La Grèce (de 1300 à 480 av. J.-C.)

 

CHAPITRE III

 

 

DE 606 A 538 Av. J.-C. - Les Juifs à Babylone. - Hallat et Térédon. - Daniel et Job. - Ézéchiel à Karkémish. - Son œuvre. - Faux prophètes. - La Jérusalem d’Ézéchiel. - Caste sacerdotale. - Prêtres et lévites. - Le dieu et le culte. - Morale judaïque. - Le code nouveau. - Isaïe II. - Son œuvre. - Nouveau Jéhovah. - Cyrus, messie.

 

UN grand nombre des Juifs transportés à Babylone s’étaient installés à Hallat, partie profane de la cité royale, avec leurs juges et leurs nabis ; d’autres étaient allés vivre, croître et se multiplier, suivant le conseil de Jérémie, aux embouchures du Tigre et de l’Euphrate, à Térédon. Nabuchodonosor ne s’inquiétait pas de ces captifs, n’ayant imposé à chacun que l’obligation de prendre un nom nouveau. Les transportés ayant été principalement choisis parmi les familles riches ou influentes de Jérusalem, un mouvement intellectuel très intéressant se produisit parmi ceux que les Chaldéens considéraient comme des colons. La douceur de la captivité attira de plus en plus vers Hallat et vers Térédon des juifs qui auraient pu se soustraire à la transportation. Les grands d’Israël avaient d’ailleurs prêché, ouvertement, la soumission au roi d’Assyrie. Voici ce que dit le Seigneur, s’était écrié Jérémie : Courbez la tête pour servir le roi de Babylone ! Nabuchodonosor choisit bientôt ses meilleurs conseillers parmi les captifs : Daniel, dont Josèphe vante l’amabilité séductrice, Hananias, Mizaël et Azarias, surpassant les mages en science.

Le goût des choses littéraires, général, valait aux poètes juifs, qui savaient écrire, une certaine autorité ; mais nul ne croyait plus aux prophéties. Il fallut qu’Ézéchiel vint un jour, tout d’un coup, de Karkémish, presque inconnu, avec le prestige des gloires anciennes, pour que ses paroles fussent écoutées, et encore le nabi des temps nouveaux se garda-t-il de parler publiquement. Désormais, écrivit Ézéchiel, comme pour préparer sa prédication, il n’y aura plus de prophétie mensongère, ni de divination trompeuse dans la maison d’Israël.

Les faux prophètes abondaient, imaginant des gloires futures, ou pleurant, en un rythme doux, sur la Jérusalem perdue. L’audacieuse habileté de ces chanteurs était très grande ; Daniel est plaisant à lire à ce point de vue, tant l’annoncement des choses prochaines dépasse, en lui, la mesure normale des réalités. C’est à ce moment, croit-on, que l’auteur du livre de Job se prit à décrier Jéhovah.

Dans l’antique cité chaldéenne si corrompue, les vaincus, les captifs devenaient les maîtres un peu plus chaque jour ; si bien, que peu d’années après la chute de Jérusalem (598) Ézéchiel, interné à Karkémish, osait formuler une nouvelle constitution. — Le peuple écoutait les leçons d’Ézéchiel, bonnes à entendre, mais il ne les utilisait pas : Tu es, dit le nabi se désignant, tu es comme une musique agréable, une belle voix, un excellent joueur ; ils écoutent tes paroles, mais ils ne les mettent pas en pratique.

Ézéchiel parlait peu. Il allait traversant les plaines, mesurant la grandeur des horizons, s’impressionnant de la majesté de l’Éternel, et il écrivait ensuite ses pensées, lentement recueillies. Il comptait peu, sans doute, sur la génération que Nabuchodonosor choyait, mais il était certain de la chute de Babel, de la vitalité des Juifs, et il préparait la triomphale délivrance de son peuple.

Son œuvre, on l’a dit exactement, fut la charte de la théocratie judaïque. Il voulait la reconstitution d’Israël par l’avènement incontestable du prêtre, attribuant l’insuccès des premiers temps à l’antagonisme persistant des sacrificateurs et des nabis. Le roi, dans ce système, n’était qu’un protecteur : Et j’établirai sur elles un berger unique qui les paîtra. La foi d’Ézéchiel était puissante ; son imagination l’entraînait aux excès. Très silencieux, vivant hors du monde, il se surexcitait, et son langage, ordinairement énergique, souvent incorrect, grossier même, frappait les esprits, émouvait les consciences avec cette éloquente rapidité qui exclut toute contradiction. Sa loyauté éclatait aux yeux de tous à ce point évidente, et son labeur apparaissait comme tellement prodigieux, que nul n’osait le discuter. Dans les limites très étroites de son organisation théorique, — un sacerdoce, un chef, un code, — il avait accumulé tout le possible, n’omettant rien ; et cela tranquillisait.

Dénonçant les divinités troublantes, mal définies, ou séductrices, telles que les idoles apportées de l’Égypte, trop encensées, l’Adonis syrien si séduisant, et le grand soleil du matin adoré à la porte du temple, il proclama l’unité de Dieu, Jéhovah, et prit le rôle de justicier, fils de l’homme, établi comme sentinelle devant la maison d’Israël. — Le méchant mourra pour son péché, lui avait dit l’Éternel, mais c’est de ta main que je redemanderai son sang.

La poétique du nabi convaincu ne sait pas de bornes ; il est aux ordres de son ardente imagination. Sur l’emplacement de la Jérusalem nouvelle, et aux alentours, il voit croître toute espèce d’arbres fruitiers dont le feuillage ne se fanera pas et dont les fruits ne finiront plus ; et il promet aux juifs des pêcheries miraculeuses, dans des lacs que l’eau du sanctuaire alimentera. Puis il donne, avec une minutie déconcertante, tout le plan du temple nouveau, depuis le Saint des Saints, somptueux, jusqu’à la « cuisine où les serviteurs feront cuire les victimes du peuple », avec les mesures exactes, sacrées. La Jérusalem haïe et solitaire, Ézéchiel l’annonce refaite, glorieuse à jamais.

Cette gloire, elle sera l’œuvre de la caste sacerdotale à laquelle Ézéchiel appartient ; mais ce seront des prêtres nouveaux et non, comme jadis, des prêtres violents et profanant les choses saintes, qui étaient comme des loups déchirant leur proie, versant le sang et faisant périr les hommes pour s’enrichir. Tout à sa théorie, il livre Israël aux prêtres, s’imaginant qu’ayant créé ce pouvoir il sera capable de le réglementer. L’exploitation de ce monopole est réservée aux fils de Çadoq, ce qui consomme la séparation des lévites et des sacrificateurs, distinction qu’ignorait le Deutéronome. Les lévites, commis à l’entretien de la maison du Seigneur, ainsi que des esclaves, et rasés comme les prêtres égyptiens, seront incapables de voir la divinité.

Ézéchiel dispose entièrement de la Jérusalem nouvelle qu’il a conçue ; il répartit son rêve entre les douze tribus, comme au commencement, et sans se préoccuper des ravins ni des collines, traçant les lots par parallélogrammes équivalents.

Le dieu d’Ézéchiel, calme, impassible, se manifeste étrangement ; il est entouré d’une cour bizarre, quasi-fantastique, formée d’anges et de symboles incorporés. Son Jéhovah est un maître tantôt doux et bon, tantôt irascible et exigeant ; qui donne à chacun selon ses œuvres, et menace impitoyablement les égarés

Moi-même je veux paître mes brebis... celle qui se perdra, je la chercherai ; celle qui s’égarera, je la ramènerai ; celle qui se blessera, je la panserai ; celle qui sera malade, je la soutiendrai ; les grasses et les puissantes, je les exterminerai. Ce dieu, dominateur, exige le renversement des idoles et la soumission des rois : Maintenant, ils éloigneront de moi leur idolâtrie et les charognes de leurs rois, et moi je demeurerai au milieu d’eux à tout jamais.

En somme, Ézéchiel reprend l’ancienne tradition ; il est le descendant direct de Samuel, tout à fait Juif, despote généralement, fou quelquefois. Un grand nombre de ses prescriptions seront abandonnées, comme gênantes, et logiquement, malgré son fondateur, la caste sacerdotale se donnera, dans la personne d’un grand prêtre, le pouvoir actif que le nabi voulait éviter. Le culte réglementé par Ézéchiel persistera, malgré ses détails souvent ridicules, avec ses holocaustes, ses offrandes et ses revenus ; et ses successeurs consolideront cette richesse en instituant l’obligation des dîmes, en admettant le rachat des redevances en valeur d’argent, que le prophète n’avait pas absolument établies. La part de chacun sera fixée : tant pour le prêtre, tant pour le lévite, tant pour le chantre.

L’audace, la véhémence et le mauvais goût d’Ézéchiel prouvent son isolement. Sa pensée, brutale, s’obscurcit de formules hâtives, brèves, inachevées, ou va se perdre, jusqu’à l’ennui, dans le gris d’une phraséologie banale ; mais à chaque instant, une image heureuse, éclatante, un tour nouveau, viennent secouer l’attention, laissant dans l’esprit comme la traînée d’un coup de fouet. Ézéchiel veut être écouté, et rien ne le rebute ; il sera ridicule, ou même indécent s’il le faut, pour se faire entendre, et sa rhétorique nous a laissé des merveilles d’imprévu, des chefs-d’œuvre de composition.

On ne saurait être plus Hébreu, plus Asiatique, plus juif qu’Ézéchiel ne l’a été ; et cependant l’air léger de l’Iran l’a caressé, l’a assaini. Il défend à ses prêtres de manger de la viande impure, de toucher aux cadavres, de s’enivrer de vin ; il leur ordonne de couper leurs cheveux, de n’épouser que des vierges ou des veuves de prêtres ; il semble répudier la consécration à l’huile et au sang des premiers sacrificateurs, et il institue la purification par l’eau ; il énumère les cas de souillure devant l’autel et sur le champ ensemencé. Sa réforme détraquait le vieux code mosaïque, et il le disait : Ainsi leur donnai-je des préceptes qui n’étaient pas bons, avoue l’Éternel par la voix d’Ézéchiel, et des commandements qui n’assuraient point leur vie. Il conserve la peine du talion, atroce, mais il emprunte à Zoroastre, avec la grande morale iranienne, la confession des péchés menant à l’absolution, le respect des feux épurants et la responsabilité personnelle : — C’est la personne coupable qui mourra. Celui qui est juste, qui pratique le droit et la justice, qui ne prend pas part aux banquets sur les hauteurs, qui ne dirige point ses regards vers les idoles de la maison d’Israël, qui ne déshonore point la femme de son prochain, qui ne touche point à une femme dans son impureté, qui ne fait de tort à personne ; qui rend son gage au débiteur, qui ne commet point de spoliation, qui donne son pain à celui qui a faim et des vêtements à celui qui est nu, qui ne prête pas à usure et ne prend pas d’intérêt, qui s’abstient de toute injustice, qui décide selon la vérité dans un procès entre deux hommes, qui sait mes commandements et observe mes lois fidèlement, celui-là est juste et il restera en vie, parole du Seigneur, l’Éternel.

La morale judaïque n’envisageait encore, comme but, que les jouissances immédiates. La bénédiction du Seigneur tombait sur les biens matériels de l’homme juste, comme une garantie. La grande, suprême et presque unique récompense, c’était l’enrichissement par lequel le juif espérait dominer et exploiter le monde : L’Éternel vous ouvrira ses greniers d’abondance... afin que vous puissiez prêter à beaucoup de peuples, sans avoir besoin d’emprunter vous-mêmes. La punition, par conséquent, c’était la ruine : — Vous serez maudits à la ville, vous serez maudits à la campagne ; maudit sera votre panier et votre pétrin ; maudit sera le fruit de vos entrailles et le fruit de vos champs ; vos vaches et vos brebis seront stériles ; vous serez maudits dans toutes vos entreprises. La malédiction définitive, épouvantable, c’était la menace de l’enrichissement d’autrui : Les étrangers deviendront vos créanciers, et vous ne serez pas les leurs !

Ézéchiel, que le voisinage des Touraniens de Ninive a éclairé sur ce point, redoute l’insuffisance de ces promesses et de ces menaces, et c’est alors qu’il annonce la résurrection des corps. Tout Israël reviendra de la mort : — Et le souffle entra en eux, et ils revinrent à la vie, et ils se dressèrent sur leurs pieds, une grande, grande multitude. L’incertitude de l’au-delà sera l’arme principale.

Les prêtres ont le dépôt de la loi d’Ézéchiel, et il n’est pas permis de ne pas exécuter leurs ordres : Celui qui aura la présomption de ne point obéir au prêtre, doit mourir. — Il n’y aura de guerre fructueuse qu’à la condition de l’intervention du prêtre, puisque les officiers ne pourront parler au peuple armé qu’avec l’assentiment du sacrificateur. Cependant, la domination d’Israël ne reposera pas, désormais, sur la seule vaillance des guerriers ; la richesse du peuple de Dieu concourra grandement à son importance dans le monde : L’Éternel vous bénira, comme il vous l’a promis, et vous ferez des prêts à beaucoup de peuples, sans avoir besoin d’emprunter vous-mêmes, et vous dominerez sur beaucoup de peuples, et ils ne domineront point sur vous.

Évolution grave, le code nouveau tend à diminuer l’autorité du père de famille en affirmant le droit d’aînesse. Il importe, en effet, qu’Israël s’enrichisse et que, d’autre part, il augmente en nombre ; c’est pourquoi les fils des Édomites et des Égyptiens seront considérés comme des Israélites à la troisième génération, et il est ordonné de protéger spécialement les esclaves. Les eunuques, seuls, demeurent impitoyablement exclus de la communauté de l’Éternel.

A titre d’encouragement, il est écrit que tout Juif se mariant sera dispensé d’aller en guerre pendant une année et qu’il ne payera pas d’impôt.

Comme conséquence de cette nouvelle législation, la femme, jusqu’alors méprisée, devient un sujet de préoccupation. De bizarres pratiques admettent à l’épreuve la femme soupçonnée d’adultère, et la virginité prend l’importance qu’elle n’avait jamais eue. Attenter injustement à la réputation d’une vierge, ce fut mériter la peine de mort par lapidation.

Dans sa retraite, Ézéchiel avait voulu refaire Jérusalem en épurant la loi mosaïque, mais sans trop innover. Le nabi véhément, remontant aux traditions de Samuel, prétendait à un pur recommencement. Son œuvre fut vaine en ceci.

Le grand nabi de la captivité, Isaïe II, autrement révolutionnaire, intervient avec moins de réflexion sans doute, mais avec une conception de la grandeur d’Israël bien autrement efficace. Il ne se préoccupe guère du chef, du prêtre, du dieu ; ce qui lui importe, c’est qu’il y ait une nation compacte, riche, étendant son effective domination sur les autres peuples. Escomptant le succès qu’il désire, pour le mieux formuler, le revenu de l’Égypte et le profit d’Éthiopie, dit-il, et les Sabéens à la haute taille, ils passeront à toi, Israël, ils t’appartiendront.

Deux idées dominaient les vues patriotiques d’Isaïe II ; il entendait relever Israël par l’ascendant du vrai, le faire fort par la solidarité nationale. A ceux qui tremblaient, se souvenant des dernières hontes, le prophète criait : N’aie pas peur, vermisseau de Jacob ! et il annonçait le jour où l’on verrait les jeunes gens s’élancer au vol comme des aigles.

Isaïe cependant ne veut rien hâter ; son admirable patience prouve sa foi robuste : — Il n’élève point la voix, il ne se fait pas entendre dans la rue, il ne brise pas le roseau froissé ; le lumignon fumant, il ne l’éteint point. — Il sait la faiblesse de Babel et la force des Perses par lesquels Babel succombera. Le courroux de l’Éternel viendra avec Cyrus ; il passera sur Babylone, et le « peuple d’Israël » sera glorifié. Le grand calme du nabi contraste avec la rigueur de son plan et les formules de sa prédication.

Le langage d’Isaïe II est asiatique assurément, sa littérature ne diffère pas beaucoup de la littérature ordinaire des nabis, le jeu des assonances et des répétitions lui est particulièrement familier ; mais les images qu’il emploie, comme les idées qu’il ,exprime, n’ont rien du juif. Isaïe II est un Aryen observateur, logique, actif et sobre. Il dénonce les faiblesses des autres nabis, des mauvais gardiens du troupeau d’Israël, qui sont aveugles, chiens muets, incapables d’aboyer, qui vivent, s’étendent, aiment à sommeiller ; chiens gloutons et insatiables...

Considérablement attentif, Isaïe veille dans sa foi. Sa Jérusalem nouvelle sera splendide, mais il ne s’attarde pas à la décrire avec minutie, à tirer ses rues futures au cordeau, à dessiner les compartiments du temple. Une ample poésie, dont l’exagération exclut aussitôt l’intention pratique, chante l’immense joie de l’avenir, va droit aux imaginations, les secouant : Jérusalem, je te fonderai sur des saphirs, je te ferai des créneaux de rubis et des portes d’escarboucles, et toute une enceinte de pierres précieuses. Et tous les enfants seront instruits par l’Éternel, et grand sera le bonheur de tes fils. Les visions matérielles d’Ézéchiel sont dépassées. Il ne s’agit plus de promesses discutables ; cette poésie ne trompe personne, elle n’excite aucun sourire d’incrédulité, la conclusion en est d’une réjouissante précision : Et je ferai manger à tes oppresseurs leur propre chair ; de leur sang ils s’enivreront comme de vin doux. La Jérusalem d’Isaïe II s’enrichira par le commerce et le trafic. Les vaisseaux de Tharsis, innombrables comme des pigeons venant au colombier, apporteront l’or et l’argent de l’étranger ; les longues caravanes formées de jeunes chameaux de Midyan et d’Éfah, viendront chargées d’encens ; aux alentours de la ville paîtront les bétails magnifiques de Qédar et les béliers de Nebayot.

La Jérusalem ancienne, perdue, ne pouvait vivre ; elle avait été trop vite faite : Un pays naît-il en un jour ? Un peuple est-il enfanté d’un seul coup ?Sion à peine en travail a mis au monde ses enfants... Elle a enfanté avant que la douleur lui vînt. La Jérusalem nouvelle, parée, joyeuse, sera comme une fiancée nubile donnée à son époux au temps voulu. Jéhovah, dont le trône est au-dessus des étoiles, qui ne se mêle pas aux turpitudes, viendra siéger, de temps en temps, prés de la ville sainte, sur la montagne de réunion, au nord. C’est le mont Mérou de l’Aryavarta, l’Albordj de Zoroastre, presque l’Olympe grec.

Le dieu d’Isaïe s’est apaisé ; on n’entend plus ses querelles, on ne ressent plus son courroux. Très bon, Jéhovah aime Israël et il le guérit ; c’est l’Ormuzd consolateur de l’Iran, qui a pardonné les fautes de son peuple, parce que son peuple les a expiées : Je fais disparaître tes péchés comme, un nuage, tes méfaits comme un brouillard. Reviens à moi, car je te rachète». Protecteur des petits, ce Jéhovah est l’ennemi des puissants que sa tempête « emporte comme de la paille ; et de la même façon que l’Indra des Aryens du Pendjah, il vient au secours des hommes en héros... en vainqueur menant son armée d’étoiles... Sa victoire bouleverse la terre, et les impies rougissent de honte en le voyant victorieux, unique : Avant moi, dit-il, aucun dieu n’a existé, et après moi il n’y en aura pas d’autre... C’est moi qui ai prédit, sauvé et instruit. Et voici comment Isaïe II le fait parler : Ne pensez plus aux choses passées, ne songez plus aux histoires d’autrefois. Voyez, je vais faire du nouveau. Ce qui est nouveau, vraiment, c’est que le Jéhovah terrible est devenu le dieu véridique et sauveur des Aryas et des Iraniens, père adorable, excessivement bon : Portés sur les bras, caressés sur les genoux, comme quelqu’un qu’une mère console, ainsi je vous consolerai, et c’est à Jérusalem que vous serez consolés.

Pour ce dieu pleinement aryen, Isaïe ne voit nécessairement pas l’utilité d’un temple : Le ciel est son trône et la terre son marchepied. Le culte sanglant des premiers codes, le prophète en a peur ; avec quelle sûreté, avec quelle logique aryenne il en dit la conséquence inévitable : — On immole un bœuf, on tuera un homme ; on sacrifie une brebis, on égorgera un chien ; on consacre de l’encens, on saluera une idole. Le respect du droit et l’accomplissement de la justice, voilà tout le culte : Je te donnerai pour magistrat la paix, et pour gouverneur la justice.

L’Éternel d’Isaïe c’est le Temps sans bornes de Zoroastre, aimant toute l’humanité. Il n’y a pas d’étranger pour ce dieu vaste, qui reçoit l’eunuque même dans le sein de la nature. — La maison de Jéhovah est ouverte à tous les êtres ; le jour de son triomphe verra les nations assemblées se réjouir : Et Jéhovah-Çebaôt prépare à tous les peuples, sur cette montagne, un festin de mets gras, un festin de vins vieux ; de mets gras et moelleux, de vins vieux et clarifiés.

Isaïe II, aryen excellent, combat l’œuvre asiatique d’Ézéchiel ; et il entonne le cantique de la délivrance, joyeusement, pendant que les autres prophètes, énervant le peuple, se lamentent aux bords des fossés. Les idoles de Babel, le nabi complaisant les attaque avec sa moquerie, signalant le mutisme et l’incapacité des divinités sorties des mains des orfèvres.

La lutte entre Ézéchiel et Isaïe II devint aiguë. Ce n’est pas que les deux voyants se soient montrés publiquement aux prises ; mais la Jérusalem nouvelle d’Isaïe, toute à tous, déplaisait aux prêtres qu’Ézéchiel avait favorisés et qui, sournoisement, refaisaient pour eux le Pentateuque. Une opposition, sourde d’abord, se manifesta. Il ne serait pas improbable qu’à ce moment les prêtres chaldéens et les prêtres juifs se fussent unis pour combattre Isaïe. Ce dernier, en effet, accuse les prêtres de s’être ligués contre lui avec les étrangers ; et les accablant On vous appellera ministres de notre Dieu, leur dit-il, et vous vous pavanerez dans sa splendeur ! ... engeance issue de l’adultère et de la prostitution.

Dans les rues de Babylone, le prophète est poursuivi, outragé ; il brave les insultes, parlant haut, sa bouche étant devenue pareille à une épée tranchante. Se dévouant à son œuvre, il en précipitait le succès : Cherchez l’Éternel pendant qu’il se laisse trouver, s’écriait-il, invoquez-le tandis qu’il est proche. Et il annonce hardiment, bientôt, le retour à Jérusalem. Alors l’exaltation d’Isaïe fut impérieuse. La résurrection des morts, prévue par Ézéchiel, devint dans la bouche du nabi une immédiate réalité : Puissent les morts revivre ! Puissent les cadavres ressusciter ! Réveillez-vous, poussez des cris de joie, vous qui demeurez dans la poussière. Que ta rosée soit une rosée de l’aurore, et que la terre enfante de nouveau ses ombres !

Les jeûnes commémoratifs s’étaient multipliés et le peuple de Dieu s’en trouvait affaibli ; comme Zoroastre, et presque dans les mêmes termes, Isaïe s’élève contre cette dévotion absurde : C’est pour vos querelles et vos disputes que vous jeûnez... Voici le jeûne que j’aime : c’est de rompre les chaînes de l’injustice, de dénoncer les liens de l’oppresseur. Sa parole, lumineuse, combattait l’obscurité sacerdotale, dissipait les ténèbres, montrait le vrai, simplement. La bonne foi, la loyauté, voilà ce qui doit remplacer le mensonge, l’hypocrisie. Zoroastre n’avait pas dit autre chose aux Iraniens.

Allant enfin jusqu’à l’extrême de sa prédication, pressé par la malveillance, obligé d’achever son œuvre rapidement, Isaïe Il annonce le sauveur promis, le messie attendu, le guerrier réel, qui va venir, qui vient, qui marche sur Babylone pour briser ce marteau du monde entier, pour châtier, pour détruire la ville insolente. Le messie, l’oint du Seigneur, l’exécuteur des desseins de Jéhovah qu’Isaïe appelle, c’est le Christos des Grecs, c’est le roi des Perses : Cyrus.