HISTOIRE DE L'HELLÉNISME

TOME DEUXIÈME. — HISTOIRE DES SUCCESSEURS D'ALEXANDRE (DIADOQUES)

LIVRE TROISIÈME. — CHAPITRE CINQUIÈME (302-304).

 

 

Armements de Démétrios contre Cassandre. - Coalition contre Antigone. - Forces de Séleucos. - Plan des alliés. - Lysimaque en Asie-Mineure. - Antigone en Asie-Mineure - Commencement des hostilités. -Quartiers d'hiver. - Ptolémée en Phénicie. - Démétrios contre la Macédoine. - Son expédition en Asie-Mineure. - Séleucos en Asie-Mineure. - Pyrrhos expulsé. - Marche de Plistarchos sur l'Asie-Mineure. - La bataille d'Ipsos. - Fuite de Démétrios. - Défection d'Athènes. - Partage de l'empire. - Princes indigènes en Asie-Mineure. - Coup d'œil rétrospectif.

Lorsqu'en 306, après la victoire navale de Salamine, Antigone prit le titre de roi, sa puissance était montée à un tel point, que les autres chefs de l'empire ne semblaient pouvoir se défendre contre elle d'aucune manière. S'il avait réussi à triompher du satrape d'Égypte, il aurait pu encore une fois réunir le grand empire d'Alexandre sous un même sceptre ; la malheureuse expédition de la fin de l'année 306 consolida la puissance du Lagide et assura le roi Séleucos en Orient contre toute attaque. La puissance d'Antigone sur terre avait reçu le coup le plus sensible ; aussi Démétrios et lui s'appliquèrent-ils avec des efforts d'autant plus énergiques à conquérir la domination des mers, pour renouveler l'attaque contre l'Égypte avec une plus grande certitude du succès. Tout dépendait de la soumission de Rhodes ; les progrès menaçants de Cassandre en Europe forcèrent Démétrios à conclure avec Rhodes une paix qui lui enlevait la meilleure partie de ses espérances. Les succès de Démétrios en Grèce avaient donné maintenant à toute la situation une tournure nouvelle, qui, on peut le dire, était pleine de promesses ; le côté difficile de la position d'Antigone avait été jusqu'ici de ne pouvoir aborder le plus puissant de ses adversaires, l'Égyptien, de ne pouvoir se tourner ni contre l'Orient ni contre le Nord sans l'avoir sui ses derrières et sans risquer de lui abandonner ses meilleures provinces, celles de Syrie : maintenant il pouvait, par Démétrios, attaquer du côté de la Grèce le moins puissant de ses adversaires, tandis que lui-même restait pour se défendre du côté de l'Orient et du Midi ; il pouvait, avec la flotte de son fils, barrer le chemin à tous les secours envoyés de l'Égypte en Europe ; il pouvait le laisser soumettre la Macédoine et la Thrace sans que Ptolémée ou Séleucos fussent en état de rien faire de sérieux pour l'empêcher, et, le jour où les potentats du Nord seraient écrasés, il aurait les mains libres pour attaquer l'Égypte par terre et par mer.

C'est avec cette idée que Démétrios entreprit la campagne de l'année 302. A la tète d'une armée de 1.500 cavaliers, 8.000 Macédoniens, 15.000 mercenaires, 25.000 hommes de troupes fédérales helléniques, de forces navales considérables auxquelles s'étaient joints des bandes armées à la légère et des pirates au nombre de près de 8.000[1], il voulut se jeter sur la Macédoine, pour écraser Cassandre, dont les forces étaient de beaucoup inférieures aux siennes.

Cassandre voyait venir cette guerre avec de grandes inquiétudes : sa puissance était déjà très affaiblie par la perte de tous les États helléniques et des garnisons qu'il y tenait ; excepté la Thessalie, il ne possédait rien au delà des anciennes limites de la Macédoine ; il était loin de pouvoir se fier aux Macédoniens eux-mêmes, et les Grecs étaient pour lui des ennemis d'autant plus redoutables, qu'ils se souvenaient des excès qu'il avait autrefois commis dans l'Hellade ; il ne pouvait se dissimuler qu'il lui était impossible de résister par ses seules forces à son ennemi, que les secours étrangers viendraient trop tard, bref, que sa situation était désespérée. Il envoya à Antigone des propositions de paix : Antigone répondit qu'il ne connaissait pas d'autre paix que la soumission de Cassandre[2]. Dans sa détresse, celui-ci eut recours à Lysimaque de Thrace ; en d'autres temps même, il avait pris l'habitude d'agir d'accord avec lui et il suivait volontiers les conseils de ce vieux soldat plein d'expérience[3] Le danger qui menaçait la Macédoine était pressant pour Lysimaque lui-même ; il le fit inviter à une entrevue ; ils délibérèrent sur ce qu'il y avait à faire et sur les moyens de faire face au danger. Puis ils envoyèrent en commun des ambassadeurs à Ptolémée et k Séleucos, pour les informer que Cassandre avait offert la paix au roi Antigone et n'en avait obtenu qu'une réponse des plus offensantes ; le dessein avoué d'Antigone était, comme avant, de s'arroger pour lui seul la puissance royale ; en ce moment, la guerre menaçait la Macédoine ; s'il ne venait des secours sans retard, la défaite de Cassandre ne serait que la préface d'une guerre semblable contre Ptolémée et Séleucos ; l'intérêt de tous exigeait que l'on barrât le chemin à l'orgueilleux roi ; il fallait s'unir pour combattre en même temps, toutes forces réunies, contre Antigone.

Si les deux rois se décidaient enfin, au dernier moment, pour ainsi dire, à renouveler contre Antigone l'ancienne alliance, ils avaient bien quelques raisons, étant donné leur attitude antérieure dans les luttes communes, de ne pas attendre un grand empressement de la part de Ptolémée et de Séleucos ; il est possible aussi qu'ils aient su d'avance quelles seraient les exigences du Lagide, et qu'ils n'aient pu se résoudre avant d'y être contraints par la plus impérieuse nécessité à lui accorder des concessions qui, dans le cas le plus favorable, celui ok la puissance prépondérante d'Antigone serait brisée, ne manqueraient pas de provoquer une autre exigence non moins menaçante. Leur démarche auprès de Ptolémée permet de conclure qu'il ne leur restait pas d'autre planche de salut. Ptolémée, de son côté, doit, étant donné les conjonctures, avoir accueilli volontiers leurs offres ; il avait bien jusqu'ici conservé, sans restriction, l'Égypte et Cyrène, mais il avait perdu son influence en Grèce, la possession de l'île de Cypre, et surtout celle de la Syrie et de la Phénicie, et il ne lui restait aucun espoir de reconquérir ces provinces tant qu'elles seraient au pouvoir d'Antigone : jusqu'ici il avait eu sinon à soutenir seul la lutte contre Antigone, du moins à en porter principalement le poids, et si, dans la position favorable où était son royaume, ses forces lui avaient suffi pour se maintenir, il ne faut pas oublier qu'il ne pouvait songer à vaincre complètement Antigone que si Lysimaque, Séleucos et Cassandre étaient prêts, comme ils l'étaient maintenant, à prendre part à la lutte commune. Il promit donc sa coopération[4]

Séleucos, de son côté, avait cessé depuis près de dix ans de prendre part directement aux querelles de l'Occident. Quoiqu'il n'eût pas été reconnu dans la paix de 311, il était resté cependant tranquille possesseur des contrées de la Haute-Asie, et, encore qu'Antigone semblât avoir souscrit à cette paix principalement en vue de rentrer en possession des opulentes régions de l'Orient, il n'en est pas moins vrai qu'après qu'il eut fait, en 310 vraisemblablement, une vaine tentative contre Séleucos, les luttes toujours renaissantes en Occident l'avaient occupé trop exclusivement pour qu'il pût songer sérieusement à une guerre contre Séleucos. Séleucos avait très utilement employé ce temps à consolider sa domination ; il était obéi des satrapes des pays supérieurs jusqu'à l'Oxus et l'Iaxarte[5], et en 306, il prit, lui aussi, le titre de roi, dont les Asiatiques avaient depuis longtemps l'habitude de le saluer. Nos renseignements sont muets sur la suite de son histoire ; il n'y a qu'un seul événement sur lequel on donne quelques détails, et encore cet épisode est-il, lui aussi, entouré d'une ombre épaisse.

La situation de l'Inde, telle qu'elle avait été réglée par Alexandre, ne se maintint que pendant les premières années qui suivirent sa mort : dès 318, le roi Porus dans le Pandjab était assassiné par Eudémos, et celui-ci était venu en Perse pour combattre en faveur de la maison royale ; après la victoire d'Antigone en 316, il tomba dans les mains du vainqueur et fut mis à mort, sans qu'un satrape fût envoyé dans l'Inde à sa place. C'est sans doute dans ce temps et en l'absence des forces macédoniennes que s'opérèrent les divers changements par lesquels l'Inde fut séparée pour toujours de l'empire.

Alexandre avait déjà entendu parler d'un grand royaume aux bords du Gange ; là régnait sur le pays des Prasiens, dans sa capitale Palibothra, le puissant roi Nanda, qui descendait par son père de la race divine de Krischna, mais qui était né d'une mère de la caste inférieure[6]. Lorsqu'il fut informé de l'approche d'Alexandre, il envoya au camp macédonien sur l'Hyphase, avec une ambassade, Tschandragypta, qui était son fils, d'après une de nos sources, un de ses capitaines, d'après l'autre : là le jeune homme vit le héros de l'Occident et sa puissante armée ; il comprit parfaitement que la volte-face d'Alexandre était le salut du pays des Prasiens : il eût été facile, disait-il plus tard, aux armées de l'Occident de faire la conquête de la région du Gange, grâce à la haine qu'excitait le roi par son incapacité et sa naissance impure[7] Après la mort de Nanda, il y eut entre compétiteurs au pouvoir une série de luttes au cours desquelles ce Tschandragypta ou Sandracottos, comme il est appelé par les Grecs, conquit enfin le royaume paternel avec des secours indiens et javaniques, c'est-à-dire macédoniens[8]. La mort de Porus dans le Pandjab et l'absence d'Eudémos lui donnèrent sans doute l'occasion d'étendre sa domination au-delà de l'Hésudros et jusqu'à l'Indus ; dans le temps où Séleucos fondait sa souveraineté à Babylone, il avait déjà eu raison des Macédoniens laissés dans les régions de l'Indus[9]. De nouvelles guerres de princes indiens contre Sandracottos semblent avoir déterminé Séleucos à faire une expédition dans l'Inde, avec espérance de regagner les pays conquis par Alexandre : d'après quelques indications, il se serait avancé jusqu'à Palibothra ; en tous cas, des relations hindoues parlent de Javaniens qui auraient combattu sous les murs de cette ville[10]. Néanmoins les détails de cette expédition restent complètement obscurs. Elle aboutit à une paix entre Séleucos et Sandracottos, dans laquelle le premier non seulement confirmait au roi indien la possession du Pandjab, mais lui cédait encore les provinces orientales de la Gédrosie et de l'Arachosie, ainsi que le pays des Paropamisades, qu'Oxyartès possédait encore en l'année 316[11] : il reçut de lui, en retour, 500 éléphants de guerre et conclut avec lui un pacte d'amitié cimenté par un mariage[12]. Aussi, dans la suite, les deux rois restèrent-ils en bonne intelligence : Sandracottos envoya souvent des présents à Babylone[13], et Mégasthène, qui vivait dans l'entourage du satrape Sibyrtios d'Arachosie, alla souvent à la cour du roi hindou, en qualité d'ambassadeur de Séleucos[14].

Quand Séleucos entreprit-il cette expédition ? Est-ce parce que les complications de l'Occident l'y forcèrent, qu'il conclut cette paix, dont les stipulations n'étaient rien moins que favorables ? Il faut nous résigner à l'ignorer. Lorsque lui parvint, en 302, le message de Cassandre et de Lysimaque, il ne pouvait hésiter un instant à comprendre qu'il devait leur prêter assistance de toutes manières et avec toute l'énergie possible ; la rapide expédition de Démétrios en 312 lui avait montré combien il était facile d'attaquer Babylone de la Syrie, et il pouvait prévoir que, dès que la Macédoine et la Thrace auraient succombé sous la puissance d'Antigone et de Démétrios, sinon le premier, du moins le dernier coup lui était réservé.

C'est ainsi que fut conclue entre les quatre rois une alliance dont l'unique but était de rendre définitive leur indépendance en ruinant la puissance qui voulait les dominer au nom de l'empire, de partager entre eux les territoires laissés à Antigone par la paix de 311[15], et d'achever définitivement la dissolution de l'empire unitaire d'Alexandre. Les coalisés convinrent de réunir leurs armées dans l'Asie-Mineure[16] et là, certains de leur supériorité numérique, de tenter le combat décisif ; ils supposaient que, si leur puissant adversaire se voyait ainsi menacé au cœur de ses États, Démétrios renoncerait à son attaque contre la Macédoine et accourrait en Asie-Mineure.

C'était une idée hardie mais bien calculée de Cassandre, qui devait craindre pourtant une attaque prochaine de Démétrios venant de la Grèce, que de confier néanmoins une partie de son armée sous Prépélaos à Lysimaque, afin que ce dernier pût occuper aussitôt l'Asie-Mineure avec des forces supérieures. Lui-même, avec le reste de son armée, forte de 29.000 hommes d'infanterie et 2.000 cavaliers, partit en toute hâte pour la Thessalie, afin de barrer les Thermopyles à l'ennemi[17]

C'est sans doute au commencement de l'été 302 que Lysimaque, partant de sa nouvelle ville de Lysimachia, franchit l'Hellespont avec une armée considérable : les villes de Lampsaque et de Parion se soumirent aussitôt avec joie ; elles furent déclarées libres ; Sigeion, où se trouvait un poste important des troupes ennemies, fut prise de force. De là, il envoya Prépélaos avec 5.000 fantassins et 1.000 cavaliers, pour soumettre l'Éolide et l'Ionie ; quant à lui, il se tourna contre la ville d'Abydos, qui domine l'Hellespont. Le siège était déjà très avancé lorsque la ville reçut d'Europe des secours envoyés par Démétrios, ce qui força Lysimaque à arrêter son attaque. Il se dirigea alors vers le sud-est ; suivant la route stratégique qui traverse l'Asie-Mineure par le milieu, il parcourut et soumit la Petite-Phrygie, marchant rapidement vers la Grande-Phrygie, qui avait été depuis trente ans presque sans interruption

 au pouvoir d'Antigone. Un des postes principaux de la partie septentrionale du pays, la ville de Synnada[18], était occupée par une garnison importante sous les ordres de Docimos, stratège d'Antigone : Lysimaque se hâta de l'investir pour en faire le siège ; il réussit à corrompre le général, et la ville lui fut livrée avec les trésors du roi et les approvisionnements d'armes qui y étaient accumulés. Aussitôt après tombèrent les châteaux-forts royaux des environs ; les montagnards de la Lycaonie se soulevèrent ; la plus grande partie de la haute Phrygie se déclara pour Lysimaque, et de la Lycie et de la Pamphylie lui vinrent des troupes auxiliaires. Non moins heureuse fut l'expédition de Prépélaos le long des côtes. Adramyttion, en face de l'île de Lesbos, fut prise en passant ; le but prochain de l'expédition était Éphèse, la ville la plus riche et la plus importante de la côte ionienne, dans l'enceinte de laquelle étaient internés les cent Rhodiens que Démétrios avait pris comme otages[19]. Là, comme partout, ce  qui fut extraordinairement favorable à l'agresseur, c'est qu'on n'était nullement préparé à une attaque aussi soudaine ; l'investissement de la ville détermina bientôt les assiégés à se rendre. Prépélaos renvoya les cent Rhodiens dans leur patrie ; il laissa aux Éphésiens ce qu'ils possédaient ; seulement, il donna ordre d'incendier les vaisseaux qui se trouvaient dans le port, ne voulant pas les laisser tomber, en un moment où l'issue de la guerre était si incertaine, entre les mains d'un ennemi dont la supériorité sur mer était déjà trop grande. Maitre des deux positions principales de l'Éolide et de l'Ionie, Prépélaos se hâta d'aller soumettre les régions intermédiaires. La plupart des places semblent s'être rendues sans résistance : pour Téos et Colophon, les auteurs le disent expressément ; lorsqu'il marcha contre Érythræ et Clazomène, il trouva que ces villes avaient reçu par mer des secours si considérables, qu'il dut se contenter de dévaster leurs banlieues. Il se dirigea ensuite vers l'intérieur du pays, contre la satrapie de Lydie ; là commandait le stratège Phœnix, le même qui avait été impliqué en 309, en sa qualité de gouverneur du pays d'Hellespont, dans la révolte du stratège Ptolémée : Antigone avait eu la trop grande bonté de lui pardonner ; il passa sans résistance du côté de Prépélaos[20] et livra Sardes, la capitale de la Lydie ; seule la citadelle, solidement fortifiée par Alexandre et commandée par le fidèle Philippe, refusa de se rendre ; elle fut le seul point de la Lydie qui restât au roi Antigone.

Tels sont les événements qui se passèrent en Asie-Mineure pendant l'été 302. Antigone était dans sa nouvelle capitale d'Antigonia sur l'Oronte, occupé de grandes solennités qui avaient réuni une quantité innombrable d'artistes dramatiques et de musiciens et une affluence de curieux venus de tous côtés, lorsque la nouvelle lui arriva que Lysimaque avait franchi l'Hellespont avec une armée considérable, composée de ses soldats et de ceux de Cassandre, et que Ptolémée et Séleucos s'étaient coalisés avec eux. Il parait que cette attaque fut une surprise pour lui : il avait cru certainement que la grande flotte de Démétrios en Occident et son attaque contre la Macédoine occuperait suffisamment ses adversaires en Europe ; ce à quoi il avait pu le moins s'attendre, c'est que le souverain de la Thrace, jusqu'alors si réservé, pût avoir la téméraire et folle pensée de l'attaquer dans ses propres États. La puissance de ses adversaires avait-elle donc 'fait de si grands progrès ? Sa puissance à lui, jusqu'alors redoutée de tous, était-elle tombée si bas ? La gloire de ses armes et la terreur de son nom n'étaient donc plus rien ? Et l'espérance de rétablir l'empire d'Alexandre et de voir au pied de son trône les usurpateurs du nom royal l'avait-elle donc déçu au point que déjà l'Asie-Mineure était perdue, que déjà la Phrygie, si dévouée depuis trente ans, avait pu devenir une proie facile pour l'ennemi ? Il avait repoussé les propositions de paix de Cassandre et exigé sa soumission ; il n'avait pas reconnu la royauté de Lysimaque, de Séleucos, de Ptolémée, quoique de nouvelles négociations eussent été nouées[21]. Il tenait énergiquement à l'idée de faire valoir l'unité du royaume à son bénéfice ; il aurait pu, avec un peu de condescendance, s'assurer la paix et la possession incontestée de la plus grande part de puissance et la transmettre en héritage à son fils, mais il aurait dû accepter l'humiliation de la retraite d'Égypte et de l'échec de l'attaque contre Rhodes : il sentit se réveiller sa vieille colère ; l'énergie de ses jeunes années sembla renaître en lui. Il fallait maintenant vaincre vite et complètement ; Lysimaque devait sentir le premier le poids écrasant de la puissance royale qu'il avait osé attaquer ; il fallait agir avec rapidité et une extrême énergie, afin que l'Asie-Mineure fût délivrée et l'ennemi anéanti avant que Séleucos n'eût le temps d'arriver avec son armée et Ptolémée de sortir de son royaume. Antigone, à la tête de toute son armée, se dirigea à marches forcées de la Syrie vers la Cilicie ; à Tarse, il paya la solde de trois mois avec les trésors de Cyinda ; il prit dans le même trésor 3.000 talents, afin d'avoir des ressources prêtes pour les frais ultérieurs de la guerre et des recrutements sans cesse renouvelés. Il franchit les défilés de la Cilicie et pénétra en Cappadoce : la Lycaonie fut vite rappelée à l'ordre, la Phrygie reconquise ; puis il courut vers les régions où devait se trouver Lysimaque.

Lorsque Lysimaque apprit que le roi était en marche et. qu'il s'approchait, il convoqua un conseil de guerre et lui demanda quelle conduite il fallait tenir en face d'un ennemi plus fort. L'avis unanime fut qu'il fallait attendre l'arrivée de Séleucos, qui était déjà en route, avant d'entreprendre quoi que ce soit ; qu'il fallait prendre une position couverte, s'y tenir dans un camp retranché et éviter tout engagement que l'ennemi ne manquerait pas d'offrir. On se hâta d'occuper une position favorable, à ce qu'il parait, dans la région de Synnada, et on s'y retrancha. C'est alors qu'Antigone arriva : quand il fut près du camp des ennemis, il fit prendre à son armée l'ordre de bataille, mais : ce fut en vain qu'il offrit à plusieurs reprises le combat ; les adversaires restèrent absolument tranquilles. Comme le terrain rendait toute attaque impossible, il ne resta au roi d'autre alternative que d'occuper les abords du côté de la plaine, et notamment les parties du pays d'où l'ennemi devait tirer sa subsistance. Le camp n'était pas approvisionné pour longtemps, et l'on craignit avec raison de ne pouvoir pas tenir contre un investissement formel ; Lysimaque profita de la nuit pour lever le camp en silence et ramena l'armée à dix milles en arrière, dans le pays de Dorylæon. Il y avait là de riches approvisionnements ; la contrée, fermée au nord par les premières assises de l'Olympe et arrosée par le cours rapide du Tymbris, était favorable à la défense ; l'armée campa derrière le fleuve et se retrancha, comme la première fois, derrière un triple rempart et un triple fossé.

Antigone la suivit : n'ayant pas réussi à rejoindre l'ennemi en marche, il rangea de nouveau son armée en bataille devant son camp ; comme la première fois, l'ennemi resta tranquille derrière ses retranchements. Il ne resta rien à faire à Antigone qu'à assiéger pour tout de bon le camp fortifié. On amena des machines, on éleva des retranchements, des jetées de terre ; l'ennemi, qui essaya de disperser les travailleurs avec des pierres et des flèches, fut sérieusement repoussé ; partout l'avantage était à Antigone ; déjà ses ouvrages atteignaient les fossés de l'ennemi ; déjà la disette commençait à se faire sentir dans son camp : Lysimaque ne crut pas qu'il fût prudent de garder plus longtemps cette position dangereuse, parce qu'il n'apprenait toujours rien de l'approche de Séleucos. Par une nuit d'automne, au milieu de la pluie et de la tempête, il fit partir son armée dans le plus grand silence, et la conduisit à travers les montagnes dans la direction du nord, vers la Bithynie, dans la riche plaine Salonique[22], pour y prendre ses quartiers d'hiver. Antigone, dès qu'il s'aperçut que l'ennemi avait abandonné son camp sur le Tymbris, était parti lui-même et avait traversé rapidement la plaine pour attaquer l'ennemi dans sa marche ; mais la pluie persistante avait tellement détrempé les couches épaisses du sol, que les hommes et les bêtes s'embourbaient : le roi se vit obligé d'arrêter sa marche. Lysimaque lui échappait pour la troisième fois ; l'automne était trop avancé pour qu'il pût s'engager dans de nouveaux mouvements, d'autant plus qu'en poursuivant Lysimaque plus loin, il aurait donné à l'armée macédonienne en Lydie la facilité d'opérer contre l'intérieur de l'Asie-Mineure : il faut ajouter à cela que Séleucos, parti du Tigre, s'approchait déjà, et que Ptolémée était déjà devant Sidon et l'assiégeait. Antigone dut prendre une position qui rendit impossible la jonction de Prépélaos, de Séleucos et de Lysimaque. Pour pouvoir opposer des forces suffisantes à celles des adversaires qui, s'ils parvenaient à se réunir, lui seraient bien supérieurs, il avait déjà envoyé l'ordre à Démétrios de venir en Asie avec toute son armée : de tous les côtés, lui écrivait-il, les ennemis viennent s'abattre comme les moineaux sur un champ de blé ; il est temps qu'on les disperse sérieusement à coups de pierres[23]. Antigone prit lui-même ses quartiers d'hiver dans les régions fertiles de la Phrygie septentrionale, au milieu des contrées que Prépélaos et Lysimaque occupaient déjà et où ils attendaient prochainement Séleucos.

Lysimaque avait aussi trouvé l'occasion de s'adjoindre un renfort considérable. En l'année 316, le dynaste d'Héraclée sur le Pont, Denys, s'était allié avec Antigone et avait marié sa fille avec Ptolémée, le neveu de ce dernier ; il avait été reconnu par Antigone comme roi d'Héraclée et resta, malgré la révolte de son gendre, dans les meilleures relations avec le puissant souverain : lorsque Denys mourut en 306, il transmit le royaume à son épouse Amastris, la nièce du dernier roi des Perses, qui avait été mariée à Suse avec Cratère ; elle était chargée, avec quelques tuteurs, de prendre soin de ses enfants, dont Antigone accepta de protéger l'héritage. Tant que la paix régna en Asie-Mineure, Antigone s'acquitta de cette tâche avec beaucoup de bienveillance et pour le plus grand bien de la ville. Mais les événements de la dernière année avaient tout changé ; le territoire d'Héraclée était entouré des quartiers d'hiver de Lysimaque, et le petit royaume aurait eu à craindre le sort le plus funeste s'il était resté inutilement fidèle à la cause d'Antigone. La veuve du roi, Amastris, accepta volontiers l'invitation que lui fit Lysimaque de lui rendre visite dans ses quartiers d'hiver ; l'honorable princesse gagna le cœur du roi, et bientôt on célébra leur mariage. Aussitôt Héraclée devint le port de l'armée de Lysimaque ; de riches approvisionnements lui arrivèrent par là, et l'importante flotte de la ville lui rendit des services de toute nature[24].

Pendant que ces événements se passaient en Asie-Mineure, Ptolémée, fidèle à ses engagements, avait quitté l'Égypte dans l'été de 302 avec une grande armée, avait envahi la Cœlé-Syrie, et, après avoir pris sans grande peine les villes de ce pays, était arrivé devant Sidon pour l'assiéger. Il reçut là, en automne, un message qui lui annonçait que Séleucos avait fait sa jonction avec Lysimaque, qu'une bataille avait été livrée, que l'armée des coalisés était anéantie, que les rois s'étaient réfugiés dans Héraclée avec le reste de leurs troupes, et qu'Antigone accourait avec sa nombreuse armée pour délivrer la Syrie. Dans ces conjonctures, le prudent Lagide ne crut pas devoir faire hiverner son armée en Syrie. S'il avait abandonné en réalité tout ce qu'il venait de conquérir et ramené en toute hâte son armée dans l'asile sûr de la patrie, on ne pourrait lui faire d'autre reproche que celui de s'être trop hâté de croire à la vérité d'une nouvelle dont la confirmation devait toujours venir assez tôt pour lui laisser le temps de battre en retraite avant l'arrivée d'Antigone ; mais il ne se contenta pas de conclure avec Sidon une trêve de quatre mois ; il laissa dans les places fortes dont il s'était emparé de fortes garnisons. On voit qu'il ne se faisait pas d'illusion sur l'état des choses en Asie-Mineure, mais qu'il voulait laisser aux alliés le rôle dangereux de vaincre le puissant Antigone, se bornant pour son compte à reprendre la Phénicie et la Cœlé-Syrie et à s'en assurer la possession[25].

En Europe, Démétrios était parti d'Athènes au commencement de l'été 302 ; c'est à Chalcis en Eubée que se réunirent ses troupes, celles de la confédération hellénique, les vaisseaux armés en course, les 8.000 pirates qu'il avait pris à sa solde, toute sa flotte, à l'exception d'une escadre qui fut laissée dans le Pirée. Comme les Thermopyles étaient déjà occupées par Cassandre avec une armée considérable, il dirigea sa flotte sur la côte septentrionale de l'île, embarqua là toute son armée, et la fit passer à Larissa Crémaste : la ville fut prise sans combat ; la citadelle ne résista pas à un assaut ; la garnison macédonienne fut emmenée chargée de chaînes, et la ville proclamée libre. De là, il suivit la côte vers le golfe de Pagase, afin de s'assurer de la route qui longe la plage et conduit dans l'intérieur de la Thessalie ; Antron et Ptéléon, les points principaux que l'on rencontre sur cette route, furent pris[26]. A la nouvelle du rapide et heureux débarquement de Démétrios, Cassandre avait aussitôt jeté des renforts dans Phères, puis s'était rendu lui-même en Thessalie avec son armée, en franchissant les défilés de l'Othrys, et avait établi son camp en face de l'armée de Démétrios. Sur un étroit espace de terrain des troupes considérables se menaçaient des deux parts : Cassandre avait 29.000 fantassins et 2.000 cavaliers ; les forces de Démétrios, quoique déjà des escadres assez importantes fussent parties pour Abydos et Clazomène, montaient encore à plus de 50.000 hommes. Plusieurs jours de suite, les deux armées s'avancèrent en ordre de bataille ; mais toutes deux évitèrent d'attaquer, soi-disant parce qu'elles attendaient d'Asie la nouvelle d'une bataille décisive[27]. Il est évident que Cassandre devait éviter une bataille qui, étant donné la grande supériorité de l'ennemi, ne pouvait avoir pour lui qu'une issue fatale ; mais pourquoi Démétrios ne chercha-t-il pas d'autant plus à engager la bataille ? Sans docte, il avait dans son armée 25.000 Grecs ; mais, encore que l'enthousiasme des États à son endroit ne fût pas précisément sincère, il faut croire pourtant que leurs contingents étaient en grande partie composés de mercenaires[28] qui se souciaient peu de savoir contre qui ils marchaient et avaient coutume de se battre en soldats ; le terrain ne devait pas être défavorable, nous en avons la preuve dans ces déploiements répétés. Si Démétrios avait reçu de son père l'ordre d'éviter maintenant une bataille, afin que la Grèce ne fût pas mise en question, cet ordre était le plus absurde du monde ; il est vrai qu'un ordre plus absurde encore devait suivre de près.

A peine Démétrios, appelé par les habitants de Phères, eut-il occupé la ville et forcé la garnison macédonienne de la citadelle à capituler, après un siège de courte durée, qu'il reçut de son père l'ordre de venir en Asie avec toute son armée aussi rapidement que possible. Cet ordre n'avait pu être dicté que par la crainte la plus inopportune. Si Démétrios, avec les forces imposantes dont il disposait, faisait son devoir, dans l'intervalle d'un mois et avant le commencement de l'année suivante, Cassandre était vaincu, la Macédoine occupée, la Thrace dans le plus grand danger ; Lysimaque, dans ce cas, aurait été forcé de revenir au plus vite pour protéger son propre pays, et, pendant qu'il aurait été obligé de lutter contre Démétrios, Antigone aurait pu marcher contre Séleucos avec une non moindre supériorité. Antigone, ne songeant qu'au danger le plus prochain, donnait toute liberté à ses adversaires de se réunir ; il abandonnait l'Europe pour rendre inévitable en Asie une lutte douteuse ; il perdait le temps le plus précieux, pour réunir toute son armée sur le point où tous les avantages de l'offensive étaient déjà du côté de ses ennemis[29].

Démétrios se hâta d'obéir aux ordres de son père ; il signa avec Cassandre un traité, dans lequel vraisemblablement il laissait à ce dernier la Macédoine et tout ce qu'il possédait en ce moment de la Thessalie, et où la liberté des États helléniques en Europe et en Asie était certainement garantie ; on ne nous dit pas si Cassandre dut s'obliger à ne prendre aucune part à la continuation de la guerre[30] ; enfin, ce traité ne devait être définitif qu'après l'approbation d'Antigone. Après cela, Démétrios s'embarqua avec toute son armée et se dirigea, vers la fin de l'année 302, à travers les îles vers Éphèse. Arrivé là, il s'embossa sous les murs et força la ville à rétablir l'état de choses antérieur[31] : la garnison laissée dans la citadelle par Prépélaos dut capituler ; ensuite Démétrios fit voile pour l'Hellespont, en partie pour éviter la marche trop pénible peut-être à travers la Lydie[32], mais surtout pour occuper les contrées de l'Hellespont et de la Propontide, pour barrer le chemin aux troupes venant d'Europe, pour couper les communications de Lysimaque avec son royaume et le menacer sur ses derrières. Abydos tenait encore ; Lampsaque, Parion et les autres villes furent occupées, puis il fit voile à travers la. Propontide vers l'entrée du Pont-Euxin ; il établit là un camp fortifié, sur la côte asiatique du Bosphore, près du sanctuaire chalcédonien de Zeus et du port principal de la navigation pontique ; il y laissa 3.000 hommes et 30 vaisseaux de guerre pour la surveillance de la mer. Ensuite il distribua le reste de son armée pour hiverner dans les villes d'alentour.

Dès le commencement de l'année disparut un des adversaires d'Antigone, qui avait été auparavant dévoué à sa cause. Mithradate, le même qui avait autrefois vécu à la cour d'Antigone[33] et qui s'était enfui récemment, sur l'avis de Démétrios qu'on en voulait à sa vie, avait eu en sa possession incontestée certaines villes, notamment Cios, Carine et la forteresse de Cimiata sur l'Olgassys[34] ; à l'arrivée des alliés, il avait incliné en leur faveur, et ce n'était pas un médiocre avantage pour Lysimaque et Prépélaos, qui opéraient dans le voisinage de sa dynastie, de l'avoir de leur côté, lui qui maintenant n'avait rien tant à craindre qu'une victoire d'Antigone. En passant aux adversaires d'Antigone, il signait son arrêt de mort ; il fut assassiné dans la quatre-vingt-quatrième année de sa vie. Nous n'apprenons pas que son fils Mithradate, qui hérita de sa dynastie, se soit mis du côté de Démétrios ; s'il ne le fit pas, il lui fut impossible de se maintenir dans ses possessions à l'ouest de la Mysie, car elles tombèrent entre les mains de Démétrios, qui occupait les contrées voisines ; quant à lui-même, il est possible qu'il se soit maintenu en Paphlagonie[35].

L'arrivée des forces considérables de Démétrios, un combat près de Lampsaque dans lequel il avait été vainqueur de Lysimaque et où il s'était emparé de la plus grande partie des bagages de l'ennemi[36], la position qu'il avait prise en arrière des quartiers d'hiver du roi de Thrace, la nouvelle de la retraite de Ptolémée hors de la Syrie et le retard de Séleucos, qui continuait de se faire attendre, semblent avoir causé de grandes inquiétudes dans le camp de Lysimaque. Ajoutez à cela que ce prince, bien qu'il eût, au su de tout le monde, amené d'immenses trésors, était en retard pour le paiement de la solde de ses troupes ; l'esprit des soldats était déprimé par les éternelles retraites et le peu d'espoir de succès militaires ; ils désertaient en masse du côté d'Antigone, qui, en payant par anticipation trois mois de solde, avait bien pu faire naître partout l'idée qu'il finirait par remporter la victoire : 800 Lyciens et Pamphyliens, 2.000 Autariates disparurent des quartiers d'hiver de la plaine Salonique ; ils trouvèrent auprès d'Antigone un accueil amical ; on leur paya l'arriéré de solde que leur devait Lysimaque, et ils reçurent en outre de riches présents[37]. C'est ainsi que, vers la fin de l'année, la situation d'Antigone semblait être tout à fait favorable.

Enfin vint la nouvelle que Séleucos était arrivé en Cappadoce avec son armée ; il avait 20.000 hommes d'infanterie et 12.000 cavaliers, en y comprenant les archers à cheval ; en outre, plus de 100 chars armés de faux, comme on avait l'habitude d'en avoir dans la Haute-Asie ; mais, ce qu'il y avait de plus important, il amenait avec lui 480 éléphants de guerre venant de l'Inde, c'est-à-dire plus de six fois plus qu'Antigone n'en pouvait mettre en campagne. Séleucos prit ses quartiers d'hiver en Cappadoce, d'abord parce que ses troupes étaient fatiguées par leur longue marche, ensuite parce que la saison était très avancée ; on campa dans des huttes solidement construites et très rapprochées les unes des autres, afin de pouvoir être facilement défendues contre une surprise[38].

En Europe, la cause des alliés avait aussi pris une tournure favorable. Bientôt après le départ de Démétrios, Cassandre s'était remis en possession de toute la Thessalie, avait réoccupé les Thermopyles et poussé, à ce qu'il semble, un nouveau poste avancé jusqu'à Thèbes. Pour le moment, il n'alla pas plus loin, car, d'un côté, il désirait envoyer en Asie toutes ses troupes disponibles, de l'autre, l'Épire appelait toute son attention. En ce moment là même, le jeune roi Pyrrhos, qui se croyait entièrement sûr de son peuple, était parti pour l'Illyrie afin d'assister aux noces d'un fils du prince Glaucias, chez lequel il avait été élevé ; en son absence, les Molosses se révoltèrent, chassèrent les partisans du roi, pillèrent son Trésor, et donnèrent la couronne à Néoptolème, le fils du roi Alexandre[39]. On peut admettre comme certain que Cassandre avait la main dans cette affaire[40] ; il avait autrefois placé sur le trône Alcétas, l'oncle de Pyrrhos, et, lorsque ce prince fut assassiné avec ses enfants, il avait fallu l'influence de Démétrios pour amener Pyrrhos au pouvoir. Par un jeu malin du hasard, le seul homme que Cassandre pût trouver en ce moment comme prétendant à opposer à Pyrrhos était le neveu de la reine Olympias, de celle qu'il avait persécutée jusqu'à la mort. Il suffisait à Cassandre que, par cette révolution, il ne gagnât pas seulement de l'influence en Épire et un poste important contre les Étoliens, mais qu'il fût débarrassé d'un voisin qui n'était pas peu dangereux pour ses frontières occidentales. Pyrrhos s'enfuit hors de l'Europe et se rendit au camp de Démétrios, sous les yeux duquel il prit part à la grande guerre[41].

Débarrassé de tout souci pressant, Cassandre se hâta d'envoyer des secours à ses alliés en Asie ; 12.000 hommes d'infanterie et 500 cavaliers quittèrent la Macédoine sous les ordres de son frère Plistarchos. Trouvant les régions de l'Hellespont et de la Propontide occupées par les troupes de Démétrios et ne pouvant se risquer à passer de force malgré la flotte de l'ennemi, ils se dirigèrent vers le nord, sur le port d'Odessos, afin de se faire transporter de là à Héraclée, qui était au pouvoir de Lysimaque. On ne trouva pas assez de navires ; Plistarchos partagea son armée, pour la faire passer en trois fois. Le premier convoi ne trouva pas d'obstacles, et quelques milliers d'hommes se joignirent à Héraclée aux troupes de Lysimaque. Cependant la nouvelle en avait pénétré dans le camp de Démétrios ; il envoya à son escadre, qui stationnait à l'entrée du Pont-Euxin, l'ordre de prendre la mer et de capturer les navires d'Odessos : cette opération réussit, et le second envoi de troupes fut pris. Ce n'est pas sans peine qu'on réunit les vaisseaux nécessaires à un troisième transport ; parmi eux se trouvait un vaisseau à six rangs de rames pour le général ; rien que sur ce navire, on embarqua 500 hommes. La navigation fut d'abord heureuse, mais il s'éleva une tempête si violente, que la flotte fut dispersée et les navires brisés contre des rochers ou engloutis par les flots révoltés ; le plus grand nombre des hommes périrent ; de tous ceux qui montaient le vaisseau à six rangs, il ne se sauva que 33 hommes : le général Plistarchos fut poussé par les vagues à demi-mort sur le rivage ; on le transporta à Héraclée, d'où il se rendit avec les naufragés survivants, tristes débris de son excellente armée, auprès de Lysimaque dans ses quartiers d'hiver[42].

C'est ici que s'arrête le dernier livre de l'histoire de Diodore qui soit arrivé complet jusqu'à nous, et avec lui se tarit la source où jusqu'ici encore nous avons pu puiser des renseignements suivis ; l'exposition des événements, difficile déjà en raison des complications de toute nature, le devient encore davantage à mesure que les données sont plus rares et présentent plus de lacunes.

Nous sommes privés de renseignements certains dès la première moitié de l'année 301 ; ils ne recommencent que lorsque les armées réunies au complet se font face sur le champ de bataille d'Ipsos. C'est dans cette même région qu'Antigone semble avoir eu ses quartiers d'hiver, et il n'est guère admissible qu'il ait fait des mouvements importants pour empêcher la jonction de Lysimaque et de Séleucos ; d'après ce qui se passa après la bataille, on peut conclure que Séleucos venant de Cappadoce et Lysimaque d'Héraclée se réunirent sur le fleuve Halys, pendant que Démétrios se dirigeait des régions de la Propontide vers son père ; nous ne savons si Prépélaos quitta la Lydie pour se joindre à ses alliés, ni par quels chemins, s'il le fit : quant à Ptolémée enfin, il resta tranquillement en Égypte et se contenta d'occuper les villes de la Cœlé-Syrie dont il s'était emparé auparavant.

On pouvait être dans l'été de 301 lorsque les armées ennemies se trouvèrent en présence dans la plaine d'Ipsos[43]. Antigone avait 70.000 hommes de pied, 10.000 cavaliers, 75 éléphants de guerre[44]. L'armée des alliés lui était supérieure par le nombre énorme d'éléphants qu'elle avait en plus ; si cette circonstance rendait en rase campagne sa victoire à peu près certaine, Antigone aurait dû dans tous les cas éviter une bataille, afin de fatiguer et affaiblir peu à peu l'ennemi par des manœuvres défensives et une résistance acharnée ; dès ce moment, les alliés n'étaient pas tellement unis entre eux qu'une habile tentative de discussion diplomatique dût rester sans résultats ; ils n'avaient pas l'assurance que donnent une confiance et une loyauté réciproques ; seule la crainte et la haine d'Antigone les unissait[45], et ils commençaient déjà à s'observer les uns les autres avec défiance et jalousie : Ptolémée notamment se tenait à l'écart dans cette crise ; il aurait pu être gagné peut-être par quelques concessions. Mais Antigone persistait à vouloir se mesurer avec l'ennemi en bataille rangée, et pourtant il n'avait plus la certitude du succès ; tout son être était métamorphosé ; lui autrefois si intrépide et si résolu en face de l'ennemi, on le voyait maintenant assis dans sa tente, silencieux et pensif, délibérant avec Démétrios, ce qu'il n'avait jamais fait, sur les résolutions à prendre ; il présenta même à ses troupes son fils comme son successeur à l'empire, au cas où la mort le frapperait lui-même. Il est permis de penser que Démétrios voyait venir la lutte avec plus de hardiesse et de confiance, et qu'il regardait la partie comme n'étant rien moins que perdue ; il ne devait pas être effrayé de la force redoutable des éléphants ennemis, car il savait par sa propre expérience qu'ils n'empêchent pas une défaite ; il avait de son côté une infanterie supérieure, une cavalerie suffisante : il devait se confier en sa chance si souvent éprouvée et en ses talents stratégiques.

Enfin arriva le jour de la bataille. Des présages malheureux ébranlèrent encore davantage, dit-on, le courage du père ; Démétrios lui raconta qu'il avait vu en songe le roi Alexandre, lequel s'était avancé vers lui revêtu d'une armure magnifique et lui avait demandé quel mot d'ordre il prendrait pour la bataille : il avait répondu : « Zeus et Victoire » ; là-dessus, Alexandre avait repris qu'en ce cas il voulait aller chez les ennemis, lesquels l'accueilleraient volontiers. De plus, au moment où l'armée était déjà rangée en bataille, le vieux roi, sortant de sa tente, tomba si violemment par terre qu'il eut le visage tout meurtri ; alors, se relevant avec peine, il tendit les mains vers le ciel en priant les dieux de lui accorder la victoire, ou une prompte mort avant qu'il fût vaincu.

Alors s'engagea la bataille ; d'un côté, l'aile de cavalerie était commandée par Démétrios, de l'autre par Antiochos, file de Séleucos. Démétrios se jeta sur l'ennemi avec une impétuosité terrible ; il réussit à repousser les cavaliers d'Antiochos, qui se dispersèrent en pleine déroute sur les derrières de leur ligne. Pendant que Démétrios courait après eux jusque-là et poursuivait son avantage, sans égard à ce qui se passait derrière lui, Séleucos fit avancer les éléphants, de sorte que Démétrios fut complètement coupé de la ligne de bataille des siens. Or, comme les phalanges d'Antigone n'étaient plus couvertes par la cavalerie, la cavalerie légère de Séleucos commença à les entourer, blessant les hommes à coups de flèches et les fatiguant par ses attaques sans cesse renouvelées ; bientôt leur ligne fut brisée. C'est alors qu'arriva ce que Séleucos avait voulu : quelques divisions de l'infanterie ennemie, débandées et épouvantées, mirent bas les armes ; les autres crurent que tout était perdu et tournèrent le ;dos pour s'enfuir. Seul, Antigone ne recula pas ; comme des bataillons ennemis marchaient sur lui, et qu'un de ceux qui l'entouraient lui dit : Roi, c'est à toi qu'ils en veulent ! il répondit : A qui donc en voudraient-ils ? Démétrios va venir et me tirer d'affaire. Mais c'est en vain qu'il cherchait son fils des yeux ; déjà une grêle de flèches et de pierres sifflait autour de lui ; il ne céda pas, cherchant toujours à voir son fils, jusqu'à ce qu'enfin il fut touché de plusieurs flèches ; son entourage s'enfuit, et il tomba par terre, frappé à mort : Thorax de Larissa resta seul auprès du cadavre[46].

D'après ce récit très défectueux de la bataille d'Ipsos, tel que nous le donne Plutarque, la défaite aurait été due à la faute commise par Démétrios ; d'après d'autres indications, il faudrait conclure qu'elle a été amenée par le nombre supérieur des éléphants ennemis, quoique ces animaux du côté. d'Antigone eussent combattu avec une extrême énergie[47]. Quoi qu'il en soit, l'armée d'Antigone était complètement détruite : de ses débris, Démétrios rallia 5.000 fantassins et 4.000 cavaliers, avec lesquels il s'enfuit sans s'arrêter jusqu'à Éphèse[48]. Le corps d'Antigone fut enseveli par les vainqueurs avec les honneurs royaux.

La bataille d'Ipsos résout définitivement la grande question qui domine l'époque des Diadoques. La puissance qui a voulu refaire à nouveau l'unité du royaume d'Alexandre est anéantie, et, par une trahison soudaine de la fortune, ce Démétrios, qui tout à l'heure encore était là comme l'héritier de la monarchie unifiée et le sûr garant de son glorieux avenir, fugitif désormais, n'a plus d'autres espérances que celles que lui donne son génie inépuisable et son caractère indompté dans le malheur. C'est l'originalité étrange de cet homme, que, orgueilleux, insouciant, débauché dans la prospérité, il ne déploie qu'à l'heure du danger et de la détresse toute la richesse de son génie ; alors, fier et hardi, il retrouve son audace, et, unissant le calme de la réflexion à une bouillante ardeur, il trouve moyen de se faire de sa chute un échelon pour s'élever à une grandeur nouvelle[49]. Sans doute il a perdu maintenant le royaume de son père ; ses adversaires l'écrasent de leur toute-puissance ; il n'a pas un ami parmi les autres potentats ; mais il possède encore sa flotte, qui domine les mers et à laquelle aucun des rois ne peut opposer une force égale ; Sidon, Tyr, Cypre, les îles de l'Archipel sont encore en sa puissance ; ses garnisons occupent le Péloponnèse, et surtout, il lui reste Athènes, où sont ses trésors, son épouse et une bonne partie de sa flotte[50]. Il a fait de si grandes choses pour les Athéniens, il a reçu des témoignages si enthousiastes de leur amour et de leur dévouement, qu'il ne doute pas qu'ils ne le reçoivent à bras ouverts et que, par leur joyeux accueil, ils ne lui fassent oublier la grandeur qu'il a perdue. Il prend la résolution de courir en Grèce, de faire d'Athènes le point de départ de nouvelles opérations qui lui rendront, il l'espère, la fortune aidant, une nouvelle puissance et de nouvelles possessions ; Athènes n'a-t-elle pas déjà été une fois le centre de l'empire des mers ? Pourquoi ne reprendrait-il pas la pensée de Périclès, pour la réaliser sur une échelle grandiose, embrasser et rapprocher dans un empire maritime tout ce qui est hellénique ? Qu'a-t-on gagné de sûr et de durable par ces immenses conquêtes continentales ? Seule, la mer réunit tout ce qui est hellénique : être maître de la mer, c'est grouper les membres de l'Hellade dispersés dans le pays des Celtes et dans l'Adriatique, dans la Sicile et dans le pays des Scythes, c'est dominer le monde.

Tel devait être le cours vagabond de ses pensées ; il comptait confier sa nouvelle fortune à l'élément auquel ressemblait sa propre nature. Sa fuite l'amena d'abord à Éphèse ; l'excellent port pouvait servir de station à sa flotte, et la ville, avec ses fortifications, d'ouvrage avancé pour faciliter des invasions dans les riches contrées de l'intérieur. Quoique dépourvu de ressources pécuniaires, il dédaigna, contre l'attente générale, de mettre à contribution les trésors du temple ; il laissa là une partie de ses troupes sous les ordres de Diodoros, l'un des trois frères qui, du vivant d'Alexandre, avaient assassiné le tyran Hégésias[51]. Avec le reste des troupes et la flotte, il se hâta de gagner la Carie[52] ; il donna aux pilotes des vaisseaux des ordres scellés, qu'ils ne devaient ouvrir que si une tempête les dispersait ; ces ordres leur disaient quelle direction ils devaient prendre et où ils devaient aborder[53] ; lui-même fit voile au plus vite vers la Cilicie, où se trouvait sa mère Stratonice, puis, avec tout ce qu'il put encore ramasser, il s'enfuit à Cypre, où vivait sa noble épouse Phila ; de là, il revint vers les Sporades pour se réunir à sa flotte. Il apprit là que Diodoros était en pourparlers avec Lysimaque, et qu'il avait promis de lui livrer Éphèse pour cinquante talents. Il revint aussitôt sur ses pas, fit aborder secrètement ses autres embarcations à la côte, et lui-même, avec le fidèle Nicanor[54], il entra dans le port sur un navire à deux rangs de rames. Pendant qu'il se tenait caché à fond de cale, Nicanor invita le traître à une entrevue, lui faisant dire qu'il voulait s'entretenir avec lui sur la conduite à tenir à l'égard de la garnison de la ville : dévouée à son roi, celle-ci ne se résignerait pas facilement à rester au repos quand elle verrait livrer la ville à l'ennemi ; il désirait le débarrasser de son importune présence. Diodoros arriva dans une chaloupe avec une petite escorte ; à peine fut-il près du vaisseau que Démétrios sortit de sa cachette, se précipita sur la chaloupe, et la fit chavirer, de sorte que Diodoros et ses compagnons se noyèrent dans les flots ; puis il entra dans la ville, prit les mesures nécessaires, et regagna aussitôt la pleine mer[55]. Il espérait être bientôt à Athènes, lorsqu'il rencontra un navire athénien qui lui amenait des ambassadeurs de l'État : le peuple, lui dirent-ils, avait résolu, vu la difficulté des temps, de ne recevoir dans la ville aucun des rois ; Démétrios était donc invité à ne pas y venir ; on avait déjà conduit, avec tous les honneurs, son épouse Déidamia à Mégare. Démétrios était hors de lui ; il eut peine à reprendre possession de lui-même : il répondit, avec toute la douceur possible, qu'il n'avait pas mérité cela d'Athènes ; que la ville n'agissait pas dans son propre intérêt ; qu'il n'avait pas besoin des Athéniens, et ne leur demandait qu'une chose, à savoir, de permettre à ses vaisseaux qui étaient encore dans le Pirée de partir librement et d'abandonner la ville à son sort. Les ambassadeurs y consentirent[56]. Mais l'ingratitude des Athéniens le révoltait ; il souffrait moins de la perte d'un empire que de se voir ainsi trompé dans sa foi en cette incomparable Athènes, dont il avait uniquement ambitionné l'approbation, au sein de laquelle il avait espéré trouver l'envie et la force de prendre un nouvel essor. Il avait oublié qu'il avait déjà vu le peuple réel d'Athènes bien éloigné de l'idéal qu'il s'en était fait, et, comme le sérieux de sa situation avait vite changé et ennobli ses sentiments, il oubliait comme lui-même l'avait abaissé et lui avait appris à s'abaisser ; c'est lui seul qui avait changé, non les Athéniens, dont la mobilité de sentiments l'affectait si douloureusement. La défection d'Athènes dérangeait profondément ses plans ; seule elle avait la situation, les ports, les ressources nécessaires pour appuyer ses projets grandioses ; tout manquait maintenant sous ses pieds ; ce n'est que maintenant ; qu'il avait pleine conscience d'être un vaincu, un fugitif.

Cependant les vainqueurs étaient occupés à prendre possession des pays qui n'avaient plus de maître[57] ; mais ils ne respectèrent pas absolument les articles du traité d'alliance. Il était hors de doute que Cassandre avait soutenu le premier choc, que Lysimaque avait supporté le poids le plus lourd de la lutte et que Séleucos avait amené la solution, tandis que Ptolémée s'était contenté d'une expédition facile, dont sur le théâtre de la guerre on n'avait pas ressenti le moindre effet. Il est vrai qu'il n'était entré dans l'alliance des rois qu'à la condition qu'il obtiendrait la Cœlé-Syrie et la Phénicie[58] ; mais les trois rois convinrent après la victoire de faire un nouveau partage[59], et ils y procédèrent sans donner avis à Ptolémée de leurs résolutions.

Ni Cypre, ni les villes phéniciennes n'avaient été enlevées par Ptolémée à l'adversaire ; il s'était contenté de placer des garnisons dans quelques villes fortes de la Cœlé-Syrie, Gaza, Samarie, etc. Le point le plus important des nouvelles conventions fut qu'on ajouta à la part de Séleucos, outre la Syrie supérieure, la Cœlé-Syrie et la Phénicie. Il partit de la Phrygie avec son armée, arriva sans doute en hiver dans la Phénicie, où les principales villes étaient encore au pouvoir de Démétrios, puis se dirigea plus loin, vers la Cœlé-Syrie méridionale, quoique-les places fortes de ce pays fussent occupées par des troupes égyptiennes. C'était le début d'une nouvelle série de complications.

Nos sources ne nous apprennent pas ce que le second traité de partage décida en faveur de Cassandre. Il est permis de supposer qu'on lui abandonna la Thessalie et la Grèce. Eut-il aussi l'Épire, dont le jeune roi Pyrrhos avait combattu aux côtés de Démétrios, c'est une question à examiner. On fit sans doute entrer en ligne de compte dans la part de Cassandre le fait que son frère Plistarchos obtenait la Cilicie, peut-être à titre de royaume, et les restes du trésor de Cyinda[60].

Nous ne savons pas exactement d'après quelle ligne de frontières Séleucos et Lysimaque se partagèrent les anciennes possessions d'Antigone. Appien dit : Séleucos obtint la souveraineté de la Syrie en deçà de l'Euphrate jusqu'à la mer, et celle de la Phrygie jusque vers le milieu du pays[61] ; mais, comme il avait toujours des vues sur les pays voisins et qu'il possédait, d'une part, la force pour les soumettre, d'autre part, le talent de les attirer à lui par la persuasion, il obtint aussi la souveraineté de la Mésopotamie, de l'Arménie et toutes les parties de la Cappadoce qui portent le nom de Séleucide[62] ; de plus celle des Perses, des Parthes, des Bactriens, des Arabes, des Tapuriens, de la Sogdiane, de l'Arachosie et de l'Hyrcanie, ainsi que de tous les peuples voisins qu'Alexandre avait soumis, jusqu'à l'Indus, de façon que les limites de son empire embrassèrent une plus grande partie de l'Asie que celle que personne posséda jamais, excepté Alexandre ; car, depuis la Phrygie jusqu'à l'Indus, tout était soumis à Séleucos. La plupart de ces conquêtes avaient été faites auparavant déjà par Séleucos ; pour voir quelles acquisitions nouvelles il fit, et de quelle manière s'organisa notamment la possession de l'Asie-Mineure, il faut parler de quelques territoires dont il n'a été fait mention jusqu'ici qu'en passant.

L'Arménie était en 316 sous le commandement de ce même Orontès qui était à la tète des Arméniens à la bataille de Gaugamèle ; c'est peut-être le même que Diodore désigne comme roi d'Arménie sous le nom d'Ardoatès[63] ; c'était sans doute un de ces hommes que Séleucos sut mettre dans un état de dépendance bien éloigné, il faut le dire, d'une soumission complète.

La Cappadoce a dû dépendre de Séleucos à peu près de la même manière. Après la victoire d'Eumène et de Perdiccas sur Ariarathe et. l'exécution de ce dernier, son fils Ariarathe s'était enfui en Arménie avec un petit nombre de compagnons ; là il se tint tranquille jusqu'à ce que les deux généraux fussent morts et que la guerre eût éclaté entre Antigone et Séleucos ; appuyé par le roi arménien Ardoatès, il retourna dans le pays de ses pères, tua le stratège Amyntas et chassa du pays sans grande peine les postes macédoniens[64]. Il n'est pas douteux qu'Amyntas ne fût le stratège d'Antigone, qu'Ariarathe n'agît sinon à l'instigation de Séleucos, du moins dans son intérêt, et que Séleucos et Lysimaque ne dussent désirer maintenant le voir lui-même assuré de la possession du pays. Jusqu'où s'étendait ce territoire ? Nous l'ignorons. La Cataonie fut réunie par lui, ou alors ou plus tard, je ne sais, à la Cappadoce, à laquelle elle appartenait par la langue et la population[65]. Le pays des Syriens Blancs, ou Cappadoce sur le Pont-Euxin, était probablement encore habité dans ses parties les plus orientales par des peuples indépendants qui exerçaient le brigandage, et la dynastie d'Ariarathe devait être limitée au pays situé entre le Paryadre, le Taurus et l'Euphrate.

Une troisième dynastie fut celle de Mithradate, qui, restaurée depuis peu, comprenait déjà les pays situés sur le :Pont des deux côtés de l'Halys. Le vieux Mithradate avait été assassiné, comme nous l'avons vu, après une vie très agitée et dans un âge extrêmement avancé ; il s'était déclaré pour Lysimaque, lorsque celui-ci s'avança dans l'Asie : on confirma maintenant à son fils la souveraineté de son père, sans y comprendre probablement les villes de l'ouest.

Il est certain qu'il a dû y avoir des considérations politiques pour déterminer les deux rois qui se partagèrent l'empire d'Antigone à créer ou à conserver une série de pays, sous des souverains propres, entre leurs deux empires respectifs ; la Cilicie, la Cappadoce, l'Arménie, le Pont, formaient une sorte de zone neutre, qui semblait propre à prévenir des frottements immédiats entre les deux grandes puissances : il faut dire que cette illusion ne dura pas longtemps. La Cappadoce et l'Arménie étaient évidemment sous l'influence de Séleucos, tandis que Lysimaque devait également chercher à faire sentir son ingérence à la cour de Mithradate ; Plistarchos, de son côté, ne pouvait manquer, en se serrant contre Lysimaque, d'assurer son indépendance contre son trop puissant voisin de l'est[66].

Il n'est pas possible de déterminer d'une manière certaine si les deux empires de Séleucos et de Lysimaque se touchaient immédiatement sur quelque point, en Phrygie, par exemple. Sans doute, Appien nous dit que Séleucos obtint la Syrie jusqu'à la mer, et la Phrygie jusqu'au milieu du pays, c'est-à-dire jusqu'au lac de Tatta probablement ; mais, le même auteur désignant ensuite l'Arménie et la Cappadoce comme des possessions de Séleucos, on pourrait supposer que l'on adjoignit aussi à la Cappadoce le sud-est de la Phrygie : certains mouvements, du reste, que fit Démétrios plus tard semblent confirmer cette hypothèse[67]. En conséquence, Lysimaque obtint tout le reste de l'Asie-Mineure, notamment les côtes méridionales en-deçà du Taurus, les belles provinces de l'ouest, la Phrygie sur l'Hellespont, la majeure partie de la Grande-Phrygie, la domination douteuse sur les peuples montagnards de race pisidienne ; une partie notable de la Bithynie lui était favorable à cause de sa situation à Héraclée, et l'empire de la Paphlagonie et des pays du Pont-Euxin devait être sous son influence. Mais, sous son gouvernement, l'Asie-Mineure subit une révolution plus considérable que toutes les autres. Les villes grecques, dont la liberté avait été rétablie solennellement par Alexandre après sa victoire du Granique et qui avaient conservé leur indépendance politique sous l'administration de Perdiccas, d'Antipater et d'Antigone, quoique l'une ou l'autre d'entre elles eussent dû parfois subir une garnison macédonienne, ces villes, dis-je, devinrent sous Lysimaque des feudataires[68] comme l'étaient déjà tant de villes grecques de la Thrace. Parmi les îles, Lesbos, tout au moins, a partagé le sort des villes du continent.

Le développement de l'empire d'Alexandre, ou plutôt sa désassimilation et son démembrement, a fait, le jour de la bataille d'Ipsos et par suite de ses résultats, le pas décisif. La lutte des satrapes contre la royauté, commencée au jour de la mort du grand conquérant, a parcouru toutes les phases qui devaient amener pour toujours l'abandon de l'idée d'un empire macédono-asiatique ; ces satrapes ont tour à tour vaincu Perdiccas, le puissant administrateur de l'empire, terrassé Polysperchon, qui devait, appuyé sur la Macédoine, protéger le droit de la maison royale, détruit le noyau de l'armée de l'empire commandée pat Eumène, assassiné la postérité de Philippe et d'Alexandre, anéanti enfin le puissant Antigone, qui, devenu roi par la force de l'épée et l'hommage de ses Macédoniens, avait cherché à rétablir l'unité de la monarchie d'Alexandre. Il ne reste plus de forme sous laquelle l'idée de cette unité puisse être reprise : elle est perdue toute entière ; son glorieux souvenir a lui-même disparu. C'en est fait de l'empire : les organismes territoriaux ont pris sa place.

Indépendants dans leur souveraineté, tantôt ennemis, tantôt unis par des intérêts communs, subsistent les quatre royaumes de Séleucos, Cassandre, Ptolémée et Lysimaque ; la politique et ses négociations n'ont plus pour objet l'empire d'Alexandre ou les arrangements pris en commun tout de suite après sa mort ; les traités conclus par les quatre rois peu de temps avant la bataille d'Ipsos seront à l'avenir les bases du droit public et des rapports internationaux des empires hellénistiques. Le droit nouveau des rois n'est plus constitué par leur origine macédonienne, ni par leurs rapports d'autrefois avec l'empire d'Alexandre ; ils se sont taillé des royaumes dans cet empire et sont devenus des rois indigènes dans les pays qu'ils avaient jadis conquis avec Alexandre.

Mais déjà ces nouvelles formations n'embrassent plus tous les territoires sur lesquels Alexandre a régné. Seule l'unité de l'empire avait le poids et le droit nécessaires pour dominer le monde grec par sa puissante impulsion ; à mesure que l'empire se morcèle, le monde grec s'isole pour suivre ses vieilles tendances particularistes ; seulement ces tendances n'ont plus ou ne retrouvent plus la force et les armes nécessaires pour faire valoir leur indépendance politique ; semblables à des navires désemparés, à des épaves, elles sont ballottées par les courants et les contre-courants de la grande politique et vont se briser de plus en plus contre les rochers.

Un fait non moins caractéristique, c'est que des formations qui rappellent le temps des Perses se reconstituent sur plusieurs points. Les trois dynastes d'Arménie, de Cappadoce et du Pont se vantent d'être issus ou bien de la race des rois de Perse, ou bien de l'un des sept Perses qui brisèrent la puissance des Mages ; ils sont désormais reconnus comme rois dans leurs domaines, et la bataille d'Ipsos a fondé à nouveau ces antiques dynasties orientales ; c'est le premier pas vers une nouvelle série d'évolutions, la première concession que l'élément conquérant étranger fait à l'Orient déjà touché par l'hellénisme, le premier sacrifice fait par la puissance macédonienne pour réconcilier l'Asie et arrêter une réaction vengeresse.

Si nous jetons un regard en avant sur des temps encore bien éloignés, nous voyons que ce sont les antiques dynasties asiatiques touchées par l'hellénisme qui, trois siècles 'plus tard, dominent presque toute l'Asie, aussi loin qu'Alexandre l'a subjuguée, jusqu'à ce que Rome, par ses conquêtes, les rende dépendantes d'elle ou les combatte en vain, selon qu'elles sont plus ou moins acquises à l'hellénisme ; et cette même série de tiraillements en sens contraire se renouvelle avec une force croissante par l'empire byzantin et le mahométisme, par les croisades et la puissance des Mongols et des Turcs, enfin par les étonnantes formations des temps les plus récents, dans lesquelles nos petits-enfants reconnaîtront peut-être un jour une marche analogue.

 

 

 



[1] DIODORE, XX, 110.

[2] DIODORE, XX, 106.

[3] Probablement Lysimaque était déjà marié avec Nicæa, la sœur de Cassandre, celle qui avait été fiancée à Perdiccas en 322 ; comme elle était nubile à l'époque, ce n'est sans doute pas vingt-cinq ans plus tard qu'elle a pu, devenue la femme de Lysimaque, lui donner plusieurs enfants. A cette raison s'en ajoute une autre : c'est que Lysimaque changea le nom de la ville d'Antigonia en Bithynie pour lui substituer celui de Nicée (STRABON, XII, p. 565. STEPH. BYZ., s. v.), un nom qui n'a pas été, comme l'imagine Nonnos, donné à la ville par Bacchos en l'honneur de l'altière nymphe Nicæa.

[4] DIODORE, loc. cit. JUSTIN., XV, 2.

[5] APPIAN, Syr., 55. Auctis ex victoria viribus Buctrianos expugnavit (JUSTIN., XV, 4).

[6] Fuit hic humili quidem genere natus, sed ad regni potestatem majestate numinis impulsus ; quippe cum procacitate sua Nandrum [excellente correction de GUTSCHMIDT (Rhein. Mus., XII, p. 261) pour Alexandrum] regem offendisset, interfici a rege jussus salutem pedum celeritate quæsierat (JUSTIN., XV, 4, 15.)

[7] PLUTARQUE, Alexandre, 62.

[8] On trouve maintenant dans LASSEN (Ind. Alterth., II2, p, 208 sqq.) l'exposé détaillé des diverses traditions.

[9] Adquisito regno Sandrocottus ea tempestate, qua Seleucus futuræ magnitudinis fundamenta jaciebat, Indiam possidebat ; et quelques lignes plus haut : quæ (India) post mortem Alexandri, veluti cervicibus jugo servitutis excusso, præfectos ejus occiderat ; auctor libertatis Sandrocottus fuerat, sed titulum libertatis post victoriam in servitutem verterat (JUSTIN., XV, 4, 20 et 12).

[10] LASSEN, De pentap., p. 61. C'est là, il est vrai, un renseignement tiré du drame de Moudra Rakschasa (ap. MAURICE, p. 22), qui, suivant LASSEN (Ind. Alterth., II2, p. 211), n'a été composé que vers l'an 1000 après J.-C. On verra dans le troisième volume de cet ouvrage (p. 76) pourquoi, en dépit des objections de BENFEY, approuvées par LASSEN (ibid., p. 217), je persiste à croire que Séleucos a pénétré jusqu'au bassin du Gange. Cf. PLINE, Hist. Nat., VI, 17.

[11] STRABON, XV, p. 724.

[12] APPIAN., Syr., 55. — STRABON, loc. cit.

[13] ARRIAN., Ind., 4. PLINE, loc. cit.

[14] ATHEN., I, 18. ARRIAN., V, 6, 2.

[15] Le partage était convenu à l'avance et même réglé dans le détail par le traité entre les quatre rois ; on le voit par Polybe (V, 67, 7) qui fait dire à Antiochos III négociant avec les Égyptiens, que : si Ptolémée avait pris part à la guerre contre Antigone, c'était pour établir sur ce pays non sa propre domination, mais celle de Séleucos, ce que les Égyptiens contestent ensuite dans une certaine mesure.

[16] Tempus, locum cœundi condicunt, bellumque communibus viribus instruunt (JUSTIN., XV, 2).

[17] DIODORE, XX, 110.

[18] L. MÜLLER (Numism. p. 88) a essayé d'attribuer à Lysimaque des monnaies de Synnada, Sala, Philomélion.

[19] WOOD (Discoveries at Ephesus, 1877. Append. p. 29) publie un décret provenant du temple d'Artémis, décret en l'honneur de l'Acarnanien Euphronios, qui s'était déjà employé pour le peuple des Éphésiens en d'autres circonstances. Ce document parait plutôt dater de ce moment-ci, où évidemment Prépélaos était tout-puissant à Éphèse, que de l'expédition de 314.

[20] Diodore (XX, 107) nomme ici pour la seconde fois Docimos. C'est certainement une faute. Il est bon de remarquer que l'un et l'autre ont, à une époque antérieure, porté les armes contre Antigone.

[21] Ceci paraît résulter d'un passage de Plutarque (Démétrios, 28) : Antigone, s'il avait su faire quelques petites concessions de détail et réfréner son ambition démesurée, aurait sauvé le tout et laissé la primauté à son fils. Mais, arrogant et présomptueux par nature, brutal en paroles non moins qu'en actions, il aigrit et excita contre lui une foule d'hommes jeunes et puissants.

[22] Diodore (XX, 109) écrit : έν τώ καλουμέν Σαλωνίας πεδίω, ce que WESSELING a déjà corrigé avec raison en Σαλωνείας. D'après Strabon (XII, p. 565), c'était la partie du plateau intérieur de la Bithynie qui domine au sud la ville de Teion et qui se distingue par ses magnifiques pâturages.

[23] PLUTARQUE, Démétrios, 28. DIODORE, XX, 109.

[24] DIODORE, XX, 109. MEMNON ap. PHOT., p 211 b.

[25] DIODORE, XX, 113.

[26] Diodore (XX, 110) écrit : Πρώνας ; mais on peut bien accepter la correction de WESSELING, Άντρωνα. Tout de suite après, Diodore dit : Cassandre avait enjoint à Dion et à Orchomène d'émigrer à Thèbes, mais Démétrios les en empêcha. On ne trouve pas de villes de ce nom dans la partie de la Thessalie où opérait Démétrios. Peut-être faut-il remplacer Δΐον par Άλον : dans Orchomène, il doit y avoir une déformation considérable ; même Όρμένιον ne va pas tout à fait bien. Faute de mieux, on est bien forcé de songer à Orchomène de Béotie et à Dion, à la pointe N.-E. de l'Eubée, mais on ne voit guère comment le fait se raccorde à l'ensemble des événements.

[27] DIODORE, loc. cit.

[28] Il y avait aussi des citoyens d'Athènes dans cette armée ; on le voit par un décret (C. I. ATTIC., II, n° 314) rendu en l'honneur de Philippide, où l'on citait avec éloge les efforts de ce personnage auprès du roi Lysimaque. Seulement, cela ne veut pas dire que ces citoyens d'Athènes eussent été levés comme tels ; même enrôlés à prix d'argent, ils n'en restaient pas moins citoyens athéniens.

[29] D'après Diodore (XX, 109), Antigone fit prévenir son fils dès qu'il fut informé de l'approche de Séleucos. Ceci ne peut pas avoir eu lieu plus tard que le mois de septembre, car il fallut au moins trois mois à Démétrios pour exécuter ce qu'il fit avant de prendre ses quartiers d'hiver sur le Pont.

[30] Il parait bien cependant en être question dans un passage où Diodore (XX, 111) fait de Prépélaos un général de Lysimaque.

[31] Éphèse, qui était en démocratie sous Antigone, doit avoir, une fois prise par Prépélaos, subi les mêmes modifications constitutionnelles qu'Athènes, lorsque Cassandre y fut le maître.

[32] Il est à peu près certain que la satrapie de Lydie était occupée par les troupes de Prépélaos, bien qu'il n'y ait pas là-dessus de témoignages exprès. Comme Prépélaos agissait en qualité de général de Lysimaque, il ne pouvait être compris dans le traité conclu entre Démétrios et Cassandre.

[33] Diodore (XX, 111) dit simplement : ύπήκοος ών Άντιγόνω.

[34] DIODORE, XX, 111. Je croyais autrefois, avec CLINTON (Fast. Hellen., III, p. 423), que ce Mithradate II était celui qui est qualifié de fondateur, et que sa fuite, lorsqu'il s'échappa de la cour d'Antigone (PLUTARQUE, Démétrios, 4), datait de l'an 322. En y regardant de plus près, il me semble que les faits doivent être compris autrement. Diodore, par exemple, au passage indiqué, rapporte comme quoi Mithradate (III), fils de Mithradate, augmenta considérablement ses domaines : son témoignage, rapproché du texte, correspondant d'Appien (Mithr., 9) montre que Mithradate III est bien le κτίστης. Plutarque, qui raconte également dans les Apophtegmes (s. y. Άντίγονος) la fuite de Mithradate, représente Démétrios avertissant le prince d'une façon qui parait convenir mieux à l'an 302 qu'à l'an 322.

[35] STRABON, XII, p. 562.

[36] A la suite de cette rencontre, Lysimaque fit massacrer 5.000 Autariates, de peur que les Barbares, dépouillés de leur avoir, n'allassent grossir les rangs de l'ennemi (POLYÆN., IV, 12, 1).

[37] DIODORE, XX, 113. C'est à ces événements et incidents militaires que parait se rapporter le décret honorifique publié par WOOD (Discoveries at Ephesus, 1877. Append. p. 14).

[38] DIODORE, loc. cit. Par quel chemin arriva Séleucos ? Pas par la route ordinaire, à coup sûr, car il aurait été obligé alors d'hiverner en Cilicie, sans compter qu'il ne lui aurait pas été facile probablement de traverser ainsi les provinces qui formaient le cœur du royaume ennemi. Son apparition en Cappadoce fait supposer qu'il passa par Édesse, Samosate, Comana.

[39] PLUTARQUE, Pyrrhos, 4.

[40] Pausanias (I, II, 5) va jusqu'à dire que Cassandre en personne a combattu Pyrrhos et l'a expulsé du pays.

[41] PLUTARQUE, Pyrrhos, 4.

[42] DIODORE, XX, 112.

[43] Il n'existe pas d'indication plus précise sur la date de la bataille. Diodore (XX, 113), qui, suivant sa manière de compter, termine l'année julienne 302 avec Ol. CXIX, 3, dit que les rois étaient décidés à terminer la guerre par les armes en attendant l'été prochain. On ne sait même pas au juste où était Ipsos ; ce qui est clair, c'est que cette petite ville n'était pas éloignée de Synnada (MANNERT, VI, 2, p. 108). RENNEL (II, p. 146) mentionne une localité du nom de Sakbi ou Seleukter, à 25 milles anglais au sud de Synnada, juste à l'endroit où la grande route se bifurque, allant sur Byzance et sur Éphèse. Il pense que Séleucos a bien pu fonder à une ville en souvenir de sa victoire : ceci, naturellement, bien des années plus tard.

[44] PLUTARQUE, Démétrios, 28. Le nombre des cavaliers et éléphants se trouve être, dans l'armée réunie, inférieur à ce qu'il était à l'arrivée de Séleucos : il est à croire qu'on en avait déjà éprouvé bien des pertes par suite d'occupations ou de combats.

[45] DIODORE, XXI, 1, 2 (Exc Vatic. 42).

[46] PLUTARQUE, Démétrios, 29. Antigone périt dans la 81e année de son âge (HIERONYM. ap. LUCIAN., Macrob., 11). Cf. APPIAN., Syr., 55.

[47] DIODORE, XXI, 2 (Exc. Vatic., 42).

[48] PLUTARQUE, Démétrios, 30.

[49] D'après Plutarque (De unius in rep. dom., 4), Démétrios, après la bataille d'Ipsos, cita un vers d'Eschyle.

[50] PLUTARQUE, Démétrios, 30.

[51] POLYÆN., VI, 49.

[52] POLYÆN., IV, 7, 4. On ne dit pas s'il avait l'intention d'y occuper encore une place forte, Halicarnasse, par exemple.

[53] POLYÆN., IV, 7, 2.

[54] POLYÆN., IV, 7. 4. Naturellement, ce Nicanor n'est pas celui qui était en 312 satrape des provinces supérieures. Ce dernier avait été alors vaincu et tué par Séleucos (APPIAN., Syr., 55). Je n'ai pas rapporté plus haut ce renseignement, parce que Diodore ne parle en termes exprès que de la fuite de Nicanor. C'est, du reste, un fait avéré (Cf. APPIAN., Syr., 57. SUIDAS, s. v. Σέλευκος) que Séleucos ne s'est pas appelé Nicanor, du nom du vaincu, mais Nicator efficaciæ impetrabilis rex, ut indicat cognomentum cui victoriæ crebritas hoc indiderat cognomentum (AMM. MARC., XIV, 8. XXIII, 6).

[55] POLYÆN, IV, 7, 4.

[56] PLUTARQUE, Démétrios, 30.

[57] PLUTARQUE, Démétrios, 30.

[58] C'est là le traité qu'invoquent contre Antiochos le Grand les envoyés de Ptolémée Philopator (POLYBE, V, 87). Pausanias (I, 6, 8) se contente d'une mention superficielle.

[59] Ce traité fut invoqué en 169 contre Ptolémée Philométor par Antiochos Épiphane (POLYBE, XXVIII, 17).

[60] Il n'est plus question désormais de Polysperchon : on ne sait où le vieux capitaine a trouvé la mort.

[61] APPIAN., Syr., 55.

[62] MANNERT (Nachfolger Alexanders, p. 265) croit que cette Cappadoce Séleucide est celle qui porte ordinairement le nom de Cataonie. Il n'en donne pas de preuve, et je trouve nulle part de témoignage précis là-dessus : peut-être, d'après Pline (V, 30), est-ce le pays de Merasch et Malatie.

[63] DIODORE, XXXI, 19, 8 (Ecl. III, p. 518).

[64] DIODORE, ibid.

[65] STRABON, XII, p. 534.

[66] Ces indications, à dire vrai, sont fort douteuses, et il n'y a pas de témoignage exprès des anciens à l'appui : mais certains faits viendront confirmer plus tard la justesse de ces vues. Je n'ai pas fait mention du dynaste bithynien — ou, plus exactement, thynien — Zipœtès, parce qu'à ce moment, il était encore trop insignifiant et que son petit pays était complètement englobé dans le royaume de Lysimaque.

[67] Séleucos fut plus tard en mesure de disposer de la Cataonie (PLUTARQUE, Démétrios, 47).

[68] Ceci est démontré par les monnaies à l'effigie de Lysimaque, dont les marques permettent de reconnaître les villes d'Asie où elles ont été frappées. MÜLLER (Münzen des Lysimachos, 1858) énumère les villes suivantes : Héraclée du Pont, Chalcédoine, Cyzique, Lampsaque, Abydos, Sigeion, Mitylène, Atarnée (?), Pergame, Smyrne, Érythræ, Éphèse, Héraclée du Latmos (?), Magnésie du Méandre, Chrysaoris, Sardes, Synnada, Philomélion. Les monnaies frappées à Rhodes à l'effigie de Lysimaque appartiennent, par leurs formes étalées, à l'époque qui suit la mort de Lysimaque.