LES CONVULSIONS DE PARIS

TOME TROISIÈME. — LES SAUVETAGES PENDANT LA COMMUNE

 

CHAPITRE DEUXIÈME. — LA BANQUE DE FRANCE.

 

 

XIII. — LES DERNIÈRES RÉQUISITIONS.

 

On apprend que l'armée française est dans Paris. — M. de Plœuc et Ch. Beslay en permanence à la Banque. — Illusions. — Le Comité de salut public tire sur la Banque. — Les quatre chefs de service réunis en conseil. — Reçu de Ch. Beslay. — Jourde à l'Hôtel de Ville. — Campement à la Banque. — La dernière réquisition. — On pourrait tenir pendant 24 heures. — Dernière concession. — Total des réquisitions. — Les mouvements de l'armée. — Inhumanité de la Commune. — Les théories et la pratique. — Les incendies. — Désespoir des économistes. — Résultats des fausses doctrines.

 

Ce fut le lundi 22 mai dans la matinée que la Banque apprit le mouvement de l'armée française ; il avait fallu dix-sept heures pour pousser dans Paris les 155.000 hommes avec lesquels on allait livrer la bataille suprême. On se doutait encore si peu des événements de la veille que l'équipe des trente maçons occupée à la reconstruction de la Banque y était arrivée à l'heure réglementaire et y avait repris son travail. M. de Plœuc, mû par un pressentiment confus d'une action militaire prochaine, avait quitté la maison où depuis le commencement d'avril il avait trouvé un asile pour la nuit et était venu coucher rue de la Vrillière, afin d'être là si le péril devenait trop menaçant. Charles Beslay était accouru dès les premières heures et M. de Plœuc, tout en ayant l'air de plaisanter, lui dit sérieusement : Vous êtes mon prisonnier ; je vais vous faire préparer un appartement, vous ne nous quitterez plus, car la bataille est engagée ; vous m'aiderez à sauver la Banque, — et, lui serrant la main, il avait ajouté : A charge de revanche. — Charles Beslay avait accepté et M. de Plœuc l'avait installé dans son propre logement.

Les illusions que les hommes les plus modérés de la Commune conservaient encore à cette heure où l'écroulement avait déjà commencé sont inexplicables. Charles Beslay se promenait dans la grande cour avec un de ses amis, qu'il est inutile de nommer ; ils causaient ensemble du mouvement de l'armée, des ressources de l'insurrection, de la lutte dont les rumeurs lointaines venaient jusqu'à eux. Charles Beslay déplorait ce combat, car la guerre, et surtout la guerre civile, lui était antipathique. Son ami lui dit : C'était inévitable ; cette dernière bataille était nécessaire pour nous permettre d'asseoir définitivement notre système politique ; nous touchons au terme de nos efforts ; ces pauvres Versaillais ! je ne puis m'empêcher de les plaindre ; les voilà dans Paris ; ils vont y être cernés et pas un d'eux n'en sortira vivant. Le témoin, homme fort considéré, qui m'a rapporté ce fait, m'a dit : Ce M. X... parlait avec une telle conviction que j'en ai été troublé.

Le Comité de salut public et les membres de la Commune qui s'établirent en permanence à l'Hôtel de Ville, ne doutant plus du sort que leur défaite allait leur réserver, eurent besoin d'argent pour donner une haute paye aux combattants, et aussi pour se remplir les poches, s'assurer un asile et préparer leur fuite ; c'est l'heure où les mentons barbus vont devenir glabres et où les chamarrures de l'uniforme vont faire place à la veste de l'atelier. Le Comité de salut public s'adressa à son délégué aux finances pour avoir de l'argent et celui-ci eut recours à la Banque. A dix heures du matin, le citoyen Durand se présenta à la caisse centrale porteur d'un reçu de 700.000 francs signé par Jourde ; il s'était fait accompagner de Charles Beslay, qui appuyait la demande. Prévenu par M. Mignot, qui refusait de payer en l'absence d'un ordre régulier, le marquis de Plœuc accourut, trouva la réquisition excessive et la réduisit à 200.000 francs, qu'il consentit à faire verser. Le caissier Durand les empocha ; Charles Beslay fit quelques observations que l'on n'accueillit pas, et comme il comprenait qu'en présence de la bataille qui bruissait dans Paris, la Banque était exposée à subir une exécution militaire de la part de la Commune, il se rendit à l'Hôtel de Ville afin de prendre langue et de savoir ce que l'on pouvait avoir à redouter. Au bout de deux heures il revint ; le résultat de la négociation n'était point satisfaisant. Paris, le 22 mai 1871. Au nom du Comité de salut public : Sommation est faite à la Banque de France de remettre au citoyen Jourde la somme de cinq cent mille francs, réquisitionnée pour le compte et service de la Ville de Paris. Pour le Comité de salut public, G. RANVIER, E. EUDES. Et par le travers : Si cette somme n'était pas payée, la Banque serait immédiatement envahie par la garde communale. Le délégué aux finances, JOURDE. La menace de Jourde n'était point vaine ; deux bataillons et deux pièces d'artillerie se rapprochèrent de la Banque.

Charles Beslay insistait pour que les 500.000 francs lui fussent remis, afin qu'il pût les porter à l'Hôtel de Ville et apaiser les colères qui y grandissaient contre les conspirateurs de la Banque. Le marquis de Plœuc résistait ; il était seul et ne pouvait assumer sur lui une responsabilité aussi grave. L'état des rues de Paris ne permettait pas de convoquer les régents dont, par un hasard singulier, trois demeuraient dans le VIIIe arrondissement, où les fédérés et les troupes françaises étaient aux prises. Cependant le danger était pressant, il fallait prendre un parti, car le salut de la Banque était en jeu. M. de Plœuc réunit en consultation les quatre chefs de service : M. Marsaud, secrétaire général ; M. Chazal, contrôleur ; M. Mignot, caissier principal ; M. de Benque, secrétaire du conseil. Les avis ne furent point unanimes ; un des membres de ce petit conseil estima qu'une lutte engagée à la Banque pourrait faire une diversion en faveur de la légalité et créer de graves embarras à la Commune. Cette opinion ne prévalut point. Qu'était-ce en effet qu'un sacrifice de 500.000 francs en présence des sommes bien autrement considérables que jusqu'à ce jour on avait soustraites à la rapacité de la Commune ? Malgré l'entrée des troupes dans Paris, pourrait-on, en cas de résistance, éviter un envahissement qui serait infailliblement suivi de pillage ? La réponse à cette question était douteuse ; il valait mieux céder encore, car l'on était bien réellement contraint et forcé ; le conseil des régents approuverait certainement une détermination que les circonstances mêmes imposaient. Pendant que l'on délibérait, Jourde, remué par l'impatience, sentant que le terrain manquait sous ses pieds, était venu à la Banque. On lui donna l'argent qu'il exigeait. Au bas de la réquisition, Charles Beslay écrivit : La somme de 500.000 francs demandée ci-dessus ont été remis au citoyen Jourde en ma présence.

Ce même jour, probablement en sortant de la Banque, Jourde se rendit à l'Hôtel de Ville ; il était triste et résolu ; il savait bien, — il avait peut-être toujours su, — que sa cause était désespérée. Il entra dans le cabinet d'un chef de service administratif et y rencontra l'agent du matériel de l'Hôtel de Ville, le directeur de l'Imprimerie nationale, Vaillant, délégué à l'enseignement, et Andrieu, délégué aux services publics. Il faisait chaud et on avait apporté de la bière. On causait, car aucun des hommes qui étaient là ne mettait en doute le succès définitif de l'armée française. Andrieu surtout était soucieux ; il parlait de ses enfants avec émotion, et montrant l'œil borgne qui le défigurait, il disait avec un sourire plein d'amertume : Voilà un signe particulier qui me condamne à mort, car il me fera reconnaître partout. — Bah ! dit Jourde, redressant sa haute taille et se plaçant immobile contre le mur, quand ils me fusilleront, je me tiendrai comme cela. Ce fait m'a été raconté par un des témoins de cette scène, et m'a paru assez caractéristique pour mériter de n'être point passé sous silence[1].

La Banque chômait, on peut le croire ; elle avait retiré ses sentinelles extérieures, son poste était fermé, le branle-bas de combat avait été fait, et le commandant Bernard ne se reposait guère. Les rues voisines semblaient se préparer à la bataille ; au carrefour de la rue des Petits-Champs et de la rue de la Feuillade, quelques fédérés, aidés par les gamins du quartier, avaient élevé une barricade, assez piteuse du reste, et composée d'éléments qui ne la rendaient pas bien redoutable. Un ouvrage de défense construit à l'entrée de la rue Coquillière et armé d'une pièce de canon était plus sérieux ; mais il était dominé par la Banque, et quelques coups de fusil eussent suffi pour le réduire au silence. La situation de Paris était telle que l'on ne pouvait même pas songer à renvoyer dans leur domicile les maçons qui étaient venus le matin rue de la Vrillière pour y continuer leurs travaux. On les installa dans la galerie des recettes, convertie en campement ; la buvette les avait nourris. Les provisions ne manquaient pas ; depuis plusieurs jours, en prévision de cette dernière bataille et des difficultés qu'elle pouvait entraîner, l'économe n'avait point ménagé les achats de vivres et avait amplement garni les garde-manger. La nuit fut calme, chacun veilla à son poste ; on entendit passer quelques patrouilles signalées par leurs voix avinées ; mais on n'eut aucune alerte à subir.

A l'aube du mardi 23 mai, dès que l'on fut éveillé à la Banque, le premier mot fut : Où sont les Versaillais ? Nul ne put répondre. Le vent ne portait pas, comme l'on dit, et l'on n'entendait rien, ni coups de canon ni fusillade. L'armée marchait lentement ; la révolte se fortifiait, réquisitionnant le pétrole et conduisant les otages à la Grande-Roquette. A la Banque, on était comme dans un fort assiégé : portes closes, grilles fermées, tout le monde sous les armes, murs crénelés, matériaux pour une barricade réunis dans la cour, fenêtres matelassées, oblitérées par des sacs de terre. On était prêt, toujours prêt, et cette attitude, que n'ignoraient pas les fédérés, éloigna peut-être les grands dangers de la dernière minute.

Dans la matinée, on entendit un bruit de tambours et de pas cadencés dans la rue de la Vrillière ; puis le commandement : Halte ! front ! On regarda et l'on vit une troupe d'une centaine d'hommes obéissant à un chef de bataillon à cheval, qui prenait position devant la Banque. Un délégué du Comité de salut public, accompagné du citoyen Hubert-Arman, directeur général du contrôle de la solde de la garde nationale, entra dans la cour. Tous deux portaient des revolvers à la ceinture et se donnaient des airs de matamore ; cependant ils tenaient leur chapeau à la main et ne paraissaient pas aussi rassurés qu'ils auraient voulu l'être. Ils demandèrent à parler à Charles Beslay, auquel ils remirent ce que l'euphémisme de la Commune appelait un mandat. C'était un reçu libellé d'avance et renforcé de signatures qui, comme le quoi qu'on die de Trissotin, en disaient beaucoup plus qu'elles ne semblaient. Paris, 23 mai 1871. Reçu de la Banque de France la somme de cinq cent mille francs, valeur réquisitionnée d'ordre du Comité de salut public. Le refus de cette somme entraînerait l'occupation de la Banque. Le membre de la Commune délégué aux finances, JOURDE ; le membre du Comité de salut public, E. EUDES ; vu et approuvé, le délégué civil à la guerre, DELESCLUZE.

Comme la veille, on tint conseil ; il était bien tentant de s'emparer des deux émissaires et de les mettre en sûreté en attendant l'armée française, qui ne pouvait plus tarder longtemps à montrer ses têtes de colonnes. On avait bonne envie de disperser à coups de fusil la bande qui piétinait devant la Banque et n'eût point été fâchée de s'y approvisionner un peu. Cet avis fut donné ; on hésitait à le suivre. La commandant Bernard fut appelé au conseil : Combien de temps pouvez-vous tenir avec votre armement et vos munitions ?Vingt-quatre heures. Si l'on eût su où étaient les troupes régulières, on aurait peut-être couru cette aventure ; mais, comme la veille encore, ce fut l'opinion de la sagesse qui l'emporta. Était-ce au moment où la Banque allait recueillir les fruits de sa conduite qu'il fallait compromettre le résultat par le refus d'une somme relativement faible ? On ne le pensa pas, et l'on fit droit à cette réquisition, qui fut la dernière. Elle fermait le compte des sommes extorquées à la Banque par le Comité central et par la Commune. Le total s'élève à 16.625.202 francs[2]. C'est une moyenne quotidienne de 237.500 francs, qui, si elle a été exclusivement employée à la solde des fédérés, suppose que 158.000 hommes participaient chaque jour à la distribution des trente sous réglementaires. Ce chiffre ne concorde pas avec ceux du Rapport en date du 3 mai 1871 sur la situation des légions, qui fixe le nombre des fantassins à 190.425 et à 449 celui des cavaliers — bataillons de marche, 96.325 ; bataillons sédentaires, 94.100.

Si la Banque était délivrée des réquisitions forcées qui faisaient brèche à ses caisses, elle l'ignorait et, en tout cas, elle n'était pas délivrée de ses craintes. On ne savait ce que devenait l'armée française ; on avait beau monter sur les toits, se munir de longues-vues et regarder vers tous les points de l'horizon, on n'apercevait rien ; à peine çà et là, dans le lointain, quelques fumées blanches, flottant sous le ciel et s'éparpillant au vent, indiquaient l'emplacement possible d'un combat. On était harassé. On allait, on venait dans les cours, dans les couloirs ; souvent on jetait un coup d'œil dans les rues qui étaient désertes ; de rares passants se hâtaient, parfois un ivrogne chantant mettait un peu de bruit dans ce silence. Vers les quatre heures, on eut quelques nouvelles. L'armée s'avançait ; Ladmirault et Clinchant avaient fait leur jonction sur le sommet des buttes Montmartre ; Vinoy tiraillait aux environs de l'esplanade des Invalides et cherchait à s'emparer du Corps législatif ; Cissey, brisant à angle droit la marche de son corps d'armée, venait de s'installer dans la gare Montparnasse. Ce sont là les mouvements des ailes ; la Banque est au centre et le corps du général Douay est encore arrêté sur le boulevard Malesherbes ; mais sa droite chemine dans le haut du faubourg Saint-Honoré. Cela n'était pas rassurant. La Banque était au cœur même du quartier que l'insurrection occupait ; entre elle et l'armée française s'élevaient les ouvrages de la rue de Rivoli, de la place Vendôme, sans compter vingt barricades improvisées, dont une seule, celle de la rue de la Chaussée-d'Antin, neutralisait les efforts du général L'Hériller, qui cependant l'attaquait en s'appuyant sur l'église de la Trinité, en haut de laquelle les marins avaient hissé leurs batteries mobiles.

S'il eût existé l'ombre d'un sentiment humain dans l'âme des terroristes qui dirigèrent la dernière résistance de la Commune, ils auraient mis bas les armes. Ces hommes qui, dans leurs discours et leurs proclamations, faisaient sonner si haut leur tendresse humanitaire, n'eurent pas même la simple humanité dont l'impulsion commande d'arrêter l'effusion du sang devenue inutile. Ils allèrent jusqu'au bout de leur crime, Sardanapales de la charcuterie et de l'absinthe que leur vanité poussait à disparaître au milieu d'un cataclysme. Mourir en anéantissant une des plus énormes villes du monde, c'était quelque chose pour ces exaspérés de leur propre médiocrité. Soit ! mais combien sont morts ? combien ont affronté l'ennemi social et sont tombés en défendant leur rêve qui n'était qu'un cauchemar ? Il ne faut pas bien longtemps pour les compter : deux seulement, en réalité, sont frappés mortellement sur les barricades, Delescluze, et Vermorel qui mourut dans le mois de juin des suites de ses blessures, repentant et désespéré, dit-on, de s'être associé à cette débauche de sang, de pétrole et d'eau-de-vie.

La plupart des autres ont prestement décampé, laissant leurs dupes mourir pour une cause qu'elles ne comprenaient guère, car ceux qui l'avaient prêchée ne la comprenaient pas. On peut reconnaître que les membres de la Commune qui eurent à rendre compte de leurs crimes à des conseils de guerre avaient tout fait pour se soustraire à cette extrémité, car il n'est cachettes ni déguisements qu'ils n'aient imaginés pour éviter d'expliquer leurs doctrines devant des juges. Ce sera là la honte éternelle de ces hommes ; ils n'ont rien négligé pour mettre leur personne à l'abri et ils ont, sans pitié ni scrupule, chassé vers la mort les malheureux qu'ils avaient réduits en servage. Enivré par ces césarillons d'estaminet, le peuple de la fédération a joué le rôle du gladiateur antique : il s'est fait tuer pour des maîtres qui ne le regardèrent même pas mourir, car la plupart étaient déjà loin et bien cachés.

Le 23 mai, dans la journée, les socialistes, les économistes de la Commune pouvaient se dire encore que l'on combattait pour une doctrine ; mais ceux-là mêmes qui s'opposaient à la démolition de la maison de M. Thiers, parce qu'un immeuble représente un capital, et que le capital est indispensable au fonctionnement régulier des sociétés, que pensèrent-ils, lorsque le crépuscule leur montra le ciel s'empourprant au reflet des incendies ? Comprirent-ils alors que les théories dont se repaissait leur esprit relativement cultivé devenaient entre les mains des ignorants, des jouisseurs, comme disent les parlementaires, des envieux et des méchants, un prétexte à tous les forfaits que la guillotine punit et que le bagne réprime ? Rêver l'ère de la vertu et de la richesse universelles, prêcher des appels à la concorde, bâtir la Jérusalem céleste sur le sable mouvant des idées fausses, être un apôtre, se croire un prophète, réunir autour de soi, dans un but de fraternité économique et de solidarité pastorale, les délaissés, les déclassés, les paresseux surtout, les estropiés de la cervelle, les atrophiés du cœur ; s'imaginer qu'avec ces pauvres êtres on va, par la vertu de quelques décrets, faire un peuple nouveau, et s'apercevoir que l'on n'a réussi qu'à déchaîner toutes les bêtes fauves qui habitent l'homme ; reconnaître que pour ces gens-là fraternité signifie assassinat et que solidarité veut dire incendie, c'est une terrible déconvenue, et plus d'un des illuminés du socialisme en a souffert. Je puis le dire : Malon s'arracha les cheveux de désespoir ; Vermorel, montrant ses compagnons, disait : J'aime mieux être fusillé par les Versaillais que d'être condamné à vivre avec de pareilles crapules ; Jourde éclata en larmes lorsqu'on lui apprit l'incendie du ministère des finances ; Jules Vallès lutta pour empêcher l'exécution des otages ; vainement, il ne fut point écouté.

Il était trop tard, la semence qu'ils avaient jetée à pleines mains produisait ses fruits, et ils restèrent les spectateurs impuissants, de crimes dont la responsabilité remonte jusqu'à eux. Dans notre pays, sans privilèges et sans préjugés, où sur dix patrons on compte actuellement sept anciens ouvriers, quiconque, à propos de réformes économiques et sociales, a prêché autre chose que le travail et l'épargne, a menti, a développé les instincts mauvais chez ses auditeurs et les a disposés à tomber dans la violence des revendications qui se traduisent par le meurtre, le pillage et la destruction. C'est là une vérité que l'histoire explique à chaque page et que la Commune a démontrée inutilement une fois de plus.

Cette vérité, la Banque a failli en faire l'expérience ; si l'altitude de son personnel n'eût inspiré quelque crainte aux fédérés, si la volonté de Beslay, de Jourde, de tout le parti économiste n'eût refréné les velléités des jacobins, si les régents, le sous-gouverneur, les chefs de service n'étaient restés à leur poste, livrant toujours la même bataille pour le salut de la fortune publique, c'en était fait d'elle ; elle disparaissait et à sa place l'on n'aurait plus découvert que le gouffre d'une banqueroute où trois milliards se seraient engloutis.

 

 

 



[1] Le signe particulier que portait Andrieu aida singulièrement à son évasion : Andrieu se réfugia chez un de ses amis, qui le cacha avec dévouement. Il fit enlever son œil borgne et le remplaça par un œil de verre qui le rendait méconnaissable. Vers le mois d'août, sous un déguisement militaire, il put gagner une ville maritime et passer à l'étranger. Il n'eut, du reste, pendant la Commune, aucun fait grave à se reprocher.

[2] Voir Pièces justificatives, n° 6.