Histoire critique de l'établissement de la monarchie française dans les Gaules

 

LIVRE I — CHAPITRE IV

Des assemblées générales que tenaient les cités des Gaules. De l’étendue de l’autorité impériale. Qui la conférait.

 

 

On voit par l’histoire, que les cités des Gaules, tandis qu’elles étaient sous la domination des empereurs, s’assemblaient quelquefois par députés, et qu’elles tenaient des espèces d’états généraux pour y prendre des résolutions touchant les intérêts communs. Il ne faut pas confondre cette sorte d’assemblée purement politique, avec l’assemblée religieuse qui se tenait régulièrement dans le temps marqué, aux pieds de l’autel érigé à Auguste, auprès de la ville de Lyon, quoiqu’il arrivât quelquefois que par occasion l’on y parlât des affaires publiques. En effet nous voyons dans Dion, que sous le règne d’Auguste lui-même, Drufus Nero profita d’une de ces assemblées religieuses, pour ramener les esprits des principaux des gaulois alors fort aliénés ; ce qui prévint une révolte. Mais outre cette assemblée, il s’en tenait une autre purement politique, et qui était apparemment la même qu’Auguste convoqua, et qu’il tint à Narbonne lorsqu’il y fit le recensement des trois Gaules transalpines, c’est-à-dire, de l’Aquitaine, du pays des celtes et de celui des belges. Ces trois contrées n’avaient point encore jusque là fait un même corps politique. Au contraire elles étaient habitées, comme on l’a vu déjà, par des peuples qui avaient les moeurs différentes, et dont chacun avait même sa langue particulière.

Mais depuis Auguste, le pays des belges, le pays des celtes et le pays des aquitains, ne firent plus qu’un corps politique, sous le nom collectif de Gaules. Ils ne composèrent plus après cette réunion, qu’une des grandes provinces de l’empire ; et cette province n’eut plus qu’une assemblée représentative, qui dans les occasions, agissait au nom de toutes les Gaules.

Suivant Dion ce fut quelque temps après la bataille d’Actium donnée en sept cent vingt-trois, et vers l’année de la fondation de Rome cinq cent vingt-sept, qu’Auguste tint pour la première fois cette assemblée respectable. Auguste, dit l’historien grec, s’arrêta quelque temps dans les Gaules pour en faire le recensement, pour y établir une forme de gouvernement certaine, et pour y régler divers usages ; ce qui n’avait point encore été fait, parce que les guerres civiles avaient commencé immédiatement après que les Gaules eurent été soumises ; et ces guerres ne faisaient que de finir en l’année sept cent vingt-sept de la fondation de Rome. Il est aussi fait mention de l’assemblée des Gaules dans le sommaire du cent trente-quatrième livre de l’histoire de Tite-Live. Ce livre suivait immédiatement celui où notre auteur avait raconté la bataille d’Actium et la conquête de l’Égypte. C’est ce qui nous fait croire que cette assemblée ne fut tenue que vers sept cent vingt-sept. Voici la traduction de ce sommaire. César est appelé Auguste... Ce qui s’est passé dans la suite et le lieu même où se tint l’assemblée dont nous parlons, fait penser que la province que les romains tenaient déjà dans les Gaules lorsque César y vint commander, et dont Narbonne était la Ville principale, ne laissa point d’être comprise dans la Gaule celtique.

Tacite dit que dans le temps qu’Auguste mourut, Germanicus se trouvait occupé à faire le recensement des Gaules, ce qui suppose la tenue d’une assemblée de cette grande province. Nous trouvons encore une autre séance de l’assemblée des Gaules sous le règne de Vespasien. L’histoire de Tacite nous apprend que sous cet empereur il se tint une assemblée des députés de toutes les Gaules, qui parait avoir été une assemblée représentative réglée. Tacite raconte donc que la fidélité des peuples qui avait été ébranlée dans ce pays-là, par le bruit des premiers succès de Civilis, y ayant été comme raffermie par les avantages que les romains avaient remportés dans la suite, et par la nouvelle qu’il leur venait d’Italie de puissants secours, la cité de Reims enjoignit par un édit aux autres cités des Gaules d’envoyer à Reims des députés pour y tenir une assemblée où il serait délibéré sur la question ; s’il était à propos dans les conjonctures présentes de prendre les armes pour s’affranchir du joug des romains, ou s’il convenait de rester sous leur obéissance. Aussitôt les cités des Gaules envoyèrent des représentants à Reims. Les députés de Langres s’y rendirent comme les autres, quoique leur cité eût déjà pris les armes contre les romains. Tullius Valentinus chef de ces députés, prononça pour exciter l’assemblée à la révolte, un discours très emporté, et dans lequel il reprochait à l’empire romain tout ce qu’on a toujours reproché aux grandes monarchies. Néanmoins l’assemblée résolut, après avoir entendu ceux qui étaient d’un avis contraire, qu’on demeurerait sous l’obéissance de l’empire romain. Elle écrivit cependant au nom des Gaules à ceux de Trèves, qui avaient aussi pris déjà les armes, pour leur enjoindre de cesser tous actes d’hostilité, et pour leur offrir, s’ils voulaient rentrer dans leur devoir, sa médiation auprès de l’empereur de qui elle se promettait d’obtenir une amnistie.

Dès qu’on fait attention aux termes dont Tacite se sert, et aux particularités de son récit, on ne saurait douter que cette assemblée des Gaules ne fût une de celles qu’on appelle en droit public des assemblées représentatives et réglées. La cité de Reims n’exhorte point les autres cités des Gaules, après leur avoir représenté l’importance de la conjoncture où elles se trouvaient, à envoyer leurs députés à une assemblée qu’il conviendrait de tenir dans les circonstances présentes, pour y délibérer sur les intérêts communs. Le sénat de Reims enjoint aux autres cités d’envoyer leurs députés dans le lieu qu’il indique. Il parle comme ordonnant une chose qu’il était en possession d’ordonner, soit que les prérogatives dont Reims jouissait avant Jules César lui donnassent le droit de convoquer l’assemblée dont il s’agit, soit que toutes les métropoles de la Gaule jouissant de ce droit alternativement, Reims se trouvât cette année-là en tour de présider à l’assemblée, et par conséquent en droit d’en indiquer le temps comme le lieu. Dans tous les états réglés il y a, pour user des expressions de Grotius, un petit sénat qui a le droit de convoquer lorsqu’il le juge à propos, le grand sénat ou l’assemblée représentative du peuple. Nous voyons d’ailleurs que l’assemblée convoquée à Reims n’est pas plutôt formée, qu’elle agit comme une compagnie réglée, et qui par l’usage est autorisée à parler et à commander au nom des Gaules. C’est au nom des Gaules qu’elle ordonne à ceux de Trèves de mettre bas les armes. Elle leur promet l’intervention des Gaules auprès du prince. Enfin, est-il possible que les gaulois eussent osé tenir l’assemblée qu’ils tinrent alors, si elle n’eût point été une assemblée ordinaire, convoquée tout au plus extraordinairement, sous quelque prétexte spécieux ? N’aurait-ce point été se révolter en effet, que de tenir une assemblée non usitée, uniquement pour y délibérer si l’on se révolterait ?

Suivant ce qu’on peut conjecturer, les assemblées représentatives des Gaules n’auront été d’abord composées que de députés nommés par leurs concitoyens, et qui n’avaient d’autre vocation que celle qui leur venait de l’élection faite de leur personne. Dans la suite les officiers pourvus de leurs emplois par le prince, auront été en cette qualité, du nombre de ceux qui avaient séance dans ces assemblées. Elles seront devenues d’états généraux composés de députés  qu’elles étaient, des assemblées de notables, composées principalement de gens mandés par le prince, en conséquence de leurs emplois. C’est ce que nous apprenons d’un édit de l’empereur Honorius, donné en l’année de Jésus-Christ quatre cent dix-huit, pour fixer dans Arles le lieu de l’assemblée qui se devait tenir tous les ans pour délibérer et prendre les résolutions convenables touchant les besoins des Gaules. Nous rapporterons en son temps l’édit d’Honorius, et ici nous nous contenterons d’observer que cet édit qui s’étend beaucoup sur la convenance qu’il y avait de convoquer cette assemblée dans la ville d’Arles, ne parle que très légèrement des avantages généraux qu’on devait se promettre de sa tenue.

Comme l’assemblée n’était point une chose nouvelle, son utilité était connue depuis longtemps. Quelle était originairement l’autorité de cette assemblée sous Auguste, et sous ses premiers successeurs ? Son concours était-il nécessaire au souverain, lorsqu’il s’agissait d’établir de nouvelles lois ou de nouvelles impositions ? Je n’en sais rien. Il en est des assemblées représentatives du peuple des monarchies, dit Grotius, soit qu’on les appelle diètes, états généraux ou parlements, ainsi que des souverains mêmes. Comme tous les souverains qui portent le même titre n’ont point la même autorité dans leur état, comme il s’en faut beaucoup, par exemple, qu’un roi de Pologne ait autant de pouvoir dans son royaume qu’un roi d’Espagne en a dans le sien ; de même il s’en faut beaucoup que les assemblées qui représentent les trois états dans toutes les monarchies, aient chacune le même pouvoir dans sa monarchie. En quelques monarchies l’assemblée représentative du peuple n’est autre chose qu’un conseil très nombreux, tenu par le souverain, afin d’y être pleinement informé des griefs de ses sujets qui lui sont ou cachés, ou déguisés par les officiers qui entrent dans son conseil privé. Le souverain dont je parle peut après avoir entendu les représentations de cette assemblée prendre le parti qui lui convient, et statuer ce qui lui plaît. En d’autres monarchies, l’assemblée représentative du peuple partage le pouvoir législatif avec le souverain, qui lui-même est tenu de se conformer aux lois qu’il a faites avec le concours de cette assemblée. Elle a même droit d’entrer en connaissance de l’administration du souverain.

Comme il y a toujours eu des assemblées représentatives du peuple, qui, pour ainsi dire, ont rendu leur condition meilleure qu’elle ne l’était originairement, en s’arrogeant plus d’autorité qu’il ne leur en appartenait suivant la première constitution de l’état ; de même il y en a eu d’autres qui ont laissé perdre les droits qui leur appartenaient en vertu de cette première constitution. Ainsi quelle que pût être sous Auguste et sous les premiers de ses successeurs l’autorité de l’assemblée représentative des Gaules, il ne s’ensuit pas qu’elle ait été la même dans le cinquième siècle. Au contraire nous sommes assez instruits de ce qui se passait alors, pour savoir positivement que cette assemblée n’avait plus aucune part au pouvoir législatif, et qu’elle était réduite à la voix consultative dans les affaires de l’état. En premier lieu, il est certain que les empereurs romains étaient alors des souverains despotiques, et qu’ils étaient revêtus de tout le pouvoir législatif, que ces princes n’étaient point obligés de partager avec personne.

D’autant que nos rois de la première race ont succédé immédiatement aux empereurs dans la souveraineté des Gaules, il est convenable d’expliquer ici de quelle nature était le pouvoir des successeurs d’Auguste, et d’exposer quels étaient les droits dont l’assemblage et l’union, formaient pour parler ainsi, le diadème impérial transmis par l’empereur Justinien aux enfants de Clovis. La matière qui n’est rien moins qu’étrangère à mon sujet, n’est point traitée assez clairement ni assez solidement dans aucun livre que je connaisse, pour y renvoyer ceux qui peuvent souhaiter d’en être instruits.

Le projet d’Auguste lorsqu’il donna une forme au gouvernement de sa monarchie, fut de rendre et lui et ses successeurs des souverains aussi absolus que l’étaient les rois d’Asie, sans changer cependant que le moins qu’il serait possible, la forme extérieure et apparente du gouvernement républicain, sous lequel on avait jusque là vécu dans Rome. Voilà pourquoi, il refusa toujours la dictature qui lui fut offerte plusieurs fois par le peuple. S’il eut accepté cette dignité, le changement de la république en une monarchie despotique, aurait été trop sensible.

Quel moyen ce prince, le plus judicieux des hommes de son temps, crut-il donc devoir employer pour parvenir à l’exécution de son projet. Le voici. Il se fit conférer successivement toutes les magistratures et toutes les dignités qui rendaient ceux qui en étaient revêtus, les dépositaires du pouvoir suprême et de toute l’autorité de la république. En qualité d’imperator, titre qui lui fut conféré par les citoyens qui composaient les troupes, il devint le général à vie de toutes les forces de l’état. Il devint en qualité de souverain pontife, le chef de la religion. Auguste joignit encore aux droits que lui donnaient ces deux dignités, ceux que les consuls avaient lorsqu’ils se trouvaient à la tête des armées, aussi bien que ceux que les proconsuls avaient dans les provinces, et spécialement le pouvoir de condamner à mort et de faire exécuter tous les citoyens de quelque condition qu’ils fussent, sans garder d’autres formalités que celles qu’il lui plairait d’observer. Les chevaliers et les sénateurs étaient soumis comme les simples citoyens à cette juridiction arbitraire, que l’empereur exerçait non seulement dans les provinces, mais aussi dans Rome, dans la capitale de l’état, où, pour s’exprimer ainsi, est le siége des lois. On ne voit dans l’histoire des empereurs que trop d’exemples de ce pouvoir exorbitant et odieux. Ce fut en vertu de ce pouvoir que Tibère, je ne dirai pas, fit mourir, mais fit assassiner le jeune Agrippa.

Tacite après avoir rapporté les jugements que Néron rendit contre Pison et contre les autres conjurés convaincus juridiquement d’avoir été de la conspiration tramée par Pison, ajoute que ce prince voulant se défaire du consul Vestinus qui lui était suspect, mais contre lequel il n’y avait ni dépositions ni aucunes charges, il envoya de sa pleine autorité un tribun des cohortes prétoriennes chez le consul, avec ordre de le faire mourir, ce qui fut exécuté. On ne voit point cependant que les officiers qui avaient prêté leur ministère à de pareils meurtres, aient jamais été recherchés. Mais ce point du droit public de l’empire romain est trop odieux, et prouvé d’ailleurs par trop d’exemples, pour en parler davantage.

Auguste se fit encore déclarer prince du sénat, et joignit à cette dignité connue dès le temps de la république, un droit qui pour lors n’y était point attaché ; celui de présider au sénat lorsqu’il s’y trouvait. Ce fut même par la dénomination de prince employée absolument, qu’on désigna le plus ordinairement ses successeurs. Elle n’avait rien de trop fastueux, parce qu’elle signifiait originairement, le citoyen qui était en droit de dire son avis le premier dans le sénat. Ainsi lorsque l’empereur se trouvait au sénat, il avait droit d’y prendre les suffrages et de prononcer, quoique les consuls en charge y fussent présents. Leur prérogative était bornée alors à l’avantage de dire leur avis les premiers. Lorsqu’ils y présidaient, ils n’osaient décider les affaires d’importance avant que de l’avoir consulté. Enfin Auguste se fit conférer par le peuple la puissance tribunitienne, et par-là non seulement il rendait sa personne inviolable, mais il se trouvait encore revêtu du pouvoir de ces magistrats, qui avaient droit de s’opposer à tout ce que les autres voulaient entreprendre, et le pouvoir de l’empêcher.

C’était donc la réunion des divers pouvoirs que donnaient toutes les dignités dont il vient d’être fait mention, qui formait, pour user de cette expression, la couronne impériale. C’est l’amas des titres de ces dignités que Tacite appelle... C’est-à-dire, tous les titres qui appartiennent au prince, toutes les dignités dont on revêt le prince à son installation. Comme nous venons de l’observer, c’était par le titre de prince, qu’on désignait Auguste, et c’était sous ce nom qu’il régnait... Le nom d’imperator, il n’est pas ici question de son usage dans les temps précédents, n’était qu’un de ses titres. Il s’en fallait beaucoup qu’il signifiât ce que signifie en français le nom d’empereur, qui seul, désigne un souverain. C’est abusivement qu’on a donné au mot français un sens beaucoup plus étendu, que le sens du mot latin dont il dérive. Aussi voyons-nous que Tibère quoiqu’il se fut porté pour imperator immédiatement après la mort d’Auguste en donnant l’ordre aux soldats comme en leur faisant monter la garde auprès de sa personne, fut néanmoins un temps sans accepter l’empire, ou toutes les dignités qui lui devaient attribuer le gouvernement souverain, et qu’il fallut l’engager par prières à déclarer enfin qu’il voulait bien les accepter.

Toutes les dignités dont il a été parlé ne furent déférées à Auguste par le peuple romain qu’en différents temps, mais dans la suite elles furent déférées à ses successeurs par un seul et même décret du sénat. Le pouvoir de faire cette loi fut ôté au peuple et attribué au sénat dès le règne de Tibère puisque ce fut alors que le peuple perdit le droit de nommer aux grandes magistratures. Non seulement toutes les dignités dont les droits formaient l’autorité impériale étaient conférées au nouvel empereur par un seul et même décret, mais elles lui étaient encore conférées pour sa vie.

Justinien a donc raison de dire, que les décisions du prince ont force de loi, d’autant que tous les citoyens se sont dépouillés en sa faveur, du pouvoir appartenant à la société sur chacun de ses membres, quand le peuple a fait la loi royale par laquelle il lui a déféré l’empire. On va voir par ce qui suit, que le peuple était toujours représenté par le sénat. Lorsqu’il fallait faire une nouvelle loi royale à chaque mutation d’empereur.

Ainsi l’ombre, la forme apparente du gouvernement ancien subsista dans Rome, sous les empereurs, et l’on continua d’appeler république, un état qui était la plus absolue des monarchies : cinq cens ans après la mort d’Auguste et du temps de Grégoire de Tours, on disait encore quelquefois la république pour dire l’empire.

Durant longtemps, les nouveaux empereurs, même ceux qui avaient été proclamés imperator par une armée révoltée et au mépris de toutes les lois, ne prirent point le titre d’Auguste, mot qui de nom propre était devenu un nom appellatif et signifiant la même chose que prince ou souverain, qu’après que le sénat leur avait conféré par un décret, les dignités, qui, pour s’expliquer ainsi, formaient par leur réunion, la couronne impériale. C’était ce décret qui changeait les tyrans en princes, quoiqu’il fût rendu presque toujours par force, et parce que celui qui avait les troupes à sa disposition, était le maître des autres citoyens. Comme le dit Tacite en parlant de l’avènement de Néron à l’empire, le sénat se conformait à la volonté des troupes.

Vitellius proclamé imperator dans les Gaules, ne prit le titre d’Auguste, ou de souverain, que plusieurs mois après sa proclamation et lorsqu’il eût été inauguré dans le capitole. Didius Julianus qui avait acheté l’empire à beaux deniers comptants, et qui avait été proclamé imperator dans le camp des prétoriens, fit confirmer son titre par un décret du sénat qui lui conférait en même temps la puissance tribunitienne et le pouvoir proconsulaire.

Macrin proclamé imperator dans l’orient par l’armée qui servait en Syrie, écrivit une lettre au sénat pour lui donner part de ce qui venait de se passer, et en conséquence le sénat conféra au nouvel empereur le pouvoir de proconsul et la puissance tribunitienne ; à en juger par l’apparence la proclamation faite par les légions n’était regardée que comme un motif de déférer l’autorité suprême au citoyen en faveur duquel la prérogative militaire, ou l’option des soldats, s’était déclarée, en supposant que lorsque l’empire était vacant ou devait être réputé vacant par l’indignité du possesseur, les troupes avaient le droit de requérir que la puissance suprême fût déférée à un tel, comme au plus digne de régner ; mais que c’était au sénat à l’en revêtir.

Cet usage fondé sur la première constitution de la monarchie romaine, et qui semblait laisser du moins aux principaux citoyens la disposition de leurs droits les plus importants, fut mal observé dans la suite. Élagabale osa l’enfreindre le premier, en s’arrogeant avant que le sénat eût rendu son décret, les titres qu’il ne devait prendre qu’en vertu de ce décret. L’armée qui salua Maximin imperator fut la première qui osa donner à l’empereur qu’elle venait de choisir, le nom d’Auguste ; elle conféra ce titre à Maximin avant que le sénat eût rendu le décret qu’il avait coutume de rendre en pareilles occasions. Ces exemples n’empêchèrent pas néanmoins que l’ancien usage ne fût suivi par plusieurs de ceux qui succédèrent à Élagabale et à Maximin ; et il parait en faisant attention à la manière dont Justinien parle de la loi royale, que cet usage était encore suivi de son temps.

C’était donc en vertu des lois mêmes que les empereurs étaient au-dessus des lois, et qu’il n’y avait plus aucun citoyen qui dans les temps où le trône n’était pas vacant ou réputé vacant, eût part au pouvoir législatif. Il résidait si bien en son entier dans la personne des empereurs que leurs rescrits, c’est-à-dire, les décisions d’un cas particulier qu’ils faisaient dans leur cabinet, sans être obligés d’y appeler d’autres citoyens que ceux qu’ils choisissaient eux-mêmes, étaient mis en exécution, nonobstant qu’elles se trouvassent en opposition avec les lois actuellement subsistantes. Ces rescrits étaient réputés de nouvelles lois qui abrogeaient les anciennes quoique faites et publiées solennellement. On opposait même à ces lois les rescrits des empereurs morts. La jurisprudence dont je parle était si bien établie, quoique sujette à des inconvénients sans nombre, que Macrin qui les connaissait bien parce qu’il savait le droit, avait entrepris de la changer : son intention était d’annuler tous les rescrits de ses prédécesseurs, afin que les tribunaux eussent à suivre à l’avenir, dans le jugement des procès, les lois générales, sans être astreints davantage à se conformer aux décisions que les empereurs pouvaient avoir faites sur quelques cas particuliers. On ne voit point que le projet de Macrin ait été effectué.

Tout ce que je viens d’avancer est bien confirmé par le fragment du décret rendu pour reconnaître Vespasien comme empereur, et dont les antiquaires reconnaissent généralement l’authenticité. Le sénat y confère au nouveau prince, tous les droits qu’avaient eu ses prédécesseurs, celui de faire telles alliances qu’il le jugerait à propos ; celui de ne donner connaissance au sénat que des affaires qu’il trouverait bon de lui communiquer ; celui de faire nommer aux charges les candidats qu’il voudrait recommander ; le pouvoir de faire exécuter tout ce qui lui paraîtrait avantageux à l’empire, et celui de se dispenser de l’observation des décrets du sénat et des lois que ses prédécesseurs avaient été dispensés d’observer. Enfin il est statué que tout ce qui s’était fait jusqu’au jour où le décret avait été publié, serait réputé juste et conforme aux lois. Notre fragment qui fait bien regretter que nous n’ayons point la table entière, finit par une sanction qui prend toutes les précautions imaginables pour mettre à couvert de recherche ceux qui par ordre de l’empereur auraient dans quelque occasion que ce fût, agi contre les lois. Voilà quel était le pouvoir des empereurs romains, mais les successeurs des princes à qui Justinien céda les Gaules, et principalement les descendants de Hugues Capet, l’ont bien restreint pour leur propre avantage.

Qui rendait le décret par lequel le nouvel empereur était pour ainsi dire, installé, depuis que le monde romain eut été divisé en deux partages ? Qui publiait dans le cinquième siècle à chaque mutation de souverain la loi royale, en vertu de laquelle le sénat et le peuple romain prêtaient le serment de fidélité à un prince qui régnait ensuite légitimement, et cessait d’être traité de tyran, de quelque manière qu’il eût été proclamé empereur ? C’était dans l’empire d’occident la partie du sénat romain, qui était demeurée à Rome ; et dans l’empire d’orient, la partie du sénat qui avait été transférée à Constantinople. Il n’y avait donc plus que ces deux portions du sénat, qui eussent part au pouvoir législatif, et seulement encore lorsque le trône était vacant. Les assemblées représentatives des grandes provinces, et même les simples citoyens qui habitaient dans Rome, n’avaient plus aucune part à l’exercice de ce pouvoir.

Nous voyons, en second lieu, par le livre de Salvien, que les assemblées représentatives dont il est ici question, n’étaient ni convoquées ni consultées, lorsqu’il s’agissait de mettre sur les habitants du pays qu’elles représentaient, quelque imposition extraordinaire. Il parait au contraire en lisant cet ouvrage, que les ordres de l’empereur pour lever des subsides extraordinaires étaient adressés directement au sénat de chaque cité. Enfin le contenu de l’édit d’Honorius, que nous avons déjà allégué, fera foi suffisamment que l’assemblée d’Arles ne devait pas avoir d’autre droit que celui de représenter et de conseiller, et qu’elle n’avait pas le pouvoir de refuser ou d’accorder.