ÉCONOMIE POLITIQUE DES ROMAINS

 

LIVRE QUATRIÈME — INSTITUTIONS POLITIQUES - ADMINISTRATION - FINANCES

CHAPITRE XVIII. — Impôt sur le bétail.

 

L’impôt sur le bétail, qu’on appelait scriptura, tenait le milieu entre l’impôt direct et les contributions indirectes, car c’était à la fois une redevance payée en retour du droit de pacage dans les pâtures, terres incultes de toute nature appartenant à l’État, et un droit d’enregistrement, une taxe par chaque tête de bétail, d’où lui sont venus les noms de scriptura et de capitatio[1].

Ces pacages publics étaient loués par les censeurs en Italie et dans les provinces[2] ; c’était le plus ancien impôt et l’un des plus grands revenus de la république. Les Romains affermaient des pacages jusqu’en Cyrénaïque, mauvaise combinaison à laquelle Pline[3] attribue la destruction du laser ou silphium ; ils louaient même, pour le pacage, des forêts, des taillis, des saussaies, telles que la forêt Scantia ou Sila[4], les saussaies de Minturnes[5], etc., et la dent des troupeaux est la cause bien ancienne de la dénudation presque générale des Apennins, qui afflige aujourd’hui nos regards, et qui a dû opérer sur la péninsule italique des changements hygrométriques ou thermométriques appréciables pour une période de deux mille trois cents ans.

On tirait des troupeaux nomades ou transhumants un droit de transit[6] conservé encore aujourd’hui par le roi de Naples dans la Capitanota, impôt sûr et facile à recouvrer, car le climat de l’Italie, comme aujourd’hui celui de l’Espagne, faisait pour les troupeaux une nécessité de la transhumance[7]. Les pâtres déclaraient le nombre et l’espèce de leurs bêtes ; le publicain écrivait, enregistrait la déclaration. Dès lors il y avait un compte ouvert entre le percepteur et le berger. Ces formalités nous sont révélées par un passage de Festus[8].

Les édiles plébéiens surveillaient d’abord les pacages publics et infligeaient les amendes contre les contrevenants[9] ; la scriptura fut ensuite affermée aux publicains.

En cas de dommage ou de contravention, le bétail était mis en fourrière[10] ; le percepteur ne pouvait le confisquer. La déclaration faite, la capitation payée, les pasteurs pouvaient user du pacage[11].

En 640 la loi Thoria supprima la scriptura et le vectigal[12] ; aussi nulle trace de ce revenu sous l’empire. Il paraît que les pacages publics des provinces furent attribués au fisc des empereurs[13] ; ceux-ci y placèrent leurs haras (greges dominici[14]) de chevaux et de bœufs. Les plus renommés étaient en Syrie, en Cappadoce, dans la province d’Asie, dans l’Achaïe. Le foin était fourni par les prés des particuliers pour les généraux et la cavalerie en quartier d’hiver[15] ; cet impôt fut nommé capitum ou capita, du nombre des têtes de chevaux[16]. On était aussi obligé de fournir aux armées en marche la paille, le bois, des fruits, etc.[17]

L’Italie en général, et certains cantons spéciaux, étaient soumis à des prestations en nature pour la boucherie de la maison impériale et la nourriture de Rome : la Lucanie fournissait des cochons[18], le Bruttium, le Samnium et la Campanie, des brebis et des chèvres[19], l’Arménie, de la viande salée et des troupeaux. D’autres provinces produisaient des chevaux pour la remonte ; d’autres enfin expédiaient à Rome le blé, le vin, le poisson, l’huile nécessaires à sa consommation[20].

 

 

 



[1] Burmann, c. IV, de Scriptura et vectigali pecorum, p. 39.

[2] Cicéron, Pro leg. Manil., c. 6 ; Verrines, II, 3 ; Agr. contr. Rullum, II, 14. Lucil., Fragm. ap. Burmann, p. 42. Tite-Live, XXXIX, 29.

[3] XIX, 15. Cf. Salmas., Plin. exerc., p. 262.

[4] Cicéron, Agr., contr. Rull., I, 1 ; III, 4.

[5] Id., Agr., II, 14.

[6] Varron, De Re rust., II, I, 16. Cf. Tite-Live, XXXIX, 29.

[7] Neque eadem loca æstiva et hiberna idonea omnibus ad pascendum. Varron, l. c.

[8] Scripturarius ager publicus appellatur, in quo, ut pecora pascantur, certum œs est, quia publicanus scribendo confecit rationem cum pastore (Scripturarius terrain public où l'on paye un droit en argent pour y faire paître les troupeaux ; parce que le fermier de l'État établit par écrit ses comptes avec le berger). Voc. Scripturarius.

[9] Ovide, Fastes, V, 283.

[10] Servius, ad Virgil. eclog., IX, 7.

[11] Voyez Burmann, de Vectig., p. 45.

[12] Neive populo neive publicano pecuniam, scripturam vectigalve det, dareve debeat. Ibid., p. 46.

[13] Vid. Alciat., Ad tit. C. de Prœd. Tarmiac., lib. XI, tit. 68.

[14] Cod. Théodosien, X, VI, de greg. domin. Cf. ibid., VII, VII, 1, 2, 3, de Pasc., et Jac. Gothofr., I.

[15] Vopiscus, Aurélien, c. 9. Trebellius Pollion, Trig. Tyranni in Balist. ; Cod. Justinien, X, I, 9 ; Cod. Théodosien, X, I, 17, de Jure fisci.

[16] Cujac., Ad l. 9, Cod. de Jure fisci. Salmas, ad Vopisc. Aurelian., c. 7. Cf. J. Gothofr., ad l., 7, 8, 9. Cod. Théodosien, de erog. milit. annon., lib. VII, tit. XV.

[17] D. Gothofr., ad l., 27, § 3, Digeste, de Usufr., I, VII, t, I.

[18] Cassiodore, Var., XI, 39.

[19] Cod. Théodosien, XIV, IV, 3, de Suar. pecuar. et Novell. 15 Valentinian.

[20] Vopiscus, in Probus, c. 15. Cassiodore, Var., XII, 11.