LA PARTICIPATION DE LA BRETAGNE À LA CONQUÊTE DE L'ANGLETERRE PAR LES NORMANDS

 

PAR ÉTIENNE DUPONT

PARIS - ROBERT DUVAL - 1911.

 

 

Si l'on recherche les causes de l'animosité violente qui mit si souvent aux prises, dans le courant du onzième siècle, les Bretons et les Normands, on est en droit, nous semble t-il, d'en faire remonter l'origine à une alliance contractée vers 1028 par le duc Alain III, de la maison de Chartres et de Blois. On sait que, pendant une expédition dans le Maine et l'Anjou, Alain, fils de Geffroy Ier, s'éprit soudainement et passionnément d'une jeune princesse, Berthe, fille du comte de Blois. L'amoureux, évincé par le père, réussit à faire enlever par Alain Canhiat, comte de Cornouailles, la darne de ses pensées et comme celle-ci répondait à l'amour du galant et valeureux duc, le mariage fut célébré à Rennes d'une façon joyeuse et solennelle[1].

Cet événement, commencé par une idylle, dramatisé par un coup de force et consacré par une superbe cérémonie, indisposa contre la Bretagne, le duc de Normandie, appelé quelquefois Robert le Diable, non pas qu'il fût question d'une mesquine jalousie, mais parce que cette union avait pour conséquence politique d'accroître la puissance du duché de Bretagne, en alliant à celui-ci une maison hostile d'habitude aux ducs de Normandie. Robert Ier, s'appuyant sur les fables extraordinaires de Dudon de Saint Quentin, réclama l'hommage d'Alain III et, sur le refus très légitime de ce dernier, ravagea, avec une forte armée, le pays de Dol. Il construisit même, entre les cieux duchés, une forteresse importante, celle de Charruel. Elle s'élevait dans la paroisse de Sacey et sa position stratégique était fort bien choisie.

La première mention que nous ayons de Charruel se trouve dans Guillaume de Jumièges. Il dit : Alanus, Britannorum comes, a Roberti Ducis servicio se surripere pertinaticiter est agressus. Dux igitur adversus eum, innumerabilem exercitum movit et non longè a fluvio Coisnon, castrum quod vocatur Charruel seu Carrucas ad munimem scilicet Normannici limitis et domandam tumidi arrogantiam prœsumptoris[2].

Dès que ce château fut édifié, le duc Robert en confia la garde à Auvray le Géant. Ce fut ce dernier qui, aidé par le capitaine de Pontorson, tailla en pièces les Bretons envahisseurs. L'engagement eut lieu à un kilomètre du bourg de la Croix Avranchin près Saint-James, dans une petite plaine nommée, aujourd'hui encore, les Tombettes.

Remarquons, en passant que le nom de Charruel a été très souvent altéré ; de là sont nées quelques confusions. C'est ainsi que l'auteur de la Chronique de Normandie ne différencie pas Charruel de Pontorson :

Od le conseil de suz barnage

Ferma sor Coisnon un chastel,

Qui mult fut gent et fort è bel ;

Cherrues fut primes nommez

Ez Pontorson rest appelez[3].

L'erreur s'est propagée et M. de la Borderie le place lui aussi près de Pontorson, à Cherrueix. Or il n'y a pas de Cherrueix dans le voisinage de cette petite ville ; Cherrueix est une commune du canton de Dol à quatre lieues environ de Saint-Malo.

L'attaque de la Normandie par les Bretons faillit se transformer pour ceux-ci en un véritable désastre une flotte normande menaça les côtes bretonnes et il fallut l'intervention de l'archevêque de Rouen, oncle des deux ducs pour les réconcilier. La paix, plus ou moins sincère, se fit dans l'enceinte même du Mont Saint-Michel : Alain, dit avec raison M. de La Borderie, prêta le serment le couteau sous la gorge, car un hommage ainsi extorqué ne peut nullement passer pour une reconnaissance du droit des Normands[4].

A la mort de la duchesse Havoise (3 février 1034), ses deux fils qui, jusque là, exerçaient pour ainsi dire en commun l'autorité ducale, bien que, depuis sa majorité Alain seul eut droit au titre, ses deux fils, disons-nous, se brouillèrent. Eudon ne fut pas satisfait de l'apanage pourtant considérable — diocèses de Dol, d'Aleth, de Saint-Malo et de Tréguier — que lui octroyait son frère. Une révolte éclata bientôt entre les seigneurs bretons qui se partagèrent en deux camps. Finalement, l'armée d'Eudon fut mise en déroute près de Dinan.

Cependant, la réconciliation entre Alain Ill et le duc de Normandie paraissait sincère et durable, si bien que Robert partant pour un pèlerinage en Orient, confia son unique héritier, un fils naturel, Guillaume, à son cousin Alain.

Robert mourut au cours de son voyage.

A cette nouvelle, un parti important refusa de reconnaître pour duc le jeune bâtard. C'est alors qu'Alain intervint, battit Montgommery et l'exila ; mais les partisans de ce dernier empoisonnèrent le duc de Bretagne qui paya de sa vie la sollicitude dont il avait entouré Guillaume et le zèle qu'il avait déployé pour assurer sur sa tète la couronne de Normandie.

Alain laissait deux enfants, une fille appelée Havoise et un fils, Conan, qui lui succéda sous le nom de Conan II. La jeunesse de ce prince fut malheureuse ; son oncle Eudon, duc de Penthièvre, l'obligea à s'exiler ; enfin, vers 1055, Conan ressaisit le pouvoir et conclut, en 1062, une paix avantageuse avec Eudon qui retourna dans son apanage. Ce fut, vers cette époque que des démêlés surgirent entre Conan et l'ancien protégé de son père. En 1064, Rivallon, sire de Combourg, ayant réuni un groupe de seigneurs du comté de Rennes, se révolta contre l'autorité ducale. Apprenant que Conan se dirigeait vers Combourg dont le château ne possédait pas des moyens suffisants de défense, Biva !Ion s'enferma dans la tour de Dol et sollicita le secours de Guillaume le Bâtard. Celui-ci était justement en train d'élever à la frontière bretonne, à Saint-James de Beuvron, un château considérable.

Fort de cet appui qui lui assurait une retraite, en cas d'insuccès, Guillaume envahit la Bretagne. Cette expédition, à laquelle fait seulement allusion Ordéric Vital et que rapporte, sauf le siège de Dinan, Guillaume de Poitiers, est figurée tout au long sur la curieuse broderie de Bayeux, appelée le plus souvent tapisserie de la reine Mathilde[5]. On voit sur la toile, Guillaume et Harold, celui-là même avec lequel il devait se mesurer deux ans plus tard à Senlac près Hastings, franchissant le Couesnon, non loin du Mont Saint-Michel. Le Mont est figuré très grossièrement par un château élevé sur un monticule ; plusieurs soldats qui ne suivent pas les gués s'enlisent dans les sables mouvants et Harold de leur tendre une main secourable : Et hic Haroldus trahebat eos de arena.

Enfin l'armée arrive sous les murs de Dol. Cette ville est figurée par une tour ; on voit, sur la broderie, un homme qui descend de cette tour au moyen d'une corde : La scène suivante, dit M. Smart Le Thieullier, est, sans contredit, la plus remarquable de toute cette ancienne broderie. Elle représente un fait, passé presque sous silence par tous les historiens anciens et même par les chroniqueurs bretons et normands. Cependant, on ne peut douter de la réalité de ce fait en voyant le dessin, ainsi que l'inscription suivante : Hic milites Villelmi ducis pugnant contre Dinantes et Conan claves porrexit. Cette partie de la Tapisserie représente la ville de Dinan assiégée par les troupes de Guillaume qui, avec des torches, mettent le feu aux palissades. Les assiégés paraissent défendre vivement leurs murailles. D un autre côté, on voit un homme, armé de toutes pièces, sans doute Conan, présentant les clés de la ville au bout de la lance de sa bannière et un autre homme à cheval, également cuirassé, probablement Guillaume, qui reçoit ces clés au bout de sa lance, décorée d'une petite oriflamme[6].

Conan, débarrassé de Guillaume, réussit assez facilement à pacifier la Bretagne. mais il subsistait toujours, dans l'esprit de ce duché, des idées de vengeance contre le duc de Normandie. Conan attribuait au parti du bâtard l'empoisonnement de son frère Alain et il lui gardait rancune de son intervention en laveur des seigneurs révoltés. Il guettait une occasion de prendre sa revanche ; il la trouva, quand il apprit que Guillaume se disposait à envahir l'Angleterre[7].

On dit qu'un chambellan du duc de Bretagne, empoisonna à l'instigation du duc de Normandie les gants, les rênes et le cor de guerre de l'infortuné Conan, qui mourut quelques jours après à Château-Gontier. C'est ainsi que Guillaume se serait débarrassé de son ennemi[8].

La mort de Conan eut pour conséquence de faire passer la dignité ducale dans la maison de Cornouailles. Elle devait donner trois ducs à la Bretagne :

1° Hoël de Cornouailles, qui régna de 1066 à 1084.

2° Alain Fergent, son fils, qui prit le pouvoir de 1084 à 1119.

3° Conan III, fils du précédent qui régna de 1112 à 1148.

L'avènement de Hoël eut certainement été l'occasion de compétitions et de luttes violentes entre le duc légitime, le comte de Léon et le duc de Penthièvre, Eudon, si, à cette époque tous les jeunes gens, les bouillants, les batailleurs, tous les aventuriers et ambitieux de Bretagne n'avaient pas été occupés ailleurs. Tous avaient suivi Guillaume le Bâtard de l'autre côté de la Manche et étaient, à cette heure même, occupés à conquérir avec lui l'Angleterre. On comptait parmi eux, au dire de Bertrand d'Argentré, le vicomte de Léon, Robert, sire de Vitré, Raoul, fils de Méen, sire de Fougères et père de Henri de Fougères, vicomte de Dinan, le sire de Châteaugiron, Raoul, sire de Gaël, le sire de Lohéac et un grand nombre d'autres gens de guerre sous la conduite d'Alain, surnommé Fergent. Malheureusement les documents sur la coopération bretonne à l'expédition de 1066 font à peu près complètement défaut. Les recherches faites dans les Archives Départementales et particulières ne nous ont donné aucun résultat appréciable. Seul le Domesday Book a pu nous fournir quelques indications : elles nous ont permis de déterminer quelle fut la participation de plusieurs seigneurs bretons à la conquête normande et d'ajouter un assez grand nombre de noms à l'énumération très succincte de d'Argentré, de Dom Lobineau et de Dom Morice.

Tout d'abord il parait bien certain que la Bretagne ne joua aucun rôle clans la préparation matérielle de l'expédition ; elle ne construisit ni n'arma aucun navire.

La Bibliothèque Bodléienne, à Oxford, possède un petit manuscrit, le n° 166, écrit sur vélin et paraissant être du treizième siècle. Il est formé d'une seule feuille, il a pour titre : DE NAVIBVS PER MAGNATOS NORMANNIŒ PROVISIS PRO PASSAGIO DUCIS WILLELMI IN ANGLIAM... Il a été imprimé par Taylor sur Gravalking, ainsi que dans l'appendice du premier livre de l'Histoire de Henri II par Lyttleton. Son authenticité parait douteuse à certains critiques. Il est connu sous le nom de manuscrit anonyme de Taylor. Il n'enregistre aucun bâtiment équipé par les Bretons pour la conquête : de plus, l'absence de toute donation par Guillaume aux abbayes et aux monastères de Bretagne, alors qu'il se montrait si généreux envers les établissements similaires de Normandie, du Maine et de la Picardie, démontre qu'il ne reçut aucun subside des religieux établis dans la presqu'ile armoricaine.

Quelle était la force numérique du contingent breton ? Tous les textes sont muets à cet égard. Un auteur, M. Delaporte, sans indiquer, et pour cause, la source de son information l'évalue à 5 000. Tout récemment M. Loth déclarait qu'un tiers de l'armée de Guillaume était composée de Bretons. Cette évaluation plus prudente, puisque nous ignorons la force numérique de toutes les troupes réunies par Guillaume repose sans doute sur ce fait que l'armée de Guillaume à Senlac était composée de trois corps ; le premier sous les ordres de Roger de Montgommeri et de Guillaume Fitz Osbern, était formé de Boulonnais, de Picards et de mercenaires ; le second, commandé par Alain Fergent et Aimery, vicomte de Thouars, de Poitevins, de Bretons et de Manceaux et le troisième de Normands. En admettant que ces trois corps fussent d'égale force, ce qui n'est nullement démontré, les Bretons du second corps étaient mêlés aux soldats du Poitou et du Maine et il est établi que la participation de ces deux duchés fut active : les Bretons n'auraient donc formé que le tiers de ce corps d'armée, ce qui représenterait un neuvième de l'armée totale ; mais pour déterminer exactement ce que représentait numériquement ce neuvième, il faudrait connaître le nombre exact des soldats de Guillaume ; nous l'ignorons, ainsi que celui des effectifs anglais[9]. Communément, on fixe à 60.000 hommes l'effectif des troupes continentales et même plus ; mais certaines autorités[10] l'abaissent à 14.000 hommes, Guillaume de Poitiers[11] parle de 50.000, chiffre donné également par Ordéric Vital[12] qui y ajoute encore une armée de fantassins. Hughes de Fleury élève ce nombre à 150.000[13]. Faut-il enfin considérer le chiffre le plus faible comme représentant celui des chevaliers et le plus fort comme étant celui des soudoyers que ceux-là avaient à leur service, tel que le compte s'établissait au moyen-âge ?... Il est à craindre que la question ne soit jamais résolue. S'il nous était permis d'exprimer une opinion personnelle basée sur la critique des textes, l'examen du champ de bataille, le nombre approximatif des vaisseaux utilisés pour le transport des troupes, les moyens dont le duc de Normandie disposait à cette époque, nous proposerions le chiffre de 23.000 hommes : le contingent breton, dans cette hypothèse s'élèverait donc à un peu plus de 2.500 combattants.

Ce contingent, à part les seigneurs qui le commandaient en chef, était, surtout formé de mercenaires. A l'époque de la Conquête, les vilains de Bretagne ne prenaient pas part aux expéditions lointaines et le seigneur n'avait passe droit de les entraîner loin de leurs foyers. Les actes de ce temps, dit M. Henri Sée[14], stipulent, souvent, que les vilains sont convoqués non pour l'offensive, mais pour la défensive ; ainsi en 1094, Gautier Hai, seigneur de la Guerche et de Pouancé, reconnaît que les hommes du prieuré de Marmoutiers sont astreints au service militaire, seulement en cas d'invasion de la seigneurie par l'ennemi. Dom Morice[15] rapporte un autre exemple. Aux termes d'un accord entre Ollivier, sire de Dinan et l'abbaye de Saint-Florent de Saumur, les hommes du prieuré de la Madeleine devaient suivre le sire de Dinan et lui faire le service militaire pour concourir à la défense de la seigneurie, mais non pas pour envahir ou piller une seigneurie étrangère : Si vero dictus Olliverus requisierit priorem ipsius domus quod mittot homines suos cum eo ad defensionem terræ suæ, non ad alterius terræ depredationem, prior mittet eos sine contradictione.

Le plou de Bretagne était, au dixième et au onzième siècles, beaucoup moins une institution religieuse qu'une institution civile. C'était une sorte de tribu gouvernée par un chef descendant du fondateur de cette tribu et dont tous les membres étaient tenus de reconnaître l'autorité héréditaire.

Les hommes du plou devaient-ils au mactiern le service militaire ? Le fait est peu probable, dit M. de La Borderie[16] ; nulle part, au neuvième siècle, on ne voit le mactiern investi du droit de guerre privée ; nulle part il n'a l'aspect d'un chef de guerre : le chef de guerre, c'est le comte, l'héritier des petits princes de l'époque mérovingienne, maintenant soumis au chef de la Bretagne. Quand le roi publie le han de guerre, chacun des comtes somme ses mactierns de lui envoyer leurs contingents et chaque mactiern doit lui amener les guerriers de son plou ; mais ce service militaire n'est pas rendu à la nation et n'a pas un caractère public. Toutefois, menacé d'un péril ou d'une agression quelconque, le mactiern avait, évidemment, le droit de réclamer l'assistance des hommes du plou et ils la lui devaient aussi en cas de besoin dans l'exercice légitime de son autorité, surtout pour assurer l'exécution des jugements de son tribunal.

Or l'appel de Guillaume n'avait point pour les Bretons ce caractère obligatoire l'expédition n'avait pas non plus pour eux, quoiqu'on dise, un caractère politique ou religieux. On a prétendu, en effet ; que cette guerre contre les Saozons avait été populaire parmi les descendants des émigrés de la Grande Ile[17]. Il faut en rabattre. La Bretagne, assez pauvre, d'une population clairsemée, était, dès le milieu du onzième siècle, déjà lasse de ses guerres intérieures que les plus petits seigneurs entretenaient entre eux. Elle ne se souciait pas de se lancer dans une pareille aventure pour la seule gloire des armes et par haine des Saxons. La vérité est que le Breton s'enrôla assez facilement sous la bannière de celui qui lui promettait monts et merveilles et surtout solde et butins : l'appât du gain seul détermina les Bretons, comme d'ailleurs les neuf dixièmes de l'armée de Guillaume, à franchir la mer et à s'expatrier.

Qu'on n'objecte pas que cette expédition ait laissé des traces dans la littérature bretonne. Augustin Thierry rapporte bien dans les pièces justificatives de sa conquête de l'Angleterre, un chant composé en Basse Bretagne sur le départ d'un jeune breton auxiliaire des Normands, chant publié par M. de la Villemarqué[18] et dont le titre est : Distroz euz vro Zaoz.

Cette poésie est tort belle ; elle établissait que, jusqu'aux confins de la Bretagne — Pouldregat et Plouaret sont deux communes du Finistère —, les mactierns, émus par le ban de guerre, excitaient contre les odieux Saozons les jeunes bretons ! Mais, hélas, Augustin Thierry a été mystifié par son collègue de l'Institut. Sans pitié, non pas peut-être sans malice, de la Villemarqué fabriqua de toutes pièces le Retour d'Angleterre, s'inspirant très heureusement d'ailleurs d'un autre morceau de ce genre rapporté par Luzel et qui date tout au plus du dix-septième siècle[19].

Il est donc bien certain que la littérature bretonne, savante ou populaire, n'a aucun point de commun avec la fameuse expédition normande ; Guillaume n'a inspiré aucun barde armoricain : ni dans les sônes, ni même dans le folklore breton, on ne saurait découvrir la moindre trace de la conquête. Est-ce à dire que le rôle des Bretons fut effacé au cours de cette prodigieuse aventure ? Non certes ; ce que nous allons dire des seigneurs bretons qui y prirent part démontrera précisément le contraire.

Mais il n'est pas douteux qu'un assez gros contingent breton vint se mettre, à Dives, lieu du premier embarquement, à la disposition du duc de Normandie. Sa présence ne donne lieu à aucune remarque par Wace ni les autres historiens, en ce qui concerne le voyage côtier de Dives à Saint-Valéry, le stationnement de l'armée dans cet endroit, la traversée de la Manche, le débarquement à Pevensey et la marche de Hastings à Senlac ; mais au cours de la célèbre bataille, le poète chroniqueur et les historiens nous parlent des troupes bretonnes : pour bien comprendre leur rôle, il est nécessaire de connaître un peu la disposition des lieux et la situation des armées en présence.

Harold, à la nouvelle du débarquement de Guillaume, était, par une marche rapide, vraiment admirable, accouru du Nord, après avoir triomphé à Stamfordbridge. Son plan, sans doute, était de ne livrer bataille que sur un champ de son choix et rien ne justifie cette idée des Normands qu'Harold voulait les attaquer de jour ou de nuit dans leur camp ; l'endroit où s'engagea Faction démontre, au contraire, que le plan de Harold était d'occuper très fortement un lieu qui lui fut favorable et où il aurait tous les avantages de la défensive, tactique rationnelle puisque ses effectifs étaient certainement inférieurs à ceux de Guillaume. Guillaume contraignait bien Harold à combattre, mais Harold contraignait aussi Guillaume à le combattre sur un endroit choisi[20]. Sa marche de Londres à la côte à travers le Kent et le Sussex fut rapide et à quelques milles du rivage, il établit son camp sur les hauteurs de Senlac environ 7 milles (11 kil. 265) du quartier général de Guillaume.

L'endroit où devaient se jouer les destinées de l'Angleterre était admirablement choisi par Harold. C'était une position défensive de premier ordre et parfaitement appropriée à la nature des troupes dont il disposait. Il s'y fortifia autant qu'il le put, si bien que Henri de Huntingdon ne s'éloigne pas trop de la vérité quand il écrit[21] : Harold groupa son armée en un seul bloc et se défendit comme s'il eut construit un château.

La colline de Senlac où s'élèvent actuellement l'Abbaye et la ville de Battle forme le dernier éperon des collines de l'Andredesweald et commande le pays, formé de marais et de coteaux qui s'étend entre la mer et l'Andredesweald. Cette colline est une sorte de promontoire s'étendant de l'est au sud-ouest, mais rattachée par un isthme étroit au massif des hautes terres du nord. Son élévation est peu considérable en comparaison des collines de l'ouest de l'Angleterre : mais ses pentes, dont la déclinaison est irrégulière et variable, présentent un obstacle sérieux aux entreprises d'un ennemi comptant beaucoup sur sa cavalerie. Le lieu était alors inculte et nu ; aujourd'hui, on y voit les importants vestiges de l'ancienne abbaye et un quartier de Battle avec son église paroissiale. La ville s'étend aussi vers le nord-ouest de l'isthme dont nous venons de parler et c'est là que se livra l'action décisive. Une sorte de ravin, arrosé par deux petits ruisseaux qui viennent se joindre au pied de la colline, sépare l'extrémité sud-ouest du champ de bataille de l'isthme en question. A l'extrémité sud-est, c'est-à-dire, du côté par lequel on arrive de Hastings, la pente est plutôt douce ; mais si l'on contourne l'extrémité est de la colline qui prend, à cet endroit, une forme un peu fourchue, le terrain du côté du nord, c'est-à-dire du côté de l'église paroissiale, est extrêmement tourmenté. Le long du front sud, c'est-à-dire à l'endroit faisant lace aux Normands, la cote des hauteurs varie beaucoup. La partie la plus élevée et la plus escarpée est occupée, actuellement, par les bâtiments abbatiaux. Un peu plus loin, vers l'ouest, la pente devient plus douce et rend l'accès plus facile ; mais, à cet endroit, se détache de la colline une éminence qui se dresse, comme une sentinelle, sur le front de la colline principale ; elle devait jouer un rôle très important dans la bataille.

C'est contre cette colline, sur laquelle Harold était solidement retranché derrière une palissade, qu'au matin du 14 octobre, l'armée de Guillaume s'avança en bon ordre. Elle formait trois corps : à gauche les Bretons, les Poitevins et les hommes du Maine sous les ordres d'Alain de Bretagne ayant auprès de lui Raoul de Norfolk, dit aussi Raoul de Gaël ; à droite, Roger de Montgommery avec les hommes de Boulogne et de Poix et tous les mercenaires français ; dans ce corps se trouvaient Guillaume Fitz Osbern et Eustache de Boulogne. Au centre, entre le contingent breton et le contingent picard, de même que la Normandie se trouve entre les deux pays d'où venaient ces troupes, se pressait l'armée normande[22]. Chacun de ses corps formait aussi trois divisions selon la nature des troupes qui la composaient. La première division en ligne était formée d'archers, de frondeurs et d'arbalétriers ; la seconde d'une infanterie moins légère, la troisième enfin de cavalerie Cette disposition était heureuse ; ceux qui étaient armés de traits devaient lancer leurs flèches et leurs javelots pour troubler les Anglais derrière leurs palissades ; l'infanterie se préparait à enfoncer les défenses et à faciliter la charge de la cavalerie restée en arrière ; pour les chevaliers de Guillaume, charger même en montant la pente de Senlac, eut été relativement facile, mais charger droit et de front sur les soldats de Harold, armés de haches, protégés par un fossé et abrités derrière une triple palissade, eut été folie.

La place occupée par les Bretons est nettement indiquée par tous les historiens.

Guy d'Amiens[23] s'exprime ainsi :

Sed lœvam Galli. dextram petiere Britanni.

Dux cum Normannis dimicat in medio.

Quand l'armée des envahisseurs fut rendue sur les lieux, elle se retourna pour faire face à l'ennemi ; les Bretons étaient donc bien à gauche de Guillaume. Guillaume de Poitiers[24] dit : Britanni et quotquot auxiliares erant in sinistra cornu. Quand à la fusion des contingents breton, manceau et picard, elle est établie par le Roman de Rou[25] :

De l'altre part Alain Fergant

Et Aimeri li cumbatant.

Poitevinz meront è Bretons

E del Maine toz li Barons.

Nous n'avons pas à énumérer ici les diverses phases de la terrible bataille, mais à y rechercher seulement la place occupée par les Bretons et le rôle qu'ils y jouèrent, le premier point étant déterminé, voyons maintenant comment le contingent armoricain se comporta devant l'ennemi. La première attaque de Guillaume avait été repoussée sur toute la ligne : malgré la furie des envahisseurs, l'armée de Harold était restée inébranlable derrière ses palissades ; ce fut l'aile gauche de Guillaume, les Bretons, par conséquent, qui perdit courage la première. Cavaliers et fantassins tournèrent, en désordre, le dos à l'ennemi ; un corps de troupes saxonnes, malgré les ordres de Harold, sortit alors des palissades et se précipita sur les Bretons ; ceux-ci prirent la fuite et la confusion régna aussitôt dans toute l'armée.

Mais Guillaume et son frère, l'évêque Odon, ayant réussi à rallier les fuyards et à rétablir l'ordre parmi leurs troupes, les Bretons se retournèrent contre ceux qui les poursuivaient et les taillèrent en pièces. Cependant une seconde attaque de l'armée normande contre les saxons retranchés à nouveau ayant échoué, Guillaume employa une ruse de guerre Il venait de remarquer la défaite partielle des saxons qui s'étaient aventurés hors de leurs palissades : aussi ordonna-t-il à ses troupes de feindre une fuite. La ruse, on le sait, réussit à merveille et fit obtenir la victoire au duc de Normandie ; cette manœuvre, d'après un auteur, était familière aux Bretons[26].

Après Senlac, nous ne trouvons plus aucune mention des Bretons dans l'expédition qui se poursuivit, jusqu'au couronnement de Guillaume, le jour de Noël 1066, dans l'église de Westminster ; plus tard, au cours des événements qui achevèrent de rendre définitive l'œuvre de Guillaume, nous verrons apparaître certains personnages dont l'histoire se rattache plus ou moins étroitement à la Bretagne, plusieurs d'entre eux figurent aussi dans le Domesday ; nous étudierons leurs personnes et leurs actes ainsi que leurs établissements, d'après les chartes anglaises et surtout dans le Survey, mais il convient tout d'abord d'éclaircir quelques points assez confus, notamment sur l'identité des Alain de Bretagne, cités dans les textes du onzième siècle.

Trois Alain, seigneurs bretons, ont pris part, en effet, d'une façon plus ou moins directe, à la conquête de l'Angleterre, savoir : 1° Alain Fergant, 2° Alain le Roux, 3° Alain le Noir. Tous trois portaient le titre de Comte, tous trois furent dotés par Guillaume soit immédiatement après l'invasion, soit après la répression des révoltes partielles des seigneurs anglais et anglo-saxons. Les généalogistes Dugdale, Ellis, Nicolas Harris, Sinopsis (1823) et après eux tous ceux qui se sont occupés de cette question ont commis, ainsi que la plupart des auteurs français des erreurs ou des confusions qu'il faut signaler ou rectifier.

Il importe tout d'abord de diviser les Alain en deux sections[27] :

PREMIÈRE SECTION.

Alain Fergant, comte de Bretagne, duc en 1084 (10 avril), moine à l'abbaye de Redon en 1112, mort le 13 octobre 1119. Il était fils d'Houël V, duc de Bretagne et de Havoise de Bretagne, sœur et héritière du duc Conan II ; Dugdale et Harris le font mourir en 1089 ; ils le confondent avec Alain Ier dit le Roux, mort cette année là. C'est à tort aussi que Harris donne à Alain Fergant le titre de comte de Richemond qui appartient à Alain le Roux.

DEUXIÈME SECTION.

Elle est formée par Alain le Roux et Alain le Noir. Geoffroy ier comte de Bretagne, épouse Hadwige de Normandie, deuxième fille du duc Richard. De ce mariage nait Eudon ou Eudes, comte de Penthièvre et d'Avaugour. Du mariage d'Eudon avec Agnès, fille d'Alain Canhiard, comte de Cornouailles, naissent plusieurs enfants, dont 1° Alain Ier dit le Roux, mort en 1080 et 2° : Alain II, dit le Noir, frère par conséquent du précédent et non pas frère d'Alain Fergant, comme le prétendent Dugdale et Harris ; Alain Forgent n'eut qu'un frère, Mathias, comte de Nantes et deux sœurs.

Cette division posée et ce groupement établi, il importe de préciser les donations qui furent faites à chacun des trois Alain et qui sont réunies par erreur dans l'Inquisitio Eliensis, folios 116, 122.

DONATIONS À ALAIN FERGENT, COMTE DE BRETAGNE.

Guillaume lui donna, probablement avant son mariage avec sa fille Constance, vers 1076 ou 1077[28], tous les domaines saisis sur le rebelle Morkère, qu'il tenait en chef et en baronnie savoir : 1° Dans l'Hertfordshire, 3 maisons à Hertford ; il tenait, in capite, les manoirs de Watone et de Mundene et dix seigneuries dans les centenies d'Odesey d'Edwin-Strew et de Hertford. 2° : Dans le Cambridgeshire, cinq bourgs à Cambridge : il tenait en chef, dans le même comté, Fuleberne, Hintone, Teviesham et soixante-sept seigneuries dans les centenies de Cildeford, Witteleslord, Norestow, Chavelay, Stanie et Radefelle. 3° Dans le Northamptonshire, il tenait en chef la seigneurie de Warafeld ; 4° Dans le Derbyshire, il tenait en chef la seigneurie d'Elnod ; 5° Dans le Nottinghamshire, il tenait en chef cinq seigneuries et 6° dans le Lincolnshire plus de quatre-vingt seigneuries qui avaient appartenu à Morkère et dans lesquelles il avait le droit de Soca, enfin il réclamait les domaines et le droit de Soca, à Fredung, dans les terres de l'évêque de Durham et dans celles de Robertus Dispensator etc., etc. Il obtint aussi du Conquérant les titres et les droits de comte palatin. Enfin il soutenait dans les comtés d'Hertford (127), d'Essex (4) et de Norfolk 110. b. 115.

DONATION À ALAIN LE ROUX, DIT AUSSI LE REBRÉ, DEUXIÈME FILS D'EUDON DE PENTHIÈVRE, COMTE EN BRETAGNE.

Il tenait en chef et en baronnie le domaine d'Edwin, fils d'Olgar, que celui-ci possédait dans le comté d'York et dont Guillaume s'empara après la prise de cette ville, Alain le Roux y jouissait de trois charruées de terre. Il tenait en chef le domaine de Ghellinges et huit autres seigneuries, dont se composaient surtout les possessions du comte Edwin et dont se forma ensuite le château de Richmond. On y ajouta Apleby, seize autres localités de ses dépendances et au moins cent soixante seigneuries, dont six dans le West Riding et une dans l'East Riding. Cent quatre-vingt-dix-neuf manoirs dépendaient de sa châtellenie ; mais, par suite de l'effroyable répression que Guillaume exerça après la révolte d'York[29], cent huit étaient dévastés[30]. Ce fut Alain qui, avec les comtes Hughes et Robert reçut le plus de biens dans le Yorkshire ; ils étaient même plus considérables que ceux de ces derniers[31]. Ce fut Main qui fonda en 1078 sur l'emplacement où s'élevait à Galmanho l'église du comte Siward, la grande abbaye de Sainte-Marie hors les murs d'York[32].

M. Gough[33] dans ses additions à Camden considère la tour carrée du château principal de cette châtellenie, comme étant l'œuvre de Conan, comte de Richmond (1145-1171), au douzième siècle[34]. Disons à ce propos que ce fut ce dernier qui en 1170 confirma à l'abbaye du Mont Saint-Michel les biens que ses moines possédaient à Treverner, en Bretagne. Il leur donna également le manoir de Weth, en Angleterre.

DONATION À ALAIN LE NOIR, TROISIÈME FILS D'EUDON DE PENTHIÈVRE, COMTE EN BRETAGNE.

Il tenait en chef et en Baronnie 1° au comté de Hants, Croftone, Fauteley et un autre manoir dans la centenie de Ticefelle ; 2° au comté de Dorcet, le manoir de Derenis pour 15 hydes de terre que Brictric tenait au temps du roi Edouard ; 3° Au comté de Norfolk cinquante et une seigneuries, 4° au comté de Suffolk quarante et une.

Nous avons déjà dit que Dugdale et après lui les généalogistes anglais avait répété que Guillaume avait récompensé Alain Fergent son gendre, en lui attribuant 442 manoirs dont 199, situés dans le North Riding du Yorshire, avaient appartenu au comte Edwin et formèrent plus tard le comté de Richmond. Léchaudé d'Anisy[35] a signalé cette erreur : En étudiant, dit cet auteur, l'acte par lequel le Conquérant donne à Alain de Bretagne, son neveu, les terres du comte Edwin nous avons pu nous con vaincre qu'il n'avait pas fait cette dernière concession à Alain Fergent, son gendre, mais bien à Main le Roux. Cet acte s'exprime ainsi : Ego Guillelmus, cognomine Bastardus, rex Angliæ do et concedo tibi nepoli meo Alano Britannice, comite et hœredibus suis in perpetuum omnes villas et terras quæ semper fuerant comiti Edwini in Eboraschira, cum feodis militum et ecclesiis et allis libertatibus et consuetudinibus, ita libere et honorifice sicut Edwinus eas tenuit. Datum obsidione coram civitate Ebor[36]. Il est vrai que l'authencité de cette charte est contestée. Si elle est vraie, il est évident que le mot Nepos ne peut s'appliquer à Alain Fergent, gendre de Guillaume ; mais le roi-duc pouvait très bien appeler Alain le Roux, son neveu, nepos, puisqu'il était petit-fils de Havoise, laquelle était fille de Richard Ier. Guillaume avait donc sur Alain le Roux le droit d'issu de germain et par conséquent il pouvait l'appeler son neveu, à la mode de Bretagne.

Mais il semble bien aussi qu'Alain le Roux et Alain le Noir eurent un troisième frère, Brient ou Brian. Aucune mention n'est faite de lui dans le récit de la bataille de Senlac, mais nous savons que Brian de Bretagne prît part à une expédition contre les fils de Harold. Il était accompagné de Guillelmus Gueldi ou Weldi, personnage impossible à identifier, à moins qu'il ne s'agisse d'un Guillaume de Gaël, lequel se rattacherait à Raoul de Gaël, dont nous parlerons plus loin. Ce Brien, que la Chronique de Worcester appelle Breon Eorl, est inscrit au Domesday, Suffolk II. 291, sous le nom de COMES BRIENUS, mais il était certainement mort avant l'achèvement du Survey (1086). Ses terres étaient tenues par Robert, comte de Mortain. Brian et Gueldi à la tête d'une force que la Chronique de -Worcester qualifie d'assez importante surprirent les fils de Harold, Godwine, Eadmund et Magnus, qui avaient envahi le Devonshire, en remontant la Taw ; repoussés devant Exeter, dont le château de Rougemont était la clé, leurs troupes furent écrasées par Brian, mais ils réussirent à s'échapper sur deux vaisseaux. Ils se réfugièrent à la cour du roi Diarmide et, à partir de ce moment, on ne découvre plus aucune mention d'eux. Nous trouvons encore Brian de Bretagne, en 1063, combattant loyalement pour la cause de Guillaume, dont la conquête n'était pas définitive. Ce fut lui qui aida Guillaume Fitz Osbern à triompher de la révolte d'Edric, dit le Sauvage et qui délivra Exeter assiégé[37].

Enfin le même Brian qui avait repoussé dans le Devonshire la seconde attaque des fils de Harold réapparaît encore en 1089. Nous le retrouvons dans la cité de Kastoria, qu'il lut obligé de rendre à Bohémond. D'après M. Finlay, l'identité entre Brian, vainqueur des fils d'Harold et celui que l'on retrouve en Brient est certaine[38].

Mais il est un seigneur, cité plusieurs fois par Wace et par les historiens et les chroniqueurs de l'époque, dont la personnalité ne laisse pas d'être assez mystérieuse : c'est Raoul de Gaël sa présence à Senlac est incontestable :

Et Raol y vint de Gael,

Et maint Breton de maint chastel,

dit l'auteur du Roman de Rou, qui précise même sa place dans la fameuse bataille :

Ioste fa compeigne Néel

Chevalcha Raol de Gael ;

Bret estoit et Breton menoit.

(vers 8517-20)

Les écrivains anglais sont sévères à son égard : ils lui donnent volontiers les épithètes de traître et de parjure[39]. D'autres écrivains, au contraire, ont protesté contre cette assertion : toujours est-il que le combattant de Senlac qui, dans la suite, joua un rôle important dans l'histoire d'Angleterre, sous le règne de Guillaume, reste difficile à identifier.

On peut, cependant, considérer comme certain que Raoul de Gaël ou de Wader qui devint comte de Norfolk et d'Estanglie, en 1074 était bien d'origine anglaise. Les Chroniques d'Abingdon et de Peterborough en rappelant le fameux bride-ale. qui aboutit à la mort de Waltheof, disent positivement que Raoul de Gaël était anglais, mais qu'il était breton par sa mère ; que son père, anglais du même nom, était lui-même né dans le pays de Norfolk : Se ylca Raulf wœs Brittisc on his modor healfe and Rawulf his feeder wœs Englisc and wœs geboren on Nordfolce[40]. Il est vrai que Guillaume de Malmesbury[41] dit que Raoul était Brito ex patre ; mais cette assertion ne repose sur rien, tandis que nous avons la preuve de l'origine anglaise de Raoul dans deux inscriptions au Domesday[42], où il est fait mention de Goduinus avunculus Racialphi comitis. Dans le latin classique le mot avunculus signifierait plutôt une affinité anglaise par la mère ; mais avunculus avait, déjà, le sens propre de notre mot : oncle. Un homme du nom de Goduine peut être parfaitement d'origine anglaise et nous trouvons deux frères Raoul et Goduine ou Godwine, tous deux possesseurs de terres dans le Norfolk, l'un le père, l'autre l'oncle de Raoul le Comte. Godwine vivait en 1069, année au cours de laquelle il fut accusé, avec d'autres personnes, d'une injuste occupation de terres au détriment de l'abbaye de St-Eadmond et de l'un de ses tenanciers : Hanc terram tenuit idem Godricus tres annos de Abbate postquam Rex W. venit. Hanc eamdem abstulit Godwinus avunculus Radulfi comitis[43]. Ainsi, au moment de la confection du Domesday la terre qui appartenait au roi se trouvait dans les mains de Godric, dapiter.

On objectera peut-être que le nom de Raoul n'est pas anglais ; avec Mr. Freeman nous répondrons que l'on trouve assez souvent d'autres exemples de noms étrangers portés par des anglais, tels que Lothaire, Frédérick, Carl, etc.[44] Rien ne s'opposait à ce qu'un père anglais donnât un nom français à l'un de ses enfants ; peut-être même cette pratique avait-elle été mise à la mode par les nombreux courtisans français et normands qui avaient tant de crédit sous le règne d'Edouard le Confesseur[45].

Le Domesday démontre aussi qu'il y avait dans le Norfolk deux Raoul, le père et le fils ; le père n'était autre que Ralph the Staller du temps du roi Edward. Le nombre de ses inscriptions au Domesday, spécialement dans le Norfolk et le Suffolk est très grand. Il signa aussi, en 1055, de nombreux chartes en qualité de minister[46].

Ces références que nous empruntons pour la plupart à Freeman[47] démontrent nous semble-t-il, qu'il y eut deux Raoul dans le Norfolk le père et le fils : que le père épousa une bretonne et qu'il fut Staller sous Edouard et comte sous Guillaume ; que durant le règne de celui-ci, il eut les grandes possessions que l'on sait. Rien ne prouve qu'il fut jamais dépossédé ; mais comme il est indiscutable que Raoul, son fils, combattit à Senlac avec les compatriotes de sa mère, il peut très bien se faire qu'il eut été mis hors la loi, pour quelque trahison ou tout autre crime inconnu, ou encore pour avoir pris part dans l'entreprise de Tostig. Exilé, il se serait refugié tout naturellement dans le pays de sa mère et il aurait trouvé l'occasion favorable pour rentrer dans sa patrie, en se joignant au contingent breton qui apportait à Guillaume, duc de Normandie, un appui des plus appréciables.

Mais les origines et la filiation de Raoul de Gaël telles que nous venons de les exposer et de les discuter, d'après Freeman ne sont pas acceptées par tous les historiens anglais. D'après M. Planché[48] Raoul de Gaël serait fils de Raoul, comte de Hereford, sous le règne d'Edouard le Confesseur. Accusé injustement de lâcheté, il aurait été obligé de prendre la fuite, poursuivi par les troupes irlandaises et galloises, conduites par Algar, fils de Léofric, en 1054. Ce Raoul était fils de Goda, sœur d'Edouard le Confesseur, par son premier mari, Dreu, comte du Vexin et neveu, par conséquent, du roi d'Angleterre. Sir Henri Ellis prétend aussi que la femme de Raoul est appelée, dans le Domesday, Getha et Gueth ; elle tenait des terres dans le Buckinghamshire ; elle était mère de Harold, lord de Sideley. Le nom de Getha n'est certainement pas normand et celui de Harold, son fils, démontre son origine saxonne. De plu, Raoul, appelé comte d'Hereford par la majorité des historiens est qualifié de comte d'Estanglie par Gaimar. Ce poète nous dit que Leuric ou Léofric possédait Norfolk ; qu'à sa mort Raoul en reçut l'honneur ; mais qu'il n'en jouit que peu de temps et qu'il fut enterré à Peterborough et le comte Leofric à Coventry.

Nous ne croyons pas devoir ni exposer, ni discuter ici les assertions de M. Planché[49], qui se base principalement -sur des considérations morales pour repousser les hypothèses émises par M. Freeman ; mais que le combattant de Senlac soit ou non d'origine anglaise, il n'est pas moins certain qu'il joua, dans l'histoire de la Conquête un rôle important. Résumons-le en quelques lignes. Gouverneur en 1069 de la ville de Norwick, il repoussa victorieusement les Danois et les culbuta sur les bords du Yare. Marié en 1075 à Emma, fille de Guillaume Fitz Osbern, comte de Hereford, avec le consentement de Guillaume Le Batard, disent les uns[50], contre le gré du roi-duc, affirment les autres[51], il conspira contre celui-ci avec Roger de Breteuil son beau-frère et Waltheof, comte de Northumberland. Waltheof pris de remords, se confessa à Lafranc, archevêque de Canterbury, et sur l'avis du primat, se rendit en Normandie pour dénoncer à Guillaume le complot ourdi contre lui. Raoul rassembla autour de lui tous les Bretons qui séjournaient en Angleterre et non les Gallois, comme le prétend Augustin Thierry, qui a mal traduit le mot Bryttas des Chroniques[52]. Wulfstan et Aethelwig marchèrent contre Roger ; Odon et Geffroy de Coutances contre Raoul dont l'armée s'était réunie sous Cambridge. Contraint de prendre la fuite, Raoul se rendit au Danemark, pays qu'il espérait intéresser à sa cause. Norwich fut vaillamment défendu par sa femme Emma, mais dût capituler dans des conditions relativement favorables. C'est ainsi, dit Lanfranc, que le royaume fut purgé de ces impurs Bretons[53].

Ceux-ci furent, en effet, contraints de quitter l'Angleterre dans le délai de quarante jours et les mercenaires à la solde de Raoul clans le mois. Emma, expulsée, se rendit en Bretagne où elle rejoignit son mari[54].

Il fut mis hors la loi par le Gemôt de Westminster (Noël 1075-1076) et ses biens confisqués furent attribués en grande partie à Roger le Bigot[55]. Peut-être, prit-il encore part a la défense de Dol, dont le château fut assiégé par Guillaume et délivré par Alain aidé par les troupes de Philippe roi de France mais sa présence est loin d'être certaine et la date de ce siège sujette à discussion[56]. Il mourut pendant un pèlerinage en Terre-Sainte, laissant trois fils, Guillaume, mort en 1102, Raoul, qui lui succéda et Alain qui l'avait accompagné en Orient[57]. Raoul, appelé aussi Raoul de Gaël fut un des favoris de Henri Ier roi d'Angleterre ; la fille de Raoul, Ita ou Avicia, épousa Richard, bâtard du roi, qui reçut entre autres biens la baronnie d'Auteuil et les terres seigneuriales de Lire et de Glos. Richard, ayant péri dans le naufrage de la Blanche Nef, Ita épousa en secondes noces Robert de Beaumont, comte de Leicester[58].

Si Alain Fergant et Raoul de Gael sont incontestablement les deux personnages bretons les plus importants qui participèrent à la conquête ; il en est d'autres, moins considérables, qu'il convient aussi d'étudier.

C'est ainsi que Wace parle des seigneurs de Fougères :

Grant pries ont cil de Felgières

Qui de Bretaigne ont genz mult fières[59].

Nous trouvons encore au Domesday, Radulfus de Felgeres et Willelmus de Felgeres. Ils tenaient en chef dans les comtés de Surrey, de Devon, de Buckingham, de Norfolk et de Suffolk[60]. Dans plusieurs de ces comtés, leurs terres avait appartenu à la comtesse Goda ou Godgifu[61]. Ils soutenaient aussi dans les comtés de Berks et de Norfolk[62].

Quel était le seigneur de Fougères dont le nom de baptême n'est pas indiqué par le trouvère anglo-normand ? Cette omission rend son identification difficile.

On sait que les princes bretons avaient formé la baronnie de Fougères en faveur d'un seigneur de leur race. Le premier baron de Fougères s'appelait Main ou Méen. Il vivait au commencement du onzième siècle. Son fils et successeur Onfroy, construit vers 1024 à Fougères, dans la vallée de Nançon, un château dont il ne subsiste plus aucune trace[63]. Il semble bien que ce fut lui le combattant de Senlac ; ayant à peu près l'âge de Guillaume, au moment de l'expédition, il avait succédé à son père en 1048 et il parait certain qu'il vécut, seize ou dix-sept ans, après la fameuse expédition de 1066. De son mariage avec Adelaïde, il eut trois fils Juthael, Eudes ou Odon et Raoul, qui lui succéda vers 1084 et mourut vers 1124. Ce Raoul nous parait être celui qui est inscrit au Domesday sous le nom de Radulphus de Filgeriis. Si l'on admet sa présence à Senlac, il faut en conclure que ce combattant était à peine entré dans sa vingtième année. Accompagnait-il ou remplaçait-il son père ? Cette supposition n'est pas invraisemblable. Dans ce cas le soldat de 1066 et le tenant du Domesday seraient bien le même personnage.

Mais qui était Guillaume de Fougères ? De son mariage avec Avoyse ou Avicia fille de Richard de Bienfaite, Raoul dont nous venons de parler, avait eu sept enfants, Méen, Henri, Gautier, Robert, Guillaume, Avelon et Béatrice. Il parait alors bien invraisemblable que ce Guillaume fut en âge de tenir en chef des domaines en Angleterre, à l'époque ou se fit l'enregistrement des terres de ces comtés, c'est-à-dire en 1085 L'identification de ce Guillaume est donc impossible à établir[64].

Aux côtés du seigneur de Fougères se trouvait s'il faut en croire Wace, son voisin le seigneur de Vitré. Les historiens de Bretagne assurent qu'il s'appelait Robert. Il n'est pas inscrit au Domesday Book. Mais il n'est pas invraisemblable que ce Robert soit venu dans Hie. André de Vitré avait épousé Agnès, fille du comte Robert de Mortain, nièce par conséquent du Conquérant.

Son très proche voisin le seigneur de la Guerche passa également la Manche, soit avant, soit après Senlac, puisque Wace ne le mentionne pas. Il est inscrit au Domesday sous le nom de Goisfridus de Wira. Il reçut, lui ou ses descendants. des biens importants dans les comtés de Leicester, de Northampton et de Warwick[65]. Il figure encore au Survey sous l'appellation de Goisfridus de Werce. Goisfridus de Werce tenet in Leicestsh. VII h. 7 un. car. terr. 7 bov. In unaq. hid. st. XIIII car. tera. dim[66]. Il soutenait aussi dans le Warwickshire. Ellis le nomme custos of the land of Earl Aubery[67]. Il obtint, dans ce dernier comté, douze manoirs desquels dépendaient neuf milles acres environ.

Il favorisa les moines de Saint-Nicolas d'Angers en leur concédant des terres et des rentes dans le Warwickshire, notamment à Kirby[68].

La Guerche est appelée dans les anciens titres Wuirchia, Guercha ; au Dom, on trouve même Lawirce. Au moment de la conquête, elle avait des seigneurs particuliers. En 1062 Conan II, en avait assiégé le château, dont il ne reste plus que la Motte.

Au dire de Wace, le seigneur de Dinan accompagna Guillaume. De Paz l'affirme également[69].

Il n'y aurait rien d'étonnant non plus à ce que Dinan ait été le lieu d'origine de la famille Alselin ; nous trouvons au Domesday Geffroy Alselin, tenant directement du roi, tant en chef qu'en baronnie, quarante manoirs, vingt-quatre maisons et une église, dans les comtés de Northampton, Leicester, Derby, Nottingham, York et Lincoln[70]. Selon Léchaudé d'Anisy, la plus grande partie des domaines qui furent concédés, après la conquête à Alselin, appartenaient au temps d'Edouard le Confesseur au saxon Tochi et ce fut en raison de la possession de ce dernier, qu'il réclamait encore, dans le Yorkshire, plusieurs terres tenues par Roger de Rush, parce qu'elles avaient fait partie du domaine du saxon. Mais il fut débouté de sa demande par les jurés, qui dirent ignorer à quel titre et de quel droit il pouvait réclamer[71].

Freeman semble assigner à Ascelin une origine normande, bien que les circonstances clans lesquelles il le cite, feraient croire, plutôt, à une extraction bretonne. Ce serait Ascelin qui aurait porté le dernier coup aux fameux Hereward, déjà terrassé par Raoul de Dol et que cite Geffroy Gaimar[72].

Ce qui est bien certain c'est qu'avant la Conquête, il y avait, en Normandie et en Bretagne, de nombreuses familles portant le nom d'Asselin ou Alselin. Une charte relative au Mont-Saint-Michel figure au Cartulaire du Mont-Saint-Michel[73]. On peut présumer, d'après cette charte, qu'Asselin, père de Geffroy Alselin de Robert et de Gautier, aurait été un cadet ou un bâtard de la famille bretonne de Dinan, qui aurait eu, en apanage, quelques droits coutumiers sur le château de cette ville. Car il n'est pas probable qu'il soit ici question du château de Dinan, situé dans le pays de Galles et qui ne fut d'ailleurs concédé à Foulques, l'un de compagnons du duc Guillaume, que par le roi Henri Fr, d'où ce chevalier prit le nom de Foulques de Dinan. Le Domesday mentionne aussi, Radulfus, nepos Gosfridi Alselin[74] et Drogo homo Radulphi nepotis Goisfridi Alselin, soutenant dans le comté de Lincoln[75].

Les généalogistes anglais ont défiguré le nom d'Asselin en Hanselin et Hauselyn.

La cité de Dol, très importante comme place stratégique au onzième siècle et dont la Tour avait été assiégée, dès 1064, par Guillaume et Harold, alors amis, a certainement donné plus d'un guerrier à la Conquête. L'histoire de l'Angleterre. à cette époque, a conservé le nom de Raoul de Dol. Il mourut dans un corps à corps fameux avec Hereward, le héros de la défense d'Ely. Gaimar le cite :

C'il ont à non Raol de Dol

De Tuttesbire estoit venuz...

Ore sont amdus mort abataz

Et Ereward et li Breton[76].

Tuttesbire n'est autre que le château de Tutbury, se trouvant au milieu de terres dont la veuve de Godric, shérif de Berkshire, tué à Senlac, avait été dépossédée[77] et qui avaient été attribuées pour la plupart à Henri de Ferrières. Nous trouvons aussi un Gautier de Dol, dont la forfaiture est signalée plusieurs fois au Domesday. Hughes de Dol, est également inscrit comme soutenant de Guillaume de Falaise le manoir de Ulvurentone[78]. Nous n'en savons pas davantage sur ces deux dolois. Un autre personnage, assez mystérieux, est plus intéressant ; il est, peut-être, lui aussi, d'origine doloise : c'est Ruauld l'Adoubé, Rualdus Adobed.

Il tenait en baronnie, dans le comté de Devon, Lamberton et près de trente manoirs, il possédait une maison à Exeter qui payait au roi un droit coutumier.

Ce Raoul l'Adoubé, miles adobatus, expression employée souvent dans les romans de Chevalerie[79] ne serait autre que Ruallon ou Ruallus[80] ou Riwallon, seigneur de Bretagne qui, après s'être révolté contre Conan II[81], s'était emparé du château de Dol ; assiégé par Conan, il avait été secouru par Guillaume accompagné de Harold, au début même de cette fameuse campagne de 1064, figurée sur la tapisserie de Bayeux[82]. On trouve aussi, dans une charte relative an prieuré de Saint Martin, fondé, vers 1100, par Wymar dapifer d'Alain II et dont le principal bienfaiteur, est-il dit, fut Roaldus, filius Roaldi, filii Alani, constabularii Richmundiæ. Il aurait été aussi le premier fondateur de l'abbaye de Éasby[83]. Enfin, vers 1071 ou 1072, au moment où furent déposés un certain nombre d'abbés saxons, nous savons que Wulfric, abbé de New-Minster, fut privé de son siège par décision d'une assemblée réunie à Winchester. Son siège fut donné à Rhivallon, qui n'est certainement pas le même personnage que Rualdus Adobatus, mais dont l'origine bretonne n'est pas douteuse[84]. Il ne faut pas confondre le ou les Riwallons avec Riwellin, fils de Llywelin, auquel Harold avait concédé en 1063 une grande partie du pays de Galles et qui fut tué à la bataille de Meohin, en 1068[85].

Le pays de Saint-Malo, dont l'histoire est si intimement liée à celle de Dol, a-t-il donné des guerriers à la Conquête ? Dans la liste de Bromton, nous trouvons Saint-Malon et dans l'énumération de Wace

De Peeleit le filz Bertran[86].

M. le Dr Hugo Andresen, dans le commentaire de son édition du roman de Rou, dit que Peleit ou Peeleit, dans un autre manuscrit, signifie Porrohoit ou Pocrohoit. C'est une erreur ; il y avait en Bretagne, au moment de la Conquête, deux pays parfaitement distincts, le Pontrecoët, nom dont les formes s'adoucissent successivement en Portcoët, Podcroèë, Porthaët et Porhoet et le Poulet ou Clos-Poulet. Le Clos-Poulet était formé de l'ancien pagus alethensis ; il comprenait une partie du canton de Cancale, celui de Châteauneuf et de Saint-Servan (anciennement Aleth). Contrairement à l'opinion généralement admise nous ne voyons pas dans Poulet, le breton plou, synonyme de clan, mais bien pool (prononcer poul), marais, à cause des terres basses, humides et souvent submergées qui s'étendaient entre la baie du Mont-Saint-Michel et la Rance et dont la mare de Saint-Coulban est encore un vestige très important[87]. Au point de vue étymologique Peeleit et Peleit sont plus près de Poulet que Porrohèt, qui, d'ailleurs, dans ses transformations successives n'a jamais perdu son r ; il faut remarquer également que Bertrand de Peleit est cité tout auprès du sire de Dinan, pays limitrophe du Clos-Poulet. C'est aussi l'opinion de M. Planché[88] : A Breton who joined the army et invasion of Saint-Valery, in company with the sire de Dinan, Raoul de Gael and many others of his countrymen. Nothing more appears to be known of him by any one ; and de Peleit le filz Bertran, may be interpreted, either de Bertrand the son ot Peleit, or de Peleit the son of Bertran ou Fitz Bertrand de Peleit. Nous n'hésitons pas à écarter l'interprétation de Peleit Peleit qu'on le traduise par Poulet, Porhoêt ou Poilley n'étant pas certainement un nom propre personnel, c'est bien un nom d'une contrée, d'un pays, peut-être même d'une paroisse. Or, on trouve deus paroisses de ce nom, assez voisines l'une de l'autre — dix lieues à peine les séparent —, l'une en Basse Normandie, Poilley près de Ducey, l'autre en Haute Bretagne, dans le canton de Louvigné-du-Désert. La première est appelée Poilley, nom se rapprochant beaucoup de Peleit, dans le Cartulaire du Mont-Saint-Michel[89] ; la seconde est également citée dans le Cartulaire de la célèbre abbaye normande et elle est parfaitement déterminée par l'adjonction d'une paroisse voisine, Villamée : Carta de Villamers et Poillei Ecclesiam de Poillei[90]. Ajoutons encore que le prénom de Bertrand était, à cette époque, à peu près inconnu en Normandie, tandis qu'il était très répandu dans la Haute Bretagne et nous conclurons en disant que le seigneur, mentionné par Wace, devait être originaire de Poiley près Fougères, pays se trouvant à la lisière des marches bretonne et normande. Est-ce encore de cette paroisse qu'était originaire Guillaume de Poiley — Willelmus de Poilleio —, qui possédait dans le Devonshire des manoirs importants, parmi lesquels nous citerons ceux de Sirevilla, Estocha, Meleberia, Bovelia, Blacagrava, Bicheleia, Bochelanda, etc. — Exon Dom. 415, 415 b., 416, 416 b., 417, 417 b., 418 —. Il est à remarquer que l'inscription de ces domaines fait immédiatement suite aux possessions de Ruauld l' Adoubé, qui parait bien se rattacher à Dol.

Un autre seigneur breton prit aussi part à la Conquête, c'est Guillaume d' Auray. Il n'est inscrit ni au Domesday ni sur les listes, mais il est mentionné dans les Addimenta de l'Exon Domesday, où on lit : Pro ana virgata quant tenet Willelmus de Atre in Devon, in Sulferton hundred, rex non habet geldum[91]. D'après Léchaudé d'Anisy[92] les chartes de l'abbaye d'Abingdon[93] nous montrent un Radulphus de Alra, tenant un fief de chevalier dépendant de la baronnie que cette abbaye possédait dans le Berkshire. Ce Raoul serait encore désigné sous le nom de Radufus de Aure, dans les lettres patentes de la dix-septième année du règne de Jean. Enfin, un Guillaume d'Auré figure dans une charte de Robert Malherbe, par laquelle il donnait à son fils sa terre de Cheddoc[94]. Ce même Guillaume d'Auré était vicomte de Salop, la première année du règne du roi Jean et il assista, en cette qualité, à l'Echiquier de ce prince pour les affaires du comté. Enfin Herbert d'Auré fut témoin de la charte d'Emma d'Anvers, en faveur de l'abbaye de Thama dans le comté d'Oxford[95]. Cette famille bretonne avait pris le nom d'Auray, soit parce qu'elle possédait la châtellenie héréditaire du château de cette ville, soit parce qu'elle en était simplement originaire. En 1128, Geslin d'Auray figurait comme témoin dans une charte de donation faite par Conan le Gros, duc de Bretagne. en faveur de l'abbaye de Saint-Melaine de Rennes.

Non loin du sire d'Auray devait combattre un seigneur que Raoul de Gaël avait entraîné, sans doute, dans l'expédition. La paroisse de Campéneac nous paraît avoir été le berceau de la famille Larcher, l'Archer ou Larchier. Or nous trouvons au Domesday[96] Willelmus Arcuarius comme tenant en chef et en baronnie les domaines de Beneclie et de Centune dans la centenie de Seinburne.

Barlow[97] prétend que la famille des lords Archers descend de Fulbert l'Archer, père de Robert l'Archer, qui, tous deux, suivirent Guillaume. Mais Robert n'était ni le frère de Guillaume l'Archer, ni le fils de Fulbert : d'ailleurs, ni les listes, ni le Domesday ne parlent de ce dernier. Peut-être, après tout, était-il mort avant 1086, date de l'achèvement du Domesday. Mais Robert y est mentionné. Nous trouvons, en effet, au registre, Rotbertus filius Willelmi, comme tenant en chef dans le Derbyshire et dans le Nottinghamshire[98].

Un autre breton dont le nom est commun aussi dans le pays de Galles, Judhael s'établit à Totnes, dans le Devonshire[99] et bientôt, ses possessions déjà très vastes, s'étendirent dans la Cornouaille. Juhellus, comme le nomme l'Exon Domesdav, Iudel de Totenais[100], comme l'appelle l'Exchequer Domesday, possédait tout le burg de Totenais : Iultellus habet I burgum quod vocatur Toieneis, quod teignit Eduurdus rex die qua ipsa fuit vicus et mortuus[101]. Ibi habet Iuhellus C burgenses infra burgum V minus et extra burgum XV qui terram laborant et hi omnes simul reddunt per annum VIII libras ad numerum et quando Iuhellas recepit reddebant LX solidos ad pensum et ad arsuram[102] et ista villa non reddit Geldum[103] nisi reddebat XL denarios et si expeditto vadit per terram vel per mare, inter Barnestaplam et Totenais et Lidefordam redditur tantum de servitu quantum Exonia reddit[104].

En additionnant le revenu de tous ces manoirs non compris celui des manoirs que Juhel possédait en Cornouailles, nous avons trouvé la somme de 132 £, 4 shillings, 3 pence[105]. Il possédait aussi, en Cornouailles, un manoir important, celui de Forchetestana, que soutenait Turstin le Vicomte : In ea mansione, sunt III ferdin : reddit Gildum pro. I ferlino ; hanc possunt arare III carr. (Exon. Dom. 334 b.)

Il semble bien que ce simple aventurier comme l'appelle Freeman[106] devint bientôt un personnage important. Son fils Alurede est cité dans le GESTA STEPHANI : Aluredes filius Ioelis cujusdam illustrissimi viris. Marie de France dans un de ses lais, Eliduc, parle de ce Juhel qui, débarqué à Totnes, se mit au service du roi d'Excestre (hodiè Exeter).

C'est peut-être même son fils qui est désigné au Domesday, sous le nom d'Aluredus Brito[107], dans le Devonshire, et qui, lui aussi fut un personnage important. Il ne possédait pas moins de vingt-deux seigneuries, tenues directement du roi, dans le Devon. Il fut inscrit au Survey sous le nom générique de Brito, pour le distinguer des nombreux Aluredes qui figurent au Domesday[108]. Le Survey porte encore sept ou huit autres Brito, ce qui démontre que Guillaume n'oublia pas ceux qui avaient quitté la terre d'Armorique pour le suivre[109]. Le nom de Brito se rencontre, en effet, assez fréquemment dans les Chartes anglaises, même au-delà du règne d'Edouard II. C'est ainsi qu'un Roger le Breton ou Le Bretun cité dans une Charte, comme possédant dans le Bedfordshire, vers 1175, pourrait être un descendant de cet Oger, d'origine bretonne, qui obtint les terres du Hereward : Terram sancti Guthlaci quam tenet Ogerus in Repinghale dicunt fuisse domicam firrnam monachorum. (Clam. in Chest. 376 b.). Sous le règne d'Edouard Ier, Adam le Breton fournit un chevalier pour la défense de l'ile de Wight[110].

Il parait bien impossible de retrouver dans le Survey trace du seigneur de Lohéac qui, d'après Dom Morice[111] prit part à la Conquête. Les seigneurs de Lohéac apparaissent dès le dixième siècle et il semble que le plus ancien eût été Hervé, qui vivait vers 992. Il eut pour fils Judicaël, lequel épousa Gasceline. Ce Judicaël est-il le père de Judhael de Totnes, dont nous venons de parler ? Peut-être aurait-il fait souche en Angleterre ? On trouve un Philippe de Lohéac comme témoin dans une charte de Robert, comte de Nottingham et dont la date se place entre 1139 et 1160[112].

Si l'on veut. bien se reporter aux diverses indications que nous avons données pour les attributions des terres aux Bretons qui suivirent le duc de Normandie, on remarquera que les tenures appartenaient à presque tous les comtés de l'Angleterre : Hertfordshire, Cambridgeshire, Northamptonshire, Derbyshire, Nottinghamshire, Lincolnshire, Yorkshire, North Riding et East Riding, Devonshire, comtés de Suffolk et de Norfolk ; c'est donc une erreur commune de croire que les Bretons s'établirent exclusivement dans la Cornouaille et dans le comté de Devon ; mais il bien certain que ce fut surtout dans la partie sud-ouest de l'Angleterre qu'ils se fixèrent principalement ; plusieurs colonies s'attachèrent aussi au comté de Dorset, dans lequel les Bretons retrouvèrent certainement des compatriotes.

Nous lisons, en effet, dans la Chronique de Nantes[113], qu'à l'époque où les Normands ravageaient la Bretagne, Mathuedoi, comte de Poher, se refugia, avec un grand nombre de Bretons auprès d'Adelstan, roi d'Angleterre. Il avait avec lui son fils Alain, surnommé, dans la suite, Barbetorte, qu'il avait eu de son mariage avec une fille d'Alain le Grand et que le roi d'Angleterre avait tenue sur les fonts baptismaux.

M. de la Borderie, qui signale seulement cet exode de Bretagne, le place en 920 ou en 921. Or, l'avènement d'Adelstan au trône d'Angleterre ne se produisit qu'en 924 ou en 925. Aussi la date de la fuite d'Alain doit-elle être reportée en 931[114].

Si les écrivains anglais sont muets au sujet de la venue en Angleterre d'émigrants bretons, dans le cours du dixième siècle, il n'est pas moins certain que des relations très étroites existaient, à cette époque, entre les cieux pays. Une lettre adressée par Rabod, prieur de Saint-Samson de Dol, au roi Adelstan et rapportée dans le Gesta Pontificum[115] démontre bien les liens de foi religieuse qui unissaient alors la France et l'Angleterre. Dans cette lettre, Rabod rappelle à Adelstan la grande confiance qu'Edouard son père avait en Saint Samson et il lui fait part de l'envoi de quelques reliques de saints bretons, sachant que rien ne peut être plus agréable au monarque.

Mais si l'émigration est certaine, aucun texte ne permettait de dire l'endroit où se fixèrent, en Angleterre, les fugitifs de Bretagne. Une découverte, opérée en 1892, par sir John Rhys pourrait bien être de nature à faire la lumière sur ce point inconnu de l'histoire bretonne. Dans une communication, faite au Dorset Field Club[116], sir John Rhys signalait deux inscriptions en lettres du X0 siècle, gravées sur le mur de l'aile nord de l'église de Sainte Marie de Wareham, petite ville du comté de Dorset. L'une de ces deux inscriptions est la suivante :

CATGVG C. FILlVS GIDEO,

Et l'autre :

GONDRIE.

Enfin, sur deux piliers brisés, déposés clans un des bas-côtés de cette même église, on lit :

ENIEL VPRIT I

IVDN TCIVI

Dans une excellente étude, parue dans l'English Historirical Review[117], M. Edmond Maclure est d'avis que ces inscriptions n'ont pas été faites par des bretons insulaires, comme semble le croire sir John Rhys[118]. En effet, à Wareham, vivait au temps d'Alfred le Grand une colonie d'hommes du Nord qui, certainement, n'aurait pas paisiblement voisiné avec les Bretons insulaires.

Wareham n'était-il pas aussi, bien avant le dixième siècle, un endroit fortifié ? Mr. Eyton a démontré que le castellum Wareham du Domesday[119] n'était autre que celui de Corfe qui était bâti sur le territoire du manoir de Kingston, distant d'environ quatre milles de Wareham[120]. Les Testa de Nevill disent, en effet, que l'église de Gillington fut donnée à l'abbaye de Shaftesbury à charge d'une terre sur laquelle le château de Corfe était placé[121]. Quoiqu'il en soit, sans que nous voulions prendre parti pour ou contre Miss Armitage et Mr. Pryce, nous pouvons affirmer que, dès 876, le pays de Wareham fut fortifié par les Saxons de l'Ouest.

Mais les inscriptions que nous venons de transcrire ne sont certainement pas l'œuvre de ces Saxons et nous pensons avec Mr. Edmund Maclure qu'elle ont été faites par des bretons émigrés. On peut en administrer la preuve au moyen de plusieurs rapprochements entre les inscriptions reconstituées et certains noms figurant au Cartulaire de l'Abbaye de Redon[122].

Catgug est le Catjucon de 821 et Gideo est évidemment Gédéon. Ces deux noms se retrouvent même dans un manuscrit du douzième siècle appelée Book of Llandaff[123]. Or Catgug est bien le congénère de Catgucon rapporté à la date indiquée par le Cartulaire. Le nom de Gondrie, lisez Gondriæ, nous parait être le génitif latin d'un nom franc : il se trouve, aussi, dans le même Cartulaire, où il est question de Gundric presbyter, figurant comme témoin avec un personnage appelé Gédéon — curieuse coïncidence et presque démonstrative, n'est-il pas vrai ? — dans une charte de 871. La lettre qui manque à l'inscription ENIEL peut être, très vraisemblablement un D ; or nous trouvons à la même source, Daniel, fils du comte Gurmhailon, signataire d'une charte de 931, dans laquelle figure également le fameux Mathuedoi, émigré. VPRIT doit être lu JUNEPRIT ; c'est un nom que l'on voit encore au Cartulaire de Redon, dans une charte de 820 : la terminaison RIT était très fréquente dans les anciens noms bretons, Elbrit, Hobrit, Salbrit.

IVDN doit être complété par OI, c'est le Judnoë du Book of Llandaff (Bodmins Manumissions), un nom qui se rapproche beaucoup de Judminet, figurant encore comme témoin dans une charte du Cartulaire de Redon.

Enfin, pour renforcer sa démonstration, M. Edmund Maclure étudie aussi une inscription gravée sur le porche de l'église paroissiale de Lustleigh dans le comté de Devon et dans laquelle il reconnaîtrait une forme bretonne, Hinoc, Henoc, Holder en aurait donné la description.

Il ne nous paraît donc pas déraisonnable de supposer que les Bretons émigrés au dixième siècle se réfugièrent dans le pays de Devon et, par extension, dans celui de Dorset. Est-ce pour cette raison que la cathédrale de l'église de Salisbury possède un psautier du dixième siècle qui contient une litanie remplie d'invocations nombreuses de saints bretons ? C'est une question qu'il appartient aux paléographes de résoudre, en disant si ce psautier a été apporté par les exilés ; ce manuscrit est ainsi décrit par sir Edward Maunde Thompson, Directeur du British Museum : Bibliothèque de la Cathédrale de Salisbury, n° 180, 15 ¼ * 12 ¾ inches, 175 feuillets à double colonnes ; français, Xe, Psalterium avec double traduction gallicane et hébraïque de Jérôme. Litanies et Prières, f° 170 b. Le dernier feuillet a été ajouté au onzième siècle ; il existe quelques commentaires en marge ; des initiales ornées ont été ajoutées ; tortils, feuilles, poissons : quelques lettres sont en rouge. Un autre psautier, paraissant être de la même époque et dont l'origine est inconnue, se trouve aussi à la Bibliothèque de la Cathédrale de Salisbury. Il est catalogué sous le n° 150, vélin 11 ¼ * 7 ¼. 161. ff[124].

Cependant, il ne faut rien exagérer et reconnaitre qu'il dut rester peu de Bretons en Angleterre, même sur le sol de Cornouailles. En effet, si on examine attentivement la distribution des terres dans les comtés qui tombèrent au pouvoir de Guillaume après la reddition d'Exeter, on est frappé par l'absence presque complète, parmi les propriétaires dépossédés, de noms d'origine bretonne. Rien d'étonnant à cela pour le Somersetshire et le Devonshire, bien que beaucoup de sang breton fut resté dans ces comtés[125] ; mais ils s'étaient, peu à peu, complètement anglicisés. La Cornouaille résista davantage à cette anglicisation ; elle conserva mieux ses coutumes et sa langue celtique ; malgré tout, même sous le règne d'Edouard le Confesseur, les possesseurs de terre sont presque tous anglais. Nous trouvons à peine quelques noms d'origine bretonne, Cavalant, Briend, Babel ; peu à peu, l'élément breton de la Cornouaille s'était fondu avec l'élément anglais, welche et gallois[126].

Nous avons vu, au cours de cette étude, avec quelle habileté les Bretons avaient combattu à Hastings et leur obéissance aux ordres du duc de Normandie ; ils devaient, quatre ans plus tard, se montrer moins accommodants avec Guillaume devenu roi.

Au commencement de l'année 1070, un coin de l'Angleterre restait encore à conquérir. Le pays de Chester ne s'était pas soumis. Vers le mois de février, l'armée de Guillaume se mit en marche et les soldats eurent beaucoup à souffrir du froid et de la fatigue[127], à travers le pays sauvage et tourmenté, qui forme la partie Sud-Ouest du Yorkshire sur laquelle s'étend une chaîne montagneuse, joignant le Peakland du Derbyshire aux montagnes du Westmoreland et du Cumberland. Les mercenaires bretons, angevins et manceaux, qui composaient une grande partie des effectifs de Guillaume, commencèrent par murmurer, et il faut le reconnaître, non sans raison. Vraiment, leur grand chef abusait d'eux depuis près de deux ans, après la pacification du Nord et de l'Ouest de l'Angleterre, Guillaume avait congédié presque tous ses soldats normands, après les avoir magnifiquement récompensés[128] ; glorieux et riches, ils étaient, enfin, rentrés dans leurs foyers. Eux étaient obligés de suivre constamment le nouveau roi, sans jamais pouvoir jouir des avantages d'une victoire à laquelle ils avaient pris une part si importante Ils étaient las d'obéir, de servir, de souffrir. Ils s'en plaignirent à Guillaume qui, sans écouter leurs doléances, continua aves ses troupes restées fidèles, sa marche vers le Cheshire. Les déserteurs et les mutins restés en arrière furent abandonnés à leur sort, beaucoup périrent de faim, de froid et de misère.

 

Nous avons dit, au cours de cette étude, que la participation de la Bretagne à la Conquête Normande n'eut son origine ni dans une idée nationale, ni dans un sentiment patriotique ; à part certains seigneurs, à l'esprit aventureux, aimant à recevoir des coups et plus encore à en donner, le contingent breton ne fut, semble-t-il, qu'un corps de mercenaires audacieux, mais moins avides de gloire que de butin. Il est bien certain aussi que le clergé régulier et les prêtres séculiers de la Bretagne se désintéressèrent complètement de cette expédition. Cependant Rome s'était montrée très favorable aux projets de Guillaume, habilement[129] plaidés par Gilbert, archidiacre de Lisieux. Bien que Harold n'eut point été appelé pour fournir ses explications, la voix de plusieurs cardinaux s'était élevée en sa faveur ; mais, en dépit de leurs efforts, le pape Alexandre se déclara pour Guillaume et sans aller jusqu'à dire qu'une véritable guerre sainte fut prêchée contre l'Angleterre, une croisade, comme le prétend Freeman, on peut affirmer que Guillaume réussit, au delà de toute espérance à se concilier, non seulement la Papauté mais encore tous les ordres et les établissements religieux des provinces de l'Ouest. Les riches abbayes de son duché et même celles des contrées voisines, ne lui ménagèrent ni leurs prières ni leur argent ; presque toutes usèrent de leur influence considérable pour soutenir sa cause, avec l'arrière pensée, quelques-unes même avec la promesse, d'être largement récompensées, si l'Angleterre était conquise. Il suffit d'ouvrir le Domesday Book aux feuillets où sont inscrites les abbayes de la Normandie, de l'Anjou, du Maine, du Vexin, du pays de Caux et du Ponthieu, pour se convaincre des libéralités de Guillaume envers les moines et les prêtres[130]. La Bretagne fit exception et l'on chercherait en vain, dans le merveilleux livre que le nouveau monarque fit établir, des inscriptions relatives aux abbayes, aux prieurés et aux églises de la Bretagne. L'abbaye de Redon, dont la fondation est antérieure de plus de deux siècles à l'expédition de 1066 était déjà riche et puissante, quand Guillaume envahit l'Angleterre. Alain Fergant devait cependant bien la connaître, lui qui, sentant sa fin prochaine, avait résolu d'y mourir sous l'habit religieux. L'abbaye de Saint-Méen de Gaël, fondée vers 600, par saint Méen, venu de l'île de Bretagne, en Armorique avec une colonie d'émigrés et que la duchesse Havoise, avait, en 4008, relevée de ses ruines ne devait pas être inconnue de Raoul de Gaël, non plus sans doute que Notre-Dame de Paimpont, dont on vénérait le sanctuaire au cœur de la fameuse forêt de Brocéliande. Dans l'évêché de Nantes, Saint-Gildas-des-Bois, de l'ordre de Saint-Benoît et l'abbaye de La Chaume avaient à peine un quart de siècle, l'autre dix ans d'existence. Quand Guillaume passa la Manche, elles avaient besoin d'être dotées. Elles ne figurent point cependant au Domesday et l'on ne s'explique pas comment le nouveau roi d'Angleterre qui se montra si prodigue envers plus de soixante établissements religieux non seulement de la France, mais de l'étranger[131], n'ait point fait, soit spontanément, soit à la suasion, comme l'écrivent les bons vieux chroniqueurs, de ses conseillers ou de ses frères d'armes, des libéralités à ces pieuses abbayes bretonnes, dont la plupart avaient été précisément ravagées par ses ancêtres. Avait-il sollicité d'elles un secours qui ne vint point et garda-t-il rancune à leurs abbés. à leurs prieurs et à leurs moines ? Nul ne pourrait le dire avec certitude.

Mais les Bretons. assez rares il est vrai, qui se fixèrent 'définitivement en Angleterre n'oublièrent pas, dans le cours du siècle qui suivit la Conquête, d'enrichir et de doter les abbayes et les prieurés de Ille et plusieurs établissements du Continent. Conan, duc de Richmond, un pays de prédilection pour les Bretons, donnait en 1170 à l'abbaye du Mont-Saint-Michel, en lui confirmant ses biens à Treverner, le beau manoir de Wath[132] ; Alexandre Brito, frère de Hamon, chancelier de Lincoln, concéda, sous Henri Il, à l'abbaye de Savigny toutes les dimes du domaine de Bennington[133]. Philippe de Lohéac figure dans une charte, de 1139 à 1160, aux termes de laquelle Robert, comte de Nottingham, fait une donation aux moines de Savigny sur ses revenus d'Angleterre[134] ; Guillaume de Monthault, petite paroisse du canton dé Louvigné près Fougères, participa en 1163 à une libéralité de Raoul de Fougères, aumônant à Savigny l'église de Bennington, précitée. Le principal bienfaiteur du prieuré de Saint-Martin près d'Easby[135], fondé vers 1100 par Wymarc, dapifer du second Alain fut Roaldus, filius Roaldi, constabularii Richmundiæ. Conan fut lui-même un bienfaiteur de ce prieuré. Au douzième siècle, on trouve à Minster, Cornouaille anglaise, un Guillaume Fitz Nicolas, appartenant très probablement à la famille de Botreaux[136] — Boterell, dans la liste de Brompton —. Les Botreaux, d'origine bretonne, possédaient de grands biens dans le district de Lesnewth. Ils étaient propriétaires en Cornouailles, dès l'époque de Henri Ier. Leurs principales résidences étaient les manoirs de Botreaux et de Worthyvale. De Botreaux Castle, hodie Borcastle ; il en reste encore quelques belles ruines[137].

On retrouve aussi clans le Cambridgeshire les traces assez profondes des Alain de Bretagne. On sait que le comté de Richmond, à la mort du comte Alain, décédé sans postérité, échut par voie d'héritage à ses frères[138]. A la mort de Geffroy Boterel, en 1093, le comté de Penthièvre passa aux mains d'Etienne et celui de Richmond, aux mains d'Alain second fils d'Etienne. Celui-ci prit le titre de Comes Angliæ et Britanniæ[139]. Il embrassa la cause d'Etienne, roi d'Angleterre, dans sa lutte avec l'impératrice Maud et épousa Bertha, fille de Conan III dit le Gros, duc de Bretagne. Il fut le père de Conan IV et de Constance femme d'Alain, troisième vicomte de Rohan. Conan IV prit également à la mort d'Alain, en 1146, le titre de Dux Britanniæ et de Comes Richmondiæ. Sa lignée compte d'importants personnages. En 1199, Alain IV faisait avec les de la Zouche un échange entre propriétés respectives de Bretagne et d'Angleterre ; c'est ainsi que les de la Zouche s'implantèrent dans le pays de Cambridge. Devenus seigneurs de plusieurs manoirs dans ce comté, ils s'allièrent à de nobles familles notamment avec les Mortimer. Un Guillaume de la Zouche de Mortimer, qui avait du sang breton dans les veines, épousa Eléonore, héritière de Gilbert de Clare, comte de Gloucester, dont la sœur Elisabeth contribua à la fondation de Clare College, établissement faisant encore partie de l'Université de Cambridge[140].

Ces exemples, choisis entre plusieurs, démontrent bien que les représentants de la Bretagne ne disparurent pas complètement du sol anglais, lorsque l'édit d'expulsion fut prononcé injurieusement contre eux, après la révolte de Raoul de Gaël et il est bien certain que l'influence des Bretons continua, pendant deux ou trois siècles, à se faire sentir dans la Grande Ile, à la Conquête de laquelle ils avaient largement participé.

 

FIN DE L'OUVRAGE

 

 

 



[1] Chronic. Kemperleg. dans BALUZE, Miscel, t. I, p. 151.

[2] GUILLAUME DE JUMIÈGES, p. 261.

[3] BENOÎT DE SAINT-MORE, Chr. Ducs de Norm. Ed. F. Michel, vers 30. 825-829.

[4] DE LA BORDERIE, Histoire de Bretagne, Tome III, p. 9. Voir aussi GUILLAUME DE JUMIÈGES, VII, 8 et 11.

[5] Description de la Tapisserie de Bayeux, traduite de SMART LE THIEULLIER, Caen, Mancel. 1824 et Tapisserie de la reine Mathilde, album photographique édité par DESLANDES, Bayeux, planches 8, 9 et 10.

[6] Sur la Tapisserie de Bayeux, voir Archœol., Vol. XVIII, p. 359 ; XIX, p. 28, 182. LITTLETON, Hist. Henrici I, l. 353 DR. COLLINGWOOD BRUCE, The Bayeux Tape try elucidated, London, 1855 ; PLANCHÉ, Journ. of the British Archœolog. Associat., June. 1867, p. 191 et enfin FREEMAN, The Authority of the Bayeux Tapestry, Norm. Cong., 2e Ed. III, p. 362-375.

[7] ORDERIC VITAL, Hist. Eccl. Ed. Le Prévost. Livr. IV, p. 259-260, complète ce récit extrait de Guillaume de Jumièges : Conanum strenuissimum consulem veneno infecit, quem mortuum Britannia tota pro urgente probitate ineffabili fletu deflevit.

[8] Consulter aussi : DOM MORICE, Preuves, H. de Bret. I. 427 et LE BAUD, Hist. de Bret. inédite. Paris, Bibl. Nat. ms. fr. 8.266 n° 146, cité par de La Borderie, Hist. de Bret., III. p. 25, en note. La Chronique de Saint-Brieuc, p. 36 mentionne seulement la mort de Conan, sous la date de 1066 ; de même les Chroniques d'Anjou. LABBÉ, I. 280 et IV. Il serait donc bien téméraire d'accuser Guillaume d'un pareil crime.

[9] FREEMAN, Norman Conquest, III, p. 752. 2e Ed, The English numbers at Senlac. Appendix, note LI.

[10] LABBÉ, Chr. de Saint-Maxent, II. 211.

[11] GUILL. DE POITIERS, 128.

[12] ORDERIC VITAL, 500. B.

[13] PERTZ, IX. 390.

[14] HENRI SÉE, Etudes sur les classes rurales au Moyen-Age.

[15] DOM MORICE, Hist. de Bret., Preuves I. 1731.

[16] DE LA BORDERIE, Hist. de Bret., II, p. 161.

[17] But the country front which next to his own Duchy, William drew most support in enterprise, was undoubtedly the neighbouring, the nominally vassal land of Britanny. When we remember the internal dissensions of that country and the way in which a party among the Bretons had supported against their own sovereing, this is in no way wonderful. And though loyalty to a Norman over lord is not to have counted for much, another motive may will have worked to fill the Norman host with Breton recruits. The Celtic race has long memory and the prospect of waging was in the insular Britain against the Saxon intruder may not have been without clams for the descendants of the Armorican exiles. Certain it k that the Breton auxiliaries, under Alan Fergant, a cousin of the reigning Count Conan, one of the many sons of his uncle Odo, played an important part in the Conquest of England. Even Dinan, so lately besieged by William, now sents its lord to swell muster. FREEMAN, Norm. Conq., III, p. 314, 315.

[18] THÉODORE DE LA VILLEMARQUÉ, Chants Populaires de la Bretagne, 3e éd. Tome I. p. 233 et dans Augustin Thierry, Hist. de la Conq. Ed. citée p. 423-425.

[19] LUZEL, Guerziou, Tome I. Sylvestrick.

[20] FREEMAN, Norm. Conq., 2e Ed. III. p. 442.

[21] HENRI DE HUNTINGDON, M. H. B., 763. B.

[22] FREEMAN, Norm. Conq., 2e Ed. T. III, p. 459 et suivantes.

[23] WID. AMB. 413. Vers 12795.

[24] WIL. PICT., 133.

[25] WACE. Rom. Rou.

Guy d'Amiens dit encore, à propos des Bretons et des Manceaux :

Gensque Britannorum quorum decus extat in amis

Tellus ni fugiat est fuga nulla quibus ;

Viribus illustres Cenomanni, gloria quorum

Bello monstrantur per probitatis opem.

WID. AMB., 255.

[26] Chronicon Fontanellence, 851. PERTZ, II, 303. Voir aussi KALCKSTEIN, Robert der Tapfere, p. 14.

[27] Cf. LÉCHAUDÉ D'ANISY, Recherches sur le Domesday, Caen, Lesaulnier. 1842. Tome I, seul paru, p. 70 et suivantes.

[28] Ce furent, peut-être les fiançailles qui eurent lieu à cette date. Les historiens Bretons fixent le mariage à 1086 ou 1087. MORICE, I. 103 ; BOUQUET, XII, 559. ODERIC VITAL qui rapporte la date de 1076, a dû confondre les deux cérémonies. Née en 1061. Constance mourut eu 1094.

[29] D'après le manuscrit dit Life ot Archbishop Oswald, cité par M. RAINE (Fasti Eboracences, I, 123), York était une des cités les plus florissantes de Northumberland. Sur la dévastation ordonnée par Guillaume, voir toutes les Chroniques et Sint. Dun. Gest. Regg. 1079, p. 85. Hinde.

[30] Le Domesday pour cette contrée est rempli de la sinistre mention Vastata (terra).

[31] DOM. 309. Sur ses démêlés avec Godric, voir Dom. 145.

[32] Cf. MON. ANGLIC., III. 545 et RAINE, The Founding of St. Mary's Abbey and St. Leonard's Hospital, York. 8° 1898.

[33] GOUGH, Addition to Camden, III, p. 91. Le château de Richmond avait été construit par Alain de Bretagne à peu près au moment de la rédaction du Domesday. La superficie de son enceinte était d'environ 1 h. 45. Cf. Dom. 381 et ELLIS, Int. I. 222 aussi Monastic. Angl., V. 574. Voir aussi Art de Vérifier les dates, II, 897.

[34] Ms. Cott. Faust., VII, intitulé Registrum Honoris de Richemond.

[35] LÉCHAUDÉ D'ANISY, Rech., I. p. 72.

[36] Ms. Cott. Faust., VII, intitulé Registrum Honoris de Richemond.

[37] Ord. Vit. 514. A. B.

[38] ANNA. V. 6. Voir FINLAY, II. 99.

[39] FREEMAN, Norm. Conq., 2e Ed. Tome III, p. 460.

[40] FLOR. WIG. 1074.

[41] MALM., III. 255.

[42] DOM. 127. b.-131.

[43] DOM. 13, 27, 28.

[44] DOM. 127. b.-131.

[45] D'après GUILLAUME DE JUMIÈGES, VII. 25. VIII. 15 et Wace, ut supra, il était d'origine bretonne ; d'après ORDERIC VITAL, 563, C, il était breton, par sa mère et possédait, en Bretagne, les châteaux de Gaël et de Montfort.

[46] Cod. Dipl., IV, 121, 143, 151, 159, 172 et Dom., 194, 409 v.

[47] FREEMAN, Norm. Conq., 2e Ed. III, p. 776. Appendix. Note O. O.

[48] PLANCHE, The Conqueror and his companions, II, 5, d'après une étude lue en 1857, à Norwich, Congress of the British Archœological Association.

[49] PLANCHÉ, The Conqueror and his companions, II, 1-15.

[50] Chroniques de Worcester et de Peterborough.

[51] Notamment Florence.

[52] Rawulf eorl and Rogeer eorl weeron hofdingas act pisan unracde, and hi speonon hem to pa Bryttas and sendou cac to Danemarcon after seyphere. CHR WIG 1076 ; PETR. 1075.

[53] Gloria in excelsis Deo cujus misericordia regnum vestrum purgatum est spuretia Britonum. EP. LANF. 38 (Giles, I. 59).

[54] Expulsum cum uxore sua, Britanniarn repatit. ORD. VIT. 535 C.

D'horribles représailles furent également commises : on coupa la jambe aux prisonniers, afin de les marquer ut notificentur. ORD. VIT. Ibid.

[55] DOM., II, 158. 158 b., 173. 190. — DUGDAL'S Baronage, 132. R. HOWDEN, Ed. Strubbe, I. 203. — ORD. VIT., 535. C.

[56] Post hæc, mare transito, Rex in minorem Brittanniam suam movit expeditionem et castellum Radulfi comitis quod Dol nominatur, obsedit. Flor. Wig. 1075. Sur la question très complexe du siège de Dol et du mariage de Constance avec Alain, lire la discussion de FREEMAN, Norm. Conq., 2e Ed. IV. p. 818 et se reporter aux sources DOM BOUQUET, XII, 566. 590. — Chr. Kemperlegiense, XII 562. — Chr. Briocense, XII. 566. Chr. Angevine de St-Aubin, LABBÉ, I, 276 et encore BOUQUET, XII, 559, 561.

[57] Raoul de Gaël avait été en Angleterre le bienfaiteur de plusieurs monastères. Cf. Dom., II. 158 et 158 b.

[58] ORD. VIT. 535. Cf. DUGDAL'S Baronage, p. 68.

[59] WACE, Rome de Rou, V, 13. 496 : Edition allemande de Hugo Andresen, vers 8385.

[60] Dom : Surr. 36 b. — Dev. 113 b. — Buck. 151 b. — Norfolk 263 b. Suff. 432.

[61] Cf. ELLIS, Introd. to Dom., I, pp. 119, 120, verbo Godda comitissa.

[62] Dom. Berks. 63 b. — Norfolk 278.

[63] GUILLOTIN DE COURSON, Les Grandes Seigneuries de Bretagne, II, p. 18. — DE POMMEREUL, Histoire des Barons de Fougères et Art de vérifier les dates, vol XIII, p. 270 Ed. 1818.

[64] Une charte conservée au British Museum (Cotton. Charters. 51 A. 15 (citée par Planché) possède un sceau aux armes parlantes de Guillaume de Fougères, un écu entouré de deux branches de fougères. C'est également la devise que l'on voyait jadis sur les murs de l'abbaye Blanche f Mortain, pays riche en fougères (ferns).

Felix sub rachis nascitur illa filix.

[65] Dom. Northampt. 219, 227 b. Warw. 238, 243 b. — Nott. 291. Lincoln 369.

[66] Leicest., I, 235.

[67] Voir aussi : KELHAM., Dom. Illust., p. 105.

[68] Dom. I. 243.

[69] DE PAZ, Histoire Généalogique des vicomtes de Dinan, p. 116, 117.

[70] Dom. Northampt. 219-227. — Leic . 235 b. — Derb. 276 b. — Nott. 280, 289. — York. 326. — Linc. 336, 369 b.

[71] Clam. Eborac. 373 b. 374.

[72] GEOFFROY GAIMAR, Chr. Angl. Norm. I. 22, 23, et FREEMAN, Norm. Conq. 2° Ed. p. 826. Appendix. M. M : The Legend of Hereward.

[73] Cartulaire du Mont-Saint-Michel. ms. 210. Bibl. d'Avranches.

[74] Dom. Lincoln. 336. Voir aussi ELLIS, Introduct. to Dom., I, p. 472, en note.

[75] Dom. Lincoln, 369, 369 b, et 370.

[76] GAIMAR, Chr. Ang. Norm., I, 26.

[77] Dom. Wilts. 72. Berks 57 b.

[78] Exon Dom. fol. 367 : Hanc (mansionem) potest arare I carrucata. Modo tenet eam Hugo de Dol de W(illelmo). Quando W. recepit valebat tantumdem X Solid. Voir aussi Libri Censualis, etc., Ed. Georges III. 1836. p. 313.

[79] Notamment dans le roman de Girard de Vienne et dans le roman de Garin.

[80] Dom. Wilts. 72. Berks 57 b.

[81] Sistere tentat Conanum castri præses Ruallus, revocat illudens, etc. GUILL. DE JUMIÈGES. 110.

[82] Voir supra à propos de cette expédition.

[83] Cf. : Monasticon Anglic., VII. 921 et VIII, 1545.

[84] FREEMAN, Norm. Conq., 2 ed. Vol. IV. p. 389.

[85] Il est appelé Rigwatlan dans la Chronique de Worcester. Voir aussi Annales Cambriæ 1068 et Beut y Tywysogion, in anno.

[86] WACE, Rou, II. 510.

[87] Une commune de cette contrée s'appelle Saint-Père-Marc-en-Poulet. Le Poulet est également un lieu marécageux, en Vains sous Avranches. Liverpool tire son nom des marais de la Liver.

[88] PLANCHÉ, The Conq. and his compan., II, 281.

[89] Cart. du Mont-Saint-Michel. Bibl. d'Avranches Ms. 210, f° 75.

[90] Cartulaire du Mont-Saint-Michel. Ms. 210. Bibliothèque d'Avranches.

[91] Add. Exon. Dom, f° 61.

[92] LÉCHAUDÉ D'ANISY, Recherches, I, p. 116.

[93] Cf. Chronicon Monestarii de Abingdon, édité par M. STEVENSON, Chronicles and Memorials Series.

[94] Collect. Cart. Bibl. Harl., N° 616.

[95] SANDERSON, Cart. ex eod. cart.

[96] Dom. Hants, 48 b.

[97] BARLOW, Peer. p. 339.

[98] Dom. Derb. 278 ; Nottingh. 292. Voir aussi J.-H. LAURENCE ARCHER, Memorials of Families of the Surname Archer, 1861. 4°.

[99] Dom. Devon, 108 b. 110. WORTHY, C. Devonshire Parishes, or the Antiquities, Heraldry and Family History of twenty eight Parishes in the Archdeaconery of Totnes. Exeter in-8°. Voir aussi : DYMOND, Ancient Documents relating to civil History of Totnes, 1880. COTTON, Antiquities of Totnes, 1851. Wimdeott ; Historical Sketch of Totnes, Devon Assoc. 1880.

[100] Dom. Cornw. 125.

[101] Curieuse expression remplaçant, dans l'Exon Domesday, la formule usitée ailleurs : T. R. E. .tempore regis Edwardi.

[102] Voir la note postérieure sur la signification de ces expressions.

[103] Le Geld, c'est-à-dire l'impôt.

[104] Exon Dom. 334, 313 : voir aussi cette inscription dans l'Exchequer Domesday 108. 3, 18 a.

[105] Sur la valeur acquisitive ou libératoire de l'argent, consulter spécialement : MADOX, History of Exchequer et parmi les ouvrages récents : A. BALLARD, The Domesday Inquest. London, Methuen 1906.

[106] FREEMAN, Norm. Conq. 2 ed. IV. 172. Cet historien cite encore un Gydieccel, esclave en Cornouaille, d'après le Cod. Dipl. IV. 313.

[107] Dom. Dev. folios 115 b. et 116.

[108] Dom. Lincoln. 346. b. Kent 9 b. 11 b. Bedf. 215. b. Clam. North. Rid. Lincoln. 375. b. etc.

[109] Dom. Gotzelius Brito, Buck. 152 ; Gloucest. 162, 170, Bed. 217 ; Brito Maigno, sen Maino, Buck. 143. 151. b. ; Leic. 236 ; Brito Rainaldus, Suff. 445 ; Britto Tehelus, Essex 81 b. Norf. 261 b. et encore Brito Bluhidus qui sous tenait dans le Devonshire du comte de Mortain la terre de Trenthal. Dom. fol. 238 b.

[110] Inquisit. f° 16, reg. Ed.

[111] DOM MORICE, Preuves à l'Histoire de Bretagne, I, p. 434.

[112] ROUND, Calendar, N° 581. Des bretons figurent souvent comme témoins dans des chartes de donation à des Eglises anglaises, Guillaume de Monthault, près Fougères, signe une donation relative à l'Eglise de Rennington, en 1163. Voir encore Monast. Angl. III. 601, 602 et VII 921.

[113] Chronicon Namnetence, Ed. MERLET. Paris 1896, p. 82.

[114] Edition de Dudon de Saint-Quentin par LAIR, pp. 71-185.

[115] Gesta Pontificum, Ed. HAMILTON, p. 399 et Cartulaire Saxon, II, p. 139. — FLODOARD, A. 931. — PALGRAVÉ, History of Normandy and England, II, 178. 182 et BENOIT DE SAINT-MORE, vers 8834.

[116] Proceedings of Dorset Field Club, XIII, p. 25.

[117] The Wareham Inscriptions, by the REV. EDMOND MACLURE. English Historical Review. XXII. 728.

[118] CELTIC BRITAIN, Ed. de 1904, p. 110.

[119] EYTON, Key to Domesday, p. 43.

[120] Dom., I, 78 b.

[121] Testa de Nevill, 164 b. Sur ce château, consulter BOND, History of Corfe Castle et MICKLETHWAITE, Archœlogie, Journal liii, 338.

[122] Cartulaire de Redon. Ed. A. DE COURSON, Paris 1863.

[123] Liber (landaviensis) : The Text of the Book of of Llan Dâv, reproduced from the Gwysaney MS. by J. G. Evans, with the cooperation of J. Rhys. Oxford, 1893. 8e priv. print.

[124] D'après une communication de M. le Bibliothécaire de la Cathédrale de Salisbury. (1909.)

[125] Cf. FREEMAN, Norm. Conq., 2 Ed. IV, p. 170.

[126] Dom. Cornw., 123 b., 124, 125 — et sur les manumissions à l'autel de Saint Petroc. Cod. Dipl., IV. 308.

[127] Exercitus autem qui dura toleraverat, in hoc itinere multo duriora restare timebat. Verebatur enim locorum asperitatam, hiemis intemperiem, alimentorum inopiam et hostium terribilem ferocitatem. ORD. VIT., 515. C.

[128] Rex, perspectis importunitatibus terræ, solidarios milites convocavit, omnesque regali munificentia pro militari servitute muneratos donum abire benigne permisit. Id. ibid., 512. C.

[129] Cf. GUILLAUME DE MALMESBURY, III, 238 ; WACE, Rou, vers II, 446, ORDERIC VITAL, 182 b ; JAFFÉ, 89-419 C. T. CRUTTWELL, The Saxon Church and the Norman Conquest.

[130] Notamment les abbayes de Corneilles, de Conciles, de Fécamp, de Montebourg, du Mont-Saint-Michel, de Préaux, de Saint-Riquier, de Marmoutiers, de Cluny etc., etc., dont les inscriptions au Domesday sont nombreuses. Voir aussi : Some Accounts of the Alien Priories and such lands as they are Known to have possessed in England and Wales. 2 col. in-12. 1879.

[131] C'est ainsi que Saint-Pierre de Rome figure au Domesday sous le nom de Terra Ecclesiæ Romanæ. Il est vrai que Saint-Pierre avait été doté sous le règne d'Edouard le Confesseur. Cf. Dom., 91. Sur les rapports de Guillaume avec la Papauté, on consultera utilement BERNOLD, ap. Pertz, V. 439.

[132] CARTULAIRE DU MONT-SAINT-MICHEL, ms. 210, f° 118. Bibl. d'Avranches et Monastic Anglic., VI, 990.

[133] DE SAVIGNY, Archives de la Manche.

[134] Cf. ROUND, Calendar, France, n° 581.

[135] Cf. MONASTIC ANGLIC., III, 601, 602 et VII, 92.

[136] Geffroy, comte des Bretons est appelé Boterel, dans de nombreuses chartes. Cf. ROUND, Calendar of Docum. France, 1176. Lobineau, Hist. de Bret., II,. 118. Un Roger Boterel figure, en 1080, au Liber Albus (f° 118) de l'Abbaye de Saint-Florent de Saumur, conservé aux Archives du Maine-et-Loire.

[137] Sir John Maclean dans son ouvrage intitulé The Parochial and Family History of the Deanery of Trigg Minor (I, p. 631-641) donne une très intéressante généalogie de la famille des Botreaux.

[138] Eyton, Shropshire, passim.

[139] Gale, Honor of Richmond, Appendix, pp. 100-105.

[140] REV. DR. STOKES, The old Mills of Cambridge, Proccedings of C. A. S. N° LVII.