sénéchale de Normandie, s'inquiétait de ce peu de galanterie et de cette timidité sauvage. — Il faut le rendre amoureux, répondit la dame[32].

C'était en 1533, elle avait trente-quatre ans, le jeune prince en avait quinze. Veuve depuis deux ans de Louis de Brézé, elle portait encore le deuil, et son corsage de velours noir faisait ressortir l'éclat des seins, qui étaient nus, à la mode de l'époque. Son père était fils d'Aymar de Poitiers, seigneur de Saint-Vallier, qui avait épousé Marie de Sassenage, fille naturelle du roi Louis XI[33]. Son mari, le grand sénéchal de Normandie, était fils de Jacques de Brézé, comte de Maulevrier, qui avait épousé Charlotte, fille naturelle du roi Charles VII et d'Agnès Sorel[34]. Charlotte avait été surprise par son mari en adultère, et poignardée avec son amant. Par son aïeule et par celle de son mari, Diane de Poitiers, sénéchale de Normandie, semblait prédestinée aux faveurs royales.

Hautaine, froide, adroite à chercher des alliances, et douée du privilège étrange d'avoir conservé sa beauté aussi parfaite jusqu'à l'âge de près de soixante ans, et son influence aussi absolue sur le prince qui lui avait offert ses premiers hommages à quinze ans, jusqu'au jour où il mourut, Diane de Poitiers avait su, dès le commencement, si bien assurer son empire, qu'elle n'eut aucune inquiétude quand elle apprit, l'année suivante, que le jeune prince devait épouser une nièce du pape Clément VII.

Ce projet aurait pu facilement être combattu, car il flattait peu l'orgueil de la maison royale. La jeune fille qu'on destinait au second fils du Roi de France était née du mariage du duc d'Urbin, neveu de Léon X, avec Catherine de la Tour, sujette de François Ier ; c'était Catherine de Médicis. Diane affecta de favoriser cette alliance, prévoyant sans doute qu'une enfant de famille inférieure à la sienne, et d'une santé qui devait être bien misérable, d'après les circonstances de sa naissance, ne saurait de longtemps mettre obstacle à sa fortune. Clément VII, de son côté, n'était pas sans inquiétudes, en tant que Souverain Pontife, sur cette alliance, qui comblait sa vanité de membre de la famille Médicis. S'unir aussi intimement au Roi de France était se faire un ennemi décidé de Charles-Quint. Selon notre ambassadeur Grammont, évêque de Tarbes[35], aucunes fois qu'il pensoit qu'on ne le regardast, il faisoit de si grands soupirs, que pour pesante que fust sa chappe, il la faisoit bransler à bon escient. Il devait appréhender également qu'après sa mort, l'alliance française fût abandonnée par son successeur, et que sa pauvre nièce fût délaissée à la cour, peut-être répudiée. On peut ajouter foi à la tradition qui le représente comme la prévenant d'avance du danger, même si l'on refuse d'admettre qu'il lui ait proposé, pour assurer ses droits, de donner naissance à des princes, n'importe à quel prix[36]. Cette enfant avait quatorze ans ; elle chercha à plaire à toutes les femmes de la cour. Sa situation subalterne n'excitait aucune jalousie ; mais un évènement inattendu vint tout à coup renverser tous les projets, transformer la petite fille des marchands florentins en dauphine de France, et ranger parmi les courtisans de Diane de Poitiers tous ceux qui espéraient d'un nouveau règne l'avancement de leur fortune. Le Dauphin mourut subitement à Avignon[37], en 1536 ; Henri, le second fils du Roi, l’époux de Catherine de Médicis, devenait l'héritier de la couronne.

On a supposé que le Dauphin avait été empoisonné. Les bruits de ce genre étaient toujours accueillis à la cour, sorte de salon de gens oisifs, ignorants et crédules, parmi lesquels se propageaient des récits exagérés ou faux, que nous ont conservés Brantôme avec malignité, et de Thou avec naïveté. Mais il en est plusieurs que leur peu de vraisemblance permet de rejeter. L'extrême propension à supposer du poison dans toutes les maladies des princes était une des faiblesses de l'époque ; on doit s'en défier, même quand la torture arrachait des aveux aux malheureux que l'on soupçonnait du crime imaginaire. Le moindre accident suffisait pour faire croire au poison, et Marguerite de Valois, souffrante un jour, écrivait qu'elle avait été empoisonnée dans la fumée de l'encens par l'évêque de Condom. Ce n'est, disait-elle, que des vomissements. Elle se trompait ; c'était simplement une grossesse qui commençait. Mais, même en supposant un crime contre la vie du Dauphin, il serait absurde d'en accuser Catherine de Médicis, sous le prétexte qu'elle arrivait d'Italie, le pays des poisons, et qu'elle avait seule le profit de cette mort. Elle n'avait alors que seize ans, aucun enfant, malgré le conseil de Clément VU, nulle tendresse chez son mari. Si, simple princesse, elle avait dû craindre d'être répudiée, elle avait à redouter bien davantage cette honte le jour où son mari devenait l'héritier du trône, et pouvait lui reprocher, au nom de la raison d'État, l'obscurité de sa naissance et le manque d'enfants. Catherine était trop préoccupée de se faire accepter comme la femme du second fils du Roi, pour avoir pu songer à devenir Dauphine par un crime. Elle ne pouvait qu'accroître ses dangers en élevant sa dignité. Mal assurée d'être tolérée au second rang, elle devait appréhender d'être repoussée dès que le premier s'offrirait à elle. La mort du Dauphin accrut, en effet, les difficultés de sa situation. Ce ne fut qu'à force de caresses pour la duchesse d'Étampes, et de supplications près de François Ier qu'elle put intéresser l'affection et aussi la loyauté du Roi, et obtenir que son mariage ne serait pas considéré comme nul.

Tout le bénéfice de l'importance que donnait à Henri la mort de son frère fut recueilli par Diane de Poitiers. Elle commença à se poser en rivale d'influence devant la duchesse d'Étampes, et en maîtresse de la future cour. Henri se déclara le père d'une fille que l'on nomma Diane. On désigna comme la mère une jeune Piémontaise nommée Philippe Duc, qui était une des demoiselles dé la suite de Diane de Poitiers, et qui se retira presque aussitôt dans un couvent. Il semble probable que la véritable mère fut Diane de Poitiers elle-même. Elle acceptait la renommée et les honneurs de favorite du prince, mais refusait de passer pour avoir une fille de lui. Il est peu naturel cependant que la jeune Piémontaise ait pu pousser le dévouement et la soumission envers sa dame jusqu'à lui donner son honneur tout, entier, pour obéir à un caprice que dictait seul l'orgueil et non le soin d'une réputation connue de toute la cour. Faut-il supposer que Henri, lassé un moment des dédains de la grande sénéchale qui le traitait en enfant et affectait souvent de le contraindre à une passion purement idéale, aura obtenu plus de complaisance chez une des filles nobles de sa maison ? En tout cas, la grande sénéchale éleva la jeune Diane comme son enfant, et non comme la fille d'une rivale de rang inférieur ; elle eut soin de lui faire obtenir, quand Henri fut roi, les prérogatives de légitimée de France, et s'occupa de la marier avec autant de sollicitude que les aînées qu'elle avait eues de son mari.

Le cardinal de Lorraine eut la prévoyance et l'adresse de comprendre de quel prix serait pour la maison de Guise une union intime avec Diane de Poitiers ; il vit que c'était assurer, de la sorte, pour le prochain règne, le crédit et la faveur de ses neveux. Le duc de Guise arriva avec ses fils : l'aîné put prendre part à des fêtes et à des tournois dont François Ier n'était plus le héros :

Un chevalier royal

A là dressé sa tente

Et sert, de cœur loyal,

Une dame excellente,

Dont le nom gracieux

N'est jà besoin d'écrire :

Il est écrit aux cieux

Et de nuit se peut lire.

Ravagé par un abcès qui lui avait déformé la bouche[38], François Ier était devenu irritable et versatile ; il avait un besoin continuel de mouvement et de plaisirs. Tout travail de l'esprit lui semblait intolérable[39]. Il consentait à donner des ordres, mais se refusait au moindre effort qui eût été nécessaire pour savoir s'ils étaient exécutés. Il commandait des statues à Benvenuto Cellini y mais ne lui procurait pas le métal pour les fondre. Il voulait que sa cour passât dans la chrétienté pour le centre de la courtoisie et du bon goût, et il effrayait quelquefois les ambassadeurs étrangers par la grossièreté de ses propos soldatesques[40]. Charles-Quint était son ennemi, il l'accueillit par des fêtes ; les bourgeois de Gand étaient ses alliés, il les livra à Charles-Quint. Il fut tout contraste, plein d'élans généreux et d'inspirations élevées, mais incapable de s'assujettir à des plans préconçus.

Sa politique fut surtout inconsistante dans ses relations avec les réformés, qu'il protégea ou fit brûler, selon le caprice du moment. Les protestants étaient sous son règne bien peu nombreux en France. Si, dès cette époque, l'Église avait supprimé les abus qu'elle a interdits plus tard, il n'est pas douteux que la réforme aurait été sans objet, du moins en France, et que nous n'aurions pas connu des guerres de Religion. Aujourd'hui, il est permis au catholique de lire en français les évangiles et les prières de la messe. Sous François Ier on était brûlé pour le demander ou pour souhaiter que les évêques n'eussent qu'un siège et que les gens d'Église eussent des mœurs pures. Les premiers réformés ne se séparèrent que lentement et avec répugnance de la communion de l'Église[41]. François Ier, sa mère et sa sœur virent sans effroi ce mouvement, qui aurait pu, dans le principe, n'avoir d'autre conséquence que de produire, dès le seizième siècle, la dignité et la sainteté de vie du clergé du dix-neuvième. La cour défendit longtemps Berquin, Marot, Estienne et Dolet contre les délations de Béda et d'Antoine de Mouchy. Béda avait osé accuser d'hérésie la sœur même du Roi ; il fut enfermé au mont Saint-Michel et y mourut. Antoine de Mouchy, en latin Demochares, a donné naissance au mot mouchard, par le zèle avec lequel il savait épier et faire dénoncer les hérétiques.

Bientôt, les réformés parurent se plaire à irriter le Roi ; ils semblèrent impatients de persécution. Des exaltés se rencontrent toujours, dans tous les partis, pour éloigner par leurs violences ceux qui veulent la conciliation, pour honnir les habiles qui essayent d'assurer lentement le succès, pour faire appel à la force, quand ils se sentent les plus faibles, et pour exaspérer le fanatisme par une sorte de nostalgie du martyre. Les défis de ces intransigeants du protestantisme, et l'horreur soulevée par les supplices que Henri VIII faisait subir aux catholiques en Angleterre, finirent par pousser à bout François Ier ; il commença les exécutions en 1535. Ce fut cette année que fut imprimée la première Bible en langue française, à Neufchâtel, par Robert Olivétain, qui emprunta aux Vaudois, pour sa traduction, d'anciens manuscrits en langue romane. Les Vaudois furent exterminés en 1544 ; Berquin et Dolet furent brûlés[42]. Marot et Estienne prirent la fuite. Le pieux historiographe Mézeray[43] put répliquer dans le siècle suivant à ceux qui accusèrent François Ier d'indulgence pour les réformés : Quoi donc ! brûler les hérétiques par douzaines, les envoyer aux galères par centaines et les bannir par milliers, est-ce là permettre ou n'y prendre pas garde ?

La duchesse d'Étampes favorisa ceux qui n'étaient pas hostiles à la réforme ; Diane de Poitiers se prononça hautement pour la suppression de l'hérésie. L'antagonisme entre les deux femmes devint une véritable guerre qui partagea la cour. Là duchesse d'Étampes avait pour alliés l'amiral, Chabot de Brion, qu'on regardait comme le rival du Roi dans ses bonnes grâces, et Antoine Sanguin, évêque d'Orléans, à qui elle fit donner le chapeau de cardinal, troisiesme de ce temps créé par amour des femmes[44] ; il prit le titre de cardinal de Meudon. Diane de Poitiers s'était assuré l'appui du connétable de Montmorency et du cardinal de Lorraine. Celui-ci était l'adversaire des nouvelles doctrines par intérêt pour ses bénéfices et ses nombreux épiscopats, mais les scandales de sa vie privée, et son intimité avec Rabelais et Erasme, ne permettent pas de lui prêter des convictions religieuses. Ses neveux, les trois fils aînés du duc de Guise, faisaient leurs débuts à la cour de Diane, tandis que leur père se tenait à l'écart et évitait de se compromettre dans la querelle entre les deux favorites. Chacune d'elles avait son grand officier de la couronne et son cardinal ; elles commencèrent les hostilités dans la personne de leurs partisans ; elles semblèrent se considérer entre elles, comme le roi d'un échiquier, que l'on n'attaque qu'après avoir pris les principales pièces. Montmorency fut le premier enlevé. Diminué dans l'amitié du Roi, qui le voyait avec jalousie s'attacher à son successeur, ce courtisan cachait sous sa figure de dogue et sous sa brutalité affectée un art profond des intrigues de cour ; il prévit sa disgrâce au mariage de Jeanne d'Albret, la fille de Marguerite de Valois et du roi de Navarre. Cette enfant avait douze ans, et devait, par ordre du Roi, épouser le duc de Clèves. Mais elle possédait déjà ce caractère hautain et cette force de volonté qui firent d'elle, quelques années plus tard, un redoutable chef de parti. Elle refusa d'épouser un prince allemand, et ne se laissa parer pour les noces qu'après avoir rédigé une protestation dans laquelle elle se déclara contrainte par violence, disant[45] : La Reine, ma mère, m'a fait fouetter par ma gouvernante, la baillive de Caen. Devant l'autel, elle refusa d'approcher. François V la fit porter par Montmorency. Le connétable, humilié de ce concours qu'on l'obligeait de donner en public aux fonctions delà baillive de Caen, comprit qu'il devait quitter la cour. Le Roi, du reste, oublia bientôt ce mariage qu'il avait exigé avec tant d'obstination contre les vœux de l'enfant, et se servit de la protestation pour le faire annuler quelques années plus tard[46]. Montmorency expia dans un exil, à son château de Chantilly, sa partialité pour le fils contre le père, et attendit avec confiance la revanche de Diane de Poitiers.

Celle-ci fit expier à l'amiral la perte du connétable. Elle le fit accuser de concussions ; le Roi, facilement irritable, le somma de se justifier. Trop sûr de sou crédit, Chabot demanda des juges ; on le livra à des commissaires que présidait le chancelier Poyet, l'ancien instrument de Louise de Savoie et le flatteur de Diane. Poyet prononça la condamnation de Chabot, qui fut déchu de toutes ses dignités, enfermé en prison, et forcé de payer quinze cent mille livres d'amende. Les dames avoient aydé à sa faveur, par les dames il se perd[47]. Cet arrêt ne fut obtenu des commissaires, que par la pression du chancelier ; l'un d'eux protesta, en signant, de la violence qu'il subissait[48].

La duchesse d'Étampes répondit à ce coup en ruinant le chancelier Poyet. Ce magistrat coupable fut mis en jugement à son tour ; convaincu de prévarications, il fut condamné à cent mille livres d'amende, dépouillé des sceaux et enfermé à la Bastille.

Le duc de Guise qui avait recherché l'appui de Chabot, au temps de sa puissance[49], et ensuite qui avoit aydé à sa ruine[50], intervint en sa faveur pour ne pas être entraîné dans la chute du chancelier. Mais il fit payer son intercession. Chabot lui donna une tapisserie à fond d'or estimée trente mil escus, qui fut tendue au château de Joinville. La duchesse d'Étampes obtint de le faire sortir du donjon de Vincennes, mais il mourut bientôt du chagrin de sa disgrâce. D'Annebaut, par faveur de madame d'Étampes, empiète le mesme crédit. Ce nouveau venu, qui hérita de la charge d'amiral, n'avait ni capacité, ni habitude des intrigues, et ne se montra pas un rival dangereux pour le duc de Guise. Guise restait, en 1541, le seul seigneur considérable qui eût conservé son crédit. Il avait marié, trois ans auparavant, au roi d'Ecosse, Jacques V, sa fille Marie, veuve du duc de Longueville.

Petit-fils du roi René, beau-père du roi d'Ecosse, entouré de ses douze enfants, tous beaux et robustes, le duc de Guise sentait grandir son ambition avec les succès. Il se voyait déjà plus important que son aîné, le duc de Lorraine. Peut-être rêva-t-il de placer Louise, sa seconde fille, sur le trône de France[51]. Cette jeune fille était à peu près du même âge, mais plus belle et plus saine que Catherine de Médicis, elle pouvait plaire à Henri, et obtenir que la jeune Florentine fût répudiée en sa faveur. Si ce projet fut tenté, il a dû être promptement abandonné devant l'opposition de Diane, qui n'aurait pas toléré un pareil changement. Louise fut mariée en premières noces à René de Nassau, et ensuite au prince de Croy.

S'il fut déçu dans ce rêve d'une seconde couronne royale pour sa famille, Claude trouva des compensations dans la générosité du Roi ; la disparition des principaux courtisans le laissait en mesure de la solliciter davantage, et il sut se foire remettre en 1541 une somme de trente mille livres en pur don, ce qui fait environ trois cent soixante mille francs de notre monnaie[52]. Claude touchait en outre vingt-deux mille livres de pensions régulières ou plus de deux cent quatre-vingt mille francs par an. Malgré ces pensions, ces honneurs et sa toute-puissance, le duc de Guise ne put sauver son frère le cardinal de Lorraine de la disgrâce qui frappait successivement tous les favoris à ce déclin du règne. L'heureux prélat connut enfin les revers, malgré ses efforts pour s'attacher à Diane de Poitiers ; il dut se retirer à Rome. La cause de cet exil n'est pas très-connue. Un historien[53] la voit dans sa cupidité de prince lorrain ; Jean aurait reçu de l'empereur Charles-Quint une pension de six mille écus sur les revenus de l'archevêché de Saragosse. Ce serait environ soixante-douze mille francs d'aujourd'hui, c'est-à-dire à peu près le chiffre de la pension que le cardinal Dubois, sous la Régence, acceptait du roi d'Angleterre. Si le cardinal de Lorraine fut un précurseur de Dubois, dans l'art de se faire donner des appointements par les souverains étrangers, il n'en est pas resté de preuves bien authentiques. Mais François V sentit vaguement de la trahison autour de lui, et comprit qu'il avait été dupe de l'Empereur. Dans ses instincts de méfiance, il écarta ceux qui lui avaient conseillé l'alliance de l'Espagne. Charles-Quint, au moment de son passage en France, avait parlé de se déposséder du Milanais en faveur du plus jeune fils de François Ier, le duc d'Orléans ; appât grossier que Montmorency et le cardinal de Lorraine s'empressèrent de faire accepter par le Roi[54]. François Ier cédait volontiers à la tentation d'oublier son royaume de France pour son duché de Milan ; ainsi déçu, il laissa Charles-Quint dompter ses sujets flamands, discipliner ses princes allemands, rétablir son autorité dans tout l'Empire ; il perdit le seul moment où son intervention aurait pu être un obstacle à l'unité de l'Allemagne, et réclama le prix de ses complaisances à l'heure où l'Empereur, redevenu le maître et sentant sous sa main ses armées victorieuses, ne pouvait plus céder une province que, même vaincu, il savait promettre, mais ne voulait pas abandonner.

Avec autant d'imprévoyance que son ennemi avait eu d'astuce, François Ier qui avait laissé écouler l'heure de le combattre avec la moitié de ses sujets pour allies, qui l'avait secondé de ses vœux, tandis qu'il réduisait les rebelles, lui déclara la guerre au moment où il avait recouvré son autorité et était rentré dans la plénitude de sa force. Durant la première campagne, celle de 1542, le Roi confia au duc de Guise la direction de l'armée que commandait son plus jeune fils, le duc d'Orléans, ce même prince que Charles-Quint avait leurré de la promesse du Milanais.

Claude de Guise emmenait avec lui son fils aîné, François, que l'on nomma depuis M. de Guise le Grand, et une foule de jeunes gentilshommes qui faisaient leurs premières armes, et étaient empressés de se signaler dans l'armée du duc d'Orléans. Sa prudence de vieux coureur de frontières, ses habitudes de campagnes qui se bornaient au ravitaillement de quelques places et à des escarmouches avec des partis de fourrageurs, furent complètement déconcertées par l'ardeur entreprenante de cette bruyante gendarmerie. Il se vit bientôt débordé. M. d'Orléans se met hors de page, donne des conseils résolus. Il veut acquérir de la gloire, assiège Damvilliers, s'en empare. Guise donne ordre que les soldats de la garnison soient gardés prisonniers de guerre ; mais le duc d'Orléans, qui leur a promis la liberté, mande secrètement au sieur de Tavannes qui gardoit une porte, qu'il les laisse sortir ; il est obéy ; M. de Guyse luy demande s'il ignoroit sa charge, et par quel commandement il avoit laissé aller les prisonniers ; il respond par celuy de son maistre. M. d'Orléans embrasse M. de Guyse et appaise tout[55].

Ainsi soutenus parle fils du Roi, ces jeunes gens parlaient avec hauteur au favori de la vieille Cour, et ne supportaient pas sans impatience son autorité. Le chef qui avait survécu à tant de rivaux tombait maintenant dans le discrédit avec son Roi mis hors de mode au milieu de cette jeune noblesse avide de renommée et rebelle à la discipline. L'armée s'attardait au siège d'Yvoy, dans le Luxembourg. Le Roi, plus occupé d'une attaque sur Perpignan, que dirigeait le Dauphin, écrit de lever le siège d'Yvoy ; Guise prend aussitôt ses mesures pour obéir. Tavannes court auprès du duc d'Orléans, lui dit : Le Roy perd une ville, vous l'honneur. Votre frère prendra Perpignan, vous la honte. M. de Guyse n'y a tel interest que vous. A l'instant, les deux enfants décident que la brèche est praticable, et que la batterie d'assaut sera établie le matin à l'heure où dort le duc de Guise, qui surveillait toute la nuit les préparatifs de la levée du camp. De bonne heure, ils font mener dans un chemin creux quatre canons pour battre la muraille et élargir la brèche. Mais la vigilance du vieux général ne se surprenait pas aussi facilement ; les deux écoliers sont découverts dans leur entreprise : M. de Guyse aborde M. d'Orléans qui portoit le sieur de Tavannes en crouppe, blasme cet acte, offre de quitter sa qualité de prince pour combattre et maintenir que c'estoit mal entrepris. Tavannes saute à bas du cheval du duc d'Orléans, et, au lieu de s'excuser de l'escapade qu'il a conseillée, il crie fièrement au vieux général : Que s'il lui plaisoit quitter sa qualité pour le combattre, il luy feroit grand honneur, et le trouveroit fort homme de bien[56]. Le duc d'Orléans put empêcher ce duel, mais le canon fut placé comme Tavannes l'avait voulu : la place, battue de huit heures du matin à une heure après midi, ouvrit ses portes.

Ainsi, plus de respect. Guise voyait le premier venu remettre en question une grandeur si lentement édifiée, et oublier son âge et ses dignités pour l'appeler au combat, comme le plus simple des gentilshommes de sa suite. Que pouvait faire une armée ainsi dirigée ? Les audacieux qui la menaient savaient réussir contre les ordres du Roi et la sagesse d'un chef expérimenté, dans une témérité comme cette prise d'Yvoy ; mais ils se laissaient emporter par la plus légère fantaisie de leur vanité. Déjà commençait a se manifester aux étrangers ce qu'ils ont appelé les vices du caractère français : l'orgueil sans persistance, la bravoure sans but, la passion de ce qui est bruyant ou brillant, sans la pensée de ce qui est utile. Le duc d'Orléans entend dire, au milieu de ses succès dans le Luxembourg, que son frère Henri va livrer une grande bataille dans le Roussillon. Une bataille donne plus de réputation parmi les dames que la conquête du Luxembourg. Aussitôt, il sépare son armée et court vers le Midi. L'intérêt de la France n'existe pas pour ces cervelles Itères ; il faut être à la bataille, et il ne faut pas qu'un autre commande l'armée qui est abandonnée. L'armée du Nord est licenciée ; Charles-Quint en profite pour reprendre les places qu'il vient de perdre dans le Luxembourg, tandis que le jeune prince voyage inutilement dans le Roussillon pour y chercher une bataille qui n'eut pas lieu[57].

Une guerre ainsi menée ne pouvait qu'épuiser le pays dans une série de campagnes stériles. L'année 1543 n'amena pas plus de résultats que la précédente. François de Guise servait dans l'armée de Flandre, et faisait contraste avec les autres jeunes combattants par son talent précoce et sa valeur froide[58]. On voyait déjà en lui l'activité du général et la bonne humeur du chef de gentilshommes. Il savait combiner d'avance les opérations et frapper les esprits par l'éclat de l'exécution. Quand l'armée vint assiéger pour la seconde fois la place de Luxembourg, si follement abandonnée l'année précédente par la présomptueuse précipitation du duc d'Orléans, ce fut François de Guise qui établit les batteries de brèche. Il surveilla, toute la nuit, les pionniers qui plaçaient les pièces sur le front de la tranchée. Il était revêtu d'un pourpoint de satin blanc, pour être plus facilement retrouvé dans l'obscurité, et reconnu quand il y avait des ordres à donner. Une heure avant le jour, voyant que les canons étaient prêts à commencer le feu, il sortit de la tranchée, fut aperçu, avec son costume blanc, des murailles de la place, et salué à coups de mousquet et d'arquebuse à croc. Une balle lui brisa le dessus du cou-de-pied, près de la cheville[59].

Ces expéditions stériles, dans lesquelles les deux armées prenaient et pillaient quelques places, lassèrent Charles-Quint, qui dirigea l'année suivante, 1544, sur la Champagne, une armée plus considérable, avec l'intention d'envahir et de ravager notre territoire. Le comte de Sancerre, enfermé dans Saint-Dizier, soutint le premier choc des ennemis, comme autrefois Bayard dans Mézières, et retint autour de ses murs cette armée qui s'y attarda. L'été s'avançait, et ce grand effort de l'Empereur allait être inutile, quand les éclaireurs de son armée interceptèrent et portèrent à son ministre, le cardinal Granvelle, un paquet dans lequel fut trouvé l'alphabet du chiffre que le duc de Guise employait pour correspondre avec le comte de Sancerre. Granvelle simula aussitôt, à l'aide de ce chiffre, une lettre de Guise au gouverneur de Saint-Dizier, par laquelle le Roi le prévenait qu'il ne devait pas attendre de secours, et l'autorisait à accepter une capitulation honorable, brave astuce, certes[60]. Le comte de Sancerre rendit la place et se justifia près du Roi, en affirmant qu'il s'estoit rendu sur la parole de M. de Guyse. Celui-ci donna un démenti et se voulut desmettre de tous ses grades, dignités et nobles qualités de prince, pour combattre M. de Sancerre. Après plusieurs jours de querelle, on reconnut que la lettre était fausse, et l'on comprit la fraude.

Pendant ce temps, l'Empereur, maître de Saint-Dizier, avançait sur Épernay et Château-Thierry. Les Parisiens épouvantés ne connaissaient qu'un homme de guerre, le duc de Guise. Ils le demandèrent avec anxiété, et se regardèrent comme sauvés quand ils le virent entrer dans leurs, murs. La pluspart dirent qu'ils n'avoient plus de peur, puisqu'ils avoient leur Roy et M. de Guyse pour deffenseurs. Cet incurable engouement des Parisiens pour certains hommes se retrouve à toutes les époques de notre histoire. Ils acclamaient leur idole, fort indifférents à la bataille de Cérisoles que gagnait, la même année, un prince de Bourbon, le jeune duc d'Enghien. Glorieux éclat jeté sur cette fin de règne ; revanche de Pavie, qui permettait de sortir avec honneur du Milanais par une paix devenue nécessaire.

Cette victoire de Cérisoles faisait du duc d'Enghien le vrai chef de la noblesse française, et relevait en un seul jour au-dessus de nos plus vieux capitaines. Le jeune François de Guise, jaloux de cette gloire, partit l'année suivante avec l'armée du duc d'Orléans, qui devait enlever Boulogne aux Anglais. C'était la seule guerre qui restât après le traité de Crépy, conclu avec l'Empereur. Impatient de se signaler, François de Guise s'élança avec témérité à travers les hommes d'armes anglais dans une rencontre, et il reçut un coup de lance au-dessous de l'œil destre, déclinant vers le nez, qui entra et passa oultre de l'aultre part, entre la nuque et l'oreille, d'une si grande violence[61], que l'arme se brisa ; le fer, court et acéré, resta engagé dans les os de la joue. François de Guise demeura en selle malgré cette horrible blessure ; il retourna à sa tente et fit appeler Ambroise Paré. L'énergie du blessé donna de l'audace au chirurgien. Ambroise Paré saisit avec des tenailles le bout de bois qui ressortait de la blessure, tira de toute sa vigueur le fer de la lance, fortement retenu par les os, et réussit à l'arracher sans détruire l'œil. Cette cicatrice donna à François de Guise le surnom de Balafré. Il porta la douleur aussi patiemment que qui ne luy eust osté qu'un poil de la teste[62].

La peste sépara les deux armées. Le duc d'Orléans, dans une des fêtes un peu brutales que les jeunes seigneurs avaient mises à la mode, déclara que jamais fils de France n'était mort de la peste ; il entra avec d'autres fous dans une chambre d'où venaient d'être emportés des pestiférés, ouvrit les lits et souleva la plume, avec son épée, en nuage autour de lui. Il mourut trois jours après.

François Ier voyait ainsi disparaître ses fils. Il n'avait plus que Henri, le prince dur et froid, qui semblait prendre l'attitude d'un compétiteur, et tenir avec Diane de Poitiers une cour ennemie de la sienne. Il avait reporté son affection sur le duc d'Enghien, le héros qui consolait son déclin par la victoire de Cérisoles. Mais ce dernier favori fut tué presque aussitôt par le comte Bentivoglio, qui lui jeta d'une fenêtre un buffet sur la tête, en jouant avec d'autres jeunes gens, à la Roche-Guyon (1546). On a soupçonné les Guise d'avoir voulu se défaire d'un compétiteur redoutable, et d'avoir inspiré la meurtrière étourderie de l'Italien Bentivoglio. Il est certain que le duc d'Enghien remettait en honneur la famille des Bourbons, amoindrie par la défection du connétable, et que les Guise voyaient avec dépit se relever une maison plus rapprochée du trône que la leur. Un Italien ne passait pas pour agir avec tant de légèreté que d'écraser un favori du Roi sous un buffet, par manière de plaisanterie ; il ne s'écartait pas, au contraire, des mœurs de son pays, en tuant un ennemi au milieu des plaisirs. Il est juste de remarquer, toutefois, la grossièreté des jeux qu'avaient mis à la mode les fils de François Ier. Ceux qui se jetaient sur les lits des pestiférés, ou qui faisaient ce que raconte Tavannes[63] : se dressent embuscades où l'on se blesse, faillent à estrangler Jarnac sans qu'on luy coupa la corde, se mocquent des dames, mesprisent l'amour, mettent un pendu dans le lit de madame de Crussol, étaient bien capables de se jeter des meubles a la tête. François Ier lui-même, dans sa jeunesse, avait failli être victime d'un accident semblable, qui lui laissa une cicatrice au front. Ajoutons qu'il n'était pas prudent de confier un tel crime à l'Italien ; il pouvait trahir ceux qui lui auraient conseillé un divertissement aussi suspect.

Aucune des actions de Claude de Guise, pendant sa vie entière, ne permet de le soupçonner d'un meurtre. À défaut d'honneur, sa circonspection lui eût évité de prêter la main à un crime à la fois inutile, puisque le duc d'Enghien laissait quatre frères pour disputer aux Guise la faveur royale ; dangereux, puisque ces frères pouvaient poursuivre leur vengeance ; et d'autant plus méprisable qu'il frappait le fils de son propre beau-frère. Son fils aîné, François le Balafré, n'était pas à l'âge des guets-apens ; d'ailleurs, il cherchait plutôt la faveur du Dauphin, et c'était près de François Ier seul que le duc d'Enghien était en crédit. Quant aux deux prélats, l'oncle, le cardinal Jean de Lorraine, était à Rome ; le second, Charles, n'avait encore que vingt-deux ans et n'aurait sans doute pas osé engager la famille dans une entreprise si dangereuse à l'insu du duc, son père. Il est vrai que les quatre Bourbons qui restaient, semblaient peu à craindre ; on pouvait croire que, le duc d'Enghien mort, le reste de la famille tomberait dans l'obscurité : chance toutefois peu vraisemblable, puisque c'était la famille des princes du sang, presque la maison royale.

Le fait le plus grave, qui permettrait de supposer certains remords chez le duc de Guise, comme s'il avait autorisé un crime, c'est qu'il a cru en subir la vengeance. Au moment de sa mort, il s'est imaginé qu'il était empoisonné ; il l'a dit à ses fils, qui l'ont fait graver sur son inscription tumulaire. Personne n'avait intérêt à empoisonner le duc de Guise au moment où il mourut dans une sorte de disgrâce tempérée par la faveur dont jouissaient ses fils, sous le nouveau règne de Henri II. Le poison ne pouvait être que l'instrument d'une vengeance. Peut-être le duc a cru que les Bourbons le frappaient en souvenir du meurtre de leur frère, et bien qu'il ait dit : Je ne sçais si celuy qui m'a donné le morceau est grand ou petit, mais je lui pardonne, l'inscription inusitée et bizarre sur la lame qui couvrait le cercueil prouve que l'idée de poursuivre la punition de cette mort était entrée dans l'esprit des fils. Ainsi, à partir de cette fin tragique du duc d'Enghien, une sorte de fatalité semble s'appesantir sur la race des Guise, et les enlacer dans une série de représailles qu'on se transmet comme un legs. Que Coligny, allié des Bourbons, ait eu part au meurtre du Balafré, c'est aussi peu vraisemblable que la complicité de Claude dans la mort du jeune Bourbon. Mais le fils du Balafré tue Coligny, il est tué lui-même par Henri III ; et l'on ne saura jamais si le quatrième duc de Guise n'était pas avec Concini parmi les complices inconnus de Ravaillac ; une série de meurtres relie ainsi la mort étrange du vainqueur de Cérisoles et la fin mystérieuse de son neveu Henri IV, à plus de soixante ans de distance.

C'eût été payer bien cher la faveur de François Ier, que se l'assurer par un crime. Le Roi, attristé, infirme et toujours somnolent, sauf à la chasse, voyait s'écarter de lui la troupe turbulente de la jeune noblesse ; la Cour se groupait autour de Henri et de Diane de Poitiers, et traitait François Ier comme un vieillard débonnaire, bien qu'il eût à peine cinquante ans. Il avait parfois des réveils terribles : un jour, il se précipita comme en frénésie dans l'appartement de son fils et jeta par la fenêtre les pages et les meubles[64]. La duchesse d'Étampes savait garder son influence sur lui, et la conserva vingt-deux ans. Le roi François, blessé des dames au corps et en l'esprit, la petite bande de madame d'Estampes gouverne[65]. La jeune Dauphine, Catherine de Médicis, faisait sa cour à cette redoutable sujette et partageait ses devoirs entre elle et Diane, la favorite de son mari. Humble, triste, maladive, elle craignit le divorce pendant neuf ans de suite ; elle eut recours à tous les remèdes, à tous les maléfices que lui suggérèrent les aventuriers pour faire cesser sa stérilité ; elle resta neuf ans sans enfant, puis elle en mit au monde dix dans les treize années suivantes. Son fils aîné, François, naquit en 1543. Mais, même après qu'elle eut donné le jour à un héritier du trône, elle ne diminua rien de ses respects pour les deux favorites. Quand elle disait : La table de ma Dame, c'est de la table de Diane de Poitiers qu'elle voulait parler, comme si elle était une de ses suivantes[66]. Elle sentait que cette protection pouvait seule lui assurer l'avenir ; celle du Roi ne lui suffisait déjà plus, car le Roi semblait en disgrâce dans sa Cour. Le prestige de son avènement s'était évanoui ; un monde nouveau s'agitait et demandait à naître. La jeune génération attendait avec impatience l'ère qui allait s'ouvrir et le monde inconnu que devait emplir le croissant de Diane[67]. Diane était la lumière de ce printemps : parmi les principaux seigneurs qui briguaient l'honneur de son alliance, elle choisissait lentement ses gendres. Un prince souverain, le seigneur de la Marck, obtint une de ses filles en mariage. La main delà seconde, Louise de Brézé, fut demandée par le troisième fils du duc de Guise ; mais Diane lui fit attendre longuement cette faveur si précieuse. Il fallut que le frère du prétendant, l'archevêque de Reims, Charles, se genast tellement par l'espace de près de deux ans, que ne tenant pas table pour sa personne, il disnoit à la table de Madame[68]. La duchesse d'Étampes seule osait tenir tête à Madame. Claude, vieilli avec son Roi, n'avait plus d'orgueil que pour ses fils ; quand il s'avançait, à Fontainebleau, suivi de François le Balafré, Claude, marquis de Mayenne et bientôt duc d'Aumale, et François, grand prieur de France, le Roi pouvait lui dire en souriant : Mon cousin, vous seriez bien deffendu contre qui vouldroit vous derobber votre cappe.

François, le fils aîné, fut nommé, en 1546, gouverneur du Dauphiné. Il convoitait la Provence, ce royaume de l'aïeul René ; mais François Ier par une sorte de défiance tardive, voyait avec inquiétude cette fortune déjà presque royale qu'il s'était plu à édifier par une série de caprices. On dit qu'il avertit son fils de se défier des Guise. Le fait paraît même attesté par le témoignage de Catherine de Médicis et d'une de ses filles d'honneur, Marguerite de Modon[69]. Il est certain que le duc de Guise et son frère le cardinal n'étaient plus en faveur au moment de la mort de François Ier, et qu'ils ont été à peu près négligés à l'avènement de son successeur. Doit-on, dans ce fait, admirer surtout l'art merveilleux avec lequel le duc de Guise comprit qu'il devait s'effacer devant ses fils et que, l'œuvre de ses contemporains étant terminée, l'achèvement de la grandeur des Guise devait être dû à des hommes plus jeunes, à des esprits plus larges, à des cœurs plus nobles ? En poussant l'égoïsme jusqu'à la perfection, Claude atteignait presque le désintéressement ; il ne cessait de songer à lui-même que pour mieux assurer la grande faveur de sa famille. Doit-on s'étonner davantage de l'inconséquence du Roi qui, sans y être contraint par des services signalés, ni par des talents supérieurs, avait élevé, sans prévoyance et sans défiance, une famille ambitieuse, puis qui voulait la rejeter dans la disgrâce au moment même où le fils aîné venait de montrer des qualités militaires de premier ordre, et où les services qui pouvaient être rendus allaient être la justification des récompenses exagérées qui avaient été conférées d'avance ? Élever le père si haut et ne pas en profiter pour utiliser les fils, c'était une faute dont les conséquences furent conjurées par l'adresse du duc de Guise. Laissant avec Diane de Poitiers et le Dauphin Henri ses fils, dont l'aîné était destiné à jeter assez d'éclat pour sauvegarder l'honneur de leur triste règne, Claude sut se tenir à l'écart. Il disparut à peu près de la vie politique.

Le compagnon de ses premières armes, le roi François Ier disparut bientôt aussi. En 1547, le roy François meurt à Rambouillet : les dames plus que les ans luy causèrent la mort. Il eut quelques bonnes fortunes et beaucoup de maulvaises. Les dames faisoient tout, mesme les généraux et capitaines[70].

 

 

 



[1] Testament de René II, et acte de partage du 27 octobre 1530 cité par BOUILLÉ, Histoire des ducs de Guise, t. I, p. 48.

[2] HEINSE et BIGNON, Devises et éloges des hommes illustres français, 1667 : D'or à la bande de gueules chargée de trois allerions d'argent, posé sur le tout de huit alliances qu'on blasonne partie de trois traits et couppé d'un, qui font huit quartiers, ou bien de quatre quartiers soutenus d'autres quatre ; au un de Hongrie, au deux de Naples-Sicile, au trois de Jérusalem, au quatre d'Aragon, au cinq d'Anjou, au six de Gueldres, au sept de Flandres, au huit de Bar, avec un lambeau de gueules en chef.

[3] Le Père ANSELME (Histoire généalogique) fait connaître que Jean, ce premier cardinal de Lorraine, était né à Bar le 9 avril 1498. En 1501, il fut promu coadjuteur de l'évêque de Metz, et en 1508, évêque de Metz. Il se démit en 1529 de cet évêché en faveur de son neveu Nicolas qui était âgé de quatre ans ; le neveu abdiqua en 1548, et l'oncle reprit son évêché ; il fut, en outre, évêque de Toul en 1517, de Thérouanne en 1518, cardinal en la même année, archevêque de Narbonne en 1520, évêque de Valence et Dié en 1521 jusqu'en 1524, de Verdun en 1523 jusqu'en 1544, de Luçon en 1524. Ce dernier évêché fut cédé, la même année, à Louis de Bourbon sous la réserve de cent livres de pension. Il fut, en 1533, archevêque de Reims ; en 1535, d'Albi ; en 1537, de Lyon ; en 1541, évêque d'Agen ; en 1542, de Nantes. Il eut l'abbaye de Gorze dans son enfance et la céda à son neveu Nicolas ; il obtint celle de Fécamp en 1523, de Cluny en 1529, de Saint-Jean de Laon en 1533 et la céda en 1535, celle de Saint-Germer de 1536 à 1538, de Saint-Médard de Soissons de 1536 à 1540, de Marmoutiers en 1539 ; de Saint-Ouen de Rouen, de Saint-Mansuy de Tours. En 1538, il se démit de l'archevêché de Reims en faveur de son neveu.

[4] De même, un siècle plus tard, le cardinal de Mazarin put posséder simultanément vingt-deux abbayes. Voir GAILLARDIN, Histoire de Louis XIV, t. II, p. 49.

[5] J. A. FROUDE, History of England, t. I, p. 62.

[6] Tu sei Christo o il cardinal di Lorrena.

[7] MARTIN DU BELLAY, Mémoires, p. 200.

[8] Il est vrai que Claude de Guise se prétendait prince comme cadet de la maison souveraine de Lorraine. Avant lui, en 1519, Claude Gouffier fut créé duc et pair de Rouannais, mais il mourut le jour même de l'érection sans en profiter. (Père ANSELME, t. V, p. 605.)

[9] Les fondations de duchés-pairies ne peuvent se relever aisément à cause de la difficulté de distinguer les duchés qui ne conféraient qu'un titre honorifique et non héréditaire. En résumant ce qu'en donnent PASQUIER (Recherches de la France, édition de 1619, p. 146), SAINT-SIMON (Mémoires, t. I, p. 79 et 271), le Père ANSELME (Histoire généalogique) et LALANNE (Dictionnaire de l'histoire de France), on peut rétablir dans l'ordre suivant les duchés-pairies :

1507 Nemours.

1573 Rethélois.

1510 Longueville.

1573 Mayenne.

1514 Vendôme.

1575 Saint-Fargeau.

1527 Guise.

1581 Joyeuse.

1536 Étampes.

1581 Epernon.

1538 Nevers (Clèves).

1581 Piney-Luxembourg.

1538 Montpensier.

1581 Elbeuf.

1547 Aumale.

1581 Retz.

1552 Montmorency.

1587 Halluin.

1566 Château-Thierry.

1588 Montbazon.

1567 Graville.

1588 Rohan.

1569 Mercœur.

1588 Soubise.

1572 Uzès.

1589 Ventadour.

Les duchés-pairies érigés de la mort de Henri III à celle de Mazarin sont ceux de :

Vendôme, la Trémouille, Sully, Roannois, Beaufort, Luynes, Lesdiguières, Brissac, Chaulnes, Richelieu, Puylaurena, Saint-Simon, la Rochefoucault, la Force, Valentinois, Rohan-Chabot, Mazarin.

Ensuite vient ce que Saint-Simon a appelé cette étrange fournée des quatorze en 1663, qui comprenait les duchés-pairies de Verneuil (petit-fils de Henri IV), Cœuvres (Estrées), Grammont, la Meilleraye, Rethel (Mazarin), Villeroy, Mortemart, Poix (Créquy), Saint-Aignan, Bandan (Foix), la Roche-Guyon (Liancourt), Tresmes, Ayen (Noailles), Cambout (Coislin).

[10] Il faut en excepter le duc d'Étampes.

[11] Portefeuille Fontanieu, 223, cité par BOUILLÉ, t. I, p. 89.

[12] Anne de Pisseleu, demoiselle d'Heilly.

[13] En 1531.

[14] J. A. FROUDE, History of England, t. I, p. 280.

[15] Blaise DE MONTLUC, Commentaires, édit. Didier, p. 76.

[16] TAVANNES, Mémoires, édit. Petitot, t. XXIII, p. 199.

[17] DANDOLO, publié par BASCHET, la Diplomatie vénitienne, p. 412, GIUSTINIAN dit de la même princesse, p. 400 : Donna di molto valore e spirito grande.

[18] Elle publia à Mérac le Miroir de l'asme pescheresse, ou le miroir de très-chrestienne princesse Marguerite de France, royne de Navarre, duchesse d'Alençon et de Berry, auquel elle veoit son néant et son tout. Ce traité de théologie en vers fut condamné par Noël Beda, syndic de la Sorbonne, malgré l'autorité du recteur Cop. Beda fut enfermé au mont Saint-Michel, où il mourut en 1537.

[19] Clément MAROT, édition de 1700, p. 337.

[20] MONTLUC, Commentaires, p. 151.

[21] VARILLAS, Histoire de Charles IX, t. I, p. 139.

[22] D'après le Père ANSELME, Histoire généalogique, cet abbé de Cluny aurait eu pour mère la fille du président des Barres.

[23] Inventaire de Joinville, cité par BOUILLÉ, t. I, p. 65.

[24] TAVANNES, Mémoires, édit. Didier, p. 79.

[25] Voir notre BRANTÔME, Hommes illustres, édit. Panthéon, t. I, p. 313. Les premiers barons du Périgord qui apposaient leurs signatures en cercle aux États de la province étaient les quatre barons de Ribérac, Salignac, Estissac et Grinhols. Voir Ph. DE BOSREDOS, Note sur les États du Périgord ; Mém. Soc. hist. etarch. du Périgord, t. II, p. 289.

[26] BRANTÔME, Hommes illustres, édit. Panthéon, t. I, p. 314 et 315.

[27] PASQUIER, Recherches de la France, p. 569.

[28] Journal d'un Bourgeois de Paris, p. 453 ; Henri MARTIN, Histoire de France, t. VIII, p. 224.

[29] J. A. FROUDE, History of England, t. I, p. 236.

[30] Guillaume DU BELLAY, Mémoires, p. 331, 428, 429.

[31] Ms. Béthune, v. 8540, f. 100, et v. 8580, f. 89, cités par BOUILLÉ, Histoire des ducs de Guise, t. I, p. 118.

[32] LE LABOUREUR, Addition aux Mémoires de Castelnau, t. I, p. 270 : On dit que le roi François Ier qui le premier avoit aimé Diane de Poitiers, lui ayant un jour témoigné quelque déplaisir du peu de vivacité qu'il voyoit en ce prince Henri, elle lui dit qu'il falloit le rendre amoureux et qu'elle vouloit en faire son galant.

[33] Fille de Marguerite de Sassenage, veuve d'Amblard de Beaumont, Marie épouse en 1467 Aymar de Poitiers.

[34] Charlotte était la seconde fille de Charles VII et d'Agnès Sorel ; elle épousa, en 1462, Jacques de Brézé, qui la poignarda avec son amant Pierre de la Vergne, à Romiers-lez-Dourdan. Voir PEIGNOT, la Maison royale de France.

[35] Cité par J. A. FROUDE, History of England, t. I, p. 157.

[36] Fatti figliuoli de ogni maniera. Voir Martha FREER, Life of Jeanne d'Albret, t. I, p. 61.

[37] Une chanson populaire, souvent citée, s'applique probablement à cette mort et au désespoir de mademoiselle de Lestrange, qui perdait ainsi tout espoir de succéder à la duchesse d'Étampes :

Toute brunette suis,

Jamais ne seray blanche.

Monseigneur le Dauphin

Malade dans sa chambre

Sa mye le va voyr

Bien triste et bien dolente :

— Si vous mourez, monsieur,

A qui me doibs-je rendre ?

— Mon escuyer Brissac.

Je la vous recommande.

[38] ZUAM ANTONIO VENIER, Relation de 1533, extraite de BASCHET, la Diplomatie vénitienne, p. 395 : Il est guéri du mal qu'il a eu, mais il lui en reste une trace sur la figure ; il lui manque aussi quelques dents perdues par suite de ce même mal. Il lui manquait aussi la luette (HUBERT, Vita Fred. Pal., cité par Henri MARTIN, t. VIII).

[39] MARIN CAVALLI, Relation de 1546 (BASCHET, p. 416) : Il mange et boit beaucoup, il dort très bien : ce qui lui importe, c'est de se sentir vivre dans une joie continuelle ; autant il supporte les fatigues, autant les soucis d'esprit lui pèsent. Il ne veut jamais prendre part à l'exécution, ni même la surveiller ; il lui semble que c'est assez de savoir son rôle qui est de commander et de donner des plans. Le soin pour le reste, il le laisse à ses subalternes.

[40] Paget, ambassadeur d'Angleterre, écrit à Henri VIII que François Ier a hâte d'entrer en combat singulier avec Charles-Quint, et qu'il s'exprime en ces termes : He would give his daughter to be strumpet to a bordel to be sure of the encounter with the Emperor. State papers, vol IX, p. 182.

[41] RANKE, Hist. of Popes, t. I, p. 120, de la traduction anglaise.

[42] Etienne Dolet, né à Orléans en 1509, fut brûlé le 3 août 1540 ; c'était un génie d'une portée remarquable. Un historien des ducs de Guise (t. I, p. 121) dit, sans citer d'autorité, que Dolet passait pour bâtard du Roi. Le Roi avait moins de quatorze ans à la naissance de Dolet ; il habitait Cognac, et non Orléans.

[43] MÉZERAY, Histoire de France, t. II, p. 1038.

[44] TAVANNES, Mémoires, p. 100.

[45] Protestation publiée dans le livre de Marguerite de Valois par madame la comtesse D'HAUSSONVILLE, p. 209.

[46] BRANTÔME, Dames illustres, Martha FREER, Life of Jeanne d'Albret.

[47] TAVANNES, Mémoires, p. 100.

[48] Il mit avant son nom un V et un I à la fin, pour calmer sa conscience peu scrupuleuse avec les lettres du mot vi, par violence. PASQUIER, Recherches de la France, p. 569.

[49] Voir lettre du duc de Guise à Chabot, afin d'avoir l'appui du Roi dans un procès qu'il avait à Rouen en 1537, Ms. Béthune, v. 8557, f. 149, cité par BOUILLÉ.

[50] TAVANNES, Mémoires.

[51] M. DE BOUILLÉ, dans son Histoire des ducs de Guise, le croît d'après tin manuscrit qu'il a consulté avec une excessive confiance (t. I, p. 124). Le fait n'est pas invraisemblable ; le bruit de ce mariage s'est assurément répandu ; il a été recueilli un siècle plus tard par madame DE LAFAYETTE, dans son roman de la Princesse de Clèves (p. 45 de l'édition de 1764) ; mais elle suppose que c'est Marie de Guise, la veuve de Longueville, et non Louise de Guise, qui a dû supplanter Catherine de Médicis ; si cette dernière n'a pas ignoré ces rumeurs de cour, on peut supposer quelles n'ont pas été étrangères à sa haine contre Marie Stuart, la fille de la rivale qu'on avait essayé de lui donner.

[52] FROUDE, History of England, liv. I, chap. I, accumule des chiffres et des faits qui démontrent scientifiquement que la valeur de l'argent était douze fuis plus forte au milieu du seizième siècle qu'aujourd'hui ; il prouve, sans laisser de place au moindre doute, que le denier avait la même valeur que le schelling. Il en était de même eh France. On peut citer comme exemple le prix de quelques objets d'après Claude HATON, Mémoires, t. I, p. 16 et 113. Ainsi, en 1555 et 1559, un mouton valait 25 sols, un veau 20 sols, un bœuf 10 livres, une poule 2 sols et demi, huit œufs 5 deniers, une paire de souliers 10 sols, au plus grand point qu'ils eussent sceu ebtre ; l'arpent de pré de 15 à 20 livres, la journée d'un manouvrier aux champs 2 sous et demi, autant un maçon, charpentier ou couvreur.

[53] GAILLARD, Histoire de François Ier, livre V.

[54] TAVANNES, p. 100.

[55] TAVANNES, Mémoires.

[56] TAVANNES, Mémoires, édit. Didier, p. 105.

[57] Martin DU BELLAY, Mémoires, p. 493.

[58] Martin DU BELLAY, Mémoires, p. 506.

[59] Martin DU BELLAY, Mémoires, p. 516.

[60] BRANTÔME, les Duels, édit. de Leyde, 1772, p. 287, et Martin DU BELLAY, Mémoires, p. 515.

[61] Ambroise PARÉ, Voyage de Boulogne.

[62] Martin DU BELLAY, Mémoires.

[63] TAVANNES, Mémoires, édit. Petitot, p. 287.

[64] VIEILLEVILLE, Mémoires.

[65] TAVANNES, Mémoires, édit. Petitot, p. 217.

[66] L'AUBESPINE, Histoire particulière de la cour de Henri III. Archives curieuses de l'Histoire de France, t. III, p. 375.

[67] Donec totum impleat orbem.

[68] Claude DE L'AUBESPINE.

[69] DE THOU, Histoire universelle, livre III.

[70] TAVANNES, Mémoires, édit. Didier, p. 136.