Abrégé de l'origine de tous les cultes

 

Chapitre III. — De l’Univers animé et intelligent.

 

 

Avant de passer aux applications de notre système et aux résultats qu’il doit donner, il est bon de considérer dans l’Univers, tous les rapports sous lesquels les anciens l’ont envisagé.

Il s’en faut de beaucoup qu’ils n’aient vu dans le Monde, qu’une machine sans vie et sans intelligence, mue par une force aveugle et nécessaire. La plus grande et la plus saine partie des philosophes ont pensé que l’Univers renfermait éminemment le principe de vie et de mouvement que la nature avait mis en eux, et qui n’était en eux que parce qu’il existait éternellement en elle, comme dans une source abondante et féconde, dont les ruisseaux vivifiaient et animaient tout ce qui à vie et intelligence. L’homme n’avait pas encore la vanité de se croire plus parfait que le Monde, et d’admettre dans une portion infiniment petite du grand tout, ce qu’il refusait au grand Tout lui-même ; et dans l’être passager, ce qu’il n’accordait pas à l’être toujours subsistant.

Le Monde paraissant animé par un principe de vie qui circulait dans toutes ses parties, et qui le tenait dans une activité éternelle, on crut donc que l’Univers vivait comme l’homme et comme les autres animaux, ou plutôt que ceux-ci ne vivaient que parce que l’Univers essentiellement animé, leur communiquait, pour quelques instants, une infiniment petite portion de sa vie immortelle, qu’il versait dans la matière inerte et grossière des corps sublunaires. Venait-il à la retirer à lui ? L’homme et l’animal mouraient, et l’Univers seul, toujours vivant, circulait autour des débris de leurs corps par son mouvement perpétuel, et organisait de nouveaux êtres. Le feu actif ou la substance subtile qui le vivifiait lui-même, en s’incorporant à sa masse immense, en était l’âme universelle. C’est cette doctrine qui est renfermée dans le système des Chinois, sur l’Yang et sur l’Yn, dont l’un est la matière céleste, mobile et lumineuse, et l’autre la matière terrestre, inerte et ténébreuse, dont tous les corps se composent.

C’est le dogme de Pythagore, contenu dans ces beaux vers du sixième livre de l’Énéide, où Anchise révèle à son fils l’origine des âmes, et le sort qui les attend après la mort.

Il faut que vous sachiez, lui dit-il, ô mon fils, que le ciel et la terre, la mer, le globe brillant de la lune, et tous les astres, sont mus par un principe de vie interne, qui perpétue leur existence ; qu’il est une grande âme intelligente, répandue dans toutes les parties du vaste corps de l’Univers, qui se mêlant à tout, l’agite d’un mouvement éternel. C’est cette âme qui est le source de la vie de l’homme, de celle des troupeaux, de celles des oiseaux et de tous les monstres qui respirent au sein des mers. La force vive qui les anime, émane de ce feu éternel qui brille dans les cieux et qui, captif dans la matière grossière des corps ne s’y développe qu’autant que le permettent les diverses organisations mortelles qui émoussent sa force et son activité. A la mort de chaque animal, ces germes de vie particulière, ces portions du souffle universel, retournent à leur principe et à leur source de vie qui circule dans la sphère étoilée.

Timée de Locres, et après lui Platon et Proclus, ont fait un traité sur cette âme universelle, appelée âme du Monde, qui, sous le nom de Jupiter, subit tant de métamorphoses dans la mythologie ancienne, et qui est représentée sous tant de formes empruntées des animaux et des plantes, dans le système des Égyptiens. L’Univers fut donc regardé comme un animal vivant qui communique sa vie à tous les êtres qu’il engendre par sa fécondité éternelle.

Non seulement il fut réputé vivant, mais encore souverainement intelligent, et peuplé d’une foule d’intelligences partielles répandues par toute la nature, et dont la source était dans son intelligence suprême et immortelle.

Le Monde comprend tout, dit Timée ; il est animé et doué de raison ; c’est ce qui a fait dire à beaucoup de philosophes, que le Monde était vivant et sage.

Cléanthe, qui regardait l’Univers comme dieu ou comme la cause universelle et improduite de tous les effets, donnait une âme et une intelligence au Monde, et c’était à cette âme intelligente qu’appartenait proprement la divinité. Dieu, suivant lui, établissait son principal siége dans la substance éthérée, dans cet élément subtil et lumineux qui circule avec abondance autour du firmament, et qui de là se répand dans tous les astres, qui par cela même partagent la nature divine.

Dans le second livre de Cicéron, sur la nature des Dieux, un des interlocuteurs s’attache à prouver par plusieurs arguments, que l’Univers est nécessairement intelligent et sage. Une des principales raisons qu’il en apporte, c’est qu’il n’est pas vraisemblable que l’homme, qui n’est qu’une infiniment petite partie du grand Tout, ait des sens et de l’intelligence, et que le tout lui-même, d’une nature bien supérieure à celle de l’homme, en soit privé. Une même sorte d’âmes, dit Marc-Aurèle, a été distribuée à tous les animaux qui sont sans raison, et un esprit intelligent à tous les êtres raisonnables. De même que tous les corps terrestres sont formés d’une même terre, de même que tout ce qui vit et tout ce qui respire ne voit qu’une même lumière, ne reçoit et ne rend qu’un même air, de même il n’y a qu’une âme, quoiqu’elle se distribue en une infinité de corps organisés ; il n’y a qu’une intelligence, quoiqu’elle semble se partager. Ainsi, la lumière du soleil est une, quoiqu’on la voie dispersée sur les murailles, sur les montagnes, sur mille objets divers.

Il résulte de ces principes philosophiques, que la matière des corps particuliers se généralise en une matière universelle, dont se compose le corps du Monde ; que les âmes et les intelligences particulières se généralisent en une âme et en une intelligence universelle, qui meuvent et régissent la masse immense de matière dont est formé le corps du Monde. Ainsi l’Univers est un vaste corps mu par une âme, gouverné et conduit par une intelligence, qui ont la même étendue et qui agissent dans toutes ses parties, c’est-à-dire, dans tout ce qui existe, puisqu’il n’existe rien hors l’Univers, qui est l’assemblage de toutes choses. Réciproquement, de même que la matière universelle se partage en une foule innombrable de corps particuliers sous des formes variées, de même la vie ou l’âme universelle, ainsi que l’intelligence, se divisant dans les corps, y prennent un caractère de vie et d’intelligence particulière dans la multitude infinie de vases divers qui les reçoivent. Telle la masse immense des eaux, connue sous le nom d’océan, fournit par l’évaporation les diverses espèces d’eaux qui se distribuent dans les lacs, dans les fontaines, dans les rivières, dans les plantes, dans tous les végétaux et les animaux, où circulent les fluides, sous des formes et avec des qualités particulières, pour rentrer ensuite dans le bassin des mers, où elles se confondent en une seule masse de qualité homogène. Voilà l’idée que les Anciens eurent de l’âme ou de la vie et de l’intelligence universelle, sources de la vie et des intelligences distribuées dans tous les êtres particuliers, à qui elles se communiquent par des milliers de canaux. C’est de cette source féconde que sont sorties les intelligences innombrables placées dans le Ciel, dans le Soleil, dans la Lune, dans tous les Astres, dans les Éléments, dans la Terre, dans les Eaux, et généralement partout où la cause universelle semble avoir fixé le siége de quelque action particulière et quelqu’un des agents du grand travail de la nature. Ainsi se composa la cour des dieux qui habitent l’Olympe ; celles des divinités de l’Air, de la Mer et de la Terre ; ainsi s’organisa le système général de l’administration du Monde, dont le soin fut confié à des intelligences de différents ordres et de dénomination différente, soit dieux, soit génies, soit anges, soit esprits célestes, héros, ireds, azes, etc.

Rien ne s’exécuta plus, dans le Monde, par des moyens physiques, par la seule force de la matière et par les lois du mouvement ; tout dépendit de la volonté et des ordres d’agents intelligents. Le conseil des Dieux régla le destin des hommes, et décida du sort de la nature entière soumise à leurs lois et dirigée par leur sagesse. C’est sous cette forme que se présente la théologie chez tous les peuples qui ont eu un culte régulier et des théogonies raisonnées. Le sauvage encore aujourd’hui place la vie partout où il voit du mouvement, et l’intelligence dans toutes les causes dont il ignore le mécanisme, c’est-à-dire, dans toute la nature. De là l’opinion des astres animés et conduits par des intelligences ; opinion répandue chez les Chaldéens, chez les Perses, chez les Grecs et chez les Juifs et les Chrétiens ; car ces derniers ont placé des anges dans chaque astre, chargés de conduire les corps célestes et de régler le mouvement des sphères.

Les Perses ont aussi leur ange Chur, qui dirige la course du soleil ; et les Grecs avaient leur Apollon, qui avait son siége dans cet astre. Les livres théologiques des Perses parlent de sept grandes intelligences sous le nom d’Amschaspands, qui forment le cortège du dieu de la lumière, et qui ne sont que les génies des sept planètes. Les Juifs en ont fait leurs sept archanges, toujours présents devant le seigneur. Ce sont les sept grandes puissances qu’Avenar nous dit avoir été préposées par Dieu au gouvernement du Monde, ou les sept anges chargés de conduire les sept planètes ; elles répondent aux sept ousiarques, qui, suivant la doctrine de Trismégiste, président aux sept sphères. Les Arabes, les Mahométans, les Cophtes, les ont conservées. Ainsi, chez les Perses, chaque planète est surveillée par un génie placé dans une étoile fixe ; l’astre Taschter est chargé de la planète Tir  ou de Mercure, qui est devenu l’ange Tiriel, que les cabalistes appellent l’intelligence de Mercure ; Hafrorang est l’astre chargé de la planète Behram ou de Mars, etc. Les noms de ces astres sont aujourd’hui les noms d’autant d’anges chez les Perses modernes.

Au nombre sept des sphères planétaires on a ajouté la sphère des fixes et le cercle de la terre ; ce qui a produit le système des neuf sphères. Les Grecs y attachèrent neuf intelligences, sous le nom de Muses, qui, par leurs chants, formaient l’harmonie universelle du Monde. Les Chaldéens et les Juifs y plaçaient d’autres intelligences, sous le nom de Chérubins et de Séraphins, etc., au nombre de neuf chœurs, qui réjouissaient l’éternel par leurs concerts.

Les Hébreux et les Chrétiens admettent quatre anges chargés de garder les quatre coins du Monde. L’astrologie avait accordé cette surveillance à quatre planètes ; les Perses, à quatre grandes étoiles placées aux quatre points cardinaux du ciel.

Les Indiens ont aussi leurs génies, qui président aux diverses régions du Monde. Le système astrologique avait soumis chaque climat, chaque ville à l’influence d’un astre. On y substitua son ange, ou l’intelligence qui était censée présider à cet astre et en être l’âme. Ainsi les livres sacrés des Juifs admettent un ange tutélaire de la Perse, un ange tutélaire des Juifs.

Le nombre douze ou celui des signes donna lieu d’imaginer douze grands anges gardiens du Monde, dont Hyde nous a conservé les noms. Chacune des divisions du temps en douze mois eut son ange, ainsi que les éléments. Il y a aussi des anges qui président aux trente jours de chaque mois. Toutes les choses du Monde, suivant les Perses, sont administrées par des anges, et cette doctrine remonte chez eux à la plus haute antiquité.

Les Basilidiens avaient leurs trois cent soixante anges qui présidaient aux trois cent soixante cieux qu’ils avaient imaginés. Ce sont les trois cent soixante Éons des gnostiques.

L’administration de l’Univers fut partagée entre cette foule d’intelligences, soit anges, soit izeds, soit dieux, héros, génies, gines, etc. ; chacune d’elles était chargée d’un certain département ou d’une fonction particulière : le froid, le chaud, la pluie, la sécheresse, les productions des fruits de la terre, la multiplication des troupeaux, les arts, les opérations agricoles, etc. Tout fut sous l’inspection d’un ange.

Bad, chez les Perses, est le nom de l’ange qui préside aux vents. Mordad est l’ange de la mort. Aniran préside aux noces. Fervardin est le nom de l’ange de l’air et des eaux. Curdat, le nom de l’ange de la terre et de ses fruits. Cette théologie a passé chez les Chrétiens. Origène parle de l’ange de la vocation des gentils, de l’ange de la grâce. Tertullien, de l’ange de la prière, de l’ange du baptême, des anges du mariage, de l’ange qui préside à la formation du fœtus. Chrysostome et Basile célèbrent l’ange de la paix. Ce dernier, dans sa liturgie, fait mention de l’ange du jour. On voit que les Pères de l’Église ont copié le système hiérarchique des Perses et des Chaldéens.

Dans la théologie des Grecs, on supposait que les dieux avaient partagé entre eux les différentes parties de l’Univers, les différents arts, les divers travaux. Jupiter présidait au ciel, Neptune aux eaux, Pluton aux enfers, Vulcain au feu, Diane à la chasse, Cérès à la terre et aux moissons, Bacchus aux vendanges, Minerve aux arts et aux diverses fabriques. Les montagnes eurent leurs oréades, les fontaines leurs naïades, les forêts leurs dryades et leurs hamadryades. C’est le même dogme sous d’autres noms ; et Origène, chez les chrétiens, partage la même opinion, lorsqu’il dit : J’avancerai hardiment qu’il y a des vertus célestes qui ont le gouvernement de ce Monde ; l’une préside à la terre ; l’autre aux plantes ; telle autre aux fleuves et aux fontaines ; telle autre à la pluie, aux vents. L’astrologie plaçait une partie de ces puissances dans les Astres ; ainsi les Hyades présidaient aux pluies, Orion aux tempêtes, Sirius aux grandes chaleurs, le bélier aux troupeaux, etc. Le système des anges et des dieux qui se distribuent entre eux les diverses parties du Monde et les différentes opérations du grand travail de la nature, n’est autre chose que l’ancien système astrologique, dans lequel les astres exerçaient les mêmes fonctions qu’ont depuis remplies leurs anges ou leurs génies.

Proclus fait présider une pléiade à chacune des sphères : Céléno préside à la sphère de Saturne, Stenopé à celle de Jupiter, etc. Dans l’Apocalypse, ces mêmes pléiades sont appelées sept anges, qui frappent le Monde des sept dernières plaies.

Les habitants de l’île de Thulé adoraient des génies célestes, aériens, terrestres ; ils en plaçaient aussi dans les eaux, dans les fleuves et les fontaines.

Les Sintovistes du Japon révèrent des divinités distribuées dans les étoiles, et des esprits qui président aux éléments, aux plantes, aux animaux, aux divers événements de la vie.

Ils ont leurs Udsigami, qui sont les divinités tutélaires d’une province, d’une ville, d’un village, etc.

Les Chinois rendent un culte aux génies placés dans le soleil et dans la lune, dans les planètes, dans les éléments, et à ceux qui président à la mer, aux fleuves, aux fontaines, aux bois, aux montagnes, et qui répondent aux néréides, aux naïades, aux dryades et aux autres nymphes de la théogonie des Grecs. Tous ces génies, suivant les lettrés, sont des émanations du grand comble, c’est-à-dire, du ciel ou de l’âme universelle qui le meut.

Les Chen, chez les Chinois de la secte de Tao, composent une administration d’esprits ou d’intelligences rangées en différentes classes, et chargées de différentes fonctions dans la nature. Les unes ont inspection sur le Soleil, les autres sur la Lune ; celles-ci sur les étoiles, celles-là sur les vents, sur la pluie, sur la grêle ; d’autres sur les temps, sur les saisons, sur les jours, sur les nuits, sur les heures.

Les Siamois admettent, comme les Perses, des anges qui président aux quatre coins du Monde ; ils placent sept classes d’anges dans les sept cieux : les astres, les vents, la pluie, la terre, les montagnes, les villes, sont sous la surveillance d’anges ou d’intelligences. Ils en distinguent de mâles et de femelles ; ainsi l’ange gardienne de la Terre est femelle.

C’est par une suite du dogme fondamental qui place Dieu dans l’âme universelle du Monde, dit Dow, âme répandue dans toutes les parties de la nature, que les Indiens révèrent les éléments et toutes les grandes parties du corps de l’Univers, comme contenant une portion de la divinité. C’est là ce qui a donné naissance, dans le peuple au culte des divinités subalternes ; car les Indiens, dans leurs vedams, font descendre la divinité ou l’âme universelle dans toutes les parties de la matière. Ainsi ils admettent, outre leur trinité ou triple puissance, une foule de divinités intermédiaires, des anges, des génies, des patriarches, etc. Ils honorent Vayoo, dieu du vent ; c’est l’Éole des Grecs ; Agni, dieu du feu ; Varoog, dieu de l’Océan ; Sasanko, dieu de la Lune ; Prajapatée, dieu des nations : Cubera préside aux richesses, etc.

Dans le système religieux des Indiens, le Soleil, la Lune et les Astres sont autant de Dewatas ou de génies. Le Monde a sept étages, dont chacun est entouré de sa mer et à son génie ; la perfection de chaque génie est graduée comme celle des étages.

C’est le système des anciens Chaldéens, sur la grande mer ou firmament, et sur les divers cieux habités par des anges de différente nature et composant une hiérarchie graduée.

Le dieu Indra, qui, chez les Indiens, préside à l’air et au vent, préside aussi au Ciel inférieur et aux Divinités subalternes, dont le nombre se monte à trois cent trente-deux millions ; ces dieux subalternes se sous divisent en différentes classes. Le Ciel supérieur a aussi ses divinités ; Adytya conduit le Soleil ; Nishagara, la Lune, etc.

Les Chingualais donnent à la divinité des lieutenants ; toute l’île de Ceylan est remplie d’idoles tutélaires des villes et des provinces. Les prières de ces insulaires ne s’adressent pas directement à l’être suprême, mais à ses lieutenants et aux dieux inférieurs, dépositaires d’une partie de sa puissance.

Les Moluquois ont leur Nitos, soumis à un chef supérieur qu’ils appellent Lanthila. Chaque ville, chaque bourg, chaque cabane, a son Nitos ou sa divinité tutélaire ; ils donnent au génie de l’air le nom de Lanitho.

Aux îles Philippines, le culte du Soleil, de la Mune et des Étoiles est accompagné de celui des intelligences subalternes, dont les unes président aux semences, les autres à la pêche, celles-ci aux villes, celles-là aux montagnes, etc.

Les habitants de l’île de Formose, qui regardaient le Soleil et la Lune comme deux divinités supérieures, imaginaient que les étoiles étaient des demi-dieux ou des divinités inférieures.

Les Parsis subordonnent au dieu suprême sept ministres, sous lesquels sont rangé vingt-six autres, qui se partagent le gouvernement du Monde. Ils les prient d’intercéder pour eux dans leurs besoins, comme étant médiateurs entre l’homme et le dieu suprême.

Les Sabéens plaçaient entre le dieu suprême, qu’ils qualifiaient de seigneur des seigneurs, des anges qu’ils appelaient des médiateurs.

Les insulaires de l’île de Madagascar, outre le dieu souverain, admettent des intelligences chargées de mouvoir et de gouverner les sphères célestes ; d’autres qui ont le département de l’air, des météores ; d’autres celui des eaux ; celles-là veillent sur les hommes.

Les habitants de Loango ont une multitude d’idoles de divinités, qui se partagent entre elles l’empire du Monde. Parmi ces dieux ou génies, les uns président aux vents, les autres aux éclairs, d’autres aux récoltes : ceux-ci dominent sur les poissons de la mer et des rivières, ceux-là sur les forêts, etc.

Les peuples de la Celtique admettaient des intelligences que le premier être avait répandues dans toutes les parties de la matière pour l’animer et la conduire. Ils unissaient au culte des différentes parties de la nature et des éléments, des génies, qui étaient censés y avoir leur siège et en avoir la conduite. Ils supposaient, dit Peloutier, que chaque partie du Monde visible était unie à une intelligence invisible, qui en était l’âme. La même opinion était répandue chez les scandinaves, dit Mallet, était émanée, suivant ces peuples, une infinité de divinités subalternes et de génies, dont chaque partie visible du Monde était le siège et le temple :  des intelligences n’y résidaient pas seulement, elles en dirigeaient aussi les opérations. Chaque élément avait son intelligence ou sa Divinité propre. Il y en avait dans la Terre, dans l’Eau, dans le Feu, dans l’Air, dans le Soleil, dans la Lune dans les Astres. Les arbres, les forêts, le fleuves, les montagnes, les rochers, les vents, la foudre, la tempête, en contenaient aussi, et méritaient par là un culte religieux.

Les Slaves avaient Koupalo, qui présidait aux productions de la terre ; Bog, dieu des eaux. Lado ou Léda présidait à l’amour.

Les Bourkans des Kalmouks résident dans le Monde qu’ils adoptent, et dans les planètes ; d’autres occupent les contrées célestes. Sakji-Mouni habite sur la terre ; Erlik-Kan aux enfers, où il règne sur les âmes.

Les Kalmouks sont persuadés que l’air est rempli de génies ; ils donnent à ces esprits aériens le nom de Tengri ; les uns sont bienfaisants, les autres malfaisants.

Les habitants du Tibet ont leurs Lahes, génies émanés de la substance divine.

En Amérique, les sauvages de l’île de Saint-Domingue reconnaissaient au dessous du dieu souverain, d’autres divinités sous le nom de Zémés, auxquelles on consacrait des idoles dans chaque cabane. Les Mexicains, les virginiens supposaient aussi que le dieu suprême avait abandonné le gouvernement du Monde à une classe de dieux subalternes. C’est avec ce Monde invisible ou composé d’intelligences cachées dans toutes les parties de la nature, que les prêtres avaient établi un commerce, qui a fait tous les malheurs de l’homme et sa honte. Il reste donc démontré, d’après l’énumération que nous venons de faire des opinions religieuses des différents peuples du Monde, que l’Univers et ses parties ont été adorés, non seulement comme causes, mais encore comme causes vivantes, animées et intelligentes, et que ce dogme n’est pas celui d’un ou de deux peuples, mais que c’est un dogme universellement répandu par toute la terre. Nous avons également vu quelle a été la source de cette opinion ; elle est née du dogme d’une âme unique et universelle, ou d’une âme du Monde, souverainement intelligente, disséminée sur tous les points de la matière, où la nature exerce comme cause quelque action importante, ou produit quelque effet régulier, soit éternel, soit constamment reproduit. La grande cause unique ou l’Univers-Dieu se décomposa donc en une foule de causes partielles, qui furent subordonnées à son unité, et qui ont été considérées comme autant de causes vives et intelligentes, de la nature de la cause suprême, dont elles sont, ou des parties, ou des émanations. L’Univers fut donc un dieu unique, composé de l’assemblage d’une foule de dieux, qui concouraient comme causes partielles à l’action totale qu’il exerce lui-même, en lui-même et sur lui-même. Ainsi se forma cette grande administration, une dans sa sagesse et sa force primitive, mais multipliée à l’infini dans ses agents secondaires, appelés dieux, anges, génies, etc. Et avec lesquels on a cru pouvoir traiter comme l’on traitait avec les ministres et les agents des administrations humaines.

C’est ici que commence le culte ; car nous n’adressons des vœux et des prières qu’à des êtres capables de nous entendre et de nous exaucer. Ainsi Agamemnon dans Homère, apostrophant le soleil, lui dit : Soleil, qui vois tout et entends tout. Ce n’est point ici une figure poétique ; c’est un dogme constamment reçu, et l’on regarda comme impie le premier philosophe qui osa avancer que le soleil n’était qu’une masse de feu. On sent combien de telles opinions nuisaient aux progrès de la physique, lorsqu’on pouvait expliquer tous les phénomènes de la nature par la volonté de causes intelligentes qui avaient leur siége dans le lieu où se manifestait l’action de la cause. Mais si par là l’étude de la physique éprouva de grands obstacles, la poésie y trouva de grandes ressources pour la fiction. Tout fut animé chez elle, comme tout paraissait l’être dans la Nature.

Ce n’est pas la vapeur qui produit le tonnerre ;

C’est Jupiter armé pour effrayer la Terre.

Un orage horrible aux yeux des matelots,

C’est Neptune en courroux qui gourmande les flots.

Écho n’est plus un son qui dans l’air retentisse ;

C’est une nymphe en pleurs qui se plaint de Narcisse.

BOILEAU, Art. poétique, ch. 3.

Tel fut le langage de la poésie dès la plus haute antiquité ; et c’est d’après ces données, que nous procéderons à l’explication de la mythologie et des poèmes religieux, dont elle renferme les débris.

Comme les poètes furent les premiers théologiens, c’est aussi d’après la même méthode que nous analyserons toutes les traditions et les légendes sacrées, sous quelque nom que les agents de la nature se trouvent déguisés dans les allégories religieuses ; soit que l’on ait supposé les intelligences unies aux corps visibles qu’elles animaient ; soit qu’on les en ait séparées par abstraction, et qu’on en ait composé un Monde d’intelligences, placé hors du Monde visible, mais qui fut toujours calqué sur lui et sur ses divisions.