Histoire critique de l'établissement de la monarchie française dans les Gaules

 

LIVRE I — CHAPITRE PREMIER

État des Gaules au commencement du cinquième siècle. Leurs habitants étaient devenus semblables en tout aux Romains.

 

 

Au commencement du cinquième siècle, les Gaules qui faisaient encore une portion de l’empire romain, étaient divisées en dix-sept provinces dont chacune avait sa métropole ou sa ville capitale particulière, ainsi qu’on peut le voir dans la carte géographique mise à la tête de cet ouvrage, et qui a été dressée sur l’état présent, ou sur la notice des Gaules publiée par le père Sirmond. Personne n’ignore que cette notice a été rédigée dès le commencement du cinquième siècle et qu’elle est de toutes les anciennes notices des Gaules qui sont venues jusqu’à nous, celle dont les savants font le plus de cas.

Chaque province des Gaules se subdivisait en un certain nombre de cités ou de districts, appelés en latin civitas, et chaque cité avait aussi sa ville capitale et dominante dans laquelle résidait un sénat dont la juridiction s’étendait sur tous les cantons ou pagi, qui composaient le territoire de la cité. C’était la prérogative d’être le séjour du sénat et des officiers qui gouvernaient la ville et son district, qui faisait la différence qu’il y avait entre une simple ville et une ville qui avait le droit de cité.

Quand Tite-Live parle de la condition à laquelle les romains réduisirent la ville de Capoue qui avait pris le parti d’Annibal contre eux, lorsqu’ils l’eurent prise par force, il dit... on ne détruisit point la ville de Capoue et l’on permit même qu’il s’y établît des habitants, mais on ne voulut point que ces habitants eussent le droit de commune et qu’ils formassent une cité. Il fut statué qu’ils n’auraient ni un sénat, ni aucune assemblée du peuple ; mais qu’on leur envoierait de Rome chaque année, un officier qui leur ferait rendre la justice. Au commencement du cinquième siècle on comptait cent quinze cités dans les Gaules, au lieu qu’il n’y en avait que soixante et quatre sous le règne de Tibère ; mais ses successeurs avaient multiplié le nombre de ces districts, en ôtant à plusieurs cités une portion de leur territoire pour en former de nouvelles cités.

Comme le mot de cité n’a point dans notre langue l’acception qu’il avait en latin, et comme nous l’employons communément pour signifier l’ancien quartier d’une ville dont l’enceinte a été agrandie ; je dois avertir pour prévenir tout équivoque, que je m’en servirai toujours dans le sens du mot latin civitas, et que je traduirai de même pagus par canton.

Plusieurs de nos écrivains français faute d’avoir eu la même attention, rendent quelquefois mal à propos, le mot de civitas par celui de ville, et ils font ainsi assiéger ou prendre une ville, par des ennemis qui faisaient seulement des courses dans le plat pays de son district. Cette méprise n’obscurcit que trop souvent notre histoire. À la fin du quatrième siècle, les gaulois qui depuis près de cinq cent ans vivaient sous la domination de Rome, étaient devenus des romains.

Il n’y avait plus alors aucune différence bien sensible entre les habitants des Gaules et les habitants de l’Italie : les colonies dont Auguste et ses successeurs avaient parsemé les Gaules, furent comme autant d’écoles où les anciens habitants de ce pays étudièrent la langue et les lois, et prirent les moeurs et les usages de leurs vainqueurs. Un peuple subjugué par un autre devient volontiers semblable à la nation qui l’a soumis, pourvu qu’elle ne lui fasse point haïr son nouveau maître ; et Rome dès qu’elle eut une fois assujetti les Gaules, avait toujours montré à leurs habitants une prédilection qui ne leur permettait pas de douter, qu’ils ne lui fussent beaucoup plus chers que tous les autres sujets qu’elle avait acquis hors de l’enceinte de l’Italie.

On sait quelle amitié et quelle confiance Jules César témoignait aux Gaulois, même à ceux qui avaient porté les armes contre lui. Il donna le droit de bourgeoisie romaine à plusieurs d’entre ces gaulois les moins civilisés, et il les fit même entrer dans le sénat. Enfin il n’y avait pas encore cent ans que les Gaules étaient réduites en forme de province, quand l’empereur Claudius accorda la faculté de pouvoir posséder les grandes dignités de l’empire, aux familles principales de celles des cités des Gaules, qui avaient déjà le droit de bourgeoisie romaine, ou qui jouissaient des droits d’alliés du peuple romain. Peu d’années après Galba donna ce droit à toutes les cités des Gaules ; du moins n’exclut-il de cette grâce générale, que quelques cités qui s’étaient déclarées contre lui durant la guerre civile faite dans les Gaules entre son parti et le parti de Néron.

Sous le règne de Vespasien proclamé empereur peu de mois après la mort de Galba, nos gaulois étaient en possession pleine et entière de tous les droits et de toutes les prérogatives des citoyens romains nés à l’ombre du capitole. On lit dans Tacite que Cerealis qui commandait les troupes de Vespasien dans les Gaules, assembla, dès qu’il eut apaisé une révolte excitée dans la cité de Langres et dans celle de Trèves, les principaux citoyens de ces deux districts pour les bien convaincre que leur intérêt était de demeurer fidèles à l’empire. D’où pourrait venir, leur dit-il entre autres raisons, votre mécontentement ? Rome ne vous donne-t-elle pas tous les jours ses légions à commander ? Ne vous confie-t-elle pas le gouvernement de ses provinces, même celui de votre propre patrie ? Quelle est la dignité à laquelle il vous soit interdit de prétendre ?

Environ cent cinquante ans après le temps dont nous venons de parler, Caracalla donna le droit de bourgeoisie romaine à tous les citoyens des différents états dont l’empire était composé, et celles des cités des Gaules qui pouvaient ne l’avoir pas encore obtenu, en furent alors revêtues. Il est vrai que par là toutes les Gaules devinrent sujettes aux tributs et aux impositions qu’on levait déjà sur les citoyens romains ; ils commençaient dès lors à en être surchargés. En cela, la condition des cités qui n’avaient été jusque là membres de l’empire qu’en qualité d’alliés, et qui ne devaient que des soldats et quelques contributions passagères, en devint moins heureuse qu’elle ne l’était précédemment. Aussi prétend-on que l’édit par lequel Caracalla communiqua en un jour à tant de milliers de personnes le titre de citoyen romain qui sous les premiers empereurs, passait pour un bienfait considérable, avait plutôt été un édit bursal rendu dans la vue d’augmenter le nombre des sujets qui payaient les plus fortes impositions, qu’une marque de sa munificence.

Quoiqu’il en ait été, le droit romain devint dans toutes les Gaules, en vertu de l’édit de Caracalla, le droit commun. Si certaines coutumes locales demeurèrent en vigueur dans quelques districts, elles n’y eurent plus d’autorité que dans les cas sur lesquels les lois romaines ne statuaient point précisément. En vertu de cet édit, l’habit long particulier au citoyen romain ou la toga, devint dans les Gaules le vêtement de tous leurs citoyens, qui ne gardèrent plus de l’habillement de leurs ancêtres que quelques pièces dont l’usage était trop commode dans un pays froid, pour les quitter par la raison qu’on ne s’en servait point à Rome.

Voilà pourquoi les aquitains avaient conservé leurs grands haut-de-chausses nommés braccae, qu’ils portaient encore du temps de nos rois de la seconde race.

Mais les gaulois n’avaient point attendu qu’ils fussent tous citoyens romains pour prendre les moeurs et les usages des romains. L’endroit des plus curieux des annales de Tacite, est peut-être l’extrait du discours que l’empereur Claudius prononça dans le sénat, en faveur des habitants de la Gaule transalpine. Une des raisons qu’il employa pour déterminer cette compagnie à donner aux principales familles de celles des cités des Gaules qui avaient la bourgeoisie romaine, ou qui jouissaient de l’état d’alliés du peuple romain, le droit de posséder les grandes dignités de l’empire, fut celle-ci : que les gaulois avaient déjà les inclinations des romains, qu’ils faisaient les mêmes études qu’eux ; que les gaulois épousaient tous les jours des romaines, et les romains des gauloises.

Il y avait donc longtemps quand le cinquième siècle commença, que le latin était dans les Gaules, la langue du culte religieux, celle de l’état, celle des tribunaux, celle des savants, et généralement parlant celle de tous les citoyens. Dans les pays où la langue vulgaire était la langue grecque, il avait été peut-être moins nécessaire aux habitants d’apprendre le latin, parce que les romains eux-mêmes étudiaient le grec qui leur ouvrait la porte des sciences ; mais je crois qu’il y avait bien peu de romains qui daignassent apprendre ou le celte ou l’aquitain. Les romains ne voulant pas devenir gaulois, il avait fallu que les gaulois devinssent romains. En effet, nous voyons par l’histoire que dès le temps de l’empereur Vespasien les principaux d’entre les gaulois portaient déjà des noms latins. Le batave qui fut alors l’auteur de la révolte de ses compatriotes s’appelait Claudius Civilis. Un de ses parents se nommait Claudius Labeo. Le gaulois qui dans ce temps-là même fit soulever la cité de Langres, se nommait Julius Sabinus. On pourrait encore alléguer mille autres exemples pareils.

Tous les ouvrages composés dans le cinquième siècle et dans les trois siècles antérieurs, par des personnes nées dans les Gaules, ont été écrits en latin. Toutes les inscriptions faites alors dans ce pays et qui nous restent, sont en cette langue. Plus les romains avaient de prédilection pour la nation gauloise, plus ils devaient avoir d’attention à l’engager d’apprendre à parler la langue de l’empire. On ne pouvait point le servir, même dans les Gaules, si l’on ne savait pas le latin, qui était la langue de l’état. Que les romains aient cru qu’il leur était d’une extrême importance d’obliger tous les sujets de l’empire à parler la langue de l’empire, on n’en saurait douter. La raison d’état le voulait ainsi ; et saint Augustin dit positivement, que Rome après avoir imposé son joug aux nations, avait encore voulu les assujettir à parler sa langue.

Quoique le latin fût devenu la langue générale des Gaules, et que toutes les personnes, du moins celles qui avaient quelque éducation, le parlassent, néanmoins il n’y avait pas fait oublier les anciennes langues. Les mots gaulois qui entrèrent dans la langue française lorsqu’elle commença de se former sous nos rois de la seconde race, en sont une preuve qu’on ne saurait contester. La langue latine aura donc été pendant le cinquième siècle d’un usage aussi commun dans les Gaules, que la langue française l’est aujourd’hui à Dunkerque, et cependant les anciens habitants des Gaules auront toujours conservé l’usage de leurs anciennes langues, comme les habitants de Dunkerque conservent toujours l’usage du flamand qui est leur langue naturelle ? Quelles étaient les langues qui se parlaient dans les Gaules en même temps que le latin ?

Les habitants dont les Gaules étaient peuplées dans les temps dont je parle, étaient originairement de cinq nations différentes : les uns tiraient leur origine des romains qui s’étaient établis dans les colonies que les empereurs y avaient fondées ; les autres la tiraient ou des belges, ou des celtes, ou des aquitains, les trois nations qui partageaient les Gaules lorsque Jules César y fit ses conquêtes. Enfin les autres tiraient leur origine des différentes peuplades de germains à qui les empereurs avaient donné des établissements en deçà du Rhin et sur le territoire des Gaules.

Il serait inutile de parler ici de leurs habitants romains d’origine. Venons aux autres. César, avant qu’il dise que la Garonne séparait les aquitains et les celtes, et que les celtes étaient séparés des belges par la Marne et par la Seine, nous apprend que chacun de ces trois peuples parlait une langue différente de celles des autres. Ainsi c’était la langue aquitaine qui s’était conservée dans la partie des Gaules qui est au midi de la Garonne, c’était la langue celtique qui s’était conservée dans la partie des Gaules, qui est entre ce fleuve et la Marne. La langue belge s’était conservée quelle qu’elle fût, dans les pays qui sont au septentrion de cette rivière.

Quant à nos habitants de la Gaule germains d’origine, et qui étaient dans celles de ses provinces les plus voisines du Rhin, comme ils descendaient des germains qui s’y étaient établis en différents temps par concession des empereurs, ou que ces princes y avaient transplantés par force, leur langue nationale, celle dont ils avaient conservé l’usage, devait être la langue germanique.

Procope nous apprend qu’Auguste avait donné des terres dans ces contrées aux ubiens et à une partie des thuringiens. On lit dans Suétone que ce prince lorsqu’il réduisit en forme de province les pays qui sont entre l’Elbe et le Rhin, en fit sortir la plupart des anciens habitants, et qu’il établit dans les contrées de la Gaule voisines du Rhin. Les suèves et les Sicambres étaient du nombre de ces exilés, qui avaient capitulé avec lui. Le même auteur nous dit que Tibère transplanta dans les pays des Gaules situés sur le bord du Rhin quarante mille prisonniers de guerre qui s’étaient rendus à lui dans le cours des expéditions qu’il avait faites contre les germains. Enfin on voit dans l’histoire des empereurs qu’il arrivait souvent que ces princes donnaient des terres dans la partie des Gaules voisine du Rhin, tantôt par un motif et tantôt par un autre, à de nouvelles peuplades de germains. Les germains faisaient si bien le plus grand nombre dans cette contrée, que les romains l’appelaient le pays germanique, bien qu’il fût sur la gauche du Rhin, et par conséquent une portion des Gaules. Ceux des barbares, écrit Dion, que nous connaissons sous le nom de germains,... on peut voir dans la notice des Gaules que deux des dix-sept provinces, dans lesquelles les Gaules étaient divisées au commencement du cinquième siècle, s’appelaient encore, l’une la première germanique, ou la germanique supérieure, et l’autre la seconde germanique, ou la germanique inférieure.

Il y avait même des colonies de germains établies dans quelques autres provinces des Gaules. Tacite dit que les habitants de la cité de Trèves et ceux du Tournaisis se glorifiaient beaucoup d’être germains d’origine. Trèves était la métropole de la première Belgique, et Tournai une des cités de la seconde.

L’usage de transplanter des peuplades de germains dans les Gaules pratiqué de tout temps par les empereurs, était très conforme aux plus sages maximes de la politique, qui ordonnent aux états de multiplier autant qu’il est possible, le nombre de leurs sujets. D’ailleurs, dès que les germains qui généralement parlant méditaient sans cesse sur les moyens de faire quelqu’incursion dans les Gaules, tant qu’ils habitaient à la droite du Rhin, avaient été une fois transplantés sur la gauche de ce fleuve, ils devenaient autant de soldats qui servaient l’empire, sans toucher aucune paye ; dès lors ils avaient intérêt de s’opposer de toutes leurs forces aux brigandages de leurs anciens compatriotes, dont ils ne pouvaient pas manquer d’être la première victime. Ceux qui viennent les armes à la main pour fourrager nos champs et pour enlever nos troupeaux, sont nos véritables ennemis, quoiqu’ils soient de la même nation que nous ; et les étrangers qui se joignent à nous pour les repousser, sont nos véritables compatriotes. Enfin les nouveaux habitants que les romains introduisaient de temps en temps dans les Gaules, leur servaient encore à y retenir plus aisément les anciens habitants dans le devoir. On n’aura donc pas beaucoup de peine à croire, que lorsque les francs se furent établis sur la rive droite du Rhin, ce qui arriva dans le troisième siècle, les romains n’aient en suivant une maxime des plus constantes de leur gouvernement, permis en plusieurs rencontres à des essaims de francs qui avaient envahi dans les Gaules quelque canton du territoire de l’empire, de continuer à y demeurer, sous la condition d’y vivre désormais en bons sujets de cette monarchie, et d’obéir aux ordres de ses officiers.

Ainsi l’on parlait la langue latine et la langue teutonne, qui était celle des germains, dans les deux provinces germaniques, et dans une partie de la première Belgique, comme dans une partie de la seconde. Ce qui peut confirmer cette vérité, c’est que l’allemand qui est un idiome du teuton, est encore aujourd’hui la langue vulgaire dans une partie de l’ancien diocèse de Tournay, dans une partie de l’ancien diocèse de Trèves, dans l’Alsace, et dans les autres contrées de la Gaule, où nous venons de voir que les germains devaient faire le gros du peuple au commencement du cinquième siècle. Quand le latin cessa d’être une langue vivante dans les Gaules, les habitants des deux provinces germaniques, et une partie des habitants du diocèse de Tournay et du diocèse de Trèves, s’en seront tenus à leur langue vulgaire, à celle de leurs pères, au lieu que dans les autres pays de cette grande province de l’empire, les habitants s’y seront fait une langue composée de mots latins, comme de mots tirés de celle des langues gauloises qu’on y parlait, et ils les auront construits suivant la syntaxe des langues barbares, moins élégante à la vérité, mais bien plus facile que la syntaxe de la langue latine.

Comme les habitants des Gaules parlaient des langues différentes lorsqu’ils apprirent à parler latin, il n’était pas possible qu’ils l’apprissent tous également bien. L’expérience enseigne que notre langue naturelle nous donne plus ou moins d’aptitude pour apprendre et pour bien parler une certaine langue étrangère. Par exemple, un suédois apprend plus facilement qu’un anglais à bien parler la langue française. Il y a des langues dont la prononciation et le génie se ressemblent. Il y en a dont la prononciation et le génie paraissent opposés.

Pour revenir à ce qui arriva lorsque les gaulois apprirent à parler latin, il se trouva que le génie de la langue naturelle des aquitains étant plus approchant du génie de la langue latine, que le génie de la langue des celtes, les aquitains en général apprirent à bien parler latin, au lieu que les celtes n’apprirent qu’à s’exprimer mal en cette même langue.

Severus Sulpitius, ou Sévère Sulpice, à ce qu’on croit vulgairement, évêque de Bourges, et l’un des auteurs du cinquième siècle les plus connus, nous a laissé entre autres ouvrages, des dialogues. Dans un de ces colloques il fait dire à l’un de ses interlocuteurs qu’il nomme Gallus, et qu’il suppose être celte de naissance : étant né celte comme je le suis,... Un autre écrivain célèbre dans le même siècle, Sidonius Apollinaris, évêque de l’Auvergne, et né dans cette cité, qui suivant l’ancienne division des Gaules par nation, était du pays des celtes, quoique suivant la division politique des Gaules en dix-sept provinces, elle fût de la première Aquitaine, écrit dans une lettre adressée à son compatriote Ecdicius : notre pays vous a l’obligation du goût... Je me réserve à traiter ce point-là encore plus au long, quand j’en serai à l’endroit de mon ouvrage où il s’agira de l’interprétation d’un passage important de l’histoire de Grégoire de Tours, concernant Childéric, et qui a paru toujours inintelligible, parce que bien qu’il soit écrit en latin, il est construit cependant suivant un tour de phrase de la langue naturelle des celtes.

La conversion des gaulois à la religion chrétienne, contribua encore à les rendre plus semblables en tout aux habitants de l’Italie. Après leur conversion, presque achevée dès le quatrième siècle, les gaulois n’eurent plus que les mêmes autels, le même culte ; en un mot la même religion que les romains.

Enfin, comme on contracte ordinairement les inclinations, comme on adopte les goûts de la nation dont on a appris la langue et emprunté les habits, les gaulois contractèrent toutes les inclinations, ils adoptèrent tous les goûts des romains. À l’exemple des romains ils s’adonnèrent à l’étude des lois, et particulièrement à celle de l’éloquence. Dès le temps de l’empereur Adrien, des gaulois professeurs en rhétorique allaient enseigner cet art dans la Grande Bretagne. L’usage des bains devint commun dans les Gaules, et il y avait dans leurs grandes villes des cirques et des amphithéâtres où il se donnait des combats de gladiateurs ; spectacle si cher aux romains.

On avait même pour cimenter encore mieux l’union des gaulois et des romains, donné cours à une tradition, suivant laquelle les gaulois descendaient des anciens troyens, aussi bien que les romains ; de manière que les uns et les autres ils avaient une origine commune. Lucain qui écrivait sous Néron, dit que les auvergnats se prétendaient frères du peuple romain, parce que comme lui, ils descendaient des citoyens de l’ancienne Ilion. Suivant Ammien Marcellin qui avait servi dans les Gaules, et qui écrivit son histoire dans le quatrième siècle, une des opinions qui avaient cours concernant l’origine de leurs peuples, était qu’après la prise de Troyes, quelques-uns de ses habitants échappés à la fureur des grecs, étaient venus s’établir dans ce pays-là, qui pour lors était désert. Sidonius Apollinaris dit, en parlant des auvergnats ses compatriotes, après que l’empereur Julius Nepos eût cédé l’Auvergne aux visigots en quatre cent soixante et quinze. On a racheté la sûreté...

Quoique les personnes d’esprit pussent penser concernant cette généalogie, elle ne laissait pas de disposer les deux peuples à fraterniser l’un avec l’autre. Il faut bien que l’opinion dont il s’agit, eût eu quelque bon effet, puisque comme nous le verrons dans la suite, les francs voulurent aussi dès qu’ils se furent établis dans les Gaules, descendre des troyens, pour avoir la même origine que les anciens habitants de leur nouvelle patrie.

Enfin il n’y avait plus de gaulois dans les Gaules au commencement du cinquième siècle, parce que tous les anciens habitants de cette grande province de l’empire, avaient, pour ainsi dire, été métamorphosés en romains. Aussi verrons-nous que dans ce siècle-là et dans les siècles suivants, les anciens habitants des Gaules se désignaient eux-mêmes par le nom de romains, et que le nom de romains leur était donné par les francs comme par les autres barbares, qui s’étaient établis dans cette grande province de l’empire.