Athènes (de 480 à 336 av. J.-C.)

 

CHAPITRE VIII (suite)

 

 

La statuaire. - Phidias, Lysippe et Praxitèle. - Mythes et divinités. - Héros divinisés. - Le culte du Beau. - Figurines de Rhodes, Chypre, Tanagra, Thèbes, Corinthe et Myrina. - Trafics : Étoffes teintes et brodées, tapisseries, armes, ivoires, verreries, orfèvreries, bijoux. - Gravure. - Les vases corinthiens, étrusques, chypriotes et helléniques. - L’art grec.

 

TOMBÉ sous l’ingratitude des Athéniens après avoir terminé le Parthénon, Phidias s’en fut avec ses disciples, avec son école, terminer le temple de Jupiter à Olympie. C’est alors que l’on put juger de la double influence, détestable sur l’art, des prétentions populaires à Athènes et des goûts provinciaux hors de la Cité de Pallas : La Victoire de Pœnios n’est qu’une de ces jeunes et robustes Lacédémoniennes, au ventre proéminent, aux cuisses épaisses, qui se disputaient publiquement le prix de la course dans les plaines d’Olympie ; l’Hermès de Praxitèle, aux yeux profondément creusés, n’est qu’un lutteur.

Le Thésée du Parthénon et le Combattant du Louvre, déjà, étaient des athlètes idéalisés, des marbres résumant le Grec tel que l’éducation grecque le faisait. A Athènes, au contact du génie attique, le génie aryen avait sculpté la synthèse parfaite de la forme humaine divinisée ; loin d’Athènes, abandonnés, ou trop libres, les artistes en arrivaient à tailler le marbre bruyamment, comme pour attirer l’attention, et ils donnaient des œuvres puissantes, certes, mais parfois grossières.

Disposant de peu de surfaces, — l’architecture monumentale des Hellènes étant de proportions restreintes, — les sculpteurs, gênés, accentuant leurs pensées, enchevêtraient les sujets de leurs bas-reliefs. Le statuaire seul, lorsqu’on ne lui imposait pas les matières à ouvrer, était indépendant.

La Statuaire fut la manifestation principale du génie hellénique. Milet, à Branchides, avait l’avenue de son temple d’Apollon bordée de statues de femmes assises, frustes. Rhodes, Théra, Mélos, Corinthe, fréquentées par les Phéniciens, recevaient comme une marchandise des sculptures sans attrait. Les Apollons égypto-assyriens de Ténée, de Mégare, d’Argos, d’Orchomène, archaïques, étaient des œuvres barbares. Les colosses d’Assyrie étaient monstrueux ; les statues de bois des Égyptiens, qui exprimaient si bien la vie, — après m’avoir conduit dans une vaste salle intérieure, racontait Hérodote, les prêtres d’Égypte comptèrent, en me les montrant, de grandes statues de bois, car chaque grand-prêtre, de son vivant, place là son image, — eurent de l’influence sur les sculpteurs grecs.

L’influence de l’Égypte sur la statuaire hellénique, au double point de vue de l’art et de l’utilisation, était reconnue. Diodore, plus tard, démontra que le canon grec venait des bords du Nil, en rappelant que deux sculpteurs, Téléclés et Théodore fils de Rhœcus, l’un à Samos, l’autre à Éphèse, avaient sculpté chacun une moitié de la statue d’Apollon d’après le canon d’Égypte, et que les deux moitiés, terminées, rapprochées, réunies, s’ajustèrent en perfection. Ce n’est assurément pas d’Assyrie, où les sculpteurs maladroits n’osaient faire que des ébauches, tant leur ignorance des proportions idéales du corps humain était complète, que les Hellènes eussent pu recevoir des leçons, et encore moins de Phénicie, où les divinités représentées n’étaient restées que d’énormes pierres coniques, d’un symbolisme obscène. L’Égypte, par ses statues de bois, vivantes, et ses sculptures, d’un si pur relief, multipliées sur les hauts murs plats de ses temples, avait fourni les preuves de la matière animable, les modèles d’un dessin fini, sublime.

Les statues du premier Parthénon ravagé par les Perses, qui avaient été enterrées les genoux rompus, œuvre du type éginétique, aux joues arrondies, accusées, au menton fort, aux lèvres épaisses très près du nez, au sourire calme, un peu railleur, sont bien égyptiennes. La Diane de Délos, la Vénus de Chypre, la Pallas de l’antique acropole étaient de ce type également, quasi ; fixé. Il fallut Phidias, Lysippe et Praxitèle pour créer le Jupiter, l’Hercule, le Mercure et la Vénus helléniques. Les modèles dont ils furent inspirés, ils les eurent devant les yeux, continuellement, aux jeux, aux luttes, aux danses, aux gymnases, dans les rues de Sparte surtout où l’impudeur septentrionale s’étalait.

En Attique, le nu devint un culte, eut sa religiosité admirative, tendre ; et comme cette fête de beauté, vécue, ne durait qu’un instant, la statuaire vint du désir qu’eurent les fidèles, tous, de fixer l’émotion ressentie pour en jouir éternellement. — Ayant saisi son péplos, dit de Polyxène le Talthybios d’Euripide, elle le déchira du haut de l’épaule au ventre, jusqu’au nombril, et montra ses mamelles et sa poitrine, très belles comme celles d’une statue.

La statue glorifiait donc l’être humain en exaltant la beauté de la forme humaine ; et la statuaire devint nationale, patriotique, par la glorification des grands hommes ; œuvre d’art, par l’esthétique des exécutions et les placements ornementatifs ; révolutionnaire, parle choix des sujets, par sa condescendance aux vœux populaires, par l’importance de son attribution : C’est à toi d’ériger une statue à Zeus en signe de trophée et de donner ainsi une grande gloire à Argos.

Les dieux pélasgiques, sans noms, ordonnateurs des choses, les maintenaient dans leurs lois. Cette formule ne pouvait pas s’exprimer en sculpture. Les mythes divers importés en Grèce et racontés par la littérature, vaguement dessinés d’abord, reçurent vite cette délimitation précise, ce dessin sans lequel l’œil aryen ne voit pas. L’Apollon barbu de Citium, — Reshef, le dieu Raspu des Égyptiens, — prépara le faune-chèvre ; l’Isis à cornes de vache fut Io ; Minerve dut renoncer à sa tête de chouette pour devenir Pallas-Athénée... Les Aryens prenaient les divinités monstrueuses et les idéalisaient ; les animaux symboliques ne furent conservés qu’à titre de souvenirs documentaires : les grues de Pythagore, les chouettes de l’Acropole, au cri doucement mélancolique, l’aigle de Zeus, les corbeaux d’Apollon, la couleuvre d’Asclépiade et les thons de Cyzique, les tortues d’Égine, les coucous d’Argos, etc...

Ainsi dégagée, épurée, humanisée, la statuaire mythique conserva son caractère religieux ; mais la superstition ne résista pas à ce travail ramenant les divinités aux formes humaines. Lorsque Borée fut célébré pour avoir soufflé de la tempête sur la flotte de Xerxès, les Athéniens déjà ne témoignèrent leur gratitude qu’avec une pointe de scepticisme. Et puis les croyants se ridiculisaient en venant, solennels, laver, habiller et soigner la personne divine, visiblement de marbre, ou de bois, ou de bronze, ou d’ivoire, ou d’or. Le génie aryen ne retenait plus sa moquerie. L’Indra des hymnes védiques, ivre, parcourant l’espace, oiseau énorme, l’aile pendante, tourne au Silène : Ton père, sans force et altéré de vin, comme un oiseau englué, hésite, pris par l’aile à la coupe.

Jupiter n’aura de statue triomphale que s’il est victorieux. Cécrops et Thésée, héros vainqueurs, ont des statues semblables à celles des dieux. Jérémie parle exactement des statues de dieux à forme humaine, telles que les Grecs en ornaient leurs temples et leurs places publiques. Déméter et Cora, réunies, se serrant l’une contre l’autre, ne sont qu’une Mère et une Fille longtemps séparées et se retrouvant. Après les dieux et les héros, on adora les hommes, et jusqu’aux lutteurs, quand ils étaient beaux : Philippe, fils de Butacide, citoyen de Crotone, dit Hérodote, avait été vainqueur aux jeux olympiques, et c’était le plus beau des Grecs de son temps. A cause de cette beauté, il obtint des Égestéens ce qu’ils ne firent pour aucun autre ; ils érigèrent sur sa fosse le monument que l’on consacre aux héros, et ils cherchent encore par des offrandes à se le rendre propice.

Ce culte, cette recherche de la Beauté, cette sculpture exprimant le Beau, firent l’Art grec, simple, vrai, majestueux, idéal. La beauté du corps humain, définie, était devenue le divin même. La laideur était odieuse. La vue d’un cadavre défiguré, enlaidi, ajoutait à la douleur de ceux qui pleuraient : Elles mourraient, dit le Thésée d’Euripide, parlant des guerriers tués, si elles les voyaient défigurés. C’est un spectacle affreux que celui des cadavres aussitôt après leur mort. Pourquoi veux-tu ajouter à leur douleur ?...

La beauté du corps humain n’était pas seulement une forme adorable, donnée ; elle devint pour les Athéniens une consécration de la pureté, de la bonté, une preuve, sinon une récompense : La beauté de ton corps, dit l’Ion d’Euripide à Créuse, révèle la noblesse de tes mœurs, ô femme, qui que tu sois. — Ce qui est beau, chante le chœur des Bacchantes, est toujours bon. Et les sculpteurs grecs exprimaient la pureté, la bonté, la beauté, la vertu, la tranquillité d’âme, par les lignes pures, amples et harmoniques de la statuaire.

C’est pourquoi les fabricants de statuettes, dont la liberté d’imagination était sans frein, qui reproduisaient, avec tous les types, toutes les scènes de la vie divine et de la vie humaine, apportaient la même délicatesse de travail, le même sentiment de la grâce et du beau à l’exécution des divinités et des hommes qu’ils faisaient en quantités innombrables. Des habitants de Rhodes, dont les figurines étaient célèbres, Pindare dit : La déesse leur donne pour jamais l’empire des Arts entre tous les mortels. Elle-même façonne leurs mains industrieuses aux plus savants ouvrages. Rhodes, toute à son commerce, trafiquait de ces figurines dont les têtes étaient grecques toujours, bien que coiffées à l’égyptienne et costumées à l’asiatique, comme les poupées articulées qui se vendaient en Assyrie, aux portes des temples, auprès des tombes. Ces terres cuites sont un monde, une civilisation, un art.

Chypre, déjà plus grecque, essaie de se défaire du goût asiatique, efféminé, adoptant le type éginétique, avec ses yeux trop souriants, obliques, repoussant le type phénicien, grossier, au rire stupide et définitif.

Les Béotiens intervinrent mollement, mais avec une grâce, une élégance, un charme, qui ont fait dire à Sophocle : La Thèbes aux sept portes est le seul endroit où les mortelles enfantent des dieux. Thèbes, en effet, nous a laissé des œuvres où l’artiste, harmonisant avec sévérité les attitudes de ses figurines, leur donne l’effet sculptural, de grand style.

Tanagra, — où les Phéniciens de Cadmus étaient venus, à la recherche d’un art familier, lucratif, moulant les corps et ne sculptant que les têtes, — modelait avec un esprit délicieux, dans la fine argile de ses vignobles, toute la vie hellénique, depuis le boulanger vrai enfournant ses pains, jusqu’au symbolique fondateur de colonie maritime, campé sur le dauphin dont il se sert comme de monture. Les négligences de l’ouvrier y sont un imprévu charmant, que rachète un tour de main d’une habileté extraordinaire ; l’intensité de vie, étonnante, y corrige la gracilité mièvre des formes, la disproportion fautive des lignes, le choix souvent triste des sujets.

Des colorations douces : le rose, le bleu pâle, le lilas, rarement le vermillon ; des traits au pinceau, artifice accentuant le dessin ; du rouge aux lèvres, des épingles d’or dans les cheveux, des pendeloques ; les esclaves figurés avec une intention de mépris ; des bourgeois toujours saisis dans l’accomplissement d’un acte banal, quelconque, presque ridicule ; pas un Citoyen ; la vieillesse moquée ; les amuseurs publics et les courtisanes, sujets préférés ; des grotesques de toutes sortes, parfois obscènes ; des prêtres ivres ; la vie publique toute plaisantée : en somme, l’Hellénie se riant des Hellènes. Et cette intention est manifeste, puisqu’en dehors de la vie publique, des tristesses sociales, le sculpteur de Tanagra sait parfaitement dire, et avec quelle légèreté ! avec quelle fraîcheur ! les jeux d’une enfance saine, en pleine gaieté ; les alanguissements des éphèbes surveillés ; la délicieuse candeur des vierges jouant aux osselets, cueillant des fleurs, nourrissant des colombes.

Corinthe, qui s’essaya dans l’art des figurines, ne sut trouver que des modèles disgracieux, alourdis, aux chairs grasses.

Les cités de l’Asie-Mineure en général ne donnèrent que des statuettes aux lignes exagérées, surchargées de draperies, invraisemblables ; sauf Myrina, près de Smyrne, en face de Lesbos, dont les artistes, évidemment, s’inspiraient des œuvres maîtresses des grands sculpteurs : ils eurent les moules de Tanagra comme but de fabrication, mais les statues des grands sculpteurs comme modèles, marquant leur préférence pour les sujets mythologiques, tenant leur fantaisie flottante entre la réalité et le réel, lorsqu’ils représentaient un acte de la vie humaine. Leurs vérités furent respectueuses et leur fougue suffisamment retenue ; la hardiesse des poses et la rapidité des mouvements, près de l’audace, s’y harmonise avec des draperies d’ornementation justifiant l’excès ; le sensualisme asiatique, inévitable, s’y trouve atténué par un sens classique énergiquement éprouvé ; l’influence de Pergame, c’est-à-dire la recherche des compositions démesurées, compliquées, s’y modère au contact d’un goût attique très délicat, d’une extrême sensibilité, s’effrayant du trop.

Les figurines de Rhodes, de Chypre, de Thèbes, de Corinthe, de Tanagra et de Myrine résultaient du mercantilisme phénicien exploitant l’art hellénique ; les artistes, inconscients, s’amusaient à ce labeur dissolvant. Les statuettes de toutes matières étaient l’objet d’un très grand trafic. On en plaçait des quantités dans les tombes, pour rappeler aux morts les aspects souriants de la vie ; on s’en servait comme de simulacres : Les pauvres parmi le peuple, dit Hérodote, à cause de leur dénuement, pétrissent des porcs en pâte, les font cuire et les sacrifient ; on en remplissait les temples à titre d’ex-voto. On en envoyait, de ces statuettes, en présents, aux hôtes dont on avait joui de l’hospitalité

Ceux qui, par leurs fonctions ou leurs services, ou leur notoriété, attendaient de leur clientèle ou de leurs amis des présents, les voulaient de prix ; les prêtres exigeaient de riches offrandes. La vanité réclamant de l’ostentation, les courtiers de Phénicie, partout répandus, qui infestaient l’Hellénie, abusaient des artistes, excellaient à commander et à fournir des objets qui satisfaisaient, à la fois, l’avarice du donateur et l’orgueil sot, ou la cupidité inintelligente des donataires : Ils les conduisirent au temple d’Aphrodite à Érix, raconte Thucydide, et ils étalèrent devant eux les offrandes, c’est-à-dire des vases, des aiguières, des cassolettes et une grande quantité d’autres objets d’une valeur médiocre en réalité, mais qui, étant d’argent, paraissaient à la vue d’un prix bien supérieur.

Les figurines étaient comme la menue monnaie d’un grand art devenu inaccessible aux fortunes normales ; les Phéniciens, intermédiaires actifs, les achetaient, les accaparaient et les revendaient avec les étoffes, les bijoux et les parfums dont ils avaient le monopole. Les industries, d’ailleurs, ne pouvaient plus se passer d’art ; le luxe athénien ne se contentait plus que de merveilles.

Les deux pourpres de Phénicie servaient à teindre richement les étoffes de laine, de lin, de coton et de soie que les femmes tissaient et brodaient. Des tapisseries persanes, véritables tableaux, ornaient les demeures et les temples, avec des sujets fantastiques, des personnages composés, des hommes demi bêtes et des théories d’animaux inconnus. Ces tapisseries de grande valeur, très appréciées, le bronze, le fer, des armes, des vases, des ivoires, des verreries et des bijoux s’échangeaient sur les marchés de l’Hellénie, de l’Espagne, de la Gaule, en Germanie, en Italie, en Libye et jusqu’aux îles Britanniques, contre des métaux, des bois, des ambres, des grains et des tissus. Les ornements et les représentations de scènes, peints, brodés ou ciselés, devenaient un moyen d’éducation universelle.

Les ouvriers, c’est-à-dire les artistes, traduisaient sur le métal ou la terre cuite, — boucliers, armures, coupes, vases, orfèvreries, — les pages descriptives d’Homère, les actes mythologiques consacrés, réalisant les fables en même temps qu’ils idéalisaient le vrai. Le bouclier d’Hercule imaginé par Hésiode, admirable à voir, environné de gypse et d’ivoire blanc, éclatant d’ambre et d’or et enlacé de cercles bleus, — les fondeurs, les émailleurs, les ciseleurs l’exécutaient maintenant.

Les pierres précieuses, travaillées, concouraient à l’éclat des œuvres d’art, obligeant l’artiste à ramener sa pensée aux dimensions nécessairement restreintes de la matière à ouvrer. Les pierres gravées, les ivoires délicatement fouillés, les orfèvreries phéniciennes, qui s’étaient tenues jusqu’alors dans l’impuissance d’un continuel recommencement, s’animèrent de l’esprit aryen, inépuisable. Puis, retenu dans l’étroitesse du cadre imposé, comme si la limite même du possible le stimulait, l’artiste voulut, par le dessin et l’exécution, exprimer les plus grandes idées sur un vase aux lignes fuyantes, sur une coupe creuse, sur un bijou, sur un cachet, sur un rien. Et ce furent, menus objets, de purs chefs-d’œuvre, très grands.

Les vases d’airain forgés au marteau, bien lourds, et les vases de verre de Phénicie, faits au moyen de baguettes d’émail juxtaposées, multicolores, recuites au feu du moufle, très fragiles, ne suffisaient ni à l’ardeur des artistes ni au zèle des acheteurs. L’art de la céramique, répondant aux besoins nouveaux, fut en Hellénie l’art industriel par excellence. Les vases grecs se multiplièrent en même temps que les statuettes, répondant à un désir identique : Les poteries se retrouvent avec les figurines dans les mêmes tombeaux.

Le vase sacré de Dodone, au col allongé, qui figurait dans le cérémonial précédant le repas, est le type : des cercles peints au ventre, des yeux à la droite et à la gauche du coup de pouce formant bec ou nez, et plus bas, deux pastillages marquant les seins ; un buste, une demi statue. D’autres vases, aussi archaïques, ornés de chevrons, de lignes courbes, de cercles, de losanges, d’enroulements symétriques ou postes, rattachent Dodone à Mycènes. Les Phéniciens exportaient de ces vases jusqu’au rivage de la Baltique ; ils les troquaient, aux îles Sorlingues, contre de l’étain.

Les broderies assyriennes donnèrent aux céramistes l’idée de mélanger aux décorations simples des vases primitifs, des images, des figures, des processions d’hommes et d’animaux, des enguirlandements de fleurs. Rhodes, d’abord, combina le décor asiatique nouveau et l’ornement géométrique ancien ; des bêtes invraisemblables et des divinités fantastiques illustrèrent les œuvres de ses potiers. Les Corinthiens, les Étrusques et les Chypriotes, aimant l’excessif, substituèrent les sujets aux ornements, rompant ainsi avec la tradition aryenne. Les Grecs subirent ce goût faussé, cet illogisme, mais l’ennoblirent en exigeant des sujets dignes d’eux : scènes divines et humaines se rattachant à l’histoire de l’Hellénie et utilisées au point de vue national par des inscriptions. La céramique peinte était une littérature : l’Hellène y voyait son histoire, origines et destinées.

Acceptant toutes les leçons, on pourrait dire : adoptant toutes les erreurs pour en dégager l’intention saine, en modérer ensuite l’expression, les artistes de l’Hellénie devenaient aussitôt les maîtres de ceux qui leur apportaient les notions des choses. Ayant appris des Lydiens de Sardes, — de Glaucos, de Rhœcos et de Théodoros, — l’art de manier, souder et fondre le cuivre, l’étain et le fer, les Mermnades durent s’adresser aux élèves grecs pour exécuter les cratères d’or et les vases asiatiques destinés au sanctuaire delphien. Absolument libre, d’une ingéniosité toujours en éveil, l’artiste grec était apte à s’approprier instantanément le faire de toutes les écoles, mais pour le transformer, sans tomber jamais dans l’uniformité paresseuse. Le goût aryen du parallélisme, inné, amalgamait si bien les impressions diverses, qu’il en résultait une originalité ; tandis que ramenant tout aux proportions humaines, rien d’exagéré ne sortait des mains des artistes grecs. La mesure, dira Platon, résumant bien cette marque de race, est le milieu entre l’excès et le manque. — Si le mot de modération, dit Euripide, est excellent à prononcer, il est bien meilleur pour le mortel d’en faire usage, et les choses qui passent la mesure ne leur sont d’aucune utilité. — Nous avons le goût du beau, écrit Thucydide, mais avec mesure.

Cette Mesure, ce Goût, cette Modération donnèrent à l’art athénien la noblesse aisée et franche, la libre sincérité, l’élégance sévère, la simplicité dans la grandeur. Le Beau fut de l’honnêteté, de la raison et du respect ; un idéal d’équilibre et de franchise ; une clarté. L’Égypte avait été vraie, réaliste, en tout ; l’Assyrie avait été réaliste envers les hommes et fabuleuse envers les dieux ; la Grèce, par ses architectes et ses sculpteurs, éleva le réel à la hauteur de l’idéal, introduisant avec précision juste ce qu’il faut apporter de science et de sagesse dans l’exécution matérielle d’une pensée libre. Et si le sculpteur du Parthénon ne recule pas devant l’exécution d’une scène naïve, avec quelle pureté sa main l’interprétera : L’homme qui passe sa tunique et le cheval qui chasse les mouches venant le piquer, sont des couvres de haut style, parce que Phidias sculpta comme Archimède pensa, honnêtement, sagement. — Bien que je n’aie pas été élevé dans la Hellas, dit un chœur d’Euripide, il me semble cependant que tu as parlé sagement.

La Sagesse, c’est-à-dire le sens droit des Grecs et l’heureuse aspiration vers l’harmonie qui était leur don naturel, corrigèrent toutes les imperfections apportées.

Aux Athéniens mélangés, remuants, toujours avides de nouveautés, Périclès imposa le Beau immuable, apaisant les impatiences inquiétantes et trompant les appétits dangereux, par la distraction des manifestations extérieures, par les formes de la pompe et de la magnificence publiques provoquées continuellement autour de l’Art, divinité calme, simple, une.