LES CONVULSIONS DE PARIS

TOME QUATRIÈME. — LA COMMUNE À L'HÔTEL-DE-VILLE

 

CHAPITRE PREMIER. — LES LÉGISLATEURS.

 

 

I. — LA PRISE DE POSSESSION.

L'insurrection du 18 mars n'eut rien de spontané. — Noblesse oblige. — Motifs qui ont fait agir M. Thiers. — Son illusion. — Un mot du comte de Fersen. — Le Comité de vigilance du XVIIIe arrondissement. — Doubles mots d'ordre. — Intervention du Comité central. — Les chefs de légion. — Lettre de Varlin. — 1418. — Solution de la question sociale. — Opinion de Cremer. — Lucien Combatz annonce que le roi est à Versailles. — Largesse au peuple. — La fortune de l'Assistance publique. — Les bons de réquisition. — Garibaldi. — Émissaires secrets envoyés à Versailles. — Jourde. — Le Comité organise son armée. — Rossel. — Don de joyeux avènement. — Le mot de la fin prononcé par Assi.

 

La tentative que fit le gouvernement pour réintégrer dans les arsenaux de l'État les canons enlevés aux parcs d'artillerie de l'armée et hissés jusque sur les hauteurs de Montmartre fut le prétexte et non point le motif de l'insurrection de 1871 ; car celle-ci était depuis longtemps décidée en principe. On l'avait préparée pendant la période d'investissement ; on avait des armes et des munitions en abondance, qui paraissent cependant n'avoir pas suffi aux prévisions révolutionnaires, car la fabrication des bombes à main ne chôma pas, ainsi que l'on peut s'en convaincre en lisant les récits des témoins déposant devant la Commission d'enquête parlementaire sur la journée du 18 mars. Au lendemain de l'armistice, tandis que sous le poids de nos défaites chacun de nous luttait contre son accablement, haussait son cœur et reprenait son outil pour donner au pays tout ce que l'on gardait encore d'énergie, de bon vouloir et d'intelligence, les futurs membres de la Commune et les fédérés de la révolte s'assemblaient en conciliabules, échangeaient des mots de passe, regardaient avec joie l'armée se dissoudre, et visaient droit au cœur de la civilisation.

L'idée de se séparer de la France, de lui arracher sa capitale pour en faire le centre d'une jacquerie nouvelle, les domine et les obsède. Le 3 mars, au comité de la Corderie, on mit à l'étude un projet qui bientôt allait cesser d'être théorique : Dans le cas où, comme certains bruits tendent à le faire croire, le siège du gouvernement viendrait à être transporté ailleurs qu'à Paris, la ville de Paris devra immédiatement se constituer en république indépendante. Ceci se passait au lendemain de l'entrée des Allemands dans Paris, et cette entrée, on s'en souvient, avait servi de prétexte à la fédération d'une partie de la garde nationale sous des chefs désignés par elle, au mépris des élections précédentes et de l'autorité des officiers réguliers auxquels elle n'obéissait plus. Tous les bataillons réunis sous prétexte de s'opposer à l'entrée des Prussiens dans le quartier des Champs-Elysées ne s'opposèrent à rien, ainsi que je l'ai déjà raconté, mais restèrent debout et prêts, dans l'espoir qu'une éventualité favorable leur permettrait de s'emparer du pouvoir, qu'ils avaient vainement attaqué le 31 octobre 1870 et le 22 janvier 1871. On prenait ses précautions afin de profiter de toute occurrence ; quelques conspirateurs plus hardis ou plus ambitieux que les autres se dévoilaient et jouissaient d'une impunité qui servait d'encouragement aux plus timides. Le 9 mars, le XIIIe arrondissement établit un secteur révolutionnaire en face du neuvième secteur régulier et lui donne pour chef Emile Duval, dont le père avait été, en juin 1848, l'un des assassins du général de Bréa : noblesse oblige.

M. Thiers, contre l'avis des officiers généraux, contre l'opinion du chef de la police municipale consulté, se décida à brusquer l'aventure en se jetant inopinément sur Montmartre et sur Belleville. Si c'était trop tôt ou trop tard, je l'ignore ; mais ce fut inopportun, car l'on échoua. Le mobile qui a déterminé la résolution de M. Thiers a de la valeur et doit être expliqué. Aux Observations qui lui furent adressées, il répondit en substance : Nos troupes sont insuffisantes, démoralisées, sans cohésion et sans discipline, je le sais ; c'est pourquoi il faut user de surprise. Si nous sommes repoussés, si les canons restent aux mains de l'émeute, si même nous sommes forcés d'évacuer Paris, ce sera un malheur, auquel il nous sera facile de remédier, car en somme nous aurons été vaincus parce que nous n'avons pas de troupes. Faut-il pour attaquer la révolte attendre que nos soldats prisonniers en Allemagne soient revenus et que j'aie pu reconstituer une armée ? Cela est bien tentant, j'en conviens ; mais cela offre un danger redoutable auquel je ne veux pas exposer le pays. En effet, si l'armée à peu près refaite est battue par les insurgés, tout est à craindre, et l'état de choses que nous allons essayer de créer s'écroule avant même d'avoir reçu un commencement d'existence. En un mot, si nous sommes vaincus avec nos troupes actuelles, c'est une partie à recommencer et à gagner ; en admettant, au pis aller, que nous perdions Paris, nous serons quittes pour le reprendre ; mais si nous ne réussissons pas à briser toute résistance avec une armée réorganisée, c'en est fait de nous : ce n'est pas Paris seulement qui serait aux mains de la révolution, c'est la France entière, et c'est là un coup de dés que je ne dois pas jouer.

Ces raisons qui méritaient de n'être point dédaignées, M. Thiers les corroborait par une croyance qui n'était qu'une illusion. Il était persuadé que la fraction saine de la population se lèverait pour l'appuyer. L'expérience d'une longue carrière et de la pratique des hommes le servit mal en cette circonstance. Lui qui connaissait si bien l'histoire de la Révolution française, qui avait eu à sa disposition les archives de tous les pays, il aurait pu se rappeler ce que le comte de Fersen écrivait au roi Gustave III, à la date du 13 juin 1792 : Les bourgeois et la partie de la garde nationale qui voudraient s'opposer aux projets révolutionnaires n'ont plus de chefs ni de point de ralliement, et ils prendront le parti qu'ils ont pris jusqu'à présent, de gémir, de crier, de se désespérer et de laisser faire. En 1871 comme en 1792, on laissa faire, et le résultat fut le même : nos pères ont eu la Terreur, et nous avons eu la Commune.

Au 18 mars, le Comité central de la fédération de la garde nationale fut surpris de l'attaque, qui avait été rapidement menée et à laquelle il ne s'attendait pas. Si l'on avait pu tenir bon, la révolte était écrasée dans l'œuf ; mais l'armée paraît avoir été mal engagée ; elle se désagrégea, comme l'on sait, et se perdit au milieu d'une population qui, sous prétexte de fraterniser, la désarma. La résistance locale de Montmartre fut dirigée par le Comité de vigilance du XVIIIe arrondissement, établi à la chaussée de Clignancourt et dont faisait partie Théophile Ferré, qui ne consentit jamais qu'on relâchât les gendarmes prisonniers. Les hommes du Comité central ont proclamé bien haut qu'ils se lavaient les mains du sang des généraux assassinés et que pendant tout ce jour ils n'avaient pas pris une seule disposition militaire. C'est là une protestation discutable. D'abord on avait adopté depuis une semaine environ une mesure générale qui ne nuisit pas au succès de la journée : le Comité central donnait à ses bataillons fédérés un mot d'ordre et un mot de ralliement qui n'étaient point ceux que distribuait l'autorité compétente ; ainsi, le 18 mars, les mots de la place étaient Bosquet, Bayonne ; ceux du Comité central étaient Masséna, Marseille. Aussitôt que le Comité se fut réuni rue Basfroi, il expédia des ordres dont quelques-uns, retrouvés aujourd'hui, sont des pièces historiques intéressantes à citer. Voici celui qui institue Varlin commandant en chef du XVIIe arrondissement : 18 mars 1871. Pouvoir est donné au citoyen Varlin, porteur du présent, de faire ce qu'il jugera convenable dans le XVIIe arrondissement, de concert avec les autres quartiers de Paris. — Les membres du Comité : J. Grolard, Blanchet, Fabre, Rousseau[1]. En voici un autre : 18 mars 1871, deux heures et demie. Ordre est donné aux bataillons disponibles du XVIIIe arrondissement de descendre immédiatement sur Paris et de s'emparer de la place Vendôme de concert avec les bataillons disponibles du XVIIe arrondissement. Par délégation du Comité, Grolard, Fabre, N. Rousseau.

Le Comité central ne manquait pas de généraux improvisés par lui en prévision de la lutte qui devait suivre le mouvement de révolte provoqué et entretenu depuis l'armistice, car le 15 mars il avait désigné en qualité de chefs de légion Faltot dans le quinzième arrondissement, Eudes dans le vingtième, Duval dans le treizième, Lucien Henry dans le quatorzième. Ces futurs héros de la Commune ne faillirent point à leur mission, et ils occupèrent tous les points que les débris de l'armée française avaient abandonnés sans combattre. Le Comité central, vainqueur sans le savoir, était déjà maître de Paris qu'il ne s'en doutait pas encore. Cela paraît ressortir de la lettre suivante que Varlin, — qui dans cette journée déploya beaucoup d'activité, — écrivit à Arnold : 18 mars 1871, onze heures du soir. Citoyen Arnold, j'arrive du Comité central. Le mouvement général se continue à notre avantage, mais nous n'avons pas encore réussi partout. Faltot avec les hommes du dix-huitième occupe le Luxembourg. On dit, mais ce n'est pas sûr du tout, que nous occupons le Palais de Justice. L'Hôtel de Ville n'est pas encore pris, ni la caserne Napoléon ; ces deux monuments sont pleins de troupes, gardées elles-mêmes par des gendarmes et des sergents de ville. Il y a eu déjà quelques hommes tués, mais actuellement des forces considérables sont dirigées sur ce point, sous le commandement de Lullier. Au moment où j'écris, on nous apprend que l'Hôtel de Ville serait occupé et que les gendarmes du Louvre seraient en train de déménager. Mais on nous signale en même temps de grands mouvements de troupes au Champ de Mars et aux Invalides. Veillez ! veillez ! Ça va bien, mais il faut se défier d'un retour offensif. Les mouvements de troupes dont parlait Varlin étaient réels ; ils indiquaient que l'armée entière se mettait en retraite sur. Versailles, où le chef du pouvoir exécutif l'avait précédée et l'appelait.

Le souci le plus pressé des nouveaux maîtres de Paris fut de s'installer à l'Hôtel de Ville, clans le vieux palais municipal qui, lors des jours d'émeute, donne la victoire au premier occupant et dont, si souvent déjà, les ordres ont été servilement obéis par la France. Cette fois du moins, entre la France et Paris, il y eut Versailles, où l'Assemblée nationale venait de se réunir. C'est là une des crises les plus périlleuses que notre pays ait traversées ; pour en retrouver l'analogue, il faut remonter très haut dans l'histoire, jusqu'en 1418, à ce moment où la lutte d'Armagnac et de Bourgogne atteint son plus violent degré d'acuité, où Capeluche, le bourreau de Paris, mène les truands à l'assaut des prisons, où les Anglais battent l'estrade aux portes de la ville, où la reine Isabeau se travestit en Messaline, où le roi de France est fou. Grâce à Versailles, où s'était refugiée toute légalité, la crise fut courte, — quoiqu'elle nous ait paru bien longue, — elle fut violente, mais elle fut surtout honteuse pour ceux qui en profitèrent pendant deux mois et ne surent même pas en tirer parti. Tous les prétextes invoqués furent menteurs ; sauf un nombre singulièrement restreint d'hommes égarés, les vainqueurs ne se mirent en frais d'imagination que pour prendre le vin, pour prendre les filles, pour boire, pour manger, pour s'amuser tout leur soûl ; un d'eux, plus franc que les autres, l'a dit : pour faire la noce.

Leur victoire n'était qu'un coup de main dû à un concours de circonstances, de désastres, vraiment extraordinaire ; ils le sentaient et, malgré qu'ils en eussent, ils en étaient troublés ; mais, comme l'on dit en langage révolutionnaire, le peuple avait l'œil sur eux. Le massacre de deux généraux, l'incarcération de deux autres avaient pu le distraire momentanément, mais en réalité ne constituaient pas le bonheur qu'on lui avait promis, qu'on lui promettait, et dont les tyrans de la bourgeoisie, du cléricalisme et du capital l'avaient seuls jusqu'à présent empêché de jouir. Le peuple était en droit de dire à ces chefs ignorés de tous et peut-être de lui-même : Nous vous avons suivis jusqu'où vous avez voulu, jusqu'à l'insurrection, jusqu'au crime, jusqu'à la trahison devant l'ennemi ; vous nous avez dit que vous possédiez la poudre de projection qui transmue les métaux en or, que seuls vous pouviez résoudre la question sociale, dont on parle sans cesse et à laquelle nous ne comprenons rien ; Paris est à nous, et à vous, faites-en la cité modèle ; demain au réveil il faut que nous soyons heureux. Or quelque ignorants qu'ils aient été, les hommes du Comité central savaient bien que la question sociale restera insoluble tant que l'État ne sera pas en mesure de donner 25.000 livres de rente à ceux qui les désirent et ne font rien pour les gagner. C'est pourquoi, afin de faire patienter une population qui pouvait devenir impatiente, on entama des négociations avec les maires. De cette façon le temps s'écoula et les hostilités commencèrent. La fédération fut envoyée contre l'Assemblée nationale, et elle reçut des paquets de mitraille au lieu de la félicité que ses maîtres lui avaient annoncée.

Les préparatifs d'attaque contre Versailles, l'action diplomatique avec les maires de Paris, laissaient quelques loisirs aux membres du Comité central, qui en profitaient pour faire des proclamations et des lois. Cela inspirait alors une douce gaieté aux Parisiens, qui dans l'intrusion de ce gouvernement ne voyaient encore qu'une énorme explosion de ridicule. Cremer a reproduit l'impression générale, lorsqu'il a dit : Qui connaissait ces noms à Paris ? Cela n'avait pas de consistance et ne pouvait en avoir ; il suffisait qu'ils se montrassent pour que tout le monde en rît. Comment ne pas rire en effet, malgré le dégoût dont on était écœuré, lorsqu'on lisait sur les affiches : La journée du 18 mars... sera appelée dans l'histoire : la journée de la justice du peuple ! Dès la première heure, on ment ; on sait que la population parisienne est crédule entre toutes, qu'elle a une faculté d'invention prodigieuse, qu'elle ne se refuse à aucune fable et qu'elle adopte toutes les erreurs sans discussion. Un membre du Comité central, Lucien Combatz, nommé directeur général des lignes télégraphiques, lance une proclamation dans laquelle il déclare que les communications avec la province sont rompues : On veut nous tromper. Les employés sont avec le roi. Nous signalons au peuple de Paris ce procédé criminel. C'est une nouvelle pièce à charge dans ce grand procès entre peuples et rois. Ce mensonge va se perpétuer, se reproduire sous toutes les formes, se répéter jusqu'à faire illusion à ceux-là mêmes qui l'ont inventé et.qui savaient bien qu'il n'y avait ni rois ni peuples en présence, mais seulement la République et la Commune.

Celle-ci pourtant n'avait point encore légalement pris naissance ; en attendant que des élections l'eussent mise au monde, le Comité central gouvernait, et son premier soin fut de faire quelques largesses à la population ; ce César à quarante tètes jetait des sesterces à son peuple : Il sera distribué aux vingt arrondissements la somme d'un million résultant de l'économie réalisée par notre présence au pouvoir. Cette modestie honore le Comité central, qui, avant de s'effacer officiellement devant la Commune et de conserver secrètement le pouvoir, légiférait ou du moins y faisait effort. Du 19 au 28 mars il tient à l'Hôtel de Ville onze séances, dont les procès-verbaux n'ont point été perdus. C'est Assi qui préside. On lève l'état de siège et on abolit les conseils de guerre ; c'est là en quelque sorte du platonisme, car l'état de siège va être remplacé par l'enrôlement forcé, par les perquisitions à domicile, les arrestations arbitraires, les confiscations ; aux conseils de guerre on va substituer la cour martiale. La question qui préoccupe le Comité n'est point philosophique, elle est d'ordre matériel. C'est la question d'argent. Le item faut vivre s'impose ; sauf quelques sommes peu importantes, oubliées dans les caisses ministérielles ou municipales, tous les fonds avaient reflué sur Versailles ; on se trouvait dénué en présence d'une population qui ne gagnait rien et de trois cent mille fédérés qu'il fallait nourrir.

Le Comité n'aurait eu qu'à étendre la main pour s'emparer d'une fortune : une des annexes de l'Hôtel de Ville, celle où résidait, où réside encore l'Assistance publique, contenait trois millions en numéraire et 75 millions en titres nominatifs. C'était là un budget tout trouvé que l'on se fût volontiers approprié par voie d'emprunt, si l'on en eût connu l'existence. Lorsque l'on y pensa, il était trop tard ; un employé très intelligent avait, au péril de sa liberté, sauvé le patrimoine des indigents de Paris, et avait réussi à le transporter hors et loin de la ville insurgée. Dès la première séance, 19 mars, on décide d'avoir recours à la Banque de France et de lui demander les sommes indispensables aux exigences quotidiennes. Ce qui en résulta, nous l'avons raconté[2] ; mais ce que l'on peut arracher à la Banque ne suffira pas ; Rousseau propose (21 mars) de frapper un impôt proportionnel sur la caisse des chemins de fer ; Grolard et Blanchet demandent que l'on confisque et que l'on vende au profit de la Commune les biens des députés et des sénateurs qui ont voté la guerre. Dans cette même séance, Varlin, désirant épargner les finances du Comité, propose de mettre à la disposition des chefs de poste des bons de réquisition. De là va naître un abus tellement scandaleux, que Varlin lui-même se verra forcé plus tard de le combattre, sans parvenir à le diminuer

La question financière n'occupait pas tellement les membres du Comité central qu'ils ne trouvassent le temps de prendre d'autres déterminations. Le 21 mars, Chouteau, appuyé par Blanchet, fait nommer Menotti Garibaldi gouverneur des forces militaires de Paris. C'était peu connaître Garibaldi et son fils que d'imaginer qu'ils entreraient dans cette aventure. Lorsque Garibaldi fut prié de venir prendre le commandement des troupes fédérées, il donna, sous prétexte de conseil, une leçon qui ne fut pas comprise. A ceux qui lui offraient en quelque sorte la dictature, il désigna pour le remplacer Edgar Quinet, un rêveur inoffensif ; c'était recommander la paix et la soumission aux lois : la Commune ne s'en aperçut même pas. Le Comité, du reste, était persuadé qu'il n'avait qu'à commander pour être obéi et il ne se figurait pas qu'un général pût refuser de le servir ; c'est ainsi que le 22 mars, apprenant qu'une manifestation pacifique se promène sur les boulevards, ayant en tête le drapeau national — cet aveu est bon à retenir au moment où l'on va adopter le drapeau rouge —, il décrète : — Le chef d'état-major général du Bisson est chargé, conjointement avec le général Cremer, de faire respecter les volontés du peuple. — Or à cette heure Cremer ne s'employait qu'à faire élargir le général Chanzy, se mettait à la disposition de l'amiral Saisset et s'offrait à nettoyer l'Hôtel de Ville en jetant le Comité central à la porte.

Tout en expédiant des ordres à des généraux qui durent en sourire, on ne négligeait pas de pratiquer l'armée et de faire effort pour l'entraîner à la défection. Après avoir ratifié les condamnations à mort prononcées la veille sur la proposition des généraux Henry et du Bisson, le Comité s'occupe de nos soldats. Viard demande que des émissaires secrets soient envoyés à Versailles, afin d'instruire la troupe de ligne de ses véritables devoirs. Assi répond aussitôt que les émissaires sont partis depuis plusieurs jours, et le surlendemain, 24, il annonce au Comité que les nouvelles reçues de Versailles sont excellentes. C'est le même jour, dans une séance secrète, que, sur la proposition d'Assi et de Bergeret, on résolut de rompre toute négociation avec les maires de Paris et d'entamer la lutte. Le seul homme intelligent de la bande, Edouard Moreau, parla de conciliation et ne fut pas écouté ; on se croyait si sûr de vaincre, que l'on avait hâte d'en venir aux mains.

Dans la séance du 25, Jourde apparaît. A ses paroles on comprend que l'illégalité de tout ce qui se commet, de tout ce qui va se commettre, le trouble et l'inquiète. Avec une naïveté dont il faut lui savoir gré, il demande quelle devra être l'attitude de l'assemblée municipale si l'Assemblée de Versailles refuse de la reconnaître. Les réponses qui lui sont adressées équivalent à ceci : on n'oserait pas ; — mot essentiellement français et qui si souvent nous a perdus.

Le dimanche 26 mars, les votes étaient déposés dans les urnes d'où la Commune allait sortir, comme le diable sortait jadis de la chaudière des sorciers. En attendant que les bulletins soient comptés, que la solennité imposante réclamée par Andignoux soit, selon le désir exprimé par Gouhier, prise sur le modèle de la fédération de l'immortelle Révolution, le Comité se prolonge et adopte des mesures militaires ; il décrète la formation de vingt-cinq bataillons de marche, de vingt batteries de sept, de quinze batteries de mitrailleuses. Le général Duval organisera l'artillerie, le général Henry organisera l'infanterie, le général Bergeret organisera la cavalerie ; le général Cluseret est chargé de l'administration générale ; — Gouhier, le seul qui ne soit pas général, — est nommé au commandement des canonniers de la Seine. Ces officiers sont autorisés à se procurer par des bons de réquisition tout ce qui leur sera nécessaire. Là, pour la première fois, on entend prononcer le nom d'un homme qui jouera son rôle pendant la Commune, dont il ne sortira qu'avec la célébrité de la honte et du déshonneur : République française ; administration du département de la Seine. Le citoyen Rossel, colonel du génie, est nommé par le Comité central commandant supérieur du XVIIe arrondissement (Batignolles). Pour le Comité central : L. CHALIN, secrétaire général du ministre des finances. En l'absence des membres du Comité en séance, vu l'urgence, nomination provisoire à ratifier par le Comité central : G. ARNOLD, DUPONT, CASTIONI[3]. Le Comité central avait paré aux difficultés financières et aux nécessités du mouvement que l'on allait entreprendre contre l'armée française ; ce n'était pas assez : il voulut, avant de se séparer, faire un acte réparateur qui serait à la fois son cadeau d'adieu et le don de joyeux avènement de la Commune ; dans la séance du 28 mars, sous la présidence du citoyen général Bergeret, il décrète la suppression du service des mœurs et des inspecteurs de police. Pour mieux inaugurer le nouveau règne, on lâchait le vol et la prostitution, qui en furent le plus sérieux ornement. Ce fut Assi qui prononça le discours de clôture ; il eut, comme l'on dit, le mot de la fin : La république est à jamais fondée et la sécurité publique n'est plus exposée à aucun péril. D'ailleurs à tout être, quel qu'il soit, qui voudrait attaquer la république, on ne doit qu'un coup de fusil. C'est probablement en vertu de cette maxime que l'on ne dut qu'un coup de fusil à Mgr Darboy, au président Bonjean, à Gustave Chaudey et à tant d'autres.

 

II. — LE HUIS CLOS DES SÉANCES.

La proclamation des votes. — Les hommes de la Commune dessinés par M. W. de Fonvielle. — Ils se démasquent. — La République universelle. — Les dix commissions. — Leur emplacement. — Note écrite pendant la première séance de la Commune. — Esprit d'imitation. — Eudes et Ranc parrains de la Commune. — Un programme de conciliation. — Séances secrètes. — Encore la République universelle. — Jean-Baptiste Clément. — Les rouges et les pâles. — Chouans et Girondins. — Proclamation du 7 avril. — Pétition pour imposer le vote à bulletin ouvert. — Pré dominance des instincts sur la loi. — Horreur du métier, amour de la fonction. — Vanité. — Résultat des illusions.

 

La solennité de la proclamation des votes fut très bruyante. Je l'ai vue. On cria, on chanta, on s'agita. Tout cela avait l'air forcé. On eût dit que les acteurs de cette bouffonnerie ne croyaient pas à la réalité de leur rôle. Les fédérés titubaient comme le pouvoir qu'ils acclamaient. En résumé, deux cohues se rencontrèrent : l'une composée de soldats débraillés, qui défila ; l'autre composée des membres du Comité central et de la Commune chamarrés d'écharpes rouges, qui regarda défiler. Paris ne s'aperçut guère de ce changement de gouvernement ; aux inconnus du Comité central succédaient les inconnus de la Commune. Ces hommes ont été crayonnés par un écrivain qu'il faut citer, car on ne pourrait dire plus vrai, ni frapper plus juste : Nous ne nous laisserons point toucher par les bruyantes protestations de coquins si peu célèbres, qu'ils ont pu garder l'anonyme tout en signant de leurs noms, dit M. Wilfrid de Fonvielle : nous savons bien que les inconnus qui ont envahi l'Hôtel de ville sous prétexte de conserver les canons de Montmartre ne se préoccupent de notre commune pas plus que nous ne nous préoccupons nous-mêmes des communes de New-York, de Rouen et même de Berlin. Nous savons bien, hélas ! que nous sommes tombés entre les mains d'une bande de canailles internationales, obéissant à un mot d'ordre qu'ils ne comprennent pas plus qu'ils ne connaissent pour la plupart ceux qui les font marcher. On peut dire — phénomène unique peut-être dans nos annales — que Paris, ville de publicité et de lumière, est gouvernée par des hommes masqués. Ah ! c'est bien le cas de dire avec notre pauvre Béranger :

Hommes noirs ! d'où sortez-vous.

car jamais bande plus noire ne s'est montrée plus sanglante sous le glorieux haillon[4].

M. W. de Fonvielle a raison ; ils ne se souciaient guère de la Commune de Paris, ni de ces fameuses franchises municipales qui servirent de prétexte à la journée du 18 m'ars et qui eurent l'honneur d'être louées par le prince de Bismarck à la tribune du parlement de Berlin. Aussitôt que l'on a gravi l'escalier d'honneur de l'Hôtel de Ville, dès que l'on s'est installé autour d'une table à tapis vert, dans un fauteuil capitonné, on oublie que l'on ne représente que la cité et l'on veut représenter le pays ; on cesse d'être conseil municipal pour se transfigurer en conseil de gouvernement, on se préoccupe peu des besoins de la ville et l'on ne parle plus que de République universelle. Les papes de la démagogie socialiste élèvent la voix ; ils s'adressent urbi et orbi ; ils s'imaginent que le spectacle de leur élévation — de leur exaltation — va leur donner le monde, que les peuples les contemplent et que la ville qu'ils souillent de leur pouvoir va devenir la Rome de l'humanité ; c'est le mot de Félix Pyat. A la première séance de la Commune, sans plus attendre, on se découvre. On vote des remerciements au Comité central : Les membres du Comité, dit Delescluze, ont bien mérité non seulement de Paris, mais de la France et de la République universelle.

La Commune se partage en dix commissions qui correspondent aux anciens ministères ; les cultes, dont le budget est supprimé par acclamation, sont attribués à la sûreté générale, c'est-à-dire à la préfecture de police. Les délégués s'établirent dans les ministères, où ils représentaient la Commune, mais les commissions s'installèrent dans l'Hôtel de Ville même : la commission exécutive dans la salle du Trône, devenue la salle du Peuple ; la commission militaire au centre de la galerie des tableaux ; la commission de la sûreté générale dans la galerie du Conseil municipal, n° 2 ; la commission des services publics à l'extrémité de la galerie des tableaux ; la commission de l'enseignement — qui pendant toute la durée de la Commune ne dépensa que la somme de 1.000 francs — dans la galerie du Conseil municipal, n° 5 ; la commission des subsistances dans la galerie du Conseil municipal, à gauche ; la commission de la justice dans la galerie du Conseil municipal, à droite ; la commission du travail, de l'industrie et de l'échange dans l'aile droite, au troisième étage ; la commission des finances siégea au ministère, rue de Rivoli, et la commission des relations extérieures se réunissait pour fumer au ministère des affaires étrangères. En prévision de l'avenir, on avait indiqué à celle-ci un programme à suivre : Elle devra, dès que l'occasion se présentera, accréditer des représentants auprès des divers États de l'Europe, surtout auprès de la Prusse, quand on connaîtra l'attitude de cette puissance vis-à-vis de la Commune. Le délégué aux relations extérieures, Paschal Grousset, qui fut loin d'être malfaisant, n'eut pas à choisir un personnel diplomatique pour représenter le gouvernement de l'Hôtel de Ville auprès des différentes cours de l'Europe, mais il y suppléa en nommant son tailleur conservateur de la bibliothèque du ministère[5]. C'est là une gaminerie dont il est difficile de ne pas rire.

Le jour même où la Commune siégeait officiellement pour la première fois et se distribuait le travail du gouvernement, elle ne paraît pas avoir été rassurée sur l'état d'âme de la population parisienne. Près de la table même autour de laquelle elle délibéra, on ramassa, le 30 mars au matin, la pièce que voici : D'après les circonstances, je crois qu'il serait bon de changer tout employé et que les factionnaires soient tenus à distance des séances, car les discussions sont entendues et rapportées, ce qui est très mauvais ; la question de la sortie des denrées est à étudier ; nous devons nous attendre à toute sorte d'intrigues qui mènent à la trahison. Nous tenons la poire, ne la laissons pas pourrir, soyons prudents et toujours et quand même révolutionnaires 'jusqu'à ce que nous soyons sûrs de notre résultat. Paris n'est bon que d'un quart, et les trois quarts de la France est très mauvais. Patience, prudence et surtout énergie et virilité. Nous sommes dans une position critique. Il faut en profiter, vu que nous avons force actuellement. Paris, ce 29 mars 1871[6].

Si ces législateurs improvisés par l'insurrection se sentaient moins que sympathiques à la population, s'ils ne comptaient que sur la force pour maintenir leur pouvoir, il faut reconnaître qu'ils se faisaient illusion sur eux-mêmes et se croyaient des novateurs lorsqu'ils n'étaient que des plagiaires atteints-de la monomanie des imitations serviles. Ce fut sur la proposition d'Emile Eudes que le titre de Commune fut adopté pour désigner officiellement le nouveau Conseil municipal. La motion fut appuyée par Ranc, qui dit : Le nom de Commune de Paris peut seul indiquer que la grande ville veut ses franchises municipales pleines et entières, c'est-à-dire le self-government ; il faut rompre avec le passé. C'était se payer de mots, car le seul choix du mot Commune indiquait un retour, un retour légendaire, vers ce passé avec lequel on prétendait rompre. La Commune de 1871 essayait de se rattacher à la Commune de 1795 et de renouer une tradition restée justement exécrable. La motion fut du reste votée par acclamation, et les deux parrains du nouveau Comité révolutionnaire purent être fiers de leur succès[7].

Sous tous les régimes qu'ils avaient traversés et invariablement combattus, les hommes de la Commune avaient réclamé la liberté et le contrôle de l'opinion publique. Aussi quelques Parisiens naïfs furent-ils étonnés de les voir s'inspirer des plus mauvaises coutumes de la monarchie antérieure à la Révolution, car ils votèrent le huis clos de leurs séances. Au lieu d'être une assemblée délibérante, ils devenaient une société secrète, obéissant peut-être ainsi à des habitudes invétérées. Cela fut jugé très sévèrement, et, dans sa correspondance diplomatique, M. Washburne n'hésite pas à déclarer que cette mesure est adoptée au mépris du principe qui a toujours été proclamé par les peuples libéraux. Il ne s'agissait pas de libéralisme, il s'agissait de Commune, ce qui est tout différent.

Est-ce dans une des séances secrètes que l'on discuta le programme inventé par François-Julien Chatel, peintre sur porcelaine, capitaine d'une compagnie sédentaire du 209e bataillon, qui, pour faire acte de conciliation et rallier toutes les opinions au nouveau gouvernement, proposait de fonder la République-empire-monarchie, dont les magistrats de l'ordre judiciaire seraient désignés sous le nom de procureurs royaux de la république impériale, et ceux de l'ordre administratif sous celui de chefs de la Commune[8]. Celui-là était illuminé, égaré sur les pas du célèbre Gagne ; mais c'était mal prendre son temps que de prêcher la concorde aux hommes de l'Hôtel de Ville.

Du 29 au 13 avril, les délibérations sont secrètes, pour ne pas dire mystérieuses ; on ferme les portes, on écarte les huissiers, on parle à voix basse. Ce qui s'est passé dans ces conciliabules, on l'ignore, et cependant les procès-verbaux de ces séances doivent exister, car' à Versailles M. Thiers les recevait chaque jour de plusieurs mains. En effet, quelques-uns des dictateurs de Paris, avisés ou peu incorruptibles, n'hésitaient point à transmettre au chef du pouvoir exécutif les documents et renseignements qui étaient de nature à l'intéresser. Cette confiance fut récompensée lorsque, après l'effondrement de la Commune, il s'agit de quitter Paris et de chercher un refuge à l'étranger. A défaut du procès-verbal des délibérations, on a le Journal officiel de la Commune que l'on peut compulser et qui parfois est instructif ; s'il ne donne pas les motions, les discussions, les opinions motivées, il enregistre au moins le produit des élucubrations, et montre l'esprit général, — la folie constante, — dont sont animés les élus de l'insurrection.

C'est là, plus que partout ailleurs, que l'on reconnaît combien cette révolution était peu municipale, et combien ses visées dépassaient le but qu'elle avait proposé à la niaiserie parisienne. Ce n'est pas seulement entre compères que l'on parle de République universelle, c'est en public par de redondantes proclamations. Lorsque le Comité central remet ses pouvoirs à la Commune, il croit devoir annoncer ce grand fait à la population : Citoyens, groupez-vous donc avec confiance autour de votre Commune, facilitez lès travaux en vous prêtant aux réformes indispensables ; frères entre vous, laissez-vous guider par des frères ; marchez dans la voie de l'avenir avec fermeté, avec vaillance ; prêchez d'exemple en prouvant la valeur de la liberté, et vous arriverez sûrement au but prochain : la République universelle ! Ceci est du 28 mars ; le lendemain Parisel fait son rapport sur les élections du 26 ; il se demande : Les étrangers peuvent-ils être admis à la Commune ? et, considérant que la drapeau de la Commune est celui de la République universelle, il propose de valider l'élection du citoyen Frankel, qui n'était pas un Allemand, comme on l'a cru, mais un Hongrois, né à Buda-Pesth. Le dernier acte du Comité central, le premier acte de la Commune, démontrent que les prétentions de ces étranges apôtres dépassaient singulièrement les limites de Paris, et même les frontières de la France : loin d'aspirer au gouvernement administratif d'une ville, ils entrevoyaient la domination du monde. Rêver si haut pour tomber dans le sang et dans le pétrole, ce serait burlesque, si ce n'était horrible[9].

Cette domination, — qui passerait sur la terre comme un déluge, — ils comptaient bien l'exercer eux-mêmes au détriment de toute autre classe sociale, l'exercer au nom du prolétariat révolutionnaire qu'ils avaient la prétention de représenter, quoique la plupart d'entre eux ne fussent que de petits bourgeois déclassés. Cela apparaît clairement dans les variétés du Journal officiel de la Commune. Jean-Baptiste Clément, élu par le XVIIIe arrondissement avec 14.188 voix, connu clans le monde des guinguettes par une chanson intitulée : Les petites bonnes de chez Duval, lâche dans le numéro du 3 avril un article d'une bouffonnerie passablement malsaine : Les rouges et les pâles. Les rouges symbolisent le peuple, qui a toutes les vertus ; les pâles sont les bourgeois patibulaires, auxquels nul vice ne fait défaut. Les rouges sont des hommes de mœurs douces et paisibles qui se mettent au service de l'humanité quand les affaires de ce monde sont embrouillées et qui s'en reviennent sans orgueil et sans ambition reprendre le marteau, la plume ou la charrue. Les pâles ont quatorze siècles de tyrannie dans les veines, des crimes par-dessus la tête ; des oubliettes, des cadavres, des remords sur la conscience. Ils marchent sournoisement la dague au poing, la fourberie dans les yeux, le coup d'État sur les lèvres. Le chansonnier conclut : Dieu, s'il existait, serait avec nous.

Quatre jours après, 7 avril, Albert Regnard renchérit sur ce pathos : chouans et girondins, il met tout dans le même sac : Qu'importe aux Jules Favre ! qu'importe aux Thiers et aux Picard ! à nous les zouaves de Mentana ; à nous les assommeurs de Pietri, les chouans de Charette et de Cathelineau et tout ce que la France a pu vomir d'égorgeurs et d'assassins, y compris les forçats de Brest et de Toulon. Mais je m'arrête ; la plume a peine à suivre le bouillonnement de la haine et de la colère qui débordent. C'est la même idée sous une autre forme. Les chouans et les girondins sont les pâles, et les montagnards sont les rouges. C'est l'humanité divisée en deux castes de frères ennemis, dont l'une doit exterminer l'autre. Jean-Baptiste Millière envoie sa démission de député à l'Assemblée nationale dans des termes qui ne sont pas beaucoup plus mesurés ; il admire la population parisienne, il honnit les membres de la majorité et déclare que Paris a été livré à l'ennemi par la plus infâme trahison dont l'histoire ait conservé le souvenir. On ne sait quelle rhétorique frelatée les obsède ; le 7 avril, la Commission exécutive, composée de Cournet, Delescluze, Félix Pyat, Tridon, Vaillant, Vermorel, signe une proclamation dans laquelle on peut lire : La violence de nos ennemis prouve leur faiblesse ; ils assassinent ; les républicains combattent. La République vaincra. Cette dernière affirmation n'a étonné personne ; c'était prédire à coup sûr, et nous savions tous que la République vaincrait la Commune ; mais il n'est point surprenant que le peuple de la fédération, surexcité par ces objurgations, ait cru faire acte de patriotisme en essayant d'égorger la patrie.

On ne s'employait pas seulement à troubler l'esprit de la population et à donner ainsi à la guerre civile un caractère de cruauté exceptionnelle ; on poussait la Commune à regarder de près au fond de toutes les consciences ; on demandait que les citoyens se dénonçassent eux-mêmes et s'exposassent aux brutalités de l'arbitraire qui avait remplacé la loi. On eût voulu exiger en quelque sorte que chaque habitant de Paris fit une confession publique et prît la police de Raoul Rigault pour confidente de ses pensées intimes. La pétition suivante, reproduite au Journal officiel de la Commune, fut adressée à l'Hôtel de Ville : Les soussignés, membres de la commission communale du Ier arrondissement, considérant que le vote à bulletin secret est immoral au premier chef ; qu'il ne peut y avoir de vraie démocratie et d'élections libres que là où les électeurs acceptent la responsabilité de leurs actes ; émettent le vœu qu'aux prochaines élections le vote nominal et à bulletin ouvert soit seul autorisé. Paris, le 15 avril 1871 ; signé : TOUSSAINT, WINANT, TANGUY, SALLÉE. Je me hâte d'ajouter, à l'honneur des hommes de la Commune, qu'ils dédaignèrent cette proposition ; mais elle n'en est pas moins la preuve des excès auxquels certains hommes peuvent se laisser entraîner, lorsqu'ils ne sont pas contenus par la loi. Or c'est quand la loi est brisée ou reste sans effet que l'on s'aperçoit combien elle est utile pour maintenir et paralyser les mauvais instincts qui l'attaquent sans cesse ; elle disparue, ceux-ci ont toute licence pour se manifester, et ne s'en font pas faute. Ce qu'un tel état de choses peut produire, nous l'avons vu pendant la Commune, qui a simplement été la prédominance des instincts sur la loi.

La Commune fut encore une autre révélation : elle dénota chez presque tous les hommes qui s'en mêlèrent, l'horreur du métier et l'amour de la fonction. Le mépris de l'outil, de l'honorable existence de l'ouvrier, éclate avec évidence ; si l'on eût renvoyé Amouroux à ses chapeaux, Pindy à sa varlope, Trinquet à son tire-pied, Babik à ses pommades et Arnaud à ses filets, ils se seraient crus déshonorés et auraient crié à la tyrannie. Nul ne s'emploie à améliorer le sort de ses compagnons d'atelier, mais tous cherchent à dominer et chacun excelle à faire acte de pouvoir dans les choses qu'il ignore. Cela seul assure à la Commune une place d'élite dans l'histoire des bouffonneries humaines. Capables de tout, quoiqu'ils ne fussent capables de rien, ces hommes se figuraient qu'il suffisait d'être pourvu d'une fonction pour l'exercer et que les aptitudes accompagnent nécessairement l'investiture.

Leur vanité était inconcevable. Un jeune homme, Emile Lebeau, qui fut pendant quelques jours chargé de la rédaction du Journal officiel de la Commune, écrit ceci, à la date du 29 mars : Lors de la prise de l'Hôtel de Ville, mon ami Lullier me fit appeler et me demanda à quel poste je voulais être délégué. Je réfléchis un moment et ensuite je lui demandai l'Officiel, en lui déclarant qu'avec ce journal et mes profondes études sur les diverses révolutions, je pourrais soulever la province contre le gouvernement Thiers. La plupart sont ainsi ; ils doutent de tout excepté d'eux-mêmes, et sans broncher ils affirment leur supériorité. Un sous-lieutenant fédéré nommé Bourdon, écrivant à Delescluze pour demander un grade important, dit : Une modestie exagérée me paraîtrait coupable[10]. Du haut en bas de l'échelle communarde, à tous les degrés, on rencontre cette foi en soi-même qui, ne s'appuyant que sur des illusions, a produit les cacophonies que nous avons vues, et les crimes dont Paris a été la victime.

 

III. — LES ÉLECTIONS COMPLÉMENTAIRES

Les funérailles. — Billet de part. — Le colonel Bourgoin. — Orthographe. — Irritation des Parisiens. — Le procès-verbal des séances de la Commune est publié. — Assistance publique. — Ignorance. — Les concessions à perpétuité contraires aux principes. — L'échéance des billets à ordre. — Les fédérés envahissent l'hôtel de la légation de Belgique. — Bibliothèques dans les hôpitaux. — Les élections du 19 avril. — Abstention générale. — Le ridicule et l'odieux. — Une lettre de Courbet. — Manifeste du 19 avril. — Mensonges et pathos. — La Commune et l'unité française. — Les droits inhérents à la Commune. — Le vieux monde. — La guerre civile. — Appel à la France. — Opinion du Père Duchêne. — Les caveaux de l'Hôtel de Ville. — Mystère et calomnie. — Le Journal officiel.

 

Tout en continuant à délibérer derrière ses portes closes, la Commune ne négligeait aucune occasion de se manifester au dehors et d'apparaître aux yeux de la population dans la pompe de ses écharpes rouges. Aussitôt que les premiers combats eurent fait comprendre que l'Assemblée nationale était décidée à ne point abaisser la légalité devant les fantoches que le Paris insurrectionnel avait installés à l'Hôtel de Ville, on imagina les funérailles triomphales pour honorer les victimes des sbires de la réaction. Des corbillards pavoisés suivis de quelques membres de la Commune, escortés par des bataillons fédérés dont chaque homme portait un bouquet d'immortelles, passaient solennellement sur les boulevards, au bruit des tambours voilés et des marches funèbres. C'était donner une satisfaction considérable aux gens du peuple, dont le rêve a toujours été d'avoir un bel enterrement. On déploya des splendeurs inusitées pour un certain colonel Bourgoin, qui fut tué le 6 avril devant Neuilly. Le billet de part est à citer comme spécimen de ce style boursoufflé qui semble inhérent à la prose révolutionnaire :

Ministère dé l'intérieur. Direction générale des lignes télégraphiques. Cabinet du directeur général. République française. Liberté, égalité, fraternité, justice. Commune de Paris. Paris, le 8 avril 1871. Citoyens, citoyennes, vous êtes priés d'assister aux funérailles du citoyen colonel d'état-major de la garde nationale, Louis-Jules Bourgoin, chef de la télégraphie militaire, âgé de trente-six ans, mort héroïquement à la tête de ses compagnons d'armes, devant la barricade de Neuilly, le jeudi 6 avril 1871, à trois heures quinze du soir. Ses funérailles auront lieu le dimanche 9 avril, à une heure très précise. On se réunira à l'état-major de la garde nationale, place Vendôme. Le cortège se rendra de là par les boulevards jusqu'au cimetière du Père-Lachaise. Le sang des martyrs est une semence de héros ! Vive la république, une et indivisible, démocratique et sociale !

Je vis passer le corbillard ; plus de dix mille hommes armés l'accompagnaient. J'ignore qui était ce Louis-Jules Bourgoin pour la mort duquel le monde de la fédération fut en rumeur, et dont l'oraison funèbre fut prononcée dans plus d'un journal : un homme brave à coup sûr et s'enivrant aux fusillades ; mais j'ai sous les yeux un billet écrit par lui et qui démontre que la vaillance et l'orthographe n'ont entre elles que des rapports lointains : Citoyen général commandant la place de Paris. J'ai vou prie de m'oyez 3 ou 4 bataille du 4e arrondissement lequel j'apartien pour relever ceux qu'ils sont à ma disposition car ils sont très fatigués. J'ai vous envois 4 chevaux que nous avons regeuilli. Veuillez remettre un reçu au porteur du présent ordre. Salu fraternelle. L'adjoin au chef de la 4e légion : BOURGOIN. J'ai resterais à la tête des troupes de l'arrondissement jusqu'à l'afin[11].

Jusqu'à l'afin il en fut ainsi ; les corbillards ont défilé dans nos rues, empanachés de rouge, flanqués par des volontaires de la révolte qui préféraient peut-être une promenade sentimentale vers le cimetière aux évolutions des champs de bataille. La foule, toujours curieuse à Paris, se pressait volontiers sur le parcours de ces cortèges ; peu à peu elle s'y accoutuma et ne s'arrêtait même plus pour les regarder. Mais, parmi les vrais Parisiens restés dans leur ville, combien ne furent pas attristés en voyant que le 6 avril on se battait à Neuilly, à nos portes mêmes, et qu'il fallut attendre jusqu'au 21 mai, jusqu'à l'incident Ducatel, pour être délivrés et rendus à la civilisation.

La Commune, qui gardait le silence depuis le jour de son installation, se décida tout à coup à parler en public, et le 13 avril elle inséra dans son journal officiel le procès-verbal de ses séances. Elle a fourni de la sorte à l'histoire une preuve de l'inanité de ses conceptions. Ce sont des bavardages sans fin. Ces hommes, qui ont la prétention de renouveler le vieux monde, ressemblent aux avocats d'une mauvaise cause ; ils parlent, ils parlent, et lorsqu'on veut résumer leurs discours, on s'aperçoit qu'ils n'ont rien dit. Le point d'appui leur fait défaut ; les prémisses étant erronées, la conclusion est défectueuse. Lorsqu'ils cherchent à s'étayer sur un document, celui-ci est toujours frelaté ; ils n'ont rien étudié, rien vérifié ; les fables ou les calomnies dont ils se repaissent sont toute leur science, et l'on s'en aperçoit.

Ainsi, dans la séance du 13 avril, on veut faire de la philanthropie. Lefrançais demande que l'on mette les mairies en situation de pourvoir aux besoins de la classe indigente ; Billioray profite de cela pour déclarer que l'on ne doit pas laisser une parcelle d'autorité aux sœurs de charité ; Oudet attaque l'ancienne administration de l'Assistance publique, dans laquelle quinze mille nécessiteux touchent moins que quarante fonctionnaires. Parmi ces apôtres du socialisme à outrance, pas un ne proteste, car pas un n'a eu l'idée de jeter les yeux sur les registres de l'Assistance publique ; sans cela, on aurait reconnu qu'en moyenne cent vingt-cinq mille individus, indigents ou malades, participent chaque année à un budget d'environ 25 millions.

En toute chose, du reste, ils commettront de semblables erreurs ; même lorsqu'ils sont animés d'un bon sentiment, ils le font dévier en vertu de théories préconçues. Pierre Leroux venait de mourir, et Jules Vallès proposait d'accorder un terrain de concession à perpétuité pour y déposer les restes du vieux philosophe humanitaire. La motion était courtoise et aurait dû être d'autant plus facilement adoptée que l'on était décidé à envoyer une délégation de la Commune aux obsèques ; mais elle fut repoussée sur les observations de Mortier, de Lefrançais, de Ledroit et de Billioray, parce que la concession à perpétuité est contraire aux principes démocratiques révolutionnaires.

La grosse question qui occupait alors les législateurs de l'Hôtel de Ville était celle des billets à ordre, dont l'échéance avait été plusieurs fois prorogée. Les économistes — la minorité — de la Commune ne laissent point échapper cette occasion de mettre en lumière le produit de leurs profondes études, comme aurait dit Emile Lebeau. Je ne sais si la discussion fut claire, mais le procès-verbal en est tellement confus, il contient tant de paroles indécises, il enregistre un si grand nombre de lieux communs enfermés dans des phrases toutes faites, qu'il en arrive à ne plus rien signifier et que la conclusion prouve que l'on n'a pas conclu. Parmi eux cependant il en était plus d'un qui avait déclaré qu'il suffisait d'une heure pour résoudre le problème social. Plusieurs séances laborieuses et fastidieuses furent cependant employées à discuter ces fameuses échéances. Les reculera-t-on de six mois ou d'un an ? Les coupera-t-on par huitièmes ou par douzièmes ? Admettra-t-on les endos, les supprimera-t-on ? Créera-t-on un tribunal arbitral ? Nul n'en sait rien, et au quatrième jour la discussion est aussi avancée que le premier.

A l'heure où tous les économistes sont aux prises et cherchent une solution qu'ils n'aperçoivent pas, on apprend que les fédérés entrent de plain-pied dans la voie pratique et expliquent, par un commentaire vigoureux, comment ils comprennent l'établissement de la République universelle. Le 16 avril, l'hôtel de la légation de Belgique est envahi par des fédérés du 218e bataillon ; ils ont fait des réquisitions, ils ont bien bu, bien mangé, ont amené quelques donzelles de leur connaissance et se sont donné un bal. C'est la note gaie au milieu de tant de divagations tristes. La commission des relations extérieures fut chargée de faire une enquête, et Paschal Grousset, chef du ministère des affaires étrangères, parla des immunités diplomatiques. Le fait paraît blâmable, parce qu'il s'est exercé sur la demeure du représentant d'une puissance étrangère ; s'il eût eu pour objectif l'hôtel d'un Parisien, on l'eût trouvé légitime. Dans ce cas sans doute on eût affirmé que le peuple n'avait fait qu'exercer un des droits innombrables dont il est détenteur. Ces droits, on essayait de les lui faire connaître par toute sorte de moyens. Treillard, le directeur de l'Assistance publique, veut commencer l'éducation révolutionnaire par les malades : Les hôpitaux et hospices auront à l'avenir une salle de lecture où les convalescents, les blessés, les vieillards trouveront les feuilles démocratiques qui défendent la République et propagent les institutions sociales de l'avenir. Cette mesure a pour but d'annihiler les influences malsaines des écrivains et des livres réunis dans les bibliothèques officielles et destinées à dégrader les âmes et à refouler toutes les aspirations démocratiques.

La Commune n'était pas au complet ; par suite de refus, de décès ou de démissions, elle devait pourvoir à trente et une vacances. Les élections furent fixées au 16 avril, et de nouveaux inconnus vinrent s'asseoir auprès des anciens inconnus. Quelques entêtés du XIXe arrondissement, c'est-à-dire de la Villette, donnèrent encore 6.076 voix à Menotti Garibaldi, qui, plus que jamais, continua à faire la sourde oreille. Jamais élections ne furent plus illégales. Onze arrondissements sont convoqués, dans lesquels 258.852 électeurs sont inscrits ; on ne trouve que 53.679 votants ; trois arrondissements, le troisième (Temple), le huitième (Elysée), le treizième (Gobelins), se refusent à aller au scrutin et ne nomment personne. Deux des élus, Rogeard et Briosne, répudient leur mandat ; Cluseret est nommé deux fois. Sur trente et un membres à élire, la population n'en désigne que vingt et un ; le refus de Menotti Garibaldi, de Rogeard, de Briosne, l'option de Cluseret, réduisent ce nombre à dix-sept, sur lesquels sept n'ont même pas obtenu le huitième des voix.

La Commune passe outre, elle valide quand même ; elle tient compte, dit-elle dans son rapport, des électeurs qui se sont soustraits par la fuite à leurs devoirs de soldats et de citoyens ; elle repousse toute observation et n'écoute pas même l'honnête Arthur Arnould qui lui crie : Valider ces élections, c'est le plus grand croc-en-jambe que jamais gouvernement ait donné au suffrage universel. Vous tombez dans le ridicule et clans l'odieux. La majorité communarde se souciait bien de légalité, et c'était perdre son temps que de lui en parler ; Paschal Grousset, Varlin, Billioray, Urbain, combattent l'opinion d'Arthur Arnould. En supposant, dit Billioray, que tout un arrondissement s'abstienne, et qu'il n'y ait que cinq votants, ces votants sont les seuls partisans de la Commune. Urbain va plus loin encore, il dit : Le citoyen Arnould craint que nous ne tombions dans le ridicule et l'odieux ; or je dis que ce sont ceux qui n'ont point voté qui sont tombés dans l'odieux et le ridicule. Ceux qui n'ont point voulu défendre leur liberté par le vote ne sont à mes yeux ni Français, ni Allemands, ni Chinois. Ranvier s'écrie : Nous ne connaissons pas de loi électorale. Régère ajoute : Tant pis pour ceux qui ne se présentent pas. On vote ; vingt-six voix contre treize acceptent les résultats de ce suffrage trop restreint[12].

On se gourma dans les journaux. La minorité se défendit et protesta. Rogeard, qui était rédacteur du Vengeur, attaqua Courbet ; celui-ci répondit par une lettre que l'on n'inséra pas et que voici : Mon cher Rogeard, je vous ai répondu, vous n'avez pas inséré ma lettre contradictoirement aux vôtres ; je n'ai pas le brouillon de ce que je vous ai écrit, veuillez me la renvoyer. Dans la situation actuelle, j'aurais été nommé avec trois voix que j'aurais accepté cette situation parce qu'elle est dangereuse. Je l'aurais acceptée, si on m'avait autorisé à me nommer moi-même. Voyez combien nous différons. Je vous ai porté dans le sixième, croyant que vous étiez révolutionnaire, et j'ai fait faire les affiches et les bulletins à mes frais confiant dans cette idée. Je suis dans le droit et la révolution seulement, ce qui exclut la légalité qui ne peut exister pour le moment. Je ne vous en dis pas davantage. Je déplore votre idée d'autant plus que vous savez que l'élection ne pouvait se faire autrement, par la raison que les défections abondent, et que les départs de Paris justifient la situation. J'attends toujours de vous que vous reveniez sur votre décision. Renvoyez-moi ma lettre, je la ferai imprimer dans un autre journal que le Vengeur. Salut et fraternité : G. COURBET. — P. S. La fédération des artistes nouvellement nommée présente plusieurs résultats semblables.

Interrogé le 14 août 1871 par le président du 5e conseil de guerre, Gustave Courbet répondit : J'ai été forcé d'entrer le 16 avril à la Commune pour tâcher d'arrêter les mesures de violence ; c'était le seul moyen. Cela ne ressemble guère à ce qu'il écrit à Rogeard : J'aurais accepté, si on m'avait autorisé à me nommer moi-même.

Aussitôt que la Commune fut complétée par les moyens dont le lecteur a pu apprécier la rectitude, elle crut devoir parler, non pas aux habitants de Paris, mais au peuple français tout entier, et elle fit placarder un manifeste collectif qui est fort important, car il constitue le seul document par lequel elle ait essayé d'expliquer sa raison d'être, sa mission et son but. A ce titre, il mérite qu'on s'y arrête. Comme toujours, c'est du pathos, ce sont des promesses menteuses, ce sont des impostures ; mais il s'en dégage du moins quelques aveux bons à retenir. Cela débute naturellement par des injures et des calomnies : Il faut que la responsabilité des deuils, des souffrances et des malheurs dont nous sommes les victimes retombe sur ceux qui, après avoir trahi la France et livré Paris à l'étranger, poursuivent avec une aveugle et cruelle obstination la ruine de la capitale, afin d'enterrer, dans les désastres de la République et de la liberté, le double témoignage dé leur trahison et de leur crime.

Si l'on se rappelle que pendant la période d'investissement la plupart de ceux qui devaient être membres de la Commune et leurs adhérents fabriquaient des bombes portatives, refusaient d'aller au combat, se réservaient contre les soldats de la France qu'ils nommaient les Prussiens de l'intérieur ; si l'on se rappelle qu'aux journées du 31 octobre et du 22 janvier ils furent les auxiliaires de l'Allemagne, on estimera que les rédacteurs de cette proclamation devaient penser à eux-mêmes, lorsqu'ils prétendaient s'adresser à l'Assemblée nationale.

Paris se fait humble, il ne veut que l'autonomie de la Commune, rien de plus, mais rien de moins. Si une telle rêverie avait, été réalisée, c'en était fait de la France, qui dès lors eût été composée de trente-six mille petits États indépendants, ayant des finances, une armée, une administration distinctes ; ces États minuscules, incapables de vivre par eux-mêmes et sur eux-mêmes, n'auraient été rattachés les uns aux autres que par un lien fédératif toujours facile à briser ; c'était la guerre civile en permanence, jusqu'au jour où toutes ces républiques lilliputiennes eussent été forcées de fléchir sous la pression de la plus forte d'entre elles, c'est-à-dire de Paris, du Paris révolutionnaire représenté par la Commune, et qui y comptait bien.

Les chefs de la révolte ont compris cela ; il s'agissait de l'unité française, de l'indivisibilité de la patrie ; l'objection était grave ; ils y ont répondu par une déclaration, qui ne répond à rien :

L'unité politique, telle que la veut Paris, c'est l'association volontaire de toutes les initiatives locales, le concours spontané et libre de toutes les énergies individuelles, eh vue d'un but commun : le bien-être, la liberté et la sécurité de tous. Cela ressemble un peu aux consultations du Médecin malgré lui ; en résumé, on a l'air d'avoir voulu créer, pour assurer l'unité de la France, une société en commandite et par actions.

Il y a dans ce fatras rédigé par des hommes n'ayant aucune notion d'économie politique ou d'administration tel passage qui fait horreur, lorsque l'on se reporte par le souvenir aux actes que l'on a commis. Parmi les droits inhérents à la Commune, on ose citer, la garantie absolue de la liberté individuelle, de la liberté de conscience, de la liberté du travail ; l'incarcération et le massacre des otages, la fermeture des églises et l'expulsion des prêtres ont répondu à cette déclaration, et en ont prouvé la sincérité. Le besoin de despotisme qui les tourmente, la résolution d'agir révolutionnairement, c'est-à-dire en dehors de l'action des lois, apparaissent à leur insu et malgré les précautions dont ils s'enveloppent. L'intervention des citoyens dans les affaires communales doit être permanente ; ils ont droit à la libre défense de leurs intérêts ; mais la Commune est seule chargée de surveiller et d'assurer le libre et juste exercice du droit de réunion et de publicité ; ce qui équivaut à dire que la Commune a le pouvoir de suspendre le droit de réunion et la liberté de la presse, quand elle le jugera opportun. Elle n'y faillit pas ; la manifestation de la rue de la Paix fut dispersée à coups de fusil, et quand la Commune s'écroula, elle avait à peu près supprimé tous les journaux.

Sans cette proclamation du 19 avril, nous aurions pensé que la journée du 18 mars n'avait été qu'un coup de main mené par la bande de la révolte permanente. Nous nous trompions : La Révolution communale commencée par l'initiative populaire du 18 mars inaugure une ère nouvelle de politique expérimentale, positive, scientifique. C'est la fin du vieux monde gouvernemental et clérical, du militarisme, du fonctionnarisme, de l'exploitation, de l'agiotage, des monopoles, des privilèges auxquels le prolétariat doit son servage, la patrie ses malheurs et ses désastres. Nous ne l'aurions jamais cru, car la Commune fut une époque où tout le monde était fonctionnaire, où chacun se galonnait et s'empanachait, où tous les membres de tous les comités et de toutes les délégations, se considérant comme des êtres privilégiés, substituaient leur volonté aux prescriptions des lois, où l'on remplaçait l'agiotage par l'effraction des caisses publiques et particulières, où le prolétariat fut réduit en esclavage, au plus rude, au plus implacable, à celui du service militaire forcé, sous peine de mort et pour la guerre civile.

La guerre civile, la Commune ne fut que cela ; elle en produisit la plus cruelle explosion que l'on ait vue. Pour ceux qui en vivaient, pour ce troupeau de fédérés auxquels elle servait de prétexte à ne pas travailler, à jouer au soldat, se battre et se griser, elle n'était qu'un but. Mais pour les conspirateurs de la Commune elle était un moyen. Ils espéraient vaguement quelque victoire qui leur assurerait la toute-puissance qu'ils rêvaient, et il est bien probable que, fidèles en cela aux traditions du jacobinisme dont ils s'inspiraient, ils eussent été alors des maîtres sans pitié pour ce prolétariat au nom duquel ils ont eu la prétention de parler. Leur proclamation, flottante au début tant qu'il n'est question que des réformes à opérer, devient ferme lorsqu'il s'agit d'intéresser la France à la révolte, et de lui demander son appui :

Avertie que Paris en armes possède autant de calme que de bravoure ; qu'il soutient l'ordre avec autant d'énergie que d'enthousiasme ; qu'il se sacrifie avec autant de raison que d'héroïsme ; qu'il ne s'est armé que par dévouement pour la liberté et la gloire de tous, que la France fasse cesser ce sanglant conflit ! C'est à la France à désarmer Versailles par la manifestation de son irrésistible volonté. Appelée à bénéficier de nos conquêtes, qu'elle se déclare solidaire de nos efforts ; qu'elle soit aussi notre alliée dans ce combat qui ne peut finir que par le triomphe de l'idée communale ou par la ruine de Paris !

 

Malgré les émissaires que la Commune envoya dans quelques grandes villes, la France resta sourde et regarda avec colère du côté de ces malfaiteurs qui violaient sa volonté exprimée aux élections du 8 février. Pour la punir de son dédain, ceux-ci essayèrent de brûler sa capitale ; ils y réussirent en partie et s'en enorgueillissent[13].

Le Père Duchêne approuva la proclamation ; cependant il n'était pas satisfait : On vend maintenant un tas de sales vins qu'on fait payer neuf sous la chopine ! si ce n'est pas honteux ! ça rappelle les plus mauvais jours de notre histoire ! Il estime en outre qu'il y a un point qui n'est pas net et qui mérite d'être éclaira, c'est celui des arrestations ; il en faut, mais plus nombreuses que ça ! — Un peu plus tard, 6 floréal an 79 (26 avril), il déclare que Fouquier-Tinville lui chatouille les pieds le soir au moment où il va faire un somme. Néanmoins le manifeste de la commune lui plaît et il essaye de le comparer à la Déclaration des Droits de l'homme. Le peuple de Paris fut moins indulgent que Vermersch ; il lut cet exposé de principes, leva les épaules et passa. Comment s'arrêter à ces billevesées en présence des actes d'arbitraire qui étaient la contradiction des paroles : paix, liberté, travail ? à quoi bon ces grands mots qui ne trompaient personne, lorsque les combats sous Paris ne cessaient pas, lorsque le bruit de l'artillerie tonnait jour et nuit, lorsque nul ne pouvait douter des projets que l'on se réservait d'exécuter à la dernière heure, lorsque Parisel, chef de la délégation scientifique, réclamait partout du pétrole ?

La Commune semblait du reste prendre soin de se déconsidérer elle-même, à force de niaiserie ou de mauvaise foi. Tout à coup on apprend par les journaux que dans les sous-sols de l'Hôtel de Ville on a découvert un caveau sur les murs duquel on reconnaît les empreintes d'une main sanglante. Quelle victime a succombé là, dans le silence et l'obscurité ? quel a été le meurtrier ? M. Haussmann, M. Henri Chevreau, M. Jules Favre ou le général Trochu ? Tous les quatre peut-être. On réclame une enquête, il faut que le jour se fasse sur cette ténébreuse histoire. Quelle femme a péri dans ce cachot, car ce ne peut être qu'une femme, bien plus une jeune fille, une fille du peuple, innocente, vertueuse, un visage de vierge, un regard d'ange, blonde, frêle, appelant sa mère ; là même, sous cette voûte sombre, elle a été immolée après avoir assouvi la brutalité de ses bourreaux.

L'enquête fut ouverte. On désigna des experts qui firent l'analyse chimique du sang dont la muraille était tachée. Le Journal officiel de la Commune daigna rassurer la population : L'expertise a démontré que ce sang était tout simplement du sang de porc et de veau ; mais ce qu'il y a de particulièrement curieux, c'est que, d'après les constatations légales, ces traces ne remonteraient pas au delà du mois de janvier dernier. D'où il résulte qu'à l'époque où la canaille de Belleville mourait de faim, on tuait le veau gras pour ces messieurs du 4 septembre. C'était une déconvenue ; beaucoup de fédérés s'imaginèrent qu'on avait voulu les tromper, et que le gouvernement de l'Hôtel de Ville trahissait. Ils eurent cependant lieu de croire encore à la pureté des opinions des membres de la Commune en lisant dans le même numéro (20 avril) du Journal officiel l'entrefilet suivant, qui est donné sous la rubrique du Reynold's Weekly : C'est avec une joie sincère que nous annonçons que l'enfant nouveau-né du prince et de la princesse de Galles est mort quelques heures après sa naissance, et qu'ainsi la classe ouvrière n'aura pas à entretenir un mendiant de plus. Le Journal officiel était alors rédigé par Charles Longuet, qui, le 15 mai, se retira devant Vésinier. On ne gagna pas, on ne perdit pas au change. Cette feuille resta une officine de vilenies : elle était vraiment l'organe du gouvernement de la Commune.

 

IV. — LES COMPÉTITIONS

Modifications gouvernementales. — Retour aux vieilles coutumes. — Délégations, commissions, comités. — Confusion générale, despotisme individuel. — Opposition. — Félix Pyat et Vermorel. — Lefrançais et Vermersch. — Rochefort et Millière. — Opinion de Vermorel. — Blanchet Pourille estime que la Commune n'est pas assez révolutionnaire. — La manie des galons. — Prévision de Delescluze. — Révolution de palais. — Le secret des détenus. — Motion de Jules Vallès. — Résistance de Raoul Rigault. — Il donne sa démission de délégué à la sûreté générale. — Il est nommé procureur de la Commune. — Tout est en décomposition. — Le Comité central. — Ses observations. — Maladie à double caractère. — Cluseret est incarcéré. — Une lettre de Cluseret. — Le député allemand Bebel protège la Commune au parlement de Berlin. — Adresse de la Société démocratique de Florence. — Quelques hommes de bien essayent d'intervenir entre la révolte et la légalité.

 

Ce gouvernement, tout en restant composé des mêmes hommes, avait jugé à propos de changer sa constitution intérieure après les élections complémentaires du 16 avril ; sous prétexte de faire place aux nouveaux venus, on modifia les moteurs de la machine sous la pression de laquelle Paris étouffait. Il faut reconnaître que le système des commissions était déplorable. S'agitant dans des attributions mal définies, elles empiétaient volontiers les unes sur les autres ; les conflits étaient permanents, dégénéraient en querelles, et il était rare qu'une séance se passât sans échange de gros mots. En outre, la responsabilité éparse sur les membres d'une même commission était diffuse, l'autorité était trop divisée, et comme tout le monde commandait, il était naturel que personne ne voulût obéir.

Ce fut dans la séance du 20 avril, sous la présidence de Viard, qui de son métier était vernisseur, que la Commune procéda à ce qu'elle nomma elle-même une réorganisation radicale. Aux commissions on substitua les délégations sur la proposition de Paschal Grousset : un délégué doit être nommé près de chacun des grands services publics ; en d'autres termes, chaque ministère sera pourvu d'un ministre : mesure singulière pour des hommes qui voulaient rompre avec le passé. Le délégué a tous les pouvoirs nécessaires pour prendre seul et sous sa responsabilité les mesures exigées par la situation. Adopté à l'unanimité moins quatre voix. Sur la motion d'Amouroux, il est décidé que : Le délégué responsable pourra être révoqué par la Commune sur la demande de la commission, qui devra fournir les pièces à l'appui. La Commission exécutive doit disparaître : par qui sera-t-elle remplacée ?

Discussion grosse d'orages, car c'est là que gît le pouvoir, et chacun veut s'en emparer. Raoul Rigault, Vermorel, Jourde, Vallès, Viard, Arthur Arnould parlent et ne parviennent pas à s'entendre. Le grand maître du jacobinisme, Delescluze, se lève ; on l'écoute et on adopte son projet : Le pouvoir exécutif est confié à titre provisoire aux délégués des neuf commissions. — Les délégués se réuniront chaque soir et prendront leur décision en commun, à la majorité des voix. — Chaque jour ils rendront compte, en comité secret, à la Commune des mesures arrêtées ou projetées ; la Commune décidera. Adopté — par quarante-sept voix contre quatre.

Donc ministres, conseil des ministres, rapport des ministres au souverain, qui décide en dernier ressort. Pour en arriver à une telle innovation, ce n'était vraiment pas la peine de faire tuer tant de monde et de ruiner Paris. A la majorité des voix, sur 55 votants, on nomme à la guerre, Cluseret, — aux finances, Jourde, — aux subsistances, Viard, — aux relations extérieures, Paschal Grousset, — à l'enseignement, Vaillant, — à la justice, Protot, — à la sûreté générale, Raoul Rigault, — au travail et à l'échange, Frankel, — aux services publics, Andrieu.

C'était une organisation trop simple pour des hommes que leur ignorance rendait soupçonneux et auxquels leur vanité inspirait non pas l'amour, mais la frénésie du pouvoir. Dès le lendemain, dès le 21 avril, la nouvelle combinaison est si profondément remaniée qu'elle s'écroule. Rastoul et Billioray sont les porte-paroles ; d'après le projet qu'ils font valoir, les commissions sont rétablies avec des droits d'investigation presque illimités. Il est inutile de répéter les sornettes qui furent débitées à cette occasion ; le résultat fut que le pouvoir des délégués se trouva annihilé. Les anciennes commissions deviennent commissions de surveillance et peuvent à toute heure vérifier les actes du délégué. Elles en font chaque jour un rapport à la Commune. De plus, une commission supérieure de contrôle doit examiner les actes de la commission des délégués et en rendre compte à la Commune. Ainsi chaque commission surveille son délégué spécial ; elle correspond avec une commission générale qui surveille la commission des délégués et communique avec l'assemblée communale. Ce système paraît si excellent, que le chapelier Amouroux ne peut retenir une exclamation : On ne décrète pas le droit, on l'applique !

On croit ainsi établir une série de contrôles et l'on ne réussit qu'à créer une confusion d'autorités qui se contrecarrent et constituent une diversité de despotismes tracassiers, jaloux les uns des autres et dénonciateurs. C'est de ce moment que les haines éclatent au sein de la Commune, que les partis se divisent et que l'on se menace mutuellement de se coller au mur. Il faut voir comment ils se traitent entre eux ; jamais catéchisme poissard ne fournit de telles épithètes : Félix Pyat attaque Vermorel et lui reproche d'avoir été un agent secret de Napoléon III ; Vermorel riposte ; il dit à Pyat qu'il n'est qu'un lâche et que tout son mérite consiste à avoir fait à Londres du régicide en chambre. Vermersch juge les coups, gourmande les deux adversaires dans le Père Duchêne et leur dit proprement : Vous tombez dans la mélasse. Il vomit sur tout le monde, ce Vermersch, Lefrançais perd patience et l'invite à venir avec lui faire un tour aux avant-postes du côté de la porte Maillot ; Vermersch n'a garde de répondre à cette proposition, qui ne convient pas à ses habitudes ; Lefrançais triomphe et accable d'injures Vermersch, qui ne s'en émeut.

Vésinier et Rochefort se prennent aux cheveux et se crachent quelques vérités au visage. Vésinier perd la tête sous les coups de fouet de son interlocuteur et, ne sachant plus que dire, il ramasse l'insulte familière aux gens de son espèce. Il accuse Rochefort d'avoir, sous l'Empire, émargé à la préfecture de police. C'était ne pas mettre les rieurs de son côté. Rochefort s'en tira avec esprit : Qui donc, dit-il, a pu révéler au gracieux Vésinier ce terrible secret que je croyais si bien gardé ? Moi qui n'ai fait paraître la Lanterne que pour détourner les soupçons.

Tous ces héros de barricades sont du reste coutumiers de telles polémiques. On se souvient de la façon dont Rochefort a houspillé J.-B. Millière dans les derniers mois du second empire ? A propos du produit d'une souscription peu importante, mais que l'on ne retrouvait pas, Rochefort écrivait à Millière, dans la Marseillaise du 12 juillet 1870 : J'apprends à l'instant votre refus de rendre l'argent déposé en votre nom. Ceci clôt toute discussion. Vous êtes un lâche et un voleur, et je ne puis que m'applaudir d'être à jamais séparé de l'individu qui a laissé disparaître 16 500 francs de la caisse. Vous voyez que la rédaction avait raison quand elle m'assurait que vous étiez une affreuse canaille.

D'après les confidences que l'on ne craignait pas de faire au public, on peut se figurer ce que durent être certaines séances de la Commune, certains conciliabules des commissions. Vermorel, vers qui il est impossible de ne pas regarder avec commisération, disait : Le dégoût me prend au milieu de tant de sottise, de tant de prétention, de tant de lâcheté ; nous n'avons que des imbéciles, des fripons ou des traîtres, instruments vils et ridicules ; rien que des personnalités grotesques ou monstrueuses. Oui, ce n'était que cela, et c'est pourquoi il n'en pouvait sortir que la Commune. Elle avait été frappée d'incohérence le jour même où elle avait pris le pouvoir ; elle ne faisait rien, parce qu'elle ne savait rien faire ; elle ne parvenait à résoudre aucune question, parce qu'elle les ignorait toutes. Elle sentait son impuissance et, comme toujours, en accusait les menées réactionnaires ; elle accusait les chouans et les cléricaux, comme jadis on avait accusé Pitt et Cobourg.

Ce fut Pourille, dit Blanchet, qui le 22 avril, pendant que Varlin présidait, se chargea d'expliquer pourquoi la Commune voyait s'éloigner d'elle la majeure partie de la population. Nous n'employons pas les moyens révolutionnaires ; parlons moins, agissons plus ; moins de décrets, plus d'exécution. Où en est le décret sur le jury d'accusation ? et la loi sur les réfractaires non appliquée ? et la colonne Vendôme, qui n'est pas encore abattue ? La Commune n'est pas révolutionnaire. Le président Varlin interrompit l'orateur en disant : Ceux qui crient le plus fort ne sont pas ceux qui font le plus. Ce mot frappait directement Blanchet-Pourille, qui sous l'Empire avait été employé à la police de Lyon.

Delescluze, dans les récriminations de Blanchet, vit une accusation portée contre l'ancienne commission exécutive dont il avait fait partie ; il se leva pour la défendre. Sa parole est amère ; l'homme qui au 51 octobre disait avec désespoir : C'est un 4 septembre manqué, ne devait point pardonner à ceux qui l'avaient momentanément relégué à un rang inférieur, et il attribue cette demi-chute à une rancune personnelle. Il indique le mal dont la Commune souffre et souffrira jusqu'à l'heure suprême : S'il y a quelques discordes, n'est-ce point pour cette question de galons qui divise certains chefs ? Il y a des tiraillements à cause des jalousies et des compétitions. C'est l'élément militaire qui domine, et c'est l'élément civil qui devrait dominer toujours. On sent là, dans ces derniers mots, la tradition jacobine qui s'affirme ; c'est elle qui l'emportera à la fin, et la stratégie de la Commune ne sera plus qu'une série de reculades et de cruautés. Ce fut clans cette même séance qu'emporté par son ressentiment, Delescluze a prononcé des paroles auxquelles sa mort a donné une sorte de consécration prophétique : Croyez-vous donc, dit-il, que tout le monde approuve ce qui se fait ici ? Eh bien, il y a des membres qui sont restés, et qui resteront jusqu'à la fin, malgré les insultes qu'on nous prodigue, et si nous ne triomphons pas, ils ne seront pas les derniers à se faire tuer soit aux remparts, soit ailleurs. Ceci s'adressait à Félix Pyat, que l'on ne put retrouver parmi les morts.

La séance du 23 avril fut importante et provoqua une sorte de révolution de palais qui eut des conséquences graves, car elle entraîna Raoul Rigault à donner sa démission de délégué à la sûreté générale. Voulut-on éloigner Rigault de la préfecture de police, où il menait une existence scandaleuse ? Voulut-on lui faire comprendre qu'il n'avait pas le droit d'interdire l'entrée des prisons et la visite des prisonniers aux membres de la Commune ? Je ne sais. Jules Vallès, qui comme presque tous les écrivains, était bien plus violent dans ses paroles que dans ses actes, qui, appartenant à la minorité de la Commune, penchait vers les idées socialistes, et ne subissait qu'avec peine la brutalité des jacobins et des hébertistes, Vallès proposa de reconnaître aux membres de la Commune le droit de visiter les prisons et tous les établissements publics. Sa motion fut adoptée à l'unanimité. Raoul Rigault était absent.

Le lendemain 24 il accourut ; il demanda avec hauteur à la Commune de revenir sur le vote de la veille, au moins en ce qui concernait les individus au secret. La Commune se divise en deux camps opposés. D'un côté, ceux qui veulent à tout prix maintenir ce qu'ils appellent les principes, — de l'autre ceux qui, n'ayant égard qu'aux circonstances, font abstraction desdits principes et ne tiennent compte que des nécessités du moment. La lutte fut ardente et, comme toujours, très confuse. Jourde, Amouroux, Billioray, Parisel, Vermorel, sont partisans de toutes les libertés, mais actuellement elles doivent être ajournées ; il faut d'abord vaincre la réaction, ensuite on abolira le secret, mais, en attendant, il n'est que prudent de le maintenir. — Arthur Arnould, ordinairement obscur et nuageux, est, cette fois, très précis. On a proclamé des principes, on a le devoir de les appliquer quand même. Il y a quelque chose de bien fâcheux, dit-il, c'est, quand on a tenu un drapeau toute sa vie, de changer la couleur de ce drapeau quand on arrive au pouvoir. Il en est toujours de même, dit-on dans le public. En bien ! nous, républicains démocrates-socialistes, nous ne devons pas nous servir de moyens dont se servaient les despotes.

Dans cette discussion, Arthur Arnould fait preuve, d'un esprit peu politique, mais animé d'intentions excellentes. L'ordre du jour pur et simple, proposé par Vallès, est adopté par vingt-quatre voix contre dix-sept. Raoul Rigault donne sa démission de délégué à la sûreté générale. Il est imité par Théophile Ferré. Deux jours après, Raoul Rigault était nommé procureur général de la Commune ; s'il n'était plus le gardien des prisons, il en devenait le pourvoyeur, et c'est là une fonction pour laquelle il semblait né.

On avait eu beau substituer les délégués aux commissions, la commission supérieure à la commission exécutive, remplacer Bergeret emprisonné par Cluseret qu'on allait emprisonner, les choses n'en allaient pas mieux. La Commune craquait de toutes parts. Les administrations municipales ou ministérielles étaient tombées plus qu'en décomposition ; les opérations militaires, malgré les dépêches menteuses qui en rendaient compte, n'étaient qu'une suite de défaites. La ville devenait déserte : seules les prisons étaient pleines. Ce n'est plus une révolution, c'est un chaos. Un homme de génie ne s'y pourrait reconnaître et, selon le mot de Vermorel, il n'y a que des imbéciles, des fripons et des traîtres.

Les yeux les moins clairvoyants sont frappés de ce désarroi, et le Comité central de la fédération de la garde nationale, qui n'a cessé de fonctionner malgré son apparente abdication, qui bien souvent a neutralisé l'action de la Commune, qui lui aussi, et de son autorité privée, surveille les délégués, se glisse partout, écoute aux portes et rêve de rentrer en maître dans l'Hôtel de Ville, le Comité central s'émeut. La dernière fois qu'il a parlé au public, c'est le 6 avril, et ce qu'il lui a dit ne doit pas être oublié : Le Comité central a la confiance que l'héroïque population parisienne va s'immortaliser et régénérer le monde ! L'héroïque population parisienne ne se battait pas mal, buvait outre mesure, s'immortalisait fort peu et ne régénérait rien du tout. Le Comité central s'en apercevait ; avec un peu de jugement, il aurait pu le prévoir. Loin de croire, comme Delescluze, que l'élément militaire paralysait l'élément civil, il estime le contraire, car il représentait la garde nationale fédérée, c'est-à-dire l'armée de la révolution, armée formidable, admirablement outillée, que des circonstances exceptionnelles avaient formée, qu'on ne retrouverait peut-être jamais en telle force, et qui cependant se désorganisait avec une inconcevable rapidité.

Vers le 25 avril, au moment où la Commune est sur le point de se disloquer encore pour essayer de se concréter bientôt dans un Comité de salut public, le Comité central intervient. C'est à ce moment qu'il faut, je crois, placer cette pièce non datée qui indique combien l'esprit des meneurs est troublé, combien les cœurs défaillent, combien d'espérances se sont envolées :

Aux membres de la Commune. Le découragement le plus grand règne dans la garde nationale. Une colère sourde s'amasse dans les cœurs. Les chefs, Dombrowski, Okolowicz, etc., sont désolés et presque sans hommes. Pour eux la position n'est plus tenable si des mesures énergiques et immédiates ne sont prises. Il faut arrêter Cluseret, nommer Dombrowski commandant en chef, constituer tous les militaires en conseil de guerre, délibérant sous les yeux d'un commissaire de la Commune. Il faut des organisateurs civils responsables du contrôle, et cela vite, vite, vite, ou tout est perdu. Pour le Comité central et sur délégation : E. Tournois, Boison, A. Bonnet, Houzelot, Marceau, Laroque.

 

Le principe révolutionnaire, celui-là même qui a perdu toute révolution, se montre là dans sa simplicité : mettre les chefs d'armée en présence d'une assemblée, — commission ou comité, — qui discute les opérations militaires, brise toute initiative individuelle, impose des opinions collectives, c'est-à-dire médiocres, émoussées par les concessions réciproques, et délibère au lieu d'agir. Par cette remontrance adressée à l'Hôtel de Ville, le Comité central croyait peut-être changer la marche des choses, il ne faisait, au contraire, que la continuer, que l'accentuer ; seulement il substituait son action militaire à celle de la Commune et ne laissait à celle-ci qu'une organisation civile, diminuée par la responsabilité même du contrôle. La Commune vit sans doute le piège, et ne répondit pas. La Commune, le Comité central, la fédération révoltée, tout ce monde étrange qui prenait ses vociférations pour des idées et la cruauté pour du courage, ne s'apercevait pas qu'il mourait d'une maladie à double caractère : d'un côté, absence d'initiative ; de l'autre, manque complet de discipline.

Parmi les conseils que le Comité central faisait parvenir à la Commune, celle-ci n'en retint qu'un seul : elle fit arrêter Cluseret, son délégué à la guerre, le chef des opérations militaires, qui avaient mal réussi. Cluseret n'avait point été tendre pour ses prédécesseurs. Il avait traité Eudes, Duval, Bergeret de jeunes gens et avait déclaré, à propos du mouvement tenté le 3 avril sur Versailles, qu'ils ignoraient le premier mot de ce qu'ils allaient faire. C'est sur sa demande que Bergeret avait été arrêté et incarcéré à Mazas. Dans la lettre qu'il écrivit à la Commune, Cluseret accuse Bergeret d'avoir déployé un luxe antirépublicain, d'avoir fait étalage d'un état-major ridicule, d'avoir voulu jouer à l'aristocrate militaire... d'avoir mis son ambition personnelle au-dessus du devoir et du bien public. Il demande que Bergeret soit maintenu en état d'arrestation jusqu'à la fin des hostilités, parce que sa présence parmi les gardes nationaux serait un objet de trouble, vu le caractère présomptueux, intrigant et personnel dudit citoyen.

On dit qu'à Mazas Bergeret écrivit sur le mur de sa cellule : A bientôt, Cluseret, je t'attends ici. Cluseret emprisonné fut remplacé par Rossel, et ce remplacement concordait avec la nouvelle évolution que la Commune accomplissait. Elle laissait les délégués à leur poste, supprimait les commissions, et, sous le litre de Comité de salut public, créait une dictature composée de cinq personnes. Cette mesure d'une insurrection in extremis fut vivement et vainement combattue dans des discussions que j'ai déjà résumées[14].

Cette fois la scission était définitive : les deux factions qui se partageaient la Commune étaient face à face, se haïssant et cherchant à se supplanter. Les deux groupes ne se réuniront qu'à l'heure du dernier combat, lorsqu'il s'agira de mettre à exécution le programme formulé depuis tant d'années : Paris sera à nous, ou Paris ne sera plus ! Mais jusque-là ils se côtoient et s'observent sans se mêler : d'une part les socialistes, qui se croient intelligents parce qu'ils rêvent tout éveillés ; de l'autre les jacobins, qui se croient énergiques parce qu'ils se savent prêts à toutes les violences.

Pendant que la Commune entrait déjà en agonie, elle recevait de quelques étrangers des encouragements qui la chatouillaient au plus vif de son amour-propre et qui lui faisaient peut-être espérer qu'un jour elle serait reconnue comme gouvernement régulier. Un député de Leipzig, socialiste de profession, M. Bebel, était monté à la tribune du Reichstag de Berlin et avait fait l'éloge de la Commune de Paris ; on avait laissé passer ses paroles sans protestation, car il est certains goûts dont il ne faut pas disputer ; mais l'hilarité ne se contint plus lorsque l'on entendit l'orateur s'écrier : On accuse la Commune de pousser à la guerre civile ; c'est une calomnie, car la modération a toujours été de son côté. L'Hôtel de Ville fut flatté de cette attestation de bonne conduite qui lui était publiquement décernée sur les bords de la Sprée, là même où sept ans plus tard un régicide devait gravir les degrés de l'échafaud en criant : Vive la Commune ! et il la fit insérer dans ses journaux.

Il y joignit une adresse qu'une Société démocratique de Florence lui avait économiquement expédiée par la poste : Que vous soyez victorieux ou vaincus, notre drapeau (le drapeau rouge) n'en restera pas moins le glorieux étendard de l'avenir ; nous ou nos fils recueillerons ce sang, et cette terre ensanglantée, nous la jetterons au ciel avec cette exclamation : Notre jour viendra ! — La voix de Bebel, les phrases de quelques Florentins répondirent seules à cette invitation à la République universelle que le Comité central et la Commune avaient lancée du haut de l'Hôtel de Ville. C'était peu de chose, et le délégué aux relations extérieures n'eut point d'ambassadeurs extraordinaires à envoyer vers les peuples alliés. La Commune devait rester un fait isolé, une sorte d'accès d'envie furieuse que les nations contemplaient avec stupeur et que la France supporta avec désespoir.

Si la Commune qui, dès l'heure de sa naissance, s'était mise au ban de la civilisation par l'assassinat du général Lecomte et de Clément Thomas, n'eut aucune action diplomatique à entamer, il se trouva des gens de bonne volonté que leur désir de la paix poussa vers une négociation dont le résultat était bien aléatoire. Quelques hommes d'opinions libérales, affligés de cette guerre qui ressemblait à une lutte de gladiateurs offerte par des vaincus à l'Allemagne victorieuse, voulurent apaiser les esprits, prêcher la conciliation, obtenir de part et d'autre quelques concessions et fermer cette plaie vive par où le sang de la France menaçait, de s'écouler.

Ils voulurent servir d'intermédiaires entre Paris et Versailles, entre l'Hôtel de Ville et l'Assemblée nationale. De chaque côté ils se brisèrent contre d'invincibles résistances. La Commune ne voulait déposer les armes qu'après avoir obtenu tout ce qu' elle réclamait ; M. Thiers, chef du pouvoir exécutif, parlant au nom de la représentation légale du pays, ne voulait rien accorder avant que l'insurrection ne se fût soumise et n'eût ouvert les portes de Paris. On eut beau invoquer la raison, le patriotisme, le sentiment, tout fut inutile, et le duel continua. Plusieurs interventions se produisirent, qui toutes demeurèrent stériles ; la plus importante fut celle que l'on nomma la manifestation des francs-maçons ; elle étonna les Parisiens et elle fut, je crois, la seule dont la Commune accepta franchement le concours.

 

V. — LA MANIFESTATION DES FRANCS-MAÇONS.

La Commune suscite la manifestation. — Première intervention. — Entrevue avec M. Thiers. — Convocation. — Mandat impératif. — Les soucis de M. Thiers. — Il rejette la demande des délégués francs-maçons. — Prétendue assemblée plénière. — On veut compromettre toute la franc-maçonnerie. — Protestations. — Réunion au théâtre du Châtelet. — Résolution criminelle. — A l'Hôtel de Ville. — Le T*** C*** F*** Thirifocq. — L'écharpe de Jules Vallès. — Convocation. — Pas assez coloristes. — Représentation théâtrale. — Félix Pyat, Léo Meillet et Thirifocq. — Cohue. — On rit de la manifestation. — Combat d'artillerie. —On fait cesser le feu. — Les bannières sont plantées sur les remparts. — Entrevue des délégués et du général Montaudon. — Les délégués à Versailles. — Repoussés par M. Thiers. — On enlève les bannières. — Rapport de Simon Mayer. — Indignation de la majorité des francs-maçons. — Le Cri du peuple. — Appel à la révolte. — Les deux ballons et le manifeste. — Des juges ? non, des bourreaux.

 

Malgré les ordres du jour où elle affichait la certitude de vaincre, la Commune était loin d'être rassurée. Elle se savait battue partout, sur les champs de bataille aussi bien que dans l'opinion publique. Elle avait beau chanter victoire, les jours de son existence étaient comptés ; elle ne l'ignorait pas. Aussi ne repoussait-elle aucune des interventions qui s'offraient, dans l'espoir de parvenir à traiter avec ce gouvernement de Versailles qu'elle affectait de mépriser si fort, mais dont elle connaissait et redoutait la puissance. Il est donc probable que c'est elle qui, par ses membres affiliés, mit en œuvre la manifestation maçonnique, manifestation restreinte à laquelle on essaya de donner un caractère d'universalité et dans laquelle le gouvernement de l'Hôtel de Ville comptait plus d'un adhérent. En un mot, elle tenta de compromettre la maçonnerie tout entière et de la rattacher à la Commune. Il est inutile de dire qu'elle échoua en ceci comme en toutes choses.

Dès le 11 avril, quelques francs-maçons, agissant individuellement, s'étaient rendus à Versailles près de M. Thiers, afin de reconnaître s'il n'y aurait pas lieu d'ébaucher une tentative de conciliation. M. Thiers les accueillit avec courtoisie, approuva leur conduite, loua les efforts qu'ils faisaient pour mettre fin à la guerre civile, mais ajouta, — un peu ironiquement sans doute, — que c'était à la Commune et non pas à lui qu'il fallait prêcher la paix ; que cette paix, il était prêt à l'accorder, aussitôt que l'insurrection aurait déposé les armes, fait acte de soumission et reconnu le gouvernement légal de la France. M. Thiers leur fit observer, en outre, qu'ils n'étaient munis d'aucun mandat régulier et qu'il les avait reçus parce qu'il ne se refusait à dire à personne quelles étaient ses intentions et sa ferme volonté. Les francs-maçons, qui s'étaient délégués eux-mêmes, revinrent un peu penauds et rendirent compte à leurs loges. Celles-ci convoquèrent les membres des ateliers pour nommer une commission qui définirait le mandat dont les délégués devaient être officiellement chargés.

C'est alors que les T*** C*** F***, de la Commune interviennent et imposent un mandat impératif qui est accepté par les délégués dans la séance du 21 avril : 1° Obtenir un armistice pour l'évacuation des villages bombardés ; 2° demander énergiquement à Versailles la paix basée sur le programme de la Commune, le seul qui puisse amener la paix définitive. En ne repoussant pas immédiatement ce mandat, les francs-maçons cessaient d'être des intermédiaires et devenaient les alliés de la Commune. Il était facile d'obtenir la suspension d'armes spécialement réclamée pour Neuilly, car la Ligue d'union républicaine l'avait déjà demandée, et avait, à cet égard, reçu des promesses qui devinrent bientôt une réalité ; mais exiger que l'Assemblée nationale adoptât le programme de la Commune, c'était dépasser ce que le bon sens autorisait et ce que le patriotisme pouvait permettre. Les délégués purent s'en apercevoir à la réception que M. Thiers leur réserva.

Jamais homme d'État ne fut plus accablé de soins et de soucis que M. Thiers à ce moment. Il dirigeait tout, assumant sur sa tête avec une juvénile énergie la responsabilité du grand acte qui devait faire rentrer la France en possession de sa capitale. Non seulement il menait l'œuvre d'ensemble, mais il n'est si mince détail qui ne l'occupât et dont il ne voulût être instruit. Ramener les prisonniers d'Allemagne, reconstituer l'armée, donner l'impulsion à tous les ministères, travailler directement avec les chefs de service, être en rapports constants avec la Commission des Quinze qui, législativement placée près de lui pour l'aider, ne faisait souvent qu'entraver ses résolutions et diminuer son pouvoir ; paraître incessamment devant une Assemblée inquiète, impatiente, qu'il fallait calmer, gourmander, raffermir, exciter ou distraire ; écouter les faiseurs de projets, entretenir avec Paris insurgé des relations occultes, nourrir les troupes allemandes, activer les négociations pour la paix encore indécise, ne décourager aucune espérance et n'encourager aucune ambition, c'était un labeur excessif, sous lequel tout autre peut-être eût succombé et que ce frêle vieillard supporta avec une fermeté sans égale.

Il eût été naturel qu'au milieu de ces préoccupations, avare de son temps dont chaque minute était précieuse, M. Thiers refusât, de recevoir une délégation sans autorité, dont les propositions connues d'avance ne pouvaient être que repoussées. Il n'en fut rien : sur la demande de M. Jules Simon, la députation d'un certain nombre d'ateliers de quelques loges de Paris fut admise, le 22 avril, près du président de la République, quoiqu'elle se présentât une heure après le moment indiqué pour l'audience. M. Thiers écouta les observations qui lui furent faites, il ne sourcilla pas, même lorsqu'on lui proposa la paix à la condition d'accepter le programme de la Commune ; puis avec une froideur voulue, car elle n'était guère dans ses habitudes expansives, il répondit qu'il avait pour premier devoir de défendre l'Assemblée nationale et qu'il saurait n'y point faillir.

Si les francs-maçons délégués avaient été fidèles à leur devise pacifique, ils se le seraient tenu pour dit et en seraient restés là. Leur intervention, déjà détournée de son principe par l'adoption du programme de la Commune, avait échoué et ne pouvait aboutir à aucun résultat ; ils auraient dû le comprendre et ne point essayer d'entraîner la totalité de la franc-maçonnerie dans la guerre civile. Le 24, les délégués, irrités de l'accueil qu'ils avaient reçu, firent le récit de leur mésaventure et convoquèrent pour le 26 avril une assemblée plénière de tous les francs-maçons présents à Paris. C'est alors que la Commune s'empare, non pas de la franc-maçonnerie, mais du groupe libre-penseur et dissident qui s'arrogeait le droit de la représenter. Au-dessous de la convocation on lisait la déclaration suivante : En présence du refus du gouvernement de Versailles d'accepter les franchises municipales de Paris, les francs-maçons réunis en assemblée générale protestent et déclarent que, pour obtenir ces franchises, ils emploieront, à partir de ce jour, tous les moyens qui sont en leur pouvoir. Plusieurs délégués avaient refusé de signer cette provocation. Il pouvait convenir, en effet, à quelques hommes honorables d'intervenir dans une œuvre d'apaisement, mais ils répudiaient, par le seul fait de leur abstention, toute part, même indirecte, prise à la révolte.

L'affiche était à peine placardée que les protestations se produisirent de toutes parts, individuelles et collectives. Un vénérable écrit : Dans la voie nouvelle où s'est engagée la réunion maçonnique, il m'est impossible de la suivre. Il ne s'agit plus de conciliation ; on a délaissé le but humanitaire et patriotique que l'on poursuivait d'abord. Le Grand-Orient de France, par les membres du conseil de l'ordre, déclare que la réunion générale de tous les représentants des ateliers de l'obédience, régulièrement convoqués, a seule le droit de prendre le titre d'Assemblée générale de la maçonnerie française, qu'en conséquence la franc-maçonnerie du Grand-Orient de France ne se trouve nullement liée par la résolution prise ; car celle-ci n'engage que les maçons qui y ont personnellement adhéré. Il était impossible de recevoir un désaveu plus catégorique ; les délégués savaient bien qu'ils ne représentaient pas la franc-maçonnerie et qu'ils ne représentaient qu'eux-mêmes ; la Commune le savait bien aussi, mais c'était là une occasion de faire un peu de tapage, d'organiser un défilé théâtral, d'abuser la population parisienne et de mentir une fois de plus ; cette occasion, elle se garda bien de la laisser échapper.

Le 26, environ mille huit cents maçons se réunirent dans le théâtre du Châtelet ; selon l'usage, on nomma un orateur. C'était un député — il l'est encore, — qui appartenait au rite écossais. Malgré son discours, qui adjurait les maçons d'abandonner la voie où ils s'engageaient, la résolution adoptée fut criminelle : Ayant épuisé tous les moyens de conciliation avec le gouvernement de Versailles, la franc-maçonnerie est résolue à planter ses bannières sur les remparts de Paris, et si une seule balle les touchait, les frères maçons marcheraient contre l'ennemi commun. On fit plus, on se rendit en corps à l'Hôtel de Ville pour faire part à la Commune de cette résolution. Les membres de là Commune descendirent au-devant des délégués de la maçonnerie, afin de les recevoir dans la cour d'honneur. Il faut dire que ces délégués représentaient la maçonnerie de France à peu près comme le groupe d'étrangers conduit le 19 juin 1790 par Anacharsis Clootz à l'Assemblée nationale avait représenté le genre humain.

L'orateur de la manifestation s'appelait Thirifocq ; il dit : Depuis que la Commune existe, la franc-maçonnerie a compris qu'elle sera la base de nos réformes sociales. C'est la plus grande révolution qu'il ait jamais été donné au monde de contempler. Si au début du mouvement les francs-maçons n'ont pas voulu agir, c'est qu'ils tenaient à acquérir la preuve que Versailles ne voulait entendre aucune conciliation. Comment supposer, en effet, que des criminels puissent accepter une conciliation quelconque avec leurs juges ?... Ce fut une explosion de cris : Vive la Commune ! Vive la franc-maçonnerie ! Vive la République universelle !

La Commune était très fière ; depuis qu'elle campait ; à l'Hôtel de Ville, c'était la première fois que quelque chose venait la féliciter. Jules Vallès offrit son écharpe au frère Thirifocq, qui l'accepta et déclara que cet emblème resterait dans les archives de la franc-maçonnerie en souvenir de ce jour mémorable. Lefrançais parla, Allix parla aussi ; un vénérable de la loge écossaise annonça que la Commune était le nouveau temple Salomon. Avant de s'éloigner, la députation attacha l'écharpe de Jules Vallès à sa bannière et reçut un drapeau rouge. Puis, après deux triples batteries aux rites français et écossais, on se sépara, en s'ajournant au samedi 29 avril, pour faire une manifestation suprême et mettre le gouvernement légal en demeure de capituler. Les communards ne se tenaient pas de joie ; Jules Vallès écrivit dans le Cri du peuple : C'est la défaite de Versailles.

Les convocations furent faites ; celles du Grand-Orient par voie d'annonce dans les journaux ; celles du rite écossais par lettre individuelle, d'une rédaction singulièrement emphatique : T*** C*** F***, vous êtes invité à vous rendre... pour accompagner votre bannière qui, représentant la fraternité des peuples, va par sa présence protester contre la tyrannie et assurer aux générations futures l'avenir de la liberté.  Le rite de Misraïm ne fut point officiellement appelé ; il ne fut représenté que par une dizaine de délégués, dont l'un portait la petite tenue de sous-lieutenant d'infanterie. Le rendez-vous était fixé pour neuf heures du matin et indiquait la cour du Louvre. Chaque loge a sa bannière ; chaque membre de l'atelier a revêtu les insignes de son grade. Les chevaliers rose-croix ont au cou le cordon rouge, les chevaliers Kadoches ont en sautoir l'écharpe noire frangée d'argent. J'étais là ; j'avais voulu me rendre compte de l'importance de cette manifestation. Je me trouvais placé près d'un peintre de talent, nous causions ; nous regardions ces bannières de toutes couleurs où s'étalaient des devises fraternitaires qui avaient bien peu de raison d'être en ce moment ; les étendards, les écharpes, les tabliers, les rubans formaient une indescriptible confusion de nuances déplaisantes ; le peintre eut un geste de colère et me dit : Je ne serai jamais franc-maçon ; ces gens-là sont trop peu coloristes.

On avait l'intention de se réunir dans le Carrousel, mais on avait compté sans la foule désœuvrée, avide de spectacles, qui avait envahi, non seulement le Carrousel, mais encore le square Napoléon. On résolut alors de se transporter dans la cour des Tuileries, et à dix heures du matin le cortège se mit en marche, précédé par des chasseurs de la Commune, suivi par le 199e bataillon fédéré. Au moment où les maçons, après avoir à grand'peine traversé le flot de curieux qui encombraient leur route, allaient pénétrer dans la cour des Tuileries, les délégués de la Commune, Félix Pyat, Lefrançais, Frankel, Pottier et Clément, arrivaient en grand appareil, escortés de deux bataillons commandés par quatre officiers supérieurs à cheval, accompagnés d'une musique qui ne s'épargnait pas. On échangea des félicitations, et tout ce monde, membres de la Commune, fédérés, tambours, officiers à cheval, ophicléides, Grand-Orient, rite écossais, Misraïm, grosses caisses, bannières, curieux et curieuses s'en allèrent par la rue de Rivoli vers l'Hôtel de Ville.

Là on fit du cirque olympique ; les porteurs de bannière se rangèrent, comme pour l'apothéose d'un cinquième acte, sur les marches de l'escalier d'honneur ; on cria beaucoup, et lorsque le calme fut rétabli, Félix Pyat fit un discours : Balles homicides, boulets fratricides.... Aux hommes de Versailles, vous allez tendre une main désarmée, mais désarmée pour un moment... Et obéissant au mot d'ordre de la Commune, il termina en criant : Vive la République universelle ! Le père Beslay était ému ; il fit aussi un petit discours, un peu terne, un peu sénile, et donna l'accolade fraternelle à un frère placé près de lui. On demanda la Marseillaise, et la musique d'un bataillon ne se le fit pas répéter. Lorsqu'un sang impur eut suffisamment abreuvé nos sillons, Léo Meillet prit la parole : Vous venez d'entendre la seule musique que nous puissions écouter jusqu'à la paix définitive. Voici le drapeau rouge que la Commune de Paris offre aux députations maçonniques... il sera placé au devant de vos bannières et devant les balles homicides de Versailles.

Ce fut encore le T.. C.. F.-. Thirifocq qui reçut le drapeau et profita de l'occasion pour parler. Si nous ne sommes pas entendus et si l'on tire sur nous, nous appellerons à notre aide toutes les vengeances. Tous ensemble nous nous joindrons aux compagnies de guerre pour prendre part à la bataille, et encourager de notre exemple les courageux et glorieux défenseurs de notre ville. Puis le citoyen Thirifocq, agitant le drapeau de la Commune, s'écria : Maintenant plus de paroles, à l'action ! L'action consistait à déployer les bannières maçonniques sur le talus des fortifications, et à obtenir une suspension d'armes afin de faire une dernière démarche près de M. Thiers. Au moment où le cortège se reformait pour se mettre en route, on enleva un ballon en baudruche sur lequel on pouvait distinguer les trois points maçonniques et lire : La Commune à la France. C'est ainsi que les hommes de l'Hôtel de Ville espéraient apprendre au pays tout entier que la maçonnerie parisienne, représentée par un nombre infime d'individus, venait de mettre sa main dans leurs mains sanglantes. Le cortège s'en alla faire un petit tour sur la place de la Bastille pour saluer le monument des martyrs de la liberté, puis descendit les boulevards, prit la rue Royale et s'engagea dans les Champs-Elysées.

Si les francs-maçons qui' ont cru devoir se mêler à cette manifestation derrière laquelle se cachait une déclaration de guerre adressée au gouvernement légal, se sont imaginé qu'ils ont produit une impression sérieuse sur la population de Paris, ils ont eu de grandes illusions. On en a ri et plus d'un quolibet les a salués au passage. On a parlé de leur nombre ; on a dit qu'ils étaient cinq mille. Ce chiffre est extraordinairement gonflé ; en le réduisant au moins de moitié, on fera encore une large part à l'exagération. Ce n'était point un cortège, comme on l'a dit ; ce n'était même pas une bande, c'était une cohue.

Les gamins les regardaient : En voilà des marchands de rubans ! Les uns étaient à pied, les autres en voiture ; autour des bannières il y avait cependant quelques groupes compacts. Sur la place de la Concorde et dans les Champs-Elysées, ils trouvèrent une nouvelle foule de curieux qui, marchant dans les contre-allées ou se mêlant à eux sur la chaussée, les escorta jusqu'aux environs de l'Arc de Triomphe. Un obus vint éclater à l'entrée de l'avenue d'Eylau ; la panique fut générale, les curieux décampèrent et quelques francs-maçons aussi. On eût pu croire que cet obus était un signal, car un combat d'artillerie s'engagea. Les batteries fédérées de la porte Maillot et de la porte des Ternes ne ralentissaient pas leur feu. Les pièces voisines se mirent de la partie : de Montrouge à Saint-Ouen, les fortifications faisaient rage.

La place était un peu chaude. Avec prudence, la manifestation se dirigea vers l'avenue de Friedland et se groupa, loin de tout danger, à la hauteur du n° 59. Le temps s'était gâté. Il tombait une petite pluie fine peu propice aux actes d'héroïsme. Au lieu de s'en aller planter ses bannières sous le feu de l'ennemi et de l'arrêter par la seule force morale, ainsi que l'on en avait eu l'intention, on expédia des estafettes aux postes fédérés pour faire cesser le feu et l'on arbora le drapeau parlementaire sur la barricade élevée en avant de l'Arc de Triomphe. Le général Leclerc savait à quoi s'en tenir, car le gouvernement de Versailles n'ignorait aucun des projets que l'on devait, ce jour-là, tâcher de mettre à exécution. Sur son ordre, la batterie de Courbevoie se tut. La délégation, composée de vénérables accompagnés des porte-bannières, défila dans l'avenue de la Grande-Armée. Depuis la porte Dauphine jusqu'au delà de la porte Maillot, de cent mètres en cent mètres, les bannières maçonniques furent fichées sur les remparts. Les fédérés battaient des mains et criaient : Vivent les francs-maçons. Les principaux délégués, — environ une quarantaine, — franchirent les défenses de la porte Maillot et s'avancèrent avec calme dans l'avenue de Neuilly, précédés par une bannière qui, je crois, était blanche et portait la devise : Aimons-nous les uns les autres, écrite en lettres rouges.

Au pont de Neuilly, le général Leclerc accueillit les délégués et en conduisit trois, les yeux bandés, au général Montaudon, qui commandait en chef. Celui-ci était franc-maçon : on échangea les saluts d'usage et les signes de reconnaissance. Le général fut très net. — Il était soldat, il obéissait à des ordres qu'il n'avait pas le droit de discuter. A la vue des bannières maçonniques qu'il était accoutumé à respecter, il a pu prendre sur lui de faire suspendre le feu, mais c'est là une sorte de trêve courtoise qui, à moins d'instructions supérieures, ne peut se prolonger. Il engageait donc les T. C. F., à envoyer une députation à Versailles, et à cet effet il mettait une voiture à leur disposition. — Pendant qu'un des trois vénérables retourne à Paris porter les nouvelles de l'entrevue, et que les deux autres partent pour Versailles, les porte-bannières s'installent comme ils peuvent sur les fortifications pour y passer la nuit, près de leurs étendards. Le général Montaudon avait du reste promis qu'il ne rouvrirait son feu qu'après le retour des délégués. Les autres francs-maçons rentrèrent simplement chez eux, sauf une centaine qui se constituèrent en permanence, avenue de Wagram, dans le salon d'un bal public.

Les délégués qui parvinrent jusqu'à M. Thiers ne se présentaient plus comme les mandataires d'un groupe de citoyens animés d'intentions pacifiques et cherchant une base de conciliation possible ; ils arrivaient en quelque sorte avec le caractère usurpé d'ambassadeurs d'une puissance médiatrice, imposant la paix et se préparant à la guerre si leurs conditions étaient rejetées. C'était intempestif, pour ne dire plus, et si M. Thiers n'avait été doué d'une longanimité à la fois naturelle et politique, il est fort probable que ces parlementaires irréguliers auraient couché ailleurs que chez eux. M. Thiers fut hautain : Que Paris mette bas les armes, et j'écouterai alors toute proposition raisonnable ; sinon, non. Les délégués, qui avaient compté sur la manifestation et sur l'exhibition des bannières pour inspirer quelque respect et peut-être même quelque crainte au président de la République, se trouvèrent assez déconfits. L'entrevue n'avait pas duré cinq minutes, mais elle avait suffi à leur prouver une fois de plus, une dernière fois, que le chef de l'État était décidé à ne reconnaître, sous aucun prétexte, les droits que Paris révolté s'arrogeait de vouloir disloquer la France à son profit. Les délégués se retirèrent. Ils ne se sentaient pas en sûreté à Versailles ; ils s'imaginaient, bien à tort, qu'on allait les arrêter. On dit qu'ils cherchèrent une voiture et que, n'en trouvant pas, ils se dirigèrent modestement à pied vers Paris, où ils arrivèrent à six heures du matin, fatigués et peu satisfaits. On a prétendu que parmi les délégués il y avait un membre de la Commune ; c'est une erreur.

Les francs-maçons qui, au nombre d'une centaine, s'étaient établis en permanence dans une maison de l'avenue Wagram, furent les premiers avertis de la déconvenue de leurs délégués. On discuta, et les avis furent partagés ; les uns voulaient retirer immédiatement les bannières exposées sur les remparts ; les autres disaient : Non, il faut les laisser et prendre les armes, si une seule d'entre elles est atteinte par les projectiles versaillais. Il me semble que l'on adopta un moyen terme afin de contenter tout le monde. La majeure partie des bannières fut enlevée le jour même, vers cinq heures du soir, peu d'instants avant la reprise des hostilités. Quelques-unes restèrent plantées sur les fortifications jusqu'au 2 mai ; alors on les fit disparaître, et il n'en fut plus question.

Le major commandant de la place Vendôme, Simon Mayer, qui fut, sur les buttes Montmartre, un des mieux méritants de la journée du 18 mars et qui, le 16 mai, devait précipiter le drapeau français du haut de la colonne de la grande armée, escorta la manifestation et fit son rapport au général commandant la place de Paris. — J'ai constaté la présence des citoyens et frères Jules Vallès et Ranvier, ainsi que celle des citoyens Bergeret et Henry Fortuné, tout s'est bien passé. Comme impression universelle, je dois dire à la gloire de la franc-maçonnerie que cette journée sera la plus belle page de son histoire.

La vraie franc-maçonnerie ne partagea point l'opinion du citoyen Simon Mayer et elle protesta contre le rôle que l'on avait essayé de lui imposer. Quelques hommes considérables n'attendent pas que l'assemblée générale soit réunie ; ils ne craignent pas, à cette heure où tout est péril, de flétrir les maçons qui ont compromis l'ordre tout entier. MM. Jules Prunelle, Malapert, Ernest Hamel, Beruniau, dans des lettres fermes et de bon style, rappellent les dissidents au sentiment du devoir. Plus tard, aussitôt que les communications seront rouvertes entre la France et Paris délivré, dès le 29 mai, le suprême conseil du Grand-Orient adressera à toutes les loges de l'obédience une protestation formelle et motivée contre les actes commis par des révolutionnaires qui ont tenté de rendre la maçonnerie solidaire de la Commune.

L'issue ridicule de cette manifestation n'arrêta point les meneurs ; Jules Vallès, dans le Cri du peuple, invitait les maçons à la révolte. Le 2 mai, il établit tout un plan de campagne. On voulait, dit-il, se former en légion sacrée et se faire tuer au pied des bannières ; mais il a été résolu, comme le plus sage, de répartir dans les bataillons les quinze ou vingt mille frères de bonne volonté. Les autres iront dans la province prêcher la croisade maçonnique, marchant bannière au vent, soulevant les populations devant l'autel de la fédération. Il est inutile de dire, je pense, que les quinze ou vingt mille frères de bonne volonté n'existèrent jamais que dans le Cri du peuple.

Non seulement on avait essayé d'entraîner la maçonnerie dans la Commune, mais on s'adressa aussi aux bons cousins frères charbonniers, c'est-à-dire aux carbonari. Ce fut en vain : ni ce qui reste du carbonarisme, ni les différents rites de la maçonnerie ne répondirent à ces appels d'une cause désespérée. La Commune le comprit et ne rechercha plus des alliances qui la fuyaient ; mais avant de renoncer à soulever eu sa faveur des sociétés dont le but ne doit être que la bienfaisance, et qui ne pouvaient se rapprocher d'elle que par quelques rares individualités abusées ou égarées, elle trouva moyen encore de commettre une mauvaise action. Elle lança deux ballons libres chargés d'une proclamation violente : Les francs-maçons et les compagnons de Paris à leurs frères de France et du monde entier[15]. Les ballons s'enlevèrent sur la place de l'Hôtel de Ville ; autant en emporta le vent[16] !

Un mot prononcé par le frère Thirifocq ne fut pas perdu. Le 3 mai, Paschal Grousset, qui présidait la séance de la Commune, déclare, en qualité de délégué aux relations extérieures, qu'il a reçu d'excellentes nouvelles ; que l'Europe commence à comprendre la Commune et que l'on doit s'attendre à recevoir prochainement du gouvernement de Versailles des propositions acceptables ; il ajoute : Je demande à la Commune d'en finir avec les négociations... Un autre dit : Nous ne sommes pas des belligérants, nous sommes des juges[17]. Des juges ? — Non ; mais des bourreaux.

 

VI. — LES USURPATIONS.

La chapelle Bréa. — Réhabilitation des assassins. — La Commune ne fait que suivre l'exemple donné par le gouvernement provisoire de 1848 et par le gouvernement de la défense nationale. — Le cas du citoyen Pourille, dit Blanchet. — Capucin ! — Démissionnaire et incarcéré. — Nouvelle diatribe. — Divagations Rossel. — Appel à la défection des troupes françaises. — Cruauté de Rossel. — Il vivifie le Comité central. — Le Comité central s'empare de l'ordonnancement de la guerre. — A qui le pouvoir ? — Trois puissances parallèles et rivales. — Désespoir d'Avrial. — Lamentations de Johannard. — Le costume ! — Prise du fort d'Issy. — Éclair de bon sens. — Rossel se retire. — Delescluze est nommé délégué civil à la guerre. — Représailles. — Effarement. — Deux chefs de bataillon. — Vermorel refuse de fuir.

 

Si la Commune était une assemblée de juges, comme un de ses membres l'avait dit, il faut reconnaître qu'elle faisait de la justice à l'envers et qu'elle n'hésitait pas à réhabiliter les assassins. On se rappelle que pendant l'insurrection de juin 1848 le général de Bréa et son aide de camp, le capitaine Mangin, attirés tous deux dans un guet-apens, avaient été massacrés par quelques bandits, au nombre desquels on comptait plusieurs bons pauvres de Bicêtre. En ce temps-là on avait encore quelque pudeur et l'on estima que ce crime était exécrable. La population fut indignée, et à la place même où ces malheureux étaient tombés, dans l'avenue d'Italie, on éleva une chapelle commémorative. Cette chapelle offusquait la Commune, qui résolut de la détruire. Il ne lui suffisait pas que le sanctuaire eût été souillé par Sérizier qui en avait fait sa buvette et son alcôve, elle en décréta la démolition dans la séance du 27 avril, présidée par Allix, que Raoul Rigault n'avait pas encore fait incarcérer.

Ce fut Léo Meillet, délégué du XIIIe arrondissement, qui proposa l'adoption du décret que voici : La Commune de Paris, considérant que l'église Bréa, située à Paris, 76, avenue d'Italie, est une insulte permanente aux vaincus de juin et aux hommes qui sont tombés pour la cause du peuple, décrète : Article 1er. L'église Bréa sera démolie. Article 2. L'emplacement de l'église s'appellera place de Juin. Arthur Arnould et J.-B. Clément combattirent cette motion, qui fut votée après un discours de Johannard. Ce n'était pas assez, il fallait songer à réparer les erreurs de la justice, et Racine-de-buis, c'est-à-dire Vésinier, proposa d'ajouter au décret l'article suivant, article platonique, qui prouvait de bonnes intentions, mais dont l'effet ne paraissait pas devoir être immédiat : La Commune déclare en outre qu'elle amnistie le citoyen Nourrit, détenu depuis vingt-deux ans à Cayenne, à la suite de l'exécution du traître Brés. La Commune le fera mettre en liberté le plus tôt possible.

Ce décret, lorsqu'il fut connu à Versailles, y excita une colère que je ne m'explique pas. La Commune devait assassiner et elle amnistiait les assassins, c'était logique. Mais que faisait-elle, sinon suivre les exemples qu'on lui avait donnés et se conformer à la tradition ? Après la révolution de 1848, on ouvrit une souscription pour offrir des récompenses nationales aux combattants de février et aux victimes de la royauté de juillet. Quelques-unes des subventions s'égarèrent sur des régicides que l'on s'était hâté de faire sortir de prison. Après le 4 septembre, un des premiers soins du gouvernement de la défense nationale ne fut-il pas de mettre en liberté Eudes et Brisset condamnés à mort pour avoir assassiné, à la Villette, des pompiers qui leur tournaient le dos. Et Mégy, qui était au bagne de Toulon ? On semble y mettre un peu plus de réflexion ; mais on se décide enfin ; on échange des dépêches à son sujet et voici la dernière : Toulon, 9 septembre 1870 ; 4 h. 40. N° 43.604. P. Maire à intérieur, Paris : le citoyen Mégy a été élargi. — B. Eudes devait incendier le palais de la Légion d'honneur et la rue de Lille ; dans cette œuvre de régénération, il fut secondé par son ami Edmond Mégy, qui allait être un des assassins de Mgr Darboy. C'est pourquoi on eut tort de vitupérer la Commune d'avoir rendu un décret que la situation rendait inexécutable. En le votant, elle avait peut-être cru faire acte de gouvernement régulier.

Tout en se montrant pleine de gratitude pour les hommes qui, comme Nourrit, l'avaient modestement précédée dans la voie où elle devait marcher avec une ampleur dont rien n'effacera le souvenir, la Commune ne témoignait aucun ménagement à ceux de ses membres auxquels les superstitions du papisme n'étaient pas toujours restées inconnues. Dans la séance du 5 mai, le procureur général de la Commune, Raoul Rigault, vint développer le cas du citoyen Pourille, dit Blanchet. La Commune avait, à sa manière, assuré toute garantie à la liberté individuelle, car elle avait décidé que lorsqu'un de ses membres serait mis en état d'arrestation, elle en connaîtrait immédiatement et recevrait un rapport à ce sujet. Raoul Rigault, scrupuleux observateur des lois, remplit son devoir et expliqua pourquoi Pourille était à Mazas.

On soupçonnait depuis quelque temps que le nom de Blanchet n'était qu'un pseudonyme, et Théophile Ferré avait été chargé de faire une enquête à cet égard. Du procès-verbal qui fait effort pour singer les formes judiciaires et que lut Raoul Rigault, il résulte que Blanchet s'appelle Stanislas Pourille, qu'il a été secrétaire d'un commissaire de police à Lyon, puis capucin, et qu'il a été condamné à six jours de prison pour banqueroute simple. En conséquence, Pourille dit Blanchet est envoyé à Mazas par ordre du Comité de sûreté générale : Laurent, Th. Ferré, A. Vermorel, Raoul Rigault, A. Dupont, Trinquet. Le reproche capita qu'on lui adresse n'est pas d'avoir servi la police de Lyon, d'avoir fait banqueroute, mais d'avoir embrassé la vie monastique avec tout ce qu'elle comporte. Capucin ! en vérité c'était trop pour des hommes qui dans leur manifeste avaient proclamé la liberté de conscience. Malgré les précédents révolutionnaires, nul ne plaida les circonstances atténuantes : c'était se montrer sévère et oublieux. Euloge Schneider qui terrifia l'Alsace jusqu'à dégoûter Saint-Just, Chabot, le drôle impudique qui porta la main au fichu de Charlotte Corday, avaient été aussi des capucins et leurs ombres auraient dû protéger le pauvre Pourille. On lui signifia qu'il ne pouvait continuer à siéger à l'Hôtel de Ville ; il s'exécuta : Je soussigné, député à la Commune sous le nom de Blanchet, déclare donner ma démission de membre de la Commune. Longuet dit sentencieusement : L'élection était nulle !

On commençait à s'épurer à l'Hôtel de Ville, pendant que la population fédérée commençait à se fatiguer de cette bataille qui devait toujours se terminer par une victoire, et qui finissait invariablement par des défaites. Pour relever les cœurs amollis, on faisait des proclamations où l'on insultait ceux que l'on ne pouvait vaincre, où l'on disait son fait à ce gouvernement sans nom dont les membres sont recrutés pour la plupart parmi les lâches et les incapables du 4 septembre. On prétend apprendre au peuple ce qui se passe à Versailles : Mac-Mahon et Ducrot vont donner leur démission ; les duels entre officiers sont fréquents ; la démoralisation s'est emparée des troupes. A ces mensonges on ajoute les flagorneries dont on nourrit la vanité des foules : Vous avez été héroïques ! Si Paris pouvait être vaincu, Paris serait détruit : Après nos barricades, nos maisons ; après nos maisons, nos mines ! La France serait perdue à jamais si l'ignoble gouvernement de Versailles réussissait dans son projet machiavélique. Cette diatribe, signée par Mortier, Verdure, Delescluze, Avrial, est du 6 mai. Elle démontre le désarroi des esprits et avoue les craintes dont on est tourmenté.

La Commune ne délibère plus, elle divague. La minorité, vaincue par l'installation du Comité de salut public, fait à peine acte de présence. Les jacobins et les hébertistes sont les maîtres. La Commune obéit à l'immuable loi qui régit les parlements sans consistance et sans principes : elle est tombée entre les mains des violents ; or c'est la destinée des assemblées délibérantes d'être toujours perdues par les partis extrêmes. Lorsque l'armée française rentra dans Paris, les jacobins de l'Hôtel de Ville se préparaient à supprimer les économistes ; c'était un acheminement à la dictature ; plus d'un y visait : Delescluze, Rigault, Eudes et d'autres. Quant à Rossel, délégué à la guerre depuis le 50 avril, il avait tenté de l'établir à son profit et n'avait réussi qu'à rendre plus inextricable encore une situation déjà tellement confuse que nul ne s'y pouvait plus reconnaître.

La Commune avait compté sur Rossel, elle s'était dit : Enfin, nous tenons un homme de guerre ! Il sortait de l'École polytechnique, il avait été officier dans le génie ; il y avait de quoi faire illusion à des hommes dont l'ignorance était le moindre défaut. Rossel, de son côté, était plein d'illusion sur lui-même. Il se sentait, il se savait supérieur à la tourbe qu'il commandait, et en concluait qu'il lui serait facile de la dominer, de s'en rendre maître, de la faire servir à son ambition, — erreur profonde, dont sa médiocrité n'est jamais revenue. Plus que tout autre, plus que Bergeret, plus que Cluseret, il désorganisa l'armée de la Commune et la Commune elle-même. Il crut que sa présence à la tête de la révolte frapperait d'admiration ses anciens compagnons d'armes et les engagerait à lui apporter le concours de leur défection. Il essaya de les attirer par des moyens secrets, et voyant qu'il ne réussissait pas, il engagea la Commune à proclamer un décret qui constituerait une sorte de contrat dont les officiers de l'armée française reconnaîtraient la valeur.

La Commune se hâta d'obéir : Considérant que beaucoup d'officiers et de soldats de l'armée de Versailles ne sont arrêtés dans leur désir formel de fraterniser avec la Commune que par le seul fait de leur avenir brisé, un décret de la Commune ayant aboli l'armée permanente, reconnaissant de plus qu'il est urgent d'aider nos frères à rentrer dans nos rangs, la Commune décrète : 1° Les officiers, sous-officiers et soldats de l'armée de Versailles, désireux de défendre le principe social de la Commune, seront admis de droit dans les rangs de la garde nationale. 2° Les officiers, sous-officiers et soldats auront droit, par décret de la Commune du 28 avril, à tous les avantages, tels que grades, retraite, etc., qui leur sont acquis par décrets antérieurs. Est-il besoin de dire que cet appel à la trahison resta sans réponse ? Rossel eut beau regarder du côté de Versailles, il ne vit pas un de nos soldats déserter le drapeau de la nation pour venir servir celui de la révolte.

Ce fait permet de porter un jugement sur la moralité, le patriotisme et l'intelligence de Rossel. Au milieu de la multitude en armes qu'il prenait pour une armée, il se croyait un général en chef, un ministre de la guerre, un administrateur général ; il faisait des ordres du jour, voulait rétablir la hiérarchie militaire, faire respecter la discipline, empêcher ceux qu'il appelait lui-même ces gueux de fédérés de se griser et de se promener avec des filles. Il n'est alors que ridicule, mais bientôt il devint odieux. La cour martiale siège en permanence, et il fait exposer dans les fossés des forts les fédérés récalcitrants. 4 mai. Citoyen commandant du fort de Vanves, je vous envoie des réfractaires du XIVe arrondissement. Vous les installerez dans les fossés de votre fort, vous les nourrirez, vous les ferez travailler et vous leur imposerez la discipline la plus rigoureuse. Veillez surtout à ce qu'il n'y ait pas d'évasion. Salut et fraternité. Le délégué à la guerre : ROSSEL. A Brunel, qui commandait le fort d'Issy, il écrit : Formez un conseil de guerre et fusillez tous ceux qui se rendront coupables de désobéissance ou d'abandon de leur poste devant l'ennemi. J'approuverai tout ce que vous ferez dans cet ordre d'idées, pourvu que vous y mettiez de l'énergie. Il était superflu de recommander à Brunel ce que les gens de la Commune appelaient de l'énergie : il n'en manquait pas et le prouva, le 25 mai, en faisant incendier la rue Royale, sans bénéfice pour ses opérations militaires.

Rossel ne s'imaginait pas seulement qu'il était un grand capitaine, il croyait aussi être un homme politique ; il voulut jouer au Machiavel, opposer les partis les uns aux autres, tenir la Commune en bride à l'aide du Comité central, les ruiner l'un par l'autre et apparaître tout à coup comme l'homme indispensable, comme l'homme du destin devant lequel tout doit fléchir. Il embrouilla si bien les choses, qu'il fut le premier à en perdre le fil. Ce fut lui qui fit sortir le Comité central de la demi-obscurité où il se tenait depuis les élections de la Commune et qui lui rendit une existence officielle. Il l'admit près de lui sous forme de commission de contrôle, après s'être entendu avec le Comité de salut public, et lui donna ainsi une importance qui ne prendra fin qu'au dernier jour[18].

La Commune fut exaspérée de cette ingérence et l'on échangea de laides paroles dans les séances de l'Hôtel de Ville. Le 8 mai, sous la présidence du citoyen Eudes, on est mécontent ; Miot demande pourquoi depuis trois jours nul rapport n'est venu de la délégation de la guerre. — Voilà huit jours que nous n'en avons pas, dit Dereure. — Eudes, qui ne se sent pas à l'aise en pensant à Rossel, par lequel il a été vertement mené, propose d'envoyer demander ces rapports au Comité de salut public. — Régère réplique : Le comité est comme nous, il n'a rien reçu. — C'est alors que Jourde se lève, et qu'il communique à la Commune une pièce qu'il qualifie avec raison de très importante et qui n'est autre qu'une sommation du Comité central : — Le délégué à la guerre est absent, on n'a pu s'entendre avec lui ; le citoyen Tridon, membre de la commission militaire, abandonne l'ordonnancement à la commission du Comité central, qui centralisera, dès le lendemain, tous les services au lieu et place des citoyens Rossel, Tridon, Varlin, Avrial, Henry. Le Comité d'artillerie a une caisse spéciale ; celle-ci doit être remise au Comité central. Si les explications de cette note ne vous suffisent pas, citoyens, nous nous transporterons auprès de vous, pour bien définir nos attributions : Lacord, Josselin, Papray, L. Piat. — Jourde termine en disant : Je demande si le Gouvernement s'appelle la Commune ou le Comité central ?

Le feu est aux poudres ; à qui appartient le pouvoir ? Le Comité de salut public est complice ; la Commune n'est donc plus, rien ! Le seul maître d'une situation est celui qui tient les cordons de la bourse ; or l'ordonnateur en chef, le dispensateur des finances exigées par la guerre, c'est le Comité central. Donc trois pouvoirs en présence : le Comité de salut public, la Commune, le Comité central ; ce dernier, représentant la fédération de la garde nationale, est en réalité commandant supérieur des forces militaires ; voilà, en outre, qu'il s'empare de l'action financière : c'est une usurpation. Jourde n'est pas satisfait, il lui déplaît d'obéir à la fédération ; nul n'ose dire le mot : ils redoutent tous cette fédération d'où ils sont sortis par le 18 mars. Elle possède un pouvoir multiple qui s'exerce sur chaque bataillon, sur chaque corps franc, pouvoir d'autant plus à craindre qu'il est irresponsable. Avrial pousse des cris de désespoir : va-t-il donc voir revenir à la délégation ce comité d'artillerie, qu'il a eu tant de peine à mettre à la porte ? Il a constaté, — un de ses ordres du jour en fait foi (16 mai), — que cinquante mille revolvers ont été indûment distribués aux officiers de la garde nationale.

Plus nettement on pourrait dire que. les arsenaux de l'État, comme les ministères, comme les caisses publiques, comme toutes les administrations, sont au pillage. Certes il y avait là de quoi mettre la Commune de méchante humeur. Mais le Comité central est sans pudeur ; il ne se contente pas d'usurper la fonction, il usurpe le costume, et cela est intolérable. Écoutez les lamentations du fleuriste Johannard : Je demande qui a autorisé le Comité central à se faire délivrer un costume spécial, des cachets spéciaux. Ses membres vont plus loin : ils portent, comme nous, une rosette à la boutonnière. Il est vrai que les franges sont en argent ; mais pour le public il n'y a aucune différence entre eux et nous. Ils montent à cheval revêtus de leurs insignes, se présentent à la tête des bataillons, et on crie : Vive la Commune !

Varlin se plaint à son tour d'avoir été supplanté à la commission militaire par des délégués du Comité central. La Commune sent bien qu'on lui inflige une sorte de déchéance ; elle redoute le Comité de salut public, elle a peur du Comité central ; elle voudrait bien faire quelque chose, car sa protestation stérile ne la satisfait guère. C'est dur de jouer au législateur, au ministre, au général en chef, et d'être dépossédé par des acteurs plus nombreux qui poussent l'impudence jusqu'à revêtir le travestissement de l'emploi. Mais que faire ? Les idées sont peu abondantes, et les phrases sonores ne les remplacent pas. Après bien des discussions et bien des récriminations, l'incident est clos, et l'on reste Jean comme devant.

Le lendemain, 9 mai, coup de théâtre ! Au moment où, sous la présidence de Billioray, la séance s'ouvre par un discours d'Arthur Arnould, qui se plaint, comme un simple député, de l'insuffisance des comptes rendus du Journal officiel, Delescluze se précipite : Vous discutez quand on vient d'afficher que le drapeau tricolore flotte sur le fort d'Issy ; il faut, citoyens, aviser sans retard. La nouvelle était grave en effet ; l'armée française, occupant le Mont-Valérien et s'étant emparée du fort d'Issy, était maîtresse, à jours comptés, de l'enceinte sud-ouest de Paris. Le discours de Delescluze fut véhément : Il faut prendre des mesures immédiates, décisives. La France nous tend les bras ; si nous avons des subsistances, faisons encore huit jours d'efforts pour chasser ces bandits de Versailles ! Il récrimine : Que fait la Commune ? qu'a fait le Comité central ? Votre Comité de salut public est annihilé, écrasé sous le poids des souvenirs dont on le charge ; il ne fait même pas ce que pourrait faire une bonne commission exécutive. Tout cela est vrai ; c'est un éclair de bon sens au milieu de cette nuit faite, d'ambitions et d'incapacités. On reconnaît le mal ; mais qui donc pourrait y porter remède ?

Ils sentent la trépidation du sol qui va manquer sous leurs pieds. Leur résistance militaire s'effondre. Après dix jours de dégoût, de déboires, de colère, Rossel vient de donner sa démission. Il a demandé à être arrêté, puis s'est ravisé et s'est éloigné, en emmenant avec lui le membre de la Commune que l'on avait préposé à sa garde. La Commune éperdue se forme en comité secret, et pour sauver la patrie adopte les résolutions suivantes : — Remplacer le Comité de salut public actuel, — nommer un délégué civil à la guerre, — nommer une commission chargée de rédiger une proclamation, — ne se réunir que trois fois par semaine en assemblée délibérante, — rester en permanence dans les mairies, pour pourvoir souverainement aux besoins de la situation, — créer une cour martiale, — mettre le Comité de salut public en permanence à l'Hôtel de Ville. — En conséquence de ces décisions le Comité de salut public est modifié dans un sens terroriste et Delescluze est nommé délégué civil à la guerre. Pourquoi ? Peut-être parce que son père, ancien sergent des armées du premier empire, était mort pensionnaire à l'Hôtel des Invalides. L'inflexibilité des opinions politiques ne suffit pas pour organiser la victoire ; il faut être plus qu'un sectaire pour combattre et pour vaincre ; Delescluze fit cette expérience sur lui-même, expérience pénible à laquelle il ne voulut pas survivre. La Commune répondit à la prise du fort d'Issy en faisant démolir la maison de M. Thiers, vengeance tellement puérile, que l'on reste surpris qu'elle ait pu être conçue, même par les hommes de l'Hôtel de Ville. Rochefort y poussa, au vif étonnement de ceux qui lui croyaient de l'esprit.

La prise du fort d'Issy sonnait l'avant-quart de l'heure suprême. La Commune en perd la tête ; ne pouvant atteindre les hommes, elle s'en prend aux choses ; aujourd'hui l'hôtel de la place Saint-Georges, demain la colonne de la grande armée, après-demain la chapelle expiatoire, que l'on n'aura pas le temps de détruire. Je l'ai déjà dit, c'est le moment du grand effarement ; à toute minute, on s'attendait à voir les pantalons rouges ; si, après l'occupation du fort d'Issy, l'armée française avait pu forcer l'enceinte, ce mauvais monde se serait éparpillé et enfui comme une volée de corbeaux. On lui laissa le loisir de se remettre, de préparer les éléments de la dernière lutte, et Paris fut près de périr.

La terreur fut très intense. Je me souviens que le 11 mai, dans la soirée, je passais au point d'intersection du boulevard des Batignolles et du boulevard de Courcelles. Deux officiers fédérés, deux commandants, arrêtés à causer à quelques pas de moi, se quittèrent, lorsque je passai près d'eux. — Au revoir, dit l'un. — Ah ! ouiche ! répondit l'autre, au revoir au Père-Lachaise ! — Ou à Nouméa, répliqua le premier. — Celui-ci fit route près de moi, il grommelait : Chien de métier ; j'aimerais mieux être crevé ; on ne sait à qui obéir ; ils sont plus bêtes les uns que les autres ! Se parlait-il à lui-même, me parlait-il, je n'en sais rien. Je me hasardai à lui dire : Si le métier vous, paraît dur, pourquoi ne l'abandonnez-vous pas ? Il lâcha un gros juron et répondit : Eh ! quand on s'est mis dans le pétrin, il faut savoir y rester, sous peine de passer pour un... poltron. Vous avez de la chance, vous, de ne pas être dans la bagarre ; c'est égal, quand les Versaillais seront dans Paris, il y aura des pruneaux pour bien du monde.

Quand les Versaillais seront dans Paris, cela se répétait partout. Sauf la basse populace des fédérés, sans jugement comme sans prévision, chacun savait qu'ils étaient aux portes et qu'ils allaient bientôt les franchir. — C'est alors, — je l'ai raconté, — que tous les personnages importants de la révolte prirent leurs précautions afin de pouvoir s'esquiver en temps utile. Tous, non, il y eut des exceptions ; j'en sais une que je dois citer. Le 14 ou le 15 mai, Vermorel, à la fois surexcité et découragé, reçut la visite d'un journaliste avec lequel il avait été lié. Le journaliste, mû de pitié pour ce pauvre être maladif, lui apportait un passeport dont le signalement, libellé avec soin, correspondait au sien. C'était pour Vermorel le salut et la sécurité ; mais il refusa. Son ami insistait, il lui parlait de la défaite inévitable, de la répression, des châtiments qui seraient sans merci. Vermorel, secouant la tête, répondit : Non, portez cela à d'autres qui en profiteront ; moi j'en ai fait trop tuer pour me dérober. Mon heure est venue, je dois mourir.

 

VII. — LES DERNIÈRES SÉANCES.

Note de Delescluze. — Réserve et provision d'argent. — Le cas d'Emile Thibault. — Rapport de Léo Meillet. — Thibault fusillé. — La vérité. — Thibault veut se soustraire au service de l'insurrection. — Arrêté par les fédérés. — Accusé d'espionnage. — Condamné. — Exécuté. — Ses assassins, Meissonnier et Bontemps. — Mort aux traîtres ! — Encore une proclamation. — Jean-Baptiste Clément, peu partisan de la liberté individuelle. — Les cartes d'identité. — La séance du 17 mai. — Prétendu meurtre d'une ambulancière. — Proposition d'Urbain. — Le décret des otages. — Proposition d'Amouroux. — Paris livré aux bêtes. — La cartoucherie de l'avenue Rapp. — Arrestation du comte Zamoysky. — Calomnies. — Prétendue lettre trouvée dans un wagon. — Délégués civils près des généraux en chef des trois armées de la Commune. — Le délégué Johannard. — Fait fusiller un jeune homme qui porte des lettres. — Dereure est satisfait. — Motion de Cournet. — La peine de mort. —Cour des comptes. — La dernière séance. — Jourde, la motion Grêlier et l'opinion de Paschal Grousset. — On juge Cluseret. — On apprend que les troupes françaises sont dans Paris. — Le délégué à la guerre s'enferme pour rédiger une proclamation.

 

Sur la table du cabinet, que Delescluze occupait au ministère de la guerre, on trouva la pièce suivante, non datée, non signée, mais écrite par lui : Que sont devenus les 67.000 francs remis par Cluseret à Rossel lors de son arrestation ? — Demander à Cournet[19]. Nous ignorons la réponse qui fut faite à cette note, mais elle prouve que le contrôle du Comité central, accepté et peut-être réclamé par Rossel, ne s'exerçait pas avec une vigilance bien scrupuleuse. Jourde, qui seul pouvait connaître les difficultés contre lesquelles il avait à lutter pour faire face aux dépenses qu'on lui imposait, avait beau prêcher l'économie, on ne l'écoutait guère. Ces comités de surveillance et de contrôle n'étaient en réalité que des comités de prodigalité. On dépensait certainement beaucoup en débauches faciles, mais on mettait de côté, on se faisait une réserve pour parer aux éventualités d'un avenir prochain. De grosses sommes ont été emportées, on peut l'affirmer sans hésitation. Par les dépenses excessives que certains contumax ont faites à l'étranger, dépenses qui ont été constatées et presque contrôlées par des yeux attentifs, on est amené à conclure que le budget des diverses délégations n'a pas toujours servi à l'objet qui leur avait été attribué. Cela du reste est bien peu grave, et si les membres de la Commune, les membres du Comité central, les délégués, les généraux, les colonels, les fédérés, les vivandières, les ambulancières, les clubistes et le reste n'avaient fait que se remplir la poche et se sauver après, il faudrait les absoudre ; mais cela ne leur sembla point suffisamment révolutionnaire, et jusqu'où ils ont poussé ce qu'ils appellent la défense du droit, nous le savons tous, quoiqu'ils l'aient oublié.

La cruauté commence à s'exercer d'une façon pour ainsi dire régulière aussitôt que la chute du fort d'Issy est connue. La Commune fait comme le carnaval, qui devient d'autant plus bruyant qu'il se rapproche du mercredi des Cendres : la mascarade rouge devient d'autant plus violente qu'elle touche à sa fin. Les hommes de l'Hôtel de Ville veulent qu'on sache qu'ils sont sans pitié, et pour qu'on n'en doute, ils le prouvent.

Le 12 mai, pendant la séance présidée par Félix Pyat, Léo Meillet fait un rapport qui relate des faits de trahison reprochés à Emile Thibault et l'exécution de celui-ci. Ce Thibault, garde à la 2e compagnie du 184e bataillon fédéré, avait été arrêté, revêtu d'un costume bourgeois, aux environs de la tranchée qui reliait la redoute des Hautes-Bruyères à la barricade de Villejuif. C'est un capitaine du 184e et une cantinière qui ont fait cette capture. Ramené à la redoute, interrogé par des officiers, il fut conduit au fort de Bicêtre et jeté au fond d'une casemate. Dans la nuit, peu d'heures après l'arrestation de Thibault, le fil télégraphique qui mettait en communication le fort de Bicêtre et les Hautes-Bruyères fut coupé ; une colonne française fit une démonstration sur la redoute, et les gendarmes surprirent à la tranchée du moulin Cachan une compagnie de fédérés qui se gardait mal ou qui ne se gardait pas. On en conclut que Thibault a fourni des renseignements à l'ennemi. On réunit la cour martiale, on le condamne et on le fusille en présence des citoyens Amouroux, Dereure, Meillet, membres de la Commune de Paris, et de différents détachements délégués. On approuve Léo Meillet d'avoir donné cet exemple de sévérité salutaire, et nul ne pense à s'inquiéter si Thibault était innocent : il l'était, et voici la vérité.

Emile Thibault était un garçon de vingt-huit ans, faisant métier de journalier, un peu lourd d'allures, s'attardant parfois plus que de raison dans les cabarets, assez crédule et représentant bien ce que les paysans appellent : un simple. Il était né à Cachan, où on le connaissait sous le nom de Cadet ou celui de Langouin ; très bon fils du reste et dévoué à sa famille. Il avait servi pendant la guerre, et aussitôt que l'armistice fut signé, il quitta son uniforme et reprit son travail. Le 1er mai, voulant se rendre à Villejuif pour faire visite à une de ses tantes, il coupa au plus court et traversa les lignes des insurgés. Ceux-ci l'arrêtèrent et l'incorporèrent de force dans le 184e bataillon fédéré, qui occupait la redoute des Hautes-Bruyères.

Emile Thibault n'avait point de goût pour l'insurrection, à laquelle il ne comprenait rien, sinon qu'elle l'arrachait à son labeur et lui imposait un service qui ne lui convenait guère. Désirant s'éloigner des bandes au milieu desquelles on l'avait jeté malgré lui, il résolut de se dérober et de se rendre à Versailles, où du moins il pourrait vivre en repos loin des fédérés, dont il redoutait les mauvais traitements. Il s'ouvrit de son projet à sa mère et à un marchand de tabac de Hay, nommé Robinet, qui tous deux l'approuvèrent.

Dans la soirée du 10 mai, Thibault revêtit une blouse un pantalon de toile et se mit en route. Il entendit un bruit de cavalerie qui marchait dans le lointain ; craignant d'être arrêté par les patrouilles que l'armée française lançait en avant, il revint sur ses pas pour se rendre à l'Hay afin d'y passer la nuit, préférant mettre son projet à exécution en plein jour. C'est alors que vers dix heures du soir il fut aperçu par des hommes de sa compagnie qui prenaient position dans la tranchée de la redoute des Hautes-Bruyères. Il fut appréhendé au corps ; on lui lia les mains derrière le dos et le lendemain il fut conduit au fort de Bicêtre, dont Léo Meillet était gouverneur. Thibault y trouva nombreuse compagnie : M. Barré, cultivateur des environs ; M. Delanoue, adjoint au maire de l'Hay, Mme Delanoue ; un vieillard de soixante-dix ans, M. Robinet, sa femme et sa servante ; M. et Mme Robinet moururent à la suite des émotions qu'on ne leur avait point ménagées.

Le capitaine du 184e bataillon et la cantinière qui prétendaient avoir arrêté Thibault se sont vantés ; ce pauvre homme tomba entre les mains de Gustave Meissonnier et de Paul Bontemps, qui n'en étaient point à leur coup d'essai. Le premier, adjudant de place à la redoute des Hautes-Bruyères, où sa brutalité l'avait fait surnommer le père la Trique, était un corroyeur de la rue du Château-des-Rentiers ; le second, Paul Bontemps, était forgeron, mais il avait précédemment servi dans les équipages de la flotte, où il avait laissé quelques souvenirs, car en 1854 il avait été condamné à un mois de prison pour vol, en 1857 à deux mois de prison pour rébellion, en 1858 à quatre mois pour coups et blessures, en 1859 à deux mois pour désertion à l'intérieur ; libéré du service, il fut en 1864 condamné à deux mois de prison pour actes de violence.

Dans la nuit du 11 mai, les fédérés furent, selon leur habitude, battus aux environs de leurs tranchées. Dès lors Thibault était coupable. C'était un espion des Versaillais, dont il avait reçu 10.000 francs. Toute sa fortune consistait en trente-trois sous qu'il avait dans sa poche. La cour martiale fut réunie au fort de Bicêtre ; Léo Meillet la présida, et Thibault, malgré ses protestations, fut condamné à mort à l'unanimité. On le ramena à la redoute, où il devait périr. Le 12 mai, à cinq heures du matin, Meissonnier et Bontemps rassemblèrent le peloton d'exécution. Thibault disait en marchant : C'est malheureux de mourir comme ça, quand on n'a jamais fait de mal à personne. Meissonnier commanda le feu, Bontemps donna le coup de grâce. On porta le cadavre au cimetière de l'Hay, et sur la fosse on planta une croix avec cette inscription : Mort aux traîtres[20] !

C'est de cet assassinat travesti en exécution militaire que Léo Meillet rendit compte dans la séance du 12 mai. Cela mit la Commune en veine, et elle résolut de faire une proclamation au peuple pour lui apprendre à quel danger il venait d'échapper. Ce serait à en rire, si le point de départ de cette sornette n'avait été la mort d'un innocent, et voici dans quels termes le fait du pauvre Emile Thibault est raconté : Citoyens ! la Commune et la République viennent d'échapper à un péril mortel. La trahison s'était glissée dans nos rangs ; désespérant de vaincre Paris par les armes, la réaction avait tenté de désorganiser ses forces — les forces de Paris — par la corruption. Son or — l'or de la réaction —, jeté à pleines mains, avait trouvé jusque parmi nous des consciences à acheter. Cette fois encore la victoire reste au droit. Dans ce placard, Rossel est qualifié de misérable qui a livré le fort d'Issy.

Dans la même séance, Jean-Baptiste Clément signale ce qu'il appelle un fait grave. Tous les jours, aux barrières, on voit se présenter des voitures de déménagement sur lesquelles il est difficile d'exercer une surveillance efficace. Jean-Baptiste Clément, en homme avisé et qui sait ouvrir un œil vraiment révolutionnaire, a pris le parti de faire arrêter toute voiture qui tente de sortir par les portes de son arrondissement (XVIIIe) ; il demande que cette mesure soit généralisée et appliquée à toutes les barrières de Paris. Cette proposition a lieu de surprendre. Paris était alors l'inverse de l'île de la vertu : on y pouvait entrer, on n'en pouvait sortir. On faisait tout pour s'en échapper, et, malgré les précautions prises par les délégués, on y réussissait. Ils en étaient furieux, et promulguèrent l'arrêté que voici : Article 1er. Tout citoyen devra être muni d'une carte d'identité contenant ses nom, prénoms, son âge et domicile, ses numéros de légion, de bataillon et de compagnie, ainsi que son signalement. Article 2. Tout citoyen trouvé non porteur de sa carte sera arrêté et son arrestation maintenue jusqu'à ce qu'il ait établi régulièrement son identité. Article 5. L'exhibition de la carte d'identité pourra être requise par tout garde national. Le Comité de salut public : ANT. ARNAUD, BILLIORAY, EUDES, F. GAMBON, G. RANVIER. Cet arrêté était si peu en harmonie avec les mœurs du XIXe siècle qu'il fut considéré comme non avenu et qu'il alla retrouver les vieilleries de Marat et d'Hébert dans les oubliettes de l'histoire[21].

Le 17 mai la séance fut exceptionnellement grave, car on y adopta une résolution, on y décréta une mesure qui seule dégrade à jamais de l'humanité les êtres qui s'en sont rendus coupables. Soixante-six membres sont présents ; Léo Meillet préside. Urbain donne lecture d'un rapport du lieutenant Butin de la 3e compagnie du 105e bataillon, d'où il résulte qu'une ambulancière soignant des blessés sur le champ de bataille a été faite prisonnière par les Versaillais, qui l'ont massacrée après lui avoir infligé les derniers outrages. C'est à l'aide de sa lorgnette que le susdit Butin a constaté le crime. Je crois inutile de dire que le fait était faux.

Le citoyen Urbain demande que dix otages soient choisis parmi ceux que l'on tient sous la main, et qu'ils soient solennellement fusillés dans les vingt-quatre heures, cinq à l'intérieur de Paris et cinq aux avant-postes. J'espère, ajoute Urbain, que ma proposition sera acceptée. Jean-Baptiste Clément appuie la proposition et désire adresser une question au docteur Parisel, chef de la délégation scientifique. Or le chef de la délégation scientifique était chargé de réunir les moyens de détruire Paris, si l'armée française en forçait les portes. On réclame le comité secret, qui est voté. Que s'y passa-t-il ? A cette question l'on pourrait répondre par ce que Jules Vallès écrivait l'avant-veille : On a pris toutes les mesures pour qu'il n'entre dans Paris aucun soldat ennemi. Les forts peuvent être pris l'un après l'autre, les remparts peuvent tomber ; aucun soldat n'entrera dans Paris.

Lorsque Urbain eut reçu de Parisel des affirmations rassurantes, la séance fut reprise. Rigault propose de frapper les coupables, c'est-à-dire les otages, et non les premiers venus. Il demande la création d'un tribunal exceptionnel, dont les arrêts seront exécutoires dans les vingt-quatre heures. Urbain n'insiste pas : Si l'on nous donne les moyens d'exercer légalement, d'une façon convenable et promptement les représailles, je serai satisfait. Le citoyen Amouroux, qui du 17 mars 1869 au 26 avril 1870 avait été condamné dix fois pour attentat à la sûreté de l'État, dégorge d'un mot les lèpres qui le rongent : Nous avons des otages, parmi eux des prêtres ; frappons ceux-là de préférence, car ils y tiennent plus qu'aux soldats[22]. Fenouillat, qui n'est connu que sous le sobriquet de Philippe, et qui représente le XIIe arrondissement, réclame des mesures énergiques, car il faut que l'on sache que nous sommes bien décidés à briser tous les obstacles que l'on oppose à la marche triomphale de la Révolution ! Ils se grisent à leur propre rhétorique et glissent dans le crime sans même s'en apercevoir. On adopte un décret dont l'article 5 dit : Toute exécution d'un prisonnier de guerre ou d'un partisan de la Commune de Paris sera sur-le-champ suivie de l'exécution d'un nombre triple des otages retenus et qui seront désignés par le sort. C'en est fait, Paris est livré aux bêtes.

Ce décret une fois voté, la séance continue ; la minorité et la majorité échangent des divagations sans intérêt, sans portée, comme peuvent en émettre des gens qui ont pris l'habitude de parler pour s'écouter eux-mêmes. Tout à coup Billioray entre, et, reprenant la formule chère aux amateurs de phraséologie révolutionnaire, il s'écrie : Vous délibérez, vous discutez ; la cartoucherie de l'avenue Rapp vient de sauter ; elle brûle encore, c'est de la trahison ; on a arrêté le traître qui a mis le feu ! Or le traître qui a mis le feu et que l'on a arrêté n'est autre que le comte Zamoysky, lequel passait par là en rentrant chez lui. Il s'en fallut de peu qu'il ne payât de sa vie la manie du soupçon dont tous les membres de la Commune étaient atteints.

On voulut persuader à la population parisienne, qui n'en crut pas le premier mot, que l'explosion accidentelle de la cartoucherie Rapp était le fait de la trahison, due aux manœuvres monarchistes de Versailles, et qu'elle était le résultat d'un complot soldé par M. Thiers. On prétendit avoir reçu à la délégation de la sûreté générale une lettre qu'une femme inconnue,

Qui ne dit point son nom et qu'on n'a pas revue,

aurait trouvée entre Paris et Versailles, dans un wagon de première classe. Cette lettre, tellement explicite qu'elle en devient absurde, était ainsi conçue : Etat-major des gardes nationales. Versailles, le 16 mai 1871. Monsieur, la deuxième partie du plan qui vous a été remis devra être exécutée le 19 courant, à trois heures du matin. Prenez bien vos précautions de manière à ce que cette fois tout aille bien. Pour vous seconder, nous nous sommes arrangés avec un des chefs de la cartoucherie pour la faire sauter le 17 courant. Revoyez bien vos instructions pour la partie qui vous concerne et que vous commandez en chef. Soignez surtout la Muette. Le colonel chef d'état-major : Ch. Corbin. — P. S. Le deuxième versement a été opéré à Londres à votre crédit. Cette lettre, probablement écrite par un employé de commerce peu familiarisé avec la grammaire, obtint un succès de gaieté qui ne fut point du goût de la Commune. Nul n'ajouta foi à cette calomnie, qui par la forme, ni par le fond, n'avait le mérite de la vraisemblance.

Pendant que la Commune continuait à discuter, le désarroi était aux avant-postes que l'armée française refoulait. Sous prétexte de remettre un peu d'ordre dans cette confusion militaire, Delescluze, fidèle à son principe que l'élément civil doit dominer partout, fait voter par le Comité de salut public une décision en vertu de laquelle des commissaires civils sont délégués auprès des généraux des trois armées de la Commune : près de Dombrowski, Dereure, cordonnier ; près de La Cécilia, Johannard, fleuriste ; près de Wrobleski, Léo Meillet, clerc d'avoué. Il est à remarquer que sur les trois généraux en chef de la Commune deux sont Polonais ; La Cécilia seul est Français, malgré son nom d'apparence italienne. En quoi consistaient les fonctions de ces nouveaux représentants du peuple en mission auprès des, armées ? Le citoyen Johannard nous le dira.

Le 19 mai il arrive à l'Hôtel de Ville ; il n'aurait point quitté les avant-postes s'il n'avait un fait important à révéler. Sa présence a produit le meilleur effet parmi les combattants, mais il ne s'agit pas de cela. On a mis la main sur un jeune homme qui portait des lettres aux Versaillais. Ceci n'a rien d'excessif au moment où les communications postales entre Paris et la province étaient interrompues, où l'on s'ingéniait en toute sorte de moyens pour envoyer des lettres hors des fortifications. Cette réflexion n'a pas même effleuré la pensée de Johannard. Il raisonne ou plutôt il déraisonne tout autrement et se dit : Cet homme porte des lettres ; donc c'est un espion ; c'est un espion, donc il doit être fusillé, et il donna l'ordre de le passer par les armes, recevant pour cet acte de sagacité l'approbation du général La Cécilia et des officiers de l'état-major. Ce fait m'ayant paru grave, ajoute Johannard en terminant, j'ai cru devoir le faire connaître à la Commune ; et je dirai qu'en pareil cas j'agirai toujours de même. Va-t-il s'élever une protestation ? quelqu'un demandera-t-il si l'on a du moins la certitude que ce malheureux était réellement un espion ? Non ; mais Dereure s'enquiert si l'on a eu soin de rédiger le procès-verbal de l'exécution. Johannard répond oui, et Dereure est satisfait.

On n'était pas doux pour les prétendus espions, ainsi qu'on vient de le voir ; dans ce cas du moins, on pouvait invoquer les lois de la guerre, — de la guerre civile ; — mais on ne s'en tint pas là. Frédéric Cournet, qui fut un des moins violents d'entre eux, fait une motion dont la brutalité est inconcevable : Considérant que, dans les journées de révolution, le peuple, inspiré par son instinct de justice et de moralité, a toujours proclamé cette maxime : Mort aux voleurs ! la Commune décrète : Article 1er. Jusqu'à la fin de la guerre, tous les fonctionnaires accusés de concussions, de déprédations, de vols seront traduits devant la cour martiale. La seule peine appliquée à ceux qui seront reconnus coupables sera la peine de mort. Article 2. Aussitôt que les bandes versaillaises auront été vaincues, une enquête sera faite sur tous ceux qui, de près ou de loin, auront eu le maniement des fonds publics. La motion de Cournet est adoptée avec un amendement : aux fonctionnaires on ajoute les fournisseurs. Autant voter une exécution en masse.

Miot, Régère, E. Pottier veulent établir, dès à présent, une commission de comptabilité ; le décret qu'ils proposent est voté. Régère, qui préside, fait remarquer que c'est une cour des comptes que l'on va installer, et il ajoute : Je crois qu'elle sera d'une grande utilité. Il me semble que cette Commune novatrice rentrait un peu dans les ornières de la monarchie. La peine de mort passe encore, cela rappelle la loi de prairial ; mais la Cour des Comptes, dont l'organisation actuelle a été déterminée par le décret du 16 septembre 1807, c'était faire œuvre de réaction et prêter à rire aux mauvais plaisants.

Un contrôle sérieux n'eût point été superflu ; deux jours après, dans la séance du 21 mai, la séance suprême, alors que nos soldats cheminaient déjà dans Paris et que la Commune ne le soupçonnait même pas, Jourde dit : Je demande que l'Assemblée prenne une décision qui touche vos finances. Hier il y a eu une dépense de 1.800.000 francs ; en dix jours il y a eu une augmentation de 4.500.000 francs[23] ; et Jourde, cherchant encore à rassurer le crédit public, — qui n'existe plus depuis longtemps, — s'élève avec force et obtient un désaveu de la Commune contre la note par laquelle Grêlier, membre du Comité central, a déclaré que les titres de rente appartenant aux émigrés seraient brûlés, si ceux-ci ne rentraient dans Paris avant vingt-quatre heures.

Paschal Grousset regimbe un peu : Tout en blâmant l'insertion de la note de Grêlier, dit-il, je demande qu'on prenne des mesures pour l'anéantissement de tous les titres appartenant aux Versaillais, le jour où ils entreraient à Paris. L'incendie du ministère des finances et de la caisse des dépôts et consignations semble prouver qu'en effet des mesures ont été prises. Grâce à François Jourde, la Commune termine sa vie législative par un vote qui condamne la proposition de Grêlier. Elle se constitue immédiatement après en haute cour de justice pour juger Cluseret, et pendant que, sous la présidence de Jules Vallès, elle procède à l'interrogatoire de l'inculpé, elle est interrompue par Billioray, qui arrive du Comité de salut public et semble avoir le privilège d'apporter les mauvaises nouvelles.

Il est environ sept heures du soir. Billioray est ému ; il fait effort pour rester calme et écouter Vermorel qui parle. Il n'y peut tenir et s'écrie : Concluez ! mais concluez donc ! J'ai à faire une communication de la dernière gravité ; je demande le comité secret. Vermorel se tait et Billioray lit la dépêche suivante : Dombrowski à guerre et à Comité de salut public : Les Versaillais sont entrés par la porte de Saint-Cloud. Je prends des dispositions pour les repousser. On se remet en séance afin d'acquitter Cluseret ; on n'adopte aucune mesure d'ensemble ; les membres de la Commune se disposent à se rendre dans leur arrondissement respectif. La Commune compte sur le Comité de salut public ; le Comité de salut public compte sur la délégation à la guerre, où le délégué s'enferme pour composer une proclamation[24]. La Commune en a fini avec ses délibérations ; la bataille dans les rues, les incendies et les massacres vont commencer.

 

VIII. — LA DÉLÉGATION À LA GUERRE.

Insuffisance de Delescluze. — Ses entrevues avec Rossel. — Vermersch et Rossel conspirent la perte de la Commune. — Belleville. — Lullier. — Deux fois incarcéré, évadé deux fois. — Ses alliés, Ganier d'Abin et du Bisson. — Conspiration. — Nettoyer l'Hôtel de Ville. — Déclaration de Lullier. — En relation avec le gouvernement de Versailles. — Faute de 30.000 francs. — Edouard Moreau. — Délégué près le délégué à la guerre. — Antipathique à Delescluze. — Ses antécédents. — Sa conduite à Buzenval. — L'épingle. — Edouard Moreau membre du Comité central. — Ses erreurs. — Il s'entend avec Rossel. — Ses interventions à la Commune. — Il la menace, elle cède. — Police civile et militaire. — Moreau y excelle. — Son système d'espionnage. — Son importance. — Antagonisme entre lui et Delescluze. — Le dernier enjeu du joueur. — Arrêté le 26 mai. — Ne se dissimule pas. — Les jugements sommaires. — La Ligue, la Convention, la Prévôté. — Edouard Moreau est fusillé à la caserne Lobau.

 

Le dernier délégué à la guerre, — le délégué civil, — Delescluze, ne connut jamais les dangers dont il était menacé dans l'intérieur même de Paris, dangers qui se seraient probablement produits avec violence, si le général Douay n'était venu mettre un terme au sabbat de la Commune. Delescluze, en prenant possession du ministère de la guerre, c'est-à-dire en acceptant la responsabilité des opérations militaires d'une révolte que l'ouverture du feu de Montretout et la prise du fort d'Issy réduisaient à une défensive illusoire, Delescluze fut très effrayé. Il passait brusquement, sans éducation préalable, de la théorie à la pratique, et s'apercevait que tout lui faisait défaut ; la science, les aptitudes et les moyens d'action. Il se perdait au milieu des difficultés ; il avait essayé, comme nous l'avons vu, d'en rejeter une partie sur Dereure, sur Johannard et sur Léo Meillet, délégués auprès des chefs d'armée ; mais le côté technique des choses ne lui en échappait pas moins, et il se trouvait en face de problèmes dont il ignorait le premier mot. Il eût voulu avoir près de lui un. homme du métier, un vrai soldat qu'il eût pu consulter et dont il eût suivi les conseils. Il le chercha et crut l'avoir trouvé. Rossel n'avait point quitté Paris ; il se cachait, sous le nom de Tirobois, dans un hôtel garni du boulevard Saint-Germain, non loin du ministère de la guerre. Delescluze allait le voir mystérieusement, l'écoutait, et, grâce à ses avis, parvenait à se reconnaître un peu dans ses nouvelles fonctions.

Delescluze ne fut pas le seul que Rossel reçût en secret dans sa retraite. Vermersch, le rédacteur en chef du Père Duchêne, qui tirait alors à soixante mille exemplaires, et qui exerçait une forte influence sur la population fédérée, Vermersch était resté en relation avec Rossel et allait souvent conférer avec lui en compagnie d'un troisième personnage qu'il est inutile de nommer ; tout ce que nous en pouvons dire, sans le désigner plus clairement, c'est qu'il remplissait à la sûreté générale des fonctions qui ne manquaient pas d'importance. Tous les trois ils rêvaient d'escalader le pouvoir. Emportés par l'erreur de leurs illusions, il est probable qu'ils ont souvent évoqué le souvenir du général Bonaparte, de Talleyrand et de Fouché. Il s'agissait de soulever Belleville, d'en réunir les bataillons, de se mettre à leur tête, de s'emparer de l'Hôtel de Ville, d'en jeter les impuissants sous les verrous, de continuer la guerre pour son propre compte, de vaincre Versailles, — ce qui ne semblait pas douteux, — et de proclamer une République dictatoriale que l'on eût escamotée à son profit. Rossel devenait consul, Vermersch ministre des affaires étrangères, et le troisième acolyte ministre de la police.

L'aventure était périlleuse, mais dans le désarroi où Paris se débattait alors il n'était pas impossible qu'elle réussît. Pour ne pas échouer, elle devait être menée par des hommes d'énergie ; or Rossel était un rêveur, Vermersch était un viveur sottisier et timide ; restait le troisième personnage, trop subalterne pour prendre la direction du complot. On était cependant résolu à jouer cette grande partie ; elle n'était pas encore entamée que l'armée française campait sous les fenêtres de Rossel, qui ne put l'apercevoir sans ressentir une émotion dont il a lui-même consigné le souvenir.

Belleville semble avoir été l'objectif des ambitieux qui voulaient supprimer la Commune. C'est de ce côté-là aussi que regardait Lullier, ulcéré, furieux d'avoir été non seulement dédaigné, mais persécuté par ceux mêmes qu'il croyait avoir poussés au pouvoir, car il était persuadé que seul il avait remporté la victoire du 18 mars. Or, au lieu d'en faire un général en chef, on l'avait incarcéré au Dépôt ; il s'en était sauvé ; il s'était promené avec quelques revolvers dans la ceinture, menaçant de brûler la cervelle à qui mettrait la main sur lui ; on l'avait néanmoins arrêté de nouveau et enfermé à Mazas, d'où il avait encore trouvé moyen de s'évader. C'était un aliéné à accès intermittents, très hardi, et d'une conception rapide qui n'excluait pas une certaine prudence. Moins vaniteux ou moins abstrait que Rossel, il n'ambitionnait point le pouvoir, quoiqu'il s'en crût digne ; mais, entraîné par son propre ressentiment, il voulait, comme il le disait lui-même, coffrer les braillards de l'Hôtel de Ville et en délivrer le pays.

Pour entreprendre ce nettoyage, il s'était allié à deux victimes du despotisme de la Commune, à Ganier d'Abin et à du Bisson. Ces deux personnages extraordinaires avaient tous deux bien mérité du Comité central, l'un en faisant fusiller quelques gendarmes dans la soirée du 18 mars, sur la butte Montmartre, l'autre en commandant le feu contre la manifestation de la rue de la Paix. Ils avaient en outre quelque chose d'exotique qui aurait dû les rendre chers aux promoteurs de la République universelle, car le premier avait été général à la solde d'un roi de Cambodge ou de Tonquin, et le second, après avoir servi sous les ordres de Cabrera, avait été créé comte et général de division par Ferdinand, roi de Naples. C'étaient là des titres qui furent méconnus, puisque Ganier d'Abin fut condamné à mort par le Comité central, et que du Bisson fut révoqué par la Commune.

Ces trois mécontents voulaient, eux aussi, enlever les bataillons de Belleville et prouver aux membres de la Commune que l'on ne se joue pas impunément d'hommes de leur sorte. Lullier vivait au milieu du XXe arrondissement, ne se cachait guère, donnait des poignées de main aux fédérés, cajolait les officiers, se rendait populaire et attendait l'heure de se mettre en marche afin de châtier les satrapes de l'Hôtel de Ville. Pour réussir dans son projet il ne lui manquait plus que de l'argent : une misère, 30.000 francs. S'il les avait eus, il était capable d'exécuter le coup qu'il avait préparé et d'établir ainsi une puissante diversion en faveur de l'armée française. Lullier a fourni lui-même des explications qu'il est bon de recueillir ; il a dit : Le rôle que j'ai joué sous la Commune est parfaitement clair. Je m'étais mis en mesure de balayer la Commune le front haut, la poitrine découverte. Je l'ai écharpée dans les journaux, dans les cafés, partout. J'avais sous la main des généraux et des officiers de mon état-major, j'ai voulu m'en servir. C'est alors qu'est venu un homme qui m'a offert ses services ; je les ai acceptés. Il a dû me remettre de l'argent. Il n'a pas pu le faire à cause de certaines circonstances indépendantes de sa volonté.

L'homme dont parle Lullier avait facilité sa seconde évasion et se donnait pour un agent direct du gouvernement de Versailles chargé de favoriser une contrerévolution à Paris. Lullier ne reçut pas en temps opportun l'argent dont il avait besoin, pour mettre son complot en mouvement, et la combinaison fut abandonnée ; mais si elle eût été menée à bonne fin, qui donc en aurait profité ? Nous croyons que Lullier n'en aurait retiré que d'assez maigres avantages personnels et que tout lé bénéfice en eût été à la légalité.

Dans la dernière quinzaine de son existence, la Commune fut menacée par une demi-douzaine de complots qui, faute d'une action d'ensemble, ne produisirent que des résultats négatifs. La Commune les soupçonnait ; elle se sentait environnée de périls qu'elle ne pouvait combattre, car elle ne savait où les prendre. Elle avait cependant placé à la guerre, auprès de Delescluze, un homme intelligent et qui s'était trop compromis pour pouvoir reculer. C'était Edouard Moreau, membre du Comité central, dont il était l'âme. Delescluze ne le supportait près de lui qu'avec peine ; il eût voulu être débarrassé de ce surveillant perspicace : Le soussigné demande l'annulation de l'arrêté pris par le Comité de salut public à l'effet d'instituer le citoyen Moreau délégué civil de la Commune près du délégué à la guerre, le dit arrêté inséré à l'Officiel du 9 mai 1871 : Charles Delescluze[25]. Le Comité de salut public ne tint compte de la demande ; seulement, quand Delescluze en fit partie, on changea le titre d'Edouard Moreau, et on le nomma intendant ; il n'en conservait pas moins ses fonctions. Si j'en crois certains renseignements qui me paraissent sérieux, il fut le véritable ministre de la guerre pendant la délégation de Delescluze. Comment un tel homme, bien né, instruit, marié à une fille de bon lignage, jeune et apte à bien faire, s'est-il perdu dans cette équipée ? Cela est inexplicable. Il avait été vaudevilliste, avait essayé, sans y réussir, de diriger un théâtre et avait été chercher fortune à Londres, où il était lorsque la guerre éclata entre l'Allemagne et la France. Il accourut à Paris, laissant en Angleterre sa femme et son enfant, qui était fort jeune. Il fut très vaillant pendant cette période. Simple garde national dans une compagnie de marche du 183e bataillon, il fut proposé pour la croix, après l'affaire de Buzenval ; — il refusa la croix et demanda un crêpe. Pendant la guerre, il portait sur lui, comme une sorte d'amulette, une épingle qui avait servi à attacher les langes de son enfant. Il faut croire que les dernières défaites l'exaspérèrent, car, après la capitulation, au lieu de retourner à Londres auprès de sa femme, il entra dans la fédération de la garde nationale, et de là au Comité central. Il fut de ceux qui s'occupèrent activement à faire transporter les canons du parc Wagram jusqu'à la place des Vosges et à la rue Basfroi.

Après le 18 mars, au milieu de la bande qui composait le Comité central, il apparut avec sa supériorité d'homme ayant reçu quelque instruction. Dès le début, et jusqu'à la fin, il fut et resta le maître du Comité. Il s'y était engagé sans esprit de retour ; lé 18 mars tous les membres du Comité s'étaient attribué une somme de 500 francs, afin de pouvoir fuir en cas de défaite. Trois membres, N. Rousseau, Fabre et Edouard Moreau, refusèrent cet argent, qui, remis en dépôt à Bouit, lui fut volé, le soir même, à l'Hôtel de Ville. Il paraît avoir été convaincu de la légitimité de l'insurrection et avoir cru que cette insurrection avait été faite dans l'hypothèse que l'Assemblée nationale voulait détruire la République ; erreur profonde dans les deux termes : d'une part, l'insurrection a été menée par des gens qui voulaient le pouvoir pour eux-mêmes et se souciaient peu de l'étiquette gouvernementale ; d'autre part, en présence des partis qui divisaient l'Assemblée, il ne pouvait être douteux, pour un esprit doué de quelque clairvoyance, que la République seule était possible. Mais, quoique de bonne foi, Edouard Moreau se laissa emporter par la passion, et il répéta les niaiseries qui avaient cours alors dans le monde des clubs et des cabarets.

A la date du 9 avril, il écrit : Les chefs du gouvernement de la défense nationale, en livrant la France à la Prusse, n'ont eu en vue que de tuer la République, qu'ils craignaient de voir consolidée par la victoire. Il croit, il dit que le Comité central a sauvé Paris ; enfin il ajoute — et ceci est grave : J'affirme qu'aucune condamnation, quelle qu'elle soit, n'a été prononcée par le Comité central. Il oublie que le 22 mars le Comité ratifie les condamnations à mort prononcées par les généraux Henry et du Bisson. Le 28 et le 29 mars, au moment de disparaître, les élections pour la Commune étant déjà faites, le Comité central condamna à mort par contumace Ganier d'Abin et Wilfrid de Fonvielle. Je m'étonne que ces incidents soient sortis de la mémoire d'Edouard Moreau, car il était présent lorsqu'ils se sont produits.

La Commune le redoutait et n'avait point tort, car il la méprisait et le lui laissait voir. Dès le milieu d'avril, il avait dit : Si la Commune ne se conduit pas mieux, nous nous battrons contre elle. Ce fut lui qui, après s'en être entendu avec Rossel, incita le Comité central à ressaisir le pouvoir, et à exiger qu'on, lui fit sa part, la part du lion, au ministère de la guerre. C'était s'y prendre trop tard ; rien déjà n'était plus possible pour le salut de l'insurrection. Edouard Moreau, accompagné de Lacord et de B. Laccore, se présenta devant la Commune, en qualité de mandataire du Comité central ; il parla en maître : C'est le Comité de la fédération de la garde nationale qui a fait le 18 mars, il prétend en tirer bénéfice et n'être point tenu à l'écart ; la Commune oublie trop volontiers qu'elle est la fille — la fille mineure — du Comité, et elle semble ne pas s'apercevoir qu'elle a plus que jamais besoin des conseils paternels. La Commune, qui régnait par la terreur et qui s'en vantait, n'était point accoutumée à un tel langage ; elle menaça Edouard Moreau de le faire arrêter. Il haussa les épaules et répondit : Si, par malheur pour vous, vous commettiez la bévue de mettre la main sur un seul des membres du Comité central, nous nous rendrions tous dans nos arrondissements, nous reviendrions ici à la tête des fédérés qui n'obéissent qu'à nous, et je me charge seul de vous envoyer à la Grande-Roquette. La Commune, qui savait qu'Edouard Moreau disait vrai, resta interdite et l'écouta lorsqu'il reprit : Dans l'intérêt de la cause que nous servons, il est plus sage de s'entendre et de rester unis.

La Commune céda ; les commissions choisies dans le Comité central furent installées à la délégation de la guerre, où Moreau, choisissant le poste qui lui convenait, se chargea de la haute police civile et militaire[26]. Il y excella et sut déjouer les tentatives qui avaient pour but de livrer une des portes de Paris à l'armée française et auxquelles M. Thiers lui-même se laissa prendre plusieurs fois. Il faisait surveiller les membres de la Commune, les officiers généraux de la fédération, les délégués aux différents services publics ; en outre, il avait deux escouades d'agents spéciaux : les uns qui parcouraient les quartiers dits conservateurs, les autres les quartiers populeux. De tous les rapports qu'il recevait, Moreau faisait un résumé qu'il signait, toujours à l'encre rouge. J'ai plusieurs de ces résumés sous les yeux ; ils sont intéressants et prouvent que la Commune était antipathique à la population. Il avait organisé un système d'espionnage complet qui lui rapportait dés renseignements sur le mouvement de nos troupes, mais dont l'incapacité des chefs militaires de la Commune ne sut jamais profiter. Les hommes chargés de ce service étaient porteurs d'un laissez-passer ainsi conçu : Laissez passer le citoyen N. chargé par le délégué à la guerre de prendre des informations extérieures. La garde nationale est invitée à lui faciliter son service. — Le chef du service des reporters : G. pour la Commission de la guerre ; le membre de la Commune : G. Geresme.

Edouard Moreau était une puissance. Il n'aimait pas les hébertistes et s'était déclaré l'adversaire de Rigault et de Ferré. Ceux-ci redoutaient son énergie et l'influence sérieuse, quoique peu apparente, qu'il exerçait sur la fédération. Le gouvernement de Versailles savait à quoi s'en tenir sur son compte ; j'ai lieu dé croire, sans cependant me permettre de l'affirmer, que plusieurs fois, mais toujours maladroitement, on essaya de l'enlever à l'insurrection et de le rattacher au parti de la légalité.

Supérieur à Delescluze par l'intelligence, supérieur à Rossel par le caractère, Edouard Moreau était peut-être de tous les hommes mêlés à la Commune celui qui l'eût le plus facilement détruite à son profit[27]. Il avait été question de le nommer délégué à la guerre lorsque Rossel se retira, et de lui donner ainsi la haute main sur l'armée insurrectionnelle. La Commune eut peur d'avoir l'air d'abdiquer en désignant un membre du Comité central et elle choisit Delescluze, qui ne devait pas, qui ne pouvait pas la conduire à la victoire. Moreau, quoique subalternisé, avait une importance extraordinaire : il envoyait des instructions aux chefs de légion pendant que Delescluze expédiait des ordres aux chefs d'armée. De là naissaient des conflits, des confusions, dont notre armée, souvent mal renseignée, ne put tirer parti. Le délégué de la Commune à la guerre et le commissaire du Comité central se jalousaient et ont plus d'une fois, sans le savoir, neutralisé leurs efforts. Chacun d'eux se croyait le maître, l'un parce qu'il représentait la Commune, l'autre parce qu'il représentait le Comité central. Le résultat de cet antagonisme se faisait sentir jusqu'aux avant-postes. En présence des ordres contradictoires qui leur étaient adressés, les chefs de corps, les simples commandants n'obéissaient plus qu'à leur initiative personnelle, et ajoutaient leurs propres sottises à celles qu'on leur prescrivait. Du 10 au 21 mai, la défense de Paris et des ouvrages sous Paris fut d'une incohérence dont rien ne peut donner l'idée. Il est extraordinaire qu'Edouard Moreau n'ait point abandonné cette partie qu'il savait perdue ; les renseignements qu'il recevait de l'intérieur et de l'extérieur de Paris ne pouvaient plus lui laisser de doute à cet égard. Ceux qui l'ont connu, qui l'ont aimé, qui avaient apprécié ses bonnes qualités, ont vu en lui une sorte de joueur ruiné qui met sa fortune et sa vie sur un dernier enjeu. Il était humilié de l'état de médiocrité auquel des revers, — mérités ou non, — avaient réduit sa femme et son enfant. Il savait qu'en temps de révolution la chance appartient au plus audacieux, et que l'on peut souvent obtenir en quelques heures ce qu'une vie de labeur est impuissante à donner. C'est cela probablement qui l'a décidé à se précipiter dans cette aventure, et qui l'y a maintenu, lors même qu'il n'ignorait pas qu'elle était condamnée à une fin honteuse. Il avait trente-quatre ans, il était ambitieux de pouvoir, ambitieux de richesse ; il voulut forcer la destinée ; l'heure n'était pas propice, il en mourut.

Je ne sais rien de la part qu'Edouard Moreau a prise à la lutte, lorsque l'armée française se heurta dans les rues de Paris contre les bandes fédérées ; quoiqu'il eût fait acte de présence, le 24 mai, à la mairie du XIe arrondissement, je crois volontiers qu'il évita de combattre et qu'il fut un simple spectateur ironique de cette grande bataille. Il avait été, je l'ai dit, spécialement signalé au gouvernement de Versailles, et chaque chef de corps avait reçu ordre de s'emparer de lui. Le 26 mai, lorsqu'il rentrait chez lui, rue de Rivoli, n° 10, vêtu d'une redingote bourgeoise, et ayant dans sa poche un passeport signé d'Edmond Levraud, chef de la première division à la préfecture de police pendant la Commune, au moment où il prenait sa clef dans la loge du portier, une escouade de soldats conduite par un sous-officier se présenta devant sa maison. Il se porta au-devant du peloton ; le dialogue fut court : Qui demandez-vous ?Le sieur Edouard Moreau, membre du Comité central. — C'est moi !Je vous arrête. — Je vous suis.

On le conduisit au théâtre du Châtelet, dans le foyer duquel une prévôté était établie depuis la veille. Il y avait trois bureaux devant lesquels on interrogeait les individus arrêtés. On les fouillait, on inscrivait leur nom, leurs prénoms, leur âge, leur demeure, le lieu, le motif de leur arrestation, les objets et papiers trouvés sur eux. Ce travail préliminaire étant fait par un lieutenant-colonel, on divisait ces malheureux en deux groupes : les plus coupables, les moins coupables. Les premiers étaient amenés devant un colonel qui leur faisait subir un nouvel et dernier interrogatoire ; on vérifiait si les mains étaient noircies par la poudre, si l'épaule était meurtrie par le recul du fusil. Sur l'état récapitulatif de tous les noms, en face de chaque nom, on traçait une lettre majuscule indiquant la sentence prononcée : L signifiait en liberté ; V, envoyé à Versailles ; F. condamné à être fusillé.

L'histoire se répète toujours, et ses cruautés se reproduisent avec une stérile monotonie. Lorsque la Convention eut promulgué le décret du 19 mars 1795 qui mit hors la loi les porteurs de cocarde blanche, une commission composée de Félix, Morin et de Vacheron, fut envoyée à Angers pour recenser les détenus vendéens ; cette commission, qui en l'espace de trois mois fit exécuter sept cent soixante-dix individus, jugeait aussi par lettres : R, à revoir ; F, à fusiller ; G, à guillotiner. Était-ce donc un souvenir de la Ligue qui était venu par tradition jusqu'aux commissaires de la Convention ? Pierre de l'Estoile raconte, à la date du 25 novembre 1591, que les Seize avaient résolu, dans leurs conseils, de chasser ou de tuer une partie des Parisiens, et pour ce, en leurs rolles ils les distinguaient par les trois lettres P, D, C, qui estaient à dire : pendu, dagué, chassé.

En présence de l'encombrement des prévôtés et du nombre énorme (38.000) de prisonniers que l'on amenait de toutes parts, on procéda comme au temps de la Ligue et comme au temps de la Convention. A cette heure où, sous l'impression des incendies, du massacre des otages, nulle pitié ne survivait dans les cœurs, il suffisait d'avoir pris part aux œuvres de la Commune pour n'avoir point la vie sauve. Ce fut le cas d'Edouard Moreau. Il ne chercha pas à nier son identité, que du reste révélait le passeport trouvé sur lui. Devant son nom on mit un F. Une personne de ses amis qui l'avait vu arrêter, l'avait suivi. Il marchait le front haut, le visage pâle, il fumait une cigarette et serrait de la main le revers de sa redingote, la même où il avait fixé l'épingle qui avait attaché les langes de son fils. Il reconnut dans la foule la personne qui le regardait passer et qui pleurait ; il lui fit un signe de tête, puis il pénétra dans la caserne Lobau., d'où il ne ressortit pas.

 

 

 



[1] L'écriture est celle de Pourille, dit Blanchet.

[2] Voir Convulsions de Paris, t. III.

[3] La nomination fut ratifiée par la Commune. 2 avril 1871. Le citoyen Rossel reste chef militaire de la 17e légion. Le citoyen Géroudier représente dans ladite légion le pouvoir civil comme membre de la Commune. Les délégués de la Commission exécutive : G. LEFRANÇAIS, FÉLIX PYAT, E. VAILLANT.

[4] La terreur ou la Commune de Paris en l'an 1871 dévoilée, par W. de Fonvielle. Bruxelles, 1871, p. 7.

[5] Procès des membres de la Commune devant le 3e conseil de guerre ; audience du 18 août 1871.

[6] La signature est tellement douteuse que je n'ose l'indiquer, dans la crainte de commettre une erreur.

[7] Ranc donna sa démission le 5 avril et la maintint résolument, malgré les démarches que Lefrançais fit auprès de lui pour l'engager à. la retirer.

[8] Procès Chatel ; 8e conseil de guerre, débats contradictoires, 12 octobre 1871.

[9] On ne s'en tint pas là. Un ancien architecte, nommé H. Barnout, qui avait inventé la borne maudite, sorte de pilori qu'il proposait d'élever à la honte des malfaiteurs de l'humanité (empereurs et rois), réduit la devise de l'avenir aux quatre termes suivants : souveraineté universelle — contribution universelle — héritage universel — expropriation universelle. Le Vengeur, numéro du 8 avril 1871.

[10] Procès L.-J.-R. Bourdon ; débats contradictoires, 4e conseil de guerre, 4 août 1874.

[11] Ce colonel Bourgoin n'était pas toujours très véridique ; c'est lui qui le 3 avril expédia la dépêche suivante : — Colonel Bourgoin à Directeur général, 3 avril, 11 heures, — Bergeret et Flourens ont fait leur jonction ; ils marchent sur Versailles ; succès certain.

[12] Les treize membres de la Commune qui votèrent contre la validation de ces élections tronquées furent : Arthur Arnould, Avrial, Beslay, Clémence, V. Clément, Géresme, Langevin, Lefrançais, Miot, Rastoul, Vallès, Verdure, Vermorel.

[13] Voir Pièces justificatives, n° 1.

[14] Voir les Convulsions de Paris, t. III, la Banque de France, IX.

[15] Voir Pièces justificatives, n° 2.

[16] Pour tout ce qui concerne le rôle de la franc-maçonnerie pendant la Commune, voir le Journal officiel de la Commune et surtout les Francs-Maçons et la Commune de Paris par un franc-maçon, M***, Paris, Dentu, 1871.

[17] Le gouvernement de M. Thiers, par M. Jules Simon, t. I, p. 410.

[18] Voici le décret du Comité de salut public, publié le 5 mai au Journal officiel de la Commune : Art. 1er. La délégation à la guerre comprend deux divisions : direction militaire, administration. — Art. 2. Le colonel Rossel est chargé de l'initiative et de la direction des opérations militaires. — Art. 3. Le Comité central de la garde nationale est chargé des différents services de l'administration de la guerre sous le contrôle direct de la commission militaire communale.

[19] Delescluze est nommé délégué à la guerre le 9 mai, dans la soirée. Le 13 mai, Cournet est remplacé à la sûreté générale par Théophile Ferré ; cette note a donc été écrite entre le 10 et le 12 mai.

[20] Procès Meissonnier et Bontemps, débats contradictoires, 3e conseil de guerre, 24 août 1875.

[21] A la même date l'on exige que tout propriétaire fournisse la liste des locataires de chaque maison ; on devait indiquer le sexe, l'âge et la profession.

[22] Je crois pouvoir affirmer que, pendant la Commune, Amouroux alla lui-même chercher un prêtre et le pria de porter les derniers secours de la religion à une femme fort malade avec laquelle il était lié.

[23] Je crois qu'il ne doit pas y avoir hésitation sur la somme ; la réimpression du Journal officiel de la Commune dit 45 millions, ce qui est impossible ; le Journal officiel, édition originale, dit 45.000.000, ce qui est une faute typographique. 4.500.000 francs pour dix jours donne 450.000 francs par jour ; c'est là une augmentation normale et qui représente, probablement, le chiffre que Jourde a énoncé.

[24] Lissagaray, Histoire de la Commune de 1871, p. 342.

[25] Edouard Moreau répondit par une note qui est à la fois une profession de foi et un exposé des principes qu'il comptait faire prévaloir. Voir Pièces justificatives, n° 4.

[26] Le Comité central était le maître au ministère de la guerre : il y régnait à l'intendance par Moreau ; à l'ordonnancement par L.-F. Piat et R. Laccore ; à la solde par Geoffroy ; au contrôle général par Gouhier, Prudhomme, Gandier ; à la commission médicale par Fabre, Tiersonnier, Bonnefoy ; à l'infanterie par Lacord, Tournois, Barroud ; à l'artillerie par Rousseau, Laroque, Maréchal ; à l'armement par Bisson, Houzalot ; au génie par Brin, Marceau, Levèque ; à la cavalerie par Chouteau, Avoine fils ; à l'examen disciplinaire par Navarre, Husson, Lagarde, Audoynaud ; à l'état-major par Hanser, Soudry ; à l'équipement par Lavalette, Chateau, Valatz, Patris, Fougeret ; au train par Millet, Boullenger ; aux subsistances par Bouit, A. Ducamp, Grêlier et Drevet. Il avait, comme l'on voit, accaparé tous les services.

[27] Plusieurs personnes m'ont écrit pour combattre l'opinion que j'ai émise sur Edouard Moreau et pour me démontrer qu'il fut un homme de médiocrité peu intéressante. Malgré les preuves qui m'ont été données, je crois devoir maintenir ma première version. J'ai eu entra les mains une quantité considérable de documents relatifs à Edouard Moreau et entre autres une correspondance qui me fait persister à croire qu'il ne doit pas être jugé avec sévérité.