ÉTUDE BIOGRAPHIQUE SUR SULLY

 

CHAPITRE V. — DEPUIS L'ÉDIT DE NANTES ET LE TRAITÉ DE VERVINS JUSQU'À LA PAIX DE LYON.

 

 

1598-1601

 

Après les grands événements qui terminent le chapitre précédent, on arrive à des faits moins importants, mais qui tiennent une place assez considérable dans l'histoire des relations de Sully avec Henri IV. Le Roi voulait épouser Gabrielle d'Estrées, devenue duchesse de Beaufort, après que le Pape aurait annulé son premier mariage avec Marguerite de Valois, dont il n'avait pas eu d'enfants : or, il fallait un successeur à Henri IV, et la cour de Rome était disposée à déclarer le mariage nul.

Rosny était, comme beaucoup d'autres serviteurs du Roi, opposé au mariage du Roi avec madame de Beaufort, qui ne l'aimait guère. Un jour, dans une discussion, elle s'emporta au point de l'appeler valet. Le Roi la tança vertement et lui dit que ceux de sa maison n'avaient pas dédaigné l'alliance de celle de son ministre, et qu'il le préférait à dix femmes comme elle. Cette fois encore les ennemis de M. de Rosny étaient battus ; ils avaient cru que madame de Beaufort, en faisant cette algarade, amènerait son renvoi ; mais le bon sens du Roi l'empêcha de commettre cette sottise[1].

A quelque temps de là, Henri IV tomba malade à Monceaux, et fut en danger de mort. Il fit venir auprès de lui M. de Rosny et lui dit :

Mon ami, je n'appréhende nullement la mort, comme vous le savez mieux que personne, m'ayant vu en tant de périls dont je me fusse bien pu exempter ; mais je ne nierai point que je n'aie regret de partir de cette vie sans élever ce royaume en la splendeur que je m'étais proposée, et avoir témoigné à mes peuples, en les soulageant et déchargeant de tant de subsides, et les gouvernant amiablement, que je les aimais comme s'ils étaient mes enfants.

Henri IV revint à la santé, et peu après (30 janvier 1599), sa sœur, madame Catherine épousa Henri de Lorraine, duc de Bar. Rosny avait été chargé de dresser les articles du contrat.

La duchesse de Beaufort mourut le 10 avril 1599. Le démariage fut sollicité en cour de Rome par le cardinal d'Ossat et M. de Sillery, ambassadeur du Roi, qui obtinrent du Pape que le mariage de Henri IV avec Marguerite de Valois fût déclaré nul.

A peine délivré de madame de Beaufort, et pendant la négociation auprès du Pape, le Roi s'éprit follement d'une femme bien dangereuse par son esprit d'intrigue et sa méchanceté, Henriette d'Entragues, à laquelle il fit une promesse de mariage. Gomme il faisait peu de choses sans en parler à Rosny, un jour, à Fontainebleau, il lui mit un papier dans la main, et, se tournant de l'autre côté, avec une certaine façon, comme s'il eût eu honte de le lui voir lire, il lui dit : Lisez cela, et puis m'en direz votre avis. Après lecture faite, Rosny refusa de dire ce qu'il en pensait ; mais sur les instances du Roi de parler et de donner son opinion sur ce papier, qui était la promesse de mariage, et l'assurance qu'il ne se mettrait pas en colère contre lui, Rosny déchira le papier en deux morceaux.

Voilà, Sire, dit-il, puisqu'il vous plaît le savoir, ce qu'il me semble d'une telle promesse. — Comment, morbieu ! dit le Roi, que pensez-vous faire ? Je crois que vous êtes fou. — Il est vrai, Sire, dit-il, je suis un fou et un sot, et voudrais l'être si fort que je le fusse tout seul en France. — Or, bien, bien, dit le Roi, je vous entends bien, et ne vous en dirai pas davantage, afin de vous tenir parole ; mais rendez-moi ce papier.

Après quelques mots de Rosny, auxquels le Roi ne répondit rien, S. M. sortit de la galerie, entra dans un cabinet, demanda de l'encre et du papier, et refit un autre pareil écrit de sa main et partit pour la chasse.

Le duc de Savoie, Charles-Emmanuel, pendant les désordres des années précédentes, s'était emparé du marquisat de Saluces, que la France possédait au delà des Alpes[2], et dont l'importance militaire était considérable, car ce marquisat, comme le disait le duc de Savoie, permettait aux Français de se nicher en Italie. Il savait bien que le roi de France ne lui abandonnerait pas le marquisat sans lutte, et tout en se préparant à la guerre, Charles-Emmanuel se disposa à venir à la cour de France négocier, et surtout intriguer. A cette nouvelle Henri IV dit à Rosny :

Mon ami, la prudence m'oblige de juger, par toute la vie qu'a démenée M. de Savoie, par ses procédures (procédés) dernières en ce qui a regardé les différends du marquisat de Saluces, par celles de tous ses agents qu'il m'a envoyés, par l'opinion courante de lui dans l'esprit des hommes qui ont passé par ses mains, par des lettres tant expresses que j'ai reçues de M. de Lesdiguières[3] et par une infinité d'autres semblables avis que j'ai reçus de Rome, de Florence et autres lieux d'Italie, que cet homme pense être si éloquent, si subtil, fin et rusé, qu'il est capable de circonvenir et abuser tout le monde. Or, il y a déjà trop longtemps qu'il m'amuse de belles paroles, et crois, quant à moi, qu'il ne vient ici que pour essayer de mener les choses de longue, gagner mes principaux serviteurs, et faire des pratiques et menées dans mon royaume. A quoi il nous faut donner ordre soigneusement, en le pressant de me résoudre promptement, et en lui faisant voir que je ne suis pas de ces oiseaux niais, propres à se laisser duper et prendre en tels lacs. Tellement que, pour vous en dire mon opinion, je crois que ce différend du marquisat de Saluces ne se videra que les armes à la main et à bons coups de canon, y ayant plusieurs fortes places en Bresse, Savoie et Piémont qu'il nous faudra nécessairement attaquer, et partant j'aurai plus de besoin d'artillerie et d'un bon grand-maître sur telles occasions que de tous autres capitaines et gens de guerre, ne tenant pas M. de Savoie suffisant, vu qu'il s'est mis mal avec l'Espagne et qu'il est mal voulu de tous les autres princes d'Italie, à cause de son esprit inquiété et de ses ambitions démesurées, enrageant de dépit de ce que son beau-père[4] ne lui a laissé pour l'héritage de sa femme qu'un crucifix et l'image de la Vierge, au lieu qu'il a donné à son autre fille toutes les dix-sept provinces des Pays-Bas et de la Franche-Comté, ce qui vaut beaucoup mieux que les deux Castilles et le Portugal. Or, vous ai-je dit tout ceci afin que nous avisions, vous et moi, quel ordre je pourrai donner à mon artillerie, ayant un grand-maître qui n'y entend rien du tout, voire qui n'est ni capitaine ni soldat.

Je reconnais bien, maintenant que j'ai besoin de gens de courage et de capacité, la faute que j'ai faite de ne vous avoir pas baillé cette charge, lorsque Saint-Luc fut tué, comme je vous en fis dès lors quelque ouverture, et ne suis pas à me repentir[5] de m'être laissé emporter aux prières et larmes, voire, puissé-je dire, aux importunités de madame la duchesse en faveur de son père. Mais la chose étant faite, et ne lui voulant pas ôter sa charge par force ni avec affront, je me suis avisé d'un expédient, par le moyen duquel je pourrai être bien servi si vous m'y voulez aider, comme je vous en prie et veux croire que vous ne m'en refuserez pas, qui serait de retirer du vieux Born sa charge de lieutenant général de l'artillerie, de laquelle aussi bien il cherche à se défaire et m'en a fait demander la permission, la faire ériger en titre d'office, lui donner autant de pouvoir sur tous les lieutenants provinciaux dans les provinces comme il y en a dans les armées, lorsqu'il n'y a point de grand-maître, et augmenter les gages et appointements ; et lors, étant rendu ainsi honorable, ma résolution serait de la bailler à un certain homme que je connais et vous aussi, qui a le courage bon, l'esprit vif, est actif, diligent, a toujours affectionné cette fonction, et témoigné, en plusieurs occasions, qu'il n'en est pas ignorant ; lequel, en étant ainsi par moi pourvu, pourra faire la charge entière de l'artillerie, tout ainsi que s'il était grand-maître, car je ferai en sorte que M. d'Estrées ne se trouvera point dans les armées ni dans les provinces, étant résolu dès à présent, sous prétexte d'honneur, de l'attacher au gouvernement de la ville de Paris. Or, devinez maintenant qui est cet homme-là, et m'aidez à lui persuader de vouloir prendre cette charge, car il est fort de vos amis.

Tous ces discours, dit Sully, pleins de tels préparatifs à la persuasion, me mi-partirent (partagèrent) tellement l'esprit et l'attachèrent si bien à penser sur tous autres, que je ne songeai jamais à moi-même : tellement que je lui repartis naïvement que je ne pensais pas connaître personne assez entendu et qualifié pour commander absolument à tout ce qui dépendait de l'artillerie, qui voulût s'assujettir sous les bizarres commandements d'un si impertinent (peu compétent) et peu qualifié (en état) grand-maître ; mais qu'aussi n'appartenait-il qu'à S. M., qui était parfaite au métier de la guerre, de connaître fort bien les capacités d'un chacun en icelui[6] ; et partant je le priai de le vouloir nommer sans s'en attendre à moi, qui ne laisserais pas d'en dire mon avis, puisqu'il me le commandait, encore qu'il ne m'appartînt pas de faire un jugement contraire à ses sentiments.

Or bien donc, dit le Roi en se souriant et me mettant la main sur la mienne, voyons ce qu'il vous semble de cet homme-là que je veux dire, lequel se nomme le baron de Rosny[7] ; le connaissez-vous bien ? — Oui, Sire, dis-je aussitôt, je le connais fort bien et ne le tiens nullement capable d'exercer cette charge, surtout ayant pour supérieur un homme duquel je ne saurais rien apprendre, ni même en recevoir les commandements sans honte. Car, pour ne rien celer, j'étais irrité de ce que le Roi m'ayant autrefois parlé de la charge principale, il me réduisait maintenant à un diminutif.

Comment, dit le Roi, est-il possible que vous me vouliez refuser d'une chose dont je vous prie avec tant d'affection, où il y va de mon service et du bien de mon État, et, qui plus est, me facilite le moyen de vous établir où je reconnais bien que vous aspirez ?Sire, lui dis-je, je n'aspire à rien qu'à ce qu'il vous plaira, je vous supplie le croire ; aussi ai-je déjà tant d'autres affaires sur les bras que je me tiens insuffisant d'en entreprendre davantage. — Ce n'est pas où il vous tient, dit le Roi, car je sais que vous ne manquez pas de bonne opinion de vous-même pour aspirer encore plus haut. Mais puisque vous avez si peu d'égard à mon contentement et que vous préférez vos fantaisies à mes prières, je ne vous en parlerai plus, vous laisserai vivre à votre mode, comme je ferai aussi moi à la mienne.

Et sur cela me quitta comme tout en colère ; et néanmoins, comme je le sus depuis, il ne laissa pas de faire parler à M. d'Estrées pour le disposer à vouloir prendre récompense[8] de sa charge, comme je fis bien aussi de mon côté, par le moyen de madame de Néry, qui le gouvernait absolument, sur laquelle 3.000 écus, que je lui fis promettre par M. et madame du Pesché, eurent telle puissance, que huit jours après celui de la colère du Roi, il m'envoya querir, sous ombre de plusieurs autres affaires dont il me parla ; puis, comme j'étais déjà à douze ou quinze pas de lui, il m'appela et me dit : J'avais oublié à vous dire que j'ai tant fait avec M. d'Estrées, qu'enfin il s'est résolu à prendre récompense de la charge de grand-maître ; car je ne fais pas comme vous, qui préférez vos fantaisies à votre propre bien duquel je suis plus soigneux que vous-même, celui de mes affaires y étant aussi joint, car je viens de recevoir encore des lettres qui me font tenir pour certain que nous ne recouvrerons jamais notre marquisat, sinon à coups de canon, en quoi je reconnais que vous êtes capable de me servir ; et partant, en oubliant toutes mes colères, avisez de traiter avec M. d'Estrées pour sa charge. Mais puisque je vous gratifie ainsi franchement, avisez aussi à bien faire et à user de vos diligences accoutumées pour préparer toutes les choses nécessaires en l'artillerie pour de grands attaquements.

J'eus encore quelques autres propos qui finirent par de grands remerciements et soumissions de ma part, et de grands témoignages de confiance de celle du Roi ; ensuite desquels je traitai avec M. d'Estrées, moyennant 80.000 écus (1.500.000 fr.), sans les menus suffrages[9], lesquels j'empruntai à rente, et trois jours après je fus pourvu de l'état de grand-maître de l'artillerie.

Cette année 1599, M. de Rosny devenait : grand-maître de l'artillerie, surintendant des finances, surintendant des bâtiments, par la retraite de Sancy, et surintendant des fortifications par la mort de M. d'Incarville, et il s'efforça de remplir ces diverses fonctions de façon à contenter le Roi, à améliorer l'état du royaume, et soulager et décharger le peuple.

Il alla s'établir à l'Arsenal, à l'Arsenac, comme l'on disait alors.

Je le trouvai, dit-il, très mal bâti, et encore plus dénué de pièces de canon, munitions et armes. A quoi désirant pourvoir, je mandai tous les officiers, desquels je cassai 4 ou 500, qui étaient tous les valets des gens de justice, officiers de finances et d'écritoire. Je fis des marchés : avec les commissaires des salpêtres, pour une grande fourniture de poudres ; avec des maîtres de forges, pour une merveilleuse quantité de boulets des divers calibres, et de diverses sortes de fer pour ferrures d'affûts ; avec des charrons et charpentiers, pour bon nombre d'affûts, roues, timons ; et avec des marchands étrangers pour fournir quantité de cuivres, étain, hallebardes, mitraille. Tous lesquels marchés je fis voir au Roi, qui les voulut signer lui-même.

L'étendue de l'Arsenal était considérable. Ses bâtiments et ses jardins occupaient toute la partie de Paris comprise entre la Seine, au midi ; le couvent des Célestins et la rue du Petit-Musc, au couchant ; la rue de la Cerisaie, l'hôtel du célèbre financier Zamet[10] et la Bastille, au nord ; les fossés de cette partie de l'enceinte fortifiée de Paris, comprise entre la Bastille et la Seine, au levant.

Il se divisait en deux parties : le grand Arsenal, le long de la Seine ; le petit, à côté et au midi de la Bastille. Le grand Arsenal se composait de cinq bâtiments séparés par des cours. Dans l'un de ces bâtiments, occupé aujourd'hui par la bibliothèque de l'Arsenal, se trouvaient les magnifiques appartements du grand-maître et ceux des principaux officiers de l'artillerie. Un long mail s'étendait, au midi de ces bâtiments, le long de la rivière. L'entrée de l'Arsenal était rue du Petit-Musc, au midi des Célestins.

Henri IV agrandit considérablement l'Arsenal, et de l'une de ses parties fit une maison royale.

Sauval nous apprend que les ateliers des charrons, serruriers et autres ouvriers, les ateliers de construction en un mot, étaient établis dans le petit Arsenal ; que dans l'un des bâtiments du grand on fondait les canons et autres pièces d'artillerie ; qu'il y avait aussi des halles pour les canons, des magasins pour les munitions et de vastes salles d'armes.

La halle de Henri IV subsiste encore, dit Sauval[11], entre la Bastille et le petit Arsenal. Outre qu'on y peut mettre à couvert beaucoup de canons, elle porte un grand magasin partagé en trois longues allées ou galeries[12], que le duc de Sully avait remplies de piques, de mousquets façon de Metz et de corcelets faits à Milan sur les modèles qu'il y envoya : magasin au reste qu'on faisait voir aux étrangers comme bien fourni d'armes, non seulement de toutes manières, mais bien propres et bien travaillées. Faute d'avoir vu les autres magasins, je n'en puis dire autre chose sinon qu'ils étaient bien garnis de cuirasses, de mousquets, d'arquebuses et de munitions de guerre ; et enfin que ce grand prince avait amassé tant d'armes, de canons, de munitions et de machines dans ces deux arsenaux, mais bien plus, tant d'or et d'argent dans la Bastille, qu'il se vantait d'avoir de quoi mettre sur pied et payer trois ans une armée de 50.000 hommes[13].

Sauval nous apprend encore que la fonderie de Henri IV était décorée d'une fresque de Bunel, un des meilleurs peintres de l'époque, représentant Vulcain forgeant des armes avec ses Cyclopes.

Entre plusieurs bâtiments que Henri IV fit faire à l'Arsenal, il y avait un théâtre pour les bals, les ballets et les comédies. Son parterre était environné de loges avec des escaliers pour y monter[14]. La Cour assista souvent aux bals et ballets qui se dansaient sur ce théâtre, et auxquels elle prenait une part active. Le théâtre de l'Arsenal fut démoli sous Louis XIII et converti en un logement des plus magnifiques du royaume[15].

Ce fut aussi Henri IV qui fit faire le mail et le jardin, qui était très beau et très fréquenté par le public, auquel il était ouvert. On courait la bague à l'Arsenal, et le Roi assistait quelquefois à ces jeux, et même y prenait part[16].

Sous Louis XIV on cessa de fondre les canons à l'Arsenal ; mais Louvois, devenu surintendant des bâtiments, en employa la fonderie à couler les beaux bronzes de Keller destinés à Versailles[17].

Le duc de Savoie, étant arrivé à Paris, commença aussitôt à se faire bien venir des courtisans par ses largesses. Le Roi ayant ordonné au grand-maître de recevoir et de traiter M. de Savoie à l'Arsenal, avec les principales dames et les principaux seigneurs de la Cour, le duc vint avant les autres invités et demanda à voir les armes, l'artillerie et les munitions.

Sur quoi, dit Rosny, je me trouvai bien empêché, ayant honte de lui faire voir une maison si pauvre et dénuée de toutes ces choses comme l'était l'Arsenac : tellement qu'au lieu d'aller aux magasins, je le menai aux ateliers, auxquels je faisais ouvrer à puissance ; et lors voyant quelque quarante affûts et rouages auxquels on travaillait, vingt canons nouvellement fondus, et des provisions et préparatifs pour en fondre encore autant, il me demanda ce que je voulais faire de tant d'artillerie nouvellement fondue. Je lui répondis en riant : Monsieur, c'est pour prendre Montmélian. Lors il me demanda : Y avez-vous été ?Non, Monsieur, dis-je. — Vraiment je le vois bien, répondit-il, car vous ne diriez pas cela : Montmélian ne se peut prendre. — Bien, bien, Monsieur, dis-je, je vous en crois ; néanmoins, ne mettez pas le Roi en cette peine ; s'il me l'avait commandé, j'en viendrais à bout. Mais je veux croire qu'il n'en sera point besoin, et que le Roi et vous, vous séparerez bien contents l'un de l'autre. — C'est là mon intention, ce me dit-il, et si ce n'est vous qui l'empêchiez, tout ira bien, car l'on m'a dit que vous ne lui donniez pas conseil de me gratifier. Sur cela le Roi arrivant à l'Arsenac et les dames aussi, il fallut changer de discours, puis peu après aller souper.

Le soir même, S. M. nomma les commissaires qui devaient s'entendre avec M. de Savoie pour régler l'affaire du marquisat de Saluces : Rosny en faisait partie avec le connétable de Montmorency, le maréchal de Biron, le chancelier de Bellièvre, MM. de Villeroy et de Maisses. L'opinion de Rosny était bien établie : reprendre le marquisat ou l'échanger contre la Bresse et le Bugey[18]. M. de Savoie chercha par toutes sortes de pratiques et d'artifices à gagner Rosny. Un de ses commissaires lui offrit le portrait du duc enfermé dans une boîte d'or enrichie de diamants, que Rosny estima valoir de 15 à 20.000 écus (270.000 à 360.000 fr.). Il avoue, dans ses Mémoires, qu'il en fut un peu tenté : Je la pris, dit-il, sans accepter ni refuser, ni dire autre chose, sinon : Monsieur, voyons un peu ce que vous avez à me proposer, d'autant que de la qualité de ces choses dépend la manière de réponse que je vous puis faire. Puis il écouta les propositions de l'envoyé du duc de Savoie. Son maître engageait Henri IV à se faire nommer empereur d'Allemagne, à reprendre Milan et Naples, et lui promettait son alliance et son appui, le tout à la condition de lui abandonner le chétif marquisat de Saluces, et il ne doutait pas que Rosny ne conseillât au Roi d'adopter ces propositions, et n'acceptât l'alliance sincère de la Savoie, alliance qui mécontentait si fortement les Espagnols.

Rosny répondit sagement qu'il croyait que son maître, sans ambition personnelle, verrait avec plus de plaisir le Milanais, possession espagnole, entre les mains du duc de Savoie qu'entre les siennes, et que la restitution du marquisat était la meilleure marque de l'affection que le duc de Savoie disait avoir envers S. M. et la France ; et ayant pris la boîte d'or, il en tira le portrait et déclara le garder avec bonheur ; mais il rendit la boîte à cause de son prix excessif, et du serment qu'il avait fait de ne jamais recevoir de présents de valeur que du Roi son maître.

Les commissaires et le Roi adoptèrent une transaction qui consistait à accorder six mois à M. de Savoie pour se décider à rendre Saluces, ou à céder en échange la Bresse et le Bugey. Rosny était justement opposé à cette demi-mesure ; il en montrait les inconvénients à S. M., lui disant que M. de Savoie allait profiter du temps qu'on lui accordait pour continuer ses intrigues et se préparer à la guerre.

Qu'est-ce donc que vous voudriez faire ? lui demanda Henri IV. Je lui dis : Sire, M. de Savoie est venu en France sous la sûreté de votre foi et de votre parole ; il faut qu'elle lui soit gardée inviolablement ; et afin qu'il ne lui arrive inconvénient en s'en retournant en ses pays, je désirerais que vous le fissiez accompagner avec 15.000 hommes de pied, 2.000 chevaux et 20 canons que j'aurai bientôt prêts, et sitôt qu'il sera dans Montmélian ou telle autre place de ses Etats, la plus proche des vôtres, lui faire donner résolution sur le choix qu'il prétend faire, et, à son refus, mettre en œuvre votre escorte pour le mieux persuader. — Ho, ho ! dit le Roi, vous allez un peu bien vite ; je ne puis plus faire cela, puisque j'ai déjà promis le contraire. — Sire, dis-je, c'est le seul moyen d'éviter la guerre ; mais puisque vous n'approuvez pas mon opinion, votre volonté soit faite.

Le duc partit sans escorte : il avait gagné à sa cause le maréchal de Biron, vaniteux personnage, qui croyait que Henri IV lui devait sa couronne et qui, plus d'une fois, lui avait reproché son ingratitude. Déjà en relations avec l'Espagne, il s'engagea décidément avec le duc de Savoie, et un intrigant, M. de la Fin, lui servit d'agent avec Charles-Emmanuel. Henri IV devait être assassiné, et la France démembrée en plusieurs gouvernements possédés par quelques grands seigneurs ; Biron devait épouser une fille du duc de Savoie ; la Bourgogne, dont il était gouverneur, devait lui être donnée en toute souveraineté. Le comte d'Auvergne, frère de la marquise de Verneuil, et le duc de Bouillon entrèrent dans la conspiration et s'efforcèrent d'y entraîner le duc d'Epernon.

Pendant que le complot s'ourdissait, le mariage de Henri IV avec Marie de Médicis fut décidé.

Un jour que j'allai trouver le Roi, dit Sully, il me demanda d'où je venais. Nous venons de vous marier, Sire, lui dit Rosny. Sur quoi, il fut un demi-quart d'heure rêvant et se grattant la tête, et curant les ongles, sans me rien répondre ; puis, tout soudain, il me dit, en frappant d'une main sur l'autre : Hé bien, de pardieu soit ; il n'y a remède, puisque, pour le bien de mon royaume et de mes peuples, vous dites qu'il faut être marié, il le faut donc être. Mais c'est une condition que j'appréhende bien fort, me souvenant toujours de combien de mauvaises rencontres me fut cause le premier où j'entrai, et, outre cela, je crains toujours de rencontrer une mauvaise tête qui me réduise à d'ordinaires contentions[19] et contestations domestiques, lesquelles, selon que vous connaissez de longue main mon humeur, vous ne doutez point que je n'appréhende plus que les politiques ni militaires, de quelque plus grande conséquence qu'elles puissent être.

Au commencement de l'année 1600, le Roi ordonna au grand-maître de faire les préparatifs de la guerre contre la Savoie. Quelques-uns des ministres essayèrent de s'opposer à la guerre, prétendant que le roi d'Espagne, Philippe III, viendrait au secours de Charles-Emmanuel ; mais M. de Rosny réduisit à néant leurs craintes et décida Henri IV à partir pour Lyon, et prit toutes ses mesures pour déjouer les mille artifices à l'aide desquels on cherchait à faire perdre le temps et à jeter S. M. dans l'hiver.

J'envoyai, dit Rosny, trois commissaires de l'artillerie en Languedoc, Provence et Bourgogne, pour ramasser toutes les bonnes pièces de batteries et munitions qu'ils pourraient découvrir ; je donnai pareille charge à mes lieutenants à Lyon et en Dauphiné, et de faire partout fondre boulets, battre poudre, amasser affûts, cordages, mèches, sacs, pics, pioches, pelles, bêches et autres outils, et faire voiturer le tout à Lyon et Grenoble. Et, après cet ordre établi, je m'acheminai en telle diligence qu'en trois jours je fus de Lyon à Paris, où étant arrivé, j'envoyai aux provinces voisines faire les mêmes choses que j'avais faites ailleurs, baillai des commissions pour lever nombre de gens de guerre, sans forme de compagnie ni de régiment, afin de servir seulement pour remplir les troupes qui étaient près du Roi, qui se trouveraient trop faibles.

J'attitrai[20] six marchands, lesquels assemblèrent tous les rouliers[21] et voituriers, par eau et par terre, qui étaient à 30 lieues de Paris, lesquels firent marché avec eux de voiturer trois millions trois cents milliers pesants de marchandises, à tant le cent, à la charge de le rendre dans quinze jours à Lyon, du jour de la livraison. Quand ils furent bien obligés par devant notaires, je leur fis délivrer 20 canons, 6.000 boulets, 120 milliers de poudre, et toutes autres sortes d'outils et ustensiles d'artillerie, jusqu'à concurrence du poids.

Tous lesquels voituriers se voulaient dédire, contestant que ce n'était point de la marchandise ; mais enfin, ayant déjà la plupart assemblé leurs chevaux et bateaux, leurs charrettes et cordages, et les ayant menacés qu'aussi bien je me saisirais de tout cela, ils entretinrent leur marché et me rendirent dans seize jours le tout à Lyon.

Que s'il l'eût fallu mener avec chevaux d'achat ou de solde roulière[22], comme l'on avait accoutumé et voulait-on que je le fisse, je n'en serais pas venu à bout, sans une excessive dépense et un temps de deux ou trois mois.

Cette manière de faire les transports de l'artillerie m'a paru assez curieuse pour être décrite en détail ; le récit de Sully permet de faire une comparaison avec nos moyens actuels, qui ne tourne pas au désavantage de ces derniers.

Rosny déjoua toutes les ruses du duc de Savoie et de ses amis à la Cour de France, qui ne cherchaient qu'à gagner l'hiver et rendre ainsi la guerre impossible ; aussi Henri IV lui écrivit-il de Chambéry :

Mon ami, vous avez bien deviné, car M. de Savoie se moque de nous ; partant, venez en diligence et n'oubliez rien de ce qui est nécessaire pour lui faire sentir sa perfidie. Adieu.

Tout en s'occupant des préparatifs de son mariage, le Roi, en grand capitaine et prévoyant chef de guerre, n'oubliait rien de ce qu'il devait faire pour mener la guerre à bien. L'armée, qui pendant la paix avait été de 9 à 10.000 hommes, fut portée rapidement à 30.000, et les équipages arrivaient avec une telle célérité, que le duc de Savoie, trop confiant en ses ruses, fut surpris en flagrant délit d'organisation quand les hostilités commencèrent. Cette rapidité, toute nouvelle, de nos mouvements, est due à la vivacité de l'esprit de Henri IV, à son activité habituelle, et à l'énergique volonté de son ministre ainsi qu'à sa puissance de travail.

Le Roi, Lesdiguières, Biron, Créqui et Rosny, qui avait repris l'épée, commandaient les divers corps de l'armée : Lesdiguières, dans la Savoie ; Biron dans la Bresse.

Bourg, capitale de la Bresse, devait être enlevé par un coup de main, qui ne réussit que par la vigueur incomparable de l'officier chargé de l'exécuter, M. de Castenet, Biron ayant prévenu le gouverneur de la ville qu'il allait être attaqué. On mit ensuite le siège devant le château ou forteresse de la ville. Pendant ce temps Henri IV s'emparait de Chambéry, et, par sa générosité envers les habitants d'une ville prise d'assaut, inaugurait une nouvelle manière de faire la guerre, humaine et bien française, destinée à remplacer la férocité habituelle du soldat, et faisant un contraste éclatant avec la cruauté des armées espagnoles et allemandes.

Pendant que Rosny allait reconnaître diverses places de la Bresse, le château de Bourg entre autres, il faillit être enlevé, à Villars[23], par un parti ennemi auquel Biron avait indiqué le coup à faire.

Lesdiguières, de son côté, s'emparait de Montmélian. Le château, place très forte, résista longtemps, et pendant qu'on l'assiégeait, Rosny prit une autre place non moins forte, Charbonnières, grâce à son équipage de 40 canons, qui partout faisait merveille. Il faut laisser la parole à Rosny et l'entendre nous raconter l'histoire du siège et de la prise de Charbonnières. Le Roi, qui assiégeait Conflans, l'avait prié de venir le trouver, et ils se rencontrèrent à Saint-Pierre d'Albigny.

A mon arrivée, dit Sully, le Roi m'embrassa par trois fois et me dit : Mon ami, soyez le plus que très bien venu, car vous m'avez dignement servi, et avec un merveilleux travail, industrie et diligence. Enfin, ceux de Conflans se sont rendus, quand ils ont vu votre équipage. Mais j'ai peur que nous n'ayons pas si bon marché de Charbonnières ; et quant à Montmélian, c'est une merveilleusement forte place ; les avez-vous point vues ?Oui, Sire, dis-je, je les ai reconnues ensemble, Bourg, Sainte-Catherine et toutes les autres places de Bresse. — Or bien, dit le Roi, laissons la Bresse pour maintenant, et me dites ce qu'il vous semble de Montmélian, car je la trouve la meilleure place que je vis jamais ; il est vrai que je ne l'ai pas bien vue de près.

Lors je répondis : Sire, la place est bonne, à la vérité, mais non pas si forte que je ne la prenne bien, si vous me le commandez. — Oui, dit le Roi, mais dans quatre ou cinq mois, et l'hiver ne nous donnera pas ce temps-là. — C'est pourquoi, dis-je, il nous faut hâter ; car je ne vous demande que cinq semaines, au plus, du jour que j'aurai donné le premier coup de pic aux tranchées. — Cinq semaines ! reprit le Roi ; je vous en donne bien dix, et n'y faillez pas. Mais nous en parlerons une autre fois ; car vous devez avoir bon appétit : voilà Parfait[24] qui a charge de vous faire bonne chère.

Puis il appela à part mon frère et M. de la Varenne, auxquels il dit : Béthune, votre frère a bonne volonté ; mais dites-lui qu'il ne se vante pas tant, pour ce qu'il y en a qui en font leur profit. Aussi est-il certain qu'il ne prendra pas cette place dans le temps qu'il le promet.

Ce que mon frère m'étant venu rapporter, je lui dis : Je ferai encore plus que je ne dis, pourvu que le Roi me laisse faire ; car j'ai bien reconnu toutes les incommodités de cette place, ce qu'il n'a pas fait, ni aucuns de ceux qui sont près de lui.

Le lendemain le Roi prit son chemin à Grenoble, laissant ses troupes ès environs de Montmélian, et moi pour y commander. Lors je fis dresser un plan de toute la forteresse et des environs où étaient représentées toutes les batteries que j'entendais y faire, et avec cela je m'en allai trouver le Roi à Grenoble, afin d'y faire résoudre le siège ; car il m'avait défendu expressément de le former, jusques à ce qu'il y eût avisé en son conseil, lequel à mon arrivée il fit assembler. Mais ce ne furent que contestations et diversités d'avis, dont les plus opposés à toutes mes ouvertures étaient MM. les comte de Soissons et duc d'Epernon et de la Guiche, et ne se trouva que MM. de Lesdiguières et de Créqui de mon opinion.

Ce que voyant, je dis au Roi : Sire, je vois bien que par ces disputes l'on nous veut traîner jusques dans l'hiver ; mais, pardieu, il n'en ira pas ainsi, car j'aurai plus tôt pris la place que je n'aurais accordé tant d'opinions diverses. Et là-dessus jetant mon plan sur la table, je dis : Sire, voilà le plan et ce que j'y veux faire ; faites disputer dessus tant qu'il vous plaira, et pendant que je préparerai toutes choses pour Montmélian, je m'en vais attaquer Charbonnières.

Et aussitôt je montai à cheval et mandai de tous côtés de faire avancer l'artillerie et les munitions. Mais les chemins étaient si étroits, traversés de rochers et bordés d'un côté de la rivière d'Arc, dont les bords sont tous précipices, que je ne pouvais faire une lieue par jour, et par plusieurs fois il me fallut mener[25] mon canon, n'y ayant qu'une roue qui portât à terre, étant l'autre en l'air sur ces grands précipices. Il fit lors aussi tant de pluies et mauvais temps, qu'il semblait que toutes choses fussent contraires à mes desseins, car j'avais promis au Roi, après avoir reconnu Charbonnières, de la prendre dans huit jours, et néanmoins il m'avait fallu quasi ce temps-là à cause des pluies, pour charroyer tout ce qui m'était nécessaire ; tellement que M. le comte de Soissons, qui me picotait toujours, dit au Roi : Sire, il vous avait promis que dans huit jours il prendrait cette place. — Il est vrai, Monsieur, dis-je ; mais l'on m'avait promis qu'il ne pleuverait point et que les rivières ne déborderaient point. Toutefois il n'y a remède. J'ai affaire à un bon maître qui excusera mes défauts ; il a prou (assez) expérimenté qu'à la guerre l'on ne fait pas tout ce que l'on veut.

Or, j'avais tant travaillé, sué et été mouillé, qu'il m'avait pris une ébullition de sang, et j'avais le corps tout rouge, dont je ne m'étais point aperçu ; et le Roi fut le premier, qui me regardant le col et puis l'estomac, me dit : Jésus ! mon ami, vous êtes perdu. Et appelant M. du Laurens[26], il lui dit : Qu'est-ce que cela, M. du Laurens ?C'est, dit-il, Sire, une ébullition de sang pour s'être trop échauffé ; il le faut faire saigner promptement, et ce ne sera rien. Ce que je fis faire aussitôt que je fus arrivé à mon quartier, qui était à Semoy.

Le Roi étant logé à la Rochette, dès le lendemain matin m'envoya visiter par M. de Termes, croyant qu'il me trouverait encore au lit ; mais il me trouva montant à cheval pour aller disposer mes batteries, ce qui fit émerveiller le Roi, quand il le lui dit.

Je m'en allai à Aiguebelle, qui est la ville au pied du fort, en laquelle il y avait quelques régiments logés ; ceux du fort tiraient en furie partout où je passais et semblait qu'ils me reconnussent.

Quand j'eus bien considéré cette place, je la trouvai meilleure que je ne pensais ; car c'était un roc inaccessible de tous côtés, fors en un seul endroit qui avait été remparé, de sorte qu'il semblait que ce fût roc naturel comme le reste. Mais, une nuit bien noire, je m'en approchai si près, qu'avec une pique que je fichai dans ce bastion, j'appris que ce n'était que terre et fascine, si bien recouverte d'herbe que l'on ne pouvait juger si c'était roc ou non. Davantage encore que cette place fût fort commandée, néanmoins les montagnes des environs étaient tellement inaccessibles, que c'était tout ce que pouvait faire un homme à pied que d'y monter. Toutefois, ayant gravi sur les plus difficiles rochers, je reconnus un chemin, par le derrière, par lequel, à force de bras, l'on pouvait monter du canon ; mais il le fallait passer auparavant par un chemin si proche du fort qu'ils y pouvaient jeter des pierres. Tellement que, pour éviter tous périls, je choisis une nuit la plus noire et pris 200 Suisses et 200 Français, auxquels je promis à chacun un écu pour tirer l'artillerie à force de bras, du long le chemin ; et fallait faire basse voix, car autrement le château les eût couverts de coups de pierres, mousquetades et d'artilleries. Aussi, en tirant, ils se disaient les uns aux autres à l'oreille et de main en main : Chet ! Chet ! Et, pour encore détourner l'oreille et les yeux des ennemis ailleurs, je fis mener des chevaux et charretiers vers d'autres chemins, comme si l'on eût voulu passer par là des pièces, lesquels étaient couverts d'arbres, gabions, madriers et murailles, et faisant claquer leurs fouets en quantité criaient : hay ! hay ! et jetaient plusieurs autres voix semblables, de telle sorte que les ennemis tiraient là sans relâche.

Or, comme j'eus ordonné tout cela, je commis (chargeai) le commissaire La Vallée, mon lieutenant en Bretagne, pour faire tout marcher, et je m'en allai visiter les autres batteries. Pendant lequel temps il vint une si forte pluie, que La Vallée abandonna l'artillerie et s'en alla souper et coucher chez M. de Grillon[27], et tous les Suisses et soldats aussi quittèrent et prirent le chemin de leur quartier. Sur lequel, moi revenant pour voir comment La Vallée avait avancé son charriage[28], je les rencontrai, et les ayant reconnus, je leur demandai pourquoi ils avaient abandonné le canon ; et ils me dirent que la pluie en avait chassé tous les officiers de l'artillerie et eux après. Alors, encore que je n'eusse point de manteau et que j'eusse essuyé toute l'ondée de la pluie en pourpoint, néanmoins, après plusieurs contestations, et les menaçant qu'ils n'auraient argent de trois mois, je les fis retourner et derechef atteler au canon, dont ils passèrent six pièces cette nuit-là avec grands hasards, car il y en eut six tués et huit de blessés ; et quand la dernière pièce fut hors du danger du château, je m'en allai, avec autant de diligence que l'obscurité de la nuit le pouvait permettre, en mon quartier, changer d'habits, car j'étais tout traversé et tout plein de boue et de terre...

Sur les neuf heures, mes pièces furent au plus haut des rochers, où l'on avait déjà fait des gabions et scié des madriers, trépans[29] et ais pour les plates-formes[30] ; mais quand ce fut à remplir les gabions, il ne se trouva pas de terre à un demi-quart de lieue de là, mais seulement des pierrotages qui eussent estropié tout le monde : tellement que mes officiers s'en vinrent à moi tous étonnés, disant : Monsieur, nous ne saurions ici faire plates-formes, ni logements, ni embrasures, ni remplir gabions, car il n'y a point de terre. Lors je dis : Vous êtes bien effarés ; là, là, faites lapalissade que je vous ai commandée tout du long de la côte ; et promptement, pour ôter vos logements de la vue des ennemis, faites-la bien haute et bien épaisse, et je m'en vais donner des ordres pour le surplus.

En même temps Rosny fit venir tous ses charpentiers et scieurs de long, leur fit abattre plus de 200 hêtres, et, sans entrer dans les détails qu'il donne, deux heures après ses six pièces étaient en batterie, et si bien cachées à la vue de l'ennemi, qu'il lui était impossible de les découvrir.

Sur les trois heures, le Roi me vint voir, continue Rosny, lequel trouvant toutes choses si avancées et ayant su les difficultés que j'y avais rencontrées, il en fit des exclamations, m'embrassa trois ou quatre fois et puis me dit : Or çà, voilà vos batteries prêtes de tous côtés, qui empêchera de les saluer ?Jésus, Sire, dis-je, il s'en faut bien garder, car nous rendrions inutile l'artifice dont j'ai usé pour leur cacher mes pièces, lesquelles si ils découvrent avant la nuit, ils me prépareront durant icelle une contre-batterie qu'il faudra que je combatte et déloge demain au matin avant que je puisse battre en batterie[31]. Ce que le Roi approuva ; mais depuis ayant parlé à MM. le comte de Soissons, d'Epernon, la Guiche, Villeroy et autres, il changea d'avis et dit : Je veux voir quel effet feront vos pièces, car il me semble que ce ravelin[32] que vous voulez battre est un roc où vous ne ferez rien. Je contestai quelque temps, et le Roi, s'étant mis là-dessus en colère, me dit : Vous voulez faire le maître partout, et c'est moi qui le suis. — Oui vraiment, Sire, vous êtes le maître, dis-je, aussi serez-vous obéi, quand je devrais tout gâter. Lors je criai : Holà, ho ! tout le monde aux batteries, à la poudre, aux boulets, aux leviers et haut les bras[33]. Et aussitôt la palissade renversée l'on commença à mettre le feu ; mais c'était à tirer tantôt en un endroit, tantôt en un autre, sans s'arrêter à rien de certain, car tout le monde commandait et je ne me mêlais de rien.

M'étant éloigné tout en colère de voir ce désordre, le petit La Guesle me vint dire : Monsieur, le Roi vous demande. — Dites-lui, dis-je, que je n'ai que faire là pour tirer aux moineaux, et que le soleil se va coucher ; partant, entre-ci et là, que chacun fasse comme il l'entend. Peu après le Roi fit tout cesser, ayant seulement fait tirer quelque cent coups qui ne servirent de rien. Je couchai en mes batteries et ne voulus point aller en mon quartier.

Toute la nuit il plut fort, et néanmoins je ne laissai de faire travailler ; les ennemis en faisaient autant, et j'apercevais des feux et de la chandelle en trois ou quatre lieux, auxquels je fis tirer quelques volées pour les empêcher.

A la pointe du jour, il se leva un si grand brouillard, que l'on ne voyait pas la forteresse à six heures, ce qui me mit en peine, car je m'étais vanté aux courtisans de prendre la place le lendemain, et commençai à dire en riant : Je veux éprouver si le bruit et le vent du canon ne dissipera point les nuées et les brouillards. Lors je mandai à toutes les batteries qui étaient des autres côtés, au nombre de quatre, qu'aussitôt qu'elles entendraient le tintamarre de mes pièces, ils fissent haut les bras partout ; et à la seconde volée tous les brouillards s'écartèrent, et vit-on le fort tout à clair ; duquel quatre pièces logées dans les embrasures du roc qu'ils avaient taillées la nuit, commencèrent à tirer dans les miennes, me blessèrent deux commissaires, tuèrent six canonniers, huit pionniers, et blessèrent douze ou quinze personnes de toutes qualités : tellement que deux pièces furent abandonnées jusques à ce que j'eusse délogé les leurs ; et moi-même allai pointer une pièce qui donna droit dans l'embrasure du roc, rompit deux pièces qui y étaient, tua un de leurs canonniers et blessa les deux autres.

Sur ce bruit le Roi vint au galop, arriva sur les neuf heures et fit apporter là son dîner. Je lui avais fait préparer un lieu garni de gros arbres tous entiers, l'un sur l'autre, pour le mettre à couvert et lui faire voir sans danger tout ce qui se ferait, et lui montrai les morts et blessés ci-dessus, lui en disant les causes. Ceux qui, le jour de devant, l'avaient irrité contre moi, essayèrent encore à faire le semblable ; ce que voyant, je lui dis : Sire, je m'en vais dîner, car je n'ai de cejourd'hui mangé, et si (cependant) suis au travail dès le soir ; pendant ce temps-là que chacun fasse le grand-maître qui voudra ; car, quand j'aurai dîné, ou l'on me laissera faire à ma fantaisie, ou je quitterai tout là.

Lors le Roi m'envoya querir un pâté de truite que l'on lui avait envoyé de Genève, le plus grand qu'il était possible de voir : on l'envoya à ma table, qui était de 40 serviettes, dressée sous un grand roc en forme de demi-voûte tout tapissé de lierre. Mon dîner fut court et je revins aussitôt dire au Roi : Sire, au nom de Dieu, laissez-moi battre en juste batterie et au lieu que j'ai reconnu, car je sais bien que par là je prendrai la place aujourd'hui. — De belles, me dit le Roi ; je voudrais bien être assuré de la prendre dans trois jours ; mais faites ce que vous voudrez. Lors La Guesle, qui était près de lui, dit : Si j'étais là-dedans, l'on ne me prendrait d'un mois. — Allez-y, dis-je, et si je ne vous fais tous pendre aujourd'hui, je veux être tenu pour un fat.

Lors S. M. s'en alla dans une tente où son couvert avait été mis ; mais il y fut plus d'une heure avant que son dîner vînt, et autant quasi à dîner, puis voulut aller voir mon parc, tellement que j'eus trois heures à battre à ma mode ; et comme S. M. venait, disant à M. le comte de Soissons : Cette place ne sera pas prise aujourd'hui. — Aussi, Sire, vous en devriez vous faire croire, répondit-il, car ce qu'il bat est un roc. — Nous le verrons bien maintenant, dit le Roi, laissons-le faire tout aujourd'hui. Et en ce même temps ils entendirent la chamade et crier qu'ils voulaient parler ; de quoi le Roi fut aussi aise que mes envieux en furent marris.

Après divers pourparlers sur les conditions de la reddition de la place, Rosny recommença le feu avec une telle furie et si heureusement, que les poudres des assiégés sautèrent et fricassèrent de 20 à 25 soldats, que le ravelin tomba et qu'il y eut une brèche praticable. Les assiégés firent une nouvelle chamade.

Et parce que je ne laissais pas de faire toujours tirer, même que le tambour qui faisait la chamade fut élevé plus de 2 toises[34] en l'air, sans avoir mal, d'un coup de canon qui donna dans des terrasses sous ses pieds, ils firent mettre un linge au bout d'une pique et commencèrent à crier : Monsieur de Rosny, Monsieur de Rosny, nous nous rendons et acceptons ce que vous nous avez offert. — Et moi, dis-je, je vous rends à tous les diables, tirez toujours. Or, comme ils virent que mes batteries ne cessaient point de tirer et que tout s'en allait d'effroi parmi eux, ils firent signes et tendirent les mains aux soldats qui étaient au-dessous de la brèche, leur disant : Montez, montez, soldats, lesquels aussitôt entrèrent dedans à la foule ; et je fus alors contraint de cesser de tirer, car j'eusse tué les miens. Je montai à cheval aussitôt et m'en allai au galop dans le fort, où tous se vinrent jeter à genoux devant moi, disant : Monseigneur, nous sommes à votre discrétion, ayez pitié de nous. Sur quoi je leur dis : Ne savez-vous pas bien que je vous ai promis de vous faire tous pendre ; il faut que je vous tienne promesse. Lors ils me présentèrent leurs blessés, puis leurs brûlés. Je n'estime pas qu'il se puisse voir chose si horrible et si pitoyable ensemble ; d'abondant les femmes me vinrent prier, les genoux en terre, les mains jointes et les larmes aux yeux ; il y en avait de belles, et une entre autres, la plus belle que l'on eût su voir. Tout cela m'attendrit le cœur, et enfin je leur baillai la même capitulation que leur avais premièrement offerte, laquelle je fis observer de point en point, et furent conduits en lieu de sûreté.

Bien que devenu grand-maître de l'artillerie, Sully était toujours resté le soldat d'Ivry. M. de Grillon[35] cependant voulut faire lui-même, et en un lieu bien chatouilleux, l'épreuve du courage et du sang-froid de Sully.

Sully raconte, dans ses Mémoires[36], que M. de Grillon étant venu se loger à Aiguebelle, au pied du fort de Charbonnières, pour y commander les gens de pied, le rencontra un jour dans un pré très rapproché du fort, faisant la reconnaissance d'un ravelin qu'il voulait abattre à coups de canon.

Voyant, dit Sully, que je ne me tenais pas encore assez éclairci de ce que je désirais savoir et voulais remettre cette reconnaissance à une autre fois qu'il ne ferait pas si clair, et que les canonnades, mousquetades et arquebusades n'y seraient pas si réveillées et fréquentes, M. de Grillon me dit : Quoi ! mordieu, mon Grand-Maître, craignez-vous les arquebusades en la compagnie de Grillon ? Arnidieu, puisque je suis ici, elles n'oseraient approcher, et partant allons, allons jusques à ces arbres que je vois à 200 pas d'ici ; car de là vous reconnaîtrez plus aisément. — Eh bien, eh bien, lui dis-je en riant et branlant la tête, allons ; car puisque vous voulez que nous fassions à qui sera le plus fol, vous étant le plus vieux, je veux faire voir aussi, quoi qu'il en doive arriver, que vous êtes le plus sage. Et lors, le prenant par la main, je le menai si avant par delà les arbres, que les arquebusades nous sifflant plus dru et menu aux oreilles qu'elles n'avaient encore fait, il me dit : Arnidieu, ces coquins, à ce que je vois, n'ont point d'égard au bâton de Grand-Maître ni à la croix du Saint-Esprit, et nous pourraient bien estropier ; partant gagnons cette rangée d'arbres et de haies du long de ce chemin, par lequel nous serons plus tôt à couvert ; car, par le corps-dieu ! je vois bien que vous êtes bon compagnon et digne d'être grand-maître, et partant je veux être toute ma vie votre serviteur, et que nous fassions une amitié inviolable : me le promettez-vous pas ? Et lors je le jurai ainsi et nous touchâmes en la main ; ce qu'il observa toujours depuis ; de telle sorte qu'il me déférait plus qu'à seigneur de France, voire même qu'au Roi[37].

De Charbonnières Rosny envoya sa redoutable artillerie devant le château de Montmélian, et alla trouver le Roi afin de le décider à lui permettre de l'attaquer. S. M. s'opiniâtra dans ses refus précédents, et lui dit enfin :

Regardez bien ce que vous faites, car si nous sommes contraints par le temps à lever le siège, tout le monde criera après vous, et moi peut-être tout le premier. — Pourvu que vous me promettiez une chose, Sire, dis-je, je vous engage mon honneur et ma vie de vous mettre dedans d'aujourd'hui en cinq semaines. — Et que voulez-vous que je vous promette ? dit le Roi, car dès à présent je vous le promets. — C'est, dis-je, Sire, que vous n'y viendrez point, car c'est la plus meurtrière place que je vis jamais, et s'il vous arrivait quelque accident, je serais au désespoir. Et là-dessus je m'en allai, leur ayant derechef jeté un autre plan sur la table.

Le grand-maître, devenu le chef de l'armée assiégeante, mit des batteries en lieux où gens de pied ne pouvaient aller, et battit en brèche une place que sa situation élevée, le roc sur lequel elle était bâtie et ses fossés creusés dans le rocher faisaient passer pour inattaquable. Rosny s'exposa aux plus grands dangers pour reconnaître de près toutes les parties des défenses. La forteresse, pourvue de 30 canons et de 8.000 coups à tirer, se défendit énergiquement, et ses canonniers étaient fort habiles. Un jour que Rosny, son bâton à la main, faisait travailler ses pionniers, couvert d'un chapeau orné d'un grand panache blanc ou vert, et d'un habit vert chamarré d'or, l'ennemi, jugeant bien que ce devait être un homme de commandement, pointa les six pièces qui défendaient cette partie du château, et y mit le feu.

La première volée porta fort haut, dit Rosny, la seconde donna bas, et voyant mettre le feu à la troisième, je dis aux sieurs de Lézines, de Maignan et de Feugères, qui étaient près de moi : Pardieu, c'est à moi que ces gens en veulent à cette fois ; car ayant mis haut et ensuite bas, ils pourraient bien maintenant donner au milieu, et m'étant en même temps mis derrière un banc de roc qui était tout contre, que j'avais fait réserver exprès pour cet effet, et avancé une pique au lieu où j'étais auparavant, ils ne faillirent pas de donner là si justement, qu'un boulet me brisa en la main la pique que j'avais mise en ma place, et les autres allèrent tuer trois pionniers, deux canonniers, et casser les cruches, bouteilles et verres que l'on avait apportés pour ma collation, que l'on avait mise dans un trou de roc.

Le Roi, ayant appris le danger que Rosny avait couru, lui écrivit une lettre demi en colère.

Mon ami, autant que je loue votre zèle à mon service, autant je blâme votre inconsidération à vous jeter aux périls sans besoin. Cela serait supportable à un jeune homme qui n'aurait jamais rendu preuve de son courage et qui désirerait commencer sa fortune ; mais la vôtre étant déjà si avancée que vous possédez les deux plus importantes et utiles charges du royaume, vos actions passées vous ayant acquis envers moi toute confiance de valeur, et ayant plusieurs braves hommes dans l'armée où vous commandez maintenant, vous leur deviez commettre[38] ces choses remplies de dangers : partant, avisez à vous mieux ménager à l'avenir ; car si vous m'êtes utile en la charge de l'artillerie, j'ai encore plus besoin de vous en celle des finances. Que si par vanité vous vous les rendiez incompatibles, vous me donneriez sujet de ne vous laisser que la dernière. Adieu, mon ami que j'aime bien ; continuez à me bien servir, mais non pas à faire le fol et le simple soldat.

Un jour le Roi demanda à Rosny qu'il lui donnât à dîner, et lui dit qu'il voulait voir l'état du siège et comme les travaux avançaient. Après le dîner S. M. dit à Rosny :

Il n'y a remède ; quoique je vous aie promis, je veux aller voir vos batteries ; et afin que vous n'y contredisiez pas obstinément, à cause du danger que je pourrais courir, j'irai partout où vous voudrez, je reviendrai de même, et n'y mènerai que mon cousin le comte de Soissons, M. d'Epernon, M. le Grand[39] et vous. — Or bien, Sire, dis-je, puisque ma contestation ne servirait de rien, et que c'est un faire le faut, je vous prie que tout le monde demeure, et prenez chacun un méchant manteau, afin de cacher vos clinquants et vos bonnes mines. Surtout il y a un certain espace d'un champ plein de cailloux par où il faut passer, ou prendre demi-lieue de détour, qui est fort dangereux ; car il y a toujours 10 ou 12 pièces pointées, et le plus souvent 30 ou 40 mousquetaires à l'affût, pour ce qu'ils savent bien qu'il faut passer par là pour aller à mes deux grandes batteries des précipices. Nous étant donc ainsi cheminés tous cinq, et allant en file, il fut tiré quelques mousquetades qui ne plaisaient pas trop à la compagnie. Mais comme nous fûmes dans le susdit champ à découvert, nous fûmes salués de 10 ou 12 coups de pièces et de tant de mousquetades, que ce fut une merveille qu'il n'y en eût de frappés ; aussi fûmes-nous quasi tous couverts de terre et de cailloux qui en égratignèrent quelqu'un, et commença le Roi à faire le signe de la croix : sur quoi je lui dis : Vraiment, Sire, c'est à ce coup que je vous reconnais bon catholique, car c'est de bon cœur que vous faites ces croix. — Allons, allons, dit-il, car le séjour ne vaut rien ici. Lors nous passâmes outre, et fut d'avis la compagnie de revenir par le plus long chemin derrière les montagnes, comme nous fîmes, y ayant fait mener les chevaux.

Rosny avait déployé tant d'activité, bravé tant de dangers pour reconnaître avec le plus grand soin les parties de la place qu'il voulait battre en brèche ; il avait fait de si beaux travaux pour établir des batteries là où il semblait que des gens de pied ne pussent aller, et le feu de ses canons fut si bien dirigé et si vif, que les assiégés se décidèrent enfin à demander un traité. Les premières négociations se firent entre Madame de Rosny, qui se trouvait à l'armée, et Madame de Brandis, femme du gouverneur de Montmélian. Le Roi averti envoya MM. de Biron et d'Epernon pour, avec Rosny, commandant en chef de l'armée assiégeante, traiter de la capitulation avec M. de Brandis. Malgré Rosny il fut décidé que M. de Brandis, au lieu de rendre la place immédiatement, ne la rendrait que dans un mois, si d'ici là il n'était secouru.

Bientôt on apprit que 25.000 hommes, dont quelques milliers de Suisses envoyés par le duc de Feria, gouverneur espagnol du Milanais, allaient passer les Alpes et venir au secours du château de Montmélian. Grande fut l'inquiétude du Roi, qui regrettait de n'avoir pas suivi l'avis du grand-maître ; mais heureusement l'ennemi ne vint pas et la forteresse se rendit.

Pendant ce temps Biron assiégeait le fort Sainte-Catherine, bâti par les ducs de Savoie, à 2 lieues de Genève pour dominer la ville. Henri IV vint au siège. L'historien de Thou raconte que Biron, d'accord avec le gouverneur du fort, devait amener le Roi à un endroit convenu et le tuer à coups d'arquebuse, mais que Biron recula, au moment décisif, d'exécuter cet odieux assassinat. Le fort pris fut démoli.

Les neiges suspendirent ou ralentirent partout les opérations, et Henri IV, quittant l'armée, se rendit à Lyon, où il épousa Marie de Médicis, en décembre 1600, et le 1 7 janvier 1601, il signa, à Lyon également, la paix avec le duc de Savoie. Henri IV lui abandonnait le marquisat de Saluces et recevait en échange la Bresse et le Bugey.

Charles-Emmanuel, en mémoire de sa conquête de Saluces, avait fait frapper une médaille représentant un centaure foulant aux pieds une couronne royale, avec cette légende : Opportune (à propos). A la fin de la campagne de 1600, Rosny fit frapper une autre médaille, sur laquelle était figuré Hercule terrassant un centaure et relevant une couronne, avec ce mot pour âme de la devise : Opportunius (plus à propos)[40].

 

 

 



[1] Cette scène et la défense de Sully par Henri IV ont été, sans preuves, contestées et déclarées invraisemblables.

[2] Sur le Pô supérieur.

[3] Gouverneur du Dauphiné.

[4] Philippe II, roi d'Espagne.

[5] Il y a longtemps que je me repens.

[6] En ce métier.

[7] La baronnie de Rosny ne fut érigée en marquisat qu'au mois d'août 1601. Le texte des Mémoires dit le marquis de Rosny ; c'est une erreur évidente.

[8] Vendre.

[9] Petites choses, de peu de conséquence.

[10] Depuis devenu l'hôtel de Lesdiguières.

[11] Sous Louis XIII et la régence d'Anne d'Autriche.

[12] Voir une gravure représentant ce magasin dans Henri IV et Louis XIII, in-8°, Didot (p. 100).

[13] SAUVAL, II, 331. — Le Dauphin visita, en 1606, l'Arsenal et fut frappé de la vue des belles armes et des gros canons en si grand nombre. Sully lui donna un canon d'argent : il ne fallait qu'un petit cheval pour le tirer (HÉROARD, Journal, 179-180).

[14] SAUVAL.

[15] SAUVAL.

[16] SULLY, Mémoires, VI, 122 ; IX, 209.

[17] En 1715 tous ces vieux bâtiments furent détruits, et rebâtis en 1718 par Germain Boffrand. Presque tous ont été détruits depuis. Aujourd'hui le fossé de l'ancienne enceinte de Paris forme l'extrémité du canal Saint-Martin et s'appelle la Gare de l'Arsenal. — L'ancien Arsenal comprenait : le boulevard Bourdon, — les grandes écuries à deux étages de la compagnie des Omnibus et diverses maisons qui remplacent les anciens greniers d'abondance brûlés en 1871, — la place et la rue de l'Arsenal, — la raffinerie de salpêtre, établie sur l'emplacement du petit Arsenal, — les rues Crillon, Mornay, Brissac, — une caserne située entre les deux dernières rues, — la rue de Sully, — la bibliothèque de l'Arsenal, où l'on voit encore quelques restes de l'ancien appartement du grand-maître, — le boulevard Morland. Le bras de la Seine qui séparait l'Arsenal de l'île Louviers a été comblé, et l'île Louviers ainsi réunie au sol de Paris.

[18] Qui forment actuellement le département de l'Ain.

[19] Débats, disputes.

[20] Je choisis, donnai le titre, la préférence.

[21] Voituriers employés au roulage, aux transports à grande distance.

[22] Ou loués aux rouliers ?

[23] Village de la Bresse, à 7 lieues de Bourg.

[24] Contrôleur général de la maison du Roi.

[25] Conduire moi-même. — Peut-être : porter.

[26] Médecin ordinaire du Roi.

[27] Mestre de camp ou colonel du régiment des Gardes françaises.

[28] Sully emploie le mot picard Carriage.

[29] Outils pour percer le bois.

[30] Plancher des batteries.

[31] En brèche.

[32] Demi-lune, ouvrage de fortification.

[33] C'était le commandement pour se préparer à tirer.

[34] 4 mètres.

[35] Quoique le nom s'écrive aujourd'hui Crillon, alors on écrivait et on prononçait Grillon.

[36] Tome VI, page 140.

[37] Voir aussi sur M. de Grillon : HÉROARD, Journal, I, 126, 163, 182. — SULLY, Mémoires, VI, 146.

[38] Vous deviez les charger de.

[39] Le grand écuyer.

[40] HENRI MARTIN, X, 510.