ESSAI SUR CHARLES-QUINT

 

CHAPITRE IV. — Suite des luttes de François Ier et de Charles-Quint ; du traité de Cambray à la mort de François Ier (1529-1547).

 

 

Depuis le jour où le traité de Cambray eut rendu à François Ier ses enfants, il ne songea plus qu'à recouvrer aussi le duché de Milan. Il avait honte de l'avoir perdu ; il lui semblait plus honteux encore de le laisser en des mains étrangères.

Presque aussitôt après la signature du traité de Cambray, le 29 novembre 1529, il protestait déjà contre ce traité, qui lui avait, disait-il, extorqué, contre les lois et les coutumes de la guerre, en sus d'une rançon en argent, la cession du duché de Milan, du comté d'Asti et de la seigneurie de Gênes[1] ; et le parlement français appuyait ces protestations en y joignant les siennes. Ses ambassadeurs auprès de Charles-Quint ne se donnaient point la peine de cacher à ce prince le mécontentement de leur maître. Ils lui disaient avec une franchise menaçante qu'ils trouvaient son traité de dure digestion, et que, s'ils l'observaient, ce serait seulement pour retirer leurs princes de ses mains, non point pour former longue amitié avec lui[2]. Ils le sollicitaient aussi vivement d'accorder au roi la faculté de racheter le comté d'Asti, prétextant que ce comté, annexé par Louis XII à la couronne de France, en était devenu inséparable[3]. Parfois même, ils lui renouvelaient la proposition déjà faite autrefois par leur maître, de l'aider à s'emparer des Etats vénitiens s'il voulait bien rendre le Milanais à la France.

Charles-Quint, très mécontent et de cette franchise et de ces offres intempestives, n'en prit que plus à cœur la pacification immédiate de l'Italie. Il chercha à s'attacher les Vénitiens et remit le Milanais entre les mains de François Sforza. De là, pour la cour de France, un nouveau sujet de mécontentement. Qu'il eût gardé ce duché pour lui-même, cela se fût compris, disait-on ; mais donner à un bâtard, à un traître, la fiancée chérie du roi de France, n'était-ce point faire à celui-ci la plus mortelle injure[4] ?

Toutefois, François Ier n'osait plus recourir à la force. Il crut que les négociations et les intrigues lui réussiraient mieux. Mais voulant se donner une double chance de succès, il mit en usage tour à tour, et même à la fois, deux moyens dont l'emploi simultané prouve qu'il avait alors dépouillé tout scrupule de loyauté chevaleresque. J'ai peine à signaler cette mauvaise foi, dont pourtant une étude attentive des faits et des historiens du temps ne me permet plus de douter. François Ier ne cessa plus désormais d'importuner Charles-Quint de ses protestations et de ses offres d'alliance, et en même temps il cherchait partout à lui faire des ennemis, mais avec l'intention secrète de les abandonner, d'aider même à les accabler, si son rival voulait acheter son alliance au prix qu'il lui fixerait. Ses intrigues n'étaient, du reste, mystérieuses qu'à demi. Il les couvrait à dessein d'un voile assez transparent, car il n'était pas fâché que Charles-Quint en sût quelque chose. Un allié dont la fidélité n'est pas douteuse est souvent négligé ; on flatte et l'on cherche à s'attacher par des bienfaits un allié dont on craint la défection. Mais la duplicité de François Ier ne servit qu'à rendre Charles-Quint plus défiant et plus hostile.

Dès la fin de l'année 1530, François Ier faisait offrir à son rival de confondre leurs intérêts par des alliances de familles, de façon que leurs deux maisons n'en formassent plus qu'une seule, souveraine maîtresse de toute la chrétienté. Quatre mariages devaient cimenter cette union, et la note diplomatique qui les proposait[5] ajoutait que moyennant les dictes alliances, ce sera un même vouloir desdits seigneurs, une âme en deux corps, et qui picquera l'un, l'autre s'en ressentira, comme si c'était une mesme maison, (ce) qui reviendra au grand proufict, commodité et utilité des dicts seigneurs, leurs pays, terres et subjects, et pourront eulx deux ensemble mettre la loy telle que bon leur semblera en la dicte chrétienté, et tels les ont rendus tributaires durant leurs différends, qui auront grande joie et plésir d'eulx réduire et estre en leurs bonnes grâces. Les anciens alliés de François Ier l'avaient aidé à recouvrer ses enfants ; ce prince, on le voit, ne leur pardonnait point un tel service. La reconnaissance pesait à son orgueil, et le bienfait reçu restait dans son esprit comme le souvenir d'une injure.

Une seconde note diplomatique proposait aussi une entrevue entre les deux monarques. Ni dans l'une ni dans l'autre il n'était question du duché de Milan. Mais Charles-Quint n'ignorait pas que le but véritable de toutes les avances de son rival était d'obtenir l'investiture de cette seigneurie.

Charles-Quint trouvait sans doute de très-grands inconvénients à avoir le roi de France pour ennemi déclaré ou secret. Sa tante, Marguerite d'Autriche, presque au moment de rendre le dernier soupir, lui avait, dans une lettre touchante, recommandé expressément de conserver la paix avec ce prince[6]. Lui-même cherchait alors à l'obliger en tout ce qui ne pouvait point compromettre entièrement sa puissance personnelle. Lors du traité de Barcelone, il avait promis à Clément VII de faire rentrer les villes de Modène et de Reggio au pouvoir du Saint-Siège. Pour plaire à François, il confirma la possession de ces deux seigneuries au duc de Ferrare, époux de Renée de France. Clément VII en fut très-irrité, et peut-être ce jugement contribua-t-il à le jeter dans l'alliance française. Charles-Quint ménageait donc François Ier plus que le pape lui-même. Mais introduire de nouveau en Italie celui qu'on en avait chassé avec tant de peine, lui ouvrir soi-même un chemin vers de nouveaux projets d'ambition, c'eût été s'exposer volontairement à de graves périls. L'empereur n'accepta donc qu'en partie les offres du roi. Il donna son adhésion, absolue ou conditionnelle, aux divers mariages qui lui étaient proposés, un seul excepté, celui du duc d'Orléans, pour lequel François Ier avait déjà manifesté l'intention de demander la nièce du pontife Clément VII. Mais il recommanda sévèrement à son ambassadeur de ne point répondre sur le projet d'entrevue jusqu'à ce que toutes choses fussent faictes et traitées, et de régler tout d'avance, de manière que dans cette entrevue il ne fût question que de choses de plaisir et amiableté, pour éviter ce que l'on dit que des veues des princes provient aucunes fois inimitié.

De longs pourparlers suivirent ces premières négociations. Le roi de France insistait principalement sur l'entrevue. L'empereur ne consentait à l'accorder qu'à condition que l'on n'y parlerait point des affaires concernant les royaumes des deux princes, non plus que du contenu des traités de Madrid et de Cambray, auxquels il se fallait arrêter, mais seulement des affaires générales de la chrétienté[7]. Mais qu'importaient à François les affaires générales de la chrétienté ? Elle s'effrayait des progrès du Turc ; il les voyait avec plaisir. Elle voulait employer la contrainte pour ramener les luthériens dans le sein de l'Eglise ; il cherchait secrètement à se ménager leur alliance. Le divorce d'Henri VIII menaçait d'étendre le schisme ; c'était précisément ce divorce qui rendait le roi d'Angleterre l'ennemi irréconciliable de l'Empereur et l'attachait sans réserve aux intérêts du monarque français. François Ier ne voulut donc plus d'une entrevue dont il n'aurait tiré aucun profit ; il prétexta la maladie de sa mère, Louise de Savoie, qui en effet mourut quelques jours après, et toutes ces belles démonstrations d'amitié pour son beau-frère firent place à une aigreur assez mal dissimulée (sept. 1531.)

Cependant, un an après, un nouveau projet d'entrevue fut présenté à Marie de Hongrie, gouvernante des Pays-Bas. C'était cette fois au nom de la reine de France, Eléonore, princesse pleine de douceur, de modestie et de bonté, qui, aimant à la fois son époux et son frère, tourmentée de leurs discordes, eût donné sa vie pour amener entre eux une réconciliation sincère. Charles-Quint, tout en manifestant qu'il n'attendait rien de bon de cette entrevue[8], ne s'y opposa point, pourvu qu'on s'y rendît avec un faible cortège et sans grandes cérémonies[9]. J'ignore pour quel motif elle n'eut point lieu.

Pourquoi Charles-Quint se montrait-il si réservé à accepter ces offres d'amitié, d'alliances par mariages et de conférences ? C'est qu'il n'ignorait pas que François Ier entretenait secrètement des liaisons avec tous ses ennemis. Il le voyait en rapports intimes avec les Turcs et leur protégé, le transylvain Zapoly, avec Henri VIII, dont le divorce avec sa tante, Catherine d'Aragon, lui semblait un affront insupportable pour toute sa maison, avec les luthériens d'Allemagne, auxquels un ambassadeur français, Guillaume du Bellay, avait été envoyé en 1531[10], avec Clément VII, qu'avait récemment séduit la perspective brillante de marier sa nièce à un fils de France. De toutes ces intrigues, il concluait assez naturellement que les propositions du roi ne tendaient qu'à lui donner le change sur de secrets complots. Pourtant, il se trompait dans sa conclusion. François Ier aurait mieux aimé lui devoir le duché de Milan que de s'exposer aux chances douteuses d'une nouvelle lutte, où ses alliés l'eussent probablement très mal soutenu. Il lui eût sans doute volontiers sacrifié et le sultan des Turcs, et le roi d'Angleterre, et les luthériens d'Allemagne, avec lesquels il rougissait d'avouer ses liaisons ; il eût aussi certainement préféré pour son fils, le duc d'Orléans, l'alliance d'une princesse de la maison d'Autriche à celle de la nièce de Clément VII, petite-fille d'un banquier de Florence. Mais comment s'étonner des soupçons de l'empereur, lorsque les paroles et les actes du roi de France étaient en contradiction perpétuelle ?

L'année 1533 vit se terminer cette courte période d'essais de rapprochements, faits d'un côté au moins avec les apparences de la mauvaise foi, et accueillis de l'autre avec une froide réserve. Alors Charles-Quint détruisit toutes les espérances de François Ier, relativement au Milanais, en organisant une nouvelle ligue défensive des puissances italiennes. Alors, François Ier, pour détacher Clément VII de cette ligue, lui offrit sérieusement d'accomplir le mariage du duc d'Orléans et de Catherine de Médicis, mariage qu'il ne lui avait présenté jusque là que comme un leurre. Alors aussi, ce prince, sortant des promesses un peu vagues qu'il avait faites aux protestants d'Allemagne, conclut avec eux une véritable alliance offensive, qui eut pour conséquence l'expulsion des Autrichiens du Wurtemberg ; alors, enfin, l'assassinat de Merveille fit reprendre aux deux grands rivaux l'attitude belliqueuse dont ils s'étaient momentanément départis.

Charles-Quint, se rendant en Espagne après avoir repoussé Soliman de l'Allemagne, avait exprimé le désir d'une seconde entrevue avec Clément VII dans la ville de Bologne. Là, il lui présenta trois projets qui concernaient : le premier, la pacification religieuse de la chrétienté au moyen d'un concile ; le second, la défense commune de l'Italie contre le Turc ; le troisième, enfin, l'organisation d'une confédération italienne destinée à empêcher toute intervention étrangère dans les affaires de la Péninsule. Dès l'époque du traité de Cambray, il avait conclu une alliance semblable avec le pape, les Vénitiens et le duc de Milan, pour la garantie réciproque de leurs possessions dans cette contrée. Mais outre que les alliés de ces quatre puissances n'y étaient point assez clairement compris, il avait oublié d'y faire une mention spéciale de la république de Gênes, qu'il avait précédemment rendue à la liberté. Un oubli non moins fâcheux avait été commis relativement à cette république dans le traité de Cambray lui-même. Il n'était pas douteux pour tout homme de bonne foi que François Ier n'eût alors promis d'y renoncer, puisqu'il s'était engagé en termes généraux à ne plus intervenir désormais dans les affaires d'Italie. Mais, comme cet Etat n'avait point été nommé particulièrement, François Ier prétendait qu'il était en droit de faire valoir sur lui certaines prétentions, dont l'abandon n'était pas compris, disait-il, dans les conventions de Madrid et de Cambray[11]. De là, pour les Génois, une foule de vexations bien propres à faire présager qu'il commencerait par eux ses nouvelles agressions. Charles-Quint voulait intéresser toute l'Italie à leur défense, en les faisant comprendre dans la ligue des puissances italiennes. Il s'adressa donc au pape et le sollicita vivement à une nouvelle alliance défensive, pour confirmer la première, en rendant plus clairs les points que celle-ci avait laissés obscurs.

Les cardinaux de Tournon et de Grammont venaient précisément d'être envoyés à Rome par les rois de France et d'Angleterre. Ces deux monarques avaient eu quelques mois plus tôt une entrevue à Boulogne. On pense bien qu'Henri VIII, malgré la présence du fils aîné de l'Eglise, y avait laissé éclater toute sa colère contre le Saint-Siège. François Ier parut partager ses ressentiments. Il reçut ses plaintes et doléances, et y joignit les siennes. Ils parlèrent beaucoup de concile, tout en se promettant bien de s'opposer à la convocation de celui que Charles-Quint voulait obtenir du pape. Ils firent de beaux projets de s'aider réciproquement et d'imposer la loi à quiconque ne serait pas leur ami se disant que eux deux ensemble, avec leurs amitiés ouvertes et secrètes, pourraient faire un tel effort qu'il serait bien difficile d'y résister[12]. Enfin, ils nommèrent les deux cardinaux dont nous avons parlé leurs représentants communs, pour porter au pape un message que l'on devait rendre menaçant, à moins que Clément VII ne s'adoucît sur l'affaire du divorce.

Mais nos cardinaux, arrivés à Bologne, y prirent un tout autre ton que ce langage impérieux et hautain dont on était convenu. Iceux cardinaux, quand ils entendirent à leur arrivée comment les affaires se portaient et combien il était à craindre que, s'ils alléguaient audit Saint-Père tout le malcontentement des roys, ils lui augmentassent son désespoir, et que l'empereur, au moyen de ce, le fist précipiter à sa dévotion et en faire à son appétit contre le roy d'Angleterre — chose qui l'aigrît plus fort et dont s'ensuivît un trouble dans toute la chrétienté —, se délibérèrent d'entrer à l'exécution de leurs instructions par le dernier article d'icelles, et au lieu de commencer par la voie de rigueur et de finir par douceur, ainsi qu'il leur était ordonné, prindrent le chemin du tout contraire[13]. Si contraire, en effet, qu'ils sollicitèrent son arbitrage dans la querelle de leur maître avec les Génois, puis lui firent la demande officielle de sa nièce pour le duc d'Orléans. Clément VII en ressentit la joie la plus vive ; et lorsque Charles-Quint lui fit ensuite la proposition, bien plus conforme aux intérêts italiens, d'arranger le mariage de cette jeune princesse avec François Sforza, duc de Milan, le pape répondit par un refus dédaigneux. En même temps, il chercha des prétextes pour ne point accéder au projet de ligue, alléguant, tantôt qu'il voulait se réserver les fonctions d'arbitre, tantôt qu'il fallait d'abord y engager les Vénitiens, sans quoi cette ligue ne serait pas assez forte pour offrir des avantages véritables. Les Vénitiens furent, en effet, sollicités d'y entrer ; mais ils s'y refusèrent. La conscience d'une faiblesse que les autres puissances ne soupçonnaient point encore, les déterminait à conserver désormais une exacte neutralité dans les querelles des princes chrétiens.

Cependant Clément VII, malgré sa partialité pour les Français, n'eut pas la fermeté de résister à la puissance impériale : il finit par accepter ce projet de ligue, en y apportant quelques modifications, dont l'historien du Bellay a beaucoup exagéré l'importance[14]. Le pape, l'empereur, en sa qualité de roi de Naples, les ducs de Milan, de Ferrare, de Mantoue, les républiques de Gênés, Lucques et Sienne, y figuraient comme parties contractantes. En voici les principales conditions : chacune des puissances coalisées doit fournir son appui aux autres pour maintenir leur indépendance contre toute domination étrangère, dans les limites territoriales qu'elles possèdent au moment du traité ; une somme d'argent, dont le chiffre total est fixé et réparti proportionnellement aux ressources supposées des divers Etats contractants, sera immédiatement versée dans le trésor de la confédération ; s'il survient quelque guerre intéressant l'Italie, chaque puissance sera de plus taxée mensuellement à une certaine somme indiquée aussi dans le traité. L'empereur est censé momentanément acquitter pour le compte de la ligue tout ce qu'il paie pour la défense et la garde du duché de Milan. Une contribution annuelle pour soudoyer des troupes allemandes est ajoutée à la contribution mensuelle. Les confédérés auront aussi une flotte. Antonio de Leyva est nommé capitaine-général de la ligue. Il sera assisté de deux commissaires, nommés l'un par l'empereur, l'autre par le pontife. Le duc de Florence sera maintenu dans son duché. Le duc de Savoie pourra entrer dans la ligue, s'il le demande, etc., etc. En même temps le pape s'engageait par un autre acte, signé trois jours avant la conclusion de cette ligue[15], à convoquer un concile pour régler les différends religieux de la chrétienté, à s'unir à l'empereur pour repousser les attaques des Turcs, à empêcher toute puissance étrangère d'intervenir dans les affaires de l'Italie, et dans le cas où sa nièce épouserait le fils de François Ier, il devait tâcher de rendre ce prince favorable à la convocation du concile, lui imposer la stricte observation des traités de Madrid et de Cambray, enfin le faire consentir à l'annulation du nouveau mariage qu'Henri VIII venait de contracter.

Ces deux traités semblaient détruire toutes les espérances que François Ier avait conçues en se rapprochant du pape. Mais Clément VII, qui dans l'art des intrigues ne connaissait point de maître[16], sut persuader à ce monarque qu'ils lui étaient plus avantageux que préjudiciables : mille et mille incidents divers pourraient plus tard en entraver l'exécution ; mais le licenciement de l'armée impériale serait immédiat. Des promesses destinées à rester sans effet payaient-elles trop cher une telle concession ? Les négociations pour le mariage du duc d'Orléans continuèrent, et l'on convint d'une entrevue entre les deux souverains.

Nice, ville intermédiaire entre la France et les Etats pontificaux, fut d'abord choisie pour en être le théâtre. Mais ils exigeaient que le duc de Savoie, dans les domaines duquel elle était comprise, leur laissât les clefs de la ville et celles de la citadelle pendant toute la durée des conférences. Le duc de Savoie avait plus d'un motif de se défier de François Ier. Il savait que ce prince, héritier de Louise de Savoie, élevait des prétentions sur une partie considérable de son duché. De plus, il avait conscience de l'avoir offensé, en acceptant de l'empereur le comté d'Asti après le traité de Cambray. La loyauté de François Ier pouvait être à juste titre suspectée, après tant de serments aussitôt violés que prêtés. N'avait-on pas à craindre qu'une fois maître du château et de la ville de Nice, il ne voulût s'y établir et ne s'en prétendît le seigneur légitime ? Le duc de Savoie crut qu'il lui serait dangereux de les laisser, même pour quelques jours, au pouvoir de son neveu[17]. Clément VII, pour lever tout obstacle et flatter la vanité de son nouvel allié, qui n'était que trop accessible à toute espèce de flatterie, lui offrit de se rendre lui-même à Marseille. François Ier accepta avec un extrême empressement. Le mariage projeté y eut lieu au milieu d'une grande pompe. Clément VII y réitéra toutes ses protestations d'amitié pour le roi, et l'on assure qu'il promit comme dot à l'époux de sa nièce trois joyaux d'un prix inestimable, la souveraineté de Florence, le duché de Milan et le duché d'Urbin. D'autres ajoutent qu'il fut le premier à conseiller à François Ier de s'ouvrir un chemin jusqu'au centre de la Haute-Italie, en attaquant d'abord les domaines du duc de Savoie. Quoi qu'il en soit, François Ier dans cette entrevue se montra, suivant sa coutume, fort peu exigeant sur tout ce qui ne concernait pas ses propres intérêts. Il avait promis à Henri VIII de défendre sa cause avec la plus grande énergie. Mais la conduite hautaine des ambassadeurs de ce prince lui fournit, pour l'abandonner, un prétexte plausible : il annonça à Clément VII qu'il ne lui saurait pas mauvais gré de suivre dans toute cette affaire les règles prescrites par les canons[18]. Clément VII, se voyant libre de satisfaire l'empereur, au moins sur ce point ; jugeant d'ailleurs contraire à la dignité pontificale de supporter plus longtemps le scandale que le mariage du roi d'Angleterre avec Anne de Boleyn donnait au monde chrétien, mit un terme aux longues irrésolutions dans lesquelles l'alliance des deux rois l'avait entretenu. A peine de retour en Italie, il assembla un consistoire et y lança l'anathème contre cet ancien défenseur de la foi, devenu rebelle au Saint-Siège. Alors eut lieu la séparation définitive de l'Angleterre et de l'Eglise catholique.

Pendant ces négociations de Bologne et de Marseille, Milan était le théâtre d'autres intrigues aujourd'hui encore environnées de mystères et dont le dénouement fut tragique. Un gentilhomme milanais, nommé Merveille, après avoir longtemps résidé en France, était revenu dans sa patrie, chargé, dit-on, d'une mission secrète de François Ier pour le duc de Milan. Quel était au juste l'objet de cette mission, et qui l'avait provoquée ? Suivant du Bellay[19], François Sforza lui-même avait sollicité du roi de France l'envoi de cet agent, au moyen duquel se pourraient guider beaucoup de bonnes choses. Toutefois, il exprimait le vœu que le but du voyage de Merveille demeurât secret, pour que l'empereur n'en prît point ombrage. Mais François Ier ne se prétendait-il point le souverain légitime du duché de Milan ? Quel motif Sforza pouvait-il donc avoir de chercher à établir des relations politiques avec lui, sans l'aveu de son ancien protecteur, dont l'appui lui était toujours si nécessaire ? S'il tenait à l'alliance du roi dans le seul espoir que celui-ci abandonnerait ses prétentions au duché de Milan, pourquoi craignait-il tant que Charles-Quint n'eût connaissance de ses démarches ? Pourquoi demanda-t-il instamment que Merveille lui fût recommandé simplement comme un gentilhomme séjournant en Italie pour ses intérêts privés ? Mais admettons comme faits avérés toutes ces invraisemblances, adoptées sans examen par les historiens, d'après du Bellay[20], et suivons son récit pas à pas.

L'empereur, très-méfiant de sa nature, ne tarde pas à apprendre le but caché du voyage de Merveille à Milan. Irrité, -il menace Sforza de rompre tout projet de mariage entre lui et sa nièce, qu'il lui avait promise,, et Sforza, qui s'est attiré si imprudemment la colère impériale, n'imagine rien de mieux qu'un lâche assassinat pour effacer le souvenir de son ingratitude. Il aposte un certain Castillon, avec mission de provoquer et d'insulter Merveille. Celui-ci, poussé à bout, fait tuer l'offenseur par ses gens. Le duc saisit ce prétexte et ordonne d'arrêter l'agent français. On viole toutes les règles de procédure usitées dans le duché de Milan. En vain Merveille présente sa justification par écrit ; on la déchire sans vouloir y jeter les yeux. Il est jugé, condamné, exécuté dans la même semaine.

Quoi qu'il en soit, François Ier parut très indigné et demanda satisfaction immédiate de l'attentat commis sur son ambassadeur. Sforza répondit qu'il avait toujours regardé Merveille comme un simple particulier, son sujet, et non point comme un agent au service de la France. Charles-Quint intervint en faveur de Sforza. Il annonça qu'il l'obligerait, s'il était nécessaire, à donner au roi toutes les satisfactions équitables. Mais il refusa d'admettre que Merveille eût jamais eu le caractère inviolable d'un ambassadeur, et il déclara qu'il considérerait toute attaque à main armée contre le Milanais comme une violation des traités de Madrid et de Cambray. Peut-on l'en blâmer ? Comme suzerain du duc de Milan, il lui devait sa protection contre toute tentative spoliatrice. C'était à lui-même qu'il fallait s'adresser, à son jugement qu'il fallait recourir pour obtenir justice, si son vassal avait réellement violé le droit des gens par la condamnation de Merveille. Mais on ne pouvait pas non plus raisonnablement exiger que Charles-Quint considérât ce meurtre comme une violation du droit des gens, et la victime comme un véritable ambassadeur couvert de l'inviolabilité qui s'attache à ce genre de fonctions. En effet, ce qui constitue surtout le caractère d'un ambassadeur, c'est la publicité de la mission pour laquelle il est accrédité. Merveille, dont la mission n'avait pas eu cette publicité, n'était à tout prendre qu'un agent secret, une sorte d'espion à la solde du roi de France. Mais, dira-t-on, Sforza ne pouvait le considérer comme tel, puisqu'il avait été officiellement instruit du but de son séjour à Milan. J'admets que François Ier eût une cause légitime d'attaquer Sforza. Mais en envahissant le Milanais, l'attaquait-il seul ? La suzeraineté féodale n'admettait-elle point celui qui avait donné l'investiture d'un fief à en partager la souveraineté avec celui qui l'avait reçue ? François Ier n'aurait-il point dû notifier à Charles-Quint la mission de Merveille ? et, dès qu'il ne l'avait point fait, l'empereur était-il obligé de voir dans la condamnation juridique du meurtrier autre chose que le juste châtiment d'un assassinat ?

C'était en ce moment même que le landgrave de Hesse et le duc Ulrich de Wurtemberg, secourus par le roi, mettaient en péril la domination autrichienne en Allemagne, et que le corsaire Barberousse, appelé, disait-on, par lui, ravageait effroyablement les côtes du royaume de Naples et de la Sicile, avant d'aller conquérir Tunis. François Ier lui-même se mettait évidemment sur le pied de guerre, en ajoutant à ses forces militaires sept nouvelles légions de paysans recrutés sur la frontière de ses Etats (1534, juillet). Qu'il eût ou qu'il n'eût pas sujet d'être vivement irrité contre Sforza, cette alliance systématique avec les ennemis de l'empereur, fussent-ils hérétiques, Musulmans ou pirates, cette précipitation à s'armer lorsqu'il n'était menacé par personne, son refus absolu de recevoir les satisfactions qui lui étaient offertes au sujet de Merveille, tout annonçait bien qu'il cherchait depuis longtemps un prétexte pour fondre de nouveau sur l'Italie, et qu'il était ravi de l'avoir enfin trouvé. Après Madrid, il avait allégué, pour justifier son manque de foi, l'ennui de la captivité et les rigueurs qui lui avaient extorqué ce serment. Mais, après Cambray, une pareille excuse n'était plus possible ; car il était bien libre le jour où, renouvelant solennellement toutes les promesses du traité de Madrid qui ne concernaient point l'abandon de territoires situés en France, il avait obtenu à ce prix une paix qu'il eût dû trouver avantageuse dans l'état désespéré de sa fortune. La mort de Merveille lui fournit un moyen de publier partout que, s'il rompait les anciennes conventions, il y était forcé par la perfidie de ses adversaires.

Cependant il s'écoula presque deux ans entre le jour où il leva décidément le masque et celui où l'empereur se détermina enfin à repousser ses agressions les armes à la main. Ce long intervalle de temps fut rempli par de nouvelles négociations où les deux rivaux reparurent avec leur caractère habituel ; l'un, égoïste et peu scrupuleux, obstiné à recouvrer ce qu'il avait déjà abandonné deux fois, plus exigeant à mesure qu'on paraissait lui céder davantage ; l'autre, défiant et plein d'hésitation, partagé entre plusieurs sentiments contraires jusqu'au moment où la colère ou bien la nécessité lui fit prendre un parti décisif ; au fond plus ami de la paix que son adversaire, et bien moins désireux d'étendre encore une domination dont la grandeur lui pesait que de fermer à François Ier le chemin pour agrandir la sienne.

Les incertitudes de Charles-Quint commencèrent au moment même où s'ouvrit cette nouvelle série de négociations. Par instants, il s'irritait et voulait faire avertir le roi de France que les tentatives d'intimidation lui réussiraient mal. Et si veez la conjoncture, écrivait-il à son ambassadeur en France[21], pourrez dire, comme de vous-même, que ces moyens qu'il semble estre pour nous vouloir contraindre, sont bien loing du chemin qu'il faudroit tenir pour arriver à une plus estroite intelligence, amitié ou traité, et que nous ne voulons ny sommes pour estre induicts par ce bout, mais plus tôt par douceur, et que par trop mieulx seroit délaisser cette voie qui ne peut estre bienséante, juste ni raisonnable. Mais le sentiment qui dominait le plus souvent chez lui, c'était le désir de conserver la paix, même au prix de quelques concessions. C'était aussi celui de son chancelier Granvelle, qui faisait des efforts constants pour maintenir l'alliance des deux princes, comme si ce fust esté pour gagner paradis[22].

François Ier demandait qu'on lui livrât le Milanais, et qu'on cédât en échange à François Sforza le marquisat de Montferrat, retombé depuis quelques années dans le domaine de l'empire. Charles-Quint répondit qu'il ne savait à quel caprice attribuer cette proposition si étrange. Quand François Sforza, par sa trahison, s'était rendu digne des châtiments les plus sévères, le roi de France n'avait-il pas pris les armes pour empêcher qu'on ne le dépouillât ? Fallait-il donc maintenant, pour lui complaire, punir cet ancien rebelle de n'avoir point persévéré dans son infidélité ? L'empereur donna pourtant à son ambassadeur la faculté de proposer au roi, s'il en était besoin, le paiement par François Sforza d'une pension annuelle au duc d'Orléans[23]. Mais les prétentions de François Ier devenaient plus grandes à mesure que son rival paraissait plus disposé à transiger. Tous les - jours, c'étaient des exigences nouvelles, manifestées tantôt à l'occasion de la venue de Barberousse, tantôt par suite de la tournure moins favorable pour l'empereur que prenaient les affaires d'Italie[24]. Charles-Quint se détermina plus fortement que jamais à ne pas ouvrir l'entrée de cette péninsule au roi de France.

Mais comme François Ier se bornait encore aux menaces et aux intrigues, comme au contraire Barberousse, dont les dévastations sanglantes avaient déjà jeté la terreur dans toute l'Italie, maître maintenant de Tunis, y faisait avec une prodigieuse rapidité les préparatifs d'une nouvelle incursion maritime, il résolut d'aller d'abord attaquer ce repaire de pirates, et cet acte, imprudent en apparence, était, en réalité, conforme à la plus habile politique. Il était digne du prince qui s'intitulait le protecteur de l'Eglise, de ne point hésiter, quand même ses ennemis particuliers pourraient profiter contre lui de son absence, à se faire le champion des intérêts généraux de la chrétienté si fortement engagés à la ruine de la puissance de Barberousse. Par là il devait donner un démenti formel à ses adversaires, qui l'avaient tant de fois accusé d'aspirer uniquement à la monarchie universelle de la chrétienté. Par là aussi il mettait le roi de France dans l'alternative de suspendre ses préparatifs de guerre jusqu'à l'issue de cette expédition, ou de se rendre odieux à tous les Etats chrétiens par le contraste de sa conduite et de celle de son rival. Sylla, dans l'antiquité, imagina, dit-on, d'écraser Marius sous le poids des lauriers qu'il cueillerait sur les ennemis de Marius. Charles-Quint, non moins habile, s'en allait délivrer parmi tant d'autres captifs, retenus dans les fers par Barberousse, les sujets de François Ier, esclaves de ce corsaire, tandis que François Ier rompait les traités dont il avait solennellement juré l'observation[25].

Après avoir pris Tunis, l'empereur avait l'intention de passer immédiatement à Alger. La prise de cette ville eût enlevé aux Turcs tout le bassin occidental de la mer Méditerranée. La Sicile, Tunis et Malte, récemment cédée aux chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem, en auraient défendu contre eux les abords. Le nombre des points par lesquels ils pouvaient attaquer la chrétienté eût été considérablement réduit. Mais le mauvais état de son armée, joint à la longueur du chemin et aux inconvénients de la saison, détermina Charles-Quint à ajourner cette expédition à une époque prochaine[26], et lorsqu'il remettait à peine le pied dans le royaume de Naples, des nouvelles graves le contraignirent d'abandonner momentanément son projet.

François Ier, comme Charles l'avait sans doute pensé, n'osa troubler l'expédition contre Tunis, de peur de s'attirer la haine de tous les princes chrétiens. Pour commencer ses attaques, il attendit que son rival fût revenu vainqueur, mais épuisé par sa victoire même. Clément VII lui. avait conseillé, dit-on, dans l'entrevue de Marseille, de s'assurer de la Savoie avant de passer dans le Milanais. Suivant les historiens français, il demanda d'abord au possesseur de ce duché passage par ses Etats pour aller châtier Sforza, et c'est sur son refus seulement qu'il voulut le dépouiller. Mais l'historien de Savoie, Guichenon, assure que le duc accorda sans hésiter, et de la meilleure grâce du monde, ce qu'il n'eût pu refuser sans danger[27]. Du reste, François Ier trouva facilement un autre prétexte pour satisfaire son ambition aux dépens de ce pauvre prince. Sa mère, Louise, fille, comme le duc de Savoie, de Philippe de Bresse, mais issue d'un premier mariage, avait renoncé par un acte authentique, signé le 10 septembre 1523[28], à tous les droits qu'elle pouvait exercer et contre son frère lui-même et contre toute la maison de Savoie. Cependant, François Ier, revenant sur cet acte de sa mère, réclama la majeure partie du duché, alléguant divers titres dont les uns n'avaient aucune valeur, tandis que les autres, plus importants, n'étaient justifiés par aucune pièce authentique. Guillaume Poyet, président du parlement de Paris, fut envoyé au duc qui séjournait alors à Turin, pour lui exposer ces diverses prétentions et pour demander que son maître fût mis préalablement en possession de plusieurs provinces. François Purpurat, président du conseil du Piémont, entendit ses allégations, les réfuta aussitôt et lui montra la vanité des titres sur lesquels il se fondait : Il n'en faut plus parler, répliqua brusquement Poyet ; le roi le veut ainsi. A quoi Purpurat répondit qu'il ne trouvait pas cette loi dans ses livres.

François Sforza mourut sur ces entrefaites, sans laisser d'héritiers (24 octobre 1535). Son duché fut mis sous le séquestre de l'empire, et Antonio de Leyva l'occupa militairement au nom de son maître. Le roi de France perdait par cette mort le prétexte sur lequel il avait compté pour reconquérir le Milanais ; il n'en fut que plus déterminé à poursuivre ses prétentions contre le duc de Savoie. Une armée française entra dans les domaines de ce prince et y fit des conquêtes rapides, sans trouver nulle part de résistance sérieuse.

La mort de François Sforza permettait à Charles de disposer à son gré du Milanais, sans subir la honte de révoquer injustement une investiture accordée par lui-même. Après quelques jours d'une irrésolution facile à comprendre, il ordonna à Granvelle, son chancelier, de lui présenter un mémoire sur cette question délicate. Voici le résumé de ce mémoire[29] :

Le meilleur parti que l'empereur puisse prendre, c'est de garder quelque temps le Milanais sous le séquestre et d'en investir ensuite ou lui-même ou quelque prince de sa famille. Mais dans le cas où il voudrait en disposer immédiatement, il y aurait lieu d'examiner s'il vaudrait mieux choisir un Italien, ou si le parti le plus utile serait d'en traiter avec le roi de France et avec ses enfants. Dans le premier cas, il faudrait avoir soin d'unir entre elles les puissances italiennes au moyen d'une ligue très étroite ; dans le second, il faudrait obliger le roi à abandonner toute prétention personnelle sur les diverses parties de l'Italie, à ratifier les traités de Madrid et de Cambray, à prêter assistance à l'empereur pour faire convoquer un concile à Mantoue, pour ramener le royaume d'Angleterre dans l'obéissance de l'Eglise romaine, pour défendre la chrétienté contre les attaques des Turcs, etc., etc. Mais, même à ces conditions, il y aurait de grands inconvénients pour l'empereur à fixer son choix sur le duc d'Orléans. Ce serait fournir à ce prince, époux d'une princesse italienne, un pont et eschelle pour de là passer à Naples. Le choix du duc d'Angoulême, troisième fils de S. M. T. C., conviendrait beaucoup mieux, d'autant plus qu'on pourrait le marier, soit avec la nièce de S. M. I., veuve de Sforza, soit avec sa fille naturelle, veuve d'Alexandre de Médicis. Encore le gouvernement du duché devrait-il demeurer entre les mains de l'empereur jusqu'à la consommation du mariage ; il se réserverait ensuite un certain nombre de châteaux, dont les commandants seraient à sa disposition, au moins jusqu'à ce que le duc d'Angoulême eût atteint l'âge de vingt-sept ans, etc., etc.

Après avoir examiné ces divers partis, Charles-Quint arrêta son choix sur le duc d'Angoulême, et il fit annoncer par Granvelle à l'ambassadeur de France, Vély, qu'il ne disposerait point du duché de Milan avant d'avoir eu connaissance des intentions du roi[30]. Vély, charmé de cette ouverture inespérée, fit répondre à l'empereur que le roi, son maître, se lierait bien volontiers avec lui de la manière la plus étroite, s'il était satisfait sur ce point. Alors, Granvelle déclara à l'ambassadeur français que l'empereur donnerait l'investiture du Milanais au duc d'Angoulême, si le roi de France voulait s'unir avec lui contre le Turc, contre les protestants d'Allemagne et contre le roi d'Angleterre, s'il renonçait à la seigneurie de Gênes et s'il abandonnait le projet de troubler l'Italie. L'ambassadeur fit part de cette offre séduisante à son souverain. Mais celui-ci, parfaitement disposé d'ailleurs à sacrifier ses alliés, le Turc, les protestants d'Allemagne et le roi d'Angleterre, demanda en retour l'investiture pour son second fils, le duc d'Orléans. Ce prince renoncerait, du reste, aux duchés de Florence et d'Urbin ; lui-même renouvellerait ses renonciations à la couronne de Naples, mais il maintiendrait ses prétentions sur le duché de Savoie. — Quelque restreintes que fussent ces concessions, il parut bientôt s'en repentir. En effet, il demanda à être investi lui-même du Milanais au moins comme usufruitier, ayant le bail et jouissant des fruits au nom de ses enfants, ducs titulaires.

Charles-Quint ne pouvait accepter de telles conditions. Il savait par expérience combien les renonciations faites par un roi de France ou par ses héritiers étaient peu propres à servir de frein à leur ambition. De vaines promesses suffisaient-elles pour lui garantir que le duc d'Orléans, une fois maître du Milanais, ne chercherait point à faire valoir ses droits et ceux de sa femme sur d'autres parties de la Péninsule italique ? D'ailleurs, il le jugeait trop près du trône de France, le dauphin, son frère aîné, étant encore fort jeune et sans enfants. Il prit dès l'origine le parti de ne point accorder à ce prince l'investiture qu'il avait offerte de lui-même pour le duc d'Angoulême. Toutefois, il ne voulut pas rompre immédiatement avec le roi, dont les préparatifs de guerre étaient alors à peu près terminés. Il résolut de l'amuser par des négociations nouvelles jusqu'au moment où il pourrait lui opposer une force militaire au moins égale à la sienne. Alors il lui présenterait, en lui ordonnant de choisir sans délai, d'un côté l'offre du Milanais pour son troisième fils, de l'autre la menace d'une guerre à outrance. Le 23 janvier 1536 (1535, ancien style), il écrivait de Naples à son ambassadeur en France, le vicomte Hannart[31] : Et vous voulons bien advertir confidemment que nous ne véons moyen quelconque par où puissions prendre pied qu'il soit conduisable de traicter du dict Estat pour ledict duc d'Orléans avec les seuretés nécessaires et contentement de la dicte Italie. Et toutefois, enfin, se véez qu'il n'y eust moyen quelconque d'incliner ledit seigneur roy de venir à traiter pour ledit seigneur d'Angoulême, en quoy toutefois, comme il nous semble, à ce que l'on a pu conjecturer des propos dudict ambassadeur, il se condescendra, vous à l'extrême ne rompez la pratique, non pas que notre intention soit de besogner pour le dict seigneur d'Orléans, actendu ce que dessus, mais pour gagner temps et veoir à ceste nostre prouchaine allée à Rome ce que nous aurons à faire, selon les termes que le dict roy de France tiendra.

Cette lettre confidentielle de l'empereur nous apprend trois choses, importantes toutes trois pour éclaircir sa conduite dans cette série de négociations : l'espérance que lui avait donnée Vély de voir le roi de France accepter enfin l'investiture du duché de Milan pour le duc d'Angoulême ; la détermination à peu près complète où il était de ne point l'accorder au duc d'Orléans, et les motifs de cette détermination, entre lesquels figurait la crainte de mécontenter les puissances italiennes. Le pape, en particulier — du Bellay lui-même l'avoue —, considérait l'établissement éventuel du duc dans le Milanais comme un grave danger pour tous les Etats de la Péninsule. De là, sans doute, cette répugnance de l'empereur à prendre un parti définitif avant son arrivée à Rome, où il comptait s'instruire à fond des intentions du pontife.

Du reste, les délégués de Charles-Quint venaient à peine d'annoncer à l'ambassadeur Vély que leur maître accorderait peut-être l'investiture du Milanais à l'époux de Catherine de Médicis[32], lorsqu'arriva la nouvelle de l'irruption des Français en Savoie. L'ambassadeur français, si l'on en croit du Bellay, reçut alors communication d'une lettre de Charles-Quint à son souverain. Elle renfermait en substance que depuis cette difficulté vuidée, l'empereur avait eu telles nouvelles du traitement que le roy faisoit au duc de Savoie que, si plus tost il les eust entendues, jamais ne se fut condescendu à dire le mot ; mais puisqu'il estoit dit, c'estoit assez, et que l'empereur, espérant que par un même moyen s'appoincteroient les choses de Savoie, ne s'en desdiroit jamais. Le roi de France n'en continua pas moins ses conquêtes aux dépens du duc ; devenu maître de la Savoie proprement dite, il fit envahir le Piémont par ses lieutenants.

Les négociations ne furent pourtant pas interrompues r mais chaque jour le ton des négociateurs devenait plus aigre. L'empereur ne dissimulait point qu'il se considérait comme attaqué lui-même dans la personne de son beau-frère. Vély cherchait à lui persuader que la querelle du roi avec le duc de Savoie n'avait rien de commun avec l'affaire du duché de Milan, et il le pressait avec importunité de régler ce dernier point. Du reste, l'ambassadeur français ne tenait jamais deux fois de suite le même langage sur les conditions de l'investiture. Granvelle lui en fit publiquement le reproche au nom de l'empereur. Ne semble-t-il pas, en effet, ajouta-t-il, que vous ayez dessein de vous montrer toujours exigeant à mesure que l'on paraîtra plus enclin à vous satisfaire ?

Lorsque l'empereur et l'ambassadeur du roi de France, qui l'avait suivi, se furent rendus de Naples à Rome, où, comme nous l'avons vu, Charles-Quint se proposait d'adopter une résolution définitive, l'attitude du pape montra combien il redoutait l'établissement du duc d'Orléans dans le Milanais. Ce pontife, pressé par Vély[33], finit par déclarer que de parler du duc d'Orléans, il n'y avoit aucune raison, et quant à luy il estoit père universel et devoit penser à la tranquillité d'Italie aussi bien qu'à celle du royaume de France. Dans une autre conférence, il est vrai, vaincu par les instances multipliées de l'ambassadeur, il promit d'intercéder auprès de l'empereur pour qu'il fixât son choix sur ce jeune prince. Mais il déclara en même temps .que toutes. ces démarches seraient en pure perte ; car, lors même que l'empereur voudrait bien investir le duc d'Orléans du Milanais, il serait nécessaire de consulter auparavant les Vénitiens, et ceux-ci n'y consentiraient point. Les Vénitiens avaient alors, en effet, fort peu de sympathie pour le roi de France, et l'on ne s'en étonnera pas, si l'on se rappelle la lâche perfidie avec laquelle il les avait autrefois sacrifiés.

L'empereur était désormais sûr que l'opinion du pape et des Vénitiens s'accordait avec la sienne : il retira ses offres au sujet du duc d'Orléans avec d'autant moins de scrupule que le roi de France, en les rejetant, l'avait en quelque sorte affranchi de l'obligation de les maintenir.

Le roi, comme nous l'avons déjà dit, n'avait cessé de mettre .en avant des prétentions nouvelles, à mesure que ses succès en Savoie et en Piémont éveillaient de plus en plus en lui l'espoir d'intimider son adversaire. Aussi, Vély ayant insisté trop vivement pour que l'empereur revînt à ses anciennes propositions, celui-ci, piqué, lui demanda tout en colère s'il avait pouvoir et mandement de traiter au nom du roi, son maistre. L'ambassadeur français fut forcé de répondre qu'il n'avait point reçu de pouvoir semblable, et que tel n'était point l'objet de sa mission. Et comme il voulait développer sa réponse, l'empereur, irrité, l'interrompit en disant : Comment donc pouvez-vous dire que je vous donne seulement des paroles ? n'est-ce point vous, au contraire, qui m'en avez donné ? Je vous le dis donc maintenant, vous n'obtiendrez rien de moi, sur cette investiture, que vous ne m'ayez montré votre pouvoir.

Le lendemain il éclata plus violemment encore devant le pape et le consistoire réunis, en présence des ambassadeurs français et de ceux de la république de Venise. Il est à remarquer toutefois que, dans ce discours célèbre, il offrait toujours de donner l'investiture du Milanais au duc d'Angoulême.

Le jour suivant, il avait recouvré son sang-froid, et il désavoua les expressions qui, la veille, avaient paru généralement trop dures et trop menaçantes. Mais il déclara de nouveau qu'il n'avait plus l'intention d'investir le duc d'Orléans du Milanais, et il motiva ce changement de détermination sur l'opposition invincible de tous ses alliés et confédérés d'Italie. Le pape, qui cette fois encore se trouvait présent, confirma cette allégation par son silence. Vély essaya de répondre : il ne voyait pas sans surprise, dit-il, qu'on prétextât l'opposition des confédérés, quand jusqu'alors il n'en avait point été fait mention. C'était là une objection assez bizarre, puisqu'il n'y avait eu, d'un côté, que des promesses conditionnelles, et que, de l'autre, elles n'avaient point été acceptées. Charles-Quint, se tournant alors vers Io pontife, dit avec une certaine impatience : N'est-il pas beau que je doive prier le roi de France d'accepter le duché de Milan pour l'un de ses enfants, et que, bien que ces enfants n'aient pas la reine, ma sœur, pour mère, on veuille me contraindre de leur donner tel partage qu'il plaira à autrui de me désigner.

Il est assez remarquable que François Ier, dont les exigences avaient été sans bornes, quand son rival paraissait vouloir lui complaire, changea de manière d'agir dès qu'il lui vit une attitude menaçante. Il avait envoyé, quelques jours auparavant, le cardinal de Lorraine en mission vers l'empereur. Il apprit — d'une manière, il est vrai, un peu vague et confuse — les propos que ce prince avait tenus sur lui dans le consistoire de Rome, et cependant il ne contremanda point le nouvel ambassadeur, afin, dit du Bellay, qu'en tout événement il mist le bon droict de son costé, tant envers Dieu qu'envers le monde, et qu'il fust à chacun notoire et manifeste qu'il n'avait reculé à la paix ; ains se seroit mis en tous devoirs possibles de la demander. Il était devenu si scrupuleux, qu'il fit ordonner par le cardinal, aux chefs de son armée, de suspendre leurs hostilités dans le Piémont. Le cardinal joignit ensuite l'empereur à Sienne, et lui exposa sa mission. Le roi, son maître, disait-il, par amour pour la paix, voulait bien condescendre à la plupart des conditions exprimées par les ministres impériaux ; mais il demandait l'investiture du Milanais pour son second fils, et pour lui-même l'usufruit nominal de ce duché. Du reste, il promettait de se dessaisir .de cet usufruit en faveur du duc titulaire. Le roi, ajoutait l'ambassadeur, proposait aussi à l'empereur une entrevue dans la ville de Mantoue. Charles répondit sans détours qu'il ne donnerait ni le Milanais au duc d'Orléans, ni l'usufruit direct ou indirect de cette province au roi de France. Il réitéra seulement ses propositions en faveur du duc d'Angoulême. François Ier croyait son amour-propre intéressé à ne les point accepter. Il les rejeta de nouveau ; les négociations furent rompues, et les armes furent, pour la troisième fois, appelées à décider si la domination française s'établirait dans le nord de l'Italie.

De ces longues négociations, dont le récit occupe tout un livre de l'histoire de du Bellay, nous pouvons, je crois, tirer les conclusions suivantes : l'empereur était sincère en proposant de donner le Milanais au duc d'Angoulême. Il manqua de franchise, lorsqu'il sembla consentir à remplacer le duc d'Angoulême par le duc d'Orléans. Mais eût-il été plus disposé à céder sur ce point, la résolution de ne rien accorder au-delà de ses premières offres eût été certainement entretenue chez lui par les dispositions des puissances italiennes, si peu favorables à la France, et par les preuves sans cesse répétées de la mauvaise foi de son rival. S'il conserva le Milanais, ce fut pour empêcher les Français d'en faire comme un poste avancé au milieu de l'Italie et de préluder ainsi à l'asservissement de la Péninsule tout entière. Nous verrons d'ailleurs que, dans la suite, il -offrit encore plus d'une fois de s'en dessaisir en faveur du prince français qu'il avait d'abord choisi. Trouvera-t-on étrange qu'alors aussi il ait demandé plus qu'une simple promesse de ne point se servir de ce présent contre lui-même et contre le repos général de l'Italie ?

Mais ne pouvait-il point, sans satisfaire le roi de France, prouver du moins son désintéressement personnel, en mettant en possession du duché contesté quelque prince italien, quelque nouveau François Sforza, Pierre Farnèse, par exemple, le fils bâtard de Paul III, que celui-ci lui proposa plus tard ? Il faut convenir qu'après les embarras de toute espèce où l'avait jeté, lors du traité de Cambray, ce système de conduite, il ne devait point se soucier de courir de nouveau les mêmes risques.

Le roi de France avait alors considéré sa modération comme une insulte ; les puissances italiennes ne lui en avaient pas tenu compte ; son vassal lui-même, celui qui lui devait tout et qui semblait n'exister que par lui, l'avait probablement trahi sur les plus légères avances de son ennemi ; et, lorsque la découverte de sa trahison l'avait mis dans la nécessité de rentrer dans le devoir, s'il voulait échapper à une ruine presque certaine, le moyen déplorable dont il s'était servi pour prouver sa fidélité avait fourni au roi de France un prétexte pour entamer de nouvelles querelles, pour chercher à venger ses anciennes défaites. D'ailleurs, livrer le Milanais à un prince italien, n'était-ce point le laisser prendre à François Ier, sans pouvoir s'attribuer le mérite de lui en avoir soi-même fait le présent ?

Le roi de France, en attaquant le duc de Savoie, s'était ouvert l'entrée de la Péninsule. Ses armées victorieuses n'étaient séparées de Milan que par quelques journées de marche. Qui pouvait lui en fermer les portes ? L'empereur seul. Il fallait qu'il rassemblât de nouveau dans ce duché de nombreuses garnisons, qu'il fît tous les frais nécessaires à sa défense. N'était-il pas juste que la souveraineté lui en appartînt, au moins jusqu'à la fin de la guerre, pour qu'il pût se faire indemniser de ces énormes dépenses ?

Charles-Quint, déterminé à rendre cette nouvelle lutte décisive, avait organisé contre la France une triple invasion. La Picardie, la Champagne, la Provence devaient être à la fois attaquées par les armées impériales. L'empereur se mit lui-même à la tête de l'armée de Provence. Suivant l'historien italien Jove[34], cette dernière expédition lui avait été conseillée surtout par le vieil Antonio de Leyva, qui se vantait de le conduire à la tête de ses troupes jusqu'à Paris, où il le ferait couronner roi de France ; Du Guast et Fernand de Gonzague, au contraire, s'y opposèrent vainement. Quoiqu'il en soit, Charles — il le déclara lui-même dans une de ses lettres au comte de Nassau[35], alors chargé de diriger l'invasion de Picardie —, avait surtout en vue de grever et adommager son ennemi, afin que celui-ci sentît l'effet de la guerre en son propre royaume. Il réussit en partie, puisque François Ier, pour empêcher les impériaux d'occuper une de ses plus fertiles provinces, fut obligé de la faire dévaster lui-même par ses propres sujets. Mais cette expédition ne fut pas moins funeste à l'empereur. Après avoir vu ses troupes décimées par la faim, par la fatigue, par les maladies, il fut contraint de faire avec elles une retraite précipitée, et elles eussent été anéanties si leur ennemi avait eu un peu plus d'audace. Le comte de Nassau échoua en Picardie devant Péronne, et l'invasion de la Champagne ne fut même pas entreprise. Alors survint un événement qui, arrivé plus tôt, aurait probablement empêché cette guerre et épargné à la France tant de souffrances, à l'empereur l'humiliation d'une défaite sans combat. Le dauphin, fils aîné du roi de France, mourut presque subitement. Son frère, le duc d'Orléans, époux de Catherine de Médicis, devenait par cette mort l'héritier présomptif du trône, et le duc d'Angoulême succéda au titre de duc d'Orléans. Le roi de France n'avait plus de motifs pour rejeter les anciennes propositions de l'empereur, et l'empereur devait avoir d'autant moins de répugnance à les renouveler qu'il pouvait s'attacher le second fils du roi, en lui donnant une de ses filles en mariage. Aussi les conseillers de Charles-Quint le pressèrent-ils d'offrir à son rival le Milanais pour le duc d'Orléans comme gage d'une nouvelle alliance[36]. J'ignore si Charles-Quint goûta d'abord ce conseil. Du Bellay l'accuse d'avoir, étant retiré en Espagne, persisté dans son accoustumée braverie, menaçant de retourner en France avec plus grande et puissante armée qu'il n'avait encore faict[37]. Mais s'il est vrai qu'il continuât à donner des preuves de son animosité au roi de France, ce dernier portait la sienne plus loin encore. François Ier, perdant en effet toute modération comme tout respect de soi-même, le traitait hautement d'empoisonneur du dauphin, le citait à comparaître, comme vassal de la couronne de France, devant le parlement de Paris, afin d'y répondre à une accusation de félonie, et le faisait condamner par défaut à perdre la Flandre et l'Artois[38]. Enfin n'ayant point assez de forces pour satisfaire par lui-même son désir de vengeance, il ramenait les Turcs dans l'Europe occidentale, et se faisait le complice de leurs effroyables brigandages.

Ce nouvel appel adressé aux Turcs fut du reste la cause de la paix. Le pape Paul III et les Vénitiens, qui jusqu'à ce moment étaient restés neutres, malgré les pressantes sollicitations de l'empereur, se liguèrent avec lui pour repousser la fureur ottomane et menacèrent de se tourner contre celui des deux rivaux qui voudrait poursuivre plus longtemps la lutte. Des trêves partielles furent alors suivies d'une trêve générale de dix ans, conclue à Nice par les soins et la médiation de Paul III (1536).

Lors de la conclusion de cette trêve, les deux rivaux s'étant rendus à Nice, le pape fit de vains efforts pour les amener à une entrevue. Malgré ses instances, ils ne voulurent point se voir, et ce refus fut en général attribué à l'opiniâtreté de leur haine. Mais cette haine au fond n'était plus la même, et s'ils refusèrent d'accéder au désir du Saint-Père, c'est qu'ils avaient déjà formé le projet de se réunir dans un autre lieu, où leurs plans d'alliance et leurs concessions réciproques Sauraient à craindre aucun témoin. Charles-Quint savait fort bien, et peut-être François Ier n'ignorait-il pas non plus que Paul III convoitait le Milanais pour son fils Pierre Farnèse[39]. Or, toute la vie de François Ier semblait, n'avoir plus qu'un seul but, celui de recouvrer son cher duché de Milan, et Charles-Quint le connaissait assez pour penser qu'il l'offenserait gravement, s'il disposait de cette seigneurie en faveur d'une autre maison.

Leur entrevue eut lieu à Aigues-Mortes, très-peu de temps après la trêve de Nice. Par qui fut-elle provoquée ? Du Bellay nomme Charles-Quint[40]. L'empereur, dans une lettre citée par Lanz[41], dit qu'elle avait été projetée même avant son départ de l'Italie pour l'Espagne, qu'elle devait d'abord avoir lieu à Marseille, mais que le roi, informé qu'il avait quitté Gênes., lui envoya en toute hâte un exprès pour lui proposer Aigues-Mortes. Les détails de cette entrevue, les promesses, les démonstrations d'amitié que s'y firent les deux monarques, ont été rapportés par tous les historiens. Aussi nous abstiendrons-nous de les raconter[42].

Quelque étranges que paraissent à celui qui étudie l'histoire de ce siècle, cette réconciliation subite et ces témoignages d'affection si vifs, si inattendus, succédant tout-à-coup à nue si grande explosion de haine, on ne peut point douter de la sincérité de ces deux grands rivaux. Tous deux semblèrent respirer plus à leur aise, quand ils se furent dit que rien désormais ne pourrait les désunir. Charles-Quint, nous l'avons vu, avait toujours désiré l'alliance de François Ier. Il avait cherché à devenir son beau-frère, en épousant Renée de France. Plus tard il lui avait donné sa sœur, Eléonore de Portugal. S'il n'avait point voulu être son gendre, c'est que l'âge des deux princesses françaises qu'on lui avait fiancées lui avait fait regarder ces projets de mariage comme illusoires. Enfin, pour posséder l'amitié de ce souverain, il avait fait autant de sacrifices qu'il en avait cru pouvoir faire sans compromettre entièrement la sécurité de ses propres royaumes. Et maintenant il le voyait s'offrir de lui-même pour être son dévoué frère, l'ami de ses amis, l'ennemi de ses ennemis, et cela sans demander aucune récompense en échange, en lui proposant même de laisser leurs ministres discuter ensemble toutes les conditions d'une paix durable. Comment, après l'avoir trouvé dans de telles dispositions, eût-il douté que la cession du Milanais à son second fils ne lui fît oublier leurs anciennes inimitiés ? Mais il voulait que cette cession ne pût avoir, même éventuellement, pour effet d'augmenter la puissance du royaume de France, qui continuait à être l'objet de toutes ses défiances, au moment même où il fondait les plus grandes espérances sur l'amitié de son souverain.

François Ier, de son côté, malgré les contradictions apparentes de sa conduite, restait au fond fidèle à son penchant naturel. Il avait toujours uni à un désir violent de recouvrer le Milanais, ou pour lui-même ou au moins pour un de ses enfants, celui de former une alliance intime avec un prince dont il partageait les tendances politiques et religieuses, et dont il deviendrait le collègue dans le gouvernement de toute la chrétienté. L'hérétique Henri VIII, les princes luthériens d'Allemagne et le Turc lui étaient, au contraire, d'autant plus odieux que, pour obtenir leur appui, il leur avait souvent témoigné des sentiments d'amitié qui n'étaient point dans son cœur. Aussi laissait-il à chaque instant deviner son peu de sympathie pour eux, tandis que le désir de se réconcilier avec Charles-Quint perçait même à travers ses accès de mauvaise humeur et ses emportements les plus déraisonnables. D'ailleurs, le connétable de Montmorency, nouveau favori, ne cessait de travailler à cette réconciliation, aussi bien que la reine Eléonore, dont les prières, méprisées à l'époque de la dernière rupture, eurent sans doute plus de poids, le premier moment de colère passé. L'espérance d'obtenir le duché de Milan en s'attachant l'empereur par des procédés bienveillants, acheva de disposer François Ier à se tourner de ce côté. De là naquirent l'entrevue d'Aigues-Mortes et un des épisodes les plus curieux de toute cette histoire, le passage de Charles-Quint par la France pour aller punir les Gantois révoltés.

Gand avait refusé, dès 1536, de payer une taxe que la régente des Pays-Bas, Marie de Hongrie, voulait lever sur les Flamands pour subvenir aux besoins de la guerre de Flandre. Mais la révolte sérieuse n'eut lieu qu'en 1539, lorsque le conseil de Malines eut repoussé les plaintes des Gantois. Ceux-ci essayèrent vainement d'entraîner les autres villes de la Flandre dans leur parti ; puis ils sollicitèrent le secours du roi de France. Ils lui envoyèrent des députés pour lui offrir de reconnaître sa souveraineté, s'il les aidait à secouer le joug de l'empereur. Accepter ces offres eût été déloyal et sans doute aussi téméraire. C'était en effet violer la trêve de Nice, et, par cette violation, s'attirer l'inimitié du pape et des autres puissances sur les instances desquelles les armes avaient été déposées. Il est d'ailleurs permis de croire que les ressources de la France avaient été considérablement amoindries par les frais extraordinaires de la guerre précédente. Et qu'importait l'alliance d'une ville qui, incapable de se défendre par elle-même, sans appui du côté des autres villes de Flandre, restées sourdes à ses sollicitations, n'attendit pas même que Charles-Quint l'attaquât pour recourir à sa merci ?

On a donc beaucoup trop admiré François Ier de n'avoir pas voulu, le lendemain d'une trêve solennellement jurée, s'engager dans une guerre bien aventureuse. On a aussi, ce me semble, exagéré le service qu'il rendit à son beau-frère en lui dénonçant les propositions des Gantois. Leur rébellion n'était point secrète. Ils avaient couru aux armes, chassé de la ville tous les nobles qu'ils considéraient comme les partisans de l'empereur, appliqué à la question un des officiers de ce prince, nommé un conseil pour conduire leurs affaires, réparé leurs fortifications ; enfin, ils s'étaient compromis par tous les actes qui montrent le mépris des commandements du souverain et constituent la pleine et entière révolte. François Ier ne pouvait pas douter que Charles-Quint ne prît les mesures nécessaires pour les réduire à l'obéissance. Dès-lors, en instruisant l'empereur de leurs intrigues secrètes, il ne faisait que l'exciter à sévir plus rigoureusement. Cette révélation était donc inutile et peu généreuse. Mais il voulait sans doute s'en faire un titre auprès de Charles-Quint pour obtenir plus facilement le prix qu'il attendait de l'alliance impériale.

En même temps il le fit prier d'abord, et il le pria lui-même ensuite de passer par la France pour se rendre dans les Pays-Bas.

Charles-Quint s'était fait transporter en Espagne aussitôt après la trêve de Nice, et il y séjournait alors. Il s'y était d'abord occupé sans relâche des préparatifs d'une expédition contre les Turcs — probablement de celle qu'il entreprit deux ans après contre Alger —. Puis une grande douleur était venue absorber son âme, naturellement mélancolique, et lui faire prendre en dégoût les préoccupations de la politique. L'impératrice Isabelle, sa noble et belle compagne, dont le souvenir lui fut toujours depuis à la fois précieux et douloureux, s'éteignit entre ses bras. Il alla, pour la pleurer, s'enfermer dans un couvent hiéronymite, où il conçut pour la seconde fois, ainsi qu'il l'avoua lui-même en 1542, l'idée d'abdiquer qu'il avait déjà nourrie au retour de son expédition contre Tunis[43]. Mais la trop grande jeunesse de son fils, incapable encore de gouverner par lui-même de si nombreux Etats, le retint malgré lui sur le trône.

C'est alors que l'évêque élu d'Avranches lui fut envoyé par le roi de France. Il était chargé de lui dire que le roi est si sûr et si ferme en l'amitié qu'il porte au seigneur empereur, son meilleur frère, que le duché de Milan ni autres choses particulières ne le pourraient faire changer d'opinion. Et ne sera omis de dire aussi audit empereur que, si son passage se fût adonné par la France, le roi y eût pris plaisir comme à une des choses de ce monde que plus il désirait ; mais puisque les affaires dudit seigneur ne le portent pas ainsi, ledit seigneur roi est et sera toujours content de tout ce qui lui plaira et ne le voudra rechercher de faire plus avant que sa volonté et commodité[44]. L'élu d'Avranches ne séjourna que peu de temps en Espagne ; il était bientôt après de retour, et il rapporta les remerciements de l'empereur, accompagnés d'une promesse de se rendre en France, si les menaces des Turcs lui laissaient quelque répit.

Le roi de France insista pour que Charles-Quint abandonnât momentanément ses projets contre les Turcs et allât punir les Gantois en traversant la France. Il lui écrivit lui-même[45] : Monseigneur mon bon frère, encore que je sache certainement le zèle et singulier amour que vous avez et portez au bien, salut et conservation de la république chrétienne, et que la plus grande affection que vous avez soit d'entendre à cela et y employer vostre personne, vos forces et le surplus de pouvoir que Dieu vous a donné, chose digne de vous et très requise et nécessaire à la chrétienté ; toutefois, Monseigneur mon bon frère, voyant la saison si advancée, comme elle est, et le commencement de l'hiver, il m'a semblé pour le debvoir de l'amitié que je vous porte et pour le regret que j'aurais qu'inconvénient advînt à vostre personne, vous supplier et requérir tant affectueusement et de bon cœur qu'il m'est possible, ne l'exposer en dangier et péril de mer, mais faire tant pour moi et pour ceste nostre et fraternelle amitié que de prendre vostre chemin et adresse par cestuy vostre et mien royaume, (ce) qui vous sera occasion de visiter vos Pays-Bas... et si pourrez en peu de temps donner ordre et provision aux affaires desdicts Pays-Bas qui en ont besoin. A quoy de ma part je m'employerai et vous ferai toute aide et secours comme pour mes propres affaires, ainsi que je l'ay jà offert à la reyne de Hongrie, ma bonne sœur ; veuillant bien vous assurer, Monseigneur mon frère, par ceste lettre signée et écrite de ma main, sur mon honneur et foy de prince et du meilleur frère que vous ayez, que passant par mon dit royaume, il vous y sera fait et porté tout honneur, recueil et bon traitement que faire se pourra et tel qu'à ma propre personne, et yray, s'il vous plaist me le faire savoir, au devant de vous jusques au milieu de vos pays, pour vous quérir et accompagner et y meneray mes enfants que vous trouverez prêts à vous obéir et pareillement tout ce qui sera en ma puissance, et dedans ce dict royaume duquel vous disposerez entièrement comme du vostre.

On voit par cette lettre combien sont inexacts les récits de du Bellay et de de Thou, depuis reproduits par la plupart des historiens[46], et combien d'instances il fallut pour déterminer Charles-Quint à se rendre dans les Pays-Bas, où sa présence immédiate n'était pas nécessaire. La révolte de Gand, n'étant appuyée ni par la France, ni par aucune des villes flamandes, n'avait rien de grave. Quelques troupes levées dans les Pays-Bas, d'autres que la reine de Hongrie avait déjà fait assembler en Allemagne, un troisième corps de troupes arrivant d'Espagne par mer, mirent les rebelles, déconcertés et privés de chefs, dans la nécessité de subir la loi sévère qu'il plut au vainqueur de leur imposer.

Charles-Quint se détermina enfin à satisfaire son nouvel allié en allant le visiter en France. Il avait l'intention de donner le duché de Milan au duc d'Orléans, ou d'offrir à François Ier, en échange de ce duché, un sort tellement brillant pour son second fils que tous deux devraient l'accepter avec reconnaissance. Ce fut surtout pour consulter sa sœur, Marie de Hongrie, sur ce dernier projet qu'il se rendit dans les Pays-Bas, ainsi qu'il l'écrivit un peu plus tard à Bonvalot, son ambassadeur en France[47] : Autant qu'il est permis de deviner sa politique, dit M. de Sismondi dans le chapitre si remarquable de son Histoire des Français qu'il a consacré à l'étude de ce voyage de Charles-Quint[48], il nous semble qu'il avait reconnu que ses possessions disséminées sur toute l'Europe ne se prêtaient point un mutuel appui, et que pour en former une puissante monarchie, il fallait abandonner celles qui étaient détachées des autres et agrandir celles qui pouvaient faire corps ensemble. Dans cet esprit, il avait déjà séparé de sa monarchie les provinces héréditaires d'Autriche qu'il tenait de son aïeul Maximilien, et il les avait données à son frère Ferdinand pour les lier à l'empire d'Allemagne, qu'il lui avait assuré d'avance en le faisant nommer roi des Romains. D'après le même système, il voulait encore détacher de sa monarchie tout l'héritage de son aïeule maternelle, Marie de Bourgogne, et en former en faveur de sa fille de prédilection un nouveau royaume qui, avec le temps, pourrait s'étendre sur une partie de l'Occident. En même temps, il réservait à son fils non-seulement l'Espagne, mais l'Italie, qui, d'après ses arrangements avec la France, lui serait demeurée sans partage ; il aurait été maître des îles Baléares, de la Corse, de la Sardaigne et de la Sicile ; il avait rendu son tributaire le royaume de Tunis ; il comptait bientôt attaquer celui d'Alger, et la Méditerranée n'aurait presque plus été qu'un grand lac situé au milieu de ses possessions, et qui les aurait réunies les unes avec les autres.

L'empereur voulait donner sa fille aînée pour épouse au duc d'Orléans ; il eût créé en faveur des deux époux un nouveau royaume intermédiaire entre la France et l'Allemagne, indépendant à la fois de l'une et de l'autre. Déjà quatre ans auparavant il en avait conçu l'idée. Il en avait même fait l'objet d'une recommandation spéciale à son fils dans un testament daté de 1535. En 1539, avant de quitter Madrid pour gagner les Pays-Bas, il ajouta un codicille à ce testament[49]. Il y laissait son fils Philippe libre d'observer ou d'annuler cette disposition. Mais si le jeune prince tenait à conserver pour lui-même les provinces désignées plus haut, il devrait remettre le Milanais au roi des Romains, et celui-ci serait chargé d'en disposer à l'occasion du mariage du duc d'Orléans, soit avec une de ses filles, soit avec l'aînée de ses nièces.

A ce codicille, signé par l'empereur, étaient jointes des instructions qui ne nous permettent pas davantage de mettre en doute son désir de satisfaire le roi de France[50]. Elles recommandent à Philippe, entre autres choses, de faire tous ses efforts pour conserver l'amitié de François Ier — c'est dans ce dessein qu'il passe lui-même par le royaume de France, bien que cestuy voyage se démontre adventureux — ; de ne point s'opposer au mariage du duc d'Orléans soit avec l'infante Marie, dans lequel cas les Pays-Bas seront constitués en Etat particulier pour ce prince, soit avec la fille du roi des Romains, qui lui apportera en dot le duché de Milan. — Si le mariage a lieu entre le duc d'Orléans et l'infante Marie, il sera bon de disposer du duché de Milan en faveur du second fils du roi des Romains, qui épousera Marguerite de France, fille de François Ier. — Si le roi de France ne consent pas à cette dernière union, on pourra marier à la princesse Marguerite l'infant don Louis de Portugal. Le roi des Romains sera alors tenu de disposer du duché de Milan en faveur des deux époux, et le fils aîné du roi des Romains épousera l'infante de Portugal, promise d'abord au dauphin de France. — L'union contre les Turcs, la répression de l'hérésie, l'abandon de la Gueldre par le duc.de Clèves, celui de la Savoie par le roi de France, seront du reste la condition nécessaire de toutes ces alliances, etc., etc.

Pendant son passage par la France, au milieu des honneurs qui lui furent prodigués, il put voir combien toutes ces démonstrations d'amitié étaient peu désintéressées. Malgré les promesses réitérées des agents français, on ne fit que parler et l'importuner de ce Milan, si bien que tant d'honneurs et de bonnes chères qu'on lui fit ne valaient pas, disait-il, les importunités qu'on lui en donnait[51]. Il semblait que son rival, en ne le retenant pas prisonnier contre la foi jurée, crût acquérir des droits éternels à sa reconnaissance. Du reste, plus d'un courtisan conseillait au roi de profiter de l'occasion pour apprendre à son tour au vainqueur de Pavie quels sont les ennuis de la captivité. Cependant la parole donnée fut fidèlement observée, et Charles-Quint put gagner les Pays-Bas. Mais à peine y avait-il mis le pied que les ambassadeurs de France lui demandèrent l'investiture du Milanais pour leur maître.

L'empereur, un peu mécontent de ces importunités, leur fit savoir pourtant qu'il leur répondrait de manière à satisfaire le roi dès qu'il aurait apaisé la révolte de Gand. Les Gantois soumis, il chargea son ambassadeur Bonvalot de proposer à François le mariage de son second fils avec l'aînée des infantes d'Espagne, qui lui apporterait en dot les Pays-Bas. Marguerite de France serait mariée au fils aîné du roi des Romains, et l'héritier présomptif de la couronne d'Espagne épouserait la fille unique d'Henri d'Albret, nièce du roi de France, à condition que son père et sa mère abandonneraient leurs prétentions sur la Navarre en faveur des deux époux. Mais en retour de tant d'avantages faits à la maison de France, il demandait que- François renonçât à la possession du. comté de Charolais, de celui d'Hesdin, de ses conquêtes en Savoie ; que les traités de Madrid et de Cambray fussent de nouveau ratifiés, et qu'il y eût désormais paix perpétuelle entre les deux maisons.

Si le roi de France n'acceptait point cette proposition, l'empereur était toujours disposé à abandonner le Milanais au duc d'Orléans. Des correspondances, que nous citerons tout à l'heure, en fournissent la preuve. Mais, dans ce cas aussi, il fallait que le roi sacrifiât ses droits personnels sur l'héritage des Visconti et restituât au duc de Savoie les domaines qu'il lui avait injustement enlevés.

Les promesses de Charles-Quint aux ambassadeurs français et à François Ier lui-même n'avaient sans doute jamais eu un autre sens. Dans ses lettres relatives au duché de Milan, depuis la trêve de Nice, il n'est pas un seul mot auquel on ne puisse parfaitement donner cette interprétation. François Ier aurait dû, ce semble, le comprendre ainsi. N'avait-il point en effet, quatre ans plus tôt, déclaré qu'il renoncerait à toute prétention personnelle sur ce duché, si le duc d'Orléans en était investi ; et quant à la Savoie, avait-il pu jamais compter qu'il lui serait permis de la conserver, pendant qu'un de ses fils occuperait la souveraineté la plus importante du nord de l'Italie ? Il aurait certes fallu pour cela que l'empereur se fût laissé prendre à ses protestations d'amitié au point d'oublier toutes les règles de la prudence ordinaire. Une telle concession eût mis dans un grand danger le royaume de Naples ; elle aurait été d'ailleurs peu honorable pour Charles-Quint lui-même, puisqu'il eût sacrifié par là son beau-frère, dont il avait, sans le vouloir, causé tous les malheurs. C'eût été payer bien cher le léger service que François Ier lui avait rendu, en lui signalant des complots dont la connaissance lui était tout à fait inutile, et en lui fournissant un passage pour aller punir une seule ville des Pays-Bas, mutinée plutôt que révoltée.

J'admets pourtant qu'il eût dépendu du roi de lui faire perdre Gand. La libéralité de l'empereur ne serait-elle pas encore hors de proportion avec un tel service ? En offrant pour un fils de François Ier Gand elle-même, et avec elle tous les Pays-Bas, toute la Franche-Comté, ne faisait-il pas beaucoup plus que payer sa dette de reconnaissance ?

Mais les conseillers de François Ier l'avaient bercé de toutes autres espérances. Ils lui avaient mille fois répété que Charles-Quint serait trop heureux de lui octroyer le Milanais, en témoignage de sa bonne amitié. Sans doute, il suffirait que le roi donnât en retour la promesse de ne point se servir de cette possession pour en acquérir de nouvelles. En voyant Charles-Quint réclamer des garanties plus positives, il fut blessé d'autant plus profondément que cette demande lui rappelait l'époque si funeste à son honneur, où il s'était soumis à signer deux traités humiliants et les avait ensuite violés sans aucun scrupule, sous les prétextes les plus frivoles. Il voulut le Milanais pour lui-même, et non pour son fils, et il prétendit en même temps conserver le Piémont. Quant à l'offre si séduisante des Pays-Bas, il la rejeta avec hauteur, en disant qu'il n'avait jamais désiré le bien d'autrui, mais qu'il demandait seulement ce qui lui appartenait de droit, comme une portion de son héritage de famille[52]. Cette réponse insultante ranimait tous les anciens débats et détruisait l'effet de toutes ses protestations d'amitié.

Les ambassadeurs français eux-mêmes furent étonnés de voir accueillir ainsi de telles avances. Ils pressèrent vivement, mais en vain, le roi de ne pas s'éloigner de la frontière, de ne point laisser éclater son mécontentement, d'attendre au moins cinq ou six jours pour donner le temps à Charles-Quint d'envoyer sa réponse définitive, et pour ne point justifier les bruits de guerre qui commençaient à se répandre. Quand on nous remontre, disaient-ils, combien l'empereur a fait grand chose pour le roi de lui bailler ou l'Etat de Milan ou celui de deçà, et que l'on nous demande ce que l'empereur en retirera ; après que nous avons mis en avant la sûreté qu'il aura acquise pour ses Etats et aide en ses entreprises, et que l'on nous rabat cela, en nous disant que tout cela ne sera que choses réciproques, et que pareille sûreté acquerra le roi, et que, s'il se fait entreprise, l'on veut qu'il ait part au butin... nous ne savons à quelle autre raison nous ranger.

Une note du connétable, adressée à ces envoyés, acheva de rompre la négociation. Elle renfermait ces mots[53] : Je vous avertis, Messieurs, que M. de Saint-Vincent et le seigneur du Péloux m'ont fort sollicité de savoir du roi son intention et dernière volonté sur deux choses ; la première, qu'ils disent que l'empereur est résolu, s'il venait à donner le duché de Milan, à ne le donner qu'à monseigneur d'Orléans et aux enfants descendants de luy, sans qu'il puisse retourner au roi et à messeigneurs ses enfants ; l'autre est qu'en donnant les Pays-Bas à monseigneur d'Orléans, pour le mariage de madame la princesse, sa fille, avec lui, il n'entend ni ne veut que le roi retienne le Piémont ni les pays de monseigneur de Savoie, afin qu'il n'ait point de pied en Italie. Sur quoi le roi m'a répondu sur toute résolution, afin de vous le mander ; c'est à savoir, quant au duché de Milan, qu'il ne veut avoir ledit duché sinon en la même forme que contient l'investiture du feu empereur Maximilien, grand'père dudit seigneur empereur ; et, quant à la restitution des pays du duc de Savoie, qu'il est résolu à les retenir pour ne faire tort à son royaume ; auquel il serait grandement préjudiciable qu'intervenant la mort de mon dit seigneur d'Orléans, il eût abandonné les pays et Etats que contient le dit Piémont et Savoie. Par quoi, si l'on vous parle desdits deux points, vous leur répondrez résolument selon ce que je vous écris ci-dessus, sans leur donner espérance d'en tirer davantage ; car je vous assure que de deçà ne se fera autre chose.

Charles-Quint, irrité, révoqua par un nouveau codicille l'article du précédent, relatif au duché de Milan[54], et donna l'investiture de cette souveraineté à l'infant don Philippe.

Tout projet d'union entre les deux monarques était donc abandonné. Mais la trêve de Nice subsistait toujours. Les deux princes en avaient juré l'observation pour dix ans. Il ne s'était point encore écoulé deux années depuis ce serment. Toutefois, François Ier n'en tint plus compte, et, s'il n'osa pas d'abord recommencer la guerre ouverte, il recourut de nouveau à ce système d'intrigues dont il avait déjà si largement usé après le traité de Cambray.

Mais ses folles démonstrations d'amitié pour l'empereur avaient bien refroidi le zèle de ses alliés. Il n'inspirait plus aucune confiance aux protestants d'Allemagne. Henri VIII avait eu contre lui de graves sujets de mécontentement, et il en avait conservé un ressentiment amer. Toutefois, ce ressentiment avait d'abord cédé devant la nécessité de se faire de la France un rempart contre le chef de la maison d'Autriche. Que n'avait point fait Charles-Quint pour soulever l'Irlande, pour troubler l'Angleterre, pour armer contre elle tantôt le roi d'Ecosse, Jacques V, tantôt François Ier lui-même ; combien de fois les protestants anglais n'avaient-ils pas craint de voir les Espagnols entrer bientôt dans leur île, munis d'une bulle du pape qui les en déclarerait maîtres ? Mais ces haines si terribles avaient peu à peu perdu de leur vivacité. Catherine d'Aragon, la cause innocente de toute cette querelle, était morte en 1536 ; Anne de Boleyn, à qui elle avait été sacrifiée, avait cruellement expié sa royauté d'un jour ; Jeanne Seymour, qui fut reine ensuite, mourut en donnant le jour à Edouard VI, et la cause de la réforme anglaise perdit en elle un appui précieux. Un parti secrètement attaché au catholicisme dominait de nouveau à la cour. Ce fut lui qui fit admettre, en 1539, le bill des Trente-Six articles où les réformés virent un retour vers l'ancienne religion. Il est probable que ce même parti cherchait aussi à réconcilier son maître avec l'empereur. Une alliance de famille, quand elle était possible, semblait toujours à cette époque la voie de réconciliation la plus prompte et la plus sûre. On forma donc le projet de faire épouser à Henri VIII la douairière de Milan, nièce de Charles-Quint, et, si l'on en croit la correspondance de l'ambassadeur espagnol Chappuis, il adopta cette idée avec un empressement extrême[55]. Cependant ce mariage n'eut pas lieu, j'ignore pour quelle cause ; les protestants recouvrèrent la faveur du roi, et celui-ci demanda la main d'Anne de Clèves, sœur et belle-sœur de deux ennemis de la maison d'Autriche. L'alliance du roi d'Angleterre avec la France fut ainsi maintenue pour quelque temps encore. Mais il était dès-lors aisé de pressentir qu'elle ne tarderait pas à se rompre, et que l'empereur pourrait trouver dans Henri VIII un utile auxiliaire, lorsqu'il lui ferait oublier le passé en paraissant l'oublier lui-même.

François Ier n'avait guère mieux mérité de Soliman. Le projet d'une croisade que Charles-Quint et lui feraient en commun contre les Turcs fut un de ceux qui furent le plus souvent et le plus ouvertement agités pendant leur courte amitié. Mais l'agent du roi auprès du sultan, Rinçon, était heureusement parvenu à endormir ce prince, en gagnant par des présents quelques-uns de ses pachas les plus influents[56]. D'ailleurs, pour lui mieux cacher les complots qu'il formait d'accord avec ses adversaires, le roi lui avait rendu, par l'intermédiaire de son chargé d'affaires, l'exilé napolitain Cantelmi, un service peu honorable dont la république de Venise avait été la victime[57]. Soliman resta donc dans les mêmes termes avec François Ier, et ce fut à lui surtout que ce prince recourut pour se venger de la prétendue perfidie dont son rival avait, selon lui, payé sa noble confiance.

Au même moment, la mort de Jean Zapoly vint rallumer les vives inimitiés du sultan et de la maison d'Autriche.

Le vieux waywode, quelque temps avant sa mort, avait, par un traité secret, laissé d'avance la succession de ses possessions en Hongrie au frère de Charles-Quint. Mais ni les seigneurs hongrois du parti du roi défunt, ni le souverain des Turcs ne consentirent à ratifier le traité. Les premiers proclamèrent l'enfant posthume de Zapoly, le jeune Etienne, et confièrent la régence à sa mère. Le sultan refusa le tribut que lui offrait Ferdinand, fit marcher des troupes pour délivrer Bude assiégée par un lieutenant du roi des Romains, et se prépara à les suivre lui-même. D'après les correspondances diplomatiques du temps, les partisans hongrois du jeune Etienne, voulant alors lui assurer comme protecteur un prince chrétien qui ne fût pas désagréable au Turc, offrirent, avec l'aveu de Soliman, de marier le duc d'Orléans à la reine douairière de Hongrie, et de le mettre à la tête de leur gouvernement. Mais François Ier rejeta cette proposition pour ne donner à l'empereur aucun sujet de plainte[58]. Tout ce qu'on peut conclure de ces faits, s'ils sont exacts, c'est que le roi de France, malgré le grand crédit dont il jouissait auprès de la Porte-Ottomane, n'osait point accepter des offres qui eussent révélé à toutes les puissances de l'Europe ses liaisons intimes avec les Infidèles.

Toutefois, si l'on préfère supposer qu'il craignait réellement d'enfreindre la dernière trêve conclue avec Charles-Quint, il faut avouer que ses agents interprétaient assez mal ses intentions. Des courriers impériaux furent dévalisés pendant l'hiver de 1540 à 4 541 ; on leur enleva les dépêches destinées au gouverneur de Milan. Celui-ci s'étant plaint, le gouverneur du Piémont, du Bellay, se contenta de répondre qu'il serait difficile de garantir la sûreté de tous les courriers impériaux contre les attaques de tous les voleurs que pourrait tenter leur argent. Ce même du Bellay cherchait constamment à détacher de l'obéissance de l'empereur les villes voisines de son gouvernement ; du moins, du Guast l'en accuse dans le mémoire justificatif qu'il adressa aux princes allemands après l'assassinat deRinçon. Du Bellay, dans sa réponse, le nie faiblement et détruit ensuite toute la valeur de ses dénégations en formulant cette doctrine : Que si bien il est prohibé de surprendre les villes l'un de l'autre en temps de trefve, il n'est toutefois prohibé de prêter l'oreille à qui se vient offrir ny de préparer à entretenir des pratiques et moyens de pouvoir endommager son ennemy après la trefve expirée et corrompue[59].

Mais les dispositions malveillantes de François Ier se manifestaient surtout par les démarches secrètes qu'il faisait pour engager Venise dans l'alliance du sultan ; démarches qui eurent pour conséquences un nouvel assassinat, celui de Frégose et de Rinçon, et une quatrième guerre entre les deux grands rivaux.

Le seul récit assez développé que nous trouvions sur cet événement dans les histoires contemporaines est celui du français du Bellay, dont le frère, alors gouverneur du Piémont, joua le rôle de principal accusateur dans toute cette affaire[60]. L'intention manifeste de ce récit est de rendre l'empereur odieux, et de légitimer l'attaque qui fut dirigée contre lui par le roi de France lors de l'expédition d'Alger. On ne peut douter, je crois, que les deux envoyés français n'aient péri victimes d'un meurtre, et que ce meurtre n'ait été commis par des agents du gouverneur espagnol de Milan. La partialité de l'auteur du récit est tout entière dans le choix de certaines circonstances dont il l'environne et dans les efforts qu'il fait pour en dissimuler d'autres fort importantes. Mais il est facile de comprendre les réticences par les aveux, et peut-être parviendrons-nous à prouver que ceux qui parurent si fort indignés de ce meurtre étaient aussi coupables que ceux qui le nièrent après l'avoir commis.

Et d'abord, quel était l'objet du voyage de Frégose et de Rinçon ? Le choix seul de ces deux envoyés montre assez qu'il ne s'agissait point de désabuser les Vénitiens et le sultan au sujet de certains bruits fâcheux pour le roi de France, répandus clandestinement par les artifices de l'empereur. Rinçon était un Espagnol proscrit par Charles-Quint. César Frégose s'était vu bannir de Gênes après le triomphe de la faction impériale dans cette cité, où sa famille avait possédé le pouvoir souverain. De quelle haine ne devaient-ils point être animés tous deux contre celui qui les avait réduits à ne subsister que par la libéralité du roi de France ? Pourquoi d'ailleurs charger Frégose d'une mission extraordinaire à Venise, s'il s'agissait seulement d'y détruire des bruits que l'ambassadeur ordinaire ou même une simple lettre eût pu parfaitement démentir ? Quant à Rinçon, qui devait se rendre auprès de Soliman, il n'en était point à son coup d'essai dans ces négociations perfides à l'aide desquelles le roi de France, après chaque guerre malheureuse, essayait de réparer ses revers.

Le caractère sacré d'ambassadeur que leur attribue du Bellay n'est pas mieux fondé ; car, ainsi que nous l'avons déjà dit au sujet de Merveille, ce qui fait l'inviolabilité de l'ambassadeur, c'est la publicité de sa mission. Comment du Guast pouvait-il voir des ambassadeurs du roi de France à Venise et près du sultan, dans ces deux proscrits accompagnés de gens armés jusqu'aux dents, se glissant mystérieusement dans les Etats de son souverain, après une conférence nocturne avec le gouverneur du Piémont, sans instructions, lettres de créance ou papiers, puisque Langey se les fit remettre avant leur passage dans le Milanais pour que le gouverneur de Milan ne pût s'en emparer ? L'usage permettait alors, et il le permet même aujourd'hui, de faire visiter, saisir et emprisonner momentanément tout étranger qui, sans autorisation, s'est introduit furtivement dans un pays. Etait-il injuste d'appliquer cette loi dans toute sa rigueur à deux ennemis déclarés, instruments de ténébreuses intrigues ?

Mais continuons l'examen du récit de du Bellay : Le lendemain du jour où ils s'embarquèrent, à midy, dit du Bellay, estant arrivés en un lieu appelé la plage de Cantaloue, trois milles au-dessus de la bouche du Tésin, se présentèrent au devant d'eux gens en armes estant sur deux barques, lesquels soudainement assaillirent et prindrent la barque où estaient lesdits Frégose et Antoine Rinçon, et, parce qu'ils se mirent en deffence, leurs ennemis montèrent sur laditte barque, où lesdits seigneurs furent tous deux tués. D'après notre auteur lui-même, les deux envoyés du roi de France, avant de périr, s'étaient mis en défense. Du Guast avait très justement ordonné qu'on les arrêtât et qu'on s'emparât de leurs dépêches. Ils voulurent résister. Les armes furent tirées de part et d'autre, et ils succombèrent dans cette lutte. Quelques-uns seulement de leurs compagnons furent faits prisonniers et enfermés au château de Pavie par ordre de du Guast.

Le seigneur de Langey fut bientôt informé, d'une manière vague, il est vrai, de ce qui s'était passé, et il en avertit le roi, son maître. Ils croyaient l'un et l'autre que les deux agents français vivaient encore, et leur perplexité n'en était que plus grande. N'arracherait-on point par force aux prisonniers l'aveu de la trame secrète à laquelle ils avaient été employés ? Combien de révélations curieuses n'en obtiendrait-on pas ? et combien ne serait-il pas désormais facile à l'empereur d'enlever au roi ce masque de loyauté et de religion dont il cherchait à se couvrir, tout en excitant à la dévastation de l'Allemagne et de l'Italie l'ennemi mortel du nom chrétien[61] ? Ils prirent un parti assez naturel dans une telle situation : ils prévinrent les accusations de leurs adversaires en les accusant eux-mêmes d'un attentat monstrueux, inouï jusqu'alors, et ils réclamèrent impérieusement les deux captifs. Du Guast se trouva fort embarrassé. On n'avait trouvé, nous l'avons dit, sur les victimes aucune dépêche compromettante pour le roi de France. Frégose et Rinçon étaient tombés tous deux sous les coups des gens du gouverneur, et par là son entreprise sur leurs personnes devenait un guet-apens inutile. Dans l'espoir de se soustraire à l'infamie d'un tel acte, il prit le mauvais parti de recourir au mensonge : il rejetait cet assassinat, dont il avait horreur, disait-il, sur des brigands qui avaient voulu dépouiller les deux agents. Mais Langey sut bientôt quels étaient les véritables auteurs de la mort de Frégose et de Rinçon, et il accumula contre eux de telles preuves que du Guast en fut pour ainsi dire écrasé.

Quant à Charles-Quint, il est sans doute bien invraisemblable que du Guast eût osé, sans son aveu, se porter à de pareilles extrémités, et cependant sa correspondance nous permet de croire qu'il y était réellement étranger.

J'ai trouvé dans le recueil de Lanz quatre lettres, d'inégale importance du reste, relatives à ce grave sujet. La première, en date du 16 juillet 1541[62], écrite à sa sœur Marie de Hongrie, pour laquelle il n'avait rien de caché, nous apprend que du Guast lui affirmait positivement n'avoir rien sceu ny entendu du cas ny ce qu'estoient devenus lesdicts Rinçon et Frégose ; la seconde, adressée à l'abbé de Saint-Vincent, Bonvalot, son ambassadeur en France, sous la date du 13 juillet[63], répète les protestations qu'il a faites la veille à l'ambassadeur français, Vély : il ignore tout à fait le sort des deux agents ; il n'a donné l'ordre ni de les tuer ni de les retenir captifs. Quelque temps auparavant déjà, ils avaient passé par le duché de Milan, en se rendant de Venise en France. Du Guast en était averti. Il demandait l'autorisation de s'emparer de leurs personnes ; il en a reçu la défense formelle. L'empereur ajoute qu'il a engagé Vély à choisir parmi les conseillers impériaux celui qu'il jugerait le plus capable de rechercher les auteurs de l'emprisonnement ou de la mort de Frégose et de Rinçon. Si ces derniers existent encore, on les fera mettre en liberté. A cette lettre est annexé un post-scriptum. Charles-Quint s'y plaint que l'on ait arrêté à Lyon, par forme de représailles, son oncle, l'archevêque de Valence — fils bâtard de Maximilien —, et il ordonne à son ambassadeur de faire les plus vives instances pour qu'on mette ce prélat en liberté. La troisième lettre est la réponse de Bonvalot à la missive de son maître[64] ; elle ne renferme aucun fait nouveau. Enfin, dans la quatrième, adressée encore par l'empereur à sa sœur Marie[65], Charles, alors sur le point de partir pour son expédition d'Alger, annonce que, d'accord avec les ambassadeurs français, il a remis au pape le soin de régler toute cette affaire à la satisfaction des deux partie

Ces quatre lettres, dont la première et la dernière, écrites à une sœur pour qui Charles n'avait rien de caché, ne peuvent être suspectées de réticences ni de mensonge, nous portent à croire que ce prince était personnellement étranger à l'attentat commis par son ministre. Mais du Guast espérait trouver sur les agents français des dépêches importantes, et sans doute il pensait se rendre agréable à son maître en prenant sous sa propre responsabilité les mesures nécessaires pour démasquer le roi de France. L'issue inattendue de son entreprise l'effraya ; il n'osa point avouer à l'empereur le rôle qu'il avait joué dans cette triste affaire ; il lui fit les mêmes dénégations qu'à François Ier et à Langey, et l'empereur, sans être entièrement convaincu de son innocence, ne consentit point à sacrifier un serviteur peu scrupuleux, il est vrai, mais capable et dévoué, dont la faute principale était d'avoir voulu le trop bien servir.

D'ailleurs, l'assassinat de Rinçon et de Frégose fut accompagné ou suivi de telles représailles exercées par la France que Charles-Quint se crut l'offensé plutôt que l'offenseur. Une de ses lettres nous a déjà appris comment son oncle Georges, évêque de Valence, voyageant à travers les Etats de François Ier, fut arrêté et retenu prisonnier à Lyon, malgré son double caractère de prêtre et de prince de l'empire. Son chancelier, Granvelle, faillit avoir le même sort. Enfin Marano, ville de la dépendance de sa maison, lui fut enlevée en pleine paix et occupée par une garnison française.

Marano, ville de Frioul, située sur les bords de l'Adriatique, dans le voisinage des Turcs, faisait partie des Etats du roi des Romains. Des brigands, sans doute soudoyés par François Ier, s'en emparèrent par surprise. Ils ne songeaient point à la garder pour eux-mêmes, car ils la remirent presque aussitôt au roi de France, et celui-ci ne fit point difficulté d'en prendre possession, alléguant que, s'il s'y refusait, ils la livreraient aux Turcs, au grand préjudice de la chrétienté. Seulement, affectant une modération qui s'accordait mal avec tant d'avidité, il déclara qu'il ne maintiendrait cette occupation provisoire que si l'empereur, le pape et Venise ne pouvaient lui indiquer un meilleur parti à prendre, qu'il ne regarderait jamais Marano comme sienne de droit, et qu'il la conserverait uniquement pour qu'elle ne tombât pas au pouvoir du sultan.

Ni l'empereur ni les Vénitiens ne goûtèrent ce raisonnement, où François Ier, tout en se rendant complice d'un acte de brigandage inouï, voulait se donner l'honneur d'un noble dévouement à la cause chrétienne. L'empereur en conserva longtemps un vif ressentiment. Venise crut que la surprise de Marano n'avait d'autre but que d'exercer désormais une contrainte directe et perpétuelle sur les résolutions de sa politique. Mais, sentant sa faiblesse, elle dissimula son mécontentement jusqu'au moment où, devenant d'autant plus violent qu'il avait été longtemps comprimé, il éclata tout-à-coup par une agression contre l'ambassade française ; mouvement de colère qui est le seul cas peut-être où cette sage république se soit, depuis son abaissement, départie des règles de sa prudence accoutumée[66].

Sur ces entrefaites, Charles-Quint partit pour son expédition contre Alger. Comme les relations de François Ier et du sultan, se resserrant chaque jour davantage, faisaient penser à ce prince qu'ils uniraient bientôt leurs forces pour l'attaquer de concert, il était d'une grande importance pour lui de fermer aux Turcs le bassin occidental de la Méditerranée, de mettre l'Espagne et les côtes occidentales de l'Italie à l'abri de leurs ravages, et de leur couper toute communication maritime avec la France. La prise d'Alger pouvait lui procurer tous ces avantages. Le succès si facile de l'expédition de Tunis faisait espérer que cette nouvelle entreprise ne serait ni longue ni dangereuse. Les préparatifs, commencés déjà depuis longtemps, étaient terminés. Charles-Quint voulut partir, malgré les instances du pape Paul III lui-même. Mais la fortune lui fut, cette fois, tout à fait contraire. Des tempêtes détruisirent sa flotte, ses munitions, l'élite de ses troupes allemandes, espagnoles et italiennes. Il revint donc vaincu et ruiné. Aussitôt son rival mit contre lui cinq armées sur pied ; et, déclarant définitivement sa rupture, l'attaqua à la fois dans le Luxembourg, dans la Flandre, dans le Brabant, dans le Piémont et sur les frontières de l'Espagne.

Il est à remarquer que François Ier ne donna pas pour seul motif de cette guerre l'attentat dont Rinçon et Frégose avaient été les victimes. Pour la faire avec plus de justice et de succès, dit de Thou[67], il prétendit que le Luxembourg lui appartenait du chef de Louis d'Orléans, son bisaïeul et frère du roi Charles VI, et que ce pays avait été usurpé par Philippe de Bourgogne et Charles, son fils ; et il réclama le Roussillon, sous prétexte que la cession qui en avait été faite autrefois par Charles VIII au roi Ferdinand, sous certaines conditions que celui-ci n'avait pas remplies, et au préjudice de la couronne, était nulle en droit. Ainsi il n'y avait pas, pour ainsi dire, une seule des provinces héréditaires de la maison d'Autriche sur laquelle le roi de France ne crût pouvoir élever quelque prétention ; ce qui menaçait cette maison de voir un jour ses domaines absorbés tout entiers dans ce vaste royaume. Il fallait sans cesse que l'Allemagne vînt au secours de l'Espagne ; l'Allemagne et l'Espagne au secours des Pays-Bas ; l'Allemagne, l'Espagne et les Pays-Bas, au secours de l'Italie, et Charles-Quint ne pouvait avoir l'idée de les détacher l'une de l'autre sans songer que chacune d'elles, isolée, serait trop faible pour conserver longtemps son indépendance nationale vis-à-vis de la France.

La brusque attaque des Français sur plusieurs points à la fois mit d'abord l'ennemi dans un grand danger. Cependant leurs succès ne répondirent point à tant d'impétuosité. Dans les Pays-Bas, après cette première campagne, on considéra comme une espèce de miracle que l'armée de leurs alliés, les ducs de Clèves et de Holstein — le roi de Danemark —, à laquelle ils avaient joint des forces assez importantes, n'eût pas pris une seule ville et s'en fût tenue à d'inutiles ravages[68]. Dans le Luxembourg, on ne regretta que la prise d'Ivoy, difficile à recouvrer à cause de la proximité de Mézières, Sedan, Mouzon et Stenay. On ne s'étonna pas moins du peu de résultats de la campagne du duc de Vendôme en Artois. Enfin, dans le Roussillon, les Français furent obligés d'abandonner le siège de Perpignan, après six mois de fatigues et des pertes considérables. Le seul avantage solide de toute cette première année de luttes où ils avaient pu opposer à leurs adversaires des forces si supérieures, fut la prise de quelques places du Piémont, dont Langey se rendit maître par ruse.

Les rôles changèrent l'année suivante. Charles-Quint passa d'Espagne en Allemagne avec le secours que ses Etats espagnols lui avaient accordé, prit l'offensive à son tour et marcha résolument à la tête de ses troupes, malgré les supplications de sa sœur, Marie de Hongrie, qui cherchait à le détourner des fatigues et des dangers de la guerre. Soliman menaçait la Hongrie autrichienne ; François Ier était rentré dans le Luxembourg. On croyait généralement qu'il allait d'abord se heurter contre l'un ou contre l'autre de ces deux grands rivaux. Il jugea mieux la situation ; et, sans écouter les propos malveillants qui l'accusaient de feindre la fureur contre le plus faible de ses ennemis pour cacher la peur que lui faisaient éprouver les autres, il fondit sur le due de Clèves tout fier encore d'une victoire récente obtenue à Sittard, lui prit sa principale forteresse, reçut la soumission d'une partie des autres et l'obligea à venir à genoux implorer sa grâce. Le duché de Gueldre. et ses dépendances furent pour lui le prix de cette courte expédition conduite avec une rare activité, et François Ier apprit la ruine de son allié, lorsqu'il venait à peine de lui envoyer de tardifs secours.

Charles-Quint, moins heureux ensuite au siège de Landrecies, s'en dédommagea largement en s'assurant de la ville impériale de Cambray.

En résumé, si cette campagne ne fut point signalée par des victoires éclatantes, comme ses lieutenants en remportèrent pour lui et comme il en remporta lui-même en tant d'autres lieux, nul succès de ses armes ne lui procura de plus précieux avantages. Les traités de Madrid et de Cambray avaient affranchi les Pays-Bas de la suzeraineté des rois de France. Mais ces princes les menaçaient toujours d'autant plus, qu'ils les tenaient renfermés dans un cercle de petits Etats dont les chefs, sous le titre de souverains, n'étaient au fond que leurs premiers sujets. De ces Etats, le plus redoutable était certainement le duché de Gueldre. Avec ses seules ressources, il leur avait toujours causé un dommage immense. Combien plus il leur en eût causé uni au duché de Clèves ! D'ailleurs les ducs de Gueldre, renommés parmi les princes allemands pour leurs habitudes belliqueuses, étaient les pourvoyeurs ordinaires auxquels la France s'adressait pour tirer des lansquenets d'Allemagne. Charles-Quint avait donc une double raison de désirer la réunion de leur souveraineté aux domaines de la maison de Bourgogne. Il donnait pour frontière à ces domaines la principauté même dont le voisinage leur avait été jusque là si nuisible, et il ôtait aux rois de France un moyen facile et précieux de recruter leur infanterie mercenaire. Quant à la possession de Cambray, elle était comparativement de médiocre importance. Cependant, placée entre l'Artois, la Flandre et la France, cette ville, d'ailleurs assez considérable, était comme une porte par où l'on pouvait passer de l'un de ces pays dans les autres. La maison d'Autriche s'en étant rendue maîtresse, en garda les clefs pour elle seule.

Un autre événement non moins favorable à Charles-Quint fut l'expédition maritime que les flottes française et turque entreprirent alors en commun dans la Méditerranée. Après la mort de Rinçon, François Ier avait envoyé le capitaine Paulin en ambassade auprès de Soliman, pour lui demander le secours d'une armée navale. Les Français assiégeaient Perpignan, et l'on comptait sur les vaisseaux turcs pour empêcher le ravitaillement de cette forteresse. Mais la flotte ottomane ne vint pas cette année-là : Perpignan fut ravitaillé, et l'on dut renoncer à le prendre. On espéra s'en dédommager l'année suivante, quand on vit arriver avec cent-dix galères, toutes chargées d'hommes et de munitions, ce terrible Barberousse, dont les côtes de l'Espagne et celles de l'Italie avaient déjà plus d'une fois éprouvé la valeur et la férocité. Bientôt le duc d'Enghien le joignit à la tête d'une escadre française, et les deux chefs réunis mirent le siège devant la ville de Nice. Ils la prirent, mais ils ne purent en emporter le château.

Nice était le seul asile que la précédente guerre eût laissé au duc de Savoie, prince infortuné, bien digne de pitié, puisqu'il avait été dépouillé sans aucun motif. Entreprendre de lui enlever, avec l'aide des Turcs, les faibles restes de sa puissance, c'était montrer une ambition odieuse ; ne pas réussir, c'était y joindre la honte. Aussi François Ier excita-t-il partout la haine et le mépris.

Ces sentiments s'accrurent encore, lorsqu'on le vit sacrifier aux Turcs les plus fidèles de ses sujets, ces habitants de la Provence qui, par leur héroïque constance, l'avaient déjà sauvé deux fois et la France avec lui. La mauvaise saison approchait : Barberousse, mécontent, voulait s'éloigner. Il lui offrit Toulon comme lieu d'hivernement, ou plutôt il la livra en proie à son avidité. Les Toulonnais reçurent l'ordre d'abandonner leur ville à ces hôtes singuliers. E leur fallut se réfugier dans les campagnes voisines, et ils y demeurèrent dans le plus affreux dénuement, exposés aux outrages d'un allié barbare, pour qui toute violence à l'égard des chrétiens était un acte de haute piété. Enfin, à peine avaient-ils pu regagner leurs demeures que le fisc demanda sa part de leurs dépouilles. Ils crièrent merci. Le roi fut inflexible[69].

D'un autre côté, les Turcs avaient pu se convaincre de l'esprit de désordre et de l'incurie étrange qui présidaient alors à toute administration en France. Pendant le siège de Nice, ils avaient été obligés de vendre de la poudre aux Français, qui n'en avaient pas apporté une provision suffisante ; et Barberousse, irrité, en avait fait de vifs reproches aux officiers du roi[70]. Au printemps suivant, voyant que les Français ne se trouvaient pas plus en état de le seconder dans une entreprise de quelque importance, il refusa de rester plus longtemps avec eux et reprit le chemin de Constantinople[71] ; mais il signala son passage vers les côtes d'Italie par des brigandages en Toscane, dans l'île d'Elbe et dans le royaume de Naples.

Les succès de Soliman, en Hongrie, ne furent pas moins nuisibles à François Ier, car ils eurent pour effet d'attacher fortement l'Allemagne à la cause de son chef. Catholiques jet protestants, tous parurent animés pour lui d'un même zèle dans la diète de Spire, qu'il convoqua entre la fin de sa campagne de 1543 et le commencement de la suivante. Henri VIII aussi était déjà entré dans son parti. Ils s'entendirent ensemble pour frapper un coup décisif. L'invasion de la France fut résolue, et les deux alliés se promirent, si la fortune les favorisait, de se joindre bientôt sous les murs de Paris.

La brillante victoire que le duc d'Enghien remporta sur du Guast, dans le Piémont, ouvrit pourtant d'une manière avantageuse pour la France cette campagne si menaçante de 1544. Peut-être même la sauva-t-elle ; car du Guast, dit-on, ne se proposait rien moins que d'envahir avec son armée tout le pays placé entre les Alpes et le Rhône, qui ne pouvait lui opposer ni places fortes ni troupes réglées. François Ier put même détacher de l'armée du duc d'Enghien un corps de douze mille hommes pour arrêter la double invasion de l'empereur et du roi d'Angleterre. Il est vrai qu'il laissa par là l'Italie aussi exposée qu'avant la journée de Cérisoles. Du Guast y reprit bientôt l'offensive, et la bataille de la Scrivia, gagnée par un de ses lieutenants, vengea sa propre défaite[72]. Mais ce dernier événement passa inaperçu au milieu d'autres faits plus graves dont la France elle-même était alors le théâtre. Charles-Quint, redevenu maître de presque tout le Luxembourg, avait pénétré en Champagne, et Henri VIII en Picardie.

Nous n'entrerons pas dans le récit des circonstances, du reste très connues, qui signalèrent cette double invasion. Après avoir pris St-Dizier, Epernay, Château-Thierry, après s'être avancé jusqu'à treize lieues de Paris., l'empereur s'arrêta tout à coup ; les négociations succédèrent aux armes, et la paix fut conclue — traité de Crespy-en-Laonnais, 1544.

Elle frappa les esprits d'étonnement. A l'arrivée du courrier qui en apporta la nouvelle, dit l'ambassadeur vénitien, Marino Cavalli[73], on s'attendait plutôt à recevoir la nouvelle d'une victoire ou d'une défaite. L'ambassadeur, plus clairvoyant, en avait déjà soupçonné la conclusion prochaine. Il en approuva les conditions et jugea qu'elle serait durable, parce que ces conditions étaient avantageuses à la fois aux deux princes. L'empereur, dit-il, a obtenu par cette paix ce qu'il voulait de la France, en lui faisant accepter le duché de Milan comme un fief nouveau, et non pas comme l'héritage de la maison d'Orléans ; c'est ce qu'il avait proposé en 1538 à Nice, et en 1540 à Gand, sans qu'on eût voulu y acquiescer. Le roi très chrétien a aussi gagné à cette paix, puisqu'il a recouvré son domaine, n'importe à quel titre.

Le traité de Crespy ne renfermait en réalité rien que Charles-Quint n'eût déjà auparavant proposé. Après la mort de François Sforza, il avait offert de donner l'investiture du duché de Milan à un prince français, pourvu que cette investiture ne ramenât point la domination française en Italie. Après le voyage de Gand, il avait réitéré cette offre, en laissant le roi de France libre d'en accepter une autre beaucoup plus brillante encore, la souveraineté des Pays-Bas, qu'il érigerait en royaume. Après le traité de Crespy, il se réserva seulement le droit de fixer lui-même son choix sur celle de ces deux concessions qui, après mûre délibération, lui paraîtrait convenir le mieux à ses intérêts.

Quant aux conditions imposées à François Ier en retour de cette libéralité, elles n'étaient point fort onéreuses, et, comme l'a fort bien remarqué M. de Sismondi[74], de tous les traités que le roi de France a conclus avec son rival, c'était le seul qu'il pût signer sans honte. Il s'engageait à restituer au duc de Savoie ses domaines ; mais il ne s'en était emparé que par une injustice flagrante, et d'ailleurs il s'y réservait deux forteresses importantes, Pignerol et Montmélian. Il renonçait à toutes ses prétentions sur le royaume de Naples, sur la suzeraineté de la Flandre et de l'Artois ; mais combien de fois déjà n'y avait-il pas renoncé ? D'ailleurs, Charles lui abandonnait en retour ses droits sur le duché de Bourgogne et le comté de Charolais, droits que jusqu'alors il avait toujours réservés. Il devait fournir six mille hommes de gendarmerie et dix mille fantassins contre les Turcs, quand il en serait requis par l'empereur et l'empire ; mais Charles-Quint ne lui avait point caché qu'au lieu de ce secours, il ne lui demanderait que l'appui de son influence auprès du sultan pour faire consentir ce prince à une trêve. Par un article secret qu'ils ne voulurent point insérer dans le traité de peur d'exciter des alarmes, le roi promettait son assistance à l'empereur pour affermir l'autorité de l'Eglise et détruire l'hérésie des protestants en Allemagne ; mais les protestants avaient été ses ennemis pendant toute cette guerre, il persécutait depuis longtemps leurs coreligionnaires dans son royaume, il avait déclaré publiquement quelques années plus tôt que si sa main droite était suspecte d'hérésie, il la brûlerait avec sa main gauche. S'allier contre eux avec Charles-Quint, qu'était-ce autre chose que dépouiller un vain masque dont le fardeau lui pesait ?

Le traité de Crespy avait néanmoins peu de chances de durée. François s'en montrait satisfait. Mais ce prince, usé avant l'âge par les débauches, n'avait plus que peu d'années à vivre. Tout le monde le sentait bien, et le cortège des courtisans, s'empressant autour du dauphin, adorait le soleil levant. Le dauphin avait été un des premiers à trouver la paix nécessaire. Il l'avait officiellement ratifiée. Il n'en signa pas moins à Fontainebleau, le 12 décembre 1544, une protestation secrète où il déclarait qu'il considérait ce traité comme nul, par suite du préjudice qu'il portait au royaume ; car l'abandon à l'Espagne des droits de la couronne sur la Flandre et l'Artois, sur le duché de Milan, sur le royaume de Naples ; la cession de la Savoie et celle du Piémont au duc de Savoie, étaient, disait-il, contraires à l'universel estat de la souveraineté de France. Il annonçait donc qu'il mettrait tous ses soins à en détruire les effets aussitôt qu'il serait hors de la puissance paternelle[75]. Une autre déclaration, à peu près semblable, fut inscrite, probablement d'après ses instances secrètes, dans les registres du parlement de Toulouse. Nouveau manque de foi qui, mieux encore que les précédents, justifie toutes les défiances de Charles-Quint à l'égard des princes français ; nouvelle preuve aussi et irrécusable que, si la France n'avait trouvé dans ce prince un ennemi capable d'arrêter ses progrès, elle se serait agrandie au point de mettre l'Europe entière dans le plus grand péril.

Robertson, après de Thou, prétend tien injustement que la mort du duc d'Orléans, en dispensant l'empereur de donner le Milanais à ce jeune prince, vint fort à propos le dégager d'une obligation qui lui pesait[76]. Charles-Quint était résolu à tenir parole. Il n'avait éprouvé qu'un seul embarras. Devait-il marier le duc avec sa fille, en lui cédant les Pays-Bas, ou lui faire épouser sa nièce, fille aînée du roi des Romains, en l'établissant dans le duché de Milan ? Il s'était fait présenter à ce sujet par le chancelier Granvelle un mémoire dont il adopta les conclusions[77]. Le chancelier s'y prononçait pour le mariage du duc avec la fille du roi des Romains. Quant à la fille de l'empereur, elle épouserait le second fils de Ferdinand et lui apporterait en dot la souveraineté des Pays-Bas. Mais le duc d'Orléans mourut au moment même où allait expirer le terme fixé pour l'exécution des conditions du traité de Crespy. Charles-Quint fit alors rédiger par Granvelle une nouvelle consultation sur les difficultés que soulevait cette mort. Il ne lui était plus possible de disposer des Pays-Bas ou du Milanais en faveur d'un fils de François Ier sans en enrichir la France elle-même, puisqu'il ne restait plus à ce prince qu'un seul fils, qui probablement le remplacerait bientôt sur le trône. Il mit donc définitivement l'infant don Philippe en possession du Milanais. Mais en retour, il déchargea le roi de France de l'obligation de restituer au duc de Savoie les villes qu'il lui avait prises. Les renonciations réciproques des deux souverains au duché de Milan, au comté d'Asti, au royaume de Naples et au duché de Bourgogne devaient demeurer valables, puisque de part et d'autre on avait accompli le traité autant qu'il avait dépendu du pouvoir des hommes[78].

François Ier fut mécontent ; et, comme d'habitude, son mécontentement lui fit chercher l'occasion de nuire à son rival. Mais il s'était lui-même privé pour quelque temps d'un de ses plus formidables moyens d'attaque. Suivant les engagements qu'il avait pris au traité de Crespy, il était intervenu, à contre-cœur, il est vrai, et de mauvaise grâce, auprès du sultan des Turcs, en faveur de l'empereur. Un armistice de dix-huit mois était déjà conclu, et les envoyés impériaux avaient l'espoir fondé de le faire convertir bientôt en une trêve plus longue. L'histoire des négociations qui préparèrent cet armistice et cette trêve forme un des épisodes les plus curieux de l'histoire des relations de la France et de l'Autriche à la fin du règne de François Ier. Elle n'occupe pas moins de place dans celle des luttes de Charles-Quint et de Soliman, puisque ces négociations ont produit le seul traité que ces deux princes aient jamais conclu ensemble. Il ne sera donc point inutile d'en faire un récit rapide.

L'empereur avait chargé un de ses secrétaires, Gérard Weltwyck, de le représenter auprès du sultan. Le roi de France lui adjoignit Montluc, évêque de Valence, et il lui donna la mission au moins apparente de soutenir les propositions de l'ambassadeur impérial[79]. Charles-Quint remit à Weltwyck deux instructions, l'une ostensible, l'autre secrète. Dans la seconde, il lui recommandait de surveiller, mais sans en faire semblant, l'envoyé français. Déjà François Ier avait fait passer à Constantinople un agent chargé, disait-il, de préparer la trêve, et depuis, les préparatifs de guerre du sultan n'avaient fait que s'accroître. Ne devait-on pas craindre que le Turc et les Français ne se fussent d'avance entendus ? Le premier, en se montrant disposé à écouter les propositions de l'empereur et de son frère, n'avait-il pas dessein de les surprendre et de donner à ses armes la ruse pour auxiliaire[80] ?

Weltwyck, muni de ses deux instructions, alla joindre M. de Montluc à Venise. Ils entrèrent immédiatement en conférences sur l'objet commun de leur mission. L'ambassadeur impérial trouva l'envoyé français sans pouvoirs, sans instructions, suffisantes et à peu près sans argent. Montluc ne lui en fit pas moins les plus belles promesses. Il se chargeait, disait-il, de conduire seul les négociations, sans avoir besoin ni de Weltwyck ni du résident français, M. d'Aramont. L'empereur obtiendrait une trêve avantageuse, et Weltwyck n'aurait qu'à la ratifier. Mais l'évêque de Valence ne se pressait pas de partir, et l'ambassadeur impérial fut obligé de l'attendre vingt-deux jours à Venise[81].

Enfin, on quitte cette ville. Mais pendant la traversée de l'Adriatique, Montluc tombe malade, et tandis qu'il se rétablit, son compagnon est obligé de l'attendre à Raguse.

Dans le même temps, Ferdinand, sans consulter son frère, avait envoyé à Soliman un docteur, nommé Sicco, auquel il avait donné les instructions les plus humbles.

Weltwyck, encore à Raguse, apprit l'arrivée de Sicco à Constantinople. Il était à craindre que l'envoyé du roi des Romains ne reçût audience des vizirs de Soliman avant que son collègue eût pu le joindre, et le ton suppliant qu'il était chargé de prendre pouvait faire croire aux Turcs que les affaires de la maison d'Autriche étaient dans un état désespéré.

Weltwyck écrivit donc immédiatement au docteur de ne rien commencer, ne grant ne petit, avant son arrivement, et que, en ce faisant, il feroit bien aux affaires de son maistre[82]. Dès que Montluc fut assez bien pour se remettre en voyage, il le pressa de partir. Montluc parut y consentir de bonne grâce. Mais à Philippopolis, l'ambassadeur français apprit la mission de Sicco à Constantinople. On lui fit connaître aussi que le docteur n'était point allé rendre visite à M. d'Aramont. Montluc s'en montra très blessé. Weltwyck, pour l'apaiser, l'assura mille et mille fois que Charles-Quint n'avait rien su de l'ambassade de Sicco. Alors il se radoucit un peu ; mais il déclara que, si l'envoyé du roi des Romains était chargé d'offrir aux Turcs un tribut, il n'appuierait point cette proposition, à moins que son maître ne lui en donnât l'ordre exprès. Il ne voulait point, disait-il, partager la honte d'un traité où un frère de l'empereur, empereur désigné lui-même, s'assujettirait à un prince musulman.

La colère des Turcs n'était pas moindre, et elle était beaucoup mieux motivée. Sicco, en arrivant, leur avait fait de grandes offres et les avait pressés de conclure la paix avant l'arrivée de Weltwyck. La mission de l'ambassadeur impérial n'avait rien de commun avec la sienne, disait-il. Sur ces entrefaites, les Turcs surprennent une lettre envoyée par Weltwyck à ce même Sicco. Elle recommandait au docteur de l'attendre lui-même pour commencer les négociations : Leurs missions avaient le même but, et l'intention de leurs maîtres était qu'ils concertassent toutes leurs démarches. Les Turcs se persuadent qu'on veut les tromper et deviennent furieux. Ils ne se croyaient point obligés de respecter le droit des gens, alors usité parmi les nations chrétiennes ; non seulement ils refusèrent d'écouter le pauvre docteur, mais encore ils le retinrent prisonnier[83].

Enfin, pour compliquer la situation, vint la nouvelle de la mort du duc d'Orléans, événement qui semblait devoir rallumer la guerre entre l'empereur et la France. Tout était dans la plus étrange confusion, lorsque Weltwyck et Montluc arrivèrent à Constantinople. Cette confusion ne fit que s'augmenter. Montluc et d'Aramont, quoique jaloux l'un de l'autre et soutenant des intrigues contraires, s'entendaient pour empêcher Weltwyck de réussir sans leur intervention. Ils voulaient à la fois donner à l'empereur une haute idée de leur crédit auprès des Infidèles, et acquérir aux yeux de ces derniers l'honneur d'avoir amené à leurs pieds le plus puissant des souverains chrétiens. L'offre d'un tribut aux Ottomans avait déplu à Montluc, quand Sicco l'avait faite. Il la trouva toute naturelle, lorsqu'il fut chargé toi-même de la présenter. Il laissa même voir plusieurs fois, avec trop peu d'adresse, combien il désirait que sa médiation procurât aux Turcs d'incontestables avantages[84].

L'ambassadeur impérial resta ferme et digne durant toute la négociation. Enfin, on conclut au commencement de novembre 1545 un armistice de huit mois. De nouveaux pourparlers, troublés par divers incidents, aboutirent en 1547 (13 juin) à une trêve de cinq années. Le sultan, Charles-Quint et Ferdinand devaient conserver leurs possessions réciproques. Mais le roi des Romains s'obligeait à payer à Soliman un tribut annuel de trente mille ducats, pour la portion de la Hongrie dont il était maître.

François Ier devait donc renoncer pour quelque temps à armer la Porte-Ottomane contre Charles-Quint. Mais l'Allemagne pouvait remplacer la Turquie. L'empereur et les protestants s'y montraient de jour en jour moins disposés à s'accorder ensemble, et la guerre devenait inévitable. François Ier se hâta de traiter de la paix avec le roi d'Angleterre, Henri VIII (7 juin 1546). Il n'osa pourtant point encore se déclarer pour les confédérés de Smalcalde ; il se contenta de les appuyer secrètement jusqu'à ce que leurs premiers succès lui permissent d'avouer sa nouvelle alliance. C'est sans doute en Italie qu'il aurait alors porté ses armes ; car, tout vieux et cassé qu'il était, il avait conservé une tendresse toute juvénile pour son ancienne fiancée, la duché de Milan. Il chercha à s'en ouvrir de nouveau l'entrée, en y suscitant quelque commotion violente : un soulèvement des Etats italiens contre l'Espagne commencerait l'abaissement de cette puissance ; la France surviendrait ensuite et frapperait le coup décisif.

Un allié dévoué s'offrit d'abord à lui, Pierre Farnèse, fils du pape Paul III. Ce pontife, d'une faiblesse extrême pour tous les membres de sa famille, avait démembré les duchés de Parme et de Plaisance des Etats du Saint-Siège en faveur de ce fils indigne, qui ne s'était fait remarquer que par des vices monstrueux. Il avait même sollicité plusieurs fois de l'empereur, ou pour Pierre lui-même ou pour son fils Octave, la concession du duché de Milan. Mais l'empereur avait toujours rejeté cette proposition[85] ; il n'avait même point voulu ratifier, par un acte formel d'investiture, la nouvelle destination donnée aux duchés de Parme et de Plaisance. Ces deux refus avaient laissé un ressentiment profond dans le cœur des Farnèse, et la petite cour de Parme devint avec celle de Ferrare, où dominait la belle-sœur de François Ier, Renée de France, le centre de toutes les intrigues, de tous les complots italiens, dont le mot d'ordre était donné par la France.

L'esprit des Italiens est naturellement inflammable. Le contraste de la servitude, où les tenait une puissance étrangère, avec leur antique liberté, réveillait par moments leur énergie et les poussait à des efforts d'affranchissement malheureusement plus violents que soutenus. Il semblait d'ailleurs que leurs maîtres eussent pris à tâche de rendre leur domination intolérable, même pour les plus patients. Aux éminentes qualités de Charles-Quint ne se joignait point le talent de l'administrateur : Dans toutes les provinces sur lesquelles s'étendait son empire, on voyait immédiatement s'établir un système destructeur de toute économie politique. Les monopoles se multipliaient, la justice était soumise à une autorité arbitraire et capricieuse, le commerce était entravé, les propriétés enchaînées par des fidéicommis ; l'oisiveté était considérée comme un honneur, et l'industrie comme une tâche, et les Etats jadis les plus florissants se trouvaient bientôt réduits à la dernière misère[86].

C'est ainsi qu'il commença l'appauvrissement de l'Espagne, achevé ensuite par son successeur. Mais combien était plus dure encore la condition des Italiens, qu'il laissait à la merci de gouverneurs avides, impitoyables, dépourvus de tout sentiment humain, n'ayant d'autre vertu que de servir fidèlement leur maître, et de lui sacrifier avec la même facilité leur conscience et leur vie ! Tel était ce Fernand de Gonzague, chargé par lui d'abord du gouvernement de la Sicile, puis de celui de Milan. Pour ne citer qu'un exemple de sa perfidie et de sa cruauté, des soldats espagnols, en garnison dans la Goulette en Afrique, s'y étaient mutinés et avaient été transportés en Sicile au nombre de six mille. Là, ne recevant point encore la solde qui leur était due depuis un temps infini, ils se soulevèrent de nouveau et se mirent à ravager l'île. Pour les désarmer, le vice-roi leur promit prompte satisfaction ; il se rendit à la messe avec leurs chefs, et lorsque l'hostie consacrée fut montrée au peuple, il leur jura, en élevant la main bien haut, qu'il laisserait toujours le passé dans l'oubli. Mais il tint si peu son serment, qu'il en fit mourir le plus grand nombre, la plupart dans d'affreux supplices[87]. Don Pedro de Tolède, vice-roi de Naples, le surpassait encore en mauvaise foi et en froide férocité. Ce fut lui, dit M. de Sismondi[88], qui attribuant à l'Etat le monopole du commerce des blés, exposa la capitale à de fréquentes famines, et la réduisit à n'avoir, dans les années les plus abondantes, qu'un pain inférieur en qualité à celui que mangeaient les pauvres dans les années de disette, lorsque le commerce était encore libre. Ce fut lui qui suscita la haine qui a toujours régné depuis, et qui a souvent éclaté par des batailles, entre la garnison espagnole et les soldats de la ville. Ce fut lui qui, jaloux de la noblesse napolitaine, la rendit suspecte à l'empereur et l'accabla de mortifications qui poussèrent plusieurs de ses chefs à la rébellion.

Tous les petits Etats italiens voisins. de ceux où ces deux gouverneurs exerçaient leur tyrannie, tremblaient de devenir bientôt les victimes de leur inquiète et dévorante ambition. Comme ils étaient placés pour la plupart sous le joug d'une faction dévouée aux impériaux, ils avaient à craindre d'être livrés par elle à ces oppresseurs du Milanais et de Naples, s'ils ne se hâtaient de prendre pour chefs les partisans de la France. Mais loin d'empêcher par là l'affermissement de la domination espagnole dans les parties de l'Italie où elle était déjà établie, ils forcèrent en quelque façon l'empereur à se rendre maître d'une portion de l'Italie centrale pour couvrir ses Etats de Milan et de Naples, comme auparavant il avait été obligé de conquérir, puis de garder le Milanais pour assurer son royaume de Naples contre les prétentions de la France.

C'est par la république de Gênes que commencèrent ces mouvements si funestes à l'indépendance italienne. Charles-Quint y avait rétabli l'autorité de la noblesse, qui en retour professait pour lui un dévouement absolu. Elle avait pour chef ce célèbre André Doria, le plus habile homme de mer de l'époque, et en même temps l'homme qui aima le mieux sa patrie. L'empereur avait pour lui une affection toute filiale, et grâce à cette affection, Gênes n'avait reçu jusque là que des bienfaits du dominateur de l'Italie.

Mais un seigneur gênois, Jean-Louis de Fiesque, comte de Lavagna, voyait avec un dépit amer le crédit dont jouissaient Doria et ses neveux auprès de leurs concitoyens ; et, comme il était léger, ardent, plein d'ambition et de dissimulation, depuis longtemps déjà il tramait dans le mystère un complot contre eux et travaillait à les supplanter à l'aide de la faction populaire. Dès l'époque de l'assassinat de Frégose, du Guast avait trouvé, dit-on, parmi les papiers de cet agent français un mémoire sur les affaires de Gênes, et Fiesque y était recommandé à François Ier comme un instrument dévoué dont on pourrait se servir utilement[89]. Ce fut le vieux Doria qui, par son intercession auprès de Charles-Quint, sauva la vie au jeune conspirateur. Quelque temps après, le cardinal Trivulce, qui avait la direction suprême des affaires de France en Italie, députa à ce même Fiesque Nicolas Sodérat, gentilhomme de Savone, pour le sonder et l'engager à ramener la domination française dans sa patrie. Fiesque était trop orgueilleux pour accepter un maître ; il ne voulut travailler que pour lui-même. Son complot ourdi avec habileté, exécuté avec énergie, réussit d'abord, et déjà le succès en était assuré, lorsque le chef des révoltés périt victime d'un accident imprévu. Son frère, qui n'avait point la même autorité sur les conjurés, ne put le remplacer. Les partisans de Doria se remirent de leur premier effroi, et l'émeute fut comprimée.

Cette sédition de Gênes fut bientôt suivie d'un soulèvement des Napolitains contre leur vice-roi. La cause principale du soulèvement fut le projet qu'il avait manifesté d'établir parmi eux l'inquisition. Mais les Français n'y furent point non plus étrangers. Leurs envoyés à Rome donnaient sans cesse des espérances aux fauteurs de l'insurrection. Une flotte française, commandée par un des Fiesque, émigrés de Gênes, devait leur être amenée de Marseille. Les troubles durèrent presque sans interruption dans cette capitale depuis la fin du mois d'avril jusqu'au commencement du mois d'août 1547. Les deux partis s'y livrèrent plusieurs combats sanglants. Enfin, les Napolitains déposèrent les armes après qu'on eût révoqué l'édit qui instituait l'inquisition[90]. On leur accorda de plus une amnistie presque complète, et on l'observa plus religieusement que les ministres impériaux n'avaient coutume de le faire en pareille circonstance.

Si François Ier avait préparé, comme il est probable, cette dernière sédition, il n'en fut pas témoin. Il mourut quelques jours avant qu'elle éclatât, le 31 mars 1547. Le roi d'Angleterre, Henri VIII, était mort environ deux mois avant lui.

 

 

 



[1] Isambert, Lois anciennes, tome XII, page 337 ; Traités de Paix, tome II, page 181.

[2] Le Glay, tome II, page 723. — Lanz, tome I, page 350 et suivantes.

[3] Le Glay, tome II, page 723.

[4] S'il l'eût gardé pour lui-même, bien, de par Dieu ! mais de le bailler à un tel, comme par mépris et despit d'eulx, c'était une chose intolérable. (Du Bellay, commencement du liv. IV, an 1530.) — Galéas Visconti, Milanais banni lors de la rentrée du duc François Sforza, et qui depuis 1523 était attaché au parti de la France, disait en 1529 à Poupet de la Chaulx, ambassadeur impérial, non sans y être autorisé par le roi sans doute, qu'il y avait deux lignaiges en Italie qu'estaient cause de tous les maux qui y estaient, asscavoir : les Médicis et Sforza, et que le monde eust été bien heureux que piéça la race en eust été faillie. Le Glay, tome II, page 706.

[5] Papiers d'Etat de Granvelle, tome Ier, ann. 1530.

[6] Lanz, Correspondenz, tome I, page 408.

[7] Granvelle, tome I, page 577.

[8] Lanz, Correspondenz, tome II, page 41 et 42.

[9] Lanz, Correspondenz, tome II, page 43 et 44.

[10] Du Bellay, liv. IV, page 451, éd. Panthéon. Voyez sur ce sujet la dernière partie de celte étude, qui concerne spécialement les affaires d'Allemagne.

[11] Guichardin, liv. XX, chap. II. — Du Bellay, liv. IV, au. 1533, page 457, éd. Panthéon.

[12] Du Bellay, liv. IV, ann. 1532, page 456, éd. Panthéon.

[13] Du Bellay, liv. IV, page 457, éd. Panthéon. Il est inutile de dire que nous tirons de ce texte et de beaucoup d'autres des conclusions tout à fait contraires à celles de l'auteur. Les cardinaux de Tournon et de Grammont n'auraient point pris probablement sur eux de commencer leur mission par des paroles gracieuses, s'ils avaient eu ordre de débuter par des menaces, et j'hésite à croire que l'intérêt d'Henri VIII ait été surtout consulté dans toute cette affaire.

[14] Granvelle, Papiers d'État, tome II, page 1 et suivantes.

[15] Du Bellay prétend que le pape refusa d'accorder à l'empereur cette satisfaction, disant que le bien et honneur qui à sa maison estait accordé par le roy, en acceptant son alliance, estaient tels et si grands que c'estait audit seigneur et non à luy d'y apposer et ordonner les conditions. Mais l'original de cet acte se trouve au commencement du t. II des Papiers d'Etat de Granvelle.

[16] Guichardin ajoute : Lorsqu'il n'était point troublé par la crainte.

[17] M. Gaillard, Histoire de François Ier, t. III, c. VI, trouve très mauvais que le duc de Savoie n'ait point accepté avec empressement l'honneur que le roi de France voulait bien lui faire de lui prendre sa ville de Nice, peut-être dans l'intention de la conserver ensuite pour lui-même. Ce seul exemple suffit pour montrer quelle est la partialité de cet historien.

[18] Guichardin, liv. XX, chap. II. — Il prétend que le roi de France, même avant l'entrevue, s'était engagé, parmi beaucoup d'autres choses qu'il observa moins (comme de ne demander la pourpre en faveur d'aucun de ses sujets), de ne lui parler en aucune façon de l'affaire du roi d'Angleterre. Le témoignage de du Bellay, liv. IV, est loin d'être conforme à celui de Guichardin. Nous les avons comparés longuement, et nous avons fini par donner la préférence à celui de Guichardin, à cause du caractère généralement plus impartial de l'auteur, et aussi parce que dans le récit de du Bellay il se trouve plusieurs circonstances invraisemblables ou même contradictoires.

[19] Du Bellay, liv. IV, page 472, éd. Panthéon.

[20] Voici comment Robertson, entre autres, s'exprime sur cette mission diplomatique, en altérant toutefois le texte de du Bellay, en ce sens qu'il fait faire à François Ier les premières avances auprès de François Sforza. Le roi de France s'adressa surtout à François Sforza, qui était, il est vrai, redevable à Charles de la possession du duché de Milan, mais qui le tenait à des conditions si dures qu'elles le rendaient non-seulement vassal de l'empire, mais encore tributaire et personnellement dépendant de l'empereur. L'honneur d'avoir épousé la nièce du plus grand souverain de l'Europe — le mariage n'était pas encore conclu, mais seulement projeté — ne pouvait lui faire oublier la honteuse servitude à laquelle il se trouvait abaissé ; et cet état lui parut si insupportable que, tout faible et timide qu'il était, il prêta fidèlement l'oreille aux premières propositions que lui fit François de l'affranchir du joug. Les ouvertures lui furent portées par Merveille, gentilhomme milanais, résidant à Paris, etc. Voici la manière dont il termine ce récit : Ils vinrent à bout — le duc de Milan et ses conseillers — d'engager Merveille dans une querelle avec un des officiers domestiques du duc ; l'ambassadeur, qui n'avait ni la prudence ni la modération qu'aurait exigées l'emploi qui lui était confié, tua son adversaire. On l'arrêta sur-le-champ, on lui fit son procès, il fut condamné à perdre la tête, et la sentence fut exécutée au mois de décembre 1533. François, étonné qu'on eût ainsi violé un caractère qui était sacré parmi les nations les plus barbares, et indigné de l'affront fait à la dignité de sa couronne, menaça Sforza des effets de son ressentiment et porta ses plaintes à l'empereur, qu'il regardait comme le véritable auteur de cet outrage inouï. Mais n'ayant pu obtenir aucune satisfaction ni de l'un ni de l'autre, il en appela à tous les princes de l'Europe et se crut alors en droit de tirer vengeance d'une insulte qu'il ne pouvait laisser impunie sans avilir son caractère et sans dégrader son rang. — Robertson, commencement du liv. VI, trad. Suard.

[21] Lettre du 7 juin 1534, Papiers d'Etat de Granvelle, t. II.

[22] Papiers d'Etat de Granvelle, t. II, pages 131 et suivantes.

[23] Lettre datée du 4 août 1534, Granvelle, t. II.

[24] Lettre du 4 septembre au comte de Nassau ; Granvelle, t. II.

[25] Charles-Quint, dans sa correspondance (Lettre à sa sœur du 23 juillet 1535, Lanz, Correspondenz, tome II, page 196), paraît se réjouir en effet d'avoir trouvé quelques Français au nombre des prisonniers dont il a fait rompre les chaînes. Si sont trouvés, dit-il, jusques à LXXI Français, tant de ceulx qui estoient des serviteurs des dauphin de France et duc d'Orléans que aultres auparavant et depuis captifs, lesquels j'ai incontinent faict favorablement délivrer à l'ambassadeur du roy de France, pour iceulx renvoier salvement en leur pays.

[26] Lanz, Correspondenz, tome II, page 200.

[27] Guichenon, Histoire générale de la Savoie, in-fol. Lyon, 1660, tome I, page 639. Ce fut sur le conseil de Charles-Quint lui-même, si l'on en croit une lettre de ce prince à son fils, écrite d'Augsbourg le 18 janvier 1548, qui se trouve dans les Papiers d'Etat de Granvelle, tome III, pages 267 fit suivantes.

[28] Guichenon, Preuves, tome IV, page 493.

[29] Papiers d'Etat de Granvelle, novembre 1535, t. II, page 375 et suivantes.

[30] Le récit de ces nouvelles négociations se trouve tout entier dans les Mémoires de du Bellay, l. V ; mais il en tire des conclusions différentes des nôtres.

[31] Cette instruction si curieuse fait partie de la collection des Papiers d'Etat de Granvelle, t. II, p. 423 et suivantes.

[32] Du Bellay, liv. V, p. 513, éd. Panthéon.

[33] Du Bellay, liv. V, accuse Charles-Quint d'avoir prié François Ier, lorsque cette négociation s'ouvrit, de n'en point faire part au pape, tandis que lui-même l'en avertissait secrètement. Un peu auparavant (liv. IV), on trouve dans ses Mémoires que Charles-Quint avait usé d'une dissimulation semblable à l'égard de ce même prince, sollicitant de lui une entrevue, l'engageant, à en tenir le projet secret, et en avertissant le prédécesseur de Paul III, avec la promesse formelle qu'il n'y serait rien fait contre les intérêts de l'Eglise et ceux des différents Etats de l'Italie. Je ne vois point, je l'avoue, quel motif pouvait porter Charles-Quint à agir de cette sorte dans l'un ou dans l'autre cas, mais surtout dans le premier, où ses intérêts paraissent avoir été identiques à ceux du pontife. En général, je crois que François Ier aimait à tenir ses alliances secrètes, et Charles-Quint à publier les siennes. J'en veux pour preuve un autre reproche que du Bellay (liv. VIII) fait à cet empereur de nature malicieuse d'avoir, à l'époque de son passage par la France et de sa grande union avec son rival, fait si bien auprès de celui-ci, que le seigneur d'Annebault accompagna le marquis du Guast, ambassadeur impérial à Venise, pour faire entendre dans cette ville la grande fraternité qui estoit entre leurs deux maîtres. Cette grande fraternité était assez révélée par les honneurs extraordinaires que Charles-Quint recevait en France et par le refus qu'avait fait François de venir au secours des Gantois rebelles. Mais François Ier n'en commit pas moins une faute inconcevable d'envoyer cet ambassadeur à Venise, au moment même où il entretenait un agent auprès des Turcs, contre lesquels Charles-Quint cherchait à maintenir les Vénitiens en hostilité, en leur faisant espérer le secours prochain de celui qui, après lui, était le plus puissant prince de la chrétienté.

[34] T. II, p. 331 et suivantes de la traduction in-f° de Denis Savage, ann. 1536, liv. XXXV.

[35] Lettre du 14 septembre 1536, Lanz, Correspondenz, t. II, p. 248.

[36] Lanz, Correspondenz, t. II, p. 263 et suivantes, à la date d'octobre 1536.

[37] Du Bellay, liv. VIII, p. 657, éd. Panthéon, ann. 1537.

[38] Lettres et mémoires de Ribier, t. I, p. 1.

[39] On peut du moins le conjecturer d'après ce qui eut lieu quelques années après. Paul Jove, évêque de Nocera, grand admirateur de Paul III, dit du reste lui-même que les deux souverains, déjà très bien disposés l'un à l'égard de l'autre, ne voulurent point donner au pape la satisfaction d'être le médiateur de leurs querelles, parce qu'ils le soupçonnaient de vouloir tirer parti de cette médiation pour son profit particulier, recherchant la main de Marguerite d'Autriche pour son petit-fils, Octave Farnèse, et manifestant le désir de faire épouser à sa petite-fille, Victoria, M. de Vendôme, l'un des princes du sang de France. (Jove, liv. XXXVIII.)

[40] Mémoires de du Bellay, liv. VIII, p. 691, éd. Panthéon.

[41] Lanz, Correspondenz, t. II, p. 285 et suivantes. Lettre écrite à la reine Marie de Hongrie, à la date du 18 juillet 1538.

[42] La confiance de François Ier en Charles-Quint n'était pas si entière qu'il ne donnât, même après cette entrevue, des ordres pour fortifier toutes ses frontières et particulièrement les places fortes du Piémont, dont il était maître. On se mettait en mesure de renouveler la guerre, tout en parlant de paix perpétuelle et de fraternelle concorde.

[43] Mignet, Charles-Quint au monastère de Saint-Just, ch. Ier, p. 7 et 8.

[44] Voyez Instruction, en date de Chantilly, 5 août 1539, donnée à l'élu d'Avranches, et relation de cet évêque, septembre 1539. Ribier, t. I, p. 467 et 468.

[45] Octobre 1539, Granvelle, t. II, p. 540. D'autres lettres furent écrites par Montmorency. Charles-Quint, dans les explications qu'il donna plus tard au pape Paul III sur son passage à travers la France (28 août 1542, Granvelle, t. II, p. 631), parle également de requêtes semblables qui lui furent faites par les enfants du roi, par Henri d'Albret et sa femme, et par d'autres personnages de la cour.

[46] Du Bellay, liv. VIII ; de Thou, liv. Ier. — Robertson, qui prétend les copier (liv. VI), va plus loin que tous deux. Il nous fait assister à un conseil dans lequel Charles-Quint propose de demander à François Ier la permission de passer par ses Etats. Tous ses conseillers, dit-il, désapprouvèrent d'une voix unanime cette idée, qui leur parut téméraire. Ils lui représentèrent que cette demande l'exposerait inévitablement à un affront, si elle était refusée, comme il y avait lieu de s'y attendre, ou à un danger imminent, si elle était accordée. — M. de Sismondi seul a connu une partie de la vérité.

[47] Mars 1540, Papiers d'Etat de Granvelle, t. II, page 562, 563 et suivantes.

[48] Sismondi, Histoire des Français, tome XVII, page 52,53.

[49] Le testament a été perdu. Le codicille, daté du 5 novembre 1539, se trouve dans les Papiers d'Etat de Granvelle, tome II, page 542 et suivantes.

[50] Granvelle, tome XI, page 549, 550. Elles sont datées aussi du 5 novembre.

[51] Brantôme, tome XI.

[52] Jove, tome II, in-folio, liv. XXXIX.

[53] Ribier, tome I, page 540.

[54] Papiers d'Etat de Granvelle, tome II, page 599, 28 octobre 1540.

[55] Il (Henri VIII) est, à ce qu'il me semble, et que tout ce peuple affirme, bien affectionné à la duchesse de Milan, laquelle, ainsi que puis trois jours me dit un personnage qui sait presque tous les secrets, il prendrait volontiers, voires que l'on la lui voulsist donner toute nue, sans ung seul denier. Lanz, tome II, page 303.

[56] Ainsi, on trouve dans un compte qu'il présenta à François Ier lors de son retour de sa seconde mission, parmi les frais extraordinaires dont il demandait à être remboursé : — A Lufti, premier bascha, pour gagner de plus en plus sa faveur et affection devers les affaires du roi et l'endormir sur le passage de l'empereur par la France, donné en diverses sortes de robes, tant de draps d'or que de soie, jusqu'à la somme de trois cents écus d'or. — A Mahometz, troisième bascha, pour le fait et cause que dessus, donné aussi en robes jusqu'à la valeur de cent cinquante écus. — A Rostan, gendre du grand seigneur et son dernier bascha, donné aussi pour luy mieux faire croire les excuses dudit passaige de l'empereur par France, en robes, jusques à la somme de cent cinquante escus. — Négociations du Levant, tome I.

[57] Voyez de Hammer, Histoire de l'empire Ottoman, fin du livre XXIX, et le tome Ier des Négociations du Levant, recueillies par ordre du ministre de l'Instruction publique.

[58] Lettre de l'évêque de Montpellier, ambassadeur français à Venise, écrite à Rinçon, 19 décembre 1540. — Négociations relatives aux relations de la France avec le Levant, tome Ier.

[59] Mémoires de du Bellay, liv. IX.

[60] Mémoires de du Bellay, liv. IX.

[61] Du Bellay est le seul historien qui prétende que le roi et son lieutenant dans le Piémont surent dès le principe que les deux agents avaient été tués, et non pas faits prisonniers. Néanmoins il ajoute qu'ils firent comme si ces seigneurs fussent prisonniers et non occis, en intention d'attirer la confession de l'assassinement par la bouche du marquis, ou bien, s'il n'en était participant, pour qu'il ne faillît d'en faire justice exemplaire. — Du Bellay, liv. IX, page 699.

[62] Lanz, tome II, p. 315. L'assassinat avait eu lieu le 3 juillet.

[63] Lanz, tome II, p. 315.

[64] 3 août 1541. — Lanz, tome II, page 324.

[65] Lanz, tome II, page 326.

[66] Voyez, sur ce dernier fait, Négociations du Levant, tome Ier, page 347.

[67] De Thou, liv. I, an. 1541. Il paraît que de Thou ne trouvait pas que l'assassinat des deux agents français fût un motif suffisant pour renouveler les hostilités. Mais que dire alors des prétentions sur le Roussillon et le Luxembourg !

[68] Lettre de de Praët à Charles-Quint, 24 septembre 1542 ; Lanz, Correspondenz, tome II, page 364.

[69] Négociations du Levant, tome Ier ; Jove, liv. XLV.

[70] De Hammer, liv. XXX.

[71] Jove, liv. XLV, tome II, page 629, prétend pourtant que Barberousse offrit à François Ier de dévaster toute la côte orientale de l'Espagne, et que le roi de France refusa par un sentiment d'humanité chrétienne. Ce sentiment d'humanité ne se comprend guère dans le prince qui déjà tant de fois avait cherché à mettre à profit les brigandages des Turcs.

[72] Jove, liv. XLV.

[73] Relations des ambassadeurs vénitiens, Marino Cavalli, 1546, tome I, page 313-317. L'appréciation que ce passage donne des causes qui produisirent le traité de Crespy est conforme aux raisons indiquées dans un mémoire justificatif du traité de Crespy, rédigé par Granvelle, Papiers d'Etat, tome III, page 26 et suivantes.

[74] Histoire des Français, tome XVII, page 219.

[75] Recueil des traités, tome II, page 235-238 ; Sismondi, Histoire des Français, tome XVII, page 87 et suivantes.

[76] Robertson, Histoire de Charles-Quint, liv. VII ; de Thou, fin du liv. I.

[77] Granvelle, Papiers d'Etat, tome III, page 78 et suivantes, pièce datée de Bruxelles, fin de février 1545.

[78] Voyez Papiers d'Etat de Granvelle, tome III, p. 188 et suivantes.

[79] Les relations françaises sur cette ambassade se trouvent dans les Négociations du Levant, et celles de Weltwyck dans la Correspondance de Charles-Quint, recueillie par Lanz, au milieu du t. II.

[80] Lanz, Correspondenz, tome II, page 439.

[81] Lettre de Weltwyck à l'empereur, du 7 juin 1545 ; Lanz, Correspondenz, tome II, page 445.

[82] Lettre de Weltwyck à l'empereur, 10 juillet ; Lanz, Correspondenz, tome II, page 456.

[83] Lettre du 6 août 1545 ; Lanz, Correspondenz des Kaisers Karl V, tome II, page 462.

[84] Lettre du 10 octobre 1545 ; Lanz, Correspondenz, t. II, p. 467.

[85] Par exemple, aux entrevues de Lucques et de Busséto, 1541-1543. — Ranke, Histoire de la papauté, prétend que ces négociations faillirent avoir le résultat que le pape en espérait. Du Guast, gouverneur de Milan, dans cette persuasion, se serait même donné fort inutilement la peine de préparer une belle harangue qu'il comptait prononcer à l'arrivée des Farnèse, ses nouveaux souverains.

[86] Sismondi, Républiques italiennes, tome IX, page 386.

[87] Jove, liv. XXXVIII, ann. 1538.

[88] Sismondi, Histoire des Républiques italiennes, t. X, p. 202.

[89] De Thou, liv. III, au commencement du livre.

[90] De Thou, l. III, an. 1547 ; Sismondi, Histoire des Français, t. XVII.