HISTOIRE DES PROTESTANTS DE FRANCE

 

LIVRE PREMIER. — DEPUIS LES COMMENCEMENTS DE LA RÉFORME EN FRANCE JUSQU'À L'OUVERTURE DU COLLOQUE DE POISSY (1521-1561).

 

 

IV.

Il sembla, en 1533, que de meilleurs jours allaient se lever sur la Réforme française. La reine-mère, Louise de Savoie, qui pensait racheter par une fanatique bigoterie les désordre de sa jeunesse, venait de mourir. François Ier avait fait alliance avec les protestants de la ligue de Smalcalde, et le crédit de Marguerite de Valois s'en était accru. Elle en profita pour faire ouvrir les chaires de Paris à Gérard Roussel, Courault et Bertault, qui inclinaient vers les doctrines réformées. L'évêque Jean du Bellay ne s'y opposa point. Il avait beaucoup de lecture et dans ses lettres à Mélanchthon il signait : Le vôtre de cœur.

La foule fut grande dans les églises. Noël Beda et d'autres docteurs de Sorbonne essayèrent de soulever le peuple ; mais ils furent exilés par le Parlement. Alors la colère des moines ne respecta plus rien. Ils firent jouer dans leur collège de Navarre une pièce ou Marguerite de Valois, lisant la Bible et jetant son fuseau, était subitement changée en furie d'enfer. Les Sorbonistes condamnèrent en même temps un livre de Marguerite intitulé : Le Miroir de l'Âme pécheresse, où il n'était fait mention, ni des saints, ni du purgatoire, ni d'une autre rédemption que de celle de Jésus-Christ. Un Cordelier déclara en plein sermon que Marguerite méritait d'être enfermée dans un sac et jetée au fond de la rivière.

C'était plus d'insolence que le roi n'en pouvait endurer. Il fit punir les régents du collège de Navarre, et désavouer la censure de la Sorbonne par l'université en corps. Il parlait même d'infliger au Cordelier la peine dont celui-ci avait menacé Marguerite de Valois ; mais elle intercéda pour lui, et la punition fut commuée.

Ces dispositions de François Ier ne durèrent pas longtemps. Ayant eu une entrevue avec Clément VII à Marseille, au mois d'octobre 1533, pour le mariage de son fils Henri avec Catherine de Médicis, nièce du pape, et désirant s'allier avec ce pontife pour la conquête du Milanais, le rêve de toute sa vie, il revint à Paris très animé contre les hérétiques. Beaucoup de luthériens ou de sacramentaires, comme on les appelait alors, furent jetés en prison, et la chaire fut interdite aux trois prédicateurs suspects.

Les nouveaux convertis, déjà très nombreux, ne supportaient pas tous avec patience les coups de la persécution, et gémissaient de n'avoir plus de pasteurs. Sur ces entrefaites arriva un nommé de Féret, apportant de la Suisse des placards contre la messe, et il proposa de les répandre dans tout le royaume. Les plus sages s'y opposèrent, disant que trop de précipitation pourrait tout perdre. Mais les exaltés, ainsi qu'il arrive presque toujours dans les moments de crise, firent prévaloir leur avis.

Le 18 octobre 1534, les habitants de Paris trouvèrent sur les places publiques, dans les carrefours, aux murs des palais, aux portes des églises un placard ayant ce titre : Articles véritables sur les horribles, grands et importables abus de la messe papale, inventée directement contre la sainte cène de notre Seigneur, seul Médiateur et seul Sauveur Jésus-Christ.

Ce document est écrit d'un style âpre et violent. Papes, cardinaux, évêques et moines y sont poursuivis d'amères invectives. Il se termine ainsi : En somme, vérité leur fait défaut, vérité les menace, vérité les pourchasse, vérité les épouvante, par laquelle en bref leur règne sera détruit à jamais.

Le peuple s'attroupe autour des placards. Il circule des rumeurs atroces, telles que les masses en inventent dans leurs jours de colère. On dit que les luthériens ont tramé une affreuse conspiration, qu'ils veulent mettre le feu aux églises, tout brûler, tout massacrer. Et la multitude crie : Mort, mort aux hérétiques ! Les prêtres, les moines, trompés les premiers peut-être, attisent ces fureurs. Les magistrats, bien que plus calmes, s'irritent d'une attaque si hardie contre l'ordre ecclésiastique du royaume.

Au château de Blois, où était alors François Ier, l'orage éclate avec une égale violence. Un placard avait été affiché (plusieurs soupçonnent que ce fut par une main ennemie) à la porte même de la chambre du roi. Le prince y voit une insulte, non seulement contre son autorité, mais contre sa personne, et le cardinal de Tournon enfonça si avant cette pensée dans son cœur, qu'il délibéra, dit un historien, de tout exterminer, s'il eût été en sa puissance.

Aussitôt des ordres sont donnés de se saisir des sacramentaires, morts ou vifs. Le lieutenant-criminel, Jean Morin, se fait assister d'un certain gainier ou faiseur d'étuis, qui avait été avertisseur pour les assemblées secrètes, et auquel on promet la vie sauve, à condition qu'il mènera les sergents dans toutes les maisons des hérétiques. Les uns, informés à temps, prennent la fuite ; les autres, hommes et femmes, ceux qui avaient blâmé les placards comme ceux qui les avaient approuvés, sont entassés pêle-mêle dans les prisons.

On rapporte que le lieutenant-civil, étant entré chez l'un d'eux, Barthélemy Milon, qui était perclus de tout son corps, lui dit : Allons, lève-toi. — Hélas ! monsieur, répondit le paralytique, il faudrait un plus grand maître que vous pour me faire lever. Des sergents l'emportèrent, et il alla raffermir le courage de ses compagnons de captivité.

Leur procès fut bientôt fait. Mais pour la Sorbonne et le clergé, ce n'était pas assez du sang des hérétiques. Ils voulaient frapper l'imagination du peuple par une procession généralissime, et, en persuadant au roi d'y assister, le lier décidément au système de la persécution. Cette fête marque une date importante dans notre récit ; car c'est de ce moment que le peuple de Paris intervint dans la lutte contre les hérétiques ; et une fois monté sur la scène, il n'en descendit qu'à la fin de la Ligue. Dans l'enchaînement des idées et des faits, cette procession, entremêlée de supplices, fut la première des sanglantes journées du seizième siècle ; la Saint-Barthélemy, les Barricades, l'assassinat d'Henri III et l'assassinat d'Henri IV devaient la suivre.

Un chroniqueur du temps, Simon Fontaine, docteur de Sorbonne, nous en a laissé une longue description. Ce fut le 29 janvier 1535. Une foule innombrable était venue de toute la contrée environnante. Il n'y avait tant soit petit bout de bois ou de pierre saillant des murailles qui ne fût chargé, pourvu qu'il y eût place pour une personne. Les toits des maisons étaient couverts d'hommes petits et grands, et on eût jugé les rues pavées de têtes humaines.

Jamais tant de reliques n'avaient été promenées par les rues de Paris. On sortit pour la première fois le reliquaire de la Sainte-Chapelle. Des prêtres portaient la tête de saint Louis, un morceau de la vraie croix, la vraie couronne d'épines, un vrai clou et le vrai fer de la lance qui avait percé le corps du Seigneur. La châsse de sainte Geneviève, patronne de Paris, était portée par la corporation des bouchers, qui s'étaient préparés à ce saint office par un jeûne de plusieurs jours, et chacun avait à cœur de toucher la précieuse relique du bout du doigt, ou de son mouchoir ou de son bonnet.

Cardinaux, archevêques et évêques, chapés et mitrés, figuraient en leur place. Puis venait le roi, tête nue, une torche de cire ardente à la main ; derrière lui marchaient tous les princes, chevaliers, conseillers des parlements, corps de métiers, confréries. Le long des maisons se tenaient les bourgeois avec des cierges allumés, et ils s'agenouillaient au passage du saint-sacrement.

Après la messe, le roi clins au palais de l'évêque avec ses fils, la reine et les princes du sang. Le repas fini, il appela le clergé, les ambassadeurs, les seigneurs, les présidents des cours de justice, tous les notables ; et s'étant assis sur un trône, il protesta qu'il ne pardonnerait pas même à ses enfants le crime d'hérésie, et que s'il savait que l'un des membres de son corps en fût infecté, il le retrancherait de ses propres mains.

Le même jour, six luthériens furent brûlés. Aux plus fermes on avait d'avance coupé la langue, de peur qu'une parole de foi ou une prière, sortant du milieu des flammes, n'allât remuer la conscience des bourreaux. On les avait suspendus à une potence mobile qui, s'élevant tour à tour et s'abaissant, les plongeait dans le feu et les en retirait, jusqu'à ce qu'ils fussent entièrement consumés. C'était le supplice de l'estrapade. Le féroce empereur de Rome qui souhaitait que ses victimes se sentissent mourir n'avait pas inventé cela, et l'Inquisition d'Espagne accordait aux Sarrasins et aux Juifs la faveur d'être brûlés plus vite.

En retournant au Louvre, François Ier fut témoin de ces exécutions. Le bourreau attendait qu'il passât pour lui en donner le spectacle.

Une ordonnance fut ensuite rendue, prononçant l'extermination des hérétiques, avec peine de mort contre ceux qui les cacheraient, et promesse du quart des biens des victimes pour les dénonciateurs.

François Ier eut bientôt sujet de se repentir d'avoir cédé à cet accès de frénésie. Les protestants d'Allemagne en furent indignés et menacèrent de s'allier contre lui avec la maison d'Autriche. Il leur fit donner des explications par son ambassadeur, Guillaume de Langey, disant que ceux qu'il avait mis à mort étaient des séditieux, des sacramentaires, et non des luthériens. Il reprit même, pour se réconcilier avec la ligue de Smalcalde, les ouvertures qui avaient été faites à Melanchthon, afin de l'attirer à Paris ; et il publia un édit plus doux, qui ordonnait de relâcher les personnes suspectes d'hérésie, à la condition qu'elles abjureraient avant six mois. Cet édit de Coucy, rédigé pour des raisons politiques, ne fut jamais bien exécuté.

Marguerite de Valois se retira dans le Béarn, où sa petite cour devint l'asile des hommes célèbres qui échappaient à la persécution. Beaucoup de familles refugiées apportèrent dans ces provinces leur industrie et leur fortune. Tout prit une face nouvelle. Les lois furent corrigées, les arts cultivés, l'agriculture perfectionnée, des écoles ouvertes, et le peuple fut préparé à recevoir les enseignements de la Réformation.

La reine de Navarre mourut en 1549, pleurée des Béarnais, qui aimaient à répéter sa généreuse maxime : Les rois et les princes ne sont par les maîtres et seigneurs des petits, mais seulement des ministres que Dieu a établis pour les servir et conserver.

Marguerite de Valois fut la mère de Jeanne d'Albret et l'aïeule de Henri IV.