Histoire critique de l'établissement de la monarchie française dans les Gaules

 

LIVRE VI

 

 

CHAPITRE 11

Du gouvernement particulier de chaque cité, sous le règne de Clovis, et sous le règne de ses premiers successeurs. Que chaque cité avait conservé son sénat, et que ces sénats avaient été maintenus dans leurs principaux droits. Que chaque cité avait aussi conservé sa milice.

Nous avons suffisamment expliqué dans les chapitres précédents, que les rois mérovingiens étaient à la fois chefs, souverains, ou rois de chacune des nations barbares qui habitaient dans les Gaules ; qu’ils étaient outre cela princes des romains de cette grande province, et qu’en cette qualité ils exerçaient en leur propre nom sur ces romains la même autorité que le préfet du prétoire et le maître de la milice exerçaient sur eux dans les temps précédents, au nom de l’empereur. Nous avons aussi rapporté que nos rois envoyaient dans chaque cité pour y être le principal officier, un comte ; ainsi c’était à ce comte que devaient répondre tous les supérieurs locaux, s’il est permis d’employer cette expression, pour désigner l’officier qui était le chef ou le supérieur des romains du lieu, et celui qui était le chef ou le supérieur de chaque essaim de barbares établi dans le territoire de la cité, et cela de quelque nation que ces barbares pussent être. L’autorité du comté émanait directement du roi, et tous les sujets du roi, quels qu’ils fussent, devaient par conséquent la reconnaître.

C’était donc au comte de chaque cité, que les magistrats municipaux des romains, ainsi que leurs officiers militaires devaient s’adresser dans les affaires importantes. C’était au comte que les sénieurs des francs et les autres chefs des essaims de barbares devaient recourir. C’était lui qui dans les occasions leur intimait les ordres du roi, et qui avait soin que la justice fût rendue et les revenus du prince payés. C’était encore lui qui commandait dans les occasions, les troupes que son district fournissait pour servir à la guerre, et qui par conséquent ordonnait aux barbares comme aux romains, de prendre les armes et de marcher. Le pouvoir civil, comme on l’a déjà remarqué, n’était point séparé du pouvoir militaire sous les rois mérovingiens, ainsi qu’il l’avait été sous les empereurs successeurs de Constantin le Grand.

Nous avons déjà observé que la division des Gaules en dix-sept provinces, n’avait point eu de lieu sous nos rois, du moins par rapport au plus grand nombre de ces provinces. Ainsi l’on voit bien que les comtes devaient répondre directement au roi, et qu’en campagne ils devaient commander la milice de leur district immédiatement sous lui ou sous le général qu’il avait nommé. Il faut cependant en excepter les comtes dont les cités se trouvaient enclavées dans les espèces de commandements que nos rois érigeaient de temps en temps, en mettant plusieurs cités sous les ordres d’un seul officier. Celui à qui l’on confiait ces espèces de gouvernements, dont la durée et les bornes ont été d’abord purement arbitraires ; et qui avait plusieurs comtes sous ses ordres, s’appelait du même nom qu’on donnait dans le bas empire à ceux qui commandaient dans un tractus ou commandement militaire, et il se nommait duc. Par exemple sous le règne des petits-fils de Clovis on forma de la Touraine et du Poitou un de ces gouvernements, dont Ennodius fut fait duc. Mais comme je viens de le dire, il ne parait point que ces gouvernements aient jamais fait un département stable, ni pour user de cette expression, une province permanente, ainsi que le faisaient les gouvernements de même genre, que les empereurs romains avaient érigés dans les Gaules, et qui s’appelaient tractus. Il arrivait donc que quelquefois un comte avait un duc pour supérieur, et quelquefois qu’il n’y avait personne entre le comte et le prince, auquel cas le comte recevait immédiatement les ordres du roi, et s’adressait directement au souverain.

Voilà pourquoi Frédégaire, parlant d’une armée nombreuse que le roi Dagobert Ier fit marcher contre les gascons, dit, après avoir fait l’énumération des ducs qui l’avaient jointe avec les troupes de leur département : qu’il s’y trouvait encore plusieurs comtes,... quoique les rois conférassent les emplois de comte suivant leur bon plaisir, ils avaient néanmoins quelquefois la complaisance de laisser le choix de cet officier au peuple de la cité même, qu’il devait gouverner. Grégoire de Tours rapporte comme un évènement assez ordinaire, que son diocèse se plaignant du gouvernement de Leudastés, le roi Chilpéric premier donna commission à Ansoaldus de s’y rendre, pour mettre ordre au sujet de ces plaintes. Ansoaldus, ajoute l’historien, vint à Tours le jour de saint Martin, et il défera au peuple et à nous le choix d’un nouveau comte ou gouverneur. En conséquence de cette grâce, Eunomius fut revêtu de l’emploi de comte : cela sent-il l’esclavage ?

Nous avons vu, en parlant de l’état des Gaules sous les empereurs, qu’il y avait dans chaque cité un sénat, qui en était comme l’âme, et qui dans ce district, avait la même autorité et le même crédit que le sénat de Rome avait dans Rome sous le bas empire. Ainsi dans chaque cité, le sénat, comme nous l’avons dit, était du moins consulté par les officiers du prince, sur les matières importantes, comme était l’imposition des subsides extraordinaires. C’était encore lui, qui sous la direction des officiers du prince, rendait ou faisait rendre la justice aux citoyens, et qui prêtait la main à ceux qui faisaient le recouvrement des deniers publics. Que ces sénats aient subsisté sous les rois mérovingiens, on n’en saurait douter. On vient de lire dans le neuvième chapitre de ce livre, et on avait lu déjà dans d’autres endroits plusieurs passages de Grégoire de Tours, où il donne la qualité de sénateur de la cité d’Auvergne ou d’une autre, à des hommes qu’il a pu voir, et dont quelques-uns devaient être nés comme il l’était lui-même, depuis la mort de Clovis.

Il parait que quelques-uns de ces sénats ont subsisté non seulement sous les deux premières races, mais encore sous la troisième, et que c’est à leur durée que plusieurs villes ont dû l’avantage de conserver dans tous les temps le droit de commune, et de se maintenir dans sa jouissance, quoiqu’elles fussent enclavées dans les domaines des grands feudataires de la couronne. C’est parce que ces villes avaient conservé leur sénat, et que leur sénat avait conservé la portion d’autorité dont il jouissait dès le temps des empereurs romains et sous les deux premières races, qu’on trouve que sous les rois de la troisième race, ces mêmes villes étaient déjà en possession du droit de commune d’un temps immémorial. En effet, on voit que certainement elles en jouissaient sous le règne de tous ces princes, sans voir néanmoins qu’elles l’eussent jamais obtenu d’aucun roi de la troisième race, sans voir sous quel roi elles ont commencé d’en jouir. C’est ce qu’il faut exposer plus au long ; et pour l’expliquer mieux, je ne feindrai point d’anticiper sur l’histoire des siècles postérieurs au sixième et au septième. On ne saurait, et j’ai déjà plus d’une fois allégué cette excuse, éclaircir avec le peu de secours qu’il est possible d’avoir aujourd’hui, tout ce qui s’est passé dans ces deux siècles-là, sans s’aider quelquefois de lumières tirées de ce qui s’est passé dans les siècles postérieurs.

Un des évènements les plus mémorables de l’histoire de notre monarchie, est celui qui arriva sous les derniers rois de la seconde race, et sous Hugues Capet, auteur de la troisième. Ce fut alors que les ducs et les comtes, abusant de la faiblesse du gouvernement, convertirent dans plusieurs contrées leurs commissions qui n’étaient qu’à temps, en des dignités héréditaires, et qu’ils se firent seigneurs propriétaires des pays, dont l’administration leur avait été confiée par le souverain. Non seulement, ces nouveaux seigneurs s’emparèrent des droits du prince, mais ils usurpèrent encore les droits du peuple qu’ils dépouillèrent en beaucoup d’endroits de ses libertés et de ses privilèges. Ils osèrent même abolir dans leurs districts les anciennes lois, pour y substituer des lois dictées par l’insolence ou par le caprice, et dont plusieurs articles aussi odieux qu’ils sont bizarres, montrent bien qu’elles ne sauraient avoir été mises en vigueur que par la force. Les tribunaux anciens eurent le même sort que les anciennes lois. Nos usurpateurs se réservèrent à eux-mêmes, ou du moins ils ne voulurent confier qu’à des officiers qu’ils installaient ou qu’ils destituaient à leur bon plaisir, l’administration de la justice. Enfin, ils se mirent sur le pied d’imposer à leur gré les taxes, tant personnelles que réelles. Ce fut alors que les Gaules devinrent véritablement un pays de conquête.

Les successeurs de Hugues Capet persuadés avec raison que le meilleur moyen de venir à bout de rétablir la couronne dans les droits qu’elle avait perdus, était de mettre le peuple en état de recouvrer les siens, accordèrent aux villes qui étaient capables de les faire valoir, des chartres de commune qui leur donnait le droit d’avoir une espèce de sénat ou une assemblée composée des principaux habitants nommés et choisis par leurs concitoyens, laquelle veillât aux intérêts communs, levât les revenus publics, rendît ou fît rendre la justice à ses compatriotes et qui eût encore sous ses ordres une milice réglée, où toutes les personnes libres seraient enrôlées. C’était proprement rendre aux villes, qui du temps des empereurs romains avaient été capitales de cité, et qui avaient eu le malheur de devenir des villes seigneuriales, le droit d’avoir un sénat et des curies. C’était l’octroyer à celles d’un ordre inférieur et qui ne l’avaient pas du temps des empereurs, à celles que Grégoire de Tours désigne souvent par le nom de castrum.

Les seigneurs s’opposèrent bien en plusieurs lieux à l’érection des communes ; mais il ne laissa point de s’en établir un assez grand nombre sous le règne de Louis le Gros et sous celui de Philippe Auguste. En quelques contrées les seigneurs ne voulurent acquiescer à l’établissement des communes qu’après qu’il eût été fait. En d’autres, les seigneurs consentirent à l’érection des communes en conséquence de transactions faites avec leurs sujets, ou pour parler plus correctement, avec les sujets du roi qui demeuraient dans l’étendue de leurs fiefs, et ces transactions laissaient ordinairement les communiers justiciables du seigneur territorial en plusieurs cas. Qui ne sait les suites heureuses de l’établissement des communes ?

Or comme je l’ai déjà dit, on trouve dès le douzième siècle un grand nombre de villes du royaume de France, et capitales de cité sous les empereurs, comme Toulouse, Reims, et Boulogne, ainsi que plusieurs autres, en possession des droits de commune, et sur tout du droit d’avoir une justice municipale, tant en matière criminelle qu’en matière civile, sans que d’un autre côté on les voie écrites sur aucune liste des villes à qui les rois de la troisième race avaient, soit octroyé, soit rendu le droit de commune ; en un mot sans qu’on voie la chartre par laquelle ces princes leur auraient accordé ce droit comme un droit nouveau.

Il y a plus. Quelques-unes des chartres de commune accordées par les premiers rois de la troisième race, sont plutôt une confirmation qu’une collation des droits de commune. Il est évident par l’énoncé de ces chartres que les villes auxquelles les princes les accordaient, étaient en pleine possession des droits de commune lors de l’obtention des chartres dont il s’agit, et que ces villes en jouissaient de temps immémorial, c’est-à-dire, dès le temps des empereurs, où elles étaient capitales de diocèse. La chartre accordée en l’année onze cent quatre-vingt-sept par Philippe Auguste à la commune de Tournai, dit dans son préambule ; qu’elle est octroyée aux citoyens de Tournai, afin qu’ils jouissent tranquillement de leur ancien état et qu’ils puissent continuer à vivre suivant les lois, usages, et coutumes qu’ils avaient déjà. Il n’est pas dit dans cette chartre où l’administration de la justice est laissée entre les mains des officiers municipaux : que les impétrants tinssent des rois prédécesseurs de Philippe Auguste, les droits dans lesquels la chartre de Philippe Auguste les confirme. On peut faire la même observation sur la chartre de commune octroyée à la ville capitale de la cité d’Arras par le roi Louis VIII fils de Philippe Auguste. Elle ne fait que confirmer cette cité dans les droits de commune, qui s’y trouvent déduits assez au long, sans marquer en aucune façon que la cité d’Arras tînt ces droits-là d’un des rois prédécesseurs de Louis VIII. Ne doit-on pas inférer de-là que si Reims et les autres villes dont la condition était la même que celle de Reims, jouissaient dès le douzième siècle des droits dont il est ici question, c’était parce qu’elles en étaient déjà en possession lors de l’avènement de Hugues Capet à la couronne. Or elles n’en étaient en possession dès ce temps-là, que parce que sous la première et sous la seconde race, elles avaient toujours continué d’être gouvernées par un sénat, qui s’était apparemment chargé des fonctions dont les curies étaient tenues sous les derniers empereurs.

Je conclus donc que toutes les villes dont je viens de parler, tenaient le droit d’avoir un sénat et une justice municipale, des empereurs mêmes, et que plus puissantes ou plus heureuses que bien d’autres, elles avaient su s’y maintenir dans le temps où la plus grande partie du royaume devint la proie des officiers du prince. Comme ces capitales étaient le lieu de la résidence de l’évêque et des sénateurs, elles auront eu toutes, des moyens de se défendre contre les usurpateurs, qu’une petite ville n’avait point, et quelques-unes d’elles se seront servies de ces moyens avec succès. Les unes se seront maintenues dans tous leurs droits contre le comte. Les autres lui auront abandonné le plat pays, à condition qu’elles conserveraient néanmoins leur autorité sur la portion de leur territoire voisine de leurs murailles qui depuis aura été appelée la banlieue.

En effet, on remarque, comme il vient d’être dit, que presque toutes les villes qu’on trouve en possession des droits de commune dans le douzième siècle sans qu’il paroisse que véritablement elles aient jamais été érigées en commune par aucun des rois de la troisième race, avaient été sous les empereurs romains, ou du moins dès le temps des rois mérovingiens, des villes capitales d’une cité. Entrons dans quelque détail.

Le comte de Flandre, un des anciens pairs du royaume, a toujours été l’un des plus puissants vassaux de la couronne de France, même dans le temps où il ne tenait encore d’autre grand fief que ce comté. Cependant son autorité n’était point reconnue dans le territoire ni dans la ville de Tournai, qui du temps des empereurs était la capitale du pays des Nerviens et l’une des cités de la seconde Belgique. Tournai s’est même maintenu dans la sujétion immédiate à la couronne, dans ses autres droits et dans l’indépendance du comté de Flandre en des temps que ce grand fief était tenu par des ducs de Bourgogne et par des rois d’Espagne. Ce ne fut qu’en mille cinq cent vingt-neuf que Tournai devint ville domaniale du comté de Flandre, et cela en vertu de la cession que François Ier en fit à l’empereur Charles-Quint comte de Flandre, par l’article neuvième du traité de Cambrai.

Tout le monde sait qu’Arras est aujourd’hui composé de deux villes contiguës, mais cependant séparées l’une de l’autre par une enceinte de murailles. Celle de ces villes qui est l’ancienne, et dans laquelle la cathédrale est bâtie, s’appelle la cité. Elle est désignée par le mot civitas abusivement pris, dans la chartre de l’érection ou plutôt de la confirmation de sa commune octroyée par le roi Louis VIII en l’année mille deux cent onze, et qui vient d’être citée. On voit bien en effet que ce mot y est employé, ainsi qu’en d’autres actes, dans le sens qu’il a vulgairement aujourd’hui, c’est-à-dire, pour signifier l’ancien quartier d’une ville qui s’est agrandie, et non pas dans l’acception où nous avons averti dès le commencement de cet ouvrage que nous l’emploierons, c’est-à-dire, pour signifier un certain district gouverné par une ville capitale, pour signifier en un mot, ce que les anciens romains entendaient par civitas. L’autre ville d’Arras, celle qui a été bâtie sous la troisième race, attenant les murailles de l’ancienne, s’appelle la ville absolument, et se trouve désignée par le mot villa dans la chartre par laquelle Robert comte d’Artois lui accorde une partie des droits dont jouissait la cité d’Arras, et que ce prince octroya l’année mille deux cent soixante et huit. Or cette cité d’Arras, qui du temps des empereurs romains était la capitale de la cité des artésiens, l’une des cités de la seconde Belgique, n’a jamais reconnu pour seigneurs les comtes d’Artois, quoiqu’ils fussent des princes puissants, quoiqu’ils fussent les maîtres de tous les environs, et même de la nouvelle ville, ou de la ville absolument dite. La vieille ville d’Arras n’a traité avec eux que comme avec un voisin puissant. Elle a toujours relevé immédiatement de nos rois qui en laissaient ordinairement le gouvernement aux évêques, et cela jusqu’en mille cinq cent vingt-neuf que François Ier la céda par le dixième article du traité de Cambrai, à l’empereur Charles-Quint comte d’Artois.

Nous trouvons que Térouenne enclavée au milieu du pays qui s’appelle aujourd’hui l’Artois, n’a jamais reconnu les comtes d’Artois pour seigneurs, et que cette ville et sa banlieue, ont toujours joui des droits de commune sous l’autorité immédiate du roi, jusque à l’année mille cinq cent cinquante-cinq qu’elle fut prise par les armes de Charles-Quint, et rasée et démolie par ses ordres. Jusque là cette ville avec sa banlieue a fait une espèce de petite province au milieu du territoire du comte d’Artois, et connue sous le nom de la régale de Térouenne. Aussi Térouenne est-elle inscrite sur la notice de l’empire comme ville capitale de la cité des Morins, l’une des douze cités comprises dans la seconde des provinces belgique.

L’auteur contemporain qui a écrit la vie de Charles VI et qui est connu sous le nom de l’anonyme de saint Denys, parlant de plusieurs grâces que le duc de Bretagne obtint de ce roi en mille quatre cent trois, dit : mais le duc de Bretagne fit encore un plus grand coup d’état... Sans entrer plus avant en discussion, nous nous contenterons de dire que le canton de la troisième lyonnaise qui compose aujourd’hui le diocèse de Saint Malo, était devenu cité sous les rois de la première race. C’est ce qui avait mis la ville capitale de ce canton en état de maintenir ses droits et de se conserver dans la sujétion immédiate à la couronne, toute située qu’elle était entre le duché de Normandie et le duché de Bretagne.

Enfin lorsque plusieurs villes de celles qui du temps des empereurs romains étaient capitales de cités, ont été troublées dans le droit d’avoir une justice municipale, elles ont mis en fait dans les tribunaux, qu’elles étaient en possession de ce droit avant l’établissement de la monarchie française dans les Gaules, et qu’elles le tenaient des successeurs d’Auguste et de Tibère.

L’année mille cinq cent soixante et six, le roi Charles IX ordonna par l’édit de Moulins : que tous les corps de ville, ou pour parler le langage du sixième siècle, que tous les sénats qui rendaient encore la justice en matière civile, en matière criminelle, et en matière de police, ne la rendraient plus qu’en matière criminelle, et en matière de police. Il est dit dans l’article soixante et onzième de cette ordonnance : pour donner quelqu’ordre à la police,... Depuis le règne de Louis XII jusqu’en mille cinq cent soixante et six, le nombre des juges royaux gradués, s’était accru excessivement en France, soit par la multiplication des officiers dans les anciens tribunaux, soit par la création des sièges présidiaux dans chaque bailliage, soit par l’érection des nouveaux bailliages. Mais quel qu’ait été le véritable motif de la disposition contenue dans l’édit de Moulins et de laquelle il s’agit ici, il suffira de dire que cet édit n’a été mis pleinement en exécution qu’avec le temps.

Il est vrai cependant, que non seulement il a eu son effet, mais qu’il est encore arrivé que les successeurs de monsieur le chancelier de l’hôpital qui en avait été le promoteur, ont dépouillé presque toutes les villes de leur justice en matière criminelle, et en matière de police, mais cela n’est point de notre sujet. Voyons comment quelques villes qui avaient été capitales de cité du temps des romains se défendirent, lorsqu’en vertu de l’édit de Moulins, elles furent troublées dans le droit d’avoir une justice municipale qui connaissait des contestations et des délits de leurs habitants.

Dans cette occasion, et même toutes les fois que la ville de Reims capitale d’une des plus illustres cités de la Gaule, a été troublée dans l’exercice de sa juridiction municipale, elle a mis en fait, qu’elle était en possession dès le temps des empereurs romains, et qu’elle y avait toujours été depuis. Voici ce qu’on trouve à ce sujet dans un discours sur l’antiquité de l’échevinage de la ville de Reims, et des justes raisons qui ont mû les échevins à maintenir ses droits et sa juridiction. Nicolas Bergier si célèbre dans la république des lettres par son histoire des grands chemins de l’empire romain, et l’auteur de ce discours, y dit après avoir allégué, que même avant la conquête des Gaules par Jules César, la ville de Reims était déjà gouvernée par un sénat. Or la forme de cet ancien gouvernement est demeurée entière à la ville de Reims... ce savant homme rapporte ensuite plusieurs preuves convaincantes, pour montrer que dans tous les temps l’échevinage de Reims avait administré la justice à ses habitants, non seulement en matière criminelle, mais aussi en matière civile, et entre autres il produit un témoignage rendu en faveur de sa cause dès le douzième siècle et rendu par une personne désintéressée. Ce témoignage mérite bien d’être rapporté.

Jean De Salisbury qui avait suivi en France saint Thomas de Cantorbéry, fut spectateur de plusieurs mouvements qui arrivèrent dans Reims, à l’occasion des démêlés que l’archevêque Henri fils du roi Louis le Gros, y eut avec les citoyens concernant leurs franchises et leur juridiction municipale. Or cet anglais dit dans une lettre écrite à l’évêque de Poitiers pour l’informer de tous ces démêlés et de leurs suites : les citoyens de Reims se sont d’abord humiliés devant leur archevêque,... il est vrai que le texte de Jean de Salisbury dit legem et non pas justitiam. Mais comme Loyseau l’observe, loi, signifie justice en nos coutumes.

Aussi le parlement de Paris a-t-il jugé plusieurs fois que la ville de Reims était bien fondée dans ses prétentions lorsqu’il s’agit de l’exécution de l’édit de Moulins. La cour, dit Bergier, ordonna par son arrêt...  les jurisconsultes du seizième siècle qui ont eu occasion de parler des procès auxquels l’exécution de l’édit de Moulins donna lieu et qui furent portés devant les cours souveraines, écrivent que plusieurs autres villes alléguaient les mêmes raisons que celle de Reims, comme des moyens qui devaient les exempter de subir la loi générale. Voici ce qu’on trouve dans Loyseau à ce sujet-là : or quand on voulut exécuter cette ordonnance de Moulins,... On aura peine à croire, attendu la qualité des parties, que le parlement de Paris eut sursis au jugement définitif du procès de Boulogne, comme à celui de quelques autres villes, si les habitants de ces villes-là n’eussent point appuyé leurs moyens par des preuves, du moins très vraisemblables. Suivant la notice des Gaules, rédigée du temps de l’empereur Honorius, Boulogne était la capitale d’une des douze cités de la seconde Belgique ; Angoulême, était celle d’une des six cités de la seconde Aquitaine.

Le capitole de Toulouse qui est encore aujourd’hui en possession de rendre la justice en matière criminelle, et qui n’a été dépouillé du droit de la rendre en matière civile qu’en vertu de l’édit de Moulins, soutient qu’il jouissait, et de la prérogative qu’il a conservée, et de celle qu’il a perdue, avant que la ville de Toulouse fût soumise à la domination de Clovis, et qu’il en a joui sous les trois races de nos rois. Lyon prétend que son corps de ville ne soit originairement autre chose que le sénat qui régissait la cité de Lyon du temps des empereurs romains, et qui aurait continué l’exercice des fonctions sous les rois bourguignons, sous les rois francs, sous les empereurs modernes, et enfin sous les rois de France. On sait encore que jusque au règne de Charles VI qui créa des élus en titre d’office, c’étaient les corps de ville qui imposaient et qui levaient les deniers des tailles et ceux des aides, mais l’entière discussion de cette matière, appartient à l’histoire du droit public, en usage sous les rois de la troisième race.

Comme les francs eux-mêmes entraient dans les sénats des villes, où ils exerçaient tous les emplois municipaux, ainsi qu’il le parait par le passage d’Agathias, que nous avons rapporté et que nous avons cité tant de fois, il n’est point étonnant que les sénats aient subsisté sous nos rois mérovingiens. Il semble même qu’ils eussent quelquefois plus d’autorité que le comte même.

En effet nous voyons des comtes n’avoir point assez de crédit pour empêcher que les cités où chacun d’eux commandait, ne prissent les armes l’une contre l’autre. Nous voyons que ces officiers du prince ne peuvent venir à bout de faire cesser cette guerre privée, autrement que par voie de médiation. Quelles étaient donc les troupes avec lesquelles ces cités s’entre faisaient la guerre ? C’étaient les mêmes milices qu’elles avaient sous les empereurs romains, et dont elles se servaient lorsqu’elles en venaient aux voies de fait l’une contre l’autre.

Comme les troupes que les empereurs romains soudoyaient dans les Gaules, ne les mettaient pas toujours en état de prévenir ces sortes de guerres civiles, de même les milices des francs et des autres barbares, que les rois mérovingiens avaient dans cette vaste contrée, ne pouvaient pas toujours être mises sur pied assez tôt, pour empêcher que les anciens habitants du pays, que les romains, sujets de ces princes, ne répandissent le sang les uns des autres. Quelquefois les francs, dont les quartiers étaient dans le voisinage des lieux, où s’allumait la querelle, seront restés neutres. Ils auront attendu, les bras croisés, que le gouvernement la terminât. En quelques occasions, les francs auront épousé la querelle du romain leur compatriote, et par un malheur qui ne leur arrivait que trop souvent, ils se seront battus les uns contre les autres. Peut-être même que la nation des francs qui n’était pas bien nombreuse, et qui cependant avait à tenir en sujétion un pays fort étendu, et dont les habitants sont naturellement belliqueux, ne voyait pas avec beaucoup de peine les romains prendre les armes contre les romains.

Leurs dissensions et leurs querelles faisaient sa sûreté. Les faits que nous raconterons dans le chapitre suivant, mais qui ne sont pas les seuls que nous pourrions rapporter, prouveront suffisamment tout ce qui vient d’être avancé.

 

CHAPITRE 12

Des guerres que les cités des Gaules faisaient quelquefois l’une contre l’autre sous les rois mérovingiens. Quand Grégoire de Tours désigne ceux dont il fait mention par le nom propre de leur pays, il entend parler des romains de ce pays-là, et non pas des barbares qui s’y étaient établis.

Après la mort de Chilpéric, dit Grégoire de Tours, les habitants de la cité d’Orléans s’étant alliés à ceux du canton de Blois,... On observera qu’il faut que ces voies de fait, ne fussent point réputées alors ce qu’elles seraient réputées aujourd’hui, je veux dire, une infraction de la paix publique et un crime d’état, puisque le compromis ne portait pas que ce serait celui qui avait commis les premières hostilités, qui donnerait satisfaction au lésé, mais bien celui qui serait trouvé avoir une mauvaise cause. Il pouvait arriver que par la sentence du roi, ou par le jugement arbitral des comtes, il fut statué qu’au fond c’était la cité d’Orléans et le canton de Blois qui avaient raison, et qu’ainsi ceux qui avaient fait les premières violences reçussent une satisfaction de ceux qui avaient souffert ces premières violences.

Il parait en lisant avec réflexion l’histoire de ce qui s’est passé dans les Gaules, sous les empereurs romains et sous les rois mérovingiens, que chaque cité y croyait avoir le droit des armes contre les autres cités, en cas de déni de justice. Cette opinion pouvait être fondée sur ce que Rome, comme nous l’avons observé déjà, ne leur avait point imposé le joug à titre de maître, mais à titre d’allié. Les termes d’amicitia et de foedus, dont Rome se servait en parlant de la sujétion de plusieurs cités des Gaules, auront fait croire à ces cités qu’elles conservaient encore quelques-uns des droits de la souveraineté, et qu’elles en pouvaient user du moins contre leurs égaux, c’est-à-dire, contre les cités voisines. Dès qu’on souffrait à quelques-unes de nos cités de s’arroger le droit d’attaquer hostilement les autres, le droit naturel donnait à ces dernières le pouvoir de se défendre aussi par les armes, et la plupart du temps, on ne peut se bien défendre qu’en attaquant. Rome qui n’avait pas trop d’intérêt à tenir unies les cités des Gaules, leur aura laissé croire ce qu’elles voulaient, et aura même toléré qu’elles agissent quelquefois conformément à leur idée. Nous avons parlé assez au long dans notre premier livre, des guerres que les cités des Gaules faisaient les unes contre les autres, même sous le règne des premiers Césars. L’idée dont je viens de parler, et qui était si flatteuse pour des peuples également légers et belliqueux, se sera conservée dans nos cités, malgré la conversion des gaulois à la religion chrétienne ; elle y aura subsisté même sous les rois mérovingiens. Enfin elle s’y sera perpétuée, de manière qu’elle subsistait encore sous les premiers successeurs de Hugues Capet. Ainsi l’on ne doit pas reprocher à Louis le Gros et à d’autres rois de la troisième race, d’avoir mis le droit de tirer raison de ses concitoyens par la voie des armes, au nombre des droits qu’ils accordaient par leurs chartres aux communes qu’ils rétablissaient, ou à celles qu’ils érigeaient de nouveau. Ces princes n’auront fait en cela que rendre aux premières un droit qu’elles réclamaient, odieux si l’on veut, mais dont elles n’avaient point été dépouillées par un pouvoir légitime. Il leur avait été ôté par des usurpateurs qui les avaient opprimées. Quant aux secondes, le droit qu’on laissait aux premières, semblait exiger qu’on leur en accordât un pareil, sur tout, dans un temps où la France était couverte de brigands nichés dans des forteresses, et qui ne respectaient guère les jugements du souverain.

On voit par d’autres passages de Grégoire de Tours, que de son temps les milices des cités allaient à la guerre, et que même en plusieurs autres conjonctures, elles étaient commandées pour le service du roi. Aussitôt après la mort du roi Chilpéric premier, Childebert son neveu s’empara de la cité de Limoges et de la cité de Poitiers. Gontran frère de Chilpéric, et qui avait des prétentions sur Poitiers, se mit en devoir d’en chasser Childebert et de s’en rendre le maître. Il donna donc à Sicarius et à Villacarius, la commission de s’en saisir. Ce dernier était comte d’Orléans, et lorsqu’il reçut sa commission, il venait de soumettre la Touraine à Gontran. Sicarius et Villacarius se mirent donc en campagne avec les tourangeaux, pour entrer dans le Poitou d’un côté, tandis que les milices de la cité de Bourges y entreraient d’un autre. Cette expédition finit par une convention, dans laquelle la cité de Poitiers s’engageait à reconnaître Gontran pour roi, au cas que l’assemblée qui s’allait tenir pour accorder ce prince avec Childebert son neveu, décidât que le Poitou devait appartenir à Gontran. On voit dans Grégoire de Tours plusieurs autres exemples de cités qui ont porté la guerre dans une autre cité, et dont les milices commettaient autant de désordres qu’en auraient pu commettre des barbares nouvellement arrivés des rivages de la mer Baltique.

Il parait même en lisant avec réflexion l’histoire de notre monarchie, que ce furent les guerres civiles, allumées, il est vrai, presque toujours par les rois francs, mais dont les romains portaient eux-mêmes le flambeau au milieu des cités voisines de la leur, qui changèrent dans les Gaules les bâtiments en masures, les champs labourés en forêts, les prairies en marécages, et qui réduisirent enfin cette contrée si florissante encore sous le règne de Clovis, dans l’état de misère et de dévastation où elle était au commencement du huitième siècle. Mais l’expérience même, ne saurait corriger les habitants des Gaules de ceux de leurs vices qui sont le plus opposés au maintien de la société, et sur tout de leur légèreté naturelle, comme de leur précipitation à recourir aux armes, et à en venir aux voies de fait, laquelle a si souvent été cause qu’ils se sont battus sans avoir de véritables querelles. Ces vices qui ont ouvert l’entrée des Gaules aux romains, et qui dans la suite les ont livrées aux barbares, y causeront toujours les maux les plus funestes toutes les fois que leurs peuples ne seront point sous un souverain assez autorisé pour les empêcher de se détruire, et pour les forcer à vivre heureux dans le plus aimable pays de l’Europe.

Les particuliers qui composaient les milices des cités étaient tenus de marcher dès qu’ils étaient commandés ; et ceux qui restaient chez eux après avoir reçu l’ordre de joindre l’armée, étaient punis comme désobéissants. Quant à ce point-là, le citoyen romain était traité par ses supérieurs, ainsi que le barbare l’était par les siens. Grégoire de Tours après avoir parlé d’une expédition que le roi Gontran avait faite dans le pays de Commenge, ajoute ce qui suit : les juges rendirent ensuite une ordonnance... en effet elles ne payèrent pas l’amende ordinaire. Il n’y a point d’apparence que ces personnes qui appartenaient à saint Martin, c’est-à-dire, qui faisaient valoir les fonds d’une métairie appartenante à l’église de saint Martin, fussent des barbares. Après la mort de Chilpéric assassiné à Chelles par un inconnu, Ebérulfus l’un des officiers du palais fut accusé par la reine Frédégonde d’avoir fait tuer le roi son mari. Ebérulfus se réfugia dans l’église de saint Martin de Tours. On sait que nos rois avaient alors un si grand respect pour ces asiles, qu’ils n’attentaient rien de plus contre celui qui s’y était réfugié, que d’en faire garder toutes les issues pour l’empêcher de s’évader. Quand nos rois avaient pris cette précaution, ils attendaient que l’ennui réduisît le fugitif à faire, pour se sauver, des tentatives qui le livrassent à ceux qui le guettaient, ou que l’évêque le remît entre les mains de leurs officiers. Les milices du canton de Blois et celles de la cité d’Orléans furent donc commandées pour monter alternativement la garde à toutes les avenues de l’enceinte de l’église de saint Martin qui n’était point enclose pour lors dans les murs de la ville de Tours. Quand la milice de Blois avait monté la garde durant quinze jours, elle était relevée par celle d’Orléans, qui à son tour était relevée par la milice de Blois au bout d’un pareil terme. Mais ce qui peut servir encore de preuve à ce que nous avons dit concernant la manière dont les cités voisines vivaient ensemble, nos milices traitaient la Touraine en pays de conquête. Les soldats y prenaient le bétail et les chevaux qu’ils pouvaient attraper, et ils en emmenaient avec eux un bon nombre, toutes les fois qu’ils retournaient dans leur pays.

Pour peu qu’on soit versé dans le style de Grégoire de Tours, on sait bien que lorsqu’il dit absolument, les chartrains, les orléanais, ou les parisiens, c’est des romains de ces cités qu’il entend parler, et non point des francs qui pouvaient s’y être habitués. En premier lieu, toutes les circonstances des évènements dont il s’agit dans ces occasions-là, montrent que c’est des romains, que c’est de ceux des habitants d’une cité, lesquels on désignait déjà par un surnom tiré du nom de leur patrie, plusieurs siècles avant qu’il y eût des barbares établis dans les Gaules, que notre historien entend faire mention. En second lieu, Grégoire de Tours regardait si bien les surnoms tirés du nom d’une cité, comme affectés de son temps aux seuls romains, qu’il n’a jamais désigné, par ces surnoms employés absolument, les barbares établis dans les cités des Gaules. Quoique les teifales, par exemple, fussent établis dans la cité de Poitiers dès le temps d’Honorius, cependant, comme on l’a vu dans le septième chapitre de ce livre, notre historien, en parlant d’évènements arrivés plus de cent cinquante ans après la mort de cet empereur, les nomme encore teifales et non poitevins. Ce n’a été que sous les derniers rois de la seconde race, que les barbares établis dans les Gaules, ont cessé d’être désignés par le nom propre de leur nation, et que confondus avec l’ancien habitant, ils ont commencé à porter, comme lui, un surnom tiré du nom du pays où ils demeuraient. Rapportons quelques endroits de notre historien qui prouvent encore ce qui vient d’être avancé.

Lorsque Grégoire de Tours est obligé à désigner la peuplade de barbares établie dans une cité particulière en se servant du surnom tiré du nom propre de cette cité, il se donne bien de garde de donner à cette peuplade un pareil surnom employé absolument. Il joint à ce surnom le nom propre de la nation dont était la peuplade particulière de laquelle il entend parler.

Quand le roi Chilpéric petit-fils de Clovis fit la guerre aux bretons insulaires établis dans les Gaules, il y avait déjà près de deux siècles que la colonie des saxons qui était établie dans le diocèse de Bayeux, y habitait. Cependant lorsque Grégoire de Tours, rapporte que nos saxons eurent part à cette guerre, il joint au nom de leur pays le nom de leur nation. Il ne les appelle point les bessins absolument, mais les saxons bessins. Il a soin de les désigner encore de la même manière dans d’autres endroits de ses ouvrages.

Lorsque Grégoire de Tours veut parler de la peuplade de francs établie dans la cité de Tournai, il ne la désigne point par l’appellation d’habitants du tournaisis, employée absolument. Il la nomme les francs tournaisiens.

Enfin cet auteur oppose lui-même dans plusieurs endroits de ses ouvrages, le surnom d’auvergnac, celui d’orléanais, bref les surnoms tirés du nom des cités des Gaules, au nom de franc, et cela en parlant d’évènements arrivés plus d’un siècle après que les francs se furent établis dans les Gaules. Notre historien suppose donc sensiblement, qu’en disant qu’un tel était auvergnac, orléanais, ou parisien, il ait donné à entendre suffisamment, que ce tel était de la nation romaine. Sans cela il n’y aurait eu aucune justesse à opposer auvergnac à franc, dit absolument, et sans faire aucune mention de la cité dont ce franc était. Rapportons quelques exemples.

La famille Firmin était une des plus illustres de l’Auvergne, même avant que cette cité fût soumise à la domination des francs. Nous avons plusieurs lettres adressées à un Firminus par Sidonius Apollinaris qui le traite de son fils. Suivant toutes les apparences un autre Firminus qui exerçait l’emploi de comte en Auvergne, sous le règne de Clotaire Ier et qui fut destitué par Chramme fils de ce prince, était de cette famille-là. Il est aussi probable que ce Firminus est le même qu’on retrouve comte d’Auvergne sous le règne de Sigebert fils de Clotaire I. Chramme s’était rendu si odieux, qu’on peut bien croire que dès qu’il ne fut plus, les officiers qu’il avait déposés, n’eurent point de peine à se faire rétablir. Ainsi je crois que ce comte Firminus est le même comte Firminus que Sigebert envoya en ambassade à Constantinople. Quoiqu’il en ait été, le nom seul de cet ambassadeur suffit pour montrer qu’il était romain de nation. Or Grégoire de Tours dit, en parlant de cette ambassade : enfin Sigebert envoya deux ambassadeurs à l’empereur Justin, Varinarius franc de nation et Firminus auvergnac. L’abréviateur dit la même chose, en qualifiant encore Firminus de comte. Ainsi voilà auvergnac dit absolument, opposé à franc  dans le texte de Grégoire de Tours.

Cet historien parlant d’une autre ambassade, de celle que Childebert, fils du roi Sigebert, envoya vers l’empereur Maurice, dit, qu’elle était composée de trois ministres, et il raconte que des trois ambassadeurs l’un était, qu’on me permette ces expressions, soissonnais, l’autre arlésien, et le troisième franc. Voici ses paroles : les trois ambassadeurs se trouvaient alors dans ce lieu-là...

Je conclus donc que toutes les fois que Grégoire de Tours fait mention d’une milice qu’il désigne par un surnom dérivé du nom d’une des cités des Gaules, il entend parler d’une milice composée des anciens habitants de cette cité-là, c’est-à-dire, de romains. C’est d’eux qu’il parle pour citer un exemple, lorsqu’en faisant le dénombrement de l’armée que Chilpéric assembla sur la Vilaine, pour la mener contre les bretons insulaires établis dans la troisième des provinces lyonnaises, il dit : qu’on y voyait les tourangeaux, les poitevins, les bessins, les angeviens, les manceaux, et les milices de plusieurs autres cités. Pourquoi aurait-on quelque peine à croire que les rois mérungiens se soient servi des milices des cités des Gaules, quand on a vu que Clovis avait pris à son service les légions qui gardaient la Loire, et que ses successeurs confiaient le commandement de leurs troupes à des généraux romains de nation ?

 

CHAPITRE 13

Que les francs n’en usèrent pas avec l’ancien habitant des Gaules, ainsi que la plupart des autres nations barbares en avaient usé avec l’ancien habitant des provinces où elles s’étaient établies, et qu’ils ne lui prirent point une portion de ses terres. Des terres saliques.

L’opinion ordinaire est que les francs en usèrent quand ils s’établirent dans les Gaules, ainsi que les bourguignons et les visigots en avaient usé quand ils s’y étaient établis, s’autorisant, selon les apparences, sur ce qui s’était passé sous le règne d’Auguste, quand ce prince ôta une partie de leurs terres aux citoyens de plusieurs cités pour les distribuer à ses soldats. On se figure donc que ces francs ôtèrent à l’ancien habitant des provinces qu’ils soumirent, une portion de ses terres et qu’ils l’approprièrent à leur nation, de manière que cette portion de terre en prit le nom de terre salique. Je tombe d’accord que sous les rois de la première et de la seconde race, et même sous les premiers rois de la troisième, c’est-à-dire, tant que la distinction des nations qui composaient le peuple de la monarchie, n’a point été pleinement anéantie ; il y a eu dans le royaume des espèces de fiefs qui s’appelaient terres saliques, et qui étaient affectés spécialement à la nation des francs, mais je nie que ces terres fussent des terres dont nos rois avaient dépouillé par force les particuliers des provinces qui s’étaient soumises à la domination de ces princes. Je regarde l’opinion ordinaire comme une des erreurs nées de la supposition que nos rois avaient conquis à force ouverte les Gaules sur les romains, et qu’ils en avaient réduit les habitants dans un état approchant de la servitude. Tâchons donc à démêler ce qu’il y a de vrai d’avec ce qu’il y a de faux dans l’idée qu’on a communément des terres saliques.

On ne saurait douter que presque tous les francs ne se soient transplantés dans les Gaules sous le règne de Clovis, et sous celui de ses quatre premiers successeurs. L’amour du bien être, naturel à tous les hommes, voulait qu’ils en usassent ainsi. Dès que cette aimable contrée eut passé sous le pouvoir de rois de leur nation, son séjour était pour eux par bien des raisons, dont il a été parlé dès le premier livre de cet ouvrage, plus agréable que celui de l’ancienne France. D’ailleurs les hommes les plus belliqueux se lassent à la fin de vivre toujours au milieu des alarmes, et pour ainsi dire, d’être toujours en faction. C’était néanmoins la destinée des francs, tandis qu’ils habitaient au-delà du Rhin. Comme l’ancienne France avait peu de profondeur, comme elle n’était point remparée par ses rivières, qui la traversaient sans la couvrir, ni mise à l’abri par des villes fortifiées, un essaim de barbares venu de fort loin, pouvait en devançant le bruit de sa marche, pénétrer jusque dans le centre du pays, et surprendre ses habitants, les uns à la charrue, les autres dans leur maison. On n’était point aussi exposé dans les Gaules à ces sortes de surprises, que dans la Germanie, d’autant qu’elles étaient couvertes par Rhin, et remplies de villes et de lieux fortifiés. On y vivait plus tranquillement, parce qu’on n’y craignait que lorsqu’il y avait réellement à craindre. Il n’était presque pas possible, depuis que tout le pays eût été soumis aux francs, qu’on y fût attaqué à l’imprévu. Aussi l’histoire nous apprend-elle que dès les dernières années de Clovis, l’ancienne France était déjà tellement dénuée d’habitants qui pussent la défendre, que les thuringiens s’emparèrent dès lors d’une partie de ce pays, et que peu d’années après les frisons vinrent occuper la contrée qui est au nord des embouchures du Rhin, abandonnée aussi par les francs. Il est encore très apparent que Clovis et ses successeurs outre les autres récompenses qu’ils distribuèrent aux francs, auront conféré à plusieurs d’entre eux une certaine portion de terres à condition de les servir à la guerre, et qu’elles furent nommées les terres saliques par la même raison qui a fait donner à la loi commune des francs le nom de loi salique, c’est-à-dire, parce que la tribu des saliens était la première et la plus considérable des tribus de cette nation, celle à qui toutes les autres tribus à l’exception de la tribu des ripuaires, avaient été incorporées.

Le nom de terre salique, est celui que donne aux possessions dont il s’agit ici, la loi salique rédigée sous le règne de Thierri fils de Clovis, et d’ailleurs ce qu’elle statue concernant ces sortes de terres, en ordonnant qu’elles ne pourraient jamais passer à une femme, montre assez qu’elles étaient des véritables bénéfices militaires, des biens chargés d’obligations qu’une femme ne pouvait pas remplir. Nous l’avons déjà dit dans le chapitre de ce livre, où nous avons traité de la loi de succession. Enfin ces terres saliques étaient à plusieurs égards de même nature que nos fiefs nobles, et suivant toutes les apparences, elles en sont la première origine. On a même quelquefois donné le nom de terres saliques à nos fiefs. Bodin qui écrivait dans le seizième siècle, dit : et n’y a pas longtemps qu’en un testament ancien...

Il n’y a rien de plus vrai que tout ce qui vient d’être exposé, mais cela ne prouve point que Clovis ait ôté aux romains une partie de leurs terres, pour en composer les bénéfices militaires ou les terres saliques, dont il voulait gratifier ses francs. Le contraire me parait même très vraisemblable par deux raisons. La première, est que Clovis a pu donner des terres saliques à ses francs, sans enlever aux romains des Gaules une partie de leurs fonds. La seconde, est que les monuments littéraires de nos antiquités ne disent, ni ne supposent en aucun endroit que Clovis ou quelqu’un, soit de ses prédécesseurs, soit de ses successeurs, ait ôté aux romains une partie de leurs fonds pour les repartir entre les francs, et que ce silence seul montre qu’aucun de nos princes n’a commis une pareille violence. Traitons ces deux points un peu plus au long.

Je commencerai ce que j’ai à dire sur le premier point par deux observations. La première, est que nous avons déjà fait voir, en parlant de l’avènement de Clovis à la couronne, que la tribu des saliens, l’une des plus considérables de la nation des francs, ne faisait guère que trois mille combattants. Supposé donc que les six ou sept autres tribus des francs, l’histoire ne nous fait point entrevoir qu’il y en eut davantage, fussent aussi nombreuses que celles des saliens, la nation entière n’aura pas fait plus de vingt-quatre ou vingt-cinq mille combattants, comme il l’a été remarqué dans l’endroit de notre ouvrage qui vient d’être cité : voilà l’idée que le préambule de la loi salique même nous donne de la quantité d’hommes qui se trouvaient dans la nation des francs, lorsqu’il les loue d’avoir fait de grands exploits, bien qu’ils fussent en très petit nombre. Ma seconde observation roulera sur ce que Clovis lorsqu’il mourut, avait réduit sous son obéissance les deux provinces germaniques et les deux provinces belgique, pays où il devait y avoir des bénéfices militaires en plus grand nombre que dans aucun autre canton de l’empire romain. Dès le premier livre de cet ouvrage le lecteur a vu que les bénéfices militaires des romains, dont Alexandre Sévère avait été l’un des premiers fondateurs, étaient semblables aux timars que le grand seigneur donne encore aujourd’hui à une partie de ses soldats pour leur tenir lieu de paye. Ces bénéfices consistaient donc dans une certaine quantité d’arpents de terre, dont le prince accordait la jouissance à un soldat, à condition de porter les armes pour son service toutes les fois qu’il en serait besoin, et ils passaient aux enfants du gratifié, pourvu qu’ils fissent profession des armes. Or comme les deux provinces germaniques et les deux provinces belgique étaient les plus exposées de l’empire à cause du voisinage des germains, les romains y avaient tenu dans tous les temps plus de troupes à proportion que partout ailleurs. Il est donc très probable qu’il y avait aussi plus de bénéfices militaires que partout ailleurs, proportion gardée.

Ainsi Clovis aura fait d’un grand nombre de ces bénéfices militaires des terres saliques, parce que lorsqu’ils seront venus à vaquer il les aura conférés à des francs sous les mêmes conditions qu’ils étaient auparavant conférés à des romains. Il aura ainsi récompensé plusieurs de ses anciens sujets, sans dépouiller aucun des nouveaux.

On voit donc en comparant la disposition faite par Alexandre Sévère concernant les bénéfices militaires et celle que la loi des francs fait concernant les terres saliques, que ces deux possessions étaient des biens de même nature, assujettis aux mêmes charges, et dont conséquemment les femmes étaient également exclues. Clovis aura encore converti en terres saliques d’autres fonds qui n’étaient pas des bénéfices militaires, mais qui se seront trouvés être à sa disposition, parce qu’ils avaient été du domaine des empereurs, ou parce qu’ils seront devenus des biens dévolus au prince, à titre de déshérence, de confiscation ou autre. Les dévastations et les guerres qui se firent dans les Gaules durant le cinquième siècle et le sixième, doivent y avoir fait vaquer un nombre infini d’arpents de terre, au profit du souverain.

On ne saurait même faire la question. Où les francs prirent-ils ce qui leur était nécessaire pour mettre en valeur les terres saliques ? Ni en inférer que pour faire valoir les bénéfices militaires et les autres fonds que le prince leur donnait quand il en vaquait à sa disposition, nos francs aient pris du moins aux anciens habitants des Gaules une partie de leurs esclaves et de leur bétail. On sait bien que dans ces temps-là, vendre ou donner une métairie, ce n’était pas seulement vendre ou donner une certaine quantité d’arpents de terre et quelques bâtiments : c’était encore disposer en faveur du gratifié ou de l’acquéreur, du bétail, et mêmes des esclaves qui mettaient ces terres en valeur. C’est ce qu’on observe en lisant les chartres des donations, faites sous la première race et sous la seconde. Enfin on ne lit dans aucun auteur ancien ; que Clovis ait donné une portion de terre salique à chacun des francs qui l’avaient suivi. Ainsi plusieurs d’entre eux peuvent bien avoir été récompensés par des bienfaits d’une autre nature.

J’ajouterai pour confirmer ce qui vient d’être dit concernant l’origine des terres saliques, qu’elles se trouvent désignées par l’appellation de bénéfice, non seulement sous les rois de la première race, mais aussi sous les rois de la seconde. On lit dans la vie de sainte Godeberte qu’on reconnaît à son nom pour être sortie de la nation des francs, et qui fleurissait sous le règne de Clotaire II. Godeberte était née de parents chrétiens,... apparemment qu’ils n’avaient pas de garçon, et que souhaitant de faire passer ce bénéfice à leur gendre, ils voulaient en prendre un qui fût assez agréable au roi, pour obtenir de lui la grâce nécessaire à l’exécution de leur projet.

Il est parlé dans une infinité d’endroits des capitulaires des rois de la seconde race de bénéfices militaires à la collation du roi : si quelqu’un de nos vassaux manque à livrer à la justice... dit un capitulaire fait par Charlemagne en sept cent soixante et dix-neuf. Dans un autre capitulaire du même prince fait l’année huit cent six, il est porté : nous aurions appris que plusieurs comtes... Enfin, dans le dix-neuvième article du même capitulaire, le bénéfice est opposé à l’alleu, de la même manière que les terres saliques le sont aux biens allodiaux dans l’article des lois saliques, qui concerne la succession à la couronne : si quelqu’un, dit Charlemagne, en statuant sur ce qu’il voulait être fait en temps de famine,... Aussi dès qu’il y avait guerre, tous les sujets qui tenaient des bénéfices militaires, étaient-ils commandés chaque année, pour faire la campagne, au lieu qu’il n’y avait qu’un certain nombre des autres sujets de commandés pour se trouver à l’armée. Enfin, il est dit dans un autre article des capitulaires relatifs à un de ceux que nous avons rapportés ci-dessus : celui qui emploiera à faire valoir les fonds qui lui appartiennent en propre,... Ainsi le nom de bénéfice redonné en plusieurs occasions aux terres saliques, porte à croire encore plus facilement, qu’elles n’étaient autre chose que les bénéfices militaires institués par les empereurs, et d’autres bénéfices fondés à l’instar des premiers.

Ce qui est encore à remarquer, c’est qu’on trouve bien les terres saliques désignées par le nom de bénéfices militaires, mais que l’on ne les trouve jamais désignées sous le nom de part ou portion, sors. Ce nom cependant, comme on le verra plus bas, était le nom que communément ceux des barbares qui s’étaient approprié une partie des terres de l’habitant romain, donnaient à la portion de ces terres que chaque barbare avait eue pour son partage.

Nous avons avancé en second lieu, que les monuments littéraires de nos antiquités, ne disaient rien d’où l’on pût induire que les francs, lorsqu’ils s’établirent dans les Gaules, s’y fussent approprié aucune partie des terres possédées par les particuliers anciens habitants du pays, par les romains. En effet, il n’est rien dit dans les historiens du temps, il n’est rien dit dans la loi salique, dans la loi ripuaire, ni dans les capitulaires, qui suppose que les francs eussent commis une pareille injustice. Si jamais elle avait été faite, il y aurait eu dans les historiens, il y aurait eu dans les trois codes que je viens de citer, plusieurs sanctions ou plusieurs faits relatifs à cette appropriation, de la moitié ou des deux tiers des terres aux francs, ainsi et de même que comme nous l’allons voir, il y a, soit dans les historiens, soit dans la loi des bourguignons, dans les lois de Théodoric et dans la loi des visigots, plusieurs faits, plusieurs articles relatifs à la moitié, et aux deux tiers de terres des romains que les bourguignons, les ostrogots et les visigots s’étaient appropriés.

Grégoire de Tours qui aurait eu cent et cent fois occasion de parler de la spoliation des romains, ne dit rien dont on puisse inférer qu’elle ait jamais eu lieu. Ici son silence prouve quelque chose. Ici enfin on n’en trouve aucun vestige chez les auteurs qui ont écrit dans le temps des deux premières races, et qui compris les hagiographes qui auraient eu à parler, aussi bien que les historiens profanes de la spoliation des romains des Gaules faite par les francs, se trouvent être en un assez grand nombre. On peut donc conclure de ce qu’ils ne disent point que les francs aient dépouillé les romains des Gaules d’une partie de leurs biens-fonds, que les francs n’ont jamais commis cette violence-là. On peut le conclure avec d’autant plus de confiance, que tous ces écrivains ont été très soigneux à nous informer de la conduite de celles des nations barbares, qui après s’être établies sur le territoire de l’empire romain, s’approprièrent dans les pays où ils se cantonnèrent, une partie des terres appartenantes en propre aux anciens habitants.

Si les vandales se sont approprié en Afrique une partie des terres des romains, Procope ne nous le laisse point ignorer. Dès que Genséric fut le maître de la province d’Afrique,... Nous dirons des ostrogots, tout ce que nous venons de dire des vandales. Sous le règne d’Augustule... Procope après avoir rapporté de quelle manière au bout de ce temps-là Théodoric roi des ostrogots vainquit et fit tuer Odoacer, ajoute : Théodoric ne fit aucun tort aux romains d’Italie,... Les lettres de Cassiodore parlent de ce tiers en une infinité d’endroits. Nous en avons déjà rapporté plusieurs, et nous en rapporterons encore d’autres, lorsqu’il s’agira de montrer qu’à l’exception des vandales, les barbares payaient les redevances dont les terres qui leur avaient été accordées à quelque titre que ce fût, étaient tenues envers l’état, ainsi et de la même manière que les romains qui les avaient possédées avant eux.

Enfin nous trouvons dans le célèbre édit de Théodoric un article relatif à ce tiers des terres d’Italie ôté aux romains et distribué aux ostrogots. Voici sa teneur : qu’aucun romain ne nous demande ce qui ne peut appartenir qu’à un ostrogot,... On peut juger du contenu de ces ordonnances que nous n’avons plus par ce qui est statué dans la loi nationale des visigots concernant les terres ôtées aux romains pour être appropriées, à des hôtes  barbares à titre de sort. Qu’en aucune manière, il ne soit donné atteinte au partage des terres et des bois ou forêts,... les bourguignons n’avaient point traité les romains des Gaules avec autant de dureté que l’avaient fait les visigots. Nous l’avons déjà dit dans les premiers livres de cet ouvrage ; au lieu que les visigots s’étaient approprié les deux tiers des terres appartenantes au particulier dans les cités qu’ils avaient occupées ; les bourguignons s’étaient contentés de s’en approprier la moitié dans les cités où ils s’étaient établis.

On ne saurait être guère mieux instruits que nous le sommes de la manière dont la nation des bourguignons se conduisit à l’égard des romains du pays où elle prit des quartiers. La chronique de Marius D’Avanches nous apprend que ce fut l’année de Jésus-Christ quatre cent cinquante-six que les commissaires des bourguignons firent conjointement avec les sénateurs de chaque cité le partage des terres entre les deux nations. La loi Gombette fait foi que ce partage se fit par égales portions, et même que le romain ne fut obligé par l’accord fait à ce sujet, qu’à donner son troisième esclave. Les bourguignons avaient d’ailleurs assez d’esclaves à cause des captifs qu’ils avaient faits. Un article de l’addition faite à leur loi vers l’année cinq cent dix confirme ce qu’on vient de lire, et autorise l’interprétation que nous venons de donner à quelques-uns de ses termes un peu obscurs : les bourguignons qui se sont transplantés dans ces contrées ne demanderont rien au romain...

Nous savons même que les parts et portions que chaque bourguignon avait eues pour son lot ou pour son contingent ; lors du partage général, était une espèce de terre salique ou de bénéfice militaire dont le possesseur ne pouvait disposer que du consentement du prince. Le premier article de la loi Gombette, après avoir déclaré qu’un père peut laisser les biens qu’il possède en toute propriété, à qui il lui plaît, ajoute : nous exceptons des biens dont un père peut disposer à sa mort,... Cette loi ou l’édit fait au sujet de ce partage, et que malheureusement nous n’avons plus, statuait apparemment que ces parts et portions ne pourraient passer qu’aux héritiers du défunt capables de porter les armes, et contenait les obligations dont leurs possesseurs étaient tenus en cas de guerre. Il n’était pas même permis aux bourguignons par la loi Gombette de disposer entre vifs des terres de leurs parts ou portions en faveur d’un étranger. Ils ne pouvaient les aliéner qu’en faveur d’un romain, qui eût déjà des fonds à lui dans le canton, ou bien en faveur d’un bourguignon qui déjà eût à lui une possession ou un établissement dans le pays. Il y avait même plus ; la loi Gombette, qui, comme nous l’avons rapporté sur l’année cinq cent, était beaucoup plus favorable aux romains que l’ancienne loi des bourguignons, ordonnait que lorsqu’un bourguignon vendrait sa part et portion, le romain son hôte, c’est-à-dire, le romain qui avait été propriétaire de ce fond-là, avant le partage de l’année quatre cent cinquante-six, serait préféré à tous autres dans cette acquisition. Pour parler suivant nos usages, ce romain pouvait retirer le fond dont il est question sur tout autre acquéreur. Tout étranger était exclu de l’acquisition de ces parts et portions. On voit par-là que les petits fiefs ont été vénaux, du moins sous condition, dès le temps de leur première origine. Il est vrai cependant qu’il y avait une nature de biens dont les bourguignons ne pouvaient pas disposer même entre vifs. C’était les terres qu’ils tenaient uniquement de la pure libéralité de leurs rois. Elles devaient passer suivant la loi aux descendants des gratifiés, afin qu’elles fussent un monument durable de la magnificence de ces princes. Enfin nous avons déjà remarqué que les terres saliques ou les bénéfices militaires des francs n’étaient jamais qualifiés du nom de sortes ou de lot. Ce nom néanmoins était le titre propre et spécial que l’usage général avait donné à la portion de terre qu’avait eu pour son partage chaque citoyen d’une nation barbare lorsqu’elle s’était mise en possession de la moitié ou des deux tiers des biens fonds appartenants aux anciens habitants des provinces romaines, où elle s’était établie.

De tout ce qui vient d’être exposé, je conclus que l’histoire et les lois des francs ne disant rien d’où l’on puisse inférer que les francs aient ôté au particulier dans les provinces des Gaules où ils s’établirent, une partie de ses fonds pour en former leurs terres saliques, il s’ensuit que les francs ne la lui ont point ôtée ; et s’il est permis d’user d’une pareille expression, que cette abstinence du bien d’autrui était l’un des motifs qui faisaient souhaiter aux romains de cette vaste et riche contrée de passer sous la domination de nos rois.

 

CHAPITRE 14

Que les revenus de Clovis et des autres rois mérovingiens étaient les mêmes que ceux que les empereurs avaient dans les Gaules lorsqu’ils en étaient les souverains. Du produit des terres domaniales et du tribut public. Que les francs étaient assujettis à la dernière de ces impositions.

Nous avons dit dans le chapitre onzième du premier livre de cet ouvrage, que le revenu dont les empereurs romains jouissaient dans les Gaules, était composé de quatre branches principales ; savoir du produit des terres dont l’état ou la république était le propriétaire, du produit du tribut public ou du subside ordinaire, payable généralement parlant par tous les citoyens, à raison de leurs conditions, biens et facultés, du produit des douanes et péages établis en plusieurs lieux, et enfin des dons gratuits ou réputés tels, que les sujets faisaient quelquefois au prince. Nous avons même exposé un peu au long dans ce chapitre-là et dans les chapitres suivants, quelle était la manière de lever tous ces revenus, afin qu’à la faveur des circonstances que cette déduction nous donnait lieu de rapporter, il nous fût plus aisé de justifier dans la suite, que nos rois lorsqu’ils furent devenus les maîtres des Gaules, jouirent précisément des quatre branches de revenu dont les empereurs y avaient joui précédemment. C’est ce qu’il s’agit à présent de montrer, en ramassant ce qu’on trouve à ce sujet dans les monuments littéraires de la monarchie.

S’il n’est point dit expressément et formellement dans tous ces écrits, que nos rois ont eu dans les Gaules les mêmes revenus dont y jouissaient avant eux les empereurs romains, c’est qu’il a paru inutile à ceux qui les ont composés d’y faire mention d’une chose, que tout le monde voyait aussi bien qu’eux, et qui d’ailleurs était dans l’ordre commun. En effet, lorsqu’une province change de maître, le nouveau possesseur y entre aussitôt en jouissance de tous les revenus qui appartenaient précédemment au souverain dépossédé. C’est l’usage ordinaire, et même les historiens qui se plaisent le plus à charger leurs narrations de détails et de circonstances, ne daignent point faire mention de cet incident. Ils supposent avec fondement qu’avoir dit, par exemple, que Louis XIV conquit en mille six cent quatre-vingt-quatre le duché de Luxembourg sur le roi d’Espagne Charles II c’est avoir dit suffisamment, que le roi très chrétien s’y mit en possession de tous les domaines, droits, et revenus dont le roi catholique y jouissait avant la conquête.

On devrait donc supposer, quand bien même on n’en aurait pas de preuve, que lorsque Clovis et ses successeurs se rendaient maîtres d’une province des Gaules, ils s’y mettaient aussitôt en possession de tous les biens et droits appartenants au souverain. Nous avons vu qu’il n’y eut point alors dans les Gaules une subversion d’état, et encore moins un bouleversement de la société. Comme les sujets y restèrent en possession de leurs droits et revenus, le sceptre y demeura aussi en possession des siens, quoiqu’il eut changé de main. La nouveauté qu’il y eut, c’est que les droits et les revenus établis, devinrent les droits et les revenus des rois des francs, au lieu qu’auparavant ils étaient ceux des empereurs romains.

Parlons donc du produit de la première branche de ces revenus. Tous les fonds de terre qui appartenaient aux empereurs, devinrent le corps du domaine de nos rois. On lit dans Grégoire de Tours, que le roi Charibert petit-fils de Clovis, prêtant l’oreille à des courtisans avides qui lui insinuaient que la métairie de Nazelles dont l’église de saint Martin de Tours jouissait depuis longtemps, était du domaine, il l’y réunit, et qu’il y établit un haras. Ce prince s’obstina même à garder Nazelles comme un bien de la couronne, nonobstant les évènements miraculeux qui chaque jour y arrivaient et qui lui devaient faire reconnaître l’injustice de la réunion qu’il avait faite. Ce ne fut qu’après la mort de Charibert que cette métairie fut restituée à saint Martin par le roi Sigebert devenu maître de la Touraine.

Si le corps de domaine que nos rois possédaient dans cette cité, n’eût été formé que lorsque Clovis s’en rendit maître vers l’année cinq cent huit, il n’aurait pas été incertain sous le règne de Charibert qui parvint à la couronne en cinq cent soixante, si Nazelles était, ou s’il n’était pas du domaine royal. Le fait eut été notoire, et supposé qu’il eût été bien avéré que Nazelles n’était pas du domaine, Charibert ne l’eut pas usurpé sur l’église de saint Martin pour laquelle nos rois mérovingiens avaient le même respect qu’avaient les juifs pour le temple de Salomon. Grégoire de Tours ne dit pas même que Nazelles ne fût point du domaine. Il se contente d’alléguer que l’église de saint Martin était en possession de ce lieu-là depuis plusieurs années, ce qui montre que réellement il y avait lieu de douter dans cette affaire. Je conclus donc que le corps de domaine royal dont il était incertain vers l’année cinq cent soixante, si Nazelles faisait partie ou non, devait avoir été formé dans des temps fort éloignés, et par conséquent qu’il n’était autre que le corps du domaine des empereurs romains. Les rois visigots se l’étaient approprié en Touraine aussi bien que dans les autres provinces qu’ils avaient occupées ; et Clovis lorsqu’il les eut conquises sur Alaric Second, s’y sera mis en possession des biens dont ces princes s’étaient emparés. Les rois des francs, dit Dominici, avocat au parlement de Toulouse, dans son livre de la prérogative de l’alleu ont eu de grands domaines dans les provinces de notre voisinage ;...

L’histoire des rois mérovingiens est remplie de preuves qui font voir que ces princes possédaient en propriété une infinité de fonds de terre, et qu’ils étaient, comme on le dit en parlant des particuliers, de grands terriens. Voilà ce qui leur a donné le moyen d’enrichir tant d’églises, et de fonder tant de monastères dans un temps où il fallait assigner aux religieux des revenus un peu plus solides que ne le sont des loyers de maisons ou des rentes constituées à prix d’argent. On sait encore par l’histoire et par les capitulaires que ces princes faisaient valoir les terres de leur domaine par des intendants, et par cette espèce d’esclaves qu’on appelait les serfs fiscalins, parce qu’ils appartenaient au fisc. Il y a même dans les capitulaires tant d’ordonnances faites à ce sujet, qu’il suffit d’avoir ouvert le livre pour en avoir lu quelques-unes. Ainsi je ne les rapporterai point. Je ne rapporterai pas même plusieurs endroits de Grégoire de Tours ou des auteurs qui ont écrit peu de temps après lui, et qui montrent que le fisc des rois mérovingiens avait tous les droits que le fisc des empereurs avait eus, et qu’il s’appropriait les biens des criminels et les biens abandonnés, parce que j’ai déjà fait lire en parlant d’autres sujets un grand nombre de passages qui prouvent suffisamment cette vérité.

Quand nous avons traité des revenus de l’empire romain dans les Gaules, nous avons vu que la première branche de ce revenu, laquelle provenait du produit des terres dont la propriété appartenait à l’état, avait outre le rameau dont il vient d’être parlé, deux autres rameaux ; savoir un droit qui se levait sur le gros et sur le menu bétail qu’on menait pâturer dans les bois et autres pâturages dont le fond appartenait en propre à l’état, et un autre droit qui se levait sur ce qu’on tirait des mines et carrières. Nous allons trouver nos rois mérovingiens en possession de ces deux droits-là.

Grégoire de Tours après avoir raconté plusieurs miracles arrivés à Brioude au tombeau du martyr saint Julien, dans le temps que Thierri le fils du grand Clovis régnait sur l’Auvergne, ajoute ce qui suit : il y eut aussi un diacre qui après avoir abandonné les fonctions de son état,... Quant aux droits que nos rois levaient sur le produit des mines qui se fouillaient en vertu des concessions que le souverain avait faites. Voici ce qu’on lit dans la vie de Dagobert Premier : outre les autres présents que le roi Dagobert fit à l’église de saint Denys en France,...

La seconde branche du revenu dont les empereurs jouissaient dans les Gaules, consistait dans le tribut public, ou dans le subside qui comprenait la taxe par arpent et la capitation. Tous les citoyens payaient ce subside à proportion de leurs biens et facultés, et conformément à un cadastre qui contenait la quote-part à laquelle chaque particulier d’une cité devait être imposé, par proportion aux sommes que le prince voulait y être levées. C’est ce que nous avons exposé plus amplement dans le premier livre de cet ouvrage où nous avons encore expliqué que ces cadastres se dressaient en conséquence des descriptions de chaque cité qui se renouvelaient de temps en temps, et qui contenaient le nombre de ses citoyens avec l’état des biens et des revenus d’un chacun. Les rois mérovingiens qui voulaient se rendre agréables aux romains leurs sujets, conservèrent à cet égard l’ancien usage. La maxime qui ordonne aux souverains dont la monarchie est fondée depuis peu, de faire ressembler autant qu’il est possible, le nouveau gouvernement à l’ancien, n’est jamais plus utile, que lorsqu’on la suit dans la levée des deniers nécessaires à la dépense de l’état.

On sait bien que les vandales qui envahirent la province d’Afrique au milieu du cinquième siècle, en usèrent bien autrement dans le dessein qu’ils avaient d’en faire un état tout nouveau. Afin d’y être plus absolument les maîtres de la fortune des romains qu’ils avaient assujettis, ils jetèrent au feu les cadastres qu’ils y trouvèrent. Voici ce que nous apprend à ce sujet Procope en parlant de la conduite que tint Justinien pour rétablir l’ordre ancien dans cette province, après qu’il l’eût réunie à l’empire romain. D’autant qu’on ne pouvait plus trouver le cadastre... mais tous les barbares n’ont pas traité les romains des provinces où ils se cantonnèrent aussi durement que nos vandales les traitèrent. Les visigots et les bourguignons ne jetèrent point au feu les cadastres dressés par l’autorité des empereurs. Nous savons positivement par plusieurs endroits des lettres de Cassiodore qui seront rapportés dans la suite, que les ostrogots conservèrent aussi lorsqu’ils se furent rendus les maîtres de l’Italie, les registres publics de cette province de l’empire. Quant à nos francs, nous avons outre le préjugé général qui leur est favorable, des preuves qu’en cela ils se conduisirent comme les ostrogots, et qu’ils levèrent les revenus publics dans les Gaules conformément aux anciens canons et recensements. Il parait même que c’était en se conformant à l’esprit du gouvernement qui régnait dans les Gaules du temps qu’elles étaient sous les empereurs, que les rois mérovingiens faisaient faire, lorsqu’ils voulaient augmenter leur revenu, de nouvelles descriptions relatives aux précédentes. La plus célèbre de ces descriptions a été celle que fit faire Clotaire Premier apparemment lorsqu’il eut réuni les partages de ses trois frères au sien, et qu’il fut ainsi devenu souverain de toute la monarchie française. Rapportons les passages qui servent à prouver ce qui vient d’être avancé.

Grégoire de Tours dit en parlant d’un des fils et des successeurs de ce Clotaire : le roi Chilpéric ordonna que dans tous ses états il fût dressé une nouvelle description,... Chilpéric fit punir sévèrement les mutins, et même il fit traiter cruellement quelques ecclésiastiques, accusés d’avoir été les boutefeux de la sédition ; mais les malheurs qui pour lors arrivèrent coup sur coup dans sa famille, l’engagèrent enfin à annuler le nouveau cadastre, et à remettre en vigueur le cadastre précédent. Il avait été attaqué lui-même d’une infirmité dangereuse, et à peine en avait-il été guéri que ses deux fils étaient tombés malades, et avaient été réduits à l’extrémité. Tant d’accidents firent donc rentrer en elle-même Frédégonde la mère de ces princes. Ce sont les gémissements des orphelins, dit-elle au roi son mari, qui soulèvent le ciel contre nous,... Comme les empereurs faisaient faire quelquefois de nouvelles descriptions, non point dans l’idée d’augmenter leurs revenus, mais dans la vue de connaître mieux l’état présent, ou de leur monarchie en général, ou de quelque province particulière, afin d’asseoir ensuite le tribut public avec équité, les rois mérovingiens faisaient aussi dresser quelquefois de nouvelles descriptions uniquement dans la seule vue de procurer le bien de leurs sujets. Sur la réquisition de Maroveus évêque de Poitiers,...

Nous verrons ce que les mêmes commissaires firent en Touraine, où ils se rendirent au sortir de Poitou, quand nous parlerons de ceux qui étaient exempts, ou qui se prétendaient exempts du tribut public. Le prince dont nous venons de parler, je veux dire, Childebert le fils du roi Sigebert fit apparemment dans tous ses états la même réformation du cadastre, que nous savons positivement qu’il fit dans le Limousin et dans la Touraine. C’est ce qu’il me parait naturel d’inférer d’un passage de Grégoire de Tours que je vais rapporter. Cet historien, après avoir parlé d’une exemption du tribut public accordée à quelques ecclésiastiques par ce prince, et dont nous ferons mention en son lieu, ajoute : le ciel porta encore Childebert à faire une autre action de bonté...

Sous les empereurs romains, c’était le comte de chaque cité qui se trouvait chargé de faire faire le recouvrement des deniers du tribut public, et qui devait à un jour marqué en faire porter les deniers dans la caisse du prince. Sous les rois mérovingiens, c’était le même officier qui était chargé des mêmes soins. Si à l’échéance du quartier le comte n’avait pas encore ramassé la somme qu’il devait porter dans les coffres du prince, il fallait que le comte avançât le reste ; et s’il n’avait pas d’argent à lui, qu’il en empruntât pour remplir une obligation, à laquelle il n’aurait pas manqué impunément. On lit dans Grégoire de Tours, au sujet d’un évènement, où Macco comte de Poitiers eut la plus grande part, que Macco se rendait à la cour, où suivant l’usage, il était obligé d’aller pour y porter les revenus du fisc.

On lit encore ce qui suit dans le même auteur : en cette année-là, vint à Tours un juif nommé Armentarius,... nos premiers rois, et qu’ils y exerçaient le même commerce qu’ils ont toujours fait dans tous les lieux où l’on les a soufferts et qu’ils exercent encore dans ceux où l’on les tolère. Ils y prêtaient à usure. Pour Eunomius, nous avons eu déjà occasion de dire que c’était un romain, qui à la recommandation de l’évêque et du peuple de Tours avait été fait comte de cette cité. Nous avons dit aussi qu’il y avait à Tours une famille Injuriosa dont était un des évêques prédécesseurs de notre historien.

Enfin c’était si bien le comte qui était chargé du recouvrement du tribut public, que lorsque la contestation qui était entre les rois et la cité de Tours qui se prétendait exempte de cette imposition, comme nous allons le dire tout à l’heure, eut été terminé par la donation que le roi fit du produit de cette imposition au tombeau de saint Martin, l’évêque de Tours fut mis en possession du droit de nommer et d’installer les comtes, comme étant celui qui avait le plus d’intérêt à la gestion de ces officiers, et celui avec lequel ils auraient désormais à compter. Voici ce qu’on lit à ce sujet dans la vie de saint Éloi, écrite par Saint Ouen évêque de Rouen, et contemporain de saint Éloi : ce fut à la sollicitation du serviteur de Dieu... aucune personne n’était exempte par son état de payer le tribut public pour les biens qu’elle possédait ; et l’église même n’avait pas le droit d’affranchir de ce tribut les fonds dont elle était propriétaire. Il n’y avait que ceux à qui le prince avait par un privilège particulier, accordé une exemption spéciale, qui ne fussent point tenus d’acquitter le census.

En effet, le sixième canon du concile assemblé dans Orléans l’année cinq cent onze, parle de l’exemption du tribut public, que Clovis avait octroyée à plusieurs fonds de terres, et autres biens que ce prince avait donnés à l’église, comme d’une seconde grâce, comme d’un second présent qu’il lui avait fait. Il est sensible par la manière dont le canon allégué s’explique sur cette exemption, qu’elle n’était point de droit, et qu’un prince pouvait donner un fonds à une église, sans que pour cela, l’église qui venait à jouir de ce fonds-là, fut dispensée de payer la quote-part du tribut public dont il était chargé. Quant aux redevances et aux biens fonds,... nous avons une lettre écrite au roi Théodebert fils de Thierri Ier par une assemblée du clergé tenue en Auvergne, et dans laquelle cette assemblée lui demande de laisser jouir les recteurs des églises et les autres ecclésiastiques domiciliés dans les partages du roi Childebert et du roi Clotaire, des fonds que ces ecclésiastiques possédaient dans l’étendue de son partage, en acquittant les impositions dont ces biens étaient tenus envers le fisc, afin, dit encore notre lettre, que chacun jouisse sans trouble des biens qui lui appartiennent, en payant le tribut au prince, dans le royaume de qui ses fonds se trouvent.

Une des maximes des jurisconsultes est que rien ne prouve mieux l’existence d’une loi, que les dispenses qu’en prennent ceux qui s’y trouvent soumis. Or, notre histoire fait mention en plusieurs endroits de l’exemption du tribut public, accordée par les rois mérovingiens à des ecclésiastiques. Par exemple, Grégoire de Tours dit, que le roi Théodebert remit en entier aux églises d’Auvergne le tribut qu’elles étaient tenues de payer au profit du fisc. Il parait même que ces exemptions ne duraient que pendant la vie du prince qui les avait accordées, et que la redevance dont chaque arpent de terre se trouvait être tenu envers l’état, était un patrimoine si sacré, qu’un roi n’eut point le pouvoir de l’aliéner. Il pouvait bien la remettre pour quelque temps, et en disposer à son gré comme d’une portion de son revenu, mais non pas l’éteindre et en priver la couronne pour toujours. En effet, nous voyons que les églises d’Auvergne, cinquante ans après que Théodebert les eut affranchies du payement du tribut public, en obtinrent une nouvelle exemption du roi Childebert le Jeune. Le roi Childebert, dit Grégoire de Tours, exempta du tribut public...

Il est vrai que les habitants de la cité de Tours se disaient exempts du tribut public ; mais comme j’ai déjà eu occasion de le dire, ce privilège leur était contesté par nos rois. Ce ne fut pas même en déclarant la cité de Tours exempte du subside ordinaire, que Dagobert Ier fit cesser cette contestation. Ce fut en cédant et transportant, comme on vient de le voir, le produit de cette imposition à l’église de Tours, avec qui ce serait désormais à ses diocésains de s’accommoder. Voici le passage de Grégoire de Tours qui concerne la contestation dont nous venons de parler, et dans lequel il s’agit d’un incident survenu environ quarante ans avant que Dagobert l’eût terminée. Ce passage sera peu long, mais il contient tant de circonstances propres à confirmer ce que nous avons à prouver, que j’ai jugé à propos de le rapporter en entier, après avoir averti que l’évènement dont il s’agit arriva quand notre auteur était déjà évêque de Tours, et à l’occasion de la nouvelle description que Childebert le jeune fit faire dans ses états, c’est-à-dire, vers l’année cinq cent quatre-vingt-dix. Florentianus maire du palais, et Romulfus un des comtes du palais,... nous avons raconté d’avance qu’environ quarante ans après l’évènement dont on vient de lire le récit, Dagobert Ier termina toutes contestations, concernant l’exemption du tribut public prétendue par la cité de Tours, en faisant don du produit du tribut public dans la cité de Tours, à l’église de Tours.

On voit par les lettres de Cassiodore, que les ostrogots, nonobstant tous les égards qu’ils affectaient d’avoir pour les églises des catholiques, ne laissaient pas de lever le subside ordinaire sur tous les biens qui appartenaient à celles d’Italie. Il est statué dans une de ces lettres écrite au nom de Théodoric, que les biens qui appartenaient à une certaine église dans le temps que son exemption lui avait été octroyée, ne seraient pas sujets aux taxes ordinaires ni aux superindictions, mais que les biens qu’elle avait acquis depuis cette exemption, seraient tenus de les payer sur le même pied qu’ils étaient payés par le possesseur, de qui cette église les avait eus.

Il se présente ici une question assez curieuse, et même de quelqu’importance dans l’explication de notre droit public. Les francs payaient-ils sous le règne des enfants de Clovis le subside ordinaire, ou ne le payaient-ils pas ? J’avoue que l’opinion commune est qu’ils ne le payaient point, et qu’ils étaient même exempts de toutes charges, à l’exception de celle de porter les armes pour le service du roi, lorsqu’ils étaient commandés ? Combien de droits imaginaires n’a-t-on pas même fondés sur cette exemption prétendue ? Cependant je crois que sous la première ni sous la seconde race, les francs n’ont pas été plus exempts que les romains mêmes du subside ordinaire. Je crois que les francs étaient tous assujettis au payement du tribut public, ainsi qu’ils l’étaient certainement, comme on le verra dans le chapitre suivant, au payement des douanes, des péages, et des autres droits de pareille nature, qui se levaient alors dans les Gaules. Si quelques francs étaient exemptés de payer aucune de ces impositions, ce n’était pas en vertu de leur état, ce n’était point en vertu d’une immunité accordée à la nation des francs en général, c’était en vertu d’un privilège particulier, accordé spécialement à quelques personnes. Entrons en matière.

Il faudrait, pour montrer que nos francs eussent été exempts du subside ordinaire, le faire voir par des preuves bien positives. Cette prétendue exemption nationale ne s’accorde guère avec ce que nous savons positivement sur les usages et sur les coutumes du sixième et du septième siècle, et avec ce que nous venons de voir.

En premier lieu, l’usage des romains n’était pas, lorsque le prince avait remis à quelqu’un la quote-part qu’il devait payer, de rejeter la quote-part de l’exempté sur les autres contribuables, ainsi qu’il se pratique aujourd’hui dans plusieurs états. L’usage des romains était, que le prince passât en recette le produit de cette quote-part. Supposé, par exemple, que la communauté de laquelle Lucius était membre, dût payer cent sols d’or, dont Lucius fût tenu de contribuer la dixième partie, et que l’empereur remît à Lucius sa quote-part, alors l’empereur prenait en payement les dix sols d’or dont il avait déchargé Lucius. La communauté dont Lucius était membre, n’était plus tenue que de quatre-vingt-dix sols d’or. On voit dans les lettres de Cassiodore plusieurs preuves de cet usage, que les ostrogots avaient conservé en Italie. Théodoric mande à la curie de Trente, en lui écrivant sur l’exemption qu’il avait accordée à un prêtre nommé Butilianus. Nous avons exempté par ces présentes Butilianus de payer au fisc aucune redevance ;...

La nécessité où se mettait le prince de donner une indemnité toutes les fois qu’il accordait une exemption, devait être cause qu’il en accordât très peu. Aussi voyons-nous dans les lettres de Cassiodore, que de son temps le sénat de Rome était ainsi que les autres ordres de citoyens, soumis aux impositions qui se levaient sous le nom de subside ordinaire. Théodoric dit dans une lettre adressée à cet auguste corps : il nous apparaît par l’état des payements...

Les ostrogots qui étaient alors en Italie ce que les francs étaient dans les Gaules, payaient leur quote-part du subside ordinaire, même à raison des bénéfices militaires dont ils jouissaient, et ils le payaient entre les mains des officiers préposés pour en faire le recouvrement. C’est ce qui parait en lisant une lettre de Théodoric à Saturninus et à Verbasius deux sénateurs chargés de cette commission. Notre intention n’est pas de souffrir que les revenus publics soient arriérés,... Voici la substance d’une autre lettre du roi des ostrogots, écrite à Gasilas un des saio ou des senieurs, de ceux de la nation des ostrogots, qui s’étaient établis dans la Toscane et dans quelques provinces voisines. Nous vous enjoignons de contraindre les ostrogots... le roi Athalaric, en écrivant à Gildas qui exerçait l’emploi de comte à Syracuse, pour lui enjoindre de faire cesser la levée de quelques nouvelles impositions, finit sa lettre en disant : il ne nous reste plus qu’à vous ordonner d’avertir votre province,...

Les visigots établis en Espagne et dans les Gaules, y étaient assujettis au payement du tribut public, ainsi que les ostrogots l’étaient en Italie. C’est ce qui parait en lisant les deux anciens articles de la loi nationale des visigots, que nous allons rapporter, et qui se commentent réciproquement l’un l’autre. Il est dit dans le premier de ces deux articles : tout particulier à qui la jouissance d’un fond aura été abandonnée,... Il est clair par cette loi, que les bénéfices militaires des visigots étaient compris et taxés dans le canon. La seconde des lois que nous avons promis de rapporter, statue : dans chaque cité, les juges et autres officiers feront déguerpir les visigots qui seront trouvés détenir des terres,... Il faut que depuis le partage général il eût été fait un nouveau rôle, où les taxes étaient plus fortes qu’elles ne l’étaient dans l’ancien, et que le législateur craignît que les romains qu’on rétablirait dans les fonds usurpés sur eux, prétendissent n’acquitter les redevances des fonds qu’on leur rendrait, que sur le pied de l’ancien cadastre, c’est-à-dire, sur le pied qui avait lieu lorsqu’ils avaient été chassés injustement de leurs possessions. La précaution que prend la loi que nous venons de rapporter, obviait aux inconvénients qui pouvaient naître d’une prétention pareille.

Nous avons vu dans le livre précèdent, que lorsque les bourguignons reconnurent pour rois les enfants de Clovis, ils s’obligèrent de payer à ces princes une redevance pour les terres qu’ils possédaient, c’est-à-dire, pour la moitié des terres qu’ils avaient ôtée à l’ancien habitant des provinces des Gaules où ils s’étaient établis. Cependant c’était à titre onéreux, c’était à condition de marcher lorsqu’ils seraient commandés, que les bourguignons tenaient leurs terres. Les parts et portions bourguignonnes devaient être un bien de même nature que les terres saliques quant au service dont leur possesseur était tenu. En un mot, toutes les nations dont je viens de parler, n’avaient fait autre chose en laissant les fonds destinés à l’entretien de leur milice, chargés de la redevance dont ils étaient tenus envers l’état, conformément au cadastre de l’empire, que conserver et suivre l’usage qu’elles avaient trouvé établi dans les provinces où elles s’étaient cantonnées. Nous avons rapporté dans le premier livre de cet ouvrage, une loi faite par les empereurs romains, vers le milieu du cinquième siècle, laquelle fait foi que les bénéfices militaires étaient sujets au tribut public.

Je conclus donc de tout ce qui vient d’être exposé, qu’il est contre la vraisemblance que les rois mérovingiens aient exempté les terres saliques et les autres biens fonds, ou revenus des francs, de payer le subside ordinaire ; et la chose parait même incroyable, quand on fait réflexion que ces princes qui enrichissaient les églises avec tant de libéralité, ne les avaient point affranchies de ce tribut. On a vu que suivant la loi générale elles y étaient soumises, et que si quelques-unes en étaient exemptes, si quelque portion du bien des autres était dispensée de cette charge, c’était par un privilège spécial. Ainsi, comme je l’ai déjà dit, pour montrer que tous les francs aient été exempts du subside ordinaire en vertu d’un privilège national, il faudrait apporter des preuves positives, et telles qu’elles pussent faire disparaître un préjugé aussi légitime que celui qu’on défend ici. Mais loin qu’on trouve ou dans les lois faites par les souverains des deux premières races, ou dans l’histoire, rien qui établisse cette prétendue exemption des francs, on trouve et dans ces lois et dans l’histoire, plusieurs sanctions et plusieurs faits, qui montrent que nos francs ont été assujettis au payement du tribut public, ainsi que les autres sujets de la monarchie, et cela durant tout le temps que la distinction des nations y a subsisté. Voyons d’abord ce qu’on peut trouver dans les lois à ce sujet.

Il est vrai que dans les lois et capitulaires des rois de la première race, on ne voit rien qui prouve que du temps de ces princes, les francs aient été ou qu’ils n’aient pas été assujettis au payement du subside ordinaire ; mais en lisant les capitulaires des rois de la seconde race, on y voit que nos francs étaient assujettis à cette imposition. Or, comme on n’a jamais reproché aux rois de la seconde race d’avoir dégradé les francs, comme au contraire, plusieurs d’entre eux ont été très jaloux de l’honneur de cette nation, dont ils se faisaient un mérite d’être, on doit inférer que les rois de la seconde race n’ont fait payer aux francs le subside ordinaire, que parce que les francs l’avaient payé sous les rois de la première race. En parlant du tribut public dans le premier livre de cet ouvrage, j’ai exposé qu’il consistait premièrement, en une taxe mise sur le contribuable, à raison des fonds dont il était possesseur, et secondement, en une autre taxe mise sur lui, à raison de son état de citoyen, laquelle se nommait capitation. Or il est dit dans le vingt-huitième article de l’édit, fait à Pistes par Charles le Chauve : les francs non exempts,... cette loi suppose que les francs étaient également soumis à l’imposition personnelle et à l’imposition réelle.

Il est évident que dans notre loi Charles le Chauve entend parler des francs de nation ; car après avoir statué touchant les contrevenants à son ordonnance ce qu’il juge à propos d’y statuer, il dit à la fin du même article : quant aux romains, nous n’avons rien à ajouter à ce que leur loi ordonne sur ce point-là. Nous rapporterons encore à l’occasion des douanes et péages plusieurs capitulaires, faits par les rois de la seconde race, et qui sont très opposés à l’idée qu’on se fait communément de l’exemption générale des francs.

Quant à présent voyons ce qui se trouve dans l’histoire concernant leur prétendue exemption du tribut public ou du subside ordinaire. Ceux qui la soutiennent, se fondent sur deux passages de Grégoire de Tours, qui vont être rapportés. Voici le premier : Théodebert mourut enfin après avoir été longtemps malade... " Grégoire de Tours ne dit point dans ce passage, que Parthenius eut soumis les francs au tribut public dont ils devaient être exempts. Il dit seulement que Parthenius les avait accablés d’impositions, c’est-à-dire, qu’abusant de la confiance de Théodebert, il l’avait engagé à augmenter les taxes portées dans l’ancien cadastre. Voici le second passage de notre historien. Après avoir rapporté que Frédégonde se réfugia dans l’église cathédrale de Paris quand le roi Chilpéric son mari eut été assassiné, l’auteur ajoute : elle avait auprès d’elle un juge nommé Audoënus,... Il est vrai qu’ils s’en vengèrent dès que Chilpéric eut les yeux fermés, et qu’ils pillèrent si bien tous les effets de Parthenius, qu’il ne lui en resta que ce qu’il avait sur lui.

Comme rien ne montre mieux l’existence d’une loi dont on n’a plus les tables, que des exceptions faites certainement à cette loi, il me semble que ce passage, loin de prouver que les francs ne fussent pas sujets à payer le subside ordinaire, montre au contraire, que la loi générale les y assujettissait. En effet, l’indignation des francs qui en voulaient à Audoënus et à Mummolus, ne venait pas, suivant la narration de Grégoire de Tours, de ce que nos deux romains eussent exigé des francs en général le subside ordinaire ou le tribut public, mais elle procédait de ce qu’ils avaient exigé ce tribut de quelques francs privilégiés, de ceux que le roi Childebert avait affranchis du payement de l’imposition dont il s’agit.

Au reste, j’ai un bon garant quand je traduits ici ingenuus par affranchi en prenant ce dernier mot dans son acception la plus générale, quoique ingenuus signifie dans son acception ordinaire, un homme qui a toujours été libre. Ce garant est Grégoire de Tours lui-même, qui prend sensiblement le mot ingenuus dans la signification d’affranchi, dans la signification d’un homme à qui l’on a ôté quelque joug. Notre historien fait dire à l’esclave que Frédégonde avait gagné, pour tuer Prétextat évêque de Rouen : que la reine pour l’engager à commettre ce meurtre lui avait donné cent sols d’or, et qu’elle lui avait promis de les rendre sa femme et lui affranchis, ingenui. on voit bien que cela signifie seulement, que la reine avait promis de les affranchir. Toute la puissance de Frédégonde ne pouvait pas faire que ces esclaves ne fussent point nés esclaves, et qu’ils fussent nés libres. J’avouerai, tant que l’on voudra, que le mot ingenuus est employé ici abusivement par Grégoire de Tours. Mais on sait que ni lui, ni ses contemporains n’ont pas employé toujours les mots suivant l’acception qu’ils avaient dans la bonne latinité. Il nous suffit qu’on ne puisse pas douter que cet historien n’ait employé le terme d’ingenuus  dans le sens où nous avons vu qu’il s’en était servi.

 

CHAPITRE 15

Des droits de douane et de péage qui se levaient au profit des rois mérovingiens. De la quatrième branche de leur revenu. De quelques usages établis dans les Gaules par les romains, et qui ont subsisté sous les rois des deux premières races.

Le lecteur se souviendra bien que la troisième branche du revenu des empereurs romains, consistait dans le produit des droits de douane et de péage, qui se percevaient à l’abord des denrées et des marchandises en certains lieux, ou à leur passage sur certains chemins, ou bien à la traversée de certaines rivières. Nous avons même rapporté ce qu’on pouvait savoir concernant le pied sur lequel ces droits étaient levés, et la manière d’en faire le recouvrement. On va voir que ces impositions ont subsisté sous les rois mérovingiens, et même sous les rois carliens, et que leur produit faisait une des branches du revenu de ces princes.

On connaît par le contenu de la chartre d’exemption de tous droits de douane et de péage octroyée par Charles Le Chauve à l’abbaye de saint Maur Des Fossés dans le diocèse de Paris, que ces droits consistaient en plusieurs sortes d’impositions différentes, dont l’une s’appelait droit de bureau, l’autre, droit de rivage, l’autre, droit de charroi, l’autre, droit des ponts, droit sur les bêtes ou sur les esclaves emmenés et sur les choses transportées ; une autre imposition se nommait droit d’heureux abord. Or, il n’y a point d’apparence que tous ces droits eussent été établis sous la seconde ni même sous la première race. Tant d’impositions différentes sur les mêmes choses, ne paraissent pas l’ouvrage d’une nation barbare, qui récemment s’est emparée de la souveraineté dans un pays policé depuis longtemps.

Cette nation opère avec plus de simplicité ; sans tant de raffinement, elle lève sous une seule dénomination, tout ce qu’elle veut lever sur chaque espèce de denrées ou de marchandises. Il y a bien plus d’apparence que les diverses impositions si différentes de nom, et payables néanmoins par la même denrée ou marchandise, aient été mises à différentes reprises et sous différentes dénominations dès le temps des empereurs romains, et cela dans les occasions où il aura fallu faire quelque nouveau fond pour suppléer aux anciens épuisés, soit par les besoins de l’état, soit par les prodigalités du prince. Toutes les dénominations de droits dont il est fait mention dans notre chartre, ont véritablement apparence d’être de ces noms spécieux que les publicains inventaient, suivant Tacite, pour donner une couleur aux exactions. Ce qui arrive journellement dans les états qui subsistent aujourd’hui, a dû arriver dans l’empire romain.

Lorsque les premiers droits sur les denrées et marchandises ont été une fois établis, s’il survient un besoin qui oblige le gouvernement à les surcharger, il n’augmente pas ordinairement l’ancien droit. Le peuple en serait trop mortifié, parce qu’il n’espérerait pas de voir supprimer cette augmentation.

Ainsi pour le consoler, on impose cette crue sous un nouveau nom, que le hasard seul lui donne la plupart du temps, et l’on promet au peuple que le droit mis sous le nouveau nom, sera éteint dès que les conjonctures qui sont cause qu’on l’impose seront passées. Mais ces conjonctures étant passées, il survient quelquefois au gouvernement d’autres affaires, qui non seulement ne lui permettent pas d’ôter ce second droit, mais qui l’obligent encore à en imposer un troisième et un quatrième, qu’on déguise de la même manière qu’on avait déguisé le second. C’est ainsi que les droits sur les denrées et marchandises se multiplient et s’accumulent, de façon, que dans la même pancarte, on trouve la même denrée chargée de cinq ou six droits différents. C’est en vain que les citoyens éclairés proposent de temps en temps de simplifier les droits, et de les réduire à un droit aussi fort lui seul, que tous les autres ensemble. Il est vrai que le gouvernement ne perdrait rien par cette opération, et que le peuple y gagnerait l’avantage de n’être plus exposé à toutes les vexations que la multiplicité des droits donne lieu de lui faire. Mais un désordre qui tourne au profit des personnes en crédit, trouve toujours des défenseurs. Du moins on ne remédie au mal, qu’après qu’il a duré longtemps. Comme il n’y a point, peut-être, trois états parmi ceux qui composent aujourd’hui la société des nations ou l’abus de la multiplicité de droits sur la même marchandise ou denrée, n’ait lieu, on peut croire, quand bien même on n’en aurait pas d’autres preuves, qu’il a régné dans l’empire romain, et que tous les droits différents dont la chartre de Charles Le Chauve fait mention, ou dont elle déclare entendre faire mention, avaient été établis dans le temps que les Gaules étaient soumises à cet empire.

En effet nous voyons que même dès le temps des rois de la première race, les bureaux de douane et de péage étaient en si grand nombre dans les Gaules, que le peuple s’y plaignait beaucoup de la manière dont les droits qu’il fallait payer à l’état, étaient exigés. Clotaire II ordonne par un édit qu’il publia dans Paris en l’année six cent quinze, sur les représentations du concile qui s’y trouvait assemblé. Il n’y aura des bureaux de douane et de péage que dans les lieux... Il est dit dans la vie du roi Dagobert Ier : il assigna encore pour l’entretien du luminaire de l’église,...

Il a plu à quelques écrivains peu contents de l’état présent de notre monarchie, d’avancer que les francs étaient exempts de payer les droits dont il est ici question, ainsi qu’ils l’étaient du tribut public. Ils ont écrit que les francs après avoir soumis les Gaules,... mais comme ces écrivains n’allèguent d’autres preuves de ce qu’ils avancent, que des lois générales en faveur de la nation des francs, lesquelles n’existèrent jamais que dans leur imagination échauffée, on ne serait point obligé à les croire, quand bien même on n’aurait aucune preuve du contraire. Pourquoi les francs auraient-ils été mieux traités que les églises qui avaient cependant besoin d’une exemption spéciale, pour être dispensées de payer tous les subsides et tous les droits dont il s’agit ? Peut-on, quand on a quelqu’idée de l’esprit qui régnait dans le sixième siècle et dans les siècles suivants, croire que des laïques aient joui d’aucune immunité ou franchise, dont les églises ne jouissaient pas. Nous avons d’ailleurs montré suffisamment dans le précédent chapitre, que les francs étaient assujettis au payement du tribut public. Ne parlons donc plus que des droits de douane et de péage desquels il est ici question.

Outre les preuves positives qui ont été déjà rapportées, nous en allons encore alléguer une. Elle sera tirée de plusieurs articles des capitulaires, faits exprès pour exempter en certains cas tout citoyen de payer aucun droit de douane et péage. Or dans ces articles, il n’est fait aucune mention du privilège national des francs, quoiqu’il dût naturellement y en être parlé. Dans un capitulaire fait sous Pépin, et rédigé par conséquent quand la première race ne faisait que de défaillir, il est dit : il ne sera levé aucun péage ni sur les chariots vides ni sur les denrées,... comme statuer ainsi, c’était statuer que les bêtes de somme ou les chariots chargés de marchandises, et les denrées qui se transportaient pour être vendues, devaient le droit de péage ; il convenait de dire que les marchandises et denrées appartenantes aux francs, n’étaient point réputées comprises dans cette loi générale, si véritablement elles n’eussent jamais dû aucun droit. Il est dit dans un article répété plusieurs fois dans les capitulaires faits sous les rois descendus de Pépin. Celui qui aura exigé aucun droit de péage... où trouve-t-on l’amende à laquelle était condamné celui qui aurait exigé aucun droit d’un franc ?

J’ajouterai encore une réflexion, c’est que tous les droits dont nous parlons auraient été comme anéantis, si les francs en eussent été exempts par un privilège national. Toutes les marchandises auraient été voiturées, tout le commerce se serait fait sous leur nom. On verrait du moins dans les capitulaires où il se trouve tant de règlements sur des matières bien moins importantes, une infinité d’ordonnances faites pour empêcher que les francs ne prêtassent leur nom aux citoyens des autres nations. Il n’y a pas néanmoins un seul règlement fait à ce sujet-là. Enfin y avait-il plus de raison sous les rois mérovingiens et sous les rois carliens, d’exempter les francs des droits de douane et de péage, qu’il n’y en avait sous les empereurs d’exempter de ces mêmes droits les soldats romains, qui la plupart n’avaient d’autre domicile que le camp et d’autres occupations que les fonctions militaires ? Or l’on a vu dans notre premier livre, qu’ils étaient assujettis à payer les droits de douane et de péage en plusieurs cas, quoiqu’ils menassent la vie de soldat bien plus constamment que nos francs ne la menaient.

Nous avons dit que la quatrième branche du revenu des empereurs, consistait dans les confiscations et autres droits casuels, ainsi que dans les présents volontaires ou réputés tels, que leurs sujets leur offraient en certaines occasions. Quant aux confiscations, l’histoire des rois mérovingiens fait mention très fréquemment de la réunion de biens des personnes condamnées, faite au domaine du prince. On y lit même qu’en certaines circonstances, nos rois se contentaient de confisquer ceux des biens du coupable, qu’il tenait de la libéralité des souverains, et qu’ils lui laissaient la jouissance de son patrimoine, et de ce qu’il possédait en toute propriété. Septimina gouvernante des enfants de Childebert le Jeune, et Droctulfus qui avait été mis auprès de cette femme pour la conseiller, ayant formé ensemble un complot contre le roi, il les fit mettre à la question. Dès qu’on eut été informé de la découverte de la conspiration, Sunégesilus qui avait l’intendance des écuries du roi, et le référendaire Gallomagnus qui savaient qu’on les accuserait d’être du nombre des conjurés, se sauvèrent dans une église, d’où ils sortirent sur la foi d’un sauf-conduit que leur donna Childebert, afin qu’ils pussent comparaître devant lui. Ces deux officiers convinrent bien l’un et l’autre dans leur interrogatoire d’avoir su le projet de Septimina, mais ils nièrent d’y être entrés, et même ils soutinrent qu’ils avaient fait ce qu’ils avaient pu pour l’en détourner. Childebert condamna Septimina et Droctulfus à des peines afflictives, mais il se contenta de déclarer Sunégesilus et Gallomagnus, privés de tous les biens qu’ils tenaient de la couronne et de les exiler. Le roi Gontran qui intervint en leur faveur, leur fit bien remettre la peine de l’exil, mais il ne put venir à bout de leur faire rendre ce qui avait été réuni au domaine. Comme le marque Grégoire de Tours, il ne leur resta que ceux de leurs biens qui leur appartenaient en pleine propriété.

On voit aussi dans une infinité d’endroits de notre histoire, que les dons gratuits ou réputés tels, étaient en usage sous les rois des deux premières races. L’auteur de la vie d’Austregesilus, évêque de Bourges sous le règne de Thierri, raconte que ce saint fit dispenser par le prince les citoyens de cette ville, de payer une somme qu’ils ne devaient pas, et qu’on voulait cependant qu’ils donnassent. On a vu déjà dans le cinquième chapitre de ce livre, que le roi Pépin ayant assemblé un champ de Mars à Orléans, il y reçut des plus grands de l’état des présents considérables.

L’usage était que les religieuses mêmes, fissent de temps en temps des présents à nos rois. L’article sixième du concile tenu en sept cent cinquante-cinq par les soins de Pépin, ordonne aux religieuses de ne point sortir de leur monastère, et il y est dit entre autres choses : que dorénavant les religieuses feraient présenter au roi par leurs agents, les dons qu’elles voudraient lui offrir.

Enfin on vit dans le sixième siècle l’entier accomplissement de la prédiction que saint Remi avait faite à Clovis, quand il le disposait à recevoir le baptême ; Hincmar nous apprend que ce saint évêque prédit alors au nom de Dieu à Clovis, que ses enfants lui succéderaient, et qu’ils seraient revêtus de toute l’autorité et de tous les droits que les empereurs romains avaient eus dans les Gaules. Parlons à présent de quelques usages établis dans ce pays, tandis qu’il était assujetti aux Césars, et qui continuèrent d’avoir lieu sous les rois mérovingiens.

Nous avons dit dans le premier livre de cet ouvrage, que les romains avaient établis dans les Gaules, ainsi que dans les autres provinces de l’empire, des maisons de poste, placées de distance en distance sur les grandes routes, afin de fournir des chevaux frais à ceux qui couraient pour le service du prince, et qui étaient porteurs d’un ordre qui les autorisait à y en prendre. La vie de saint Paul de Léon, fait foi que Childebert avait sur la route de Paris en Bretagne de semblables maisons, puisqu’il ordonna qu’on y reçût chaque jour ce saint qui s’en retournait aux extrémités de la province d’où il était parti pour venir trouver ce roi. On voit aussi par Grégoire de Tours que la poste impériale subsistait encore de son temps. Cet historien après avoir raconté de quelle manière le Jeune Childebert fut informé du complot que Rauchingus tramait contre lui, et après avoir dit que ce prince le manda, ajoute : Rauchingus s’étant rendu à la cour,... La poste romaine a même subsisté dans les Gaules sous les rois de la seconde race. Les empereurs romains dans les différents règlements faits pour les postes, appellent veredi les chevaux nourris dans les écuries des maisons de poste, et ils nomment paraveredi les chevaux que les habitants des campagnes voisines étaient obligés à fournir pour le service des courriers, soit lorsqu’il n’y avait point assez de chevaux dans une de ces maisons, soit lorsque les courriers prenaient des chemins de traverse en quittant une grande route, pour gagner une autre grande route. Or il est fait mention de l’une et de l’autre espèce de chevaux de poste dans les capitulaires. Par exemple, il se trouve dans l’édit publié par Charles Le Chauve en huit cent soixante et quatre un article qui défend à ceux qui commandaient dans les cités, d’enlever aux francs demeurant dans le plat pays aucuns de leurs effets, et surtout de prendre leurs chevaux, et cela afin que nos francs, dit le prince, aient toujours le moyen de se rendre à l’armée lorsqu’ils y seraient mandés, et qu’ils soient toujours en pouvoir d’aider les maisons de poste, des chevaux qu’ils sont tenus de fournir pour le service, conformément à l’ancien usage.

En faisant le détail des manufactures et autres maisons que les empereurs entretenaient dans les Gaules, nous avons dit que les gynécées étaient des édifices publics, où le prince nourrissait un grand nombre de femmes qu’on y faisait travailler pour son profit, à des ouvrages convenables à leur sexe. On sait aussi que le travail de tourner la meule d’un moulin à bras, était une des peines afflictives en usage chez les romains. Grégoire de Tours dit en parlant d’un évènement arrivé sous Childebert le Jeune, et dont il vient d’être parlé, Septimina fut reléguée dans une métairie, pour y être employée à moudre le grain destiné à la nourriture d’un gynécée. Elle était romaine et convaincue comme on l’a déjà vu, d’une conjuration contre ce prince.

Nous avons dit que dès que les rois francs furent les maîtres d’Arles, ils y donnèrent au peuple le spectacle de cette espèce de tournois, que les romains appelaient les jeux à la troyenne, et qu’ils affectaient d’y présider, ainsi que les préfets du prétoire des Gaules y présidaient auparavant. On lit dans Grégoire de Tours, que le roi Chilpéric fit bâtir ou réparer un cirque à Paris et un autre à Soissons, et qu’il y donnait au peuple les spectacles ordinaires du cirque, c’est-à-dire, des courses de tout genre et de toute espèce.

Les romains avaient introduit dans les Gaules l’usage de construire des bâtiments faits exprès pour s’y baigner commodément durant toutes les saisons. On voit par ceux de ces édifices qui subsistent encore, soit en Italie, soit ailleurs, qu’il y avait des lieux destinés à faire chauffer l’eau, d’autres à se ressuyer, enfin que la construction d’un bain devait coûter beaucoup. Grégoire de Tours nous apprend qu’il y avait de son temps plusieurs de ces édifices, et même qu’il s’en trouvait dans des couvents de religieuses, bâtis depuis que les francs étaient les maîtres dans les Gaules. Il dit en parlant d’un évènement arrivé de son temps : Andarchius prit le bain dans de l’eau chaude, il s’enivra, et il se mit au lit. Une des causes qu’alléguaient celles des religieuses de sainte croix de Poitiers, qui s’étaient sauvées du couvent, c’est qu’on n’y vivait point assez régulièrement, et surtout, qu’on ne s’y comportait pas dans le bain avec assez de modestie. On sait que cette abbaye est de la fondation de Radegonde fille de Berthier, l’un des rois des thuringiens, et femme du roi Clotaire Ier. Grégoire de Tours lui-même était servi comme les romains de considération avaient coutume de se faire servir. Tout le monde a entendu dire qu’un de leurs usages particuliers, était de tenir toujours auprès de leur personne, des domestiques qu’ils appelaient notaires, et dont l’emploi était de mettre par écrit les ordres que donnait leur maître, et généralement tout ce dont il leur enjoignait de tenir une note, afin qu’il pût avoir recours dans l’occasion, à cette espèce de papier journal. Or voici ce qu’on trouve dans notre historien, au sujet d’un miracle que Dieu opéra sur Bodillon, par l’intercession de saint Martin : Bodillon l’un de mes notaires, était tellement incommodé d’un mal d’estomac,... Il ne parait point que les guerres qui s’étaient faites dans les Gaules, sous le règne de Clovis et sous celui de ses fils, eussent fort appauvri le pays. Les amendes portées dans la loi salique et dans la loi ripuaire de la dernière rédaction, supposent que ceux qui pouvaient y être condamnés, fussent riches. Les peines pécuniaires de deux cent sols d’or n’y sont pas rares, et il s’y en trouve encore de plus fortes.

Plusieurs faits contenus dans nos anciens auteurs, font encore voir que les Gaules n’étaient guère moins opulentes sous nos premiers rois qu’elles l’avaient été sous les empereurs. Grégoire de Tours en racontant un accident arrivé sous le règne des petits-fils de Clovis, au sujet du mariage qu’Andarchius voulait faire, en épousant la fille d’Ursus, dit qu’Andarchius prétendait qu’il y eut un engagement entre Ursus et lui pour faire ce mariage, et même que le dédit fut de seize sols d’or. Ces sols d’or me font ressouvenir de rapporter ici ce qu’on trouve dans le traité historique des monnaies de France, par feu Monsieur Le Blanc, concernant les espèces que nos premiers rois faisaient frapper. Ce sera une nouvelle preuve que ces princes voulaient changer le moins qu’il leur serait possible, l’état où ils avaient trouvé les Gaules, quand elles se soumirent à leur domination.

Après avoir montré de quelle matière étaient les monnaies dont il est parlé dans la loi salique,... on voit aussi dans Monsieur Le Blanc que l’intention de nos rois était, que le titre de leur monnaie fût le même que celui auquel les empereurs voulaient que fussent leurs espèces, c’est-à-dire, que ce titre fût le plus approchant du fin qu’il se pourrait. S’il se trouve des sols d’or de nos rois de bas aloi, il s’en trouve aussi de tels marqués au coin des empereurs. Ces sols sont l’ouvrage de faux monnayeurs ou de monétaires infidèles.

Enfin la langue latine fut toujours une langue vulgaire, et du moins une des langues dont se servait l’état sous les rois mérovingiens ; car pour ne point entrer dans la question, s’il est apparent que Clovis et ses successeurs aient jamais fait aucun acte public en langue germanique, je me contenterai d’observer que du moins ils en ont fait un grand nombre en langue latine, lesquels nous sont demeurés. Tel est le traité fait à Andlau, entre le roi Gontran et le roi Childebert son neveu l’année cinq cent quatre-vingt-huit. Grégoire de Tours qui nous a donné cet instrument en entier, observe que Gontran avant que de le signer, le fit réciter à haute voix. D’ailleurs ce traité est daté suivant l’usage des romains. Il y est dit qu’il fut signé un mercredi le quatrième jour avant les calendes de décembre. La donation faite par Clovis à l’abbaye du Moustiers saint Jean, est encore en latin : celle qu’il fit à l’abbaye de Mici, est en cette langue. Bref, nous avons une infinité de lettres et d’édits des rois de la première race, qui sont tous en latin, et nous ne savons pas qu’on en ait jamais vu aucuns en langue tudesque ou germanique. S’il est vrai que la loi salique et les autres lois nationales qui ont été en vigueur sous le règne de ces princes, ont été rédigées par écrit en langue germanique, il est certain d’un autre côté que comme nous l’avons dit, elles furent mises en latin presque aussitôt.

 

CHAPITRE 16

De l’autorité avec laquelle Clovis et les rois ses fils et ses petits-fils ont gouverné.

Comme les rois mérovingiens avaient sur les romains des Gaules les mêmes droits que l’empereur avait précédemment sur ces mêmes romains, on ne saurait douter que nos princes n’eussent un pouvoir très étendu sur cette portion de leur peuple. L’autorité des empereurs romains était comme despotique, et nous l’avons remarqué déjà plus d’une fois. Quant aux allemands comme aux bourguignons sujets de nos rois, c’étaient deux peuples domptés et assujettis par la force des armes.

Il semble que l’autorité du roi ne dût pas être aussi grande sur les francs qui faisaient une autre partie du peuple de la monarchie, parce qu’ils étaient germains d’origine, et sortis par conséquent d’un pays où, suivant l’opinion commune, le pouvoir des souverains était très limité. On voit néanmoins par notre histoire, que les successeurs de Clovis n’avaient guère moins de pouvoir sur les francs que sur les romains. Il est aisé de concevoir comment ce changement était arrivé.

Dès que la monarchie française eut été établie, nos rois eurent une infinité de grâces à donner. Quel appas pour obliger ceux qui les voulaient obtenir, à se soumettre aux volontés du prince ! D’ailleurs, généralement parlant, les francs et les autres barbares répandus dans les Gaules, devaient être dans chaque cité en plus petit nombre que les romains, qui étaient armés aussi bien que ces barbares, et qui avaient intérêt que tout habitant du royaume fût aussi soumis qu’eux à une autorité à laquelle ils obéissaient en tout. La condition du romain aurait été par trop dure, s’il eût vécu avec des voisins qui n’eussent point été tenus d’obéir aussi promptement que lui aux volontés du souverain. Il serait inutile d’expliquer plus au long combien la portion du peuple sur laquelle un prince règne despotiquement, a intérêt que le prince ait sur tous ses autres sujets la même autorité qu’il a sur elle. Cet intérêt est sensible. Les francs épars dans les Gaules, et qui n’étaient plus rassemblés dans un petit canton, comme ils l’étaient lorsqu’ils habitaient encore la Germanie, auront donc été obligés d’obéir au souverain avec autant de soumission que les romains au milieu desquels ils vivaient.

Une chose aura encore contribué beaucoup à faciliter aux successeurs de Clovis l’entreprise de se faire obéir exactement par les francs. C’était l’usage établi dès le temps qu’ils habitaient encore dans la Germanie, et suivant lequel le roi jugeait seul et sans assesseurs en matière civile et en matière criminelle, comme on voit que Clovis jugea, quand il punit le franc, qui avait donné un coup de sa hache d’armes sur le vase d’argent que saint Remi réclamait. Qui peut empêcher un prince d’augmenter son autorité sur une partie de ses sujets, quand il est seul leur juge, et quand ils attendent leur fortune de ses bienfaits, surtout dans les commencements d’une nouvelle monarchie, et lorsque ces sujets tirés de leur ancienne patrie, se trouvent être transplantés au milieu d’autres sujets accoutumés depuis longtemps à une entière soumission. Dans le raisonnement que je viens de faire, j’ai bien voulu supposer conformément à l’opinion ordinaire, que l’autorité que tous les rois des germains avaient sur leurs sujets, fût un pouvoir très limité. On pourrait cependant soutenir le contraire sans témérité. Voici, par exemple, ce que dit Velleius Paterculus en parlant de Maraboduus un des rois des germains du temps de l’empereur Auguste. Maraboduus avait des gardes du corps. Il était véritablement le maître dans ses états, où tout lui était subordonné, et qu’il gouvernait presque comme les empereurs gouvernent. Tacite en parlant des moeurs des germains dit : les germains n’ont guère plus de considération pour les affranchis que pour les esclaves... Croit-on que les rois qui pouvaient donner tant de considération aux esclaves qui avaient trouvé grâce devant leurs yeux, fussent des princes dont l’autorité fût si bornée ? Les tribus des francs étaient-elles gouvernées en république au-delà du Rhin ? Je pourrais encore appuyer cette considération par un grand nombre de faits tirés de l’histoire ancienne. Revenons à notre sujet.

Je ne rapporterai que deux preuves de l’autorité absolue de rois mérovingiens sur tous leurs sujets, mais elles sont telles, que les lecteurs qui ont quelqu’idée du droit public des nations et de la constitution des états, ne m’en demanderont point davantage. La première montrera que le roi condamnait à mort, et qu’il faisait exécuter les plus grands de l’état, sans être assujetti à leur faire leur procès suivant d’autre forme que celle qu’il lui plaisait de garder. L’autre fera voir, que nos rois augmentaient les impôts, sans être obligés d’obtenir le consentement de personne, et par conséquent qu’ils étaient maîtres absolus de la levée des deniers. Je crois que pour rendre la première preuve complète, il suffira de rapporter deux ou trois exemples de justices faites par les rois mérovingiens, et quelques lois qui supposent sensiblement que ces princes étaient en droit de juger et de faire exécuter leurs sujets de toute condition, sans être astreints à leur faire auparavant leur procès suivant une certaine forme.

Frédégaire commence sa chronique par l’éloge de la débonnaireté du roi Gontran : de bonitate regis gumtramni. Ce prince néanmoins ordonna que Chundo, l’un des principaux seigneurs de l’état, subirait l’épreuve du duel pour un cas très frivole, puisque le crime dont il était accusé, n’était autre que celui d’avoir tué un taureau sauvage. Le succès du duel dont nous avons rapporté l’histoire dans le sixième chapitre de ce livre, n’ayant pas justifié Chundo, Gontran le condamna d’être assommé à coups de pierre, ce qui fut exécuté. On a vu par le récit de Grégoire de Tours que Gontran jugea seul. Cependant notre historien ne reproche rien à ce prince sur la forme du jugement rendu contre Chundo. Il y a plus. Gontran lorsqu’il vint à se repentir de ce qu’il avait fait, ne se reprocha rien sur la forme de ce jugement. Ce qu’il regretta, ce fut d’avoir condamné à mort par un premier mouvement et pour un sujet bien léger, un homme fort attaché à sa personne et très capable de servir son souverain. Cela montre bien que Gontran n’avait pas jugé Chundo d’une manière extraordinaire et odieuse.

Rauchingus était franc de nation, puisqu’il se prétendait fils de Clotaire Premier, et il était employé en qualité de duc par Childebert le Jeune. Cependant lorsque ce prince le fit mourir comme coupable d’un crime de lèse-majesté au premier chef, ce fut sans aucune forme de procès. Childebert ayant avéré le fait par des informations qui lui paraissaient apparemment suffisantes, il manda Rauchingus, l’interrogea dans sa chambre, et il le congédia. Au sortir de ce lieu Rauchingus fut saisi par ceux qui avaient reçu l’ordre de l’exécuter, et qui le firent mourir. Bref, il fut exécuté à peu près comme Messieurs De Guise le furent à Blois en mille cinq cent quatre-vingt-huit, et comme le maréchal D’Ancre le fut à Paris en mille six cent dix-sept. Frédégaire dit en parlant de cet événement : dans ce temps-là Rauchingus, Gontran-Boson, Ursion, et Bertefredus qui étaient des plus grands seigneurs des états de Childebert, ayant conjuré contre sa personne, furent mis à mort par ordre de ce prince.

Je vais rapporter maintenant des articles des lois en usage pour lors, lesquels confirment ce que j’ai à prouver. Voici un article de la loi nationale des bavarois rédigée par les soins et sous le règne de Dagobert Premier : celui qui aura tué un homme par l’ordre du roi ou par l’ordre de l’officier... On doit présumer que cette loi était la loi générale de la monarchie, quoiqu’elle ne se trouve pas dans les autres codes. En premier lieu, il n’y a point d’apparence qu’une pareille loi ait eu lieu parmi une des nations qui composaient le peuple de la monarchie sans avoir eu lieu en même temps parmi les autres. Pourquoi n’est-elle donc pas écrite dans tous les codes ? Peut-être leurs rédacteurs l’ont-ils crue suffisamment autorisée par l’usage ? Peut-être se trouvait elle déjà dans quelques capitulaires de Clovis ou d’un autre roi de la première race, lesquels nous n’avons plus ? Ce qui rend ce sentiment plausible, c’est que le contenu dans l’article de la loi des bavarois sur lequel nous raisonnons ici, se trouve énoncé distinctement dans les capitulaires des rois de la seconde race, que l’on sait bien avoir été des lois faites pour être observées par tous les sujets de la monarchie. Il est dit dans l’article trois cent soixante et sept du cinquième livre des capitulaires : celui qui aura tué un homme par ordre du roi ou par l’ordre du duc...

Non seulement ces lois assurent l’impunité à celui qui avait tué un autre homme, en vertu d’une commission expresse du prince ou de son représentant immédiat ; mais il parait encore que ceux à qui une pareille commission était adressée, ne pouvaient point refuser de s’en charger sans se rendre coupables du crime de désobéissance. On a vu dès le premier livre de cet ouvrage, que les empereurs condamnaient souvent à mort sans prendre l’avis d’aucun juge et qu’ils faisaient exécuter leurs arrêts par les prétoriens. Ainsi c’était des romains mêmes que nos rois avaient pris la jurisprudence dont il s’agit ici.

Si nos rois des deux premières races, ont traduit quelquefois des criminels devant une nombreuse assemblée, c’est qu’alors ces princes jugeaient à propos, par des considérations particulières, d’en user ainsi, et non point parce qu’ils y fussent obligés. Il faudrait afin que les exemples de coupables jugés devant une assemblée, prouvassent quelque chose, qu’il n’y eût point d’exemple de coupable jugé par le roi seul. Or, comme nous l’avons déjà dit, il y a dans notre histoire plusieurs exemples de pareils jugements, et les historiens qui les rapportent, les narrent simplement et sans donner à entendre en aucune manière que ces sortes de jugements fussent contraires à aucune loi. Aucun d’eux ne dit que l’accusé devait être jugé par ses pairs.

Que nos rois mérovingiens, jugeassent en personne les procès civils, on en a vu déjà tant d’exemples dans cet ouvrage, qu’il serait superflu de rassembler ici des faits qui le prouvassent. Peut-être, et nous l’avons observé plus haut, est-ce au pouvoir absolu de ces princes et à la manière dont ils rendaient la justice, qu’il faut attribuer la conservation d’un royaume dont la première conformation était aussi vicieuse que l’était celle de la monarchie de Clovis. Mais le gouvernement d’un souverain, qui rendant la justice par lui-même, la rend très promptement, prévient bien des maux, et remédie à bien des désordres.

On ne voit pas non plus que nos rois mérovingiens fussent obligés à demander le consentement d’aucune assemblée politique quand ils voulaient augmenter les anciennes impositions, ou bien en mettre de nouvelles. Il n’en est rien dit dans aucun des monuments de nos antiquités, quoique ceux qui les ont écrits aient eu des occasions de le dire, telles qu’ils n’auraient pas manqué d’en parler. Il serait dit, par exemple, quelque chose de cette prétendue obligation dans le passage suivant, tiré de Grégoire de Tours : le roi Clotaire avait enjoint par un édit,... on voit par le récit de Grégoire de Tours, que Clotaire ne demanda l’acquiescement des évêques à la taxe excessive qu’il mettait sur le clergé, qu’après avoir publié l’édit qui imposait cette taxe.

D’ailleurs, si conformément au droit public en usage dans la monarchie durant le sixième siècle, le roi n’eût pas été le maître de mettre des impositions sans avoir obtenu le consentement du peuple, on peut présumer qu’Injuriosus n’aurait pas manqué d’alléguer à Clotaire que son édit, qui par lui-même était odieux, avait encore été fait contre les règles de l’état. Et Grégoire de Tours aurait aussi peu manqué à l’écrire. L’un et l’autre ils ont eu un égal intérêt de faire ce reproche, s’il eût été fondé, à l’édit de Clotaire. Nous avons déjà rapporté ce que dit notre historien concernant la confection d’un nouveau cadastre ordonné par le roi Chilpéric petit-fils de Clovis. On voit par ce que dit Frédégonde, femme de ce prince, quand elle lui proposa d’abandonner l’entreprise, que Chilpéric l’avait faite de sa propre autorité, et qu’il en avait pris l’évènement sur lui. En effet, comme nous l’avons déjà remarqué, il n’y avait alors que deux sortes d’assemblées politiques dans la monarchie, le champ de mars, et les assemblées composées des évêques et des laïques revêtus des grandes dignités de l’état. Le champ de mars était devenu une espèce de conseil de guerre, et les autres assemblées qui ne se formaient point que les rois ne les eussent convoquées expressément, n’étaient consultées que sur les ordonnances et règlements qu’il convenait de publier pour faire fleurir la justice, et pour entretenir une police convenable dans le royaume. Si ces assemblées étaient utiles aux finances du prince, c’est parce qu’il était d’usage que ceux qui s’y rendaient, fissent chacun en son particulier, des présents au souverain. On ne voit pas qu’il se soit jamais adressé à elles pour en obtenir la permission de mettre de nouveaux impôts, ou d’augmenter les anciens. Il y a dans les capitulaires plusieurs lois concernant la levée des impositions en usage. Je ne me souviens pas d’y en avoir vu concernant l’établissement d’une imposition nouvelle.

Au reste, il ne parait pas que les rois mérovingiens, abusassent de leur autorité à cet égard. L’histoire de Grégoire de Tours qui raconte tout ce qui s’est passé dans les Gaules durant le siècle qui suivit le baptême de Clovis, ne se plaint que de trois ou quatre tentatives, faites par les rois francs pour accroître par l’augmentation des taxes, leurs revenus. Cet auteur ne nous entretient point des maux causés par l’énormité des impositions, il ne nous parle point de l’abattement et du désespoir d’un peuple tourmenté sans cesse par des exacteurs insatiables, comme nous en parlent Salvien et plusieurs autres écrivains qui ont vécu sous le règne des derniers empereurs d’occident.

Ce ne sont pas les souverains économes, ou pour parler le langage du courtisan avide et dissipateur, les souverains avares, qui deviennent par leurs exactions le fléau de leur peuple. Il est bien rare du moins qu’un prince épuise ses sujets pour mettre dans un trésor où il y a déjà un million de pièces d’or, cinq ou six cent mille pièces d’or de plus. Or les rois mérovingiens étaient si économes ; leur revenu était si grand par rapport au peu de dépense qu’ils avaient à faire dans un état où le soldat même subsistait communément du produit des terres domaniales dont la jouissance lui tenait lieu de paye, que ces princes étaient toujours riches en argent comptant.

Quand Grégoire de Tours adresse la parole aux petits-fils de Clovis, qui par leurs guerres civiles détruisaient la monarchie que leur aïeul avait fondée par sa bonne conduite, ne leur dit-il pas, que ce prince était venu à bout de ce vaste dessein, sans avoir comme eux des coffres pleins d’or et d’argent.

Quand Frédégonde veut persuader à Chilpéric de jeter au feu les cahiers de sa nouvelle description, elle lui dit : n’y a-t-il point déjà dans notre trésor assez d’or, d’argent et de joyaux. Enfin Grégoire de Tours raconte rarement la mort d’un des rois dont il écrit l’histoire, sans faire quelque mention du trésor que ce prince laissait.

Mais, dira-t-on, les rois mérovingiens n’avaient-ils jamais un besoin pressant de quelque somme de deniers ? Je suis persuadé que souvent il leur est arrivé d’avoir besoin d’argent ; mais alors ils en trouvaient, ou par les avances des juifs, ou par la confiscation de quelque riche coupable qu’ils condamnaient. Il y avait alors dans le royaume, comme il y en aura toujours aussi bien que par tout ailleurs, de ces hommes méchamment industrieux, qui savent se faire des fortunes odieuses, soit en pillant le peuple, soit en volant le prince. Ainsi les rois, dont je parle, n’étaient point embarrassés à trouver une victime dont le sacrifice leur devenait doublement utile, parce qu’il consolait les sujets en même temps qu’il enrichissait le fisc. Aussi l’histoire des deux premiers siècles de la monarchie de Clovis est-elle remplie d’exemples d’une justice sévère, exercée par le prince même contre des personnes puissantes dont les biens étaient confisqués. On en sait assez pour comprendre qu’elles étaient criminelles ; mais on entrevoit assez clairement, qu’elles n’auraient pas été punies, si leur souverain qui était en même temps leur juge, n’eût point été excité à venger les lois par le motif de s’approprier une riche dépouille. Je ne crois pas qu’on m’objecte que si les rois mérovingiens eussent été des souverains aussi absolus que je le crois, ils n’auraient point essuyé tous les malheurs qui leur sont arrivés. Je n’aurais pour répondre à cette objection qu’à renvoyer les personnes qui la feraient, à tout ce qui s’est passé dans l’empire ottoman, depuis cent cinquante années.

 

CHAPITRE 17

Du temps où a cessé la distinction qui était entre les différentes nations, qui composaient le peuple de la monarchie.

Que la distinction qui était entre les différentes nations qui composaient le peuple de la monarchie, ait subsisté sous la seconde race, il n’est pas possible d’en douter. On a déjà lu vingt passages qui le prouvent. Enfin la chronique de Moissac dit encore, que l’empereur Charlemagne assembla les ducs, les comtes et les principaux de celles des nations de son obéissance, qui avaient embrassé la religion chrétienne, et qu’après avoir consulté les jurisconsultes, il fit une nouvelle rédaction de toutes les lois nationales qui étaient en vigueur dans ses états, en changeant dans l’ancienne rédaction ce qu’il y avait à corriger. Ensuite, continuent ces annales, il fit faire des copies bien conditionnées de la nouvelle, et il les remit aux représentants de chaque nation. Quand ses successeurs faisaient le serment royal à leur avènement à la couronne, et je l’ai déjà écrit, le nouveau roi jurait toujours qu’avec l’aide du ciel, il rendrait bonne justice à tous ses sujets, suivant la loi qui était propre à chacun d’eux, et selon laquelle son auteur avait vécu sous le règne des rois précédents. On peut voir encore par différents endroits des capitulaires, rapportés dans le premier chapitre de ce livre, que la distinction entre les nations habitantes dans les Gaules, a subsisté jusqu’au règne des derniers rois de la seconde race, bien qu’il fût permis dès le temps de la première, au franc de se faire romain, et au romain de se faire franc, ou de telle autre nation qu’il lui plaisait, et que les autres barbares eussent la même liberté. Cette liberté de changer ainsi de nation, paraîtra sans doute bizarre, mais les lois et l’histoire en font foi.

Il est dit dans le quarante-quatrième titre des lois saliques de la rédaction, faite sous les rois fils de Clovis : le franc de condition libre,... s’il n’y avait eu que les francs d’origine, qui eussent vécu suivant la loi salique, ce titre aurait dit simplement ici, un franc, sans ajouter ce qu’on lit ensuite. Ce qui prouve que les romains mêmes avaient, ainsi que les bourguignons et les autres barbares, la liberté de se métamorphoser en francs ; c’est que l’article de la loi salique, lequel nous expliquons, dit, ou un barbare, ou un autre homme vivant selon la loi salique. or, il n’y avait alors dans les Gaules que deux genres d’habitants, des barbares et des romains. Ainsi dès qu’il y avait d’autres hommes que des barbares qui vivaient suivant la loi salique, il s’ensuit qu’il y avait des romains qui vivaient suivant cette loi. Il me semble que si le passage des lois saliques dont il s’agit, a besoin de cet éclaircissement, il n’a pas besoin des corrections qu’on voudrait faire à son texte. D’un autre côté tous les barbares qui se faisaient ecclésiastiques, étaient réputés être devenus romains. Ils se faisaient couper les cheveux, ils prenaient l’habit romain, et ils vivaient suivant les lois romaines. Que la loi romaine, disent les capitulaires, soit la loi de tous ceux qui sont engagés dans l’état ecclésiastique, quelqu’ordre que ce soit qu’ils aient reçu.

Voilà pourquoi tous les chevelus, c’est-à-dire, tous les barbares qui entraient dans l’état ecclésiastique, étaient tenus de se faire couper les cheveux à la mode des romains, sans qu’il leur fût permis de les laisser redevenir longs. Un article répété plusieurs fois dans les capitulaires, statue que les clercs qui laisseront croître leurs cheveux, seront tondus, même malgré eux, par l’archidiacre.

Je crois que cet usage aura donné lieu à la couronne des ecclésiastiques. Comme les citoyens de la nation romaine, soit clercs, soit laïcs, portaient tous les cheveux extrêmement courts, et comme les uns et les autres ils avaient les mêmes vêtements, les premiers n’étaient point distingués sensiblement des laïcs leurs concitoyens ; du moins ils n’étaient point distingués de ceux de nos laïcs qui gardaient l’habit national. Les ecclésiastiques auront donc mis en usage une marque particulière, laquelle les distinguât, et qui fît connaître sensiblement de quelle profession ils étaient. Pour cet effet, ils se seront fait raser le haut de la tête, ce qui montrait en même temps qu’ils étaient encore plus que le commun des fidèles, les esclaves du seigneur. On sait que les chrétiens prenaient alors très communément ce titre-là, tant dans l’église grecque que dans l’église latine.

Ainsi les ecclésiastiques se trouvèrent distingués par leur tonsure des romains laïcs, et distingués par le cercle de cheveux qu’ils conservaient, d’avec les véritables esclaves de la nation romaine, qui avaient la tête rasée, à moins qu’ils ne fussent encore dans la première jeunesse.

Il est certain que la couronne ecclésiastique a été en usage dès le sixième siècle. Grégoire de Tours écrit dans la vie du bienheureux Nicétius évêque de Trèves, sous le règne des fils de Clovis. Nicétius parut dès l’instant même de sa naissance destiné à l’état ecclésiastique...

quant à la barbe qui était aussi l’une des marques auxquelles on reconnaissait si un homme était de la nation romaine, ou d’une nation barbare, parce que les barbares en portaient, au lieu que les romains n’en portaient pas, il était défendu aux ecclésiastiques d’en porter. Cette prohibition a même continué longtemps dans quelques églises cathédrales, qui sont celles de toutes les compagnies où les anciens usages se changent le plus difficilement. Il était encore défendu durant le seizième siècle aux chanoines de l’église de Paris, de porter une longue barbe. Les ecclésiastiques, de quelque nation qu’ils fussent sortis, durent aussi conserver toujours l’habit long, ou la toga, parce qu’il était l’habillement d’un citoyen romain.

Leur habillement aura même été emprunté ou imité par les principaux d’entre les barbares, ou du moins par nos rois qu’on trouve vêtus de long dans les monuments antiques du temps de la première ou de la seconde race.

Je crois même aussi que les ecclésiastiques des Gaules ont conservé jusque sous les rois de la troisième race, la couleur de la toga, qui était le blanc. Mon opinion est appuyée, sur ce que le blanc a été longtemps la couleur uniforme dans toutes les communautés religieuses fondées avant le douzième siècle, et même de quelques ordres fondés dans les siècles suivants. Lorsque les théatins furent institués vers le milieu du seizième siècle, il fut dit dans les premiers statuts de leur ordre : que la couleur uniforme des habits des religieux, serait le blanc.

Quant aux ecclésiastiques séculiers, ils ont long temps conservé l’habit blanc. Monsieur Gervaise dit dans sa vie de l’apôtre des Gaules : que jusqu’au temps où le pape Alexandre III vint à Tours, et qu’il y prit possession de l’église de saint Martin, ce qui arriva vers le milieu du douzième siècle, les chanoines de cette église avaient porté l’habit blanc. Ce fut alors qu’ils quittèrent le blanc pour prendre le rouge et le violet, qu’ils ont conservés pendant plusieurs siècles. Ce n’est que depuis le milieu du seizième siècle, que le noir est devenu, généralement parlant, la couleur uniforme des ecclésiastiques séculiers du second ordre, et celui de plusieurs sociétés religieuses. On a eu sans doute de bonnes raisons pour établir cet usage, mais je me figure que Sidonius Apollinaris et les autres évêques des Gaules qui ont vécu dans le cinquième siècle, seraient bien surpris, si, qu’il me soit permis d’user ici de l’expression vulgaire, ils revenaient au monde, de trouver leur clergé vêtu de noir un jour de pâques.

Après cette digression qui peut-être est plus longue qu’inutile, je reviens à la liberté de changer de nation que les sujets avaient sous nos rois de la première et de la seconde race.

L’empereur Lothaire, petit-fils de Charlemagne, dit dans une loi faite véritablement pour l’Italie, mais dans laquelle ce prince avait suivi selon l’apparence, les usages de ses autres états : on demandera à chaque particulier du peuple romain,... comment est-il donc arrivé que toutes les nations qui composaient le peuple de la monarchie française, aient été confondues en une seule et même nation ? Voici mon opinion. Ces nations qui au bout de quelques générations, parlaient communément la même langue dans la même contrée, auront commencé, en s’habillant l’une comme l’autre, à faire disparaître les marques extérieures qui les distinguaient sensiblement. Il n’y aura plus eu que les ecclésiastiques assujettis à porter l’habit romain, qu’on aura reconnus à leur manière de se vêtir, pour être de la nation romaine.

Ainsi tous les citoyens laïcs de nos nations se seront trouvés être déjà semblables, quant à l’extérieur, dans le temps des derniers rois de la seconde race, et quand les provinces du royaume devinrent la proie des usurpateurs. Ces tyrans qui gouvernaient arbitrairement, n’auront pas voulu entendre parler d’autre loi que de leur volonté. Dans tous les lieux où ils s’étaient rendus les plus forts, ils auront fait taire devant leur bon plaisir, tous les codes nationaux. Ainsi nos nations n’ayant plus de marques extérieures qui les distinguassent, ni une loi particulière suivant laquelle elles vécussent, elles auront été confondues enfin, et n’auront plus fait qu’une seule et même nation, la nation française. Apportons quelques preuves de ce qui vient d’être avancé.

La plus grande différence qui fut dans le cinquième siècle entre l’habillement des romains et celui des barbares, consistait, nous l’avons déjà dit plusieurs fois, en ce que les romains avaient le menton rasé, et portaient les cheveux extrêmement courts, au lieu que les autres laissaient croître leur barbe et portaient de longs cheveux. Or, dès le temps des rois de la première race, les citoyens romains commençaient à porter une longue barbe et de longs cheveux. Je dis les citoyens, car il parait par ce qui est arrivé postérieurement, que dans le douzième siècle, il était encore défendu aux serfs de tout genre et de toute espèce, de porter de longs cheveux, et que ce fut seulement alors, que Pierre Lombard, évêque de Paris, et les autres prélats qui avaient beaucoup de gens de mainmorte dans leurs fiefs, obtinrent de nos rois l’abrogation de cette loi prohibitive.

Comme les ecclésiastiques envoyaient leurs serfs à la guerre, et qu’ils les donnaient pour champions, ainsi qu’on l’a pu voir, Pierre Lombard et les prélats ses contemporains avaient raison de souhaiter que ces serfs fussent semblables à l’extérieur aux personnes de condition libre.

Grégoire de Tours nous apprend donc que de son temps, c’est-à-dire, dès la fin du sixième siècle, il y avait déjà des romains qui sans renoncer à leur état de romain, portaient cependant une grande barbe et de longs cheveux, pour faire par-là leur cour aux barbares, c’est-à-dire ici, aux francs. Cet historien, parlant d’un saint reclus, romain de nation comme lui, et son contemporain dit : le bienheureux Leobardus était de la cité d’Auvergne,...

Dans le siècle suivant, les romains, et principalement ceux qui fréquentaient la cour, continuèrent à se travestir en francs. Sandregesilus qui exerça l’emploi de duc d’Aquitaine sous Clotaire II et dont nous avons rapporté la catastrophe, était de la nation romaine, et il mourut romain, puisque ses enfants furent déclarés, conformément aux lois romaines, déchus de sa succession pour n’avoir pas vengé sa mort. Il portait néanmoins une longue barbe.

La vie de Dagobert nous apprend que ce prince fit couper la barbe à Sandregesilus pour lui faire un affront. La raison qui a engagé les tartares qui conquirent la Chine dans le dernier siècle, à obliger les chinois de se faire couper les cheveux pour s’habiller à la tartare, et celle qui engage les nobles vénitiens à souffrir que plusieurs de leurs compatriotes qui ne sont pas de leur ordre, aillent cependant vêtus comme eux, je veux dire le motif de cacher leur petit nombre, devait faire trouver bon aux francs que le romain portât leur habillement.

D’un autre côté, les francs prenaient aussi quelques pièces de l’habillement ordinaire des romains des Gaules. On sait que les anciens gaulois portaient une espèce de grands haut-de-chausses qui s’appelaient braccae, et qu’avant la conquête de Jules César, les romains avaient même donné le nom de gallia braccata aux véritables Gaules, aux Gaules qui sont au-delà des Alpes par rapport à Rome, et cela par opposition à la Gaule à robe longue, ou gallia togata, qui était en deçà des Alpes par rapport à Rome, et faisait une portion de l’Italie. Un climat autant sujet au froid et à l’humidité que l’était le climat des Gaules, mettait dans la nécessité de s’y vêtir plus chaudement qu’on n’avait de coutume de se vêtir en Italie. Les romains qui habitaient les Gaules, y prenaient donc l’usage de porter de ces braccae.

Tacite remarque, qu’Alienus Cecinna, qui commandait une des armées que Vitellius envoya des Gaules en Italie contre Othon, paraissait en Italie habillé avec un de ces haut-de-chausses à la gauloise. Il est donc aisé de croire, que lorsque les gaulois prirent la toga, ou la robe à la romaine, ils ne quittèrent point pour cela l’usage des braccae ou de haut-de-chausses qu’ils auront portés sous leurs robes, comme un habillement plus propre à les garantir du froid, que les bandes d’étoffes dont les romains s’enveloppaient les cuisses et les jambes. Cet usage continua sous nos rois.

On sait que Charlemagne tenait à grand honneur d’être franc d’origine, et qu’il affectait de porter toujours l’habillement particulier à cette nation. Un jour qu’il trouva une troupe de francs vêtus avec ces braccae, il ne pût s’empêcher de dire : voilà nos hommes libres, voilà nos francs, qui prennent les habits du peuple qu’ils ont vaincu. Quel augure ? Non contents de cette réprimande, il défendit expressément aux francs cette sorte de vêtement. En effet, ce n’avait été qu’après des guerres longues et sanglantes, que Pépin et que Charlemagne étaient venus à bout  de forcer les romains de l’Aquitaine, et ceux de quelques provinces voisines à se soumettre à leur domination. Dans le temps des guerres des aquitains contre les princes de la seconde race, le parti des aquitains s’appelait le parti des romains. Nous en avons dit les raisons dans le chapitre douzième du quatrième livre de cet ouvrage.

Ainsi, lorsque la plupart des ducs, des comtes, et des autres officiers du prince se cantonnèrent sous les derniers rois de la seconde race, les diverses nations qui composaient le peuple de la monarchie française, ne différaient plus par la langue et par les vêtements. Elles ne différaient l’une de l’autre que parce qu’elles vivaient, quoique mêlées ensemble, suivant des lois ou des codes différents, et la tyrannie des usurpateurs, qui ne voulaient pas qu’il y eût dans le pays qu’ils s’étaient asservi, d’autre règle que leur volonté, aura fait évanouir cette distinction plus réelle véritablement que la première, mais beaucoup moins sensible, et par conséquent plus prompte à disparaître. Que presque tous les usurpateurs dont il est ici question, aient gouverné despotiquement et tyranniquement les lieux dont ils s’étaient rendus les maîtres, on n’en saurait douter. L’histoire le dit, et quand elle ne le dirait pas, la commission de rendre la justice au nom du prince à ses sujets, changée en un droit héréditaire, et l’introduction de tant de droits seigneuriaux tellement odieux, qu’ils ne sauraient avoir été ni accordés par le peuple, ni imposés par l’autorité royale, en feraient foi suffisamment.

C’est une matière qui demande d’être traitée plus au long qu’il ne convient de la traiter ici. ç’aura donc été en un certain lieu sous les derniers rois de la seconde race, et dans un autre lieu sous les premiers rois de la troisième, que les lois nationales auront cessé d’être en vigueur, et que le franc, le ripuaire, les autres barbares, et le romain même, auront été réduits à vivre également suivant les usages et les coutumes qu’il aura plu au seigneur, devenu maître du canton où ils étaient domiciliés, de substituer dans son territoire à ces anciennes lois. Dès le neuvième siècle, il y avait déjà des contrées où le non-usage des lois romaines les avait presque fait oublier. On lit dans le livre des miracles de saint Benoît, écrit par Adrevalde religieux de Fleury, et qui vivait en ce temps-là, que cette abbaye ayant eu un procès concernant quelques personnes serves, le comte du district et ses assesseurs ne purent point le juger, parce qu’ils ne savaient pas le droit romain, suivant lequel il fallait prononcer, d’autant que les parties étaient des ecclésiastiques. On prit l’expédient de renvoyer la contestation devant un autre tribunal.

Une révolution de la nature de celle dont il est ici question, doit avoir été l’ouvrage d’un siècle. Elle ne saurait même avoir été uniforme. Dans une cité ; les francs auront obligé celui qui s’en était rendu le maître, ou qu’ils avaient reconnu pour seigneur, afin d’éviter d’en avoir un autre, à leur rendre encore la justice durant quelque temps suivant les lois saliques. Dans d’autres, les plus considérables de cette nation, se seront obstinés, quoique le seigneur ne voulût pas que la loi salique y eût aucune autorité, à s’y conformer encore en réglant le partage de leurs enfants, en contractant leurs mariages, et en ordonnant de toutes leurs affaires domestiques. Ce n’aura été qu’après l’expérience des inconvénients, qui naissent des dispositions faites suivant une loi, dont l’autorité n’est plus reconnue, qu’ils auront renoncé à l’observer. Enfin quelques francs, du nombre des usurpateurs dont je parle, auront continué à vivre suivant la loi salique dans les lieux de leur obéissance, et cette loi n’y aura été abrogée que dans la suite des temps.

En effet, Othon De Freisinguen mort l’année onze cent cinquante-huit en France (sa patrie d’adoption), et qui par conséquent écrivait plus de cent cinquante ans après que la troisième race fut montée sur le trône, dit que de son temps, la loi salique était encore la loi suivant laquelle vivaient les plus considérables des français ; c’est-à-dire ici, les plus considérables de la nation formée du mélange des romains et des barbares établis dans les Gaules, ou ceux de ces français qui prétendaient descendre des anciens francs.

Quant aux romains, ils auront obligé l’usurpateur à composer avec eux dans les pays où ils étaient assez forts pour n’être point opprimés facilement, et un des articles de ces sortes de conventions aura été, qu’on les laisserait vivre suivant le droit romain, et comme vivaient encore les romains des contrées, qui avaient su se préserver du joug des tyrans.

Quelles étaient les provinces des Gaules où les romains se trouvaient encore en plus grand nombre dans ces temps-là ? Les Aquitaines et les autres provinces méridionales de cette vaste contrée, celles dont les habitants s’appelaient encore absolument les romains, sous les premiers princes de la seconde race ; celles enfin, où le droit romain est encore aujourd’hui la loi commune.

La distinction qui était entre les nations qui habitaient l’Italie, y a subsisté aussi longtemps, et peut-être plus longtemps que dans les Gaules.

Pour l’Espagne, on voit par une loi du roi Resciwindus, couronné l’an six cent cinquante-trois de Jésus-Christ, que la distinction entre les romains et les barbares y subsistait encore dans le septième siècle, et peu d’années avant l’invasion des maures, arrivée l’an sept cent douze. En effet, il est dit dans cette loi, que nous avons déjà citée, et qui est une de celles qui furent ajoutées en différents temps au code national des visigots, rédigé par  Euric : révoquant les lois précédentes faites à ce sujet,... Ainsi l’invasion des maures aura eu en Espagne dans le huitième siècle, les mêmes suites que l’usurpation des droits du roi et des droits du peuple par les seigneurs, eut en France dans le dixième. L’invasion des maures aura donc confondu et réuni en une seule et même nation, les romains et les barbares qui habitaient l’Espagne, quand ce grand événement arriva. Il n’y aura plus eu que deux nations dans cette grande province de l’empire romain, la nation conquérante, et la nation assujettie.

 

Fin de l’Histoire critique de l’établissement de la monarchie dans les Gaules