LES CONVULSIONS DE PARIS

TOME QUATRIÈME. — LA COMMUNE À L'HÔTEL-DE-VILLE

 

CHAPITRE IV. — LES SOLDATS.

 

 

I. — LA DÉLÉGATION SCIENTIFIQUE.

L'église Saint-Éloi et Notre-Dame-de-la-Croix. — 200 000 Versaillais à la minute. — Le docteur Parisel. — Stock de pétrole. — Le musée de marine. — La commission des barricades. — Dalles explosibles. — Canon Krupp et mitrailleuses. — Paschal Grousset et la convention de Genève. — Explosion à l'École des Mines. — Les bombes asphyxiantes. — Procédés. — Le feu grégeois. — Lettres et mémoires. — Artilleurs fuséens. — M. Borme. — Expérience au Luxembourg. — Rostopchiner Paris. — Fausse nouvelle au pétrole. — Un instrument abominable. — La dent du serpent à sonnette. — Acide prussique. — Le reçu d'Assi. — Vanité de ces assassins. — Les mœurs du docteur Parisel.

 

Lorsque les soldats français s'emparèrent de l'église Saint-Éloi dans la matinée du 28 mai, il n'était que temps ; elle commençait à flamber. Le feu dévorait les boiseries d'une chapelle ; on s'empressa de l'éteindre, et l'on reconnut alors que des barils de poudre, des caisses de cartouches, des touries de pétrole[1], placés dans la nef, étaient reliés par des torches en étoupe, des traînées de poudre mêlée de dynamite, de résine et de fleur de soufre. Si ce commencement d'incendie n'avait été arrêté, le quartier sautait. On visita les cryptes de l'église ; on y avait versé, à vrac, une telle quantité de projectiles, qu'il fallut plusieurs jours aux services du génie et de l'artillerie pour en débarrasser l'église. Le même jour, lorsque à Ménilmontant on pénétra dans les sous-sols de Notre-Dame-de-la-Croix, on y ramassa six bombonnes et trois cent quatre-vingts bouteilles de pétrole, dix mille mètres de mèches incendiaires et six gargousses de dynamite. On est tenté de croire qu'une telle accumulation d'engins destructeurs était un dépôt ; cependant le 19 mai l'église avait été réquisitionnée par Louis-Auguste B..., porteur d'un ordre de la Commune ; ce B... avait dit : Nous allons faire ici l'expérience d'une nouvelle invention capable de tuer deux cent mille Versaillais à la demi-heure.

Tuer deux cent mille Versaillais à la demi-heure, c'est là un rêve dont la Commune chercha obstinément la réalisation. Ce monde étrange, qui se disait révolutionnaire parce qu'il se savait meurtrier, se croyait scientifique parce qu'il eût voulu être exterminateur. Jamais plus folles songeries ne traversèrent la cervelle des alchimistes ; chacun avait son projet, son plan, son invention : on était certain de ne pas se tromper, et c'est par-dessus les remparts que l'on criait : Si M. Thiers est chimiste, il nous comprendra ! Ils n'ont point réussi complètement, mais ce n'est pas leur faute ; car ils ont sans marchander dépensé dans la confection d'engins terribles tout ce qu'ils avaient d'ardeur, d'illusion et d'ignorance.

Le grand maître chargé de souffler aux alambics de la Commune fut le docteur Parisel, qui faillit sauter avec ses fourneaux. Il était jeune, il n'avait que trente ans et était réellement médecin. Il était un peu inventeur ; en 1868, il avait proposé un nouveau modèle de fusil à Napoléon III, qui n'avait pas cru devoir l'adopter. Il eût aimé à côtoyer les grandeurs et avait inutilement essayé de se créer une clientèle dans les familles du faubourg Saint-Germain ; ces deux faits expliquent pourquoi il fut un des membres les plus actifs de la Commune, et pourquoi, lorsque à l'Hôtel de Ville on votait le huis clos des séances, il demandait qu'on ne voilât pas les plus belles pages de l'histoire. D'abord délégué au ministère du commerce (3 avril), puis membre de la commission des subsistances (22 avril), il fut enfin nommé, le 3 mai, chef de la délégation scientifique. Depuis bien des jours déjà il en exerçait les fonctions, car le 22 avril il publia officiellement une note qui révélait les projets de destruction dont les gens de la Commune étaient tourmentés : Ordre est donné de faire connaître à la délégation scientifique installée à l'hôtel des travaux publics les dépôts de produits chimiques, les inventions d'engins de guerre, offensive ou défensive ; en outre, les détenteurs de pétrole sont tenus de faire la déclaration par écrit de leur stock, à la même adresse et dans trois jours.

Des ordres analogues vont se multiplier : Le 14 mai : Tous les détenteurs de soufre, phosphore et produits de cette nature sont tenus de le faire connaître sous trois jours. — Le 17 mai : Tous les dépositaires de pétrole ou autres huiles minérales devront, dans les quarante-huit heures, en faire la déclaration dans les bureaux de l'éclairage situés place de l'Hôtel-de-Ville, 9. — Le 15 mai, on avait enrégimenté les incendiaires. Parisel avait formé des équipes de fuséens sous les ordres du citoyen Lutz. Ces fuséens portaient un uniforme spécial : veste et pantalon de treillis, large ceinture rouge et bleue ; on n'avait point été embarrassé pour les vêtir : on avait saisi les costumes de gymnastique des pompiers et on les leur avait distribués. En outre, on avait fait confectionner une prodigieuse quantité de mèches soufrées, non point plates, courtes et dures comme celles qui servent à enfumer, le renard au terrier, mais rondes, très longues, flexibles et pouvant facilement suivre les circonvolutions d'un escalier ou pendre contre un mur du haut d'une fenêtre.

Avrial, membre de la commission de la guerre, Assi, délégué aux ateliers de fabrication du ministère de la guerre, réquisitionnaient de leur côté et faisaient effort pour, mettre aux mains de la fédération des instruments de meurtre inconnus jusqu'alors. On ne dédaignait point les vieux modèles que nos musées gardent à titre de curiosité historique : Ministère de la guerre, cabinet du ministre, ordre n° 201. Ordre au conservateur du musée du Louvre (marine) de confier au citoyen D. le modèle de canon et d'affût portant le n° 225. Le citoyen D. sera responsable de ce modèle jusqu'à sa réintégration au musée. Le membre de la Commune directeur général du matériel de l'artillerie : AVRIAL. — Ce modèle ne peut sortir du musée, copiez sur place. L'indication du numéro était erronée, ce qui permit au conservateur de ne rien confier au citoyen D.

Avant Parisel, avant Avrial et Assi, le père Gaillard, cordonnier atteint de barricadisme aigu, avait proposé son plan. Dans la séance de la commission des barricades présidée le 12 avril par Rossel, le citoyen Gaillard demande que les égouts soient coupés dans le fossé et minés en avant de la barricade, les barricades n'ayant d'autre but que de prouver à l'ennemi et à la population que pour prendre Paris, il faudra le détruire, maison par maison. On discute scientifiquement la question, qui se résume à découvrir le moyen le plus prompt et le plus énergique de faire sauter Paris. Après quelques pourparlers on tombe d'accord : La Commune décide que la conservation des tuyaux du gaz et de l'eau sera assurée jusqu'au moment de l'attaque, aussi bien que celle des égouts, qu'il n'est point nécessaire d'ouvrir pour les miner. Elle répudie absolument, comme trop lente, toute construction ou fouille de galerie de mine, mais elle admet que des fourneaux de mine seront faits au fond et sur le côté des égouts et arrête ainsi qu'il suit leur position et leur charge : Premier fourneau à vingt mètres en avant du fossé, 40 kilogrammes de poudre ; deuxième fourneau à douze mètres plus loin, charge 100 kilogrammes ; troisième fourneau à douze mètres plus loin que le second, charge 100 kilogrammes, et ainsi de suite, si les circonstances le permettent. Chaque fourneau devra être amorcé séparément. C'est à cela que Rossel occupait ses loisirs pendant la Commune.

En même temps que ces hommes construisaient théoriquement des fourneaux de mine, qu'ils recherchaient le pétrole et lès produits chimiques, qu'ils tentaient de copier des modèles de canons revolvers, ils prenaient la population fédérée à témoin de leur candeur et accusaient Versailles de se servir d'engins de guerre prohibés par les conventions internationales. Par une singulière coïncidence, le jour même où Parisel appelle à lui les chimistes et les ouvriers en instruments de précision, le colonel d'état-major gouverneur du fort de Montrouge, que je ne nommerai pas, car il a été l'objet d'une ordonnance de non-lieu, termine son rapport en disant : Nous avons dans les mains la preuve irrécusable que l'armée de Versailles fait usage de balles explosibles. Vieille calomnie dont on s'était déjà servi contre l'Allemagne qui nous l'avait bien rendue et que la Commune retournait contre la France. A ce mensonge on en ajoutait bientôt un autre que voici, dans le Journal officiel du 27 avril : Une personne digne de foi a vu, de ses yeux vu, les Prussiens livrer un canon Krupp et quatre mitrailleuses aux troupes de Versailles. Le fait odieux de se servir des armes de l'ennemi contre la France est authentique.

En toutes choses la Commune eut cette bonne foi ; mais il arrive un instant où elle tombe dans le grotesque. On ne parlait à l'Hôtel de Ville, au Comité central et ailleurs, que des moyens de destruction mis à la disposition de la Commune par la science révolutionnaire. Ces bruits prirent de la consistance, tombèrent de la salle des séances dans les brasseries, des brasseries dans les cabarets, des cabarets dans la rue, où ils furent ramassés par les journaux du moment. Quelques-uns eurent l'air de s'émouvoir, ils invoquèrent l'humanité et la convention de Genève. La réponse de la Commune ne se fit pas attendre ; elle descendit de haut, elle descendit de Paschal Grousset, qui, en sa qualité de délégué aux relations extérieures, parla de façon à être entendu par la diplomatie universelle. Il dit leur fait aux journalistes et les renvoie à l'école : Quelques journaux ont pu croire que l'adhésion de la Commune à la convention de Genève avait pour résultat de proscrire l'usage des nouveaux engins de guerre dont dispose la Révolution. Si les rédacteurs de ces journaux avaient pris la peine d'étudier la question... ils se seraient épargné une protestation injuste et inutile. Quant aux forces terribles que la science met au service de la Révolution, la convention de Genève n'en réglemente pas l'usage. D'où il résulte que l'emploi des balles explosibles est interdit à Versailles, — qui jamais ne s'en est servi, — mais que la Commune reste dans la stricte observation du droit des gens en recourant aux forces terribles de la science révolutionnaire.

Celle-ci fut maladroite, car elle fit sa première expérience sur un de ses adeptes les plus dévoués. Au laboratoire de l'École des Mines, où Parisel avait installé ses cornues, un citoyen Alexandre Décot fut brûlé jusqu'à en devenir aveugle, par une explosion de matières chimiques au moment où il justifiait par l'expérience la découverte faite par lui d'un produit qui doit rendre d'importants services à la cause commune ; il eût mieux valu dire : à la cause communarde. Nous croyons, sans pouvoir l'affirmer, que ce produit n'avait rien de nouveau et n'était que du sulfure de carbone.

Ce n'était pas seulement à la préparation du sulfure de carbone, liquide mobile, très inflammable et des plus dangereux, que se bornait l'effort de la science révolutionnaire ; elle avait d'autres tours dans son sac, et il en est trois que nous pouvons faire connaître. Un Suisse exerçant illégalement la médecine à Paris, et dont la Commune avait fait un colonel directeur d'arsenal, avait inventé des bombes asphyxiantes qu'il avait fait adopter par la délégation scientifique. On y travaillait mystérieusement ; pour pénétrer dans les ateliers on avait des mots de passe, de faux noms, des signes de ralliement ; on jouait à la société secrète, tout en préparant des engins qui devaient être formidables et qui n'auraient peut-être été qu'enfantins. L'inventeur était aidé dans son travail par un musicien fédéré, trombone ou clarinette, qui surveillait la fabrication. Cet instrumentiste s'était rendu chez un plombier du boulevard Voltaire, avait saisi une couronne de plomb pesant treize kilogrammes, et avait réquisitionné du même coup un ouvrier qui fut enfermé à l'atelier des bombes, y resta prisonnier pendant deux jours et fut forcé de travailler à cette besogne, sous peine d'être passé par les armes. Ces bombes contenaient des tubes en plomb, longs de sept centimètres, roulés autour d'une petite fiole que recouvrait une feuille de plomb laminé ; chacune de ces fioles était remplie d'un acide tellement violent, que l'émanation seule, dit-on, pouvait causer une mort foudroyante. L'interstice qui séparait les tubes les uns des autres était comblé par de la poudre fulminante et du picrate de potasse.

L'arrivée de l'armée française fit évacuer le laboratoire ; on trouva les éléments constitutifs des bombes, mais pas une bombe achevée. Ces engins auraient été si périlleux pour ceux qui les auraient employés, que l'on aurait été contraint d'y renoncer avant même d'en faire l'expérience. Ils sont donc restés à l'état d'une de ces bonnes intentions dont l'enfer communard est pavé ; mais des témoins déposant, sous la foi du serment, devant les conseils de guerre, ont donné à cet égard des indications précieuses : On mettait de petits tubes contenant de l'acide prussique que l'on enfermait dans des, bombes. C'était destiné à tuer immédiatement ceux qui seraient blessés par les éclats. On faisait aussi des préparations où entrait la strychnine. On plaçait des clous empoisonnés dans les bombes. On chargeait des bombes avec des dissolutions de phosphore dans du sulfure de carbone[2].

Versailles est revenu trop tôt ; il n'a pas laissé à la science de la révolte le temps de se produire tout entière et d'étonner le monde par l'amplitude de son génie. Si l'armée française ne s'était pas hâtée, la Commune allait nous rendre le feu grégeois et l'approprier aux besoins de la revendication sociale. On l'avait proposé aux membres du gouvernement de la Défense nationale, qui avaient refusé, sans discussion, d'user contre l'ennemi d'un tel moyen de guerre. Ce fut un avocat dont j'ai les lettres, les rapports et les mémoires, qui se chargea de le faire adopter par la Commune. C'est la logomachie que nous connaissons déjà : L'humanité et la conscience ordonnent de se servir de ce moyen héroïque, car on rendra la guerre impossible en la faisant trop meurtrière. C'est pourquoi ce n'est pas seulement un droit, mais bien réellement un devoir, et un devoir de vraie religion — car l'humanité n'est pas autre chose —, que d'anéantir la force qui, dans les mains de Thiers, cet homme odieux et par là même condamné, cause les désastres de Paris et de la France. On a appris par les journaux que les Versaillais se massent et campent dans le bois de Boulogne : Eh bien ! citoyens, ces bois qui servent d'abri à l'ennemi, ces tentes, ces soldats, ces forces considérables, il ne tient qu'à vous de les anéantir en quelques instants sans perdre un seul homme. Les troupes de Versailles seront anéanties ou dispersées, n'en doutez pas, sans esprit de retour, en y lançant le feu grégeois, et puisque nous le pouvons, nous le devons évidemment. La lettre continue sur ce ton pendant quatre pages, et se termine par un post-scriptum où la science militaire se marie dans de justes proportions à la science économique : Nota : le feu grégeois brûle le bois vert, et l'eau, loin de l'éteindre, le développe beaucoup. Au premier coup d'œil, il semble qu'il serait pour la guerre un surcroît de dépenses ; en réfléchissant qu'il finirait la guerre, on compte qu'il en fera promptement cesser les frais.

A cette lettre est annexée une consultation : Le feu grégeois et le droit des gens, dans laquelle on tente de prouver que nulle considération ne peut prohiber l'emploi de cet engin ; on cite les écrivains spéciaux, et pour un peu on découvrirait qu'ils en recommandent l'usage. L'on en conclut que c'est le moyen le plus sûr et le plus expéditif de disperser les soldats de Versailles, de les empêcher d'obéir à la ténacité impitoyable de Thiers et à l'activité furieuse de l'Irlandais Mac-Mahon. Un mémoire intitulé Documents pratiques sur l'emploi du feu grégeois donne des détails intéressants, non pas sur la composition, qui doit rester secrète, mais sur le mode de procéder et sur le prix de revient. Si le litre de liquide de fusée coûte 20 francs, il s'ensuit qu'avec une dépense de 8000 francs on peut avoir quatre cents fusées, pouvant couvrir instantanément (à 20 mètres par fusée) 8.000 mètres de terrain occupé par l'ennemi. On demande la création d'un corps de fuséens divisé en bataillons et en compagnies. Trois jours suffisent pour former un artilleur fuséen ; il en faut dix pour fabriquer cent mille fusées ; les produits nécessaires existent à Paris en quantités assez considérables.

Le Comité central, la Commune, le Comité de salut public, harcelés par l'avocat, — inventeur, commanditaire ou intermédiaire intéressé, nous ne savons, — n'avaient répondu qu'avec mollesse aux offres qui leur étaient faites. Sans repousser la proposition, on avait cherché à gagner du temps, car alors on croyait être assuré du concours d'un inventeur très sérieux, M. Borme, qui, dès le 20 mars, avait été forcé de paraître se mettre à la disposition du Comité central. Il fit des expériences dans le jardin du Luxembourg, sous les yeux de. Raoul Rigault, qui, pour la circonstance, s'était fait accompagner du docteur Pillot. Celui-ci, satisfait du résultat obtenu, dit à M. Borme que l'on adoptait son procédé comme moyen d'incendie dans le cas où il faudrait rostopchiner Paris. M. Borme, tombé de Pillot en Parisel, usa de tout subterfuge pour éviter de servir la Commune. Il manœuvra avec tant d'habileté, que le 18 mai il en était encore aux promesses, aux excuses, et n'avait fourni que des prétextes au chef de la délégation scientifique. La Commune s'aperçut alors que M. Borme s'était moqué d'elle. Il fut arrêté, conduit à Ferré, qui l'expédia à Raoul Rigault ; puis, après s'être entendu dire qu'on lui ferait passer le goût du pain, il fut incarcéré au Dépôt, d'où il put s'échapper sain et sauf le 24 mai, pendant l'incendie de la Préfecture de police[3].

M. Borme est arrêté le 18 mai, à sept heures du soir ; dès le 19 la lettre de l'avocat est annotée : enregistrée ; renvoyée à la commission militaire. Il est trop tard ; l'avocat en sera pour ses frais de style ; la commission de la guerre aura beau prendre une décision, elle n'aura pas une seule fusée grégeoise à sa disposition, car le temps manque pour en fabriquer ; dans deux jours les soldats de la France auront franchi les fortifications de Paris, malgré la nouvelle menteuse qui fut publiée et qui prouve combien la Commune était préoccupée par l'huile de pétrole : 22 mai : Hier au soir les Versaillais essayèrent d'entrer dans Paris du côté de Neuilly en entassant dés fascines dans un fossé. Les fédérés, au moyen de pompes pleines de pétrole, mirent immédiatement le feu aux fascines et rôtirent tout vivants les royalistes. Rien, paraît-il, ne peut décrire l'effet produit par ces engins de nouvelle invention.

Feu grégeois et bombes asphyxiantes, c'était de la guerre sauvage, mais enfin c'était encore de la guerre ; je ne sais dans quelle monstruosité il faut ranger l'instrument dont j'ai à parler et dont l'honneur revient au docteur Parisel. Ce fut Parisel qui l'imagina, mais je crois bien que ce fut Assi qui fournit le poison. Je m'explique. — Parisel, comprenant que la Commune avait une durée limitée, que les soldats français rentreraient dans Paris, avait rêvé de lâcher les femmes contre eux ; sous prétexte de fraterniser, elles leur auraient tendu les bras, et leur auraient donné une poignée de main mortelle. La commission d'enquête parlementaire sur l'insurrection du 18 mars a, la première, fait connaître cette invention : Un membre : Avez-vous connaissance d'instruments destinés à empoisonner avec de l'acide prussique dans un petit tuyau de caoutchouc ?Le colonel Gaillard : Oui, c'est la dent du serpent avec tous ses éléments ; il y a un petit ressort qui doit faire jaillir le venin et le faire pénétrer. — Un membre : J'ai vu l'instrument : c'est une boule en caoutchouc, une sphère armée d'une épingle en or très courte et creuse, c'est la dent du serpent à sonnette, c'est une invention infernale[4]. Malgré l'affirmation de témoins honorables entre tous, je ne pouvais croire à cet excès de perversité, et je me figurais que, toute exagération étant acceptée sans contrôle après la chute de la Commune, on pouvait avoir été, de bonne foi, abusé par de faux rapports. Le doute ne m'est plus possible : j'ai tenu l'instrument dans mes mains.

C'est une boule en caoutchouc, de la grosseur d'un grain de raisin ; d'un côté une aiguille en or creuse, semblable à celle des seringues à injections sous-cutanées ;de l'autre une tige également en or, munie d'un pas de vis qui permet de la fixer à une bague disposée à cet effet. Parisel en avait commandé un nombre assez considérable, —trois ou quatre cents, et non pas vingt mille, comme on l'a dit, — à un fabricant d'instruments de chirurgie qui, ayant deviné à quel usage ces petits appareils étaient réservés, ne se hâtait pas d'y travailler. Parisel venait souvent le voir, trouvait qu'on lanternait beaucoup, se fâchait et parlait de Mazas. Il était parfois accompagné dans ses courses par Clément. — Lequel ? Ils étaient trois à la Commune qui portaient ce nom. — Est-ce Jean-Baptiste Clément le chansonnier, — Victor Clément le teinturier[5], — ou Emile Clément le cordonnier qui, le 22 janvier 1871, disait à M. François Favre, maire du XVIIe arrondissement : Vous devez marcher à notre tête ceigné de votre écharpe ? — Nous l'ignorons. Le fabricant prétextait le manque d'ouvriers, la délicatesse du travail, et continuait à ne pas se presser ; il se pressa si peu qu'il n'en put achever qu'une dizaine, qui ne furent pas livrés.

Assi avait coopéré à cette invention révolutionnaire en mettant à la disposition de Parisel une quantité d'acide prussique prodigieuse. Il avait découvert deux jeunes gens, chimistes habiles, qui, voulant éviter d'être incorporés dans les bataillons de marche dirigés sur les avant-postes, acceptèrent une exemption de service militaire, à la condition qu'ils remettraient à Assi quelques produits chimiques que l'on ne trouvait pas facilement moyen de se procurer, même par voie de réquisition. Le pacte fut conclu, et de chaque côté on se tint parole. La pièce suivante en fait foi : Commune de Paris. Commission de surveillance pour la fabrication des munitions de guerre. Hôtel de Ville, le 6 mai 1871. Reçu du citoyen.... 10 grammes de bor, 5 kilogrammes de phosphore et 1 kilogramme d'asside prussique. Sept heures. Paris, le 6 mai 1871 : Les membres de la Commune chargés de la surveillance de la fabrication des munitions de guerre ; Assi[6].

D'après l'opinion des hommes compétents, dix grammes de bore et un kilogramme d'acide prussique représentent des quantités extraordinaires. Nul savant, même parmi les plus illustres, n'a pu comprendre à quel usage le bore pouvait être réservé. Les communards, il faut le reconnaître, avaient plus d'imagination que de savoir ; ils croyaient cependant être en mesure de régénérer la science, et en ont conservé un sentiment de vanité qui ne les abandonna même pas devant les conseils de guerre. Le 9 août 1871, Assi répond aux questions du président ; il parle de ses longs travaux dans l'armement ; il dit avec complaisance : J'ai eu jusqu'à trente secrétaires, et s'enorgueillissant au souvenir de ses inventions, il ajoute : J'ai fait bien des choses qui ne sont pas ordinaires. En effet, l'instrument de mort imaginé par Parisel, chargé avec l'acide prussique procuré par Assi, n'était pas dans la catégorie des choses ordinaires. C'était une œuvre d'une rare perversité, mais c'était en même temps une œuvre dangereuse pour celui qui aurait voulu l'utiliser. Le moindre faux mouvement eût rendu l'instrument mortel pour l'assassin lui-même.

Le docteur fut plus heureux que son complice Assi ; il put échapper aux recherches de la justice ; il est un des membres de la Commune que l'on crut tués dans la bataille des rues. Le bruit de sa mort se répandit et persista. On se trompait ; les gens capables d'inventer de tels outils se battent peu et savent déguerpir. Parisel, jugé par contumace, fut condamné à mort ; en faisant une enquête sur ses antécédents, sur sa conduite pendant le siège et pendant la Commune, on fit quelques découvertes dont la cour d'assises eut à s'occuper. Au mois de mai 1872 il fut, par défaut, frappé d'une peine de vingt ans de travaux forcés pour attentat à la pudeur avec violence et avortement consommé. Il paraît être coutumier du fait, car, si l'on en croit un journal, il a été condamné au mois d'avril 1877, en Amérique, à New-Jersey, pour un fait analogue[7]. Il y a là peut-être une indication à recueillir pour les moralistes qui cherchent à deviner quelle constitution la Commune aurait donnée à la famille, si la France n'était venue interrompre ses délibérations et ses expériences.

 

II. — LES INCENDIAIRES.

Destruction furieuse. — Proclamation du Comité de salut public. — Ordre du colonel Brunel. — Les pompiers de Paris. — Refusent d'obéir. — Intervention de Pindy. — Défense aux pompiers de combattre les incendies. — Dépêches. — Un souvenir de 1848. — Sobrier. — Ce qui s'est passé à la Préfecture de Police. — Réquisition de liquides incendiaires. — Les torches. — Marigot au carré Saint-Martin. — Maxime Lisbonne à la rue Vavin. — Ordres anonymes. — Concentration des matières incendiaires à la mairie du XIe arrondissement. — Ordre des subdélégués. — Actes spontanés. — Le marquis de Quinsonas à la direction des télégraphes. — Le petit bossu. — Mettez le feu à la boîte. — Bombes incendiaires. — Fabriquées pendant le siège. — Utilisées par la Commune. — Une exécution. — La responsabilité. — Protestation de Clovis Dupont. — Le ministère des finances. — L'Hôtel de Ville.

 

Si, malgré l'activité qu'elle déploya, la Commune n'a réussi qu'imparfaitement dans la fabrication de son outillage militaire et scientifique, il faut reconnaître que cela ne l'a pas empêchée d'accomplir une des œuvres de destruction les plus furieuses que jamais l'histoire ait eu à enregistrer. Sous ce rapport elle reste hors de pair ; mais il ne lui fallut ni savoir, ni courage ; à l'aide d'une bouteille de pétrole et d'une allumette, un enfant peut brûler une maison. Il n'y a donc pas de quoi être fier, et les forces terribles que la science met au service de la Révolution, comme disait Paschal Grousset, n'ont rien à voir en tout ceci. Ce fut facile, bête et méchant. Le projet d'incendier Paris a-t-il été délibéré en séance secrète de la Commune ou du Comité de salut public ? On n'en sait rien, quoique l'article de Jules Vallès : Si M. Thiers est chimiste, semble prouver une détermination discutée et arrêtée[8].

La seule pièce authentique qui fut placardée sur les murs de Paris, ou tout au moins insérée dans le dernier numéro du Journal officiel, en date du 24 mai, est celle-ci : Le Comité de salut public arrête : Art. 1. Les persiennes ou volets de toutes fenêtres demeureront ouvertes. Art. 2. Toute maison de laquelle partira un seul coup de fusil ou une agression quelconque contre la garde nationale sera immédiatement brûlée. Art. 3. La garde nationale est chargée de veiller à l'exécution stricte du présent arrêté. Le Comité de salut public : Ant. Arnaud, E. Eudes, F. Gambon, G. Ranvier. Hôtel de Ville, le 3 prairial an 79. Un tel ordre, interprété d'une certaine façon, peut entraîner la destruction de Paris ; mais ce n'est pas l'ordre de brûler Paris. Cependant, avant même la rentrée des troupes françaises, des précautions avaient été prises pour neutraliser les secours que l'on aurait pu porter aux incendies, et je n'ai pas à répéter que d'énormes provisions de matières incendiaires avaient été emmagasinées et étaient tenues en réserve.

Le 21 mai, aussitôt que l'arrivée de nos troupes est signalée, le colonel Brunel, à la suite d'une inspiration spontanée ou d'instructions reçues, expédie un ordre qui seul, en dehors des faits connus, affirme la préméditation du crime : Garde nationale de la Seine ; Xe arrondissement ; bureau du chef de légion. Ordre aux sapeurs-pompiers des douze casernes de se réunir et de se porter immédiatement au Champ de Mars avec le matériel dont ils disposent. Le colonel : Brunel. Cet ordre ne fut pas suivi d'exécution. Les pompiers comprirent qu'on tentait de les rassembler au Champ de Mars pour éloigner de Paris le matériel de sauvetage ou pour les mettre eux-mêmes en ligne contre nos soldats. Une députation fut envoyée par eux à Pindy, qui, en qualité de gouverneur militaire de l'Hôtel de Ville, avait sous ses ordres le corps des sapeurs-pompiers. La discussion fut longue ; Pindy, qui savait à quoi s'en tenir, estima sans doute que le moyen de se débarrasser des sapeurs-pompiers était trop ostensible ; il était hésitant, et paraissait ne savoir à quel parti s'arrêter. Il sortit de la salle où l'on discutait, et resta une heure absent. On peut croire, quoique l'on ne sache rien de positif à cet égard, qu'il alla demander des instructions au Comité de salut public. Lorsqu'il revint, il resta près de dix minutes, la tête dans ses mains, comme perdu dans ses réflexions. Puis il écrivit à Brunel une lettre dont on ignore le contenu, et se tournant vers les pompiers délégués, il leur dit : L'ordre doit être considéré comme non avenu ; ne quittez pas vos casernes.

Un autre moyen moins brutal fut employé, et parvint au résultat qu'avait cherché Brunel. On fit défense aux pompiers de combattre les incendies, dont ils durent rester les spectateurs désintéressés. Cela ressort des, deux pièces que voici et dont l'original a été conservé : Dépêche au commandant. Feu à la Croix-Rouge. — Gardes nationaux mettent le feu dans tout le quartier, — ordre de la Commune qui défend aux pompiers de bouger. — Réservoirs, tonneaux, pompes et travailleurs, tout est prêt dans la cour pour attaquer immédiatement, si le feu gagnait les maisons avoisinant la caserne ou la caserne même. Les gardes nationaux ignorent tous ces préparatifs. Le capitaine : Ch. Cette dépêche est du 23 mai ; celle-ci est du 24 : 11e compagnie. Ordre de la Commune de ne pas sortir pour aler aux feu. (Commandant à capitaine.) Le sergent de semaine : N. Ainsi les pompiers reçoivent dans leurs postes ordre de la Commune de ne point se porter à l'attaque des incendies et ils se croient obligés de cacher aux gardes nationaux les préparatifs qu'ils font pour combattre le feu, dans le cas où ils en seraient menacés.. Je rappelle qu'après avoir allumé trois foyers dans le Palais-Royal, les hommes du 202e bataillon fédéré forcèrent les pompiers casernes au Louvre à prendre la fuite. — Paris sera à nous, ou Paris ne sera plus !

Il y avait longtemps que cette rêverie hantait les cervelles révolutionnaires. En 1848, avant la journée du 15 mai, un écrivain connu alla voir Sobrier, qui alors inspirait une crainte dont on aurait souri pendant la Commune, et tenta de lui faire comprendre qu'il était dangereux, pour, la cause même de la liberté, d'effrayer la population par l'étalage de doctrines terroristes ; il ajouta que cette conduite pourrait faire naître une lutte dans laquelle le parti jacobin n'aurait pas le dessus. C'était prévoir, l'insurrection de juin. Sobrier écouta d'un air gouailleur les observations qui lui étaient adressées : Baste ! répondit-il, nous sommes deux cent mille, prêts à combattre ; si nous sommes vaincus, il nous restera une dernière ressource ; et prenant une allumette qu'il mit sous les yeux de son interlocuteur, il ajouta : Nous le brûlerons, votre chien de Paris ! Il s'en fallut de bien peu que la prédiction de 1848 ne fût accomplie en 1871, car tout le monde s'empressa de concourir au crime, les chefs et les soldats.

Par ce qui s'est passé à la Préfecture de police, on peut voir que ces hommes ne voulurent point être saisis au dépourvu, qu'ils redoutaient une surprise de l'armée française, et qu'ils se tinrent prêts à ne lui livrer que des ruines. Le 21 mai, dans la nuit, Ferré apprend que les lignes de la révolte sont brisées et que le général Douay marche sur le Trocadéro. Le 22, dès six heures du matin, je le rappelle, un capitaine de place, guidé par un concierge, visite les sous-sols, les postes du rez-de-chaussée, et y fait déposer trois barils de poudre entourés de caisses de cartouches. Aussitôt que ces premières dispositions sont terminées, un garçonnet de vingt-deux ans, nommé Émile-Magloire Giffault, ayant alternativement joué le personnage de chef de bureau et celui de commissaire de police, est chargé de se procurer des liquides inflammables. Il ceint son écharpe rouge, se fait escorter de trois hommes armés, et emmène avec lui deux jeunes gens qui traînent une voiture à bras. Il se rend rué Grégoire-de-Tours, chez un marchand de couleurs, qui est absent. Giffault s'adresse au portier, le force à lui livrer les marchandises qu'il réclame et en échange desquelles il remet un reçu : Nous, commissaire de police attaché à la Commune, avons, d'après les ordres qui nous ont été donnés, requis chez le sieur Quintin, marchand de couleurs, rue Grégoire-de-Tours, n° 3, trois touries contenant de l'esprit-de-vin, de l'essence et du pétrole. Il n'a rien été pris autre chose. Ces touries sont requises par la préfecture de police. Le commissaire spécial : E. Giffault. Donc, le 22 mai, à midi, tout était prêt pour détruire la Préfecture de police, qui ne fut allumée que le lendemain à onze heures du matin.

Dans les magasins de la Préfecture, on avait mis la main sur le dépôt des torches qui sont distribuées, en quantité réglementaire, à chacun des postes occupés par les sergents de ville. Ces torches ne furent point inutiles. On les porta dans la cour du Mai au Palais de Justice, et un jeune l'actionnaire de vingt ans, nommé Etienne, avait pour consigne de forcer tous les passants, — ils n'étaient pas nombreux, — à en prendre une pour la lancer dans la grand salle qui flambait. Cela s'appelait faire acte d'adhésion à la Commune[9]. Etienne ne fut pas heureux ; il réussit à s'échapper de Paris, mais il fut arrêté au Havre en flagrant délit de vol. Son repentir n'était pas excessif, car il dit aux juges militaires devant lesquels il comparut : J'ai défendu la Commune, parce que c'était le meilleur des gouvernements.

L'incendie de la Préfecture de police et du Palais de Justice est l'œuvre même de Théophile Ferré et Raoul Rigault. L'un et l'autre étaient membres de la Commune ; en qualité de délégué à la sûreté et de procureur général, ils avaient un droit d'initiative qu'ils ont tenu à ne pas laisser tomber en désuétude. Ceux-là étaient des maîtres ; ils n'ont eu qu'à commander. D'autres au contraire ont eu à obéir, et ont reçu des ordres qui venaient de haut. Un homme dont j'ai déjà parlé, qui ne fut point malfaisant pendant la Commune, qui entretint de bons rapports avec la Banque de France, qui commandait le Palais-Royal et s'appelait Marigot, fut un des plus sérieux combattants de la dernière heure. Il lutta dans le IIIe arrondissement à la tête de huit cents hommes et d'une artillerie considérable. Malgré ses efforts, les troupes françaises gagnaient du terrain : Le 24, à midi, la situation n'était plus tenable, a-t-il dit lui-même ; Delescluze m'envoya l'ordre écrit de faire sauter le carré Saint-Martin et d'incendier le quartier. Je n'ai pas voulu m'associer à de pareilles monstruosités[10].

Exaspéré par la défaite, Delescluze a-t-il donné des instructions pareilles ? Nous ne savons ; nulle pièce authentique, nul témoignage irrécusable ne nous permet de répondre, et nous ne pouvons avoir qu'une confiance restreinte dans l'assertion de certains accusés, qui ont essayé de sauver leur tête en proclamant leur désobéissance à des ordres qu'ils n'ont peut-être pas reçus. Maxime Lisbonne est-il de ce nombre ? Loin d'avouer l'incendie de la rue Vavin et l'explosion de la poudrière du Luxembourg que des témoins lui reprochèrent d'avoir provoqués, il a affirmé qu'il lui avait été enjoint par le Comité de salut public de faire sauter le Panthéon, dont les caves étaient pleines de poudre, et de brûler la bibliothèque Sainte-Geneviève. Reculant devant une telle responsabilité, il se serait rendu prés de Régère, membre de la Commune, délégué au Ve arrondissement, et en aurait obtenu l'annulation de l'ordre. Nous ignorons si le fait est exact ou si ce n'est là qu'une de ces affirmations dont les accusés ne sont point avares en présence de leurs juges[11].

Presque tous les ordres d'incendie ont été détruits ; mais ceux qui subsistent permettent d'affirmer que les grands chefs de la Commune ont eu soin de ne pas compromettre leur signature sur ce genre de documents. Faut-il penser d'après cela qu'ils avaient horreur de leur mauvaise action, dont ils comprenaient la monstruosité, comme eût dit Marigot, ou que, certains d'avance de leur défaite, ils ne voulaient abandonner derrière eux aucune preuve de leur crime ? Si les ordres sont signés, c'est par des inférieurs : Incendiez le quartier de la Bourse, ne craignez pas ; puis simplement le cachet du colonel commandant l'Hôtel de Ville, qui était Pindy, et un contreseing : le lieutenant-colonel Parent. Ce dernier aurait bien dû ajouter son prénom : Hippolyte ; il eût ainsi évité une confusion regrettable, dont un membre démissionnaire de la Commune, Ulysse Parent, faillit être victime. Dans plus d'un cas, l'ordre ne porte pas de signature ; un timbre, — celui du Comité de salut public, — suffit. L'ordre d'incendier le ministère de la marine que Brunel montra au docteur Mahé était timbré et non signé. Il en est de même de celui-ci, dont l'original est sous mes yeux : Ministère de la guerre ; Paris le 23 mai 1871. Ordre aux municipalités de nommer des chefs de barricades, un au moins par quartier. Timbre rouge : Ministère de la guerre ; bureau d'armement.

On obéissait à ces instructions anonymes ; sans hésiter on nommait des chefs de barricades et on brûlait les maisons. Le Comité de salut public intervient cependant indirectement lorsqu'on a résolu d'incendier l'Hôtel de Ville et de se retirer à la mairie du XIe arrondissement. De celle-ci, il fallait faire une forteresse et un arsenal, car c'est là que l'on comptait tenir jusqu'à la fin, c'est de là que partiront les ordres et les éléments de destruction. On y pourvut de la sorte : Paris, le 23 mai 1871. Ordre aux municipalités de requérir immédiatement les produits chimiques inflammables et violents qui se trouvent dans leur arrondissement. Le Comité de salut public ; timbre rouge du secrétariat général. Le secrétaire adjoint, C. Jauffret. Faites brûler les maisons assaillies par les Versaillais ou la réaction. C. J.[12]. Cet ordre constitue un aveu sans restriction ; est-ce pour cela qu'on le fait signer par un secrétaire-adjoint, que l'on y chercherait en vain le nom d'un des cinq membres du Comité de salut public, Ant. Arnaud, Billioray, Eudes, Gambon, G. Ranvier, — et qu'on n'y trouve même pas celui du secrétaire général : Henri Brissac ?

Les inférieurs, au contraire, ceux qui cherchent à faire du zèle et à se donner de l'importance, n'hésitent pas. On croirait qu'ils ont mis leur vanité à accumuler les preuves de leur culpabilité. Aussitôt que l'ordre collectif que je viens de citer est parvenu à la mairie du XIe arrondissement, un simple délégué municipal, dont la spécialité paraît avoir été pendant la Commune de molester les prêtres et d'interdire l'accès des églises, le citoyen Magdonel écrit : Ordre aux commissaires de police de réquisitionner immédiatement tous les produits chimiques inflammables et violents qui se trouve dans votre arrondissement et de les concentré au XIe, pour mettre dans les caves de l'église Saint-Ambroise. Le délégué municipal : Magdonel. Lorsque la Commune vint s'installer à la mairie du boulevard Voltaire, ses instructions avaient été suivies ; on avait obéi aux prescriptions de Magdonel, et le Comité de salut public avait à sa disposition de quoi brûler la moitié de Paris. C'était le 24 mai, nos troupes avançaient et les insurgés, reculant devant elles, détruisaient les monuments, les îlots de maisons- qu'ils n'avaient su conserver. De la mairie même, dans cette journée, partit un ordre de dévastation presque anonyme, car, malgré les hauts personnages qui encombraient le chef-lieu du XIe arrondissement, il est signé d'un nom obscur et même inconnu : Établise votre ligne de démarcation entre vous et les Versaillais — brûlé, incendié tout ce qui est contre vous, — pas de trêve ni de découragement. Le XIe arrondissement se lancera à votre secourt, sitôt que vous serez menacé — courage et si vous agisez, la République est sauvez avant quarante-huit heures. Pour le Comité : David[13].

Si à Champigny, à Buzenval, les armées allemandes avaient rencontré une telle énergie dans la garde nationale, la France n'aurait peut-être pas été amputée de deux provinces ; mais, on le sait, et il ne faut pas se lasser de le répéter, un bon nombre de bataillons se réservaient contre les Prussiens de l'intérieur[14], c'est-à-dire contre tout ce qui n'était pas jacobin, hébertiste, maratiste, contre tout ce qui n'admirait pas Raoul Rigault ou ne croyait pas à la religion du dieu Blanqui.

Que dans ce cataclysme où Paris a failli périr, il y ait eu des faits de sauvagerie spontanée, il n'en faut douter. Lorsque Charles-Philippe-Denis Quélin, apprêteur de neuf et fédéré au 92e bataillon, s'écrie : F... le feu aux deux coins de la rue Thévenot ; pas de pitié, nous n'avons rien à perdre ! il obéit à ses mauvais instincts et n'a reçu aucun ordre précis[15]. Mais à qui donc remonte la responsabilité du forfait, sinon à ceux qui l'ont préparé, qui ont amassé les matières inflammables, et qui, maîtres de la ville, chefs du gouvernement, directeurs de l'insurrection, ont donné l'exemple en brûlant l'Hôtel de Ville ? Les délégués municipaux, stylés d'avance, ont fait leur œuvre ; ils ont reçu un mot d'ordre qu'ils ont transmis aux commandants des barricades, ceux-ci l'ont répété à leurs soldats, qui étaient bien certains de ne pas faire preuve d'indiscipline en répandant partout le pétrole. Lorsque l'on s'est adressé au conseil même de la Commune, il a répondu : Brûlez.

Le 23 mai, dans la soirée, le corps du général de Cissey venait de forcer l'entrée de la rue de Grenelle-Saint-Germain. Le marquis de Quinsonas, qui, après avoir fait valeureusement la guerre, avait, malgré ses cinquante-huit ans sonnés, repris du service afin de combattre la Commune, était alors attaché, en qualité de colonel des mobiles, à l'état-major du 2e corps d'armée. Il courut à la direction des télégraphes et s'en empara. La cour était pleine de cadavres que l'on avait déposés là en attendant que l'on pût les enterrer. L'heure était terrible. Le palais de la Légion d'honneur, la Cour des Comptes, le Conseil d'État, la rue de Lille étaient en feu ; l'école d'état-major venait de sauter ; les artilleries tonnaient, la fusillade crépitait de tous côtés ; dans le clocher des églises, le tocsin retentissait comme pour sonner le glas de la ville près d'expirer. Les bureaux du télégraphe étaient abandonnés ; tout employé avait fui, sauf un petit bossu qui, au milieu des rumeurs de la bataille, tapotait philosophiquement son appareil. Sur l'ordre du marquis de Quinsonas, il se mit en rapport avec l'Hôtel de Ville, qui répondit à sa question par une autre question : Qui connais-tu ici ? — On ne savait que riposter ; on lui dicta cette dépêche : — Position désespérée, les Versaillais arrivent. Cette fois la réplique fut nette, et, comme elle émanait de l'Hôtel de Ville, du siège même du Comité de salut public, elle fixe la responsabilité des incendies : Mettez le feu à la boîte et repliez-vous.

Depuis longtemps ils se préparaient. Pendant la période d'investissement, sous prétexte de rechercher les moyens les plus sûrs de repousser l'Allemagne, on fabriquait non seulement des bombes à main, mais aussi des tubes incendiaires, tubes en zinc destinés à recevoir l'huile de pétrole. Six mille de ces récipients furent saisis d'un coup et livrés au ministère de la guerre, qui s'empressa de les détruire. Tous les tubes incendiaires ne furent pas découverts et brisés avant l'armistice ; il en restait que l'on utilisa dans les derniers jours de la Commune ; on en eut la preuve le 24 mai. Nos troupes, maîtresses du Ve arrondissement, avaient placé des sentinelles aux coins des rues, et lancé des patrouilles dans le quartier. Un homme d'allures suspectes fut aperçu' rue Garancière. Il rasait les murs et cherchait à se dissimuler ; il fut arrêté. Il était vêtu d'une cotte d'ouvrier et d'une blouse flottante ; ses mains ne portaient point de trace de poudre, mais tout son individu exhalait une forte odeur de pétrole. On lui fit enlever sa blouse pour le fouiller, et l'on fut surpris de voir qu'il avait la taille sanglée par une ceinture de cuir, armée de petits crochets à chacun desquels pendait un tube en zinc fermé, assez semblable à une boîte à lait, et rempli de pétrole. Dans sa poche on trouva plusieurs rouleaux de mèches incendiaires et des allumettes. Cet homme avoua qu'il avait reçu d'un chef de barricades, qu'il refusa de nommer, l'ordre d'incendier le plus de maisons qu'il pourrait, à son choix. Il ne savait point que les troupes françaises occupaient le quartier, et il était venu se jeter au milieu d'elles. Il fut appuyé contre un mur et fusillé ; un coup de feu tiré de près enflamma le pétrole dont il était porteur et le cadavre brûla sur place. Ce fait semble démontrer qu'il y eut des hommes, — peut-être les fuséens du docteur Parisel, dont le citoyen Lutz était le commandant, — qui furent spécialement outillés pour l'incendie.

Les communards de mauvaise foi, — ils sont nombreux, — n'acceptent qu'un seul incendie, celui du château des Tuileries, repaire des tyrans. Ils répudient les autres ; ils s'en lavent les mains dans l'huile de pétrole et disent : C'est pas moi. J'excepte cependant un groupe de contumax, réunis sous le nom de Commune révolutionnaire, dont je parlerai bientôt, et qui n'hésite pas à revendiquer sa part de responsabilité dans ces désastres. Rossel ne s'y trompe pas, et, sans ménagement, à l'heure suprême, à l'heure où l'on ne ment plus, il dénonce les coupables. L'odieux de ces incendies n'a pas besoin d'exagération, a-t-il écrit[16] ; la majorité de la Commune peut être justement accusée de ces crimes ; Félix Pyat et les blanquistes en sont les instigateurs. Par le mot majorité, Rossel entend la faction violente qui, en opposition aux économistes, vota pour la création du Comité de salut public. Son accusation porte juste, et cependant parmi les membres de cette majorité, il s'en trouva un que les incendies désespérèrent : c'est Clovis Dupont, un vannier de Saint-Cloud, où il avait reçu jadis, après sollicitation, des secours sur la cassette impériale.

Il avait ainsi motivé son vote en faveur du Comité de salut public : Attendu que si la Commune a su se faire aime de tous les honnêtes gens, elle n'a pas encore pris les mesures nécessaires pour faire trembler les lâches et les traîtres, et que, grâce à cette longanimité intempestive, l'ennemi a peut-être obtenu des ramifications dans les branches essentielles de notre gouvernement. Il voulait donc bien que l'on fit trembler, mais il ne voulait pas que l'on brûlât. Au moment des dernières batailles, Clovis Dupont était délégué en qualité d'adjoint à la mairie du IIIe arrondissement. Le 24 mai, alors que les ordres d'extermination étaient expédiés de tous côtés, il ne craignit pas de s'adresser directement au Comité de salut public et de lui écrire : L'Hôtel de Ville et la Préfecture de police sont la proie des flammes ; en continuant l'incendie, nous pouvons atteindre les nôtres, et cela ne doit pas être. Nous avons le droit de nous faire sauter la cervelle, mais jamais celui de brûler les maisons où sont enfermés des femmes et des enfants. Des fusils, des canons et des mitrailleuses aux barricades, soit ; mais, je le répète, cessons l'incendie[17]. Cette honnête protestation ne fut pas entendue et le volcan révolutionnaire continua à se vomir lui-même.

Les incendiaires avaient souci de faire évacuer les maisons avant de les brûler, et c'est là-dessus qu'ils se sont appuyés, devant les conseils de guerre et devant l'histoire, pour soutenir, contre toute évidence, qu'ils avaient tenté de sauver les monuments qu'ils ont eux-mêmes livrés aux flammes. Au ministère des finances, qui fut saturé de pétrole, on prescrivit aux employés de se retirer ; puis on mit le feu dans le cabinet du secrétaire général[18]. A l'Hôtel de Ville, le 24 mai, pendant les heures nocturnes du matin, il n'y avait plus personne ; seuls les chefs d'incendie étaient à leur poste ; l'un d'eux, le plus considérable, monté dans le campanile, écoutait et regardait ; il devait allumer les foyers préparés aussitôt que les troupes françaises apparaîtraient aux Halles. Un des incendiaires, Auguste-Adolphe Girardot, qui la veille était aux Tuileries, a raconté comment les constructions de l'Hôtel de Ville ont été si rapidement enflammées et consumées. De distance en distance, on a placé des barils de poudre qui alternaient avec des bombonnes de pétrole ; l'huile coulait, on l'a allumée, ça n'a pas été plus difficile que ça[19].

 

III. — L'ARMÉE FÉDÉRÉE.

Félix Pyat jugé par Rossel. — Les défenses dans Paris. — Incapacité et bavardage. — Dernière proclamation. — Les enfants malfaisants. — Cris de désespoir. — Les capitulards ne capitulent pas. — Les officiers entre eux. — Les cavaliers de la République. — Négligence et eau-de-vie. — Le 101e bataillon. — Ce que les communards en disent. — Ce qu'il en faut penser. — Les prétextes. — Les fédérés s'esquivent pour ne point aller au feu. — Rossel et le peloton d'exécution. — Le fort de Vanves. — Les rapports militaires. — Chacun veut défendre son arrondissement. — Lettre de Delescluze. — Récit d'un témoin oculaire. — De l'Hôtel-Dieu à la place Haubert. — Responsables de leurs actes.

 

Ce n'était pas difficile, en effet, et l'on pourrait appliquer à presque tous les chefs de la Commune le mot dont Rossel à flétri Félix Pyat : Ce misérable se préoccupait plus de se venger de la défaite que d'arracher le succès aux ennemis de la Révolution. Ils ont combattu dans Paris, non pas pour s'assurer la victoire, mais, comme l'on dit, pour faire payer cher leur défaite. Ils savaient, à n'en pas clouter, qu'ils seraient vaincus aussitôt que les soldats français auraient dépassé les fortifications. Cela peut sembler étrange, mais cela est ainsi. Cependant ils paraissaient invincibles dans Paris même, dans Paris entrecoupé de barricades, dans Paris plein de leurs troupes, armé de plus de mille pièces d'artillerie, regorgeant de munitions et où chaque grand monument pouvait devenir une citadelle. Il a suffi au drapeau tricolore de se montrer pour que la pyramide qui portait le drapeau rouge oscillât sur sa base et se désagrégeât. Si l'on avait profité du premier effarement de la Commune, elle s'évanouissait comme un fantôme. Dans la nuit du 21 au 22 mai, elle se crut morte ; elle écouta et, n'entendant personne venir, elle reprit courage, sonna le rappel, rassembla ses hommes et prépara ses funérailles. Du moment que la surprise n'avait point permis d'aller jusqu'à elle et de l'étrangler dans sa bauge, elle devait vaincre, et pourtant fut vaincue.

Quelques-uns de ses apologistes ont accusé l'incapacité des chefs militaires, d'autres ont accusé l'incapacité des chefs civils, qui délibéraient au lieu d'agir. Les deux reproches sont fondés et nous ne les discuterons pas, car il est certain que ni dans ses armées, ni dans ses conseils, la Commune ne posséda ce que l'on appelle un homme de tête. Avait-elle même un homme d'action ? J'en doute, car la cruauté n'est point de l'énergie, et il me semble qu'elle n'était composée que de bavards qui s'écoutaient trop parler pour pouvoir écouter les autres. Quand bien même ses armées eussent été commandées par un général sérieux, aurait-elle pu tirer meilleur parti du troupeau qu'elle appelait ses troupes ? L'indiscipline y régnait à l'état endémique et l'alcoolisme l'avait ravagé. Jamais plus nombreuse agglomération d'ivrognes ne fut vue sur terre ; les bataillons titubaient en marchant et s'arrêtaient parfois pour ramasser .leurs chefs. Dans les dernières heures, reculant toujours devant nos soldats, ne sachant pas pourquoi ils n'étaient pas victorieux puisqu'on leur avait promis la victoire, irrités, soupçonneux, s'accusant les uns les autres, se traitant de Versaillais et imaginant partout la trahison autour d'eux, ils se fusillaient et croyaient faire acte de vertu en criant : Mort aux traîtres ! Ils n'en allaient pas moins en débandade, cherchant les membres de la Commune qui les avaient trompés et voulant les coller au mur. La Commune cependant ne leur ménageait ni l'eau-de-vie, ni les encouragements. Jusqu'à la minute suprême, elle ment. Voici la dernière affiche qu'elle fit placarder, le vendredi 26 mai au matin, dans les quartiers de Paris qui lui restaient encore : Les gardes nationaux de service à la place de la Bastille ont battu trois bataillons versaillais et leur ont enlevé quatre drapeaux tricolores à franges d'or surmontés de l'aigle bonapartiste. Courage, citoyens, tenez ferme et nous vaincrons. Nous vaincrons ! L'avant-veille on avait vaincu l'archevêque ; le jour même on allait vaincre quelques vieux prêtres à la rue Haxo.

La cause était trop mauvaise. Elle n'était qu'une apparence. Boire de l'absinthe, manger du cervelas, piller des maisons particulières, dévaliser les caisses publiques, fermer les églises, supprimer le service des mœurs, incarcérer les honnêtes gens et être gouverné par des enragés, ne constitue pas un principe sur lequel on puisse appuyer une révolution. Ils se rendaient compte de cela, bien vaguement, il est vrai, mais assez cependant pour avoir eu une indécision qui ne leur a jamais permis d'échapper à leur logomachie habituelle et de prendre une résolution. Ils tenaient matériellement Paris ; ils le savaient, ils en étaient très fiers- ; mais en même temps ils sentaient que la conscience de Paris se soulevait contre eux et ils n'étaient point rassurés. C'est là surtout ce qui fait leur faiblesse et donne à leurs actes une incohérence extraordinaire. A y regarder de près, on s'aperçoit que la Commune a été le règne de quelques enfants malfaisants qui n'eurent ni volonté, ni consistance, ni programme, et qui remplacèrent tout cela par des actes de violence. Comme législateurs, ils sont au-dessous du grotesque ; comme militaires, ils deviennent nuls dés qu'ils ne sont pas abrités derrière une barricade.

Les fédérés me paraissent avoir bien souvent mécontenté leurs chefs, car ils n'obéissaient que lorsque la fantaisie leur en prenait. Toutes les lettres des commandants de forts, des officiers supérieurs que l'on possède, ressemblent à des cris de désespoir. Cela donne une singulière idée de ce dévouement à la cause sacrée dont on a fait, dont on fait encore tant de bruit dans les journaux communards. On a trop parlé d'héroïsme, je crois qu'il en faut rabattre. Des batailles du siège, ils avaient conservé un souvenir qui les a trompés ; alors plus d'un bataillon était sorti de Paris, avait refusé de courir aux Allemands et avait été récompensé[20]. Il n'en était plus ainsi ; aux heures de lutte on ne pouvait plus compter sur la ligne, car cette fois c'était la ligne qu'il fallait combattre. On se trouvait en présence des capitulards, et l'on s'apercevait avec angoisse qu'ils ne capitulaient pas. Aussi que de plaintes, que de récriminations ! Les officiers se dénoncent entre eux, les soldats accusent leurs officiers, les officiers se plaignent de leurs soldats ; ce n'est plus de l'indiscipline, c'est de la dissolution.

Les chefs eux-mêmes s'injurient, se gourment et se battent comme des crocheteurs. Un sieur B..., sous-intendant qui a commandé le 178e bataillon, est convoqué à la place, pour rendre compte de sa gestion à son successeur, en présence d'Hippolyte Parent ; le sieur B... paraît ne pas fournir des explications satisfaisantes, ce qui lui procure quelques désagréments : Le commandant R... m'a frappé et jeté par terre en présence du citoyen Parent (Hippolyte) ; ce dernier n'y a pris aucune part d'abord, mais ensuite il m'a insulté en plein bureau et en présence de témoins. Il n'en est que cela. Le pauvre diable malmené et battu se contente d'écrire le 26 avril à la Commission exécutive pour lui demander justice. Il garde pour lui les injures et les soufflets qu'il a reçus, quitte à les rendre en temps opportun à un de ses inférieurs. Dans l'escadron des cavaliers de la République, que jamais l'on ne parvint à former complètement, le lieutenant-colonel ivre prenait à la gorge un capitaine également ivre, et roulait avec, lui sur le fumier des écuries du quartier de l'Alma. Les cavaliers, divisés en deux factions adverses, adressaient pétition sur pétition au délégué à la guerre, — pour faire révoquer, — pour faire maintenir, — le lieutenant-colonel. : Il n'entend rien à la guerre, il était trompette. — C'est un admirable soldat, c'est un héros. La délégation classait, annotait les rapports, les mémoires et n'osait prendre une décision ; car la moitié de l'escadron menaçait de déserter si le lieutenant-colonel était remplacé ; l'autre moitié se refusait à tout service s'il n'était révoqué. J'ai entre les mains les pièces de ce conflit, auquel mit fin l'arrivée de l'armée française.

On avait beau recommander la vigilance aux fédérés, leur dire que le salut de la République était en eux et non ailleurs, exciter leur émulation et leur montrer les Versaillais dont il fallait repousser les approches, ils n'en tenaient compte ; quelque chose parlait dans leur cœur plus haut que l'amour de la Commune, que les grands mots d'honneur et de devoir avec lesquels on essayait de soulever leur courage : c'était le goût de l'eau-de-vie. Vers les derniers jours même, lorsque l'armée française montre ses têtes de colonnes derrière la gabionnade de ses tranchées, ils se sentent sollicités par le cabaret et ils y courent plus vite qu'au feu. Dans un rapport adressé le 18 mai à Edouard Moreau, je lis : Redoute de Clichy : une ronde faite dans le courant de la soirée d'avant-hier a trouvé la barricade abandonnée et les servants en état d'ivresse. Avant-hier, c'était le 16, le jour où la colonne de la place Vendôme s'est brisée sous l'effort des cabestans de la Commune. Les fédérés de la redoute de Clichy avaient sans doute voulu célébrer ce triomphe en chantant le refrain de Pierre Dupont :

Buvons à l'indépendance du monde !

Dans ce même rapport, je trouve une indication à noter : Montrouge est assez calme ; Hautes-Bruyères est de même. Trois hommes arrêtés pour avoir soi-disant mis le feu au château d'Arcueil ; l'ordre fut donné par le commandant du 101e bataillon. Le commandant du 101e bataillon, c'est Sérizier ; les trois hommes arrêtés, et plus d'un avec eux, sont des dominicains qui doivent périr comme l'on sait.

Ce 101e bataillon est resté cher aux admirateurs de la Commune ; c'était le bataillon sacré. Qu'était-ce que la légion thébaine et que valurent les trois cents des Thermopyles auprès de ces hommes d'élite ? Lorsque dans la séance du 28 août 1872, tenue à Londres par la société des réfugiés — des contumax — de la Commune, Léopold Caria, Eudes, Emile Moreau se disent leurs vérités, celui-ci s'écrie avec orgueil : J'avais le 101e derrière moi ! Que le 101e fût une bande d'assassins, nul n'en doute ; mais, d'après la légende qui s'est formée autour de lui et qui a cours aujourd'hui, on pourrait imaginer qu'il fut vaillant à la guerre, solide au feu, plein d'abnégation pour sa cause et discipliné ; on se tromperait. Les grandes déroutes ne sont point encore survenues ; on peut croire à un succès possible ; nul découragement n'a dû, par conséquent, atteindre ces âmes de bronze et d'acier. Ils combattent, ils aspirent à la gloire et attendent l'heure de monter au Capitole. On le croit, on l'a dit, on le répète. Ce n'est point l'avis de l'homme qui les eut sous ses ordres.

Le colonel commandant le fort de Bicêtre, Paul Vichard, qui a une fort belle écriture et une orthographe rare sous la Commune, est moins enthousiaste que l'histoire communarde, et le 29 avril il écrit à son général en chef, Waléry Wrobleski : Mon général, j'ai l'honneur de vous prier de vouloir bien donner des ordres pour que le 101e bataillon soit remplacé immédiatement ; son esprit d'indiscipline est un danger pour la défense ; impossible de compter sur cet effectif. Il y a eu hier au soir et dans la nuit, de la part de ce bataillon, insubordination et rébellion ; j'ai dû faire doubler le poste de police par le 239e. Il était tout simplement question de la part du 101e de s'emparer du fort, après s'être assuré à main armée du commandant de place : menaces de mort, faire sauter le fort, etc. Je profite de la circonstance pour vous rappeler que le 184e bataillon s'est déjà mis en état de rébellion à la redoute des Hautes-Bruyères et qu'il est urgent de le remplacer également. Il y a donc urgence à faire relever le 101e et le 184e bataillon. — P. S. Je vous prie de donner des ordres pour que tous les bataillons au fort de Bicêtre soient relevés au plus tôt. C'est le seul moyen de rétablir la discipline et la propreté. Le lecteur reconnaîtra que le 101e n'avait pas tort ; il est désagréable de faire le coup de fusil, de se jeter à plat ventre pour éviter les obus et de coucher dans des casemates ; il est plus facile d'assassiner un vieux pharmacien dont on vide la cave ; il est moins périlleux de chasser aux pères de Saint-Dominique. C'est en cela surtout que consista l'héroïsme du 101e et c'est cela qui le fait immortel.

On invoque tous prétextes pour quitter les avant-postes et abandonner les forts. Les motifs ont parfois une naïveté qui n'est pas à dédaigner ; de Montrouge on écrit le 20 mai à la délégation de la guerre : Les gardes du 126e bataillon demande à être relevé seulement 48 heures pour nettoyer la vermine qui les ronge et repartir après. Par ce moyen je pourrai repartir avec le triple d'hommes. Le commandant P. De tous les forts, de tous les ouvrages avancés, de tous les postes exposés au feu de l'armée française, s'élève le même cri : nous demandons à être remplacés. Le métier leur paraît dur, le service est trop pénible ; on a beau doubler, tripler les rations de vin et d'eau-de-vie, les fédérés estiment qu'il est triste de boire derrière les sacs à terre et aspirent vers le cabaret, c'est-à-dire vers Paris.

Je pourrais citer vingt lettres dans lesquelles les chefs de corps, colonels ou commandants, ne laissent pas. ignorer que leurs hommes sont harassés, que le découragement les a saisis, que toute débandade est à craindre si on ne les rappelle des avant-postes. Ceux-là, du moins, étaient à la fatigue et au combat, on peut comprendre qu'ils aient demandé du repos et se soient lassés d'être toujours en alerte. Mais ceux que l'on faisait sortir de leur casernement pour les envoyer aux fortifications n'y allaient qu'en rechignant. Ils se réunissaient au lieu d'assemblée, causaient entre eux, ne tardaient pas à apprendre ou à deviner qu'on les réservait à un service de guerre, et alors, par les rues voisines, par les portes cochères, par les passages à double issue, ils disparaissaient les uns après les autres.

Bien souvent un commandant parti avec un bataillon s'est trouvé, au bout de dix minutes, ne plus marcher qu'à la tête d'une compagnie ou même d'un peloton ; il ne savait que faire, se désespérait et écrivait des lettres dans le genre de celle-ci : Mon général, après vos ordres que j'ai reçu de sortir de la place Vendôme pour me rendre immédiatement au fort d'Issy, j'ai réuni mon bataillon et je suis parti. Sur six cent hommes présent sur la place, je me trouve qu'avec une trenteine d'hommes environ. Tout le reste m'a quitté, soi-disant qu'ils ne voulaient pas partir avec des fusils à piston. Arrivé à dix heures du soir à la porte de Versailles, après avoir fait tout mon possible pour faire marcher les hommes et m'ayant abandonné, me trouvant dans une pareille position, j'ai cru prudent de m'arrêter à la porte de Versailles, afin que je sache ce que je dois faire après ce désagrément qui m'est arrivé. — L. V., chef de bataillon du 91e sédentaire. On comprend d'après cela que la cour martiale, instituée par la Commune, fonctionnât sans désemparer ; mais c'est en vain qu'elle frappait sur les récalcitrants ; ils désertaient les combats d'avant-poste ; on eût dit qu'ils se réservaient pour la bataille dans Paris.

Il n'y a pas que les chefs de bataillon qui ne réussissent pas à entraîner leurs hommes ; le délégué à la guerre n'est pas plus heureux : le Comité central, qui tient en main l'armée de la fédération, se brise contre l'obstacle du mauvais vouloir. On peut agir sur un homme qui refuse le service ; mais sur cent, sur mille, sur cinq mille, cela est impossible : on reste impuissant. Cependant, comme il faut se cramponner au pouvoir usurpé, comme on ne peut rester le maître qu'à la condition d'obéir aux vanités de la populace, on fait des proclamations pour lui dire, qu'elle est héroïque. Rossel, qui a bien connu les fédérés, car il a essayé d'en faire une troupe régulière, Rossel, qui n'a pas assez de mépris pour eux lorsqu'il en parle après la faillite de son ambition, Rossel, dans sa lettre de démission adressée le 9 mai à la Commune, a dévoilé d'un mot le désarroi où ces bandes et leurs chefs se perdaient : Les chefs de légion délibéraient... Il résulta de leur conciliabule un projet au moment où il fallait des hommes, et une déclaration de principes au moment où il fallait des actes. Mon indignation les ramena à d'autres pensées, et ils me promirent pour aujourd'hui, comme le dernier terme de leurs efforts, une force organisée de douze mille hommes avec lesquels je m'engageai à marcher à l'ennemi. Les hommes devaient être réunis à onze heures et demie. Il est une heure, et ils ne sont pas prêts ; au lieu d'être douze mille, ils sont environ sept mille. Ce n'est pas du tout la même chose. Je ne suis pas homme à reculer devant la répression, et hier, pendant que les chefs de légion disputaient, le peloton d'exécution les attendait dans la cour. Rossel recula cependant. Son sort se décida ce jour-là. S'il n'avait pas renvoyé le peloton d'exécution, il ne serait pas mort au plateau de Satory.

Au moment où Rossel écrit cette lettre, la Commune a pourtant une armée supérieure à celle que la France peut lui opposer. Ses deux cent cinquante-quatre bataillons lui donnaient cent cinquante mille combattants, dont soixante-quinze mille, réservés aux combats, devaient toujours être aux grand'gardes. Malgré cela, son maître par excellence, le Comité central, ne peut même rassembler douze mille hommes pour tenter un coup désespéré aux environs d'Issy. A ce moment, tout le front de défense semble abandonné, non pas par les officiers supérieurs qui s'y maintiennent quand même, mais par la Commune qui délibère, par le Comité de salut public qui discute, par le Comité central qui conspire et brigue le pouvoir. Le 9 mai, Rossel disparaît ; le jour même, dans la soirée, Delescluze est nommé délégué civil à la guerre ; le lendemain il s'installe, et voici la première lettre qu'il reçoit : Petit-Vanves, le 10 mai 1871. — Citoyen ministre, on ne sauve pas une situation avec les mains vides. Ce qui était bon hier n'est plus tenable aujourd'hui. Les Versaillais entourent le fort de Vanves, — point d'artillerie, — point de munitions, — point d'infanterie. — Le colonel du génie, chef d'état-major, ROZADOWSKI. Partout il en est de même, partout on demande des secours, des hommes, des canons, de quoi se battre, en un mot ; les trois pouvoirs qui se disputent Paris sont trop révolutionnaires pour ne point obéir à la tradition. Ils font des discours, invoquent les principes, et cela leur suffit pour se croire invincibles. Comment ne l'a-t-on pas su à Versailles ? comment n'a-t-on pas connu la faiblesse de ces gens-là, et comment n'en a-t-on pas profité ?

A partir du 18 mai, les rapports se multiplient, très inquiétants. Les Versaillais se massent, — les parcs d'artillerie s'approchent, les tranchées sont à tant de mètres du fossé,une attaque est imminente ; dans les villages situés entre Paris et la Seine, on dit que les Versaillais entreront demain, on dit qu'ils entreront cette nuit. Rien ne les réveille ; ils dorment debout comme les fakirs de l'Inde, absorbés dans la contemplation de l'ombilic démagogique et social. Encore à l'heure qu'il est, ils ne croient pas à leur défaite et s'imaginent qu'ils ont été trahis. Oui, certes, trahis par leur ignorance, par leur infatuation, et surtout, — disons le mot, — par leur bêtise. Aussitôt que les soldats français sont entrés, et que le premier mouvement de stupeur est passé, ils se retrouvent. Ils sont sur leur terrain, sur le terrain des émeutes et des barricades, des machines infernales et de la lutte individuelle, où chacun est son propre stratège. Ils dirigeront d'abord leurs forces vers la circonférence, les ramèneront ensuite au centre et tiendront ainsi pendant sept jours avec une fermeté que jamais ils n'ont montrée dans les combats d'avant-postes.

Dès la nuit du 21 au 22 mai, les délégués se rendent dans leurs arrondissements pour en diriger la défense, et il se produit alors un fait d'où l'on peut inférer que chacun ne pensait, qu'à son salut particulier et se souciait peu du salut commun. Chaque délégué écrit à la guerre, pour avoir du secours, pour demander des hommes : l'arrondissement qu'il commande est le plus important, c'est celui qu'il faut protéger exclusivement à tout autre. Delescluze alors, de sa fine et claire écriture, répond lui-même : Paris, 3 prairial an 79. Citoyen, impossible de vous envoyer des troupes en ce moment. Le Comité de salut public a nommé un colonel chargé de prendre le commandement supérieur de l'arrondissement. Vous aurez à vous entendre avec lui pour la défense. Faites l'impossible, ce n'est pas trop vous demander. Le Comité de salut public compte sur vous. Chacun en réalité fit de son mieux, c'est-à-dire fit le plus de mal qu'il put. Pendant cette bataille de sept jours, il n'y eut qu'une seule action vraiment militaire, la défense de la Butte-aux-Cailles par Wrobleski. Partout ailleurs ce fut une série de rencontres où la stratégie communarde dévoila son incapacité ; partout, même dans les positions les mieux fortifiées, ils laissèrent tourner leurs barricades, comme s'ils n'avaient jamais imaginé qu'ils pourraient être pris à revers.

Le combat dans les rues fut farouche ; là, mais là seulement, il y eut des actes de courage et l'on ne peut s'empêcher de répéter ce lieu commun, qu'il est regrettable de voir dépenser tant de vaillance pour une telle cause. La plupart de ces hommes étaient sous l'influence d'une surexcitation qui les rendait semblables à des aliénés. Dans certains épisodes dont j'ai le tableau sous les yeux, le désordre de l'esprit est évident. J'ai entre les mains un récit confidentiel extrêmement curieux. Celui qui a écrit cette confession dans la cellule d'une maison d'arrêt ne se doute guère qu'elle est venue jusqu'à moi ; je ne le nommerai pas ; je le regrette, car je n'aurai que du bien à en dire ; dans les fonctions civiles qu'il a exercées, il a déployé des qualités de bonté naïve très remarquables ; il a sauvé plus d'un persécuté, il a secouru les blessés, quêté pour les veuves et donné des exemples d'humanité qui sont restés stériles dans le milieu où son inexpérience l'avait égaré. Chef d'un service nombreux, il avait notifié sa démission pour éviter d'enrégimenter ses hommes parmi les combattants, et, craignant à son tour d'être forcé de prendre les armes contre la France, il s'était réfugié le 18 mai à l'Hôtel-Dieu sous prétexte de maladie.

Il raconte les scènes dont il a été le témoin en termes que je ne puis que reproduire : Lorsqu'il fut question de faire sauter Notre-Dame (24 mai, onze heures du matin), on nous fait tous habiller. En descendant, j'ai rencontré R. et un autre de mes agents qui venaient me chercher, prêts à me défendre ; R. m'apportait un sabre d'officier. Le quartier était en feu, les balles sifflaient de toutes parts. En arrivant place Maubert, j'ai trouvé la maison que j'habitais envahie par une horde de gens. Il y avait là vingt hommes armés pour piller et voler. ; d'autres étaient là pour me faire marcher avec eux. A ce moment j'ai pris le parti de faire porter mon sabre sur une barricade pour donner à entendre qu'à aucun prix je ne voulais me battre. A ce signal, les hommes raisonnables se sont dispersés et ne demandaient pas mieux. Un fou s'est précipité dans ma chambre, O..., un des adeptes les plus enragés de la Commune. Cet homme me dit qu'il venait de fusiller C. et de jeter son cadavre à la Seine, que huit autres avaient subi le même sort et qu'il en avait encore dix à fusiller. Ma femme et moi, nous sommes restés la bouche béante et personne n'a osé dire un mot[21]. Pour donner une idée de l'exaltation de ce fanatique, voici, autant que peut se souvenir ma pauvre tête qui éclatait, ses paroles : Embrasse-moi, — il m'embrasse. — Ferré va mourir et sauter avec la préfecture. — J'ai dit adieu à ma femme : ce n'est pas moi que tu vois. C'est mon ombre. J'ai dit à Ferré : Mourons ensemble. — Embrasse-moi ; Ferré va mourir ! Des voix avinées hurlaient : Descendez-vous, lâches ! Cette demi-heure est restée dans ma mémoire comme un des cauchemars les plus terribles de ma vie. Je pris ma femme dans mes bras ; nous nous sommes réfugiés dans une maison où j'ai trouvé une chambre. J'y étais à peine qu'un obus éclatait. L'illuminé m'avait suivi, il répétait : J'ai fusillé C... ; Ferré va mourir ; Ferré, est mort maintenant ; c'est moi qui ai tiré le premier coup de canon à pétrole sur le Palais-Royal ! — Tout à coup on cria : Voici les Versaillais ! Nous nous sauvâmes, et je trouvai asile à à l'ancien collège écossais. — Si j'étais la justice, je ne trouverais qu'une peine à appliquer à tous ces gens que la politique des clubs a rendus fous : je les ferais mettre à Bicêtre.

La place est bien choisie, et elle peut convenir à plus d'un ; mais il ne faut cependant pas se méprendre et attribuer à la démence ce qui appartient à la perversité. Si quelques-uns ont marché sur la route qui conduit aux cabanons des aliénés, c'est qu'eux-mêmes ont préféré cette route et qu'ils s'y sont engagés sans écouter les avertissements qu'on ne leur épargnait pas. Qu'il y ait eu parmi eux des monomanes, — Allix ou Babik, — nul ne l'ignore ; ceux-là ont été inoffensifs. Si à la minute suprême les autres ont touché la folie de près, la faute en est à eux. Ils ont développé avec passion tous leurs mauvais instincts, ils ont fait appel à la violence, parce qu'ils refusaient d'acquérir par le travail ce qu'ils convoitaient ; ils ont menti, sachant bien qu'ils mentaient ; ils ont été volontairement cruels, ils ont été féroces avec préméditation. Leurs actes de méchanceté ont été tels, qu'ils ont pu faire douter de leur raison ; mais l'excès dans la conception et dans l'exécution du mal est une maladie que les savants n'ont point encore déterminée ; elle porte un nom en morale et s'appelle l'envie : ceux qui en sont atteints sont, responsables.

 

IV. — LE PATRIOTISME.

Les mensonges. — Honte éternelle. — Retour en arrière. — Les inquiétudes du général Vinoy. — Un petit écu. — La Commune est très déférente pour l'Allemagne. — Les forts du Nord. — La Commune arme le fort de Vincennes. — Le désarme sur l'ordre de l'Allemagne. — Accord. — Myope pour la guerre, presbyte pour la Commune. — Le docteur Rastoul. — Note trouvée à son domicile. — Proposition chevaleresque. — Motion pour obtenir la protection des Prussiens. — Les Bavarois entre Aubervilliers et Pantin. — Nicolas Dominique Faltot, gouverneur du fort de Vincennes. — Sommé de se rendre. — Merlet. — Faltot offre le fort de Vincennes à l'empereur d'Allemagne. — Sa lettre. — Le dernier acte de la Commune. — Vincennes ouvre ses portes à l'armée française. — La Commune se sauve en abandonnant ses soldats.

 

Ils sont d'autant plus responsables que, pour griser la population jusqu'au délire, pour la grouper en un corps d'armée prêt au crime, ils ont invoqué le salut de la patrie et la grandeur du sacrifice. Ce sera là leur honte éternelle. Ils ont masqué leur ambition, leurs projets de destruction, leur amour du pouvoir derrière des prétextes inventés pour les besoins de la circonstance et dont ils étaient les premiers à sourire. Ils avaient juré de se jeter dans le gouffre comme Curtius, et quand le moment de tenir leur serment fut venu, ils allèrent s'asseoir sur leur chaise curule, s'y trouvèrent bien et, parce qu'on voulut les en chasser, brûlèrent Paris. Rossel, que je cite souvent parce que son témoignage est des plus précieux, les avait bien jugés : Je cherchais des patriotes et je trouve des gens qui auraient livré les forts aux Prussiens plutôt que de se soumettre à l'Assemblée. Il ne pouvait se douter, du fond de la retraite encore ignorée où il écrivait ces lignes, combien il était perspicace. Si l'une de nos forteresses n'a pas été remise par les communards aux Allemands, c'est parce que ceux-ci ont refusé d'en prendre possession. Pour bien faire comprendre l'hypocrisie de ces manœuvres qu'ils qualifiaient de politiques, il faut revenir aux journées qui ont précédé le 18 mars et rappeler ce que j'ai déjà dit de l'organisation de la fédération de la garde nationale d'où sortirent le Comité central et la Commune.

Le lecteur se souvient qu'à la réunion générale des délégués des bataillons tenue le 24 février 1871, la motion suivante fut adoptée à l'unanimité : Au premier signal de l'entrée des Prussiens dans Paris, tous les gardes nationaux s'engagent à se porter contre l'ennemi envahisseur. C'est là le point de départ. De cet acte excessif, mais patriotique jusqu'à l'absurde, naît la Commune ; nous verrons bientôt quel est l'acte suprême de son existence. On ne fut pas long du reste à s'apercevoir que cette résolution de mourir au seuil même de Paris pour empêcher l'ennemi d'y pénétrer n'était qu'une facétie révolutionnaire. Lorsque les Allemands vinrent camper pendant vingt-quatre heures dans une partie du VIIIe arrondissement, on dut, afin d'éviter toute chance de collision, entourer d'un cordon de troupes les quartiers dont la convention militaire leur interdisait l'accès. L'armée régulière, très diminuée, ne pouvait former qu'un rideau qu'il était indispensable de faire doubler par une ligne de gardes nationaux. On était perplexe ; la garde nationale était décidée, on l'a vu, à se jeter à coups de baïonnette sur es Prussiens. On redoutait les événements les plus graves et on ne savait trop comment parer aux éventualités que l'on prévoyait ; une lutte entre l'armée allemande et l'armée parisienne eût entraîné la ruine de Paris ; les forts étaient entre les mains de l'ennemi, la ville eût été pulvérisée.

Le général Vinoy a pris la commission d'enquête pour confidente de ses inquiétudes et il lui a raconté comment il s'était tiré de ce pas difficile : Je fis appel à la garde nationale. Elle ne voulait pas marcher, ce qui me dérangeait beaucoup. Un colonel dit alors : Pour engager les gardes nationaux à se charger de ce service, il faudrait leur payer double journée. Je répondis : Mon Dieu ! si cela peut les décider, va pour la double journée. Je signai l'ordre. Nous avons trouvé ainsi à peu près trois cents gardes nationaux qui sont venus former la haie sur le boulevard Malesherbes moyennant une pièce de trois francs par jour. Plus tard d'autres sont venus, et un moment est arrivé où j'en avais plus que je n'en voulais[22]. Un patriotisme qui ne tient pas devant un petit écu aurait dû éclairer les hommes du gouvernement et leur apprendre que l'insurrection n'était pas à combattre, mais à acheter.

Aussitôt que les troupes françaises, poussées en hâte sur Versailles, ont abandonné Paris à la révolte, celle-ci se tourne du côté des Allemands et leur fait toute sorte de protestations. Grêlier, délégué du Comité central au ministère de l'intérieur, déclare que le nouveau gouvernement de Paris n'a pas à se mêler des conditions de la paix, et le délégué aux relations extérieures s'empresse de notifier que l'on fait la guerre à Versailles et non point à l'Allemagne. En arriver là un mois à peine après le serment du 24 février, c'est assez misérable ; mais la Commune ne devait pas s'arrêter de sitôt ; elle a bu sa honte jusqu'à la nausée. L'Allemagne n'avait qu'un signe à faire, elle était obéie, et le ministre des États-Unis, M. Washburn, qui la représentait diplomatiquement depuis le mois de juillet 1870, n'eut jamais à insister pour obtenir de n'importe qui, — Rigault, Cournet, Ferré, Protot, — la mise en liberté des prisonniers qu'il réclamait au nom de leur nationalité allemande, lorraine, alsacienne plus ou moins prouvée. On ne s'en tint pas là : des religieuses hollandaises incarcérées à Saint-Lazare furent relâchées parce qu'elles se donnèrent pour Allemandes. A cet égard, on n'a aucun reproche à adresser aux hommes de la Commune ; ils respectèrent le droit des gens représenté par l'Allemagne, campée à Saint-Denis et installée dans les forts du Nord.

Ces forts du Nord tourmentaient la Commune, qui eût bien voulu s'en emparer en payant, de notre poche, l'indemnité stipulée. Paschal Grousset essaya d'entamer à ce sujet une négociation à laquelle on ne répondit même pas[23]. En séance à l'Hôtel de Ville on s'en occupa ; on adressa de nouvelles offres à l'Allemagne, qui fit la sourde oreille, heureusement pour la Banque de France, sur laquelle on se fût empressé de lever une contribution de 500 millions. La Commune put voir par elle-même que les Allemands n'étaient pas disposés à lui témoigner grande bienveillance. Vers le 20 avril, le bruit se répandit que M. Thiers, acquittant une partie de l'indemnité de guerre, allait être mis en possession des forts du Nord et du château de Vincennes. Cette rumeur s'accentua et troubla la Commune, qui ordonna au commandant de Vincennes d'armer ses remparts de façon à résister aux troupes françaises, si elles se présentaient pour prendre garnison. Dans la journée du 22, quelques pièces d'artillerie furent hissées et mises en batterie dans les embrasures. Le 23, un officier, envoyé par le commandant en chef de l'armée allemande, faisait sonner en parlementaire à la porte de Charenton et signifiait aux membres de la Commune qu'ils eussent à respecter la convention du 28 janvier. On ne se le fit pas dire deux fois : le soir même, les bastions de Vincennes étaient désarmés, les canons étaient rentrés au magasin, et le Journal officiel insérait le 24 une note pour annoncer que le délégué à la guerre avait fait droit, aux réclamations de l'Allemagne.

Ce sont là des faits de guerre, des malentendus, si l'on veut, qui n'ont pas d'importance et qui démontrent seulement la platitude de la Commune vis-à-vis de ces mêmes troupes allemandes que l'on devait exterminer, si elles osaient se montrer dans Paris. J'ai déjà raconté qu'Arnold, membre de la Commune, avait, dans la journée du 27 mai, vainement tenté d'obtenir le passage des insurgés à travers les lignes bavaroises massées entre Pantin et Aubervilliers ; il nous sera un exemple du patriotisme dont ces révolutionnaires sans patrie étaient animés. Arnold avait fait partie de la classe des conscrits de 1857 ; il avait été exempté pour cause de myopie ; le 3 septembre 1870, — la date est précieuse, — il fit renouveler son exemption et se trouva ainsi débarrassé des obligations du service de guerre qui incombait aux hommes de trente à quarante ans. Aussitôt après le 4 septembre, il entre dans la garde nationale et est nommé sergent-major au 64e bataillon. Ce myope, qui n'y voyait pas assez pour marcher à l'ennemi, n'eut pas besoin de lunettes pour combattre ses compatriotes. Il se conduisit bien au fort d'Issy et n'abandonna la lutte dans les rues de Paris qu'à la dernière extrémité. Se souvient-on que pendant la guerre Raoul Rigault se vantait d'être un artilleur en chambre ?

Plus d'un membre de la Commune regarda du côté des troupes allemandes lorsque la prise du fort d'Issy annonça la débâcle. On ignore ce qu'ils ont pu dire entre eux et quelles résolutions ils ont prises dans leurs conciliabules secrets ; mais l'un d'eux avait formulé ses idées par écrit : c'est Rastoul, nature méridionale très ardente, tout extérieure et sans méchanceté. Quoiqu'il fût assidu aux séances de l'Hôtel de Ville, son action ne fut jamais prépondérante pour les actes coupables, et vers la fin il conçut un projet qui ne manquait pas de grandeur. A son domicile du boulevard Magenta, on découvrit le brouillon d'un discours qu'il comptait adresser, — qu'il adressa peut-être, — aux citoyens membres du Comité de salut public et aux citoyens membres de la Commune. C'est écrit lestement, sans trop de ratures ; on y sent l'œuvre d'un homme convaincu. La date a son importance, 22 mai ; l'heure de la défaite va sonner ; Rastoul la prédit à coup sûr, et, entraîné par un mouvement d'humanité, voudrait y soustraire l'armée de l'insurrection : ... J'ai acquis la triste conviction que la partie est perdue pour nous... notre devoir impérieux est d'empêcher de verser inutilement le sang de nos concitoyens. Il demande que l'on réunisse en assemblée générale, en congrès souverain, les membres du Comité central, les membres de la Commune, et qu'on leur fasse adopter la proposition suivante : La Commune de Paris et le Comité central se reconnaissant vaincus viennent offrir au gouvernement de Versailles leurs têtes, à la condition qu'il ne sera fait aucune poursuite, qu'il ne sera exercé aucunes représailles contre l'héroïque garde nationale. Si cette proposition est acceptée, le sang cesse de couler à l'instant et nous sauvons la vie de plusieurs milliers de nos frères.

Rastoul avait raison : si sa proposition avait pu éveiller quelques bons sentiments dans l'âme des hommes dont il invoquait le sacrifice, la guerre était finie ; six mille cadavres n'ensanglantaient pas nos rues, les pontons restaient vides et nul poteau n'eût été dressé à Satory. C'était trop demander à ceux qui vers la fin se battaient moins pour conserver leur proie que pour la détruire. Rastoul devine cela ; il comprend que son projet sera repoussé par ces révolutionnaires auxquels l'abnégation est inconnue, et, comme pour se faire pardonner la hauteur délicate de sa conception, il ajouté : Dans le cas où ma proposition ne serait pas acceptée par vous, voici un second moyen que je vous propose. Si vous jugez, la situation perdue, rassemblez le plus de gardés nationaux que vous pourrez en faisant battre la générale dans tous les quartiers. Faites rassembler tous les bataillons en armes sur les hauteurs de Belleville et de Ménilmontant par exemple, et là, les bataillons massés avec armes et bagages, tous les membres de la Commune revêtus de leurs insignes, nous irons tous nous mettre sous la protection des Prussiens en leur demandant les moyens de nous transporter en Amérique[24]. Il m'a été impossible de savoir si ces deux projets avaient été discutés. Un homme qui n'a point quitté les débris de la Commune, qui les a suivis jusque dans la soirée du 27 mai, m'a dit : On a fait pendant les derniers jours tant de propositions extravagantes, il y avait partout une telle confusion et une telle manie de délibération, que je ne me rappelle plus rien de précis ; c'était comme dans une maison de fous où tout le monde aurait parlé en même temps[25].

Si Rastoul a pu se faire entendre, s'il est parvenu à expliquer ses projets, le second seul a eu quelque chance de n'être pas rejeté ; se rendre aux assassins de Versailles eût paru une profanation à ces incendiaires, et mille fois ils eussent préféré devoir leur salut à l'intervention de l'Allemagne, intervention qu'ils espéraient et qu'ils ont sollicitée. Si une tentative collective a été faite[26], nous l'ignorons, mais nous savons que, de Saint-Denis à Montreuil, les soldats prussiens et bavarois étaient sous les armes, prêts à repousser une émigration en masse des fédérés. Ceux qui dans la journée du 27 essayèrent de forcer les lignes entre Aubervilliers et Pantin n'eurent point à se louer de l'accueil qu'ils reçurent. Les insurgés qui purent, en se dissimulant et se cachant, tromper la surveillance des vedettes allemandes, furent rares ; presque tous furent arrêtés, et remis aux mains des autorités françaises ; la Commune devait expirer là où elle avait pris naissance, là où elle avait régné et terrorisé, à Paris. Le dimanche 28 mai tout était terminé ; la pauvre ville, blessée, saignante, humiliée, à demi brûlée, s'écroulant sur elle-même, ressemblait à un damné qui s'est échappé de l'enfer.

Toutes les barricades avaient été enlevées les unes après les autres, toutes les défenses intérieures que la révolte avait dressées contre la légalité étaient tombées. Était-ce bien la fin cette fois ? Non, car le fort de Vincennes, occupé par l'insurrection, n'avait pas encore ouvert ses portes ; il tenait toujours, faisait mine de résister, de résister à la France, mais non pas à l'Allemagne, à laquelle il s'offrit et qui n'en voulut pas. Cette honte ne nous fut pas épargnée, nous la devons, — et bien d'autres, — à la Commune. Le commandant du château de Vincennes était un Lorrain, né à Nancy en 1815, et qui s'appelait Nicolas-Dominique Faltot ; il avait pris possession du fort, le 24 mars, au nom de l'insurrection, et avec le titre de gouverneur. Pendant la guerre, il avait commandé le 82e bataillon de la garde nationale, et s'était si bien conduit à l'affaire de Buzenval qu'il avait été décoré. Loin d'exercer des vexations sur les habitants de Vincennes, il en protégea plusieurs ; il paraissait de tempérament paisible, aimait à jouer au militaire et se plaisait à s'entendre appeler : citoyen gouverneur, ce qui est inoffensif. Tant que dura la Commune, il resta au fort et ne prit part à aucune action. Le 25 mai, les troupes allemandes, voulant garantir la zone neutre contre toute possibilité de combat, occupèrent la ville de Vincennes. Le lendemain 26, un officier de la garde nationale régulière, M. Pavillon, envoyé par le colonel Montels, entra en pourparlers avec Faltot et lui demanda de remettre le fort aux troupes françaises ; Faltot discuta, parut tenir à faire une sorte de traité de capitulation et demanda des conditions écrites, qui lui furent refusées.

Que se passa-t-il alors ? Il est difficile de le savoir d'une façon précise. Un certain Merlet, chargé du service du génie, aurait tout préparé pour faire sauter le fort : tonneaux de poudre placés dans les souterrains, reliés entre eux par des fils électriques. Les fils auraient été coupés par un portier-consigne, et le château aurait ainsi échappé à une destruction certaine. Le seul fait que je puisse affirmer, c'est que Merlet fut arrêté par des employés réguliers du fort, enfermé, et qu'il se brûla la cervelle. Le 28 mai, dans la soirée, Faltot, sommé une dernière fois de se rendre, apprit que l'armée de réserve commandée par le général Vinoy allait remplacer les troupes allemandes dans la ville de Vincennes et commencer l'attaque. Il réunit alors ses officiers en conseil de guerre ; de la délibération sortit la lettre que voici. Faltot l'a peut-être dictée', mais à coup sûr il ne l'a pas écrite, car il ne manquait pas de correction grammaticale et jamais il n'eût commis les fautes d'orthographe que le lecteur va pouvoir apprécier.

République française. Liberté, égalité, fraternité. Place de Vincennes. Fort de Vincennes, le 28 mai 1871. — En présence de sommations qui lui sont faites par des soi-disant officiers de l'armée de Versailles, lesquelles lui ont refusés de montrer toust pouvoirs ; étant à bout de nourriture est privés de toutes soldes qui permette aux gardes qui sonst en ce moment au fort de Vincennes, solde servant à nourrir leurs familles, le colonel commandant soussigné après s'en être entendu avec les officiers de la garnison qui sonst toust de Vincennes et des environ a déclaré remettre entre les mains des officiers dûment autorisés de S. M. I. R. allemande le dit forts dans les condition d'armement et de matériel où il se trouve actuellement sous la réserve qu'il sera distribué aux officiers qui en feront la demande des passeports pour se rendre hors de France, sous La garantie de la dite Majesté, que la garnison sortira en arme et que nul citoyen de Vincennes ne sera inquiété pour avoir pris la défense du fort. Quanst au colonel soussigné, il reste prisonnier de sa majesté allemande à qui il confie sa famille et sa vie. — Après lecture du présent, les soussignés tous les officiers de la garnison de Vincennes déclarent qu'ils demandent que le colonel Faltot jouisses des mêmes avantages que ceux qui sont mentionnés ci-dessus est d'autres parst. Douze signatures d'officiers précèdent la dernière : Le colonel commandant le fort, FALTOT.

 

C'est ainsi que devaient finir les hommes de la fédération, de la guerre à outrance et des sorties torrentielles : à plat ventre devant l'ennemi.

Tel est le dernier acte, le testament de la Commune ; il la complète et lui donne sa vraie physionomie. Traître au pays jusqu'à la minute où elle expire, elle préfère tout à la France dont elle n'a pu réussir à s'emparer. Les Allemands rejetèrent sans même y répondre la proposition du citoyen gouverneur. Dans la matinée du lundi 29 mai, le lieutenant-colonel Montels, à la tête de quelques hommes, fit mine d'attaquer le fort, dont les portes semblèrent s'ouvrir d'elles-mêmes. Pendant. que Faltot essayait d'introduire les Prussiens dans une place qu'ils n'avaient aucun droit d'occuper, et donnait ainsi la mesure du patriotisme de la Commune, les chefs de l'insurrection, loin de suivre les conseils de Rastoul, abandonnaient leurs soldats et fuyaient pour se soustraire aux arrêts de la justice. Parmi les membres de la Commune, bien peu eurent à s'asseoir sur la sellette des conseils de guerre ; la plupart ont pu se réfugier à l'étranger, y porter leur rancune et y formuler des projets de revanche. Les programmes qu'ils ont délibérés nous prouveront bientôt que ni la défaite, ni le châtiment, ni l'indulgence, ni la faiblesse ne sont parvenus à modifier ces hommes, qui resteront des révoltés tant qu'ils ne seront pas les maîtres.

 

 

 



[1] La contenance des touries employées dans le commerce varie entre 60 et 70 litres.

[2] Procès des membres de la Commune ; débats contradictoires, 3e conseil de guerre, audience du 12 août 1871.

[3] Voir l'Enquête parlementaire sur l'insurrection du 18 mars, tome I, Rapports. Annexes au rapport de M. de La Rochethulon : II. Lettre de M. Borme, page 424.

[4] Enquête sur le 18 mars. Dépositions des témoins, p. 249.

[5] Il est bien peu probable que ce soit Victor Clément, qui, délégué à la mairie du XVe arrondissement, fut toujours considéré par ses administrés comme un protecteur contre les violences de la Commune. Son intégrité et sa modération restent à l'abri du reproche.

[6] Assi a d'abord écrit 6 mars, puis il s'est aperçu de son erreur a biffé mars et l'a remplacé par mai.

[7] Voir la Nation du 7 mai 1877.

[8] Un témoin déposant devant la commission d'enquête sur le 18 mars a dit : Il a été question des incendies la 20 mai, dans une réunion que la Commune a tenue à dix heures du soir. Déposition Barral de Montaud.

[9] Procès Giffault ; débats contradictoires, 8e conseil de guerre, 3 février 1872. — Procès Etienne ; débats contradictoires, 6e conseil de guerre, 7 septembre 1872.

[10] Procès Marigot ; débats contradictoires, 19 octobre 1871.

[11] Procès Lisbonne ; débats contradictoires, 6e conseil de guerre, juin 1872.

[12] Cité par M. Jules Simon, Gouvernement de M. Thiers, t. I, p. 445-446.

[13] David (Adrien-François), contremaître charpentier, conseiller municipal au XIe arrondissement.

[14] Ils (les chefs de l'Internationale) ont fait tout ce qu'ils ont pu pour empêcher les ouvriers de marcher, leur disant de se réserver pour les Prussiens de Paris. Quand vous irez vous faire tuer, disaient-ils, à quoi ça avancera-t-il ? Il faut vous réserver pour les Prussiens de l'intérieur. Enquête sur le 18 mars, déposition des témoins ; dép. Héligon.

[15] Procès Quélin ; débats contradictoires, 10e conseil de guerre, 11 mai 1872.

[16] Rossel, Papiers posthumes, p. 181.

[17] Procès Clovis Dupont ; débats contradictoires, 6e conseil de guerre, 31 juillet 1875.

[18] Il y eut deux incendies bien distincts au ministère des finances, l'un produit le lundi 22, par un obus venu des batteries françaises : il fut éteint par les pompiers et par les fédérés ; l'autre allumé le mardi 23 intentionnellement, après que dos touries de pétrole avaient été versées dans les appartements. Les communards ont toujours volontairement confondu ces deux incendies et rejettent sur l'armée française la responsabilité de la destruction du ministère, qui leur incombe absolument.

[19] Procès Girardot ; débats contradictoires, 9e conseil de guerre, 24 avril 1872.

[20] Ils (un régiment de garde nationale, affaire de Buzenval) sont restés dans le parc de Bois-Préau à faire la soupe, ils l'ont même faite deux fois. Le colonel de Miribiel les envoya chercher par son aide de camp ; ils ont trouvé je ne sais quel prétexte et ne sont point venus. Le soir ils sont rentrés à Paris, et ce régiment, dont je viens de citer les exploits, a reçu à son retour huit croix, huit médailles et six citations. (Déposition du général Ducrot devant la Commission d'enquête parlementaire sur le 18 mars.

[21] D'après la suite du récit, qui est un peu confus, cet illuminé, qui avait fusillé tant de monde, n'aurait, en réalité, tué personne.

[22] Rapport de la Commission d'enquête parlementaire sur le 18 mars ; dépositions des témoins ; déposition du général Vinoy.

[23] La Gazette de Francfort a publié le 12 avril 1871 une correspondance de Munich, dans laquelle on prétend que la Commune a offert deux millions au général von der Thann pour obtenir de lui la remise du fort de Charenton. C'est là, je crois, un bruit calomnieux, que l'histoire, fera bien de ne pas accueillir. La question des forts préoccupa les gens de la Commune jusqu'à la fin. Le 22 mai 1871, nos troupes étant déjà dans Paris, Alexandre Lambert, chef de la division de la presse au ministère de l'intérieur, écrit à Lefebvre-Roncier, chef d'état-major de Delescluze, pour lui annoncer que les troupes allemandes cantonnées à Dammartin ont reçu l'ordre de se diriger vers Metz ; il ajoute en terminant : Que devient la question des forts ? Renseignez-vous.

[24] Voir Pièces justificatives, n° 8.

[25] Dans le procès Arnold (débats contradictoires, 3e conseil de guerre, 12 janvier 1872) il est dit : Les 24 et 25 mai, Arnold, muni des pleins pouvoirs des membres de la Commune encore présents et réunis à la mairie du XIe arrondissement, pendant que l'Hôtel de Ville était en flammes, a tenté auprès de l'état-major prussien, à Vincennes, une démarche presque dérisoire pour arrêter la lutte.

[26] D'après Malon, cette proposition aurait été faite par Rastoul aux membres de la Commune, réunis le 24 mai, à la mairie du XIe arrondissement. Voir La troisième défaite du prolétariat français, p. 454.