MÉMOIRES POUR SERVIR À L’HISTOIRE DE LA GUERRE DE 1914-1918

LA 9e ARMÉE, 29 AOÛT - 4 OCTOBRE 1914.

Chapitre IV — L’arrêt.

La 9e armée sur la Suippe. – son mouvement vers l’Aisne se heurte à de très fortes résistances, 13 et 14 septembre. – attaques méthodiques, 15 septembre. – les allemands font tête, tentatives infructueuses pour rompre leur front fortifié, 16-25 septembre. – échec d’une violente offensive ennemie, 26 septembre. – la pénurie de munitions. – fin des opérations offensives en Champagne. – le général Foch reçoit une nouvelle mission, 4 octobre.

 

 

Le 13 septembre, la 9e armée continue la poursuite pour atteindre la ligne de la Py et de la Suippe. En avant, le corps de cavalerie atteint la Suippe, vers 9 heures et trouve Suippes et Somme-Suippe encore tenus par les allemands. À 14 heures, après l’arrivée et l’entrée en action de l’avant-garde de la 22e division d’infanterie, colonne de droite de la 9e armée, comme aussi de la colonne de gauche du 21e corps de la 4e armée, Suippes et Somme-Suippe sont enlevés, et le corps de cavalerie, reprenant son mouvement vers Souain, se heurte bientôt à une nouvelle résistance établie à la lisière des bois entre la Suippe et l’Ain. Ces résistances successives et rapprochées démontrent qu’il n’y a plus de place pour l’emploi d’une masse de cavalerie devant le front de l’armée. Aussi le corps de cavalerie est-il dissous ; il mettra une brigade à la disposition de chaque corps d’armée, et tiendra le restant de la 6e division à l’est, de la 9e division à l’ouest, pour déborder les résistances et assurer la liaison avec les armées voisines. Les premières reconnaissances font bientôt connaître qu’au delà de la ligne de la Suippe, des tranchées garnissent la voie romaine sur les hauteurs nord de la rivière.

Après des combats violents du 11e corps d’armée sur la Suippe, du 9e dans la région de Prosnes et des Marquises, la 9e armée se trouve arrêtée, en fin de journée du 13, sur la ligne générale Sillery, Suippes, à hauteur des armées voisines, sans qu’il soit possible de déterminer la valeur de la résistance rencontrée, arrière-gardes ou gros ennemis. Seules, les opérations ultérieures pourront en donner la mesure. Aussi bien, le général en chef, dans son instruction du 13 septembre, prescrit-il que la poursuite sera continuée énergiquement en direction générale du nord. Il décide, en outre, que le 21e corps d’armée passera, à partir du 14 septembre, à la 9e armée, dont la zone d’action est étendue. Conformément à ces directives et en vertu des ordres que je donne, la poursuite reprend le 14, en vue d’atteindre si possible le cours de l’Aisne. Mais les tirs de barrage d’une artillerie ennemie établie ne permettent que des progrès insignifiants. En réalité les allemands sont fortement installés dans des tranchées dont la ligne est approximativement marquée par la voie romaine, Souain, Perthes-Les-Hurlus.

Il est donc certain qu’on se trouve partout en présence d’un système défensif solidement organisé. La question est de savoir si ce système défensif est destiné à abriter le gros de l’armée allemande faisant front de nouveau, ou à asseoir une résistance prolongée de ses arrière-gardes, pour lui permettre d’opérer en toute sécurité une retraite générale ou de préparer une manœuvre dans une autre région. Dans cette incertitude le général commandant en chef prescrit que :

… les 4e et 9e armées doivent refouler l’ennemi jusqu’à la Meuse et la région difficile des Ardennes s’il (l’ennemi) continue à se replier, ou le contenir s’il tentait de faire face pour porter secours à son aile droite. Ces deux armées effectueraient donc, dans l’ensemble, un mouvement de conversion vers le nord-est qui pourrait les amener sur le front Stenay, Rocroi…, la 9e armée en aval de Sedan...

Il insiste en même temps pour que l’on n’attaque pas de front les positions organisées par les arrière-gardes allemandes, mais qu’on les fasse tomber par débordement, pour que l’on ménage les forces des troupes en renforçant les avant-gardes en artillerie, ce qui permettrait aux gros des corps d’armée de marcher derrière avec plus de tranquillité et de rapidité. Enfin, il prescrit d’économiser les munitions, surtout les obus explosifs, et d’utiliser davantage l’obus à balles, dont l’efficacité, dans de nombreux cas, est supérieure à celle des obus explosifs.

Dans le but de rompre la ligne fortifiée, sur laquelle mes troupes se sont brisées la veille, je prescris de procéder, dans la journée du 15, à des attaques méthodiques, à l’enlèvement successif des points d’appui, et d’organiser avec soin le terrain conquis tout en maintenant une attitude franchement agressive. En exécution de ces ordres, le 21e corps d’armée attaque la position de Souain après une longue préparation d’artillerie de campagne. En fin de journée, il se rend maître du village, de la croupe nord-est ; plus à l’est, des bois au sud de la route Souain, Perthes-Les-Hurlus. Les autres troupes de l’armée n’ont pu progresser. Sur tout son front, aussi bien qu’aux 5e et 6e armées, on s’est heurté à des défenses très fortes, tranchées garnies de mitrailleuses et, en bien des points, protégées par des réseaux de fil de fer, nombreuse artillerie habilement masquée. Il est de toute évidence, cette fois, que l’on est en présence d’un adversaire résolu à tenir tête. Le général commandant en chef télégraphie en conséquence :

Il me semble que l’ennemi veuille accepter une nouvelle bataille sur des positions organisées au nord de l’Aisne, de la Vesle et de la Suippe, où ses arrière-gardes paraissent se renforcer. Il ne s’agit plus, par suite, d’appliquer les procédés de poursuite, mais de prendre des mesures méthodiques d’attaque avec tous nos moyens, en organisant progressivement le terrain conquis.

La poursuite a pris fin. Les journées qui vont suivre verront les tentatives faites de part et d’autre pour rompre le front adverse. Vaines tentatives, au bout desquelles le front se stabilisera pour de longs mois. Conformément aux directives du général en chef, des actions offensives, méthodiquement montées, allaient être entreprises à la 9e armée, visant à enlever à l’adversaire les points d’appui de sa résistance. Si on les exécutait promptement, on avait des chances de le trouver encore incomplètement organisé et installé, et par là d’en avoir plus facilement raison. En tout cas, notre activité agressive, maintenue de la sorte, devait le tenir sous la menace d’une attaque de rupture et lui interdire d’emporter ses réserves dans une autre région ; en outre, elle donnait au haut commandement français le temps de monter une manoeuvre dans une direction nouvelle, et de reprendre une offensive à grande portée en conservant l’initiative et la maîtrise des événements.

Il ne pouvait compter, en effet, qu’une victoire si importante soit-elle, comme celle de la Marne, suffirait à désorganiser entièrement une puissante armée comme l’armée allemande de 1914. Pour obtenir ce résultat, il faudrait sans retard répéter les coups sur l’adversaire, en profitant du trouble et de la perturbation apportés dans ses plans, et en les devançant par la vitesse dans la présentation d’événements imprévus auxquels il n’était pas encore en état de répondre. Une pareille tactique ne semblait plus praticable en Champagne, où l’arrivée des disponibilités et l’organisation d’un terrain occupé depuis quelque temps permettaient à l’ennemi une solide résistance et arrêtaient bientôt l’exploitation de notre succès. Mais notre haut commandement pouvait la reprendre et la poursuivre, en déplaçant rapidement le terrain de ses attaques, en les portant dans une région plus libre, à l’aile gauche de nos armées, et en prenant, sur ce nouveau théâtre, l’initiative d’actions que l’ascendant moral de la victoire lui permettait de pousser hardiment. C’était pour lui une affaire de temps. Il fallait l’abréger le plus possible. Pour retenir devant elle les forces adverses, la 9e armée concentrait, les 16 et 17, ses efforts en vue de s’emparer du massif de Moronvilliers, mais on se heurtait sur tout le front à des tranchées solides, dont les abords étaient battus par des batteries défilées et des batteries d’artillerie lourde placées hors de portée. Dans ces conditions, les progrès réalisés étaient à peu près nuls.

En réalité, chez l’ennemi, une organisation défensive en voie de réalisation depuis plusieurs jours présentait déjà, grâce aux moyens modernes, une résistance supérieure et à nos moyens et à nos procédés d’attaque, uniquement inspirés de la guerre de campagne du passé. Des hommes abrités dans des tranchées, chaque jour plus profondes, pouvaient défiler les effets de notre artillerie de campagne, et, quand ils se voyaient abordés par notre infanterie, dont la marche naturellement interrompait le feu de cette artillerie, ils reprenaient avec la mitrailleuse, souvent bien abritée, une lutte par les feux, dans laquelle le fusil ne pouvait ouvrir la route à notre infanterie, si brave et si manoeuvrière fût-elle. La nécessité se montrait déjà de bouleverser par un tir d’artillerie lourde les défenses profondes de la position, faites d’abris et de mitrailleuses, avant de les rendre abordables à un assaut. Nous n’avions pas encore d’artillerie lourde dans nos corps d’armée. Nous n’avions pas beaucoup de munitions de campagne. Dans le courant de l’après-midi du 17, le général en chef prescrivait que la 9e armée étendrait son front vers l’ouest, en relevant le 10e corps, droite de la 5e armée. Cette mesure avait pour but de permettre l’emploi éventuel de ce corps d’armée à la gauche du général D’Espérey, qu’une concentration de forces ennemies vers Laon semblait menacer. En compensation je recevais le 12e corps de la 4e armée.

Je donnais immédiatement les ordres en conséquence, et la journée du 18 était employée à réaliser le dispositif prescrit, malgré une forte canonnade et de puissantes attaques de l’ennemi sur deux de nos divisions.

Le 19, tandis que l’armée fait des préparatifs pour reprendre ses actions vers le nord et faire tomber le massif de Moronvilliers, elle est devancée par l’ennemi.

Dans la matinée, les allemands s’emparent de Souain que nous reprenons par une contre-attaque. Au 9e corps d’armée, une reconnaissance poussée par la division marocaine au nord des Marquises ne rencontre devant elle que de faibles fractions et parvient à progresser d’un kilomètre. Elle se heurte alors à une seconde position très solidement organisée, et, cette constatation faite, elle rentre à la nuit dans ses tranchées de départ. La 52e division de réserve a dû abandonner Bétheny rendu intenable par l’artillerie ennemie. Celle-ci continue à bombarder Reims ; la cathédrale est en flammes. Pendant ce temps, la 5e armée a subi de violentes attaques au nord et au sud de l’Aisne, et le général en chef me prescrivait de l’appuyer par tous les moyens possibles. J’ordonnais immédiatement au 11e corps d’armée :

Tout en maintenant solidement et indiscutablement son front au sud-est de Reims et devant cette ville, où il prendra une attitude agressive, le 11e corps d’armée prendra ses dispositions pour attaquer au nord-ouest de Reims à l’appui de la droite de la 5e armée… exécution la plus vive possible.

Le 11e corps d’armée prépare, en exécution de ces ordres, une attaque de trois brigades, mais il ne peut la déclencher, la zone d’action qui lui est assignée n’étant pas encore dégagée par le 10e corps. Le commandant en chef insiste de nouveau pour une stricte économie de munitions. Il ajoute que l’oubli de cette prescription pourrait conduire à une situation très grave. Le repli ennemi, constaté le 19 devant la division marocaine, m’ayant incité à tirer la situation au clair, j’ai prescrit au 9e corps d’armée de reprendre le 20, à la première heure, ses attaques en direction de Nauroy et de Beine. La division marocaine réussit à gagner mille deux cents mètres au nord des Marquises en occupant le terrain que la reconnaissance de la veille avait elle-même parcouru. Elle s’y installe et s’y maintient malgré une assez vive contre-attaque, mais elle ne peut entamer le nouveau front allemand. Les efforts tentés depuis le 16 septembre par la 9e armée, et en particulier par le 9e corps d’armée devant Moronvilliers, pour rompre le front adverse, ont montré la valeur des organisations ennemies qui nous sont opposées, et amènent à penser que l’on ne peut espérer leur rupture que d’une action en force, puissamment constituée en artillerie lourde, et visant un point vital de la défense adverse. L’étude du terrain comme la situation tactique indiquent que c’est sur le massif de Nogent L’Abbesse, Berru, que se doivent concentrer les efforts ; c’est là que l’on va tenter de porter de nouveaux coups à l’adversaire. En attendant, on travaillera à renforcer sur tout le front les organisations défensives ; on reposera et on reconstituera les troupes non employées en première ligne.

Mais, sur ces entrefaites, le commandant en chef, par message téléphoné parvenu à Châlons, le 21 à 11 h. 30, fait connaître que le 11e corps d’armée, affecté par son ordre à la 6e armée, doit être mis en marche, dès le 21 au soir, vers la région sud de Soissons. Je constitue immédiatement un nouveau groupement comprenant : la 23e division d’infanterie (du 12e corps) qui est en réserve d’armée vers Mourmelon ; une brigade de la 42e division d’infanterie ; la division marocaine ; la 52e division de réserve ; la 9e division de cavalerie. Il est placé sous le commandement du général Humbert, commandant la division marocaine, et prend le nom de corps combiné. Il doit assurer la défense du front de Reims, entre La Neuvillette et Prunay. Il préparera en outre l’attaque du massif de Berru, dont le déclenchement aura lieu à une date ultérieure.

La relève des éléments en ligne du 11e corps d’armée s’opère sans incident pendant la nuit du 21 au 22, et les dernières unités quittent la région de Reims le 22 vers 7 heures. Le 23 au matin, le corps combiné est entièrement constitué et se prépare à attaquer à l’est de Reims. Cependant, un glissement des forces allemandes vers le nord-ouest ayant été signalé sur le front de la 5e armée, celle-ci, pour s’y opposer, attaque le 23 au matin vers le nord et le nord-est. Je prescris en conséquence au général Humbert d’appuyer cette attaque par son canon, puis, vers 15 heures, d’agir avec toutes ses forces disponibles. En exécution de ce dernier ordre, la division marocaine attaque sur le front la Pompelle, bois du Désert ; ses troupes progressent lentement, puis, violemment contre-attaquées, elles doivent céder le terrain conquis. Néanmoins le but était atteint ; le général Humbert avait attiré sur lui les forces ennemies situées dans son secteur d’attaque. Les reconnaissances d’aviation confirmaient, en effet, l’entrée en ligne de troupes allemandes, signalées le matin même en position de rassemblement en face du corps combiné.

Dans les quatre journées suivantes des 24, 25, 26 et 27 septembre, la 9e armée va concentrer ses efforts en vue de conquérir le massif fortifié de Cernay-Lez-Reims, Nogent-L’Abbesse, Berru. L’opération principale, menée contre ce massif par le corps combiné, sera appuyée par les corps d’armée à sa droite. L’attaque part le 24 à 7 heures. Ce jour-là, j’installe mon poste de commandement à Verzenay. À gauche, la 52e division de réserve progresse d’environ un kilomètre en direction de Cernay-Lez-Reims. La 42e division d’infanterie s’empare du fort de La Pompelle et de la ferme d’Alger. La division marocaine gagne un peu de terrain vers le bois du Désert et au nord Des Marquises. Au centre, le 9e corps d’armée ne réussit pas à avancer. À droite, le 12e corps d’armée gagne environ cinq cents mètres en direction d’Aubérive, épine De Védegrange, tandis que le 21e corps d’armée prend pied à la cote 155 (ouest de Souain). Dans l’ensemble on a progressé et la situation, en particulier, paraît favorable devant le corps combiné. J’ordonne en conséquence, à midi, d’accentuer l’offensive et, après une soigneuse préparation d’artillerie, de reprendre l’attaque et de la poursuivre jusqu’à la nuit. J’appelle l’attention du 9e corps d’armée qui est particulièrement bien placé pour aider le corps combiné :

… en vue d’appuyer l’attaque en progrès des troupes du général Humbert, l’attaque sera reprise à 16 heures précises par l’infanterie du 9e corps d’armée (17e division d’infanterie en particulier). Le terrain conquis en fin de journée sera maintenu et fortement organisé. l’artillerie avancera des batteries sur la première ligne.

Mais, dans l’après-midi, l’ennemi tient tête partout, et les progrès de nos troupes, se heurtant à des tranchées renforcées de fils de fer, dont les abords sont battus par l’artillerie et les mitrailleuses, deviennent bientôt insignifiants. Quand le combat s’arrête à la tombée du jour, la 42e division d’infanterie seule a pu enregistrer un gain de terrain au nord et à l’est de la ferme d’Alger.

Le 25, l’attaque est reprise à la gauche de l’armée, la droite ne devant passer à l’offensive que lorsque l’ordre en sera donné. Le corps combiné fait encore quelques progrès à l’est de Reims et gagne environ un kilomètre entre Le Linguet et La Jouissance. Sur le reste du front, rien à signaler.

Le 26, la 9e armée doit persister dans l’attitude prescrite pour la journée précédente, mais elle est prévenue dans ses actions par une grande offensive ennemie, qu’un radiogramme intercepté a annoncée d’ailleurs quelques heures auparavant. Je le communique à mes troupes en disant :

Il résulte d’un radiotélégramme saisi que l’empereur aurait ordonné aux armées allemandes de livrer bataille aujourd’hui sur tout le front. Cet ordre arrive au moment précis où les armées alliées ont achevé leurs dispositions préparatoires à l’offensive par la gauche. Nous sommes donc dans des circonstances très favorables. Un sérieux effort doit suffire pour battre l’ennemi. Le général commandant la 9e armée compte sur l’énergie de tous pour que les positions soient maintenues inviolables et pour que toutes occasions favorables soient saisies pour passer à l’offensive…

De fait, après une préparation d’artillerie des plus violentes, les allemands passent à l’attaque sur tout le front ; leurs efforts se portent d’abord à l’est de Reims, sur Saint-Léonard, où une division de la garde réussit à refouler jusqu’au pont du canal l’infanterie (23e division) qui occupe cette région. Le général Humbert prend immédiatement les dispositions voulues, mais ses réserves sont bientôt épuisées, et il demande en face de l’ampleur de l’attaque allemande que les disponibilités, s’il en reste, soient acheminées vers sa zone. Je prescris en conséquence au 9e corps d’armée d’envoyer d’urgence au corps combiné une brigade prise sur ses réserves. Quatre bataillons, qui constituent les seules troupes disponibles du 9e corps d’armée, sont aussitôt dirigés de Thuizy vers la région sud de Puisieulx. En compensation, le 9e corps d’armée recevra une brigade disponible du 21e.

De son côté, en effet, le 9e corps est très fortement engagé dans la région de Prosnes contre une attaque menée par une division d’infanterie saxonne. À gauche, cette attaque échoue complètement, mais au nord de Prosnes, l’ennemi parvient jusqu’à la Chaussée Romaine, et le combat se prolonge de ce côté pendant la soirée et une partie de la nuit suivante. Dans la région de Saint-Hilaire et de Souain, les efforts des allemands sont annihilés par la ferme résistance des 12e et 21e corps. En résumé, au soir de la journée du 26, on peut considérer que la grande offensive allemande a échoué devant le front de la 9e armée. Les quelques gains de terrain qu’elle a réalisés vont être, dès le lendemain, perdus pour elle.

Le 27, en effet, le 9e corps d’armée rétablit entièrement son front. De son côté, le corps combiné monte une attaque avec les 23e et 42e divisions d’infanterie sur les tranchées occupées par l’ennemi au nord du pont de Saint-Léonard. Cette action, très habilement appuyée par nos quelques pièces d’artillerie lourde, réussit entièrement. Le 27 au soir, la situation est complètement rétablie sur tout le front de la 9e armée. La puissante attaque allemande est définitivement un échec. Il n’en est pas encore ainsi à la 5e armée. On m’a signalé que le 3e corps, qui en forme la droite, est très fortement engagé, et j’ai été invité à me tenir prêt à intervenir éventuellement à la droite de la 5e armée pour le dégager. Mais une communication importante du général en chef va désormais fixer la conduite à tenir. Il faut savoir que le manque de munitions d’artillerie crée une situation critique qui peut même devenir tragique. Je ne recevrai plus d’obus de 75 avant deux ou trois semaines et j’ai à régler mes opérations en conséquence. Du reste, la manœuvre du général en chef se développe à présent au nord de l’Oise. Elle vise à déborder la droite allemande. La défensive est imposée aux armées alliées sur tout le front de l’Oise à la frontière suisse.

Dès ce moment, je prescris aux corps d’armée de se maintenir sur la défensive. Organiser fortement le terrain en y perfectionnant leurs installations, réorganiser, reconstituer, reposer les troupes, en leur communiquant les raisons qui commandent alors le changement d’attitude, telles sont les occupations auxquelles on a à se consacrer. J’ordonne en outre les mesures à prendre pour restreindre les consommations de munitions. L’ère des grandes opérations est close pour la 9e armée ; en face d’elle l’ennemi reste également sur la défensive. La période qui s’étend du 28 septembre au 4 octobre ne donnera donc lieu, devant la 9e armée, qu’à des événements de peu d’importance pour la situation générale.

Le 1er octobre, le 21e corps est enlevé à la 9e armée, pour être transporté dans la région du nord. En vue de répondre aux nouveaux besoins ainsi créés, j’adresse une instruction sur l’organisation défensive des fronts étendus ; la base de cette organisation doit être l’établissement d’un système de défense en profondeur procurant à la fois une augmentation de résistance et une économie de forces. À partir du 4 octobre, sur le front de la 9e armée, les opérations semblent entrer dans une période de stagnation d’une certaine durée. L’adversaire est installé sur de fortes positions dominantes, armé d’une puissante artillerie de gros calibre ; il a organisé des lignes continues de tranchées profondes, avec mitrailleuses et pièces de flanquement en partie abritées. Le déloger de là n’est pas pour le moment à entreprendre. D’autre part, dans sa forte offensive du 26 septembre, il a complètement échoué. Nos organisations défensives s’améliorent chaque jour et rendent ses tentatives moins dangereuses. Dans ces conditions, on ne peut de longtemps prévoir d’événement décisif en Champagne.

Que se passait-il ailleurs, sur les autres parties de notre front, en particulier à l’aile gauche de nos armées ? Je ne le savais que vaguement par les communiqués journaliers, lorsque, dans l’après-midi du 4 octobre, le général en chef m’appelait à son grand quartier général de Romilly-Sur-Seine, où je le trouvais vers 16 heures. L’ensemble des opérations qu’il poursuivait à l’aile ouest des armées alliées, me dit-il, avait tout d’abord pour objet d’envelopper l’aile correspondante des armées allemandes, et, en cas d’impossibilité, de s’opposer à l’enveloppement de notre aile gauche par l’ennemi. Dans ce but, il avait transporté à la gauche de la 6e armée, au nord de l’Oise et de la Somme, la 2e armée du général De Castelnau, dont le quartier général était à Bretueil, ainsi qu’un détachement d’armée sous le commandement du général De Maud’huy, dont le quartier général était à Saint-Pol, en route vers Arras. Ce détachement d’armée, grossi chaque jour et appelé à prendre une certaine indépendance, devait se transformer, le 5, en 10e armée. Entre ces deux armées, la liaison était faite par un groupe de divisions territoriales sous le commandement du général Brugère, dont le quartier général était à Doullens. En outre, l’armée britannique avait demandé et obtenu d’être transportée de l’Aisne à la gauche de nos armées. Son quartier général allait venir à Saint-Omer. Le mouvement serait très prochainement effectué. Enfin il y avait à entrevoir, pour un moment encore indéterminé, des ententes à établir avec l’armée belge, groupée actuellement autour d’Anvers. En présence de certaines hésitations ou incertitudes manifestées dans le commandement de quelques-unes de nos forces de cette région, comme aussi des accords à faire avec les alliés, il me chargeait d’aller dans le Nord prendre sans retard la direction de nos affaires et de coordonner nos opérations avec les armées alliées. J’aurai le titre d’adjoint au général en chef.

Je rentrais aussitôt à mon quartier général de Châlons ; il était 19 heures. Je constituais un état-major ; j’appelais le général Humbert, actuellement à la tête du corps combiné, et je lui passais le commandement de la 9e armée. Depuis le début de la guerre, ce jeune officier général avait donné les plus belles preuves de calme, de jugement, de décision et d’énergie. Avec lui je réglais les affaires pendantes ; je prenais ensuite un congé ému du préfet de la Marne, l’excellent M. Chapron, comme du restant de mon état-major qui devait me rejoindre dans quelques jours, et, à 22 heures, je quittais cette ville de Châlons, qui avait vu notre entrée victorieuse du 12 septembre, pour courir dans le Nord à de nouvelles destinées.

C’était d’abord un long voyage de nuit à faire en automobile, par des routes ruinées à la suite des opérations, encore encombrées de convois, des rivières à franchir sur des ponts détruits et sommairement réparés, à travers des localités aux profils déchiquetés par la bataille. Nous le commencions en traversant le champ de bataille de la Marne, par Montmirail, Meaux, où nous passions la Marne, en traversant ensuite le champ de bataille de l’Ourcq par Senlis, Creil, où nous passions l’Oise ; nous le poursuivions par Clermont, Saint-Just-En-Chaussée, Breteuil, où nous arrivions le 5 octobre vers 4 heures et demie. Je faisais immédiatement prévenir de mon arrivée le général De Castelnau et je l’attendais couché sur un banc de l’école. Il arrivait peu de temps après, et je prenais la conduite de nos affaires dans le Nord.