Abrégé de l'origine de tous les cultes

 

Chapitre IV. — Des grandes divisions de la nature en causes active et passive, et en principes, lumière et ténèbres.

 

 

L’Univers ou la grande cause, ainsi animé et intelligent, subdivisé en une foule de causes partielles également intelligentes, fut partagé aussi en deux grandes masses ou parties, l’une appelée la cause active, l’autre la cause passive, ou la partie mâle et la partie femelle qui composèrent le grand Androgyne, dont les deux sexes étaient censés s’unir pour tout produire, c’est-à-dire, le Monde agissant en lui-même et sur lui-même. Voilà un des grands mystères de l’ancienne théologie : le ciel contint la première partie ; la terre et les éléments, jusqu’à la lune, comprirent la seconde.

Deux choses ont frappé tous les hommes dans l’Univers et dans les formes des corps qu’il renferme ; ce qui semble y demeurer toujours et ce qui ne fit que passer ; les causes, les effets et les lieux qui leur sont affectés, autrement les lieux où les unes agissent, et ceux où les autres se reproduisent. Le ciel et la terre présentent l’image de ce contraste frappant, de l’être éternel et de l’être passager. Dans le ciel, rien ne semble naître, croître, décroître et mourir lorsqu’on s’élève au dessus de la sphère de la lune. Elle seule paraît offrir des traces d’altération, de destruction et de reproduction de formes dans le changement de ses phases, tandis que d’un autre côté elle présente une image de perpétuité dans sa propre substance, dans son mouvement, et dans la succession périodique et invariable de ces mêmes phases. Elle est comme le terme le plus élevé de la sphère des êtres sujets à altération. Au dessus d’elle, tout marche dans un ordre constant et régulier, et conserve des formes éternelles. Tous les corps célestes se montrent perpétuellement les mêmes, avec leurs grosseurs, leurs couleurs, leurs mêmes diamètres, leurs rapports de distance, si l’on en excepte les planètes ou les astres mobiles ; leur nombre ne s’accroît ni ne diminue. Uranus n’engendre plus d’enfants et n’en perd point ; tout est chez lui éternel et immuable, au moins tout nous paraît l’être.

Il n’en est pas de même de la terre. Si d’un côté elle partage l’éternité du ciel dans sa masse et dans sa force et ses qualités propres, de l’autre elle porte dans son sein et à sa surface une foule innombrable de corps extraits de sa substance et de celle des éléments qui l’enveloppent. Ceux-ci n’ont qu’une existence momentanée, et passent successivement par toutes les formes, dans les diverses organisations qu’éprouve la matière terrestre : à peine sortis de son sein, ils s’y replongent aussitôt. C’est à cette espèce particulière de matière, successivement organisée et décomposée, que les hommes ont attaché l’idée d’être passager et d’effet, tandis qu’ils ont attribué la prérogative de causes à l’être perpétuellement subsistant, soit au Ciel et à ses Astres, soit à la Terre, avec ses éléments, ses fleuves, ses montagnes.

Voilà donc deux grandes divisions qui ont dû se faire remarquer dans l’Univers, et qui séparent les corps existants dans toute la nature, par des différences très tranchantes. À la surface de la terre, on voit la matière subir mille formes diverses, suivant les différentes contextures des germes qu’elle contient, et les configurations variées des moules qui les reçoivent et où ils se développent. Ici, elle rampe sous la forme d’un arbuste flexible ; là, elle s’élève majestueusement sous celle du chêne robuste ; ailleurs, elle se hérisse d’épines, s’épanouit en roses, se nuance en fleurs, se mûrit en fruits, s’allonge en racines ou s’arrondit en masse touffue, et couvre de son ombre épaisse le vert gazon, sous la forme duquel elle alimente les animaux, qui sont encore elle-même, mise en activité dans une organisation plus parfaite, et mue par le feu principe, qui donne la vie aux corps animés. Dans ce nouvel état, elle a encore ses germes, son développement, sa croissance, sa perfection ou sa maturité, sa jeunesse, sa vieillesse et sa mort, et elle laisse après elle des débris destinés à recomposer de nouveaux cops. Sous cette forme animée on la voit également ramper en insecte et en reptile, s’élever en aigle hardi, se hérisser des dards du porc-épic, se couvrir de duvet, de poils, ou de plumes diversement colorées ; s’attacher aux rochers par les racines du polype, se traîner en tortue, bondir en cerf ou en daim léger, ou presser la terre de sa masse pesante en éléphant, rugir en lion, mugir en bœuf, chanter sous la forme d’oiseau ; enfin, articuler des sons sous celle de l’homme, combiner des idées, se connaître et s’imiter elle-même, créer les arts, et raisonner sur toutes ses opérations et sur celles de la Nature. C’est là le terme connu de la perfection de la matière organisée sur la surface de la terre.

À côté de l’homme sont les extrêmes qui contrastent le plus avec la perfection de la matière animée, dans les corps qui s’organisent au sein des eaux, et qui vivent dans le coquillage. Ici, le feu de l’intelligence, le sentiment et la vie sont presque entièrement éteints, et une nuance légère y sépare l’être animé, de celui qui ne fait que végéter. La nature prend des formes encore plus variées que sur la terre ; les masses y sont plus énormes et les figures plus monstrueuses ; mais on y reconnaît toujours la matière mise en activité par le feu Éther, dont l’action est enchaînée dans un fluide plus grossier que l’air. Le vermisseau rampe ici dans le limon, tandis que le poisson fend la masse des eaux, à l’aide de nageoires, au dessus de l’anguille tortueuse, qui développe ses replis vers la base du fluide. L’énorme baleine y présente une masse de matière vivante, qui n’a pas son égale parmi les habitants de la Terre et de l’Air, quoique les trois éléments aient chacun des animaux dont les formes offrent assez souvent des parallèles. On remarque dans tous un caractère commun ; c’est l’instinct de l’amour qui les rapproche pour se reproduire, et un autre instinct moins doux qui les porte à se rechercher comme pâture, et qui tient aussi au besoin de perpétuer les transformations de la même matière sous mille formes, et à la faire revivre tour à tour dans les divers éléments qui servent d’habitations aux corps organisés. C’est là le Protée d’Homère, suivant quelques allégoristes.

Rien de semblable ne s’offre aux regards de l’homme au-delà de la sphère élémentaire, qui est censée s’étendre jusqu’aux dernières couches de l’atmosphère, et même jusqu’à l’orbite de la lune. Là, les corps prennent un autre caractère, celui de constance et de perpétuité, qui les distingue essentiellement de l’effet. La terre recèle donc dans son sein fécond la cause ou les germes des êtres qu’elle en fait éclore ; mais elle n’est pas la seule cause. Les pluies qui la fertilisent, semblent venir du ciel ou du séjour des nuages que l’œil y place. La chaleur vient du soleil ; et les vicissitudes des saisons sont liées au mouvement des astres, qui paraissent les ramener. Le ciel fut donc aussi cause avec la terre, mais cause active, produisant tous les changements sans en éprouver lui-même, et les produisant en un autre que lui.

On remarqua qu'il y avait dans l'Univers, comme le dit très bien Ocellus de Lucanie, génération et cause de génération, et l'on plaça la génération là où il y avait changement et déplacement de partie, et la cause où il y avait stabilité de nature. Comme le Monde, ajoute ce philosophe, est ingénérable et indestructible, qu'il n'a point eu de commencement et qu'il n'aura point de fin, il est nécessaire que le principe qui opère la génération dans un autre que lui, et celui qui l'opère en lui-même, aient coexisté.

Le principe qui opère en un autre que lui est tout ce qui est au-dessus de la Lune, et surtout le Soleil, qui, par ses allées et ses retours, change continuellement l'air, en raison du froid et du chaud, d'où résultent les changements de la Terre et de tout ce qui tient à la Terre. Le zodiaque, dans lequel se meut le Soleil, est encore une cause qui concourt à la génération : en un mot, la composition du Monde comprend la cause active et la cause passive ; l'une qui engendre hors d'elle, l'autre qui engendre en elle. La première c'est le Monde supérieur à la Lune ; la seconde, c'est le Monde sublunaire : de ces deux parties, l'une divine, toujours constante, et l'autre mortelle, toujours changeante, est composé ce qu'on appelle le Monde, dont un des principes est toujours r mouvant et gouvernant, et l'autre toujours mu et gouverne.

Voilà un précis de la philosophie ancienne, qui a passé dans les théologies et les cosmogonies des différents peuples.

Cette distinction de la double manière dont la grande cause procède à la génération des êtres produits par elle et en elle, dut donner lieu à des comparaisons avec les générations d’ici bas, où deux causes concourent à la formation de l’animal ; l’une activement, l’autre passivement ; l’une comme mâle, l’autre comme femelle ; l’une comme père et l’autre comme mère. La terre dut être regardée comme la matrice de la nature et le réceptacle des germes, et la nourrice des êtres produits dans son sein ; le ciel, comme le principe de la semence et de la fécondité. Ils durent présenter l’un et l’autre les rapports de mâle et de femelle, ou plutôt de mari et de femme, et leur concours l’image d’un mariage d’où naissaient tous les êtres. Ces comparaisons ont été effectivement faites. Le Ciel, dit Plutarque, parut aux hommes faire la fonction de père, et la Terre celle de mère. Le Ciel était le père, parce qu’il versait la semence dans le sein de la terre par le moyen de ses pluies ; la terre, qui, en les recevant, devenait féconde et enfantait, paraissait être la mère. L’Amour, suivant Hésiode, présida au débrouillement du chaos. C’est là ce chaste mariage de la Nature avec elle-même, que Virgile a chanté dans ces beaux vers du second livre des Géorgiques. La Terre, dit ce poète, s’entrouvre au printemps pour demander au Ciel le germe de la fécondité. Alors l’Éther, ce dieu puissant, descend au sein de son épouse, joyeuse de sa présence. Au moment où il fait couler sa semence dans les pluies qui l’arrosent, l’union de leurs deux immenses corps donne la vie et la nourriture à tous les êtres. C’est également au printemps et au 25 de mars que les fictions sacrées des Chrétiens supposent que l’éternel se communique à leur déesse vierge, pour réparer les malheurs de la nature et régénérer l’Univers.

Columelle, dans son Traité sur l’agriculture, a aussi chanté les amours de la nature ou le mariage du ciel avec la terre, qui se consomme tous les ans au printemps. Il nous peint l’esprit éternel, source de la vie ou l’âme qui anime le Monde, pressée des aiguillons de l’amour et brûlante de tous les feux de Vénus, qui s’unit à la nature ou à elle-même, puisqu’elle en fait partie, et qui remplit son propre sein de nouvelles productions. C’est cette union de l’Univers à lui-même, ou cette action mutuelle de ses deux sexes, qu’il appelle les grands secrets de la nature, ses orgies sacrées, ses mystères, et dont les initiations anciennes retraçaient les tableaux variés par une foule d’emblèmes. De-là les fêtes Ithyphalliques et la consécration du Phallus et du Cteis, ou des parties sexuelles de l’homme et de la femme dans les anciens sanctuaires.

Telle est aussi, chez les Indiens, l’origine du culte de Lingam, qui n’est autre chose que l’assemblage des organes de la génération des deux sexes, que ces peuples ont exposés dans les temples de la nature, pour être un emblème toujours subsistant de la fécondité universelle. Les Indiens ont la plus grande vénération pour ce symbole, et ce culte remonte chez eux à la plus haute antiquité. C’est sous cette forme qu’ils adorent leur grand dieu Isuren, le même que le Bacchus grec, en honneur duquel on élevait le Phallus.

Le chandelier à sept branches, destiné à représenter le système planétaire par lequel se consomme le grand ouvrage des générations sublunaires, est placé devant le Lingam, et les Brahmes l’allument lorsqu’ils viennent rendre hommage à cet emblème de la double force de la Nature.

Les Gourous sont changés d’orner le Lingam de fleurs, à peu près comme les Grecs paraient le Phallus. Le Taly que le Brahme consacre que le nouvel époux attache au col de son épouse, et qu’elle doit porter tant qu’il vivra, est souvent un Lingam ou l’emblème de l’union des deux sexes.

Les Égyptiens avaient pareillement consacré le Phallus dans les mystères d’Isis et d’Osiris. Suivant Kircher, on a retrouvé le Phallus honoré jusqu’en Amérique. Si cela est, ce culte a eu la même universalité que celui de la nature elle-même, ou de l’être qui réunit cette double force. Nous apprenons de Diodore, que les Égyptiens n’étaient pas les seuls peuples qui eussent consacré cet emblème ; qu’il l’était chez les Assyriens, chez les Perses, chez les Grecs ! Comme il l’était chez les Romains et dans toute l’Italie. Partout il fut consacré comme une image des organes de la génération de tous les êtres animés, suivant Diodore, ou comme un symbole destiné à exprimer la force naturelle et spermatique des astres, suivant Ptolémée.

Les docteurs chrétiens, également ignorants et méchants, et toujours occupés à décrier et à dénaturer les idées théologiques, les cérémonies, les statues et les fables sacrées des anciens, ont donc eu tort de déclamer contre les fêtes et contre les images qui avaient pour objet le culte de la fécondité universelle. Ces images, ces expressions symboliques des deux grandes forces de l’Univers-Dieu, étaient aussi simples qu’ingénieuses, et avaient été imaginées dans les siècles où les organes de la génération et leur union n’avaient point encore été flétris par le préjugé ridicule de la mysticité, ou déshonorés par les abus du libertinage. Les opérations de la nature et ses agents étaient sacrés comme elle : nos erreurs religieuses et nos vices les ont seuls profanés.

Le double sexe de la Nature, ou sa distinction en cause active et passive, fut aussi représenté chez les Égyptiens par une divinité androgyne, ou par le dieu Cneph, qui vomissait de sa bouche l’œuf symbolique destiné à représenter le Monde. Les brachmanes de l’Inde exprimaient la même idée cosmogonique par une statue imitative du Monde, et qui réunissait les deux sexes. Le sexe mâle portait l’image du Soleil, centre du principe actif ; le sexe féminin celle de la Lune, qui fixe le commencement et les premières couches de la nature passive, comme nous l’avons vu dans le passage d’Ocellus de Lucanie.

C’est de l’union réciproque des deux sexes du Monde ou de la Nature, cause universelle, que sont nées les fictions qui se trouvent à la tête de toutes les théogonies. Uranus épousa Ghé, ou le Ciel eut pour femme la Terre. Ce sont là les deux êtres physiques dont parle Sanchoniaton ou l’auteur de la théogonie des Phéniciens, lorsqu’il nous dit qu’Uranus et Ghé étaient deux époux qui donnèrent leur nom, l’un au Ciel, l’autre à la Terre, et du mariage desquels naquit le dieu du Temps ou Saturne. L’auteur de la théogonie des Crétois, des Atlantes, Hésiode, Apollodore, Proclus, tous ceux qui ont écrit la généalogie des dieux ou des causes, mettent en tête le Ciel et la Terre. Ce sont là les deux grandes causes d’où toutes choses sont sorties. Le nom de rois et de reine, que certaines théogonies leur donnent, tiennent au style allégorique de l’antiquité, et ne doivent pas nous empêcher de reconnaître les deux premières causes de la nature.

Nous devons également voir dans leur mariage l’union de la cause active à la cause passive, qui était une de ces idées cosmogoniques que toutes les religions se sont étudiées à retracer. Nous retrancherons donc Uranus et Ghé du nombre des premiers princes qui ont régné sur l’Univers, et l’époque de leur règne sera effacée des fastes chronologiques. Il en sera de même du prince Saturne, du prince Jupiter, du prince Hélios ou soleil, de la princesse Selênê ou Lune, etc. Le sort des pères décidera de celui de leurs enfants et de leurs neveux, c’est-à-dire que les sous divisions des deux grandes causes premières ne seront point d’une autre nature que les causes mêmes dont elles font partie.

À cette première division de l’Univers en cause active et en cause passive, s’en joint une seconde ; c’est celle des principes, dont l’un est principe de lumière ou de bien, l’autre principe de ténèbres et de mal. Ce dogme fait la base de toutes les théologies, comme l’a très bien observé Plutarque. Il ne faut pas croire, dit ce philosophe, que les principes de l’Univers soient des corps inanimés, comme l'ont pensé Démocrite et Épicure, ni qu'une matière sans qualité soit organisée et ordonnée par une seule raison ou providence, maîtresse de toutes choses, comme l'ont dit les Stoïciens ; car il n'est pas possible qu'un seul être bon ou mauvais soit la cause de tout, Dieu ne pouvant être la cause d'aucun mal.

L'harmonie de ce Monde est une combinaison des contraires, comme les cordes d'une lyre ou la corde d'un arc, qui se tend ou à se détend. Jamais, dit le poète Euripide, le bien n'est séparé du mal : il faut qu'il y ait un mélange de l'un et de l'autre.

Cette opinion sur les deux principes, continue Plutarque, est de toute antiquité ; elle a passé des théologiens et des législateurs aux poètes et aux philosophes. L'auteur n'en est point connu ; mais l'opinion elle-même est constatée par les traditions du genre humain; elle est consacrée par les mystères et les sacrifices chez les Grecs et chez les Barbares. On y reconnaît le dogme des principes opposés dans la Nature, qui, par leur contrariété, produisent le mélange du bien et du mal. On ne peut donc pas dire que ce soit un seul dispensateur qui puise les événements comme une liqueur dans deux tonneaux pour les mêler ensemble, et nous en faire boire la mixtion, car la Nature ne produit rien ici-bas qui soit sans ce mélange. Mais il faut reconnaître deus causes contraires, deux puissances opposées, qui portent l'une vers la droite, l’autre vers la gauche, et qui gouvernent ainsi notre vie e! !out le Monde à sublunaire, qui, par cette raison, est sujet à tant de changements et d'irrégularités de toutes espèces, car rien ne se peut faire sans cause ; et si le bon ne peut être cause du mauvais, il est absolument nécessaire qu'il y ait une cause pour le mal, comme il y eu une pour le bien.

On voit dans cette dernière phrase de Plutarque, que la véritable origine du dogme des deux principes vient de la difficulté que les hommes, dans tous les temps, ont trouvée à expliquer par une seule cause, le bien et le mal de la nature, et à faire sortir la vertu et le crime, la lumière et les ténèbres d’une source commune. Deux effets aussi opposés leur ont paru exiger deux causes également opposées dans leur nature et dans leur action. Ce dogme, ajoute Plutarque, a été généralement reçu chez la plupart des peuples, et surtout chez ceux qui ont une plus grande réputation de sagesse. Ils ont tous admis deux dieux, de métier différent, pour me servir de cette expression, dont l'un faisait le bien, et l'autre le mal qui se trouvent dans le Monde. Ils donnaient au premier le titre Dieu par excellence et à l'autre celui de Démon.

Effectivement, nous voyons dans la cosmogonie ou genèse des hébreux deux principes, l’un appelé Dieu, qui fait le bien, et qui, à chaque ouvrage qu’il produit, répète qu’il voit que ce qu’il a fait est bon. Et après lui vient un autre principe, appelé Démon ou Diable, et Satan, qui corrompt le bien qu’a fait le premier, et qui introduit le mal, la mort et le péché dans l’univers. Cette cosmogonie, comme nous le verrons ailleurs, fut copiée sur les anciennes cosmogonies des Perses, et ses dogmes furent empruntés des livres de Zoroastre, qui admet également deux principes, suivant Plutarque, l’un appelé Oromaze, et l’autre Ahriman. Les Perses disaient du premier, qu’il était de la nature de la lumière, et de l’autre, qu’il était de celle des ténèbres. Chez les Égyptiens, le premier s’appelait Osiris, et le second Typhon, ennemi éternel du premier.

Tous les livres sacrés des Perses et des Égyptiens contiennent le récit merveilleux et allégorique des divers combats qu’Ahriman et ses anges livraient à Oromaze, et que Typhon livrait à Osiris. Ces fables ont été répétées par les Grecs dans la guerre des Titans et des géants à pied, en forme de serpents, contre Jupiter ou contre le principe du bien et de la lumière ; car Jupiter, dans leur théologie, comme l’observe très bien Plutarque, répondait à l’Oromaze des Perses et à l’Osiris des Égyptiens.

Aux exemples que cite Plutarque, et qui sont tirés de la théogonie des Perses, des Égyptiens, des Grecs et des Chaldéens, j’en ajouterai quelques autres, qui justifieront ce qu’il avance, et qui achèveront de prouver que ce dogme a été universellement répandu dans le Monde, et qu’il appartient à toutes les théologies.

Les habitants du royaume de Pégu admettent deux principes, l’un auteur du bien, et l’autre auteur du mal. Ils s’étudient surtout à apaiser ce dernier. C’est ainsi que les insulaires de Java, qui reconnaissent un chef suprême de l’Univers, adressent aussi leurs offrandes et leurs prières au malin esprit, pour qu’il ne leur fasse pas de mal. Il en est de même des Moluquois et de tous les sauvages des îles Philippines. Les habitants de l’île de Formose ont leur dieu bon, Ishy, et des diables, Chouy ; ils sacrifient au mauvais génie, et rarement au bon. Les nègres de la Côte-d’Or admettent aussi deux dieux, l’un bon, l’autre mauvais ; l’un blanc, et l’autre noir et méchant. Ils s’occupent peu du premier, qu’ils appellent le bonhomme, et redoutent surtout le second, auquel les Portugais ont donné le nom de Démon ; c’est celui-là qu’ils cherchent à gagner.

Les Hottentots appellent le bon principe le capitaine d’en haut, et le mauvais principe le capitaine d’en bas. Les anciens pensaient aussi que la source des maux était dans la matière ténébreuse de la terre. Les géants et Typhon étaient enfants de la terre. Les Hottentots disent qu’il n’y a qu’à laisser faire le bon principe ; qu’il n’est pas nécessaire de le prier, qu’il fera toujours le bien ; mais qu’il faut prier le mauvais de ne pas faire le mal. Ils nomment Touquoa leur divinité méchante, et la représentent petite, recourbée, de mauvais naturel, ennemie des hottentots, et disent qu’elle est la source de tous les maux qui affligent le Monde, au-delà duquel sa puissance cesse.

Ceux de Madagascar reconnaissent aussi les deux principes ; ils donnent au mauvais les attributs du serpent, que les cosmogonies des persans, des Égyptiens, des Juifs et des Grecs lui attribuaient ; ils nomment le bon principe Jadhar, ou le grand Dieu tout-puissant ; et le mauvais, Angat. Ils n’élèvent point de temples au premier, et ne lui adressent point de prières, parce qu’il est bon, comme si la crainte seule, plus que la reconnaissance, eût fait les dieux. Ainsi, les Mingreliens honorent plus particulièrement celle de leurs idoles qui passe pour la plus cruelle.

Les habitants de l’île de Ténériffe admettaient un Dieu suprême, à qui ils donnaient le nom d’Achguaya-Xerac, qui signifie le plus grand, le plus sublime, le conservateur de toutes choses. Ils reconnaissent aussi un mauvais génie, qu’ils appelaient Guayotta.

Les scandinaves ont leur dieu Locke, qui fait la guerre aux dieux et surtout à Thor ; c’est le calomniateur des dieux, dit l’Edda, le grand artisan des tromperies. Son esprit est méchant : trois monstres sont nés de lui ; le loup Feuris, le serpent Midgard, et Héla ou la mort. C’est lui qui, comme Typhée, produit les tremblements de terre.

Les Tschouvaches et les Morduans reconnaissent un être suprême, de qui les hommes tiennent tous les biens dont ils jouissent. Ils admettent aussi des génies malfaisants, qui ne s’occupent  que de nuire aux hommes.

Les Tatars de Katzchinzi adressent leurs prières à un dieu bienfaisant, en se tournant vers l’Orient ou vers les sources de la lumière. Mais ils craignent davantage une divinité malfaisante, à laquelle ils font des prières, pour qu’elle ne leur nuise point. Ils lui consacrent au printemps un étalon noir ; ils appellent Toüs la divinité malfaisante. Les Ostiaks et les Vogouls la nomment Koul ; les Samoyèdes, Sjoudibé ; les Motores, Huala ; les Kargassés, Sedkyr.

Les Tibétans admettent aussi des génies malfaisants, qu’ils placent au dessus de l’air.

La religion des Bonzes suppose également les deux principes.

Les Siamois sacrifient à un mauvais principe, qu’ils regardent comme l’auteur de tout le mal qui arrive aux hommes, et c’est surtout dans leurs afflictions qu’ils y ont recours.

Les Indiens ont leur Ganga et leur Gournatha, génies qui ont le pouvoir de nuire, et qu’ils cherchent à apaiser par des prières, des sacrifices et des processions. Les habitants de Tolgoni, dans l’Inde, admettent deux principes qui gouvernent l’Univers ; l’un bon, c’est la lumière ; et l’autre mauvais, ce sont les ténèbres. Les anciens Assyriens partageaient l’opinion des Perses sur les deux principes, et honoraient, dit Augustin, deux dieux, l’un bon, et l’autre méchant, comme il est aisé de s’en convaincre par leurs livres. Les Chaldéens avaient leurs astres bons et mauvais, et des intelligences attachées à ces astres, et qui en partageaient la nature, bonne ou mauvaise.

On retrouve aussi dans le nouveau Monde, ce même dogme reçu généralement par l’ancien, sur la distinction des deux principes et des génies bienfaisants et malfaisants.

Les Péruviens révéraient Pacha-Camac, dieu auteur du bien, à qui ils opposaient Cupaï, génie auteur du mal.

Les Caraïbes admettaient deux sortes d’esprits, les uns bienfaisants, qui font leur séjour au ciel, et dont chacun de nous a le sien qui lui sert de guide sur la Terre : ce sont nos anges gardiens ; les autres étaient malfaisants, parcouraient les airs, et prenaient plaisir à nuire aux mortels.

Ceux de Terre-Ferme pensent qu’il y a un dieu au ciel ; que ce dieu est le Soleil. Ils admettent en outre un mauvais principe, auteur de tous les maux qu’ils souffrent ; et pour l’engager à leur être favorable, ils lui offrent des fleurs, des fruits, du maïs et des parfums. Ce sont là les dieux dont les rois ont pu dire avec quelque raison, qu’ils étaient leurs représentants et leurs images sur la terre. Plus on les craint, plus on les flatte, plus on leur prodigue d’hommages.

Aussi, l’on a toujours traité les dieux comme les rois et comme les hommes puissants de qui l’on attend ou l’on craint quelque chose. Toutes les prières, tous les vœux que les chrétiens adressent à leur dieu et à leurs saints, sont toujours intéressées. La religion n’est qu’un commerce par échanges. Cet être ténébreux, si révéré de ces sauvages, leur apparaît souvent, à ce que disent leurs prêtres, qui sont en même temps législateurs, médecins et ministres de la guerre ; car les prêtres partout se sont saisis de toutes les branches du pouvoir que la force ou l’imposture exerce sur les crédules mortels.

Les Tapuyes, situés en Amérique, à peu près à la même latitude que les Madegasses en Afrique, ont aussi à peu près les mêmes opinions sur les deux principes.

Ceux du Brésil reconnaissent un mauvais génie ; ils l’appellent Aguyan ; ils ont des devins qui se disent en commerce avec cet esprit.

Les habitants de la Louisiane admettent deux principes ; l’un cause du bien, et l’autre cause du mal : celui-ci, suivant eux, gouvernait tout le Monde.

Les Floridiens adorent le Soleil, la Lune et les Astres, et reconnaissent aussi un mauvais génie, sous le nom de Toïa, qu’ils cherchent à se rendre favorable en célébrant des fêtes en son honneur.

Les Canadiens et les sauvages voisins de la baie d’Hudson révèrent le Soleil, la Lune et le Tonnerre. Mais les divinités auxquelles ils adressent le plus souvent leurs vœux, sont les esprits malins, qu’ils redoutent beaucoup, comme étant tout puissants pour faire le mal.

Les Esquimaux ont un dieu souverainement bon, qu’ils appellent Ukouma, et un autre Ouikan, qui est l’auteur de tous leurs maux. Celui-ci fait naître les tempêtes, renverse les barques et rend inutiles les travaux ; car c’est toujours un génie qui partout fait le bien ou le mal qui arrive aux hommes.

Les sauvages qui habitent près du détroit de Davis, admettent certains génies bienfaisants et malfaisants, et c’est à peu près là que se borne toute leur religion.

Il serait inutile de pousser plus loin l’énumération des divers peuples, tant anciens que modernes, qui dans les deux continents ont admis la distinction des deux principes ; celle d’un dieu et de génies, sources de bien et de lumière, et celle d’un dieu et de génies, sources de mal et de ténèbres. Cette opinion n’a été aussi universellement répandue que parce que tous ceux qui ont raisonné sur les causes des effets opposés de la nature, n’ont pu concilier leurs explications avec l’existence d’une cause unique. De même qu’il y avait des hommes bons et méchants, on a cru qu’il pouvait y avoir aussi des dieux bons et méchants : les uns, dispensateurs du bien ; les autres, auteurs du mal qu’éprouvent les hommes ; car, encore une fois, les hommes ont toujours peint les dieux tels qu’ils étaient eux-mêmes, et la cour des immortels a ressemblé à celles des rois et de tous ceux qui gouvernent tyranniquement.

Le tableau que nous venons de présenter, prouve complètement l’assertion de Plutarque, qui nous dit que le dogme des deux principes a été généralement reçu chez tous les peuples ; qu’il remonte à la plus haute antiquité, et qu’il se trouve chez les Barbares comme chez les Grecs. Ce philosophe ajoute qu’il a eu un plus grand développement chez les nations qui ont joui d’une plus grande réputation de sagesse. Nous verrons effectivement qu’il est la base principale de la théologie des Égyptiens et de celle des Perses, deux peuples qui ont eu une grande influence sur les opinions religieuses des autres nations, et surtout sur celles des Juifs et des chrétiens, chez lesquels le système des deux principes est le même, à quelques nuances près. En effet, ils ont aussi leur diable et leurs mauvais anges, constamment en opposition avec Dieu, auteur de tout bien. Chez eux le diable est le conseiller du crime, et porte le nom de séducteur du genre humain. On saisira mieux cette vérité dans l’explication que nous donnerons des deux premiers chapitres de la genèse et de l’Apocalypse de Jean. Le Diable ou le mauvais principe, sous la forme de serpent et de dragon, y joue le plus grand rôle, et contrarie le bien que le dieu bon veut faire à l’homme. C’est dans ce sens que l’on peut dire avec Plutarque, que le dogme des deux principes a été consacré par des mystères et par des sacrifices, chez tous les peuples qui ont eu un système religieux organisé.

Les deux principes ne sont pas restés seuls et isolés. Ils ont eu chacun leurs génies familiers, leurs anges, leurs izeds, leurs dews, etc. Sous l’étendard de chacun d’eux, comme chefs, s’est rangée une foule d’esprits ou d’intelligences qui avaient de l’affinité avec leur nature, c’est-à-dire, avec le bien et la lumière, ou avec le mal et les ténèbres ; car la lumière a toujours été regardée comme appartenante à l’essence du bon principe, et comme la première divinité bienfaisante, dont le soleil était le principal agent. C’est à elle que nous devons la jouissance du spectacle brillant de l’Univers, que les ténèbres nous dérobent en plongeant la nature dans une espèce de néant.

Au sein des ombres d’une nuit obscure et profonde, lorsque le ciel est chargé d’épais nuages, quand tous les corps ont disparu à nos yeux, et que nous semblons habiter seuls avec nous-mêmes et avec l’ombre noire qui nous enveloppe, quelle est alors la mesure de notre existence ? Combien peu elle diffère d’un entier néant, surtout quand la mémoire et la pensée ne nous entourent pas de l’image des objets que nous avait montrés le jour ? Tout est mort pour nous, et nous-mêmes le sommes en quelque sorte pour la nature. Qui peut nous donner la vie et tirer notre âme de ce mortel assoupissement, qui enchaîne son activité dans l’ombre du chaos ? Un seul rayon de la lumière peut nous rendre à nous-mêmes et à la nature entière, qui semble s’être éloignée de nous. Voilà le principe de notre véritable existence, sans lequel notre vie ne serait que le sentiment d’un ennui prolongé. C’est ce besoin de la lumière, c’est son énergie créatrice qui a été sentie par tous les hommes, qui n’ont rien vu de plus affreux que son absence. Voilà leur première divinité, dont l’éclat brillant, jaillissant du sein du chaos, en fit sortir l’homme et tout l’Univers, suivant les principes de la théologie d’Orphée et de Moïse. Voilà le dieu Bel des Chaldéens, l’Oromaze des Perses, qu’ils invoquent comme source de tout le bien de la nature, tandis qu’ils placent dans les ténèbres et dans Ahriman leur chef, l’origine de tous les maux. Aussi ont-ils une grande vénération pour la lumière, et une grande horreur pour les ténèbres. La lumière est la vie de l’Univers, l’amie de l’homme et sa compagne la plus agréable ; avec elle il ne s’aperçoit plus de sa solitude, il la cherche dès qu’elle lui manque, à moins qu’il ne veuille, pour reposer ses organes fatigués, se dérober au spectacle du Monde et à lui-même.

Mais quel est son ennui lorsque, son réveil précédant le retour du jour, il est forcé d’attendre l’apparition de la lumière ! Quelle est sa joie lorsqu’il entrevoit ses premiers rayons, et que l’aurore, blanchissant l’horizon, rappelle sous sa vue tous les tableaux qui avaient disparu dans l’ombre. Il voit alors ces enfants de la terre, dont la taille gigantesque s’élève au sommet des airs, les hautes montagnes couronner de leur cime son horizon, et former la barrière circulaire qui termine la course des astres. La terre s’aplanit vers leurs racines, et s’étend en vases plaines entrecoupées de rivières, couvertes de prairies, de bois ou de moissons, dont l’aspect un moment auparavant lui était caché par un sombre voile que l’aurore d’une main bienfaisante vient de déchirer. La nature reparaît toute entière aux ordres de la divinité qui répand la lumière ; mais le Dieu du jour se cache encore aux regards de l’homme, afin que son œil s’accoutume insensiblement à soutenir le vif éclat des rayons du dieu que l’aurore va introduire dans le temple de l’Univers, dont il est l’âme et le père. Déjà la porte par où il doit entrer, est nuancée de mille couleurs, et la rose vermeille semble être semée sous ses pas ; l’or, mêlant son éclat à l’azur, forme l’arc de triomphe sous lequel doit passer le vainqueur de la nuit et des ténèbres. La troupe des étoiles a disparu devant lui, et lui a laissé libres les champs de l’Olympe dont il va seul tenir le sceptre. La nature entière l’attend. Les oiseaux, par leur ramage, célèbrent son approche, et font retentir de leurs concerts les plaines de l’air, au dessus desquelles va voler son char, et qu’agite déjà la douce haleine de ses chevaux. La cime des arbres est mollement balancée par le vent frais qui s’élève de l’Orient. Les animaux que n’effraie point l’approche de l’homme, et qui vivent sous son toit, s’éveillent avec lui, et reçoivent du jour et de l’aurore le signal qui les avertit du moment où ils pourront chercher leur nourriture dans les prairies et dans les champs, dont une tendre rosée a abreuvé les plantes, les herbes et les fleurs.

Il paraît enfin environné de toute sa gloire, ce Dieu bienfaisant dont l’empire va s’exercer sur toute la terre, et dont les rayons vont éclairer ses autels. Son disque majestueux répand à grands flots la lumière et la chaleur dont il est le grand foyer. À mesure qu’il s’avance dans sa carrière, l’ombre, sa rivale éternelle, comme Typhon et Ahriman, s’attachant à la matière grossière et aux corps qui la produisent, fuit devant lui, marchant toujours en sens opposé, décroissant à mesure qu’il s’élève, et attendant sa retraite pour se réunir à la sombre nuit, dans laquelle est replongée la terre au moment où elle ne voit plus le Dieu, père du Jour et de la Nature. Il a, d’un pas de géant, franchi l’intervalle qui sépare l’Orient de l’Occident, et il descend sous l’horizon, aussi majestueux qu’il y était monté. Les traces de ses pas sont encore marquées par la lumière qu’il laisse sur les nuages qu’il nuance de mille couleurs, et dans l’air qu’il blanchit, et où se brisent plusieurs fois en divers sens les rayons qu’il lance sur l’atmosphère quelques heures après sa retraite, pour nous accoutumer à son absence et nous épargner l’horreur d’une nuit subite. Mais enfin elle arrive insensiblement, et déjà son crêpe noir s’étend sur la terre, triste de la perte d’un père bienfaisant.

Voilà le Dieu qu’ont adoré tous les hommes, qu’ont chanté tous les poètes, qu’ont peint et représenté sous divers emblèmes et sous une foule de noms différents les peintres et les sculpteurs qui ont décoré les temples élevés à la grande cause ou à la nature. Ainsi les Chinois ont leur fameux Ming-Tang ou temple de la Lumière ; les Perses, les monuments de leur Mithra, et les Égyptiens les temples d’Osiris, le même dieu que le Mithra des Perses.

Les habitants de l’île de Munay élevèrent aussi un temple à la lumière : le jour qui en émane eut ses mystères, et Hésiode donne l’épithète de sacrée à la lumière qui vient le main dissiper les ombres de la Nuit. Toutes les grandes fêtes des anciens sont liées son retour vers nos régions, et à son triomphe sur les longues nuits de l’hiver. On ne sera donc pas surpris que nous rapportions la plupart des divinités anciennes à la lumière, soit à celle qui brille dans le soleil, soit à celle qui est réfléchie par la lune et par les planètes, soit à celle qui luit dans les astres fixes, mais surtout à celle du soleil, le foyer principal de la lumière universelle, et que nous cherchions dans les ténèbres les ennemis de son empire. C’est entre ces deux puissances que se partagent le temps et le gouvernement du Monde.

Cette division des deux grands pouvoirs qui règlent les destinées de l’Univers, et qui y versent les biens et les maux qui se mêlent dans toute la nature, est exprimée dans la théologie des mages, par l’emblème ingénieux d’un œuf mystérieux qui représente la forme sphérique du Monde. Les Perses disent qu’Oromaze, né de la lumière la plus pure, et Ahriman, né des ténèbres, se font mutuellement la guerre ; que le premier a engendré six Dieux, qui sont la Bienveillance, la Vérité, le bon Ordre, la Sagesse, la Richesse et la Joie vertueuse ; ce sont autant d’émanations du bon principe, et autant de biens qu’il nous distribue. Ils ajoutent que le second a de même engendré six Dieux contraires aux premiers dans leurs opérations ; qu’ensuite Oromaze s’est fait trois fois plus grand qu’il n’était, et qu’il est élevé au dessus du soleil, autant que le soleil l’est au dessus de la terre ; qu’il a orné le ciel d’étoiles, dont une entre autres, Sirius, a été établie comme la sentinelle ou la garde avancée des astres ; qu’il a fait, outre cela, vingt-quatre autres dieux qui furent mis dans un œuf ; que ceux qui furent produits par Ahriman, également au nombre de vingt-quatre, percèrent l’œuf, et mêlèrent ainsi les maux et les biens.

Oromaze, né de la substance pure de la lumière, voilà le bon principe ; aussi ses productions tiennent-elles de sa nature. Qu’on l’appelle Oromaze, Osiris, Jupiter, le bon Dieu, le Dieu blanc, etc. Peu nous importe. Ahriman, né des ténèbres, voilà le mauvais principe, et ses œuvres sont conformes à sa nature. Qu’on l’appelle Ahriman, Typhon, le chef des Titans, le Diable, Satan, le dieu Nuit, peu nous importe encore. Ce sont là les diverses expressions de la même idée théologique, par lesquelles chaque religion a cherché à rendre raison du bien et du mal qui se combinent dans le Monde, désigné ici par l’emblème de l’œuf, le même que celui que le dieu Cneph vomit de sa bouche, et que celui que les Grecs avaient consacré dans les mystères de Bacchus. Cet œuf est divisé en douze parties, nombre égal à celui des divisions du zodiaque et de la révolution annuelle qui contient tous les effets périodiques de la Nature, bons et mauvais. Six appartiennent au dieu de la Lumière, qui habite la partie supérieure du Monde ; et six au dieu des Ténèbres, qui habite la partie inférieure où se fait le mélange des biens et des maux. L’empire du jour, et son triomphe sur les longues nuits, dure effectivement pendant six signes ou six mois, depuis l’équinoxe du printemps jusqu’à celui d’automne. Pendant tout ce temps la chaleur du soleil, qui émane du bon principe, sème la terre de fleurs, l’enrichit de moissons et de fruits. Pendant les six autres mois, le soleil semble perdre sa force féconde ; la terre se dépouille de sa parure ; les longues nuits reprennent leur empire, et le gouvernement du Monde est abandonné au mauvais principe : voilà le fond de cette énigme, ou le sens de l’œuf symbolique subordonné à douze chefs, dont six font le bien, et six autres font le mal. Les quarante-huit autres dieux, en nombre égal à celui des constellations connues des anciens, qui se groupent en deux bandes de vingt quatre, chacune sous son chef, sont les astre bons et mauvais, dont les influences se combinent avec le soleil et les planètes, pour régler les destinées des hommes. Elles ont pour chef la plus brillante des étoiles fixes, Sirius.

Cette subdivision de l’action des deux principes en six temps chacun, est rendue allégoriquement sous l’expression millésime dans d’autres endroits de la théologie des mages ; car ils subordonnent à l’éternité ou au temps sans bornes, une période de douze mille ans, qu’Ormuzd et Ahriman se partagent entre eux, et pendant laquelle chacun des deux principes produit les effets analogues à sa nature, et livre à l’autre des combats qui se terminent par le triomphe d’Ormuzd ou du bon principe. Cette théorie nous servira surtout à expliquer les premiers chapitres de la genèse, le triomphe de Christ, et les combats du dragon contre l’agneau, suivi de la victoire de celui-ci, dans l’Apocalypse.

Après avoir présenté le grand ensemble de la nature ou de l’Univers, cause éternelle et souverainement puissante, tel que les anciens l’ont envisagé et distribué dans ses grandes masses, il ne nous reste plus qu’à procéder à l’explication de leurs fables sacrées, d’après les bases que nous avons posées, et à arriver aux résultats que doit amener le nouveau système. C’est ce que nous allons faire.