ÉCONOMIE POLITIQUE DES ROMAINS

 

LIVRE QUATRIÈME — INSTITUTIONS POLITIQUES - ADMINISTRATION - FINANCES

CHAPITRE XVII. — Impôt sur les mines et les carrières.

 

Les mines de l’Italie furent exploitées dans les premiers siècles de la république ; cette péninsule était même, s’il faut en croire Pline[1], riche en métaux de tout genres mais ses mines furent fermées de bonne heure en vertu d’un sénatus-consulte, vetere interdicto patrum. Cette interdiction, com. me je l’ai déjà dit, fut probablement prononcée au ive siècle de Rome, à l’époque des premières lois somptuaires ou ales lois liciniennes. Les Romains abandonnèrent leurs mines. indigènes pour les gisements plus féconds des terres conquises, telles que l’Espagne, la Macédoine, l’Illyrie, la Grèce, l’Afrique et la Sardaigne[2].

Caton le Censeur établit le premier un impôt sur les mines de fer et d’argent de la Tarraconnaise[3].

Les mines d’argent de Carthagène, selon Polybe[4], embrassaient un terrain de 400 stades (12 lieues) de circonférence. Elles occupaient habituellement 40 000 ouvriers dont le travail rapportait 25.000 drachmes par jour. Ce serait près de 9.000.000 de francs par an, en 10 ans 87.000.000. La fameuse mine de Kremnitz, en Hongrie, depuis 1749 jusqu’en 1759, a fourni, en or et en argent, une valeur presque égale, à savoir 84.000.000 de francs.

Les mines de plomb de la Bétique étaient louées au prix de 200.000 deniers, environ 200.000 francs par an. Antonianus, fermier de ces mines, en retirait[5] annuellement 400.000 livres romaines, ou 130.536 kilogrammes de métal. L’exploitation du minium ou cinabre dans la Bétique fournissait aussi à l’État un revenu dont Pline ne donne point le montant[6].

Les mines étaient des propriétés publiques ou privées. Sous la république, très peu d’entre elles faisaient partie du domaine public ; le plus grand nombre appartenait à des particuliers qui payaient à l’État une redevance. Sous l’empire elles devinrent presque toutes la propriété du fisc[7], surtout les mines d’or, comme le remarque Strabon (III, p. 148). Les mines appartenant en propre à l’État étaient en régie, les redevances imposées sur les autres étaient affermées aux publicains pour une époque déterminée.

Il y avait aussi un impôt sur les carrières, témoin la loi du Code théodosien[8] sur les exploitateurs du marbre libyque et numidique[9], adressée au rationalis d’Afrique, officier chargé, dans cette contrée, de lever les impôts et de percevoir les revenus de l’État. La loi fixait le taux de l’impôt au dixième du produit si la carrière était sur une propriété du domaine public. Si elle était sur une propriété privée, les exploitants, outre le dixième dû au fisc, en pavaient un autre au propriétaire du sol[10].

Les empereurs faisaient quelquefois remise de leur droit ; Gratien accorda cette faveur aux sénateurs en leur permettant d’exploiter les carrières de pierre de la Macédoine et de l’Illyrie, sans payer ni redevance ni droits de douanes[11]. Quant aux mines de métaux précieux, la redevance variait suivant la richesse du minerai, et la quotité en est rarement exprimée dans les anciens documents ; on sait néanmoins qu’elle était du septième du produit pour l’or en paillettes[12].

La contribution imposée aux exploitants de pierres à aiguiser, de terre à briques et à poteries, était du dixième du produit[13], et la perception en était affermée aux publicains. Il est évident que l’État devait avoir un grand intérêt à encourager l’exploitation des carrières et des mines, qui était pour lui une source de revenus. Aussi voyons-nous Valentinien[14] inviter les particuliers à exploiter l’or, et d’un autre côté nous trouvons, sous les premiers empereurs, une loi qui interdit dans les constructions l’emploi des vieux matériaux. Un sénatus-consulte de Claude, daté du consulat de Cn. Hosidius Gœta et de L. Vigellius, proscrit la vente des matériaux de ce genre, sous peine de nullité et d’une amende double du prix des objets vendus[15]. Cette ordonnance, basée, comme je l’ai dit, sur des intérêts fiscaux et aussi sur des motifs de bonne police, explique, sans qu’il soit nécessaire de recourir, pour la ville de Rome, à la nécessité d’une population énorme que ne peut admettre sa surface, la formation du monte Testaccio, monticule de déblais, dont le cube surpasse celui de tous les amas de décombres que renferme Paris, tels que la Butte-des-Moulins, le Monceau-Saint-Gervais, la colline du labyrinthe au Jardin des Plantes, etc. Cette défense d’employer les vieux matériaux fut renouvelée sous Adrien, sous Alexandre Sévère[16], même sous Arcadius et Honorius ; elle fut enfin levée par Théodoric[17] à une époque où les carrières étaient peut-être un peu épuisées, mais où les ruines très nombreuses offraient, pour les constructions, des matériaux bons et solides.

Enfin Constantin, pour encourager la bâtisse dans sa nouvelle capitale, rendit libre l’exploitation des carrières et fit remise de l’impôt dû au fisc. Théodose confirma ces sages et utiles arrêtés[18].

Il est bon de remarquer et de faire observer à nos législateurs que, dans un régime où l’État et le prince étaient censés propriétaires légitimes du sol entier de l’empire, la législation des mines et des carrières n’était pas soumise aux délais, aux entraves, à la fiscalité, qui, dans notre époque de justice, de liberté, de respect pour la propriété, oppriment cette nature de fonds ; car chez nous, en vertu de la loi du 21 avril 1810, on s’arroge pour ainsi dire la pleine et entière propriété de toutes les matières existantes sous la superficie du sol. Comment tant de révolutions successives dans les lois civiles et politiques qui nous gouvernent ont-elles laissé subsister une confiscation qui porte une atteinte si rude au droit sacré de la propriété ?

 

 

 



[1] XXXIII, 21. Cf. Jacob, Precious metals, t. I, p. 84, ss.

[2] Jacob, t. I, p. 41, 70, 71, 78, 87, 89, 101.

[3] Tite-Live, XXXIV, 21.

[4] Cité par Strabon, III, p. 147.

[5] Pline, XXXIV, 49.

[6] Ibid., XXXIII, 40.

[7] Suétone, Tibère, c. 49. Cf. Tacite, Annales, VI, 19, et Digeste, XLVIII, XIII, 6, § 2, ad L. Jul. peculat., XLVIII, XIX, 38, de Pœn. III, IV, 1, Quod cujusq. univ. nom.

[8] X, XIX, 2, de Metallis. Cf. Digeste, VII, I, 9, § 3, et 13, § 5, de Usufr.

[9] Le gisement de ce fameux marbre de Numidie, qui ressemblait probablement au sarancolin, doit se trouver dans un rayon de 10 lieues aux environs de Constantine. Cependant il a échappé aux recherches faites dans ce pays, en 1838, par un savant géologue, M. Puillon Boblaye. Voyez mes Recherches sur la topogr. de Carthage, Paris, Didot, 1835, in-8°, p. 248, not. 8.

[10] Cod. Justinien, XI, VI, 3.

[11] Cod. Théodosien, X, XIX, 8.

[12] Cod. Justinien, XI, VI, 2. Cod. Théodosien, X, XIX, 4. Voyez ci-dessus, liv. I, ch. X.

[13] Digeste, XXXIX, IV, 13, de Publicants.

[14] Cod. Théodosien, X, XIX, 3, 4.

[15] Duplam pecuniam qua mercatus eam rem esset, in erarium inferret, et ipsæ venditiones irrite essant. Vid. Reines., Inscript., VII, II, et Gori, p. 84.

[16] Cod. Justinien, VIII, X, 2, de Ædif. priv., Cod. Théodosien, XV, I, 19, 37, de Operibus publicis.

[17] Cassiodore, Variar., II, 7 ; III, 9, 29.

[18] Cod. Théodosien, X, XIX, 1, 2, de Metall.