HISTOIRE GÉNÉRALE DE LA GUERRE DE 1870-1871

TOME PREMIER

 

CHAPITRE III. — L'ARMÉE FRANÇAISE ET L'ARMÉE ALLEMANDE.

 

 

I. — L'ARMÉE FRANÇAISE.

 

Avant de raconter l'histoire de cette guerre insensée, il faut entrer dans quelques détails sur l'organisation et l'effectif des deux armées que la folie des uns et l'ambition des autres vont mettre aux prises.

Sur le papier, les forces de la France sont de 1.142.000 hommes, dont 642.000 forment l'armée active et 500.000 appartiennent à la garde mobile, qui valait bien, disait-on, la landwehr. En apparence, nos forces sont égales à celles de l'Allemagne, mais sur le papier seulement.

En effet, la garde mobile n'existe pas ; elle a à peine un commencement d'organisation dans quelques départements. Le maréchal Le Bœuf, la regardant comme inutile, n'a pas jugé nécessaire de continuer l'œuvre du maréchal Niel. Reste l'armée active. Sur les 642.000 hommes qui la composent, il faut retrancher tout d'abord les 50.000 hommes de troupes employés en Algérie[1], les 6000 hommes formant le corps d'occupation de Rome, les 80.000 hommes composant les garnisons de l'intérieur, les 24.000 gendarmes et 50.000 non-valeurs[2] : soit un total de 200.000 soldats. Restent 442.000 hommes, sur lesquels il y en a 100.000 dans les dépôts, en y comprenant le contingent de 1869, qui ne sera incorporé cependant qu'au 1er août 1870. Restent 342.000 hommes, sur lesquels 72.000 au moins sont dans la réserve ou en congé, ou appartiennent à la seconde partie du contingent, et ne pourront entrer en campagne au début des hostilités. Restent donc pour commencer la guerre 270.000 hommes[3], qui pourront être rejoints dans un mois environ par 100.000 autres. Mais ces 100.000 soldats ne sont pas venus à l'armée du Rhin, et c'est avec eux que l'on a formé l'armée de Mac-Mahon et plus tard les premières divisions de l'armée de la Loire[4].

Le gouvernement français savait parfaitement à quoi s'en tenir sur les effectifs de convention de son armée[5], qui jamais n'appelèrent l'attention des Chambres ni celle de la presse, et il connaissait par de nombreux rapports quel était l'état exact des forces réelles de l'Allemagne.

Déjà en 1859, la France, qui n'avait envoyé que le quart de ses effectifs en Italie, ne pouvait lever une seconde armée pour l'opposer, sur le Rhin, à la Prusse, quand cette dernière puissance se leva pour défendre l'Autriche ; ce qui obligea l'Empereur à faire la paix de Villafranca. En 1866, à l'époque de Sadowa, l'armée du Mexique absorbe si complètement toutes nos forces disponibles et toutes nos ressources, qu'on ne peut pas encore envoyer une armée sur le Rhin, et que la Prusse reste libre d'agir à sa volonté[6]. Malgré ces deux avertissements, on n'avait rien changé en réalité à notre organisation militaire ; on avait essayé de la modifier, comme nous allons le dire, et pour la troisième fois, en onze ans, la France allait faire la guerre dans des conditions déplorables d'infériorité en hommes et en matériel.

Ceci dit, il est impossible de comprendre comment l'Empire a osé déclarer la guerre.

Après Sadowa, il avait fallu de toute nécessité songer à réorganiser notre armée. Aussi l'Empereur[7] avait-il proposé un projet d'après lequel on devait avoir 750.000 soldats et 450.000 réservistes, rapidement mobilisables. Une opposition générale éclata contre ce projet, dans la presse, dans le pays et à la Chambre. La France avait complètement oublié que : Toute nation qui perdrait de vue l'importance d'une armée de ligne perpétuellement sur pied et qui se confierait à des levées ou des armées nationales, éprouverait le sort des Gaules[8].

Il est impossible de lire aujourd'hui, sans que le rouge vous monte au front, les sottises qui furent débitées à la tribune par les députés de l'opposition pendant la discussion de la loi : l'armée était inutile ; en cas de guerre, on décréterait la levée en masse ; les volontaires de 1792 avaient sauvé la France[9] ; la Prusse n'avait certainement pas plus de 300.000 hommes à mettre en ligne ; sa landwehr n'avait aucune valeur ; on aurait toujours trois mois devant soi pour achever de se préparer, entre la déclaration de guerre et le commencement des hostilités ! Les arguments et le patriotisme du maréchal Niel furent étouffés sous cette avalanche d'inepties.

L'opposition générale faite au projet de loi et le désir de ne pas mécontenter l'électeur rural, qui a une horreur particulière pour le service militaire[10], amenèrent une transaction, d'où sortit la loi du 1er février 1868, qui créait une armée active de 640.000 hommes et une garde mobile de 500.000 hommes, et qui finalement nous donnait deux ans plus tard 270.000 combattants pour faire la guerre à la Prusse.

En étudiant l'armée, son organisation et son esprit, on constate qu'elle s'est peu à peu, mais considérablement affaiblie sous l'Empire.

Les causes générales de cette décadence doivent être surtout attribuées à la direction venue d'en haut. L'idée césarienne, qui détruit volontiers tout intermédiaire entre le prince et la plèbe, s'était donné carrière dans l'armée plus que partout ailleurs. L'autorité et par suite la responsabilité des officiers furent fortement atteintes, au grand détriment du bon fonctionnement des institutions militaires. Aux revues, l'Empereur autorisait les soldats et les officiers subalternes à sortir des rangs et à lui remettre directement leurs réclamations. Les généraux et les colonels essayèrent dé s'opposer à cette violation flagrante du règlement. L'Empereur exigea qu'ils tolérassent ces actes d'indiscipline, et dit même à un colonel de la Garde qu'il voulait que les soldats fussent heureux surtout dans sa garde. Il fit lever la punition que ce colonel avait infligée à un homme de son régiment qui s'était permis de sortir du rang et de remettre une pétition à l'Empereur[11]. L'incompétence absolue du chef de l'État et de son entourage, qui dirigeaient tout et sans contrôle, et le manque de véritables ministres de la guerre depuis la mort du maréchal de Saint-Arnaud, eurent les plus fâcheuses conséquences, en détraquant tout le mécanisme de l'armée. Plus tard, le maréchal Niel, esprit distingué et dévoué à ses devoirs, disparut au moment où il pouvait rendre des services.

En l'absence de ministres dignes de ce nom, l'inspection générale, qui a été longtemps le grand moyen de conservation des principes dans l'armée, perdit toute valeur et devint une simple formalité se terminant toujours par des félicitations banales et d'inévitables témoignages de satisfaction. Le favoritisme trouva dans ce milieu tous les moyens de se donner libre carrière, et produisit les généraux que nous allons bientôt voir à l'œuvre.

La ruine de la discipline et de l'esprit militaire, qui remonte à la révolution de 1848, s'acheva sous le régime impérial. L'absence de respect pour la loi et pour les chefs, l'affaiblissement du sentiment du devoir, qui se constatent malheureusement dans toute la nation, ne pouvaient manquer de se faire sentir dans l'armée, à tous les degrés de la hiérarchie.

La discipline, minée par les journaux de la démagogie, la bonne tenue habituelle dans le rang[12], l'allure martiale d'autrefois, ont notablement diminué chez le soldat. Les troupes marchent souvent en désordre ; les régiments sont précédés quelquefois d'une musique qui joue des polkas ou des airs de Thérésa, la chanson du Sapeur, par exemple. La tenue débraillée et les habitudes de désordre des régiments d'Afrique ont déteint peu à peu sur toute l'armée. L'exercice, les manœuvres, sont négligés. On ne fait plus ces beaux maniements d'armes, qui faisaient dire un jour au bey de Tunis, s'adressant au bataillon de Saint-Cyr qu'il avait rencontré dans le parc de Versailles : Je vous remercie, messieurs, de m'avoir montré un bataillon qui n'a qu'une main et qu'une âme. Les troupes sont désœuvrées et peuplent les cabarets, les brasseries et les cafés.

Il y a trop de mercenaires et de remplaçants dans l'armée[13]. L'exonération a détruit l'idée qu'on devait le service militaire à son pays, par le fait même qu'on était citoyen et en état de porter les armes. La bourgeoisie ne veut plus que ses fils soient soldats ni même officiers. Sur le contingent de 1869, il y a eu 42.000 demandes de remplacement. La solidité des régiments est ébranlée par le grand nombre d'hommes envoyés en congé ou placés dans la réserve, et qui ne reviennent au corps que mécontents d'être rappelés et avec un mauvais esprit. C'est qu'en effet toutes les classes de la société ont cessé d'avoir le patriotisme étroit, mais profond, de nos pères. Le pays se croit délivré de toute obligation militaire, du moment qu'il paye l'exonération, ou le remplacement et l'impôt. Peu lui importe l'armée, et qu'elle soit bonne ou mauvaise ; il aura 'besoin des ravages de l'invasion pour revenir à des idées plus saines. Il semblait vraiment qu'on ne pouvait être soldat que si on était d'abord un pauvre diable sans argent, bon seulement à être tué. Un pareil système devait conduire à l'abîme.

Les bons sous-officiers étaient devenus assez rares ; leur recrutement était difficile ; à peu d'exceptions près, leur ignorance était grande, et cependant beaucoup devenaient officiers. C'est à peine si les élèves de Saint-Cyr remplissaient le tiers des emplois vacants de sous-lieutenants. De bons esprits croient avec raison, ce nous semble, qu'il faut créer des écoles de sous-officiers[14], et qu'en tout cas il ne faut nommer officiers que des hommes qui fassent preuve d'une instruction générale suffisante.

Vers la fin de l'Empire, les officiers étaient fatigués de leur métier ; ils ne portaient l'uniforme qu'en maugréant ; ils ne faisaient leur service, réduit au minimum, surtout dans la garde, qu'en se plaignant. Presque tous, généraux et officiers, avaient pris l'habitude de ne plus faire sérieusement ce qu'ils avaient à faire ; presque personne dans l'armée ne s'occupait d'études militaires un peu élevées ; c'était s'exposer à être mal noté que de travailler avec application[15]. Le besoin de s'amuser, qui s'était emparé de toute la nation, régnait dans l'armée comme ailleurs. A quoi bon, après tout, servir avec dévouement et apprendre les sciences militaires ? La loi de 1832, qui rend les officiers propriétaires de leur grade, et la loi sur l'ancienneté assurent à tout officier qui a obtenu les épaulettes un peu de bonne heure le grade et la retraite de chef de bataillon ; avec des protections et de la faveur, on est sûr d'arriver plus haut, et dans tous les cas le travail ne sert pas à l'avancement.

Dans de telles conditions il ne faut pas s'étonner si nos officiers sont généralement trop peu instruits, même ceux qui sortent des écoles militaires, et si la plupart de nos généraux sont dépourvus d'instruction tactique et stratégique, aussi bien en théorie qu'en pratique. La guerre d'Afrique les a presque tous habitués à ne compter que sur la baïonnette du soldat et les a gâtés par des succès trop faciles[16]. Il manque dans notre armée une école militaire supérieure où puissent se former des officiers de toutes les armes, qui deviendraient des généraux instruits et sachant leur métier[17]. Il faut chercher et trouver le moyen de forcer les officiers à travailler toujours les sciences militaires, si difficiles et si changeantes, et régler leur avancement sur leur savoir, tout en tenant compte, bien entendu, de leur caractère et de leurs qualités personnelles : car aujourd'hui il peut se faire qu'un officier ne travaillant pas, n'y étant ni encouragé ni forcé, vaille moins à la fin de sa carrière qu'à ses débuts.

A défaut d'un système où l'étude et l'intelligence auraient été la règle de l'avancement, les grades étaient donnés presque exclusivement à la faveur.

On a lu, depuis, sur les papiers trouvés aux Tuileries, des recommandations faites par l'Impératrice en faveur de certains officiers, et ainsi conçues : Bon danseur, danseur intrépide. Sous un pareil régime les officiers qui n'avaient pas de recommandations puissantes n'avançaient pas, ne pouvaient pas avancer. Le découragement s'emparait d'eux. Les uns, sûrs d'arriver quand même, ne faisaient que le strict nécessaire ; les autres, certains de n'arriver à rien, faisaient de même. Le service se désorganisait ; les règlements n'étaient plus exécutés ; la paresse était à l'ordre du jour. En revanche, le luxe, le goût immodéré du confortable et des plaisirs envahissaient l'armée aussi bien que la société civile, et amenaient un relâchement notable dans l'accomplissement du devoir.

Ce tableau est sombre, mais absolument vrai. Les défaites, les surprises, les défaillances et les capitulations dont on va lire le récit exigeaient l'indication précise des causes qui ont produit cet entassement de hontes jusqu'alors inconnues dans notre histoire. Il fallait montrer ce que le gouvernement qui avait tout désorganisé en France avait fait de l'armée.

Un esprit de routine obstinée dominait partout, au ministère, dans les comités ; et cependant on changeait constamment certaines choses, les uniformes, les coiffures, les plumets, et, ce qui était plus grave, le nombre des bataillons, des escadrons et des compagnies, les programmes des écoles, certains règlements d'administration, etc. C'était le mouvement de l'écureuil dans sa cage. On parlait sans cesse de progrès, sans jamais en accomplir un vraiment sérieux et utile, et quand on avait remplacé une tunique par une jaquette, ou un pompon par une aigrette ridicule, on croyait avoir fait quelque chose.

Pendant que les Prussiens donnaient à leur infanterie une organisation toute nouvelle et appropriée, soit pour les tirailleurs, soit pour les troupes de ligne, à l'action du fusil à tir rapide et des nouveaux canons à longue portée, le comité d'infanterie se contentait de modifier quelque peu, en 1862 et 1868, nos anciennes théories et les évolutions de ligne. Il faisait, en 1868, une nouvelle Instruction sur les tirailleurs, et de son côté le maréchal Niel publiait à la même époque des Observations sommaires pour les combats. Quelque justes que fussent ces observations, elles étaient insuffisantes en présence des grandes transformations que les nouvelles armes devaient accomplir dans la tactique, et notre armée avait encore en réalité ses anciennes théories lorsque la guerre éclata. Nous arrivions donc devant l'ennemi, en 1870, avec nos vieilles formations de 1791, à peine modifiées, et avec nos déplorables habitudes d'Afrique, contraires à toute tactique savante. Aussi nos généraux furent pris au dépourvu.

Personne n'avait en France l'habitude pratique du service en temps de guerre ; aucune troupe n'y était exercée. En Prusse, la théorie est toujours suivie d'applications sur le terrain ; la troupe et les officiers sont habitués aux grandes manœuvres annuelles. En France, cette méthode rationnelle est inconnue, car les manœuvres du camp de Châlons ne sont pas sérieuses[18].

Nos généraux, ignorant leur métier, négligeaient de s'éclairer et laissaient les Prussiens choisir leurs positions. Attaqués par une artillerie supérieure en nombre, habituée aux manœuvres, sachant pointer et rectifier promptement le pointage, et composée de pièces à plus longue portée que les nôtres, nos généraux ne savaient même pas mettre leurs canons en position. Au lieu de se mettre en batterie à 2.000 ou 2.500 mètres, puisque la portée de nos pièces ne permettait pas de les placer plus loin, on se mettait en batterie à 3.500 et 4.000 mètres, et on envoyait à l'ennemi des obus qui éclataient à 500 ou 1.000 mètres en avant des Prussiens.

Pendant que l'ennemi cachait soigneusement son infanterie dans les bois, la nôtre était placée, comme autrefois, derrière nos batteries et à une petite distance, couchée à plat ventre pendant quatre ou cinq heures, et décimée par les obus. Des régiments ont ainsi perdu 500 hommes. Quand on faisait relever les soldats, ils étaient démoralisés, affolés ; et c'est après que notre artillerie était démontée et hors de service, qu'on lançait nos fantassins contre les batteries de l'ennemi et contre son infanterie, qui à ce moment sortait des bois.

Dans les anciennes guerres, on plaçait l'infanterie debout et à petite distance de l'artillerie, parce que, le tir du canon, à cette époque, étant de 5 à 600 mètres, il fallait des troupes de soutien pour défendre les pièces contre une attaque rapide qui n'avait qu'une faible distance à parcourir. Mais aujourd'hui, contre des canons qui portent à 4 et 5.000 mètres, et contre une infanterie encore plus éloignée, placer comme autrefois les troupes derrière les pièces, avec un seul changement qui consiste à les mettre à plat ventre pendant le combat d'artillerie, c'est quelque chose d'inouï et qu'auraient de la peine à croire nos généraux de Leipsick, eux qui restaient des journées entières debout et immobiles sous le feu des 1.600 canons de l'ennemi[19]. Le maréchal Niel avait aussi imaginé les tranchées-abris, qui rendirent quelques services ; mais elles furent en général plus nuisibles qu'utiles. On se figurait que, placés dans leurs tranchées et armés de leurs chassepots, nos soldats n'auraient plus qu'à se tenir sur la défensive et à tuer tout ce qui se présenterait devant eux. Cette théorie commode de combat rendait inutile toute tactique. Attendre remplaçait l'offensive et toute manœuvre. Mais, pendant ce temps, l'ennemi allait manœuvrer et accomplir ses mouvements tournants ou enveloppants.

Notre infanterie avait un excellent fusil, le chassepot, et sa bravoure traditionnelle ; mais ce n'était plus suffisant.

Les guerres d'Afrique, qui ont exercé une influence détestable sur notre armée, influence que de bons esprits signalaient dès 1842, les guerres d'Afrique avaient jeté parmi nos troupes des habitudes de désordre, de coups de main, un manque d'ensemble, qui ne firent que s'accroître au Mexique. La nécessité d'emporter tout avec soi dans une expédition en Algérie avait fait exagérer au delà du possible le poids que porte le fantassin et les bagages de l'officier[20]. Le fantassin français, si leste, si bon marcheur autrefois, était devenu plus lourd que le fantassin allemand, auquel on a fait exécuter des marches remarquables pendant cette campagne. Déjà les Prussiens avaient observé la lenteur de nos marches en Italie, en 1859, et avaient observé que de Magenta à Solferino nous n'avions fait que 8 kilomètres par jour, et ils s'en souvenaient. Le temps des marches de la division Masséna en 1797, du corps de Marmont en 1805 et des troupes de Napoléon pendant la campagne de France en 1814, est-il donc décidément passé pour nos armées ?

La cavalerie, de même que l'infanterie, était organisée comme au temps du premier Empire. Le comité de cavalerie, ne tenant aucun compte des fusils et des canons nouveaux, n'avait pas su voir qu'après la guerre de Bohême et celle des États-Unis, la tactique de la cavalerie était à refaire complètement chez nous ; que les charges par grandes masses étaient devenues presque impossibles ; que la brillante école des Murat, des Montbrun et des Caulaincourt était à peu près finie, et que la tradition de Steingel et de Lasalle devait être plus spécialement suivie et développée. Il n'avait pas tenu compte de la transformation que la cavalerie avait subie en Prusse[21], où elle est employée surtout à faire des reconnaissances au loin, à couvrir l'armée d'un rideau impénétrable à l'ennemi, et à observer, au contraire, tout ce qu'il fait. Le maréchal Niel, qui se préoccupait de toutes ces graves questions avec un intelligent patriotisme, avait voulu changer le règlement pour le service de la cavalerie ; les généraux s'y opposèrent. Il publia en 1866 les Observations sur le service de la cavalerie en campagne, très-bon manuel rédigé d'après les principes du général de Brack ; les généraux ne s'en servirent pas. Il en résulta que la cavalerie, sauf de rares exceptions, ne rendit aucun service pour couvrir nos armées et les avertir des mouvements de l'ennemi. Aussi l'on fut attaqué à l'improviste à Wissembourg, à Reichshofen, à Forbach, à Borny. A Rezonville, la division de cavalerie chargée d'éclairer la route de Verdun fut surprise à l'abreuvoir. A Beaumont, les Prussiens nous surprirent encore et vinrent placer leurs canons à 400 mètres de notre camp, sans avoir été aperçus. A la fin de quelques journées, les généraux firent charger et détruire leur cavalerie pour l'honneur des armes ; mais la bravoure héroïque ne suffit plus aujourd'hui. Pour constituer une cavalerie capable de remplir en temps de guerre la mission d'éclairer l'armée, il faut des régiments composés d'excellents éléments et parfaitement instruits, avec des chefs à la fois prudents et hardis, des officiers et des cavaliers intelligents et habiles, enfin des chevaux très-résistants, c'est-à-dire qu'il faut une organisation nouvelle. Ajoutons cependant qu'à l'armée de la Loire, on fit des reconnaissances sérieuses, on organisa l'espionnage, l'on fit à peu près ce que l'on devait faire, et l'on ne fut pas surpris, au moins aussi souvent qu'au début de la guerre. L'ennemi ne savait plus ce que nous faisions.

Le comité d'artillerie, aussi routinier que les autres, niait la supériorité de l'artillerie prussienne, malgré l'évidence. Le canon d'acier se chargeant par la culasse avait cependant un tir un peu plus rapide, plus juste et d'une portée beaucoup plus longue que le nôtre ; le poids de l'obus était plus considérable, et la fusée de l'obus meilleure. Tout fut nié. On ne voulut pas changer notre canon de 4, dont on vantait la légèreté et les succès à Solferino. Il fallut reconnaître, mais trop tard, qu'on s'était trompé[22]. On fondait aussi de grandes espérances sur les mitrailleuses, qui, dans quelques cas exceptés où elles ont été terribles[23], ont été généralement moins utiles qu'on ne s'y attendait. Il faut encore dire que l'armée prussienne avait un bien plus grand nombre de canons que la nôtre, qu'elle allait employer son artillerie par grandes masses dès le début de l'action, et que nous ne nous doutions pas de cette nouvelle tactique.

La Chambre se montrait si parcimonieuse pour les dépenses militaires, que le gouvernement n'osait pas lui demander l'argent nécessaire pour les fortifications nouvelles. Il craignait toujours que ses demandes de fonds n'amenassent des explications sur les dépenses du Mexique. Faute d'argent, le génie n'avait pu rien faire pour mettre nos grandes places de la frontière d'Allemagne, Metz, Strasbourg et Belfort[24], en état de résister à un siège et pour les protéger contre un bombardement. Au début de la guerre, les forts de Metz étaient à peine commencés, et rien n'était fait à Strasbourg et à Belfort. En revanche, la même direction inintelligente qui a présidé à toute notre administration militaire avait augmenté les fortifications de Bouchain et de quelques autres places du Nord. Tout se faisait au hasard, sans plan d'ensemble.

L'état-major, en tant que corps organisé pour la guerre, c'est-à-dire pour diriger les mouvements des troupes et recueillir les renseignements nécessaires au commandement, qui doit toujours savoir ce qui se passe chez l'ennemi, l'état-major était à peu près nul. En Prusse, ce corps est le principal ressort de l'armée, et il est organisé précisément pour lui rendre les services que nous venons d'indiquer. En France, les officiers d'état-major sont occupés dans des bureaux à faire des écritures et des correspondances, ou sont attachés à des généraux comme aides de camp. Lorsque la guerre éclate, malgré leur instruction, qui est réelle[25], et leur bonne volonté, nos officiers d'état-major sont incapables de remplir leurs fonctions si difficiles, auxquelles ils n'ont pas été préparés par une longue pratique. Les bureaux et les salons les occupent beaucoup trop. Une des causes principales de nos défaites a été la supériorité des états-majors de l'ennemi et la faiblesse des nôtres. Il nous paraît nécessaire de constituer chez nous, comme en Prusse, un état-major général de l'armée, comprenant l'état-major actuel, modifié dans son recrutement et dans son organisation, et les états-majors de l'artillerie et du génie. C'est là que se formeront les généraux, c'est dans cette pépinière que l'on pourra les trouver.

L'intendance est devenue le bouc émissaire d'Israël, que l'armée a rendu responsable de tous ses revers. Il y a beaucoup de vrai dans les imprécations que l'on a lancées contre l'administration militaire ; mais, si plusieurs intendants n'ont pas fait leur devoir avec l'énergie voulue, d'autres n'ont pu le faire par la faute des généraux. Comment veut-on, en effet, que l'administration envoie ses approvisionnements sur les points où doivent arriver les troupes, quand on refuse quelquefois, quand on néglige presque toujours de les lui faire connaître, ou bien quand, après les lui avoir indiqués, on les change sans la prévenir ou en la prévenant trop tard. D'ailleurs on connaît l'axiome : Un bon général a toujours un bon intendant ; et cela s'explique parce qu'on n'est un bon général qu'à la condition de connaître la science des marches et de l'appliquer aux mouvements des convois aussi bien qu'aux mouvements des troupes.

Ajoutons que, là où l'intendance a perdu de son formalisme et de ses habitudes administratives pour se livrer à la partie pratique de ses attributions, ou bien lorsqu'elle a été fortement pressée d'agir par le gouvernement[26], comme à l'armée de la Loire, elle a rendu des services réels.

Ce n'est pas tant l'intendance qui est mauvaise, que le système général de notre administration militaire. Il n'y a qu'en France où l'on croie qu'on fait vivre des armées nombreuses avec des convois réguliers et amenés de très-loin. Pendant la première République et le premier Empire, l'armée vivait sur le pays. L'armée prussienne a conservé cet usage, brutal à coup sûr ; mais la guerre ne peut-être que brutale dans toutes ses parties : il faut que la guerre vive de la guerre.

Arrivés sur un point, les Prussiens y cantonnent leurs troupes et obligent l'habitant à les nourrir. Le cantonnement s'opère par les soins des généraux, qui assignent à leurs divisions tels villages, dont ils se sont donné la peine de connaître la population et les ressources de tout genre, et la répartition des hommes chez l'habitant se fait par les soins de sous-officiers, fort habiles à remplir leurs fonctions. Quand les troupes sont en trop grand nombre sur un point, on bivouaque, et l'administration militaire fait des distributions qu'elle tire des colonnes de vivres que chaque division conduit avec elle, qui en font partie intégrante et qui sont aux ordres du général[27].

L'Afrique nous a été funeste sur ce point comme sur tant d'autres. Nous nous sommes habitués en Algérie à vivre exclusivement sur nos convois et par les soins de l'intendance. Il le fallait bien, puisque le cantonnement y est impossible. D'ailleurs, le système de vivre sur ses convois est praticable en Afrique, parce qu'il ne faut nourrir que des colonnes peu nombreuses. Mais nos généraux ont pris en Algérie l'habitude de ne pas s'inquiéter de la question des subsistances, de s'occuper exclusivement d'eux, de se loger, se coucher et se nourrir le mieux possible, et l'habitude prise en Afrique a été conservée en Europe, au milieu des grandes armées. Le système était mauvais ; on l'avait jugé tel en Crimée et en Italie, mais on ne le changea pas et il existait encore en 1870.

Il y a une réforme profonde à apporter dans l'organisation de notre administration militaire, qui doit, ainsi que les généraux, revenir aux vrais principes de l'art de faire vivre les grandes armées en campagne[28].

En même temps que l'initiative et la responsabilité disparaissaient chez les chefs dans la proportion exacte de la disparition de leur connaissance pratique du difficile métier de la guerre, le rôle du général en chef devenait de plus en plus impossible à remplir. C'est lui, en effet, qui règle tout, jusqu'aux plus petits détails. Il lui faut un travail et un temps prodigieux pour donner cette immense quantité d'ordres. C'est une besogne surhumaine, et il faut cependant que le général en chef et son chef d'état-major l'accomplissent, car personne, à aucun degré de la hiérarchie, n'agira et ne fera quoi que ce soit sans un ordre formel, l'initiative ayant totalement disparu dans tous les grades, en même temps que la connaissance du métier.

En Prusse, au contraire, chacun sachant théoriquement et pratiquement ce qu'il a à faire, l'état-major général se contente de donner aux généraux des ordres d'ensemble, et leur laisse le soin de les appliquer sous leur responsabilité, parce qu'il les sait capables de le faire.

La mobilisation de notre armée, c'est-à-dire le passage de l'armée du pied de paix au pied de guerre, par le rappel au régiment des hommes en congé et des hommes de la réserve, ne peut s'effectuer qu'avec beaucoup de lenteur, par le fait d'une mauvaise organisation qu'on aurait dû changer depuis longtemps. Les armées allemandes envahissaient la France, pendant que la nôtre cherchait encore à se former, au milieu d'un désordre dont l'histoire ne connaît pas un autre exemple.

On sait qu'en Prusse tous les corps d'armée sont toujours organisés et qu'il suffit de dix jours pour les mobiliser, parce que ce travail gigantesque est préparé pendant la paix. En France, au moment de faire la guerre, il faut tout organiser, divisions et corps d'armée. Avec notre système antédiluvien des dépôts, il faut, lorsque la guerre éclate, pour compléter un régiment et mettre son effectif sur le pied de guerre, faire venir du dépôt les hommes qui doivent rejoindre les bataillons de guerre. Or tel régiment était en Alsace, qui avait son dépôt à Quimper, aux Pyrénées ou en Algérie. Il faut aussi rappeler les hommes en congé et les réservistes. Pour cela, il faut que ces hommes aillent d'abord de chez eux au dépôt pour s'équiper, et du dépôt ils vont au régiment. Si le dépôt est à Alger, l'homme rappelé va à Alger et revient en Alsace. Il n'y a que chez la nation la plus spirituelle du monde que l'on trouve de pareilles institutions militaires. En effet que de dépenses inutiles en frais de route, que de temps perdu, que de soldats égarés, que de complications, que de causes d'encombrement sur les chemins de fer ! On calcule que les hommes en congé ou de la réserve mettaient de vingt à vingt-deux jours pour aller de chez eux au régiment en passant par le dépôt. Les gares, les routes étaient encombrées d'hommes isolés et de traînards qui rejoignaient leur corps, mal disposés, indisciplinés et commettant partout les plus graves désordres. On peut citer, à la fin d'août, une bande de quatre à cinq mille isolés qui voulut mettre au pillage la gare de Reims. Tous ces faits s'étaient déjà produits en 1859, au moment de notre entrée en campagne ; mais on n'avait pas tenu compte de cet avertissement. Enfin, et pour tout dire en un seul mot, c'est la France qui a déclaré la guerre, et c'est elle qui a été surprise en flagrant délit de formation : de sorte que nous combattons d'abord avec nos cadres insuffisamment pourvus de soldats, et plus tard avec des soldats sans cadres.

La France disposait, pour les transports militaires (hommes, matériel, vivres), des lignes de chemins de fer, du matériel et du personnel de six grandes compagnies, qui mettaient chacune à la disposition du gouvernement vingt mille véhicules et vingt-cinq ou trente mille hommes disciplinés, énergiques, intelligents et dévoués. Avec de pareilles ressources bien employées, nous aurions pu effectuer les transports militaires aussi bien qu'en Allemagne ; mais il aurait fallu que ce service eût été organisé avant la guerre, et il ne l'était que très-imparfaitement quand elle éclata.

Le maréchal Niel s'était encore justement préoccupé de l'organisation des chemins de fer au point de vue des transports militaires ; il avait chargé une commission de rédiger un règlement nouveau sur cette grave question. Le maréchal Le Bœuf ne s'en occupa plus ; la commission ne travailla plus. Rien n'était organisé en juillet 1870, et chacun fut chargé de se débrouiller comme il le pourrait. Qu'on se débrouille ! formule honteuse, coupable, qu'on emploie sans cesse dans ces temps de paresse, d'ignorance et de présomption, et qui conduira le pays à la ruine.

On peut s'étonner à bon droit de voir le maréchal Le Bœuf ne suivre sur aucun point la tradition de son prédécesseur ; réformes ou créations, tout est abandonné. C'est là un des vices de notre administration et de notre caractère : partout et toujours le successeur change ou détruit ce qu'a fait son prédécesseur. Détestable système qu'il faut combattre et supprimer radicalement, si l'on veut avoir des institutions solides, durables et susceptibles de sages et prudentes améliorations.

Pour revenir aux transports militaires, ce qui paralysa le dévouement de nos compagnies de chemins de fer et engendra le désordre le plus inextricable, c'est que tous, ministres, généraux, intendants, directeurs de l'artillerie et du génie, donnèrent des ordres indépendants les uns des autres, et le plus souvent contradictoires ; c'est que nulle autorité militaire supérieure n'existait dans les grandes gares pour diriger le service et y mettre l'unité nécessaire ; c'est que, si le désordre était grand au départ, il était encore plus grand à l'arrivée des trains. Chacun expédiait, et personne n'était chargé de recevoir ; tout s'amoncelait et s'entassait dans les gares d'arrivée. Les troupes débarquées sur un point ne savaient où se diriger ; on a vu des colonels demander aux chefs de gare s'ils connaissaient leur destination ! Ne sachant où expédier les vivres ou le matériel, on les laisse en gare ; les intendants, trouvant commode de transformer les wagons en magasins, ne veulent pas les laisser décharger ; les voies et les gares s'encombrent, le service est entravé ; les vivres sont ici, les troupes sont ailleurs et meurent de faim. L'opération si simple de faire partir un train et de donner un ordre précis pour sa destination et son débarquement à l'arrivée ne fut presque jamais faite.

Le zèle des compagnies fut soumis à de rudes épreuves. On commandait un train pour le transport d'un régiment de cavalerie ; quand les wagons destinés aux chevaux étaient préparés, il arrivait de l'infanterie : il fallait recommencer à préparer un nouveau train. Une autre fois, on commandait un train pour transporter de l'infanterie, et c'était de l'artillerie qui arrivait. On multiplierait à l'infini ces exemples honteux de l'incurie, de l'insouciance, de l'absence de sentiment du devoir et de patriotisme que notre administration militaire donna à chaque instant[29].

La compagnie de l'Est, qui avait eu la douleur de voir quel mauvais usage l'administration française faisait de ses ressources, eut la douleur plus grande encore de voir quel parti l'armée prussienne, préparée par de bons règlements, savait tirer de nos lignes et de notre matériel.

On avait cru à une invasion de l'Allemagne par la France, et pas le moins du monde à une invasion de la France par l'Allemagne. Aussi les grands magasins de l'armée avaient-ils été établis sur l'extrême frontière, à Forbach, à Sarreguemines, au lieu d'être formés en arrière, d'où l'on aurait pu les expédier en avant, si l'armée s'était avancée, ou les sauver si l'armée avait été obligée de reculer. Cette faute fut cause que, dès le 7 août, tous nos approvisionnements tombèrent au pouvoir de l'ennemi, dont les mouvements en avant furent facilités par cette capture.

Pour terminer ce déplorable tableau, il nous reste à analyser les dépêches publiées dans les papiers trouvés aux Tuileries et à montrer comment l'armée était archiprête. On voit dans ces douloureux documents qu'ici l'on manque de pain ; là, de biscuits ou de salaisons, ou de sucre et de café ; plus loin, on n'a pas de cantines, d'ambulances ni d'infirmiers ; tel général réclame des vétérinaires, tel autre des révolvers. Certains corps n'ont pas de voitures du train, parce qu'il faut des mois entiers pour les sortir des docks immenses où elles sont emmagasinées et engerbées. Les chevaux sont en quantité insuffisante : il faut en acheter, mais ils ne sont pas dressés. Alors, pour atteler l'artillerie, on prend les chevaux de la gendarmerie et ceux de la cavalerie ! Les caisses des payeurs sont vides ; l'argent fait défaut comme tout le reste. Le général Michel, arrivé à Belfort, ne trouve ni sa brigade ni son général de division ; il ne sait pas où sont ses troupes, et demande au ministre ce qu'il doit faire. Les cartes manquent partout. On réclame des munitions pour mitrailleuses, des cartouches, des tentes-abris, des couvertures, des gamelles, des bidons. Les mobiles, qu'on rassemble à la hâte, n'ont pas d'armes, et l'on ne. sait qu'en faire. Un régiment d'infanterie de ligne, placé sur l'extrême frontière, du côté de Sierck, reçut de son dépôt cinq cents hommes, dont plus de la moitié n'avaient ni fusils, ni équipement, ni uniforme. Le colonel les arma à grand'peine, pendant les huit jours qui s'écoulèrent entre leur arrivée au corps et le commencement des hostilités.

Rien n'a été préparé pendant la paix, tout est à créer et à organiser au moment d'entrer en campagne. Ce travail colossal, impossible à exécuter, se fait imparfaitement et ne produit qu'un désordre et une confusion indescriptibles. En revanche, nous trouvons çà et là, dans ce gâchis, des officiers et des généraux avec leur cuisinière, leur femme, leurs enfants et même leur nourrice ; des reporters anglais qui sont là pour informer leur public de ce chaos et avertir l'ennemi. Il n'y a pas d'exemple d'une pareille confusion, dont l'auteur responsable est le ministre qui, n'ayant rien préparé, a, dans son inexpérience et sa présomption, fait sur le temps et les transports les erreurs les plus désastreuses[30].

Il n'est pas inutile cependant de citer ici ces mots d'un Allemand[31], secrétaire du roi de Prusse : Qui pourrait nier qu'avec toute notre science, notre bravoure, notre discipline, nous avons eu aussi un bonheur insolent, Les généraux ennemis semblaient pour la plupart frappés d'un aveuglement sans pareil dans l'histoire de la guerre, et la masse des fautes commises par les Français surpasse de beaucoup le nombre de-nos succès et de nos combinaisons heureuses.

Il me semble que, ces paroles sont d'un bon augure pour l'avenir.

 

II. — L'ARMÉE ALLEMANDE

 

La confédération de l'Allemagne du Nord pouvait disposer de 937.000 hommes, de 1700 canons, de 200.000 chevaux et de 13.000 voitures. Ces effectifs réels se décomposent ainsi : troupes de campagne ou armée active, 545.000[32] ; troupes de remplacement ou de dépôt, 186.000 ; troupes de garnison ou landwehr, 206.000 ; gendarmes, 2250, etc. Les trois États du sud de l'Allemagne, Bade, Wurtemberg et Bavière, liés à la Prusse par des traités qui plaçaient leurs troupes sous le commandement du roi de Prusse, pouvaient fournir 193.000 hommes, savoir : la Bavière, 70.000 hommes de troupes de campagne, divisés en deux corps d'armée, et 46.000 hommes de remplacement et de landwehr ; — le Wurtemberg, une division active de 24.000 hommes et 11.000 hommes de troupes de remplacement ; — Bade une division active de 26.000 hommes et 15.000 hommes de remplacement. Le nombre de leurs canons était d'environ 300.

 

Le total des forces dont l'Allemagne pouvait disposer était donc de 1.130.000 hommes[33] et d'environ 2000 canons de campagne ; ce qui lui a permis de faire la guerre en France avec environ 600.000 hommes, de maintenir les effectifs au complet pendant la durée de la guerre, et d'avoir encore en Allemagne, à la fin de janvier 1871, le nombre de soldats nécessaires pour garder nos prisonniers.

Les troupes de la Confédération étaient réparties en douze corps d'armée prussiens et un corps saxon. Les Bavarois formaient, comme on l'a dit, deux corps d'armée ; les Badois et les Wurtembergeois, chacun une grosse division. Chaque corps d'armée prussien forme une armée complète, et qui peut agir séparément ; il compte 32.000 hommes et 90 canons, répartis entre deux divisions fortes chacune de 13.000 hommes. Un corps d'armée comprend 25 bataillons de 1000 hommes, 8 escadrons de 150 hommes, 1 bataillon de pionniers (génie) et un équipage de ponts. Le service des postes, des chemins de fer de campagne, des télégraphes de campagne et des ambulances ; le transport des blessés, des munitions d'artillerie et d'infanterie, et des vivres, sont assurés dans chaque corps et fonctionnent avec une régularité remarquable.

Les divisions et les corps d'armée sont organisés d'une façon permanente ; à chaque corps d'armée correspond un territoire déterminé qu'il occupe, et il recrute son effectif sur la population de ce territoire soumise sans exception au service militaire obligatoire. Les dépôts de matériel des corps sont à côté d'eux et constamment au complet, et la mobilisation est toujours préparée d'avance dans ses moindres détails. Cette organisation permet à la Prusse de mobiliser en dix jours ses douze corps d'armée. La landwehr est mobilisée comme l'armée, d'après le même système et par les mêmes moyens.

Les officiers, les soldats et les agents des compagnies sont exercés fréquemment à l'embarquement et au transport des troupes, des chevaux et du matériel sur les chemins de fer ; les gares sont pourvues des rampes et des ponts nécessaires à l'embarquement et au débarquement des chevaux, des canons et des voitures : aussi le transport des armées à la frontière, préparé et étudié de longue date, se fait facilement et vite.

On a vu à Berlin vingt-deux grands convois de troupes partir en un jour. En moins de trois semaines, la Prusse a pu mobiliser et jeter en France 400.000 hommes[34].

Chez nous, c'est au moment de la guerre qu'on forme les divisions et les corps d'armée, qu'on organise tout pour la campagne qui va s'ouvrir, comme si l'armée n'était instituée que pour le temps de paix.

Il est dur de faire l'éloge de l'ennemi, surtout quand cet ennemi s'est déshonoré par le vol, le pillage et l'incendie, et par de barbares exécutions. Il faut cependant dire ce qui est vrai et constater que cette armée odieuse était organisée d'une façon bien supérieure à la nôtre. Le service obligatoire pour tous jette dans l'armée la nation tout entière, et on a raison quand on dit que la Prusse n'est pas un pays qui a une armée, mais une armée qui a un pays. Toutes les classes, riches ou pauvres, y sont représentées. Ainsi recrutée, une armée est vraiment nationale et capable de grandes choses.

Le soldat manque d'élan et ne vaut pas le nôtre comme bravoure individuelle ; mais il est fort, dur à la fatigue, froid et tenace au feu, obéissant et soumis à une discipline de fer. L'officier a le droit de le battre et de le tuer ; il en use, mais rarement, parce que la troupe est bonne et disciplinée. Le soldat sait parfaitement lire, écrire et compter, ce qui est une conséquence de l'enseignement obligatoire ; il a une bonne instruction élémentaire ; beaucoup ont même une instruction primaire supérieure, ainsi que les sous-officiers. Point n'est besoin d'insister sur les avantages qu'un général peut tirer d'une aussi grande somme d'instruction répandue dans tous les rangs de son armée. Il existe en Prusse quatre écoles pour les sous-officiers, sans parler des écoles régimentaires qu'ils sont obligés de fréquenter[35].

Les officiers ont tous fait des études assez sérieuses dans les gymnases ou lycées, et savent de leur métier tout ce qu'ils doivent savoir. Ils accomplissent scrupuleusement leur devoir, parce que le sentiment du devoir est très-développé dans l'armée et parce qu'ils sont soumis, comme leurs hommes, à une discipline sévère. Les officiers d'état-major, formés à l'académie militaire de Berlin, et exercés à leurs vraies fonctions par le général de Moltke lui-même, composent un corps d'officiers remarquables, auxquels la Prusse doit ses succès[36]. Il ne faut pas oublier de dire que tous savent le français, l'anglais et le russe.

Si la Prusse a un état-major et des généraux capables de bien faire la guerre, c'est qu'elle se donne la peine de les former et qu'elle attache à ce soin l'importance qu'il mérite. Il existe en Prusse de nombreuses écoles militaires sérieuses[37] pour former les jeunes officiers. Il y a de plus pour l'état-major une académie militaire, dans laquelle les lieutenants qui y sont admis au concours étudient pendant trois ans les sciences militaires et tout ce qui s'y rattache. On peut dire en général que dans cette armée le travail est nécessaire et considéré. Les grades ne s'obtiennent qu'à l'ancienneté ; mais un officier n'a pas le droit de ne rien faire et de devenir incapable de bien remplir ses fonctions, parce qu'alors on le renvoie.

Il ne faut rien exagérer ; aussi terminerai-je en disant que, malgré leur instruction, les officiers allemands manquent absolument de sentiments généreux et d'élévation d'esprit, qualités qui abondent dans nos rangs, et que beaucoup ont commis des vols et des actes de brutalité sauvage dont pas un de nos officiers ne se serait rendu coupable. Les Allemands disaient volontiers pour justifier leur conduite : La guerre est la guerre ; soit, mais l'histoire est l'histoire.

Les généraux d'armée et ceux qui commandent les corps d'armée et les divisions ont beaucoup d'initiative ; l'état-major général leur donne des instructions générales précises, et les laisse libres dans l'exécution. Les règlements sont ponctuellement exécutés, ce qui ne se fait pas chez nous. Depuis le chef de l'armée jusqu'au dernier soldat, tout le monde obéit.

Les deux grands ressorts de l'armée prussienne sont : 1° le grand état-major, dirigé par M. de Moltke, qui est en même temps le chef permanent de tous les officiers d'état-major employés dans l'armée, qui les recrute et les dresse personnellement à leurs vraies et difficiles fonctions de guerre ; — 2° le ministère de la guerre, bien organisé, ayant des traditions et pas de routine, sachant changer, quand il le faut, une chose condamnée par l'évidence ou par l'expérience, et où sont centralisées entre des mains capables les seules choses qui doivent l'être.

L'infanterie et la cavalerie ont été depuis longtemps réorganisées, et leur tactique assujettie aux conditions nouvelles qu'exigent les nouvelles armes. L'artillerie a été transformée d'une manière si remarquable, qu'à l'Exposition de 1867 nous lui avions décerné plusieurs médailles ! La routine et les souvenirs du grand Frédéric, qui avaient perdu la Prusse à Iéna, ont été mis de côté, et, sans parler continuellement de progrès, on a su en faire d'incontestables[38]. On n'a pas sans cesse changé de ministres, de système et d'organisation ; on a conservé les grandes institutions du baron de Stein et de Scharnhorst, et on les a perfectionnées peu à peu, en profitant de l'expérience des guerres de 1848 en Danemark et dans le grand-duché de Bade[39].

Certes, les Prussiens doivent leur succès à la bonne constitution de leur armée ; mais combien ont-ils été aidés par notre mauvaise organisation, par notre désordre et par l'incapacité notoire de nos gouvernants et de nos généraux ! Aucun de leurs généraux cependant n'était un homme de génie comparable à leur Frédéric ; mais ils ne laissèrent rien au hasard ; tout fut prévu avec sagacité, et tout était préparé pour assurer jusque dans les plus petits détails le fonctionnement régulier et continu de tous les services. On a vu par exemple, à Versailles, un troupeau de moutons conduit chaque jour au pâturage sur les bords de la pièce d'eau des Suisses, par des cuirassiers : on assurait ainsi la nourriture d'un corps de troupes, en maintenant en bonne santé et avec leur poids, des moutons que nous aurions enfermés et laissés périr de maladie[40].

Ce qui frappe surtout dans l'étude de la guerre de 1870, c'est l'ordre parfait dans les prescriptions d'ensemble ou de détail, et leur stricte exécution. Les marches des colonnes sont étudiées et dirigées par des officiers qui possèdent à fond la science des marches, et exécutées par des hommes qui savent obéir. Un général ou un colonel doit aller à tel endroit et y être à tel moment ; il y est au moment fixé : on a marché de jour ou de nuit, ou nuit et jour, peu importe.

Pour faire avancer leurs armées, les généraux prussiens se servent de toutes les voies de communication, routes et chemins, bons ou mauvais ; ils font marcher leurs troupes à travers champs ; ils multiplient les colonnes pour les avoir courtes et éviter les encombrements de soldats, d'artillerie, de cavalerie et de voitures. Chez nous, on forme de longues colonnes, dans lesquelles tout s'entasse et où rien ne peut avancer. De là, les encombrements prodigieux et les lenteurs de nos marches, de Metz à Mars-la-Tour, de Châlons à Sedan, pendant lesquelles nous ne faisions que 8 ou 10 kilomètres par jour !

Les Prussiens avaient préparé depuis longtemps la guerre de France[41]. Leurs officiers d'état-major avaient fait en secret de nombreuses reconnaissances militaires dans toute la France ; ils avaient en abondance des cartes excellentes de notre pays[42] et des plans de toutes nos villes. Le sous-officier de uhlans qui a occupé Sèvres, le 19 septembre 1870, avait un plan de cette ville qui lui servit à placer ses vedettes. On n'aurait certes pas trouvé un autre plan de Sèvres en France. Leurs officiers avaient exploré toute la partie du territoire où ils devaient faire campagne, déguisés en colporteurs de livres ou autrement ; ils avaient fait des marques[43] aux carrefours des routes, dans les bois, sur les arbres, partout où un point de repère était utile pour indiquer la route à suivre : aussi connaissaient-ils leur chemin et les distances exactes. On cite la réponse d'un paysan de l'Ouest à un officier français qui lui demandait son chemin[44] : Mon bon monsieur, les Prussiens ne demandaient jamais par où il fallait passer pour aller à tel endroit ; ils y allaient.

L'espionnage en France a été pratiqué pendant de longues années par les Prussiens avec une audace qui n'a été dépassée que par notre légèreté et notre insouciance[45]. On leur montrait avec une incomparable niaiserie tout ce qu'ils auraient eu quelque difficulté à voir en espionnant. On se rappelle, pendant l'Exposition de 1867, la visite du général de Moltke dans les forts de Paris. Les officiers prussiens venaient en Lorraine et en Alsace chasser avec les propriétaires du pays, ravis de leur amabilité et de leur distinction. Pendant ce temps, leurs hôtes étudiaient les bois et leurs sentiers. La masse de commerçants, d'employés, d'ouvriers, de domestiques et de balayeurs allemands établis dans toutes nos villes, y revinrent comme officiers ou soldats de la landwehr et servirent de guides à leur bataillon.

Mais c'est assez parler de l'armée allemande ; il suffit d'avoir indiqué à grands traits les qualités de ce formidable instrument de guerre, et il faut commencer le récit des événements militaires.

 

 

 



[1] Une partie fut rappelée et placée sous les ordres du maréchal de Mac-Mahon.

[2] Compagnies de discipline, compagnies de remonte, soldats hors rang, etc.

[3] On a commencé la guerre avec des régiments d'infanterie ne comptant que 1.200 ou 1.500 hommes, et des régiments de cavalerie de 400 ou 450 hommes.

[4] Les votes militaires, au plébiscite du 8 mai, constataient cette faiblesse de nos effectifs et l'avaient fait connaître, dit-on, à la Prusse d'une manière authentique ; mais la Prusse n'avait pas besoin de ces chiffres pour être bien informée.

[5] Cela résulte des déclarations du maréchal Le Bœuf à la commission d'enquête.

[6] L'Algérie, en paralysant 50.000 hommes de troupes, était aussi l'une des causes de notre faiblesse militaire en Europe.

[7] Voir sa lettre au maréchal Randon, de septembre 1866.

[8] NAPOLÉON Ier, Précis des guerres de César.

[9] Voir, sur cette question, l'appendice n° 1, les Volontaires de 1792 et le Service obligatoire, à la fin du tome II.

[10] Qui alors retombait entièrement sur lui.

[11] Il est surtout nécessaire de rétablir dans l'armée la responsabilité, qui en avait complètement disparu pendant l'Empire. L'impunité la plus complète était assurée à toutes les fautes et à tous les abus.

[12] Les jours de revue, la tenue est encore belle ; mais cette tenue des jours solennels n'est pas la règle ordinaire.

[13] On a dit à la tribune que 20.000 hommes non remplaçants entraient seulement chaque année dans l'armée, et que sur 32.000 sous-officiers, on comptait 25.000 vieux sergents réengagés en vue de la prime.

[14] C'est ce qui a été fait depuis la guerre.

[15] On est heureux de constater que ce déplorable esprit a disparu aujourd'hui. Si tout le monde ne travaille pas, au moins n'est-il plus de bon ton de s'en vanter.

[16] La France a créé la cause première de sa grande défaite en employant trop fréquemment, pendant quinze ans, ses troupes contre de la racaille, telle que les Kabyles, les Chinois, les Garibaldiens, les guérillas du Mexique, etc., et en remportant des victoires à bon marché, malgré la façon molle et négligente dont les opérations étaient conduites. Les troupes françaises s'étaient habituées à moissonner la gloire sans grands efforts, et leurs lauriers couvraient bien des incapacités. (Gambetta et ses armées, par le capitaine VON DER GOLTZ, 1877, in-12, p. 93).

[17] Cette école existe aujourd'hui (1881).

[18] Nos corps d'armée depuis la guerre font aussi de grandes manœuvres annuelles.

[19] On parle de Rezonville et de Gravelotte comme des plus grandes batailles du siècle. Il ne faudrait pas oublier cependant qu'en 1813, à la bataille de Leipsick, le combat a duré trois jours : le 16, le 18 et le 19 octobre ; que 525.000 hommes étaient en ligne : 350.000 coalisés et 175.000 Français ; que 2.200 canons étaient en batterie : 1.600 à l'ennemi et 600 à nous ; que 135.000 hommes furent tués, blessés, noyés ou brûlés, dont 85.000 coalisés et 50.000 Français. Cette effroyable tuerie a bien quelque droit à rester la plus grande du siècle.

[20] En battant en retraite, le 18 août, nous avons abandonné, à Amanvillers, nos tentes, dans lesquelles les Prussiens, dit la Gazette du soir de Mayence, remarquèrent avec un certain étonnement combien le soldat français prend ses aises en campagne. Tandis que nos guerriers endurcis bivouaquent en plein air, sur la terre froide, on trouva dans les tentes françaises des lits, des chaises, des tapis, des rideaux, des objets de toilette, des eaux et des huiles de senteur et des impedimenta de toutes sortes : ce qui explique pourquoi notre armée se meut beaucoup plus légèrement et plus vite que l'armée française. Il ne manquait dans nos camps que des pianos, comme les Prussiens en avaient dans leurs bagages à Iéna.

L'armée française bivouaque constamment, et le plus loin possible des villages : elle a donc besoin de porter avec elle beaucoup de choses, et l'abus des impedimenta a été porté aussi loin que possible, grâce à l'inexécution des règlements. L'armée prussienne, au contraire, ne bivouaque que par exception ; elle a l'habitude excellente de cantonner, qui la dispense précisément de transporter les tentes et leur mobilier.

[21] Les Prussiens avaient pris pour base de l'organisation de leur cavalerie l'excellent livre du général de Brack (Avant-postes de cavalerie légère). Les deux généraux de Brack et Curély avaient, sous l'Empire, fait des merveilles avec leurs hussards, éclairant l'armée à 60 et 80 kilomètres. Nous avons le livre, les Prussiens ont la cavalerie.

[22] On avait fini par adopter le canon de 7 du colonel de Reffye. Ce canon en bronze et se chargeant par la culasse fut celui que la Délégation de Tours fit fabriquer en grand nombre pour les armées qu'elle avait levées.

[23] A Saint-Privat, par exemple, où elles ont fauché et détruit la garde prussienne.

[24] On écrit Belfort et on prononce Béfort.

[25] On m'a fait observer, tout en admettant une partie de ce que j'ai dit, que c'est le commandement surtout qui a fait défaut, et que les officiers d'état-major ne peuvent transmettre des ordres qu'ils ne reçoivent pas. Notre état-major, ajoute-t-on, eût été parfait, que quelques-uns des généraux qui devaient l'employer ne s'en seraient pas mieux servis, étant incapables de s'en servir.

[26] M. Gambetta mit en non-activité par retrait d'emploi un intendant divisionnaire pour négligence obstinée dans l'exécution de ses devoirs. Cet exemple sévère, mais fort juste, produisit d'excellents résultats.

[27] Les vivres venaient d'Allemagne, ou étaient achetés en France, ou étaient réquisitionnés aux mairies.

[28] Je dois constater que, onze ans après la guerre, il n'y a encore rien de changé dans notre administration militaire.

[29] Nous renvoyons le lecteur à l'excellent ouvrage de M. Jacqmin, intitulé : les Chemins de fer pendant la guerre de 1870-1871, 1 vol. in-8°.

[30] BARATIER, l'Intendance militaire pendant la guerre de 1870-1871, p. 23.

[31] SCHNEIDER, Aus meinem Leben, Berlin, 1879.

[32] Dont 472.000 combattants.

[33] Le colonel Borbstædt donne les chiffres suivants :

M. de Moltke, dans sa grande histoire de la guerre de 1870, donne des chiffres un peu différents :

Il ajoute que, sur ce total de 1.200.000 hommes, 540.000 forment l'armée active, et que le reste, c'est-à-dire plus de la moitié, se compose de non-combattants : troupes de garnison, de dépôt et de remplacement.

[34] En 1868, l'état-major prussien, en prévision d'une guerre avec la France, avait préparé un tableau méthodique pour le transport jour par jour de chaque régiment, de chaque escadron, de chaque batterie, jusqu'à la frontière de France. Tous les ordres pour chaque corps d'armée étaient prêts, la date seule était en blanc. Il n'y avait qu'à mettre les dates, et, ce travail fait, chaque corps connaissait le jour et l'heure de son embarquement et de son arrivée : aussi, dès le dixième jour, les premiers régiments arrivèrent sur la frontière française ; le dix-huitième jour, 380.000 hommes y étaient réunis, et le vingt-quatrième, 480.000 avec tout leur matériel.

[35] L'organisation des sous-officiers est complètement différente de ce qui existe dans l'armée française. Il y a dans une compagnie (250 hommes) : un ou plusieurs enseignes-porte-épée (porte-épée fœhnrich), élèves sortis des écoles militaires, qui font leur stage au régiment et qui attendent une place dans le corps pour l'occuper, si toutefois le corps des officiers du régiment les accepte ; le porte-épée fœhnrich fait fonction d'officier ; — un feldwebel (sergent-major) ; — un viz-feldwebel, vieux sous-officier méritant, auquel ce grade fait une position un peu supérieure à celle de ses camarades ; — quatre sergents chargés spécialement de l'instruction des recrues, auxquels on assure un emploi civil au bout de douze ans de service, afin de les garder au régiment et d'avoir les instructeurs nécessaires ; — un avantageur-unter-officier (lisez un sous-officier-avantagé), et 20 unter-officier. Puis il y a 40 gefreiter, sorte de caporaux exempts de factions, et les avantageurs (soldats avantagés), lesquels, ainsi que l'avantageur-sous-officier, se composent de jeunes gens de famille, devant passer leurs examens d'officier dans la landwehr, et pour cela ayant quelques privilèges et jouissant de certaines faveurs, parfaitement naturelles dans ce pays féodal. On voit qu'il est avec le service obligatoire bien des accommodements, qui le rendent possible.

[36] Voir les rapports du colonel Stoffel, p. 111.

[37] On n'y change pas sans cesse de système, de professeurs et de programmes ; on n'y laisse pas le chef disposer de tout, suivant son caprice ; les examens y sont sévères ; tous ces établissements sont subordonnés à une commission supérieure et soumis à des inspections sérieuses.

[38] L'organisation actuelle de l'armée prussienne date de 1861 ; elle est l'œuvre du roi Guillaume, du ministre de la guerre, M. de Roon, et de M. de Moltke.

[39] Où la Prusse avait été honteusement battue par les bandes révolutionnaires de Mieroslawski. Elle n'avait pu, cette même année, venir à bout du Danemark.

[40] On a vu aussi, à Saint-Cyr-l'École, où logeait un colonel de cavalerie, tous les officiers commandant les détachements de ce régiment venir régler chaque matin leur montre sur celle de leur colonel.

[41] On disait dans leur armée que depuis plusieurs années ils avaient préparé quatre guerres : celles de Danemark, d'Autriche, de France et de Russie, avec les mêmes soins pour les reconnaissances, les cartes, les langues, etc.

[42] Notre carte de l'état-major, complétée, corrigée et indiquant le chiffre de la population de chaque localité.

[43] Croix, flèches, losanges, carrés, ronds, virgules, etc.

[44] Notre armée de la Loire manqua d'abord complètement de cartes ; les premières qu'elle eut à sa disposition furent prises aux officiers allemands tués ou faits prisonniers. — L'armée de l'Est n'était pas mieux pourvue.

[45] Par exemple, l'État avait loué à des Allemands la ferme et les pâturages de Satory, près de Versailles. Des officiers d'artillerie prussiens transformés en bergers purent suivre tout à leur aise, pendant plusieurs années, les expériences d'artillerie que nous faisions sur le plateau de Satory, en les cachant soigneusement à tout le monde.