HISTOIRE DE L'HELLÉNISME

TOME PREMIER — HISTOIRE D'ALEXANDRE LE GRAND

LIVRE TROISIÈME. — CHAPITRE DEUXIÈME.

 

 

Marche d'Alexandre sur la Bactriane. — Poursuite de Bessos ; il est livré. — Expédition contre les Scythes, sur l'Iaxarte. — Soulèvement en Sogdiane. — Répression de la révolte. — Quartiers d'hiver à Zariaspa. — Seconde révolte des Sogdianiens. — Répression. — Séjour à Maracanda. — Meurtre de Clitos. — Incursions des Scythes contre Zariaspa. — Quartiers d'hiver à Nautaca. — Les forteresses des hyparques. — Mariage d'Alexandre avec Roxane. — Conjuration des jeunes nobles.— Châtiment de Callisthène.

La prochaine campagne avait pour objectif la région de l'Oxus. C'était là que Bessos avait ceint la tiare de Grand-Roi et pris le nom d'Artaxerxès ; il avait fait à la hâte des préparatifs pour s'opposer aux progrès de l'invasion des Macédoniens. En dehors des troupes qui étaient autour de lui lors du meurtre du Grand-Roi, il avait réuni sous ses ordres environ 7.000 cavaliers de la Bactriane et de la Sogdiane ; de plus, quelques milliers de Dahes s'étaient joints à lui. Près de sa personne se trouvaient la plupart des grands du pays, Datapherne et Oxyartès de Bactriane, Spitamène de Sogdiane, Catanès de Parætacène ; Satibarzane, après avoir échoué dans le soulèvement qu'il avait provoqué sur les derrières d'Alexandre, s'était également enfui en Bactriane. Cette entreprise de Satibarzane, qui s'était tournée en désastre, semblait devoir procurer à Bessos ce grand avantage qu'Alexandre, une fois écarté de la grande route de la Bactriane, redouterait vraisemblablement les périlleux défilés du Caucase, abandonnerait complètement l'expédition contre la Bactriane, ou du moins laisserait le temps de faire de nouveaux et de plus grands préparatifs, et peut-être même ferait une incursion chez les Indiens du voisinage ; alors il ne serait pas difficile d'organiser derrière lui, dans les contrées nouvellement soumises, un soulèvement général.

Bessos fit ravager tout le pays situé sur le versant nord de la chaîne jusqu'à une distance de plusieurs journées de marche, pour rendre ainsi impossible toute invasion d'une armée ennemie. Comme Satibarzane pouvait compter sur l'attachement de ceux qui avaient été jadis ses sujets, Bessos lui confia environ deux mille cavaliers, pour faire avec eux, en arrière des Macédoniens, une diversion qui couperait entièrement l'ennemi, si elle réussissait. Les Ariens se soulevèrent dès que parut leur ancien maître : Arsame même, le satrape établi par Alexandre, sembla favoriser la rébellion. Bessos envoya aussi Barzane, un de ses affidés, en Parthie, afin d'y fomenter une insurrection en faveur de la vieille cause perse[1].

Alexandre était en Arachosie lorsqu'il apprit la révolte des Ariens. Il envoya aussitôt en Arie la cavalerie des alliés, au nombre de six cents hommes sous les ordres de leurs chefs, Érigyios et Caranos, ainsi que les mercenaires helléniques sous Artabaze, formant six mille hommes, parmi lesquels se trouvaient, commandés par Andronicos[2], ceux qui avaient été incorporés à l'armée dans les défilés caspiens ; en même temps il expédiait à Phratapherne, satrape d'Hyrcanie et de Parthie, l'ordre de se joindre à ces troupes avec les escadrons de sa cavalerie. Simultanément, le roi lui-même avait quitté l'Arachosie[3] et, par un froid d'hiver très vif, avait traversé les cols dénudés des hauteurs qui séparent le territoire des Arachosiens de celui des Paropamisades. Il trouva ce plateau fort peuplé, et, bien qu'à cette époque une neige épaisse couvrît les champs, il se procura des provisions suffisantes dans les nombreux villages qui le reçurent avec amitié[4] Il se hâta de descendre dans la contrée plus ouverte qui forme le bassin supérieur du Caboul, traversa ce cours d'eau et poussa jusqu'au pied du massif élevé de l'Hindou-Kousch, ou Caucase, au delà duquel se trouve la Bactriane. Il y prit ses quartiers d'hiver[5].

Le pays de Caboul est à peu près de la même largeur que Cypre et la Crète ; c'est une haute vallée située à environ 6.300 pieds au-dessus de la mer, par conséquent à 500 pieds plus haut que Saint-Maurice et Silvaplana dans la Haute-Engaddine. De là, sept passages conduisent, à travers la chaîne de l'Hindou-Kousch, dans le bassin de l'Oxus ; trois de ces défilés remontent vers les sources du Poundjir : le plus oriental est celui de Khevak ou de Toul, qui mène à Anderab[6] par un col situé à 13.200 pieds d'élévation. Ces passages, et plus encore les trois suivants qui descendent vers les sources du Sourkab, sont pendant quatre à cinq mois tellement couverts de neige, qu'on peut à peine les traverser ; il faut alors prendre le défilé le plus avancé du côté de l'ouest, celui de Bamiyan , par où l'on va de Caboul à Balk en parcourant environ 60 milles. Ce chemin traverse plusieurs chaînes de montagnes, en deçà et au delà du massif principal, et les vallées qui séparent ces contreforts sont riches

en sources, en prairies, en troupeaux, et habitées par des tribus de pasteurs pacifiques[7]. Un voyageur moderne, qui a traversé le dernier de ces défilés, écrit : Nous marchâmes pendant quatre jours (on était alors en mai) entre des escarpements à pic et des murailles de rochers qui nous cachaient le soleil, et s'élevaient au-dessus de nos têtes jusqu'à une hauteur perpendiculaire de deux à trois mille pieds. J'ai eu le nez gelé et les yeux presque aveuglés par les champs de neige. Nous ne pouvions avancer que le matin, lorsque la surface de la neige était gelée. Ces montagnes sont à peu près inhabitées, et nous campions durant le jour dans le lit du torrent[8].

Alexandre campa dans un endroit où il avait le grand massif à sa gauche et qui était plus rapproché des défilés difficiles de l'est, notamment de celui qui conduit à Anderab, que du défilé de l'ouest, qui est plus commode. Bessos devait s'attendre à le voir arriver par ce dernier passage et avait sans doute pris ses mesures en conséquence ; il valait donc mieux choisir les défilés les moins éloignés et accorder plutôt un repos plus long à l'armée, d'autant plus que les chevaux de la cavalerie avaient été fort maltraités par les marches d'hiver. Une autre circonstance venait encore se joindre à ces considérations. Le Caboul, dans lequel se réunissent les eaux des versants du nord, de l'ouest et du sud, s'achemine du côté de l'est et atteint au bout de 50 milles environ le fleuve Indus : ce que le roi entendait et voyait dans ce pays de Caboul devait lui faire comprendre que les défilés servaient d'entrée à un monde nouveau, rempli de grands et de petits États, peuplé de tribus guerrières chez lesquelles l'annonce de l'approche du conquérant devait certainement provoquer une certaine effervescence et peut-être même des mesures pour lui rendre impossible, s'il s'avançait plus au nord, le retour par ces défilés qu'il avait maintenant devant lui. Pour la sécurité de cette position, Alexandre fortifia une ville à l'endroit où campait l'armée, à peu près sur l'emplacement actuel de Begram, et cette ville, connue sous le nom :d'Alexandrie du Caucase, fut munie d'une forte garnison[9] ; le Perse Prœxès fut nommé satrape de la contrée et Niloxénos, un des hétœres, surveillant[10].

Aussitôt que la saison des grands froids fut passée, Alexandre quitta ses quartiers d'hiver pour donner le premier exemple d'une traversée de montagnes dont l'étonnante hardiesse ne peut être comparée qu'aux témérités analogues d'Hannibal. Les circonstances dans lesquelles Alexandre devait entreprendre cette marche en augmentaient encore notablement les difficultés ; les hauteurs étaient encore couvertes de neige, l'air vif, les chemins pénibles ; il est vrai qu'on rencontrait de nombreux villages et de pacifiques habitants tout prêts à donner ce qu'ils avaient, mais ils ne possédaient rien que leurs troupeaux ; les montagnes, dépourvues de bois et présentant seulement çà et là quelques buissons de térébinthes, ne fournissaient pas de quoi faire du feu : on mangeait la viande crue, sans pain et sans autre condiment que le silphion qui croit sur les hauteurs. Pendant quatorze jours, on marcha ainsi à travers les montagnes, et plus on approchait du versant nord, plus les privations se faisaient sentir. On trouva la région des vallées dévastée et dépeuplée, les villages incendiés, les troupeaux chassés ; on en était réduit à se nourrir de racines et à abattre les bêtes de somme qui traînaient les bagages. Après des efforts indicibles, après avoir souffert du froid et de la faim et perdu un grand nombre de chevaux, l'armée, dans le plus triste état, atteignit enfin, le quinzième jour de marche, la première ville de la Bactriane, Drapsaca ou Adrapsa[11] (aujourd'hui peut-être Anderab), située encore assez haut dans les montagnes.

Alexandre se trouvait à l'entrée d'un pays qui ne ressemblait guère à ceux qu'il avait si facilement soumis jusqu'ici. La Bactriane et la Sogdiane étaient des pays dotés d'une civilisation fort ancienne ; jadis elles avaient formé un royaume particulier et étaient peut-être la patrie de Zarathustra et de la doctrine qui s'était répandue dans tout l'Iran. Soumise ensuite aux Assyriens, aux Mèdes, aux Perses, environnée au nord et à l'ouest par des peuples touraniens et sans cesse menacée de leurs incursions, cette région avait conservé l'importance exceptionnelle d'un poste avancé, nécessaire à la protection de l'Iran et organisé pour la défense militaire. Le seul fait que Bessos, satrape du pays des Bactriens, avait amené à la bataille d'Arbèles, en même temps que les Sogdianiens et les Indiens des contrées voisines de la Bactriane, les Sakes scythes, non comme ses sujets, mais comme alliés du Grand-Roi, ce fait, disons-nous, faisait prévoir une unité de conduite militaire et une coopération des tribus scythes en face de laquelle l'assujettissement de ce pays pouvait devenir doublement difficile.

Il est possible que la marche soudaine de l'armée macédonienne par un côté où elle n'était pas attendue ait rendu la tâche plus aisée. Après un court repos, Alexandre poursuivit rapidement sa marche à travers les défilés que forment les contreforts les plus avancés au nord ; il descendit à Aornos, et de là se rendit à Bactres, capitale du pays, en traversant les plaines fertiles de la Bactriane : nulle part il ne rencontra de résistance.

Tant que les ennemis étaient encore loin, Bessos, plein d'assurance et s'imaginant que les montagnes et les dévastations pratiquées sur leur versant nord protégeraient le bassin de l'Oxus, n'eut pas plus tôt appris l'approche d'Alexandre qu'il quitta Bactres en toute hâte, s'enfuit au delà de l'Oxus et, après avoir incendié les bateaux sur lesquels il avait traversé le fleuve, s'était retiré avec son armée à Nautaca, en Sogdiane. Il avait encore près de lui quelques milliers de Sogdianiens sous les ordres de Spitamène et Oxyartès, ainsi que les Dahes du Tanaïs ; quant aux cavaliers bactriens, dès qu'ils avaient vu que leur pays était abandonné, ils s'étaient séparés de Bessos et s'étaient retirés chacun chez soi[12], de sorte qu'Alexandre soumit tout le pays jusqu'à l'Oxus sans beaucoup de peine. En même temps Artabaze et Érigyios revenaient de l'Arie ; Satibarzane avait été vaincu. après un court combat et le brave Érigyios l'avait tué de sa propre main ; les Ariens avaient aussitôt jeté leurs armes et s'étaient soumis. Alexandre envoya dans ces contrées Stasanor de Soles, avec ordre Aie s'emparer d'Arsame, qui avait été jusque-là satrape du pays et qui avait joué un rôle douteux dans la révolte, et de prendre lui-même la place de gouverneur. Le vieil Artabaze obtint la riche satrapie de Bactriane, et cette faveur contribua certainement beaucoup à tranquilliser ceux qui s'abandonnaient à leur destin. Aornos, situé à l'entrée nord des défilés, fut choisi pour place d'armes[13] ; puis les vétérans qui n'étaient plus propres au service, ainsi que les volontaires thessaliens dont le temps était fini, furent renvoyés dans leur patrie[14].

Ainsi tout était prêt, au printemps de l'année 329, pour commencer la conquête des pays transoxianiques[15]. La configuration particulière de ces contrées, si elle eût été convenablement mise à profit, aurait rendu possible une longue et peut-être heureuse résistance. La vallée fertile et bien peuplée de Maracanda, protégée à l'ouest par un vaste désert, au sud, à l'est et au nord par des montagnes coupées de passes difficiles, était non seulement facile à défendre contre toute attaque, mais de plus située dans une position très favorable pour inquiéter continuellement l' Arie, la Parthie et l'Hyrcanie. On aurait pu aisément y réunir des forces de guerre considérables ; les hordes dahes et massagètes du désert occidental, et les hordes scythes au delà de l'Iaxarte étaient toujours tentées d'y faire des incursions ; les princes indiens eux-mêmes avaient déjà déclaré qu'ils étaient prêts à prendre part à une guerre contre Alexandre ; lors même que les Macédoniens eussent remporté la victoire, les déserts de l'ouest et les remparts de rochers du haut pays offraient des asiles sûrs, berceaux de rébellions nouvelles.

Il n'en était que plus important pour Alexandre de s'emparer de la personne de Bessos avant que son usurpation du titre royal ne devint le signal d'une insurrection générale. Il quitta donc Bactres pour se mettre à la poursuite de Bessos. Après une marche fatigante à travers le pays désert qui sépare le territoire fertile de Bactres de l'Oxus[16], l'armée atteignit la rive de ce fleuve large et rapide. Il n'y avait nulle part de bateaux pour le traverser ; le passer à la nage ou à gué était impossible, à cause de sa largeur et de sa profondeur ; jeter un pont eût demandé trop de temps, car, outre qu'il ne se trouvait pas assez de bois dans le voisinage, le lit de sable sans consistance et le cours rapide du fleuve n'aurait guère permis d'y enfoncer des pieux. Alexandre eut recours au moyen dont il s'était servi sur le Danube avec tant de succès ; il fit remplir de paille les peaux qui servaient de tentes aux troupes, les fit coudre solidement, attacher ensemble, jeter à l'eau en forme de pontons et recouvrir de poutres et de planches, de manière à former un pont flottant sur lequel toute l'armée traversa le fleuve dans l'espace de cinq jours[17]. Sans s'arrêter, Alexandre continua sa marche sur la route de Nautaca[18].

Pendant ce temps, la fortune de Bessos avait pris une tournure digne de son crime et de son impuissance. Toujours en fuite devant Alexandre, incapable de vouloir et d'agir, il semblait, aux yeux des grands qui l'entouraient, éluder leur dernière espérance ; naturellement, le nom de la puissance avait encore des attraits, même dans cet abaissement, et l'on croyait l'injustice même permise envers le meurtrier du roi. Le Sogdianien Spitamène, instruit de l'approche de l'armée ennemie, pensa que le temps était venu de se ménager la faveur d'Alexandre en trahissant le traître. Il fit part de son plan aux princes Datapherne, Catanès et Oxyartès, et bientôt ils furent d'accord ; ils s'emparèrent du roi Artaxerxès, et mandèrent à Alexandre que, s'il leur envoyait un petit détachement de troupes, ils voulaient lui livrer Bessos qui était entre leurs mains. A cette nouvelle, Alexandre accorda un peu de repos à ses soldats ; puis. tandis qu'il marchait lui-même à petites journées, il envoya en avant le garde du corps Ptolémée Lagide avec environ six mille hommes, qui semblaient devoir suffire à opérer la capture de Bessos lors même que l'armée des Barbares s'y opposerait. En quatre jours, ce corps franchit une distance de dix jours de marche[19] et atteignit l'endroit où Spitamène avait campé la veille avec ses gens. On apprit là qu'il n'était pas sûr que Spitamène et Datapherne livrassent Bessos ; c'est pourquoi Ptolémée donna l'ordre à l'infanterie de marcher lentement à sa suite, tandis qu'il s'avançait lui-même en toute hâte à la tête de la cavalerie. Il arriva bientôt devant les murs d'une bourgade dans laquelle Bessos, abandonné par Spitamène et les autres conjurés, se trouvait avec le petit nombre de troupes qui lui était resté ; les princes avaient honte de le livrer de leurs propres mains. Ptolémée fit investir le bourg et sommer les habitants de livrer Bessos, s'ils voulaient être épargnés. On ouvrit les portes ; les Macédoniens pénétrèrent dans la place, s'emparèrent de Bessos et se retirèrent en colonne serrée pour rejoindre Alexandre avec leur prisonnier ; Ptolémée envoya en avant pour demander comment Alexandre ordonnait que lui fût présenté le régicide captif. Alexandre ordonna de le placer tout nu et la chaîne au cou à droite du chemin par où il devait passer avec l'armée. Cela fut exécuté ; lorsqu'Alexandre fut arrivé en face du prisonnier et l'eut considéré, il fit arrêter son char et lui demanda pourquoi il s'était emparé de Darius, l'avait fait prisonnier, entraîné à sa suite et enfin massacré, alors que ce même Darius était son roi, son seigneur, son parent et son bienfaiteur ? Bessos répondit qu'il n'avait pas agi ainsi seulement par sa propre décision, mais d'accord avec tous ceux qui étaient alors autour de la personne de Darius, dans l'espoir de se concilier la bienveillance du roi. Après cette réponse, le roi le fit battre de verges et fit proclamer par un héraut ce que le régicide lui avait dit. Bessos fut conduit à Bactres pour y être jugé[20].

Tel est le récit que Ptolémée nous fait de cet événement, tandis que, d'après Aristobule, Spitamène et Datapherne livrèrent eux-mêmes Bessos enchaîné. Ceci semble indiquer ce que la version de Clitarque exprime encore plus clairement, à savoir que Spitamène, Datapherne, Catanès et Oxyartès reçurent du roi leur pardon et furent peut-être même confirmés dans leurs possessions. Alexandre pouvait croire qu'il s'assurait aussi par ce moyen de la Sogdiane. Cependant il s'avança de Nautaca jusqu'à Maracanda[21], capitale de ce pays, et y laissa une garnison lorsqu'il se mit en marche pour gagner l'Iaxarte. Nos sources ne disent pas qu'il ait établi un satrape de Sogdiane, ni qu'il ait pris d'autres mesures pour l'assujettissement du pays ; il exigea seulement une importante livraison de chevaux, pour remonter complètement sa cavalerie, qui avait fait de grandes pertes dans les hautes montagnes et dans les marches consécutives.

On n'en est que plus frappé d'entendre dire incidemment par nos auteurs qu'Alexandre convoqua les hyparques de la région bactrienne à Zariaspa, à une réunion définie par le mot (σύλλογος) dont se servaient les Grecs pour désigner les revues annuelles en usage dans les karanies ou grands gouvernements de l'empire perse[22]. En supposant même qu'Alexandre n'ait mandé les hyparques bactriens que pour une revue, toujours est-il que jusque-là il n'avait rien fait de semblable dans aucune autre partie de la monarchie perse. Avait-il l'intention de donner à ces régions de l'Oxus une autre forme de dépendance à l'égard de son empire, une organisation autrement conçue que le système appliqué aux pays conquis précédemment ? Nous verrons que plus tard, en Sogdiane, il donna à l'un des grands du pays le titre de roi ; qu'il épousa la fille d'un autre de ces potentats ; qu'après en avoir réduit un troisième, expressément qualifié d'hyparque, à capituler sur son nid d'aigle, il lui laissa son château-fort et son territoire[23] ; qu'il reçut également à merci un quatrième personnage se trouvant dans le même cas et lui fit espérer un agrandissement de territoire. Les nobles seigneurs que nos sources signalent en grand nombre dans ces contrées, avec leurs châteaux et leurs domaines, ces hyparques, comme on les appelle[24], ont l'air d'être des princes féodaux, des seigneurs terriens placés sous la suzeraineté de l'empire, comme les Pehlevanes dans le Schahnâmeh. On avait sous la main les éléments nécessaires pour organiser un système que la position géographique de ce pays faisait sans doute paraltre préférable, et peut-Mire la nomination d'Artabaze avait-elle été faite dans ce but. Nous reviendrons plus tard sur la question.

Déjà, par les étapes parcourues jusqu'à Maracanda , Alexandre pouvait s'être formé une idée approximative de la configuration caractéristique du pays transoxianique. S'il est vrai qu'il avait marché vers Nautaca (Karschi) en passant par Kilif sur l'Oxus, il avait eu sur sa gauche le vaste désert, tandis que, sur sa droite, il avait longé les contreforts, s'élevant parfois jusqu'à 3.000 pieds, d'un système de hautes montagnes dont il put apercevoir un peu plus loin les sommets neigeux (et particulièrement celui du Hazreti-Soultân), à environ dix milles à l'est, pendant qu'il gravissait le col de Karatube pour aller de Nautaca à Schehrisebz, en remontant le cours de la Kaschka. De là, il descendit dans la vallée du Sogd ou Zerafschan, que les Grecs nommaient Polytimétos, et arriva à Samarkand, qui est encore à 2.150 pieds anglais au-dessus du niveau de la mer, presque sous le même méridien que Balk, que le confluent du Derbent et de l'Oxus à 300 pieds au-dessus de la mer, que Schehrisebz dans la vallée de la Kaschka et enfin que ce col de Karatube, qui est à une hauteur de près de 3.000 pieds. La haute vallée du Sogd est bordée au nord par de nouvelles chaînes de montagnes qui courent de l'est à l'ouest et à travers lesquelles des défilés mènent, dans la direction du nord-est, à l'Iaxarte. Ce fleuve, qui descend de l'est, prend tout à coup une nouvelle direction près de Khodjend.et coule vers le nord ; à cet endroit, les montagnes du sud et celles du nord, qui sont encore plus élevées, se rapprochent du large fleuve et séparent ainsi la riche vallée du moyen Iaxarte, la Ferghana, de la vallée basse qui confine à gauche au vaste désert. A vol d'oiseau, Khodjend est à environ 30 milles de Samarkand, Balk à environ 42 milles de Samarkand et à 60 de Khodjend, c'est-à-dire deux fois aussi loin que de Milan à Bâle.

Il faut encore relever une autre particularité importante dans la configuration de ces vastes territoires. Cette Anderab ou Adrapsa, où Alexandre s'était reposé au printemps de cette année après avoir franchi les hauts défilés du Caucase, est située à peu près sous le même méridien que le coude de l'Iaxarte près de Khodjend, et il y a d'un endroit à l'autre 65 milles à vol d'oiseau. Lorsqu'Alexandre descendit d'Anderab, dans la direction de Koundouz, paraît-il, il se trouvait à peu de milles de l'endroit où les deux grands fleuves de la Koktja et de l'Abi-Pandja, dont le premier descend de la haute chaîne de l'Inde et le second du gigantesque plateau de Pamir, le toit du monde, se jettent dans l'Oxus. Au-dessous de cet endroit, le puissant fleuve reçoit successivement du côté du nord une série d'affluents qui descendent de hautes montagnes couvertes d'une neige abondante. Ces montagnes, parallèles à l'Iaxarte et éloignées de quinze à vingt milles du fleuve, envoient vers le sud plusieurs ramifications, entre chacune desquelles se trouvent des vallées fluviales plus ou moins étroites qui s'ouvrent sur l'Oxus et communiquent entre elles par des défilés difficiles. Dès qu'on arrive au quatrième de ces affluents, celui du Derbent, qui est le plus à l'ouest et se jette dans l'Oxus à dix milles au nord de Balk, le caractère du pays change complètement ; le massif aux sommets neigeux qui s'élève entre les sources du Derbent et le Sogd à Samarkand projette ses contreforts en éventail vers l'ouest, le sud-ouest et le sud, et les cours d'eau qui en descendent se réunissent dans la Kaschka, qui passe à Karschi (Nautaca), puis va se perdre dans le désert. Le Sogd, après avoir décrit un grand arc qui le fait passer de la direction de l'ouest à celle du sud, se dirige par Boukhara vers l'Oxus, mais il se perd avant de l'atteindre dans une lagune des steppes.

Quant à la géographie politique de la région, ce qui paraît être ici la règle principale, c'est que le large talus qui s'incline vers l'Oxus tourne pour ainsi dire le dos à l'Iaxarte ; que le bassin du Sogd, séparé du reste du système hydrographique de l'Oxus par des montagnes couvertes de neige, ne semble être qu'un vestibule, une barrière de la région de l'Oxus du côté de l'Iaxarte et des déserts qui s'étendent à l'ouest de ce fleuve ; que la chaîne de montagnes qu'on franchit en traversant le défilé de la Porte-de-Fer forme la limite naturelle entre ce territoire avancé et les vallées multiples de la Bactriane ; enfin, que ce pays possède dans le plateau de Pamir une clôture naturelle et un boulevard contre l'intérieur de la Haute-Asie.

En tout cas, il sera désormais plus facile d'embrasser du regard l'ensemble des opérations militaires ultérieures d'Alexandre dans ces contrées. Parti de Maracanda, il se dirigea vers le nord-est pour atteindre les bords du Tanaïs, que les riverains de l'Iaxarte appelaient le grand fleuve. La grande route de Maracanda à Cyropolis, la dernière ville du royaume, non loin de la rive sud du Tanaïs, passe par les défilés des montagnes de l'Oxus, habitées par des tribus de maraudeurs, et à travers la contrée d'Ouratube. Ce fut là que quelques soldats macédoniens, s'étant égarés dans les montagnes tandis qu'ils allaient fourrager, furent assaillis par les Barbares, qui les massacrèrent ou les firent prisonniers. Alexandre s'avança immédiatement contre ces Barbares avec les troupes les plus légères. Au nombre de 30.000 hommes armés, ils s'étaient retirés sur leurs montagnes escarpées et munies de forts, d'où ils repoussaient, à coups de pierres et de traits, les attaques vives et multipliées des Macédoniens. Alexandre se trouva lui-même parmi les nombreux blessés : un trait lui meurtrit la jambe, et cette blessure redoubla la fureur des siens qui finirent par s'emparer de la montagne. La plus grande partie des Barbares fut massacrée ; les autres se précipitèrent du haut des rochers et roulèrent fracassés dans les abîmes : huit mille, tout au plus, survécurent et se soumirent au roi[25].

En s'éloignant de cette contrée montagneuse, Alexandre se dirigea vers le nord sans trouver de résistance. La nature particulière de cette contrée, connue sous le nom de Ferghana, en a fait dans tous les temps une importante frontière nationale, et un rempart qui protège la civilisation orientale contre les hordes des steppes touraniennes. Garantie au sud et à l'est par de hautes montagnes, au nord par le fleuve et la chaîne de hauteurs qui lui envoie ses torrents, ce n'est qu'à l'ouest et au nord-ouest qu'elle est ouverte à une invasion étrangère, et certainement les hordes vagabondes et guerrières auxquelles l'antiquité a coutume de donner le nom générique de Scythes et qui habitent sur les deux rives de l'Iaxarte inférieur, ne sont pas sans jeter souvent les yeux sur cette contrée. Ce sont les Touraniens de la légende des vieux Parsis, et ce fut contre leurs invasions qu'on éleva, certainement de fort bonne heure, cette merveilleuse ceinture de citadelles frontières qui ont conservé leur importance jusque dans les temps modernes, malgré toutes les vicissitudes survenues dans les relations des peuples. Alexandre rencontra sept de ces villes fortifiées ; elles n'étaient qu'à quelques milles les unes des autres et suivaient le bord de la steppe. La plus importante de ces villes était Cyropolis : ses ouvrages étaient plus étendus et plus forts que ceux des autres, et elle passait pour la forteresse principale du pays[26]. Alexandre fit pénétrer des garnisons macédoniennes à travers ces défilés, tandis qu'il campait lui-même avec l'armée à quelques lieues au nord-est, à l'endroit où le Tanaïs, se dirigeant brusquement vers le nord, franchit ses dernières gorges pour aller s'épandre ensuite dans les sables de la steppe. Alexandre reconnut l'importance de cette position et des fortifications naturelles qui servaient de frontières contre les hordes pillardes du désert. De là, en effet, il était facile de s'opposer aux invasions des Scythes au nord et à l'ouest ; l'endroit était des plus commodes pour commencer une campagne dans leur pays. Alexandre espérait que la position ne serait pas moins appropriée aux relations pacifiques des peuples ; et si, comme on n'en peut guère douter, des rapports commerciaux existaient déjà à cette époque entre le bas pays et l'intérieur de la Haute -Asie, on constate que la seule route qui sert de débouché parles montagnes au pays des Sères, celle de Kaschgar, après avoir franchi la gigantesque muraille des monts de Tian-chian, hauts de 25.000 pieds, descend par Osch à cet endroit, qui était on ne peut mieux situé pour servir de marché à tous les peuples circonvoisins[27].

En effet, il semblait que des rapports amicaux tendissent à s'établir avec les Scythes du voisinage ; le singulier peuple des Abiens, ainsi que les Scythes d'Europe[28], envoyèrent au roi des ambassades pour conclure alliance et amitié[29]. Alexandre fit accompagner ces Scythes à leur retour par quelques-uns de ses hétœres, sous le prétexte de conclure amitié en son nom avec leur roi, mais en réalité pour obtenir des renseignements certains sur leur pays, le chiffre de la population, le genre de vie, le tempérament des Scythes et leur façon de faire la guerre.

Cependant, derrière Alexandre commençait un mouvement qui se propagea avec une force extraordinaire. La haine contre le conquérant étranger, unie à l'esprit particulièrement mobile qui, de tout temps, a signalé les classes dirigeantes des populations de ces pays, n'avait besoin que d'une impulsion et d'un chef pour éclater sous la forme d'une insurrection violente. Spitamène, qui se voyait trompé dans ses ambitieuses espérances, se hâta de mettre à profit ces dispositions, la confiance qu'Alexandre lui avait témoignée, ainsi que l'éloignement du roi. Les Sogdianiens qui avaient pris part avec lui à la fuite et à la capture de Bessos formèrent le noyau d'un soulèvement dont la première explosion, et peut-être même le signal convenu à l'avance, vint de la population des sept villes[30]. Les garnisons qui avaient été laissées dans ces places furent massacrées par les insurgés. La révolte s'alluma également dans la vallée du Sogd : la faible garnison de Maracanda semblait à peine en état de lui résister et paraissait dévouée au même sort. Les Massagètes, les Dahes, les Sakes du désert, anciens compagnons d'armes de Spitamène et tout aussi menacés par les Macédoniens, facilement excités à prendre part à la révolte par l'attrait du meurtre et du pillage, se hâtèrent de s'associer au mouvement. Dans les contrées de la Bactriane, le bruit se répandit que la réunion des hyparques convoqués par Alexandre à Zariaspa était destinée à fournir l'occasion de massacrer d'un seul coup tous les chefs du peuple[31] ; il fallait, disait-on, prévenir le danger et se mettre à l'abri avant que les choses n'en vinssent aux extrémités. Oxyartès, Catanès, Choriène, Haustanès et beaucoup d'autres suivirent l'exemple donné en Sogdiane. La nouvelle de ce qui se passait se répandit au delà de l'Iaxarte, jusque dans les steppes des Scythes asiatiques ; emportées par la soif du carnage et du pillage, les hordes de ces peuples se pressèrent sur les rives du fleuve, afin d'être tout prêts à le traverser avec leurs chevaux et à fondre sur les Macédoniens au premier succès que remporteraient les Sogdianiens. Ainsi Alexandre se voyait tout d'un coup entouré d'immenses dangers ; le moindre revers ou le plus petit retard pouvait causer sa perte et celle de son armée ; il avait besoin de toute son audace pour trouver promptement et sûrement un moyen de salut.

Il se porta en toute hâte vers Gaza, la plus rapprochée des sept places fortes, en même temps qu'il envoyait en avant Cratère contre Cyropolis, où s'étaient jetés la plupart des Barbares des environs, en lui donnant l'ordre d'enfermer la ville dans un cercle de palissades et de fossés et de faire construire des machines. Arrivé devant Gaza, il fit aussitôt commencer l'attaque des murs de la place, qui étaient faits de terre et peu élevés. Tandis que frondeurs, archers et machines lançaient contre les murs une grêle de projectiles et en éloignaient les ennemis, le roi mena l'infanterie pesante à l'assaut de tous les côtés à la fois : on appliqua les échelles ; les remparts furent escaladés, et bientôt les Macédoniens furent maîtres de la place. Sur l'ordre exprès d'Alexandre, tous les hommes furent passés au fil de l'épée ; les femmes, les enfants et tous les biens furent abandonnés aux soldats, et la ville fut livrée aux flammes. Le même jour, la seconde forteresse fut attaquée, prise de la même façon, et ses habitants subirent le même sort. Le lendemain matin, les phalanges étaient devant la troisième ville ; elle fut prise aussi dès le premier assaut. Les Barbares des deux places fortes les plus voisines aperçurent les colonnes de fumée qui s'élevaient de la ville conquise ; quelques fuyards apportèrent la nouvelle de l'effrayant désastre de la cité : alors les Barbares, persuadés que tout était perdu, se précipitèrent en masses désordonnées par les portes pour s'enfuir dans les montagnes. Mais Alexandre, qui s'attendait à cet événement, avait envoyé en avant sa cavalerie pendant la nuit, avec ordre de surveiller les routes autour des deux villes, de sorte que les fuyards allèrent se heurter contre les escadrons serrés des Macédoniens : la plupart furent passés au fil de l'épée ; leurs villes furent prises et incendiées.

Après avoir ainsi réduit en deux jours les cinq premières forteresses, Alexandre se tourna contre Cyropolis, devant laquelle Cratère était déjà arrivé avec ses troupes. Cette ville, plus grande que celles qu'on avait déjà conquises, possédait de plus fortes murailles et une citadelle intérieure. Quinze mille hommes environ la défendaient ; c'étaient les Barbares les plus guerriers des environs. Alexandre fit aussitôt approcher les machines de siège et les fit immédiatement travailler contre les murs, afin d'y pratiquer aussi vite que possible une brèche qui permit de donner l'assaut. Tandis que l'attention des assiégés était concentrée sur les points ainsi menacés, le roi remarqua que le fleuve qui traversait la ville était à sec et que l'ouverture qui lui était ménagée dans la muraille offrait un chemin pour pénétrer dans la ville. Il lança les hypaspistes, les Agrianes et les archers contre la porte la plus proche, tandis que lui-même, avec un petit nombre d'autres, s'introduisait furtivement dans la ville par le lit du fleuve, se précipitait vers la porte voisine, l'enfonçait et faisait entrer ses troupes. Les Barbares virent bien que tout était perdu, mais ils ne s'en jetèrent pas moins avec une fureur sauvage sur Alexandre : une sanglante boucherie commença ; Alexandre, Cratère, un grand nombre d'officiers furent blessés ; les Macédoniens poussèrent en avant avec plus de vigueur. Tandis qu'ils emportaient le marché de la ville, les murailles étaient aussi escaladées et les Barbares, environnés de tous côtés, se jetèrent dans la citadelle ; le nombre de leurs morts montait à huit mille. Alexandre investit aussitôt la citadelle : il n'eut pas besoin de longs efforts ; le manque d'eau l'obligea à se rendre.

Après la prise de cette ville, on n'avait pas à attendre une longue résistance de la septième et dernière forteresse ; d'après le récit de Ptolémée, elle se rendit à discrétion sans attendre la première attaque ; d'après d'autres versions, elle fut également prise d'assaut et les habitants en furent aussi massacrés[32]. Quoi qu'il en soit, Alexandre devait agir avec d'autant plus de rigueur contre les Barbares révoltés de cette contrée que leur territoire était plus important ; il fallait qu'à tout prix il obtint la possession complètement assurée de cette région de défilés sans laquelle on ne pouvait penser à dominer la Sogdiane ; c'était dans le sang de ses audacieux adversaires et par la dissolution de toute l'ancienne organisation qu'il fallait inaugurer le système nouveau qui devait transformer pour des siècles la Transoxiane.

Par la soumission des sept villes, d'où le reste des habitants, en partie enchaînés, furent transportés dans la nouvelle ville d'Alexandrie sur le Tanaïs, le roi s'était ouvert le chemin du retour en Sogdiane ; il était grand temps qu'il vînt au secours de la garnison qu'il avait laisse à Maracanda et que Spitamène assiégeait. Mais déjà les hordes des Scythes, attirées par la révolte des sept villes, se tenaient sur la rive nord du fleuve, prêtes à tomber sur les troupes qui se retiraient : si Alexandre ne voulait pas abandonner tous les avantages conquis sur le 'fanais et un avenir plein d'une gloire et d'une puissance nouvelles, il devait fortifier jusque dans les plus petits détails la position qu'il avait conquise sur le fleuve, et, une fois pour toutes, faire perdre aux Scythes le goût des invasions avant de retourner en Sogdiane. Pour le moment, il sembla qu'il suffirait d'envoyer quelques milliers d'hommes au secours de Maracanda. Dans l'espace d'une vingtaine de jours, les travaux les plus urgents de la ville nouvelle furent terminés et les habitations nécessaires aux nouveaux habitants furent prêtes ; des vétérans macédoniens, une partie des mercenaires grecs, sans compter les Barbares de bonne volonté du voisinage et les familles qui avaient été emmenées des forteresses détruites, formèrent les premiers habitants de cette ville, à laquelle le roi, au milieu des sacrifices habituels, des joutes d'armes et des fêtes, donna le nom d'Alexandrie.

Cependant les hordes scythes étaient toujours campées sur la rive opposée du fleuve. Les Barbares, comme pour provoquer au combat, lançaient leurs traits de l'autre côté ; ils se vantaient à grand bruit que les étrangers n'oseraient pas se battre avec les Scythes et que, s'ils avaient cette témérité, ils apprendraient bientôt par expérience la différence qu'il y avait entre les fils du désert et les Perses efféminés. Alexandre résolut de traverser le fleuve et de les attaquer ; mais les sacrifices ne donnaient aucun augure favorable et la blessure qu'il avait reçue à la prise de Cyropolis n'était pas assez guérie pour lui permettre de prendre part en personne à l'expédition. Toutefois, comme les Scythes devenaient de plus en plus insolents avec leurs traits et qu'en même temps les nouvelles. de la Sogdiane devenaient plus menaçantes, le roi ordonna à son devin Aristandros de sacrifier pour la seconde fois, afin de consulter la volonté des dieux. Cette fois encore, les sacrifices n'annoncèrent rien de bon et présagèrent des dangers personnels pour le roi. Alors Alexandre déclara qu'il aimait mieux s'exposer lui-même aux plus grands dangers que de servir plus longtemps de risée aux Barbares, et il donna l'ordre de faire avancer les troupes sur la rive, d'amener les machines à projectiles et de tenir les peaux des tentes transformées en pontons prêtes à servir au passage du fleuve. Ces ordres furent exécutés : tandis que les Scythes à cheval allaient et venaient sur l'autre rive en faisant grand bruit, les escadrons macédoniens, complètement armés, s'avancèrent le long de la rive méridionale ; ils étaient précédés des machines de trait qui, tout d'un coup, commencèrent à lancer à la fois sur l'autre bord des traits et des pierres. Les Scythes, à moitié sauvages, n'avaient jamais vu pareille chose ; consternés et mis en désordre, ils s'écartèrent de la rive, tandis que les troupes d'Alexandre commençaient à traverser le fleuve au son des trompettes. Les archers et les frondeurs atteignirent les premiers l'autre bord et couvrirent le passage de la cavalerie qui marchait immédiatement à leur suite ; et, dès qu'elle eut traversé, les sarissophores et la grosse cavalerie grecque, formant en tout environ douze cents chevaux, commencèrent aussitôt le combat. Les Scythes, aussi prompts à la retraite qu'impétueux à l'attaque, les entourèrent bientôt de tous côtés, déchargèrent sur eux une grêle de traits, et, sans faire une attaque soutenue, pressèrent vivement les Macédoniens, dont le nombre était de beaucoup inférieur. Mais à ce moment les archers et les Agrianes, avec toute l'infanterie légère qui venait de traverser le fleuve, se précipitèrent sur l'ennemi ; bientôt un combat en règle commença sur quelques points, et le roi, pour en décider l'issue, donna l'ordre à trois hipparchies d'hétœres et aux acontistes à cheval de charger ; lui-même s'élança à la tête des autres escadrons qui s'avançaient en colonnes profondes pour prendre les ennemis en flanc, si bien que ceux-ci, maintenant attaqués de tous côtés, ne furent plus à même de se disperser pour continuer leurs escarmouches et commencèrent à reculer sur tous les points ; les Macédoniens les poursuivirent avec la plus grande vigueur. La précipitation, la chaleur étouffante, la soif brûlante rendaient la poursuite extrêmement pénible. Alexandre lui-même, épuisé par la soif, but, sans descendre de cheval, de la mauvaise eau qu'offrait la steppe salée. L'effet de cette boisson insalubre fut prompt et violent ; toutefois il poursuivit l'ennemi encore pendant un mille[33], mais enfin ses forces l'abandonnèrent ; on renonça à la poursuite et le roi malade fut rapporté dans le camp : tout était en jeu avec sa vie[34].

Il fut bientôt guéri. L'attaque contre les Scythes eut tout le succès qu'on en attendait ; des ambassadeurs de leur roi vinrent présenter ses excuses sur ce qui s'était passé ; la nation, disaient-ils, n'avait eu aucune part à cette expédition qu'une troupe particulière, poussée par l'espoir du butin, avait entreprise de son propre chef. Leur roi demandait pardon de la confusion qu'elle avait causée et protestait qu'il était prêt à se soumettre aux ordres du grand roi[35]. Alexandre leur rendit sans rançon les prisonniers qu'il avait faits dans la bataille et dont le nombre s'élevait à environ cent cinquante ; sa générosité ne fut pas sans faire une grande impression sur l'esprit des Barbares, et cette impression, unie aux faits d'armes prodigieux du roi, donnèrent à son nom cette auréole de grandeur surhumaine à laquelle la simplicité des peuples grossiers est plus portée à croire qu'à opposer le doute. De même que, six années auparavant, lorsqu'il était sin. le Danube, des peuples qu'il n'avait point vaincus étaient venus lui offrir leurs hommages, ainsi maintenant des envoyés des Scythes Sakes[36] vinrent aussi lui demander son amitié et la paix. De cette manière, dans le voisinage d'Alexandrie, tous les peuples furent réduits à la tranquillité et entrèrent avec l'empire en des relations dont Alexandre devait se contenter pour le moment, afin de pouvoir d'autant plus promptement paraître en Sogdiane.

Le danger, en effet, était devenu très grave en Sogdiane. La partie de la population ordinairement pacifique et laborieuse avait pris fait et cause, peut-être plus par crainte que par inclination[37], pour l'insurrection provoquée par Spitamène et son. parti ; la garnison de Maracanda avait été assiégée et serrée de près ; elle avait fait alors une sortie, repoussé l'ennemi et était rentrée dans la place sans avoir éprouvé de pertes. Ceci s'était passé à peu près dans le temps où Alexandre, après avoir rapidement soumis les sept forteresses, avait envoyé des secours. Spitamène, à cette nouvelle, avait levé le siège et battu en retraite dans la direction de l'ouest[38]. Cependant les troupes macédoniennes qu'Alexandre avait envoyées après la chute de Cyropolis étaient arrivées à Maracanda ; elles se composaient de 66 cavaliers macédoniens, de 800 cavaliers mercenaires helléniques et de 1.500 mercenaires pesamment armés. Andromachos, Caranos et Ménédémos conduisaient l'expédition[39] ; Alexandre leur avait adjoint le Lycien Pharnouchès, qui connaissait la langue du pays, car il était persuadé que l'arrivée d'un corps de troupes macédoniennes suffirait pour mettre en fuite les rebelles, et qu'il s'agirait surtout de s'entendre avec la masse des habitants, d'ailleurs pacifiques, de la Sogdiane. Voyant que Spitamène avait déjà évacué les environs de Maracanda, les Macédoniens s'étaient hâtés de le poursuivre ; à leur approche, l'ennemi s'était enfui dans le désert situé sur les confins de la Sogdiane ; cependant il parut nécessaire de le poursuivre plus avant, afin de châtier les Scythes du désert, qui avaient donné asile aux révoltés. Cette attaque inconsidérée contre les Scythes eut pour résultat que Spitamène put les décider à le secourir ouvertement et augmenter ainsi ses forces en y adjoignant six cents de ces hardis cavaliers dont la steppe était la patrie. Il s'avança à la rencontre des Macédoniens jusqu'aux bords de la steppe, puis, sans faire une attaque en règle contre eux et sans attendre qu'ils en eussent fait, il commença à escarmoucher contre eux de tous côtés, leur lançant des traits de loin, prenant la fuite dès que la cavalerie macédonienne s'élançait contre lui, afin de la fatiguer par des courses précipitées, et renouvelant sans cesse ses attaques, tantôt sur un point, tantôt sur l'autre. Les chevaux des Macédoniens étaient épuisés par des marches forcées et par le manque de fourrage, et déjà un grand nombre d'hommes étaient restés sur la place, tués ou blessés. Pharnouchès somma les trois commandants de prendre la conduite des troupes, car lui n'était point un soldat et avait été envoyé plutôt pour négocier que pour, combattre ; les commandants hésitaient à prendre la responsabilité d'une expédition qu'on pouvait dès lors considérer comme ayant échoué ; on commença à quitter la rase campagne et à se retirer sur le fleuve, pour y trouver, sous la protection d'un bois, un point de résistance contre l'ennemi. Mais le manque d'unité dans le commandement rendit inutile cette dernière planche de salut ; lorsqu'on fut arrivé près du fleuve, Caranos le traversa avec la cavalerie sans avoir prévenu Andromachos, de sorte que l'infanterie, s'imaginant que tout était perdu, s'élança avec la plus grande précipitation pour atteindre la rive opposée.

A peine les Barbares se furent-ils aperçus de ce qui se passait qu'ils accoururent de tous côtés, traversèrent le fleuve en amont et en aval des Macédoniens et les entourèrent de tous côtés, les pressant par derrière, les chargeant sur les flancs, repoussant dans l'eau ceux qui gravissaient la berge, si bien que, sans éprouver la moindre résistance, ils les forcèrent à se réfugier sur un îlot qui se trouvait au milieu du fleuve : là, le reste des troupes fut transpercé par les traits que les Barbares lançaient des deux rives. Un petit nombre furent faits prisonniers et ceux-là même furent massacrés ; la plupart avaient été tués, et parmi ces derniers se trouvaient les commandants ; quarante cavaliers seulement et trois cents fantassins purent s'échapper[40]. Spitamène lui-même s'avança aussitôt, avec ses Scythes, contre Maracanda et commença à assiéger pour la seconde fois la garnison, encouragé qu'il était par les avantages qu'il venait de remporter et soutenu par la population.

Ces nouvelles obligèrent le roi à régler aussi rapidement que possible les rapports avec les peuples scythes voisins du Tanaïs. Se contentant de posséder dans la ville nouvellement fondée sur ce fleuve une gardienne des frontières et une position importante pour ses entreprises ultérieures, il se dirigea en toute hâte vers la vallée du Sogd à la tête de l'infanterie légère, des hypaspistes et de la moitié des hipparchies, après avoir donné l'ordre à la plus forte partie de l'armée de le suivre, sous les ordres de Cratère : en doublant les étapes, il arriva le quatrième jour devant Maracanda[41]. A l'annonce de son approche, Spitamène avait pris la fuite[42]. Le roi le suivit, et sa route le conduisit précisément sur la rive, à l'endroit que les cadavres des guerriers macédoniens faisaient encore reconnaître pour le champ de bataille où s'était livré le funeste combat mentionné plus haut. Alexandre fit enterrer les morts avec autant de pompe que la hâte le permettait, puis il continua à poursuivre les ennemis qui fuyaient devant lui, jusqu'à ce que le désert sans fin qui s'étend à l'ouest et au nord l'obligeât à suspendre sa poursuite. Ainsi, Spitamène était chassé du pays avec ses troupes ; les Sogdianiens, qui avaient conscience de leur faute et qui craignaient la juste colère du roi, s'étaient réfugiés à son approche derrière les remparts en terre de leurs villes, et Alexandre était passé près d'eux en toute hâte pour chasser d'abord Spitamène. Son dessein toutefois n'était pas de les laisser impunis ; plus cette défection renouvelée était dangereuse, plus la possession assurée de ce pays était importante, plus un assujettissement des Sogdianiens par la force était incertain, et plus aussi il semblait nécessaire d'employer une extrême rigueur contre les révoltés. Dès qu'Alexandre revint des frontières du désert, il commença à ravager cette riche contrée, à incendier les villages, à détruire les villes ; on évalue à près de 120.000 le nombre des hommes qui furent massacrés dans cette cruelle exécution[43].

Après que la Sogdiane fut apaisée de cette façon, Alexandre y laissa Peucolaos[44] avec trois mille hommes et se rendit à Zariaspa en Bactriane, où il avait convoqué les hyparques du pays à cette assemblée dont nous avons parlé Il est possible que les Bactriens, effrayés par la sévérité qu'on avait déployée contre la Sogdiane, se soient soumis à ce moment ; peut-être aussi, dès le commencement de la sédition, ne témoignèrent-ils pas aussi clairement par leurs actes la part qu'ils y prenaient ; toujours est-il qu'Alexandre ne crut pas qu'il fût nécessaire pour le moment d'employer contre eux des mesures militaires, et ce n'est que dans un passage sans autorité qu'il est fait mention du châtiment d'une défection qui peut-être avait été projetée en Bactriane[45]. Ceux des grands qui s'étaient trouvés impliqués dans la révolte de la Sogdiane s'étaient enfuis dans les montagnes et se croyaient en sécurité dans les forteresses qui y avaient été construites sur les rochers.

L'hiver de 329 à 328, qu'Alexandre passa à Zariaspa[46], fut remarquable sous plus d'un rapport. L'assemblée des grands de la Bactriane, l'arrivée de nouvelles bandes guerrières venues de l'Occident, de nombreuses ambassades de peuples européens-et asiatiques, de plus, l'activité virile qui régnait dans cette armée aguerrie et toujours victorieuse, le mélange varié de la vie du soldat macédonien, du faste persan et de la civilisation hellénique, tout cela ensemble donne une image aussi singulière que caractéristique de. la cour de ce jeune roi, qui savait bien qu'à la gloire de ses triomphes et de ses fondations il devait encore ajouter la pompe de l'Orient et toute la majesté de la plus haute splendeur terrestre, s'il voulait que les peuples nouvellement gagnés ne se méprissent pas sur une grandeur qu'ils étaient prêts à adorer comme surhumaine.

Alexandre tint à Zariaspa une cour de justice, selon la forme antique des Perses, pour juger Bessos. Le régicide comparut enchaîné devant l'assemblée des grands convoqués dans cette ville[47] ; Alexandre lui-même formula l'accusation ; l'assemblée paraît avoir rendu un verdict de culpabilité. Le roi donna ordre de lui couper le nez et les oreilles, ainsi que le voulait l'usage des Perses, puis de le conduire à Ecbatane pour y être crucifié lors des assises des Mèdes et Perses. Mutilé et battu de verges sous les yeux même de l'assemblée, Bessos fut conduit à Ecbatane pour y subir sa condamnation[48].

Vers cette époque, Phratapherne, satrape de Parthie, et Stasanor, satrape d'Arie, arrivèrent à Zariaspa ; ils amenaient enchaîné le traître Arsame qui, pendant qu'il était satrape d'Arie, avait favorisé l'invasion de Satibarzane, le Perse. Barzane auquel Bessos avait confié la satrapie des Parthes, ainsi que divers autres seigneurs qui avaient soutenu l'usurpation de Bessos. Cette capture anéantissait le dernier reste d'une opposition qui aurait pu, si elle avait été mieux conduite, mettre dans le plus grand péril le droit de la force et de la conquête. Quiconque maintenant tenait encore contre Alexandre semblait se dévouer à une cause perdue ou être le jouet de l'illusion la plus enfantine.

Parmi les ambassades qui furent introduites à la cour du roi dans le cours de l'hiver, celles des Scythes d'Europe furent en particulier mémorables. L'été précédent, Alexandre avait envoyé avec les ambassadeurs scythes quelques-uns de ses hétœres ; ceux-ci revenaient maintenant accompagnés d'une seconde ambassade qui, de nouveau, apportait les hommages de leur peuple et les présents considérés par les Scythes comme les plus précieux. Leur roi, dirent-ils, était mort dans l'intervalle ; son frère et successeur se bâtait de donner au roi Alexandre l'assurance de sa soumission et de sa fidélité d'allié, et, pour lui en donner un témoignage, il lui offrait sa fille en mariage. Si Alexandre repoussait cette offre, le roi lui demandait du moins de permettre que les filles de ses grands et de ses princes se mariassent avec les grands de sa cour et de son armée. Enfin les ambassadeurs ajoutaient que leur roi était prêt à venir en personne trouver Alexandre, s'il le désirait, pour prendre ses ordres, et que lui et ses Scythes étaient disposés à se soumettre en tout et pour tout aux ordres du roi. La décision d'Alexandre fut en rapport avec sa puissance et les circonstances actuelles ; sans accepter la proposition d'une alliance matrimoniale avec les Scythes, il renvoya les ambassadeurs avec de riches présents et avec l'assurance de son amitié pour le peuple des Scythes.

Vers ce même temps, Pharasmane, roi des Chorasmiens[49], arriva à Zariaspa avec une suite de quinze cents chevaux, afin de présenter en personne ses hommages au grand roi, car l'accueil amical que Spitamène avait trouvé chez les Massagètes, ses voisins, pouvait facilement le faire soupçonner lui-même ; il régnait sur la région de l'Oxus inférieur et il assurait qu'il était voisin de la tribu des Colchidiens et du peuple féminin des Amazones ; au-cas où Alexandre aurait l'intention d'entreprendre une campagne contre les Colchidiens et les Amazones et de tenter la conquête du pays jusqu'au Pont-Euxin, il s'offrait à lui montrer le chemin et à, pourvoir aux besoins de l'armée dans cette expédition[50]. La réponse que fit Alexandre à cette proposition nous permet de jeter un coup d'œil sur l'enchaînement ultérieur de ses plans : malgré leur hardiesse, Us témoignent incontestablement d'une connaissance remarquable des conditions géographiques de ces différentes contrées dont l'existence fut révélée pour la première fois par son expédition. Déjà il avait appris par le témoignage de ses yeux, ainsi que par les rapports de son ambassade et par ceux des indigènes, que l'Océan, qu'il croyait encore en communication directe avec la mer Caspienne[51], n'était nullement voisin des frontières nord de l'empire des Perses, que les hordes scythes possédaient encore d'immenses territoires vers le Nord et qu'il était impossible de trouver de ce côté pour le nouveau royaume une frontière naturelle dans la Grande-Mer. Il comprit au contraire fort bien que, pour assujettir complètement le plateau de l'Iran, — ce qui restait toujours pour lui le plus pressé — la possession des contrées basses environnantes avait une importance essentielle ; et la suite des temps a montré combien il était dans le vrai en prenant l'Euphrate et le Tigre, l'Oxus et l'Iaxarte, l'Indus et l'Hydaspe comme points d'appui de sa domination sur la Perse et l'Ariane. Il répondit à Pharasmane qu'il ne pouvait, pour le présent, songer à pénétrer dans les régions voisines du Pont, et que l'œuvre qu'il devait entreprendre d'abord était la soumission de l'Inde ; qu'ensuite, une fois maître de l'Asie, il avait l'intention de retourner en Grèce et de pénétrer dans le Pont, avec 'toutes ses forces, par l'Hellespont et le Bosphore ; Pharasmane pouvait donc ajourner jusqu'à ce moment-là ses offres actuelles. Pour le présent, le roi conclut avec lui alliance et amitié, lui recommanda les satrapes de Bactriane, de Parthie et d'Arie, et le congédia en lui donnant toutes les marques de sa bienveillance.

Toutefois les circonstances ne permettaient pas encore de commencer la campagne de l'Inde. La Sogdiane, il est vrai, avait été soumise et ravagée, mais le châtiment rigoureux qu'Alexandre avait infligé à ce malheureux pays, loin d'apaiser les esprits, parut, après un court moment de stupeur, devoir produire par contrecoup une exaspération générale[52]. Les habitants s'étaient réfugiés par milliers dans des places environnées de murs, sur les hauteurs, dans les châteaux-forts que possédaient au milieu des montagnes les seigneurs du haut pays et des régions où les montagnes forment frontière du côté de l'Oxus ; sur tous les points où la nature offrait quelque défense se trouvaient des bandes de fugitifs d'autant plus redoutables que leur cause était désespérée. Il était impossible à Peucolaos, avec ses trois mille hommes, de maintenir l'ordre et de protéger le pays plat ; de tous côtés les masses se réunissaient pour former une insurrection formidable ; il semblait qu'il ne manquait plus qu'un chef qui mit à profit l'absence d'Alexandre. Spitamène, qui, à en juger par l'attaque sur le Polytimétos, n'était pas sans habileté militaire, réfugié comme il était alors dans le pays des Massagètes, parait être resté étranger à cette seconde défection des Sogdianiens : du moins il serait difficile autrement de comprendre pourquoi il n'accourut pas avec ses Scythes. L'extension qu'Alexandre laissa prendre à la révolte avant de la comprimer était un signe que, pour le moment, ses forces actives n'étaient pas en mesure d'aller chercher ces ennemis nombreux et hardis jusque dans leurs montagnes ; en effet, après avoir laissé des garnisons dans les villes d'Alexandrie en Arachosie, sur le Paropamisos et sur le Tanaïs, il ne pouvait guère lui rester plus de 10.000 hommes disponibles. Ce ne fut que dans le courant de l'hiver qu'arrivèrent d'Occident des renforts importants, comprenant une colonne d'infanterie et de cavalerie que Néarchos, satrape de Lycie, et Asandros, satrape de Carie, avaient enrôlée, une seconde qu'amenèrent Asclépiodore, satrape de Syrie, et l'hyparque Ménès, et une troisième sous les ordres d'Épocillos, de Ménidas et de Ptolémée, le stratège des Thraces, le tout formant près de 17.000 hommes de pied et 2.600 cavaliers[53]. Alors seulement le roi eut assez de troupes autour de lui pour poursuivre l'insurrection de la Sogdiane jusque dans ses derniers repaires.

Au printemps de 328, le roi quitta la résidence de Zariaspa, où les malades de la cavalerie macédonienne restèrent dans le lazaret, sous la garde d'environ quatre-vingts cavaliers mercenaires, ainsi que quelques jeunes nobles. L'armée gagna l'Usus ; comme une source d'huile jaillit près de la tente du roi, Aristandros déclara que c'était un signe qu'on vaincrait, mais que la victoire demanderait beaucoup de peine ; et en effet, la plus grande prudence était nécessaire pour tenir tête à ces ennemis qui menaçaient de tous côtés. Le roi divisa son armée de telle sorte que Méléagre, Polysperchon, Attale et Gorgias restèrent à Bactres avec leurs phalanges pour garder le pays[54], tandis que le reste de l'armée, divisé en cinq colonnes, sous la conduite du roi, de l'hipparque Héphestion, du garde du corps Ptolémée, du stratège Perdiccas et du satrape de Bactriane Artabaze, auquel était adjoint le stratège Cœnos, s'avança en différentes directions sur le territoire de la Sogdiane. Nous n'avons aucun renseignement sur le détail des opérations ; les auteurs disent seulement d'une manière générale qu'une partie des places fortes furent prises d'assaut et que les autres se soumirent volontairement ; en peu de temps, la partie la plus importante du territoire transoxianique, la vallée du Polytimétos, fut de nouveau au pouvoir du roi, et les colonnes victorieuses, arrivant chacune de son côté, se réunirent à Maracanda. Cependant les montagnes de l'est et du nord étaient encore entre les mains de l'ennemi, et il était à supposer que Spitamène, qui s'était réfugié chez les hordes toujours prêtes au pillage des Massagètes, les entraînerait à de nouvelles incursions ; en même temps, il fallait user de tous les moyens pour mettre fin aussi promptement que possible, par une organisation nouvelle et énergique, à l'anarchie effrayante où se trouvait le pays, surtout pour aider et apaiser la population dispersée, sans abri et privée des choses les plus nécessaires. Héphestion reçut ensuite mission de fonder de nouvelles villes, d'y réunir les habitants des villages et de leur procurer des moyens d'existence[55], tandis que Cœnos et Artabaze s'avançaient contre les Scythes afin de s'emparer, si c'était possible, de la personne de Spitamène ; quant à Alexandre, il partit lui-même avec le gros des troupes, pour achever la soumission du pays en prenant les uns après les autres les châteaux situés dans les montagnes. Il. s'en empara sans grande peine, et revint à Maracanda pour y prendre du repos. De terribles événements devaient signaler le séjour qu'il y fit.

Le vieil Artabaze avait demandé à être déchargé du service, et le roi, pour le remplacer, avait désigné comme satrape de Bactriane l'hipparque Clitos, Clitos le Noir, comme on l'appelait. De grandes chasses, des festins remplissaient les journées. Un de ces jours était une fête de Dionysos, et le roi, dit-on, au lieu de la célébrer, fêta les Dioscures. Le dieu en fut irrité, et le roi se trouva ainsi chargé d'une faute grave, bien que les avertissements ne lui eussent pas manqué. Comme il avait reçu de beaux fruits qu'on avait envoyés de la mer, il invita Clitos à venir les manger avec lui. Clitos était sur le point d'offrir un sacrifice ; il le laissa, et, tandis qu'il se rendait en toute hâte près du roi, trois brebis déjà aspergées pour le sacrifice coururent après lui. Aristandros inte4méta cette circonstance comme un signe néfaste. Le roi avait donné l'ordre de sacrifier pour Clitos ; il était doublement inquiet à son sujet, à cause d'un rêve étrange qu'il avait eu la nuit précédente et dans lequel il avait vu Clitos vêtu de noir et assis entre les deux fils de Parménion couverts de sang.

Le soir, poursuit la narration, Clitos vint se mettre à table : le vin avait excité la gaieté des convives et la nuit s'avançait , on louait les hauts faits d'Alexandre ; il avait fait, disait-on, de plus grandes choses que les Dioscures, et Héraclès lui-même ne pouvait lui être comparé ; ce n'était que l'envie qui refusait -à Alexandre vivant les mêmes honneurs qu'on accordait à ces héros. Clitos était déjà échauffé par le vin ; l'entourage perse du roi, l'admiration excessive des plus jeunes, les flatteries effrontées des sophistes et des rhéteurs helléniques que le roi souffrait près de lui l'agaçaient depuis longtemps déjà ; cette façon cavalière de parler des grands 'héros fit éclater sa mauvaise humeur : ce n'était pas ainsi qu'il convenait de célébrer la gloire du roi ; ses gestes après tout n'étaient pas si fameux que le donnaient à entendre ces flatteurs, et une bonne part de cette gloire revenait aux Macédoniens. Alexandre entendit avec déplaisir un langage si choquant dans la bouche d'un officier qu'il avait honoré plus que tous les autres ; cependant il se tut. Le débat devenait de plus en plus bruyant ; les actions du roi Philippe furent également mises sur le tapis, et comme on prétendait qu'il n'avait rien fait de grand ni de remarquable et que toute sa gloire consistait à s'appeler le père d'Alexandre, Clitos se leva pour défendre le nom de son vieux roi, rabaisser les actions d'Alexandre, se louer, lui et les vieux stratèges, rappeler Parménion massacré et ses fils, féliciter tous ceux qui étaient tombés ou avaient été mis à mort avant d'avoir .vu les Macédoniens fouettés avec des verges médiques et demandant à des Perses d'être admis en présence de leur roi. Plusieurs des vieux stratèges se levèrent, rappelèrent aux convenances l'officier échauffé par le vin et la passion, et cherchèrent vainement à apaiser l'agitation qui grandissait. Alexandre se tourna vers son voisin de table, qui était un Hellène, et lui dit : N'est-il pas vrai que vous autres Hellènes, vous croyez être parmi les Macédoniens comme des demi-dieux au milieu d'animaux ? Clitos cria plus fort ; se tournant vers le roi, il lui dit à haute voix : Cette main t'a sauvé au Granique ; pour toi, dis ce que tu voudras, et invite dorénavant à ta table, non plus des hommes libres, mais des Barbares et des esclaves qui baisent le bord de ton vêtement et adorent ta ceinture à la mode perse ! Alexandre ne retint plus sa colère ; il se leva pour saisir ses armes ; les amis les avaient enlevées : il cria en macédonien à ses hypaspistes de venger leur roi ; aucun ne vint : il ordonna au trompette de sonner l'alarme, et, comme il n'obéissait pas. il lui donna un coup de poing sur le visage. On se comportait maintenant avec lui comme avec Darius lorsque, saisi et enlevé par Bessos et ses compagnons, il ne lui restait plus que le misérable titre de roi ; et celui qui le trahissait, c'était cet homme qui lui était redevable de tout, ce Clitos ! L'officier, que les amis avaient fait sortir, venait de rentrer à l'autre bout de la salle dans le moment où son nom était prononcé. Clitos ! le voilà, Alexandre ! Et il se mit à réciter les vers où Euripide parle de l'injuste coutume qu'on a, tandis que l'armée remporte la victoire au prix de son sang, de n'attribuer cependant le succès qu'au seul général, lequel trône du haut de son grade et méprise le peuple, lui qui cependant n'est rien ![56] Alexandre arracha alors une pique des mains d'un garde et la lança contre Clitos, qui aussitôt tomba mort à ses pieds. Les amis reculèrent épouvantés : la fureur du roi était tombée ; le remords, la douleur, le désespoir s'étaient emparés de lui ; on dit que, retirant la javeline de la poitrine de Clitos, il l'appuya contre le sol pour se tuer sur le cadavre. Les amis le retinrent et le portèrent sur son lit. Il y resta pleurant, poussant des cris de douleur, répétant le nom de celui qu'il avait tué, le nom de Lanice, sa nourrice, sœur de sa victime : c'était donc ainsi que celui qui avait sucé son lait récompensait les soins qu'elle lui avait donnés ! ses fils étaient tombés en combattant pour lui, et de sa propre main il avait tué son frère ; il avait tué celui qui lui avait sauvé la vie ! Il se rappelait le vieux Parménion et ses fils ; il ne se lassait pas de s'accuser d'être le meurtrier de ses amis, de se maudire et d'appeler la mort. Pendant trois jours, il resta ainsi couché sur le cadavre de Clitos, renfermé dans sa tente, sans dormir, sans boire et sans manger ; et quand l'épuisement lui eut enlevé la voix, on entendait encore sortir de sa tente de profonds soupirs. Les troupes, pleines d'une vive inquiétude au sujet de leur roi, se réunissaient, portaient leur jugement sur la victime : à leur avis, c'était à bon droit que Clitos avait été tué. Alexandre ne les écoutait pas. Enfin les stratèges se hasardèrent à ouvrir sa tente ; ils le conjurèrent de se souvenir de son royaume et lui dirent que, d'après les signes divinatoires, c'était Dionysos qui avait provoqué ce désastreux incident : ils parvinrent à la fin à tranquilliser le roi, qui donna l'ordre d'offrir des sacrifices au dieu courroucé.

Telles sont, dans leurs points essentiels, les données fournies par nos sources ; elles ne suffisent pas pour qu'on puisse dire avec certitude de quelle manière arriva ce terrible événement, et moins encore pour qu'il soit possible d'établir, entre le meurtrier et la victime, la mesure de la culpabilité. Ce fut un acte terrible que celui auquel le roi se laissa entraîner par un accès de colère, mais il faut dire qu'il rencontrait pour la première fois et au complet dans Clitos l'irritation et la rébellion que sa volonté et ses actes avaient fait naître parmi ceux-là même dans la force et la fidélité desquels il devait se confier, le profond abîme qui le séparait de la manière de sentir des Macédoniens et des Hellènes. Il se repentit du meurtre ; il sacrifia aux dieux : les moralistes qui le condamnent négligent de nous dire ce qu'il aurait dû faire de plus.

Tandis que ces événements se passaient à Maracanda, Spitamène avait encore fait une tentative pour pénétrer sur le territoire de la Bactriane. Il s'était réfugié parmi les Massagètes avec le reste de ses Sogdianiens et avait enrôlé parmi eux une troupe de six à huit cents cavaliers, puis il était apparu subitement à leur tête devant une des places fortes de la frontière, avait su attirer la garnison au dehors et l'avait surprise dans une embuscade. Le gouverneur de la place était lui-même tombé entre les mains des Scythes, et, tandis que la plupart de ses gens étaient restés sur le champ de bataille, il avait été pris et emmené. Enhardi par ce succès, Spitamène se présenta quelque jours après devant Zariaspa. La garnison de cette ville, à laquelle il faut ajouter les soldats qui étaient sortis du lazaret après guérison et qui étaient presque tous des hétœres de la cavalerie, parut trop importante pour qu'il fût prudent de tenter un assaut ; les Massagètes se retirèrent, mettant tout à feu et à sang dans les champs et les villages des environs. Dès que Pithon, qui était administrateur de la place[57], et Aristonicos, le cithariste, en eurent connaissance, ils appelèrent aux armes les quatre-vingts cavaliers, les soldats sortis de l'hôpital et les jeunes nobles qui se trouvaient dans la ville, et sortirent à la hâte pour châtier les Barbares qui pillaient les alentours. Ceux-ci abandonnèrent leur butin et ne parvinrent qu'avec peine à s'échapper ; un grand nombre furent pris ou tués. Comme la petite troupe, fort satisfaite, se retirait vers la ville, Spitamène, qui s'était mis en embuscade, tomba sur elle avec une telle furie que les Macédoniens furent culbutés et que leur retraite fut presque coupée ; sept hétœres et soixante mercenaires, parmi lesquels se trouvait le cithariste, restèrent sur la place ; Pithon, grièvement blessé, resta aux mains de l'ennemi, et la ville elle-même faillit tomber au pouvoir des Barbares. Cratère fut promptement instruit de cet événement, mais les Scythes n'attendirent pas son arrivée ; ils se retirèrent vers l'ouest, renforcés à chaque instant par de nouvelles troupes. Cratère les rejoignit à l'entrée du désert, et il s'ensuivit un combat opiniâtre : la victoire se décida enfin pour les Macédoniens ; Spitamène, après avoir perdu cent cinquante hommes, s'enfuit dans le désert, ce qui rendit dès lors toute poursuite impossible[58].

Des nouvelles de cette nature firent plus que les prières des amis ou les consolations de flatteurs effrontés pour rappeler le roi à son devoir. On partit de Maracanda ; Amyntas reçut la satrapie de Bactres, qui avait été destinée à Clitos ; Cœnos resta avec son régiment, celui de Méléagre et quatre cents hommes de la cavalerie, avec tous les acontistes à cheval et autres troupes qu'Amyntas avait commandées jusqu'alors[59], afin de couvrir la Sogdiane. Héphestion se rendit en Bactriane avec un corps de troupes, pour pourvoir à l'entretien de l'armée pendant l'hiver[60] ; Alexandre se dirigea de sa personne vers Xenippa[61], où un grand nombre d'insurgés s'étaient réfugiés. A la nouvelle de l'approche d'Alexandre, ces insurgés, chassés par les habitants qui ne voulaient pas mettre leurs biens en danger par une hospitalité inopportune, cherchèrent à frapper sur les Macédoniens un coup de surprise. Forts d'environ deux mille chevaux, ils se jetèrent sur une partie de l'armée macédonienne ; mais, après un combat longtemps incertain, ils furent obligés de plier ; ils avaient perdu environ huit cents hommes, tant morts que prisonniers. Voyant leur nombre ainsi diminué, n'ayant plus ni chef, ni provisions, ils préfèrent se soumettre. Le roi se tourna alors contre la forteresse de Sisimithrès, construite sur un rocher dans le pays bactrien[62] ; il fallut de grands efforts pour en approcher, et de plus grands encore pour préparer l'attaque ; mais Sisimithrès se rendit avant l'assaut.

Cependant Spitamène, avant d'avoir été complètement chassé des pays frontières par les succès et les forces de l'ennemi, avait cru devoir faire encore une tentative contre la Sogdiane. A la tête de ceux qui s'étaient enfuis avec lui et avec trois mille cavaliers scythes qu'attirait l'espoir du butin promis, il parut soudain devant Baga, sur les confins de la Sogdiane, du côté du désert des Massagètes[63]. Informé de cette invasion, Cœnos s'avança rapidement contre lui avec ses troupes, et les Scythes, après un sanglant combat et une perte de huit cents hommes, furent contraints de se retirer. Les Sogdianiens et les Bactriens, voyant échouer leur dernière tentative, abandonnèrent Spitamène pendant la déroute et vinrent, sous la conduite de Datapherne, se soumettre à Cœnos. Les Massagètes, trompés dans leur espoir de faire du butin en Sogdiane, pillèrent les tentes et les chariots des alliés qui les abandonnaient et s'enfuirent dans le désert avec Spitamène. A ce moment, la nouvelle se répandit qu'Alexandre était en marche pour pénétrer dans la steppe ; les Massagètes coupèrent alors la tête à Spitamène et l'envoyèrent au roi[64].

La mort de cet adversaire aussi hardi que criminel fit disparaître les dernières inquiétudes ; la tranquillité revint enfin dans le Jardin de l'Orient, qui n'avait pas besoin d'autre chose pour refleurir après tant de combats et de ravages et pour retrouver son antique prospérité. L'hiver était arrivé ; c'était le dernier qu'Alexandre avait l'intention de passer dans ces pays ; les différentes divisions de l'armée se réunirent à Nautaca pour y prendre leurs quartiers d'hiver. Les satrapes des contrées voisines, Phratapherne de Parthie et Stasanor d'Arie, qui, l'hiver précédent, lorsqu'ils s'étaient trouvés à Zariaspa, avaient reçu diverses commissions, sans doute relatives à l'armée, vinrent à Nautaca. Phratapherne fut renvoyé avec mission de s'emparer d'Autophradate , satrape des Merdes et Tapuriens, qui commençait à mépriser d'une façon inquiétante les ordres d'Alexandre ; quant à Stasanor, il retourna clans son pays. Atropatès fut envoyé en Médie, avec ordre de déposer le satrape Oxydatès, qui s'était montré oublieux de son devoir, et de prendre sa place. Comme Mazæos était mort, Babylone elle-même reçut un nouveau satrape dans la personne de Stamène. Sopolis , Ménidas et Épocillos allèrent en Macédoine pour en ramener des troupes[65].

Le séjour d'hiver à Nautaca semble avoir été employé à des préparatifs pour la campagne de l'Inde, qu'Alexandre avait l'intention d'entreprendre vers l'été de l'année suivante, aussitôt qu'il serait possible de traverser les hautes montagnes. Il y avait encore dans ces montagnes, du côté où se trouvait Alexandre, quelques forteresses où s'étaient refugiées les dernières forces des récalcitrants.

Dès le commencement du printemps[66], le roi s'avança contre le rocher sogdianien[67] sur lequel le Bactrien Oxyartès avait réuni ses partisans, parce qu'il tenait la forteresse pour imprenable. Elle était pourvue de vivres pour un long siège, et la neige qui était tombée en abondance l'avait suffisamment pourvue d'eau, en même temps qu'elle avait rendu l'escalade du rocher doublement périlleuse. Alexandre, arrivé devant la place, la fit sommer de se rendre, promettant de laisser sortir librement tous ceux qui s'y trouvaient. On lui répondit qu'il n'avait qu'à, chercher des soldats qui eussent des ailes. Résolu à, s'emparer de la forteresse, n'importe comment, le roi fit publier dans le camp par un héraut qu'il fallait escalader la pointe de rocher qui dominait la forteresse, et que douze prix étaient destinés à ceux qui y parviendraient les premiers : douze talents au premier, pour le douzième un talent, et la gloire pour tous ceux qui prendraient part à l'entreprise. Trois cents Macédoniens habitués à gravir les montagnes s'avancèrent et reçurent les instructions nécessaires ; ensuite chacun d'eux se munit de quelques piquets de fer semblables à ceux dont on fait usage pour les tentes, et de fortes cordes. Vers minuit, ils s'approchèrent de l'endroit du rocher qui était le plus escarpé, et qui par conséquent n'était pas gardé. D'abord ils gravirent avec peine ; bientôt commencèrent des murailles de rochers à pic, des couches de glace glissantes, des neiges sans adhérence ; à chaque pas croissaient la peine et le danger. Trente de ces intrépides furent précipités dans l'abîme ; mais les autres atteignirent enfin le sommet aux premières lueurs du jour, et laissèrent flotter au vent leurs banderoles blanches. Dès qu'Alexandre aperçut le signal convenu, il envoya de nouveau un héraut pour annoncer aux avant-postes ennemis qu'il avait trouvé les soldats ailés, qu'ils étaient au-dessus de leur tête et qu'il était impossible de continuer la résistance. Les Barbares, stupéfaits de voir que les Macédoniens avaient trouvé un chemin pour gravir le rocher, n'hésitèrent plus à se rendre, et Alexandre pénétra dans la forteresse. Un riche butin y tomba entre ses mains ; parmi ce butin se trouvaient beaucoup de femmes et de filles de nobles Sogdianiens et Bactriens, et entre autres la belle Roxane, fille d'Oxyartès. Elle fut la première pour qui le roi s'éprit d'amour : il dédaigna de faire valoir sur la prisonnière ses droits de vainqueur ; un mariage avec elle devait sceller la paix avec le pays. A cette nouvelle, le père de Roxane accourut auprès d'Alexandre, et la beauté de sa fille lui valut sa grâce.

Restait encore la forteresse de Choriène dans le pays de Parætacène, région montagneuse de l'Oxus supérieur, où plusieurs des rebelles s'étaient réfugiés. Les ravins boisés et impraticables qu'il fallait traverser étaient encore couverts d'une neige épaisse ; de fréquentes averses, le verglas, de terribles orages rendaient encore la marche plus pénible. L'armée manquait des choses les plus nécessaires ; un grand nombre de soldats périrent de froid[68] ; l'exemple du roi, qui partageait avec les siens et les privations et la fatigue, soutenait seul encore le courage des troupes. On raconte que le roi, un soir qu'il était assis au feu du bivouac pour se réchauffer, aperçut un vieux soldat engourdi par le froid, qui s'avançait en chancelant et comme sans savoir ce qu'il faisait, et qu'alors il se leva, lui prit ses armes et le fit asseoir sur sa chaise de campagne. Le vétéran, lorsqu'il eut reprit ses sens, reconnut son roi et se leva tout troublé. Vois-tu, camarade, lui dit alors Alexandre en riant, s'asseoir sur le siège du roi est une action qui mérite la mort chez les Perses ; mais toi, elle t'a rappelé à la vie. Enfin on arriva devant la forteresse ; elle était placée sur un rocher haut et escarpé, où l'on n'accédait que par un sentier étroit et difficile ; de plus, un torrent rapide roulait au fond d'une gorge très profonde devant ce seul côté abordable. Alexandre, habitué à ne considérer aucune difficulté comme insurmontable, donna aussitôt l'ordre de couper des arbres dans les forêts de sapins qui couvraient les montagnes environnantes et d'en faire des échelles, pour commencer par s'emparer de la gorge. On travailla nuit et jour, et, au prix d'une peine indicible, on arriva enfin au fond : au moyen de pilotis, on couvrit le torrent d'un plancher ; on amoncela.de la terre par-dessus ; on remplit le ravin, et bien tôt les machines manœuvrèrent et lancèrent des projectiles contre la forteresse. Choriène, qui jusqu'alors avait regardé avec indifférence les travaux des Macédoniens, comprit alors avec stupeur combien il s'était trompé ; la forme du rocher empêchait de faire une sortie contre les adversaires, et les Macédoniens étaient protégés par leurs tortues contre les projectiles qu'on leur lançait d'en haut. Enfin, l'exemple des autres put le persuader qu'il était plus sûr de s'entendre avec Alexandre que de pousser les choses à l'extrémité ; il demanda par un héraut à Alexandre de pouvoir s'aboucher avec Oxyartès, ce qui lui fut accordé, et Oxyartès sut lever facilement les dernières hésitations de son ancien compagnon d'armes. Choriène parut donc, accompagné de quelques-uns de ses gens, devant Alexandre, qui le reçut de la façon la plus gracieuse et le félicita de confier plutôt son salut à un homme loyal qu'à un rocher. Il le retint près de lui dans sa tente, et lui demanda d'envoyer quelques uns de ceux qui l'avaient accompagné avec ordre de rendre la forteresse aux Macédoniens par un traité à l'amiable, promettant que le passé serait pardonné à tous ceux qui s'y trouvaient renfermés. Le lendemain, Alexandre, accompagné de cinq cents hypaspistes, monta lui-même visiter la place dont il admira la force, et rendit justice à Choriène pour toutes les mesures de prudence et les dispositions qu'il avait prises en vue d'un long siège. Choriène s'obligea à pourvoir l'armée de vivres pour deux mois, et fit distribuer par tentes aux troupes macédoniennes, qui avaient beaucoup souffert du froid et des privations pendant les derniers jours, du pain, du vin et de la viande salée pris sur les surabondantes provisions de la forteresse.

Alexandre rendit à Choriène la forteresse et le territoire environnant[69], et il s'achemina lui-même vers Bactres, avec la plus grande partie de l'armée, tandis qu'il envoyait Cratère plus loin avec 600 hommes de la cavalerie, avec son régiment et trois autres encore vert la Parætacène, contre Catanès et Haustanès, les seuls révoltés qui restassent encore. Les Barbares furent défaits dans une sanglante bataille : Catanès fut tué ; Haustanès, prisonnier, fut conduit devant Alexandre ; le pays fut obligé de se soumettre, et bientôt Cratère vint avec ses troupes rejoindre le roi à Bactres[70].

Qu'on nous permette de revenir ici sur une remarque que nous avons faite plus haut ; incertaine comme elle l'est, elle n'a d'autre but que d'appeler l'attention sur un point important pour l'intelligence des événements. Un écrivain postérieur, qui a travaillé d'après d'excellentes sources, donne, à l'occasion de la répartition des satrapies pendant l'été de 323, l'indication suivante : à savoir, qu'Oropios eut la royauté en Sogdiane, non comme un héritage paternel, mais en vertu d'une donation d'Alexandre ; puis que, s'étant enfui à la suite d'une révolte, il perdit sa puissance, et que la Sogdiane revint de cette façon au satrape de Bactriane[71]. Aucun autre écrivain ne mentionne cette circonstance ; mais, à la façon dont procèdent nos auteurs, ce n'est pas là un motif pour élever des doutes sur ce renseignement. Il n'est plus possible de reconnaître quel nom se cache sous celui d'Oropios, qui est certainement erroné ; c'est peut-être celui d'un de ces grands qui, après une courageuse résistance, firent leur paix avec Alexandre et se soumirent, tels que ce Choriène[72] ou ce Sisimithrès auquel, d'après le rapport de Quinte-Curce, le roi rendit sa puissance en lui donnant même l'espérance d'en obtenir une plus étendue.

Si ces observations sont justes, c'est qu'alors Alexandre essaya ici, pour les Marches de son empire dans les contrées oxianiques, le même système que nous le verrons employer sur une plus grande échelle dans les contrées de l'Inde. La Sogdiane devient la marche transoxianique, sous un roi dépendant de l'empire ; cette région, ainsi que les villes libres hellénistiques échelonnées jusqu'au Tandis et la grande satrapie de Bactriane, qui s'étend en arrière et qui comprend aussi la contrée populeuse de la Margiane, protègent à la fois et le côté de l'empire voisin des hordes errantes du désert, et les grandes routes d'Hécatompylos, d'Alexandrie d'Arie, celle de l'Inde qui traversé le Caucase et la route commerciale de la Haute-Asie par la Ferghana. On comprend pourquoi Alexandre ne voulut pas adjoindre à son royaume la Ferghana elle-même, le Khôkand actuel : il se contenta d'avoir par Khodjend le défilé en son pouvoir ; l'annexion d'un autre territoire avancé n'aurait fait qu'affaiblir la frontière septentrionale de son empire et sa force défensive.

Deux ans s'étaient écoulés depuis qu'Alexandre était arrivé dans ces contrées et avait commencé une entreprise qui semblait avoir réussi d'autant plus complètement qu'on avait eu à surmonter de plus grandes difficultés. Cette entreprise avait coûté suffisamment de peines, de mesures sanglantes, de combats sans cesse renaissants contre des masses révoltées[73] et contre l'insolente résistance des seigneurs retranchés dans leurs forteresses au milieu des rochers. Maintenant la population était domptée, les seigneurs du pays châtiés, leurs forteresses détruites, et ceux qui enfin s'étaient soumis avaient reçu leur pardon. Un nombre considérable de nouvelles villes donnaient la force, l'appui et l'exemple à la vie hellénistique qui devait transformer même ces régions : on avait fondé une forme de gouvernement qui semblait répondre au tempérament particulier de ces contrées et à leur rôle militaire. Le mariage du roi avec la belle Roxane, la fille d'un de ces Pehlevanes de Sogdiane, fut alors célébré[74] et acheva cette grande œuvre. La Première cause de cette alliance petit avoir été l'inclination personnelle, mais ce fut tout autant une mesure de politique et comme un signe extérieur, un symbole de la fusion de l'Asie et de l'Europe, car Alexandre comprenait bien que cette fusion devait être la suite de ses victoires et la condition de la durée de ce qu'il voulait créer ; aussi cherchait-il à l'opérer graduellement dans un rayon de plus en plus étendu.

Il est vrai qu'il y avait des nécessités dont il fallait tenir grand compte dans cette entreprise, dans cette réalisation qui se poursuivait au fur et à mesure. Étant donné la nature des éléments qui devaient s'unir et se fondre, l'élément asiatique, moins souple, moins libre, mais plus fort par le poids des masses indolentes, devait d'abord l'emporter. Il fallait gagner cet élément, et, si la puissance occidentale no voulait pas se contenter de le soumettre et de le dominer, mais voulait au contraire l'attirer et se le concilier, il était nécessaire que la manière de voir, les préjugés, les habitudes des peuples orientaux indiquassent eux-mêmes la voie dans laquelle il fallait marcher pour habituer ces peuples à un régime nouveau et leur apprendre à s'assimiler peu à peu la civilisation infiniment plus riche et plus développée des vainqueurs. De là cette pompe asiatique dont Alexandre s'entourait ; de là le costume, à peu près semblable à celui des Mèdes, sous lequel il paraissait lorsqu'il n'était pas sous les armes ; de là le cérémonial et le luxe de la cour que l'Oriental demande à voir autour de ses maîtres, comme la parure de l'État ; de là enfin la fable de la génération divine du roi, un conte dont il se moquait lui-même avec ses intimes.

De leur côté, les Macédoniens, au milieu des richesses de l'Asie, de cette nouvelle vie pleine de merveilles dont chaque jour déversait sur eux les faveurs avec plus d'abondance, des continuelles fatigues du service des armes, do l'ivresse sans fin de la victoire, de la gloire et de la domination, avaient perdu cette simplicité et ces goûts modestes dont, un siècle auparavant, se moquaient encore les orateurs attiques ; l'enthousiasme pour leur roi, qui après comme avant combattait parmi eux, l'éclat merveilleux de son héroïsme, dont la splendeur se réfléchissait sur eux-mêmes, l'attrait de la puissance, qui donnait à chacun dans sa sphère une haute opinion de lui-même et le désir de nouveaux exploits, leur avaient fait oublier qu'ils auraient pu être des laboureurs et des bergers paisibles dans leur pays. Et dans la patrie elle-même, les bergers, les laboureurs, les habitants des villes, comme stupéfaits de voir leur petit pays élevé soudain au faite de la gloire et de la grandeur historique, apprenaient vite, en entendant les merveilleux récits de ceux qui revenaient en Macédoine et en voyant les richesses de l'Asie affluer chez eux, à se considérer comme le premier peuple du monde ; la grandeur de la royauté que jadis ils avaient vue vivant près d'eux et familièrement avec eux sur un coin de terre croissait à l'infini, en proportion de la distance de Babylone, d'Ecbatane, de la Bactriane et de l'Inde.

Le peuple des Hellènes enfin, — séparé sous le rapport géographique en tant de cercles excentriques et qui, dans les endroits où il était réuni en masses plus épaisses, était, après comme avant, profondément fractionné au point de vue politique et particulariste à outrance, — comptait pour bien peu de chose, quant au nombre des individus directement intéressés à l'entreprise, en comparaison de l'immense population de l'Asie ; mais ce qu'on peut considérer comme la somme du développement historique du monde grec, c'est-à-dire sa civilisation, en avait d'autant plus de poids. Les éléments de cette civilisation, ou plutôt ses résultats pour les particuliers comme pour la généralité, étaient la liberté de la pensée et l'autonomie démocratique. L'essor intellectuel, avec tous ses avantages et ses inconvénients, ici l'incrédulité, là la superstition, souvent toutes deux à la fois, avait dépouillé les esprits de l'antique et simple religiosité, de la foi aux Puissances éternelles et de la crainte qu'elles inspirent : il ne restait plus qu'un ramassis de cérémonies, de sacrifices, d'auspices et de recettes magiques, qui étaient entrés dans les habitudes et avaient gardé leur 'valeur conventionnelle. Maintenant l'adresse tenait lieu de piété ; la frivolité, l'amour des aventures et du gain, l'ambition de se faire jour n'importe comment, l'habileté à exploiter les aptitudes particulières que l'on avait ou les avantages qu'on possédait ; telles étaient et telles devenaient de plus en plus les sollicitations de la morale pratique. La démocratie était la forme naturelle d'un gouvernement assis sur une telle base. Solon avait déjà dit de ses Athéniens : Chacun pris en particulier est adroit comme un renard ; mais, réunis, ils ont l'esprit obtus. Plus cette démocratie s'était développée, — c'est-à-dire la liberté avec le travail servile et les esclaves comme classe laborieuse, — et plus était devenu hardi et pénétrant cet individualisme qui rendait les rivalités de plus en plus aigres dans le monde politique de la Grèce, qui portait les faibles à se draper dans leur impuissance et les forts à user d'une façon plus égoïste de leur pouvoir, qui avait enfin poussé l'émiettement et la paralysie réciproque au point de rendre le régime impossible, jusqu'au jour où les victoires d'Alexandre ouvrirent des voies complètement nouvelles, une carrière illimitée et productive à toutes les forces, à toutes les convoitises, à toutes les aptitudes, à l'initiative et à l'audace de chacun. A Sparte, à Athènes et dans bien d'autres villes, il pouvait bien rester encore un certain levain de tristesse, de rancune, de mauvais vouloir ; les Hellènes de Tauride pouvaient batailler ou s'arranger tant bien que mal avec leurs Scythes, comme les Siciliens et les habitants de la Grande-Grèce avec les Carthaginois et les Italiotes ; il n'en est pas moins vrai que des milliers et des milliers d'individus se sentaient attirés par le monde nouveau de l'extrême Orient qui venait de s'ouvrir ; ils suivaient les recruteurs d'Alexandre ou allaient le trouver d'eux-mêmes pour servir dans son armée, pour chercher à se procurer dans le camp toutes sortes d'affaires et de bénéfices, ou pour s'établir dans les villes nouvellement fondées ; ils s'habituaient à vivre à la mode d'Asie, et aussi probablement à l'humble soumission des Asiatiques vis-à-vis du roi et des seigneurs, et, s'il leur restait quelque chose des mœurs helléniques, c'était seulement leur audace et leur ancienne profession. Parmi les gens cultivés, ceux qui ne tenaient pas à être les adversaires du nouveau régime se montraient des admirateurs d'autant plus enthousiastes du grand roi : rhéteurs, poètes, beaux-esprits, maîtres du bien dire et admirateurs de discours spirituels comme ils l'étaient, ils se plaisaient à lui appliquer des phrases comme celles que la tradition avait consacrées aux glorieux combattants de Marathon et de Salamine, ou aux héros tels que Persée et Héraclès, aux victoires de Bacchos et d'Achille ; même les honneurs réservés aux anciens héros et aux dieux de l'Olympe servaient à la glorification du puissant souverain. Il y avait longtemps que les sophistes avaient enseigné que tous ceux qu'on adorait comme dieux n'étaient, à proprement parler, que des guerriers distingués, de grands législateurs, en un mot, des hommes divinisés ; et, de même que bien des familles se glorifiaient de descendre de Zeus ou d'Apollon, de même un mortel pouvait bien à son tour arriver par ses hauts faits à l'Olympe, comme Héraclès, ou participer aux honneurs héroïques, comme Harmodios et Aristogiton. Les villes helléniques n'avaient-elles pas élevé des autels, offert des sacrifices et chanté des péans à Lysandre, le destructeur de la puissance athénienne ? Est-ce que Thasos n'avait pas proposé en ambassade solennelle l'apothéose et l'érection d'un temple en l'honneur d'Agésilas le Grand[75], ainsi qu'on le nommait ? Combien plus grandes n'étaient pas les actions d'Alexandre ? Callisthène citait sans scrupule dans son histoire l'oracle d'Ammon, qui avait désigné Alexandre comme le fils de Zeus, et celui des Branchides de Milet, qui avait donné la même réponse[76]. Lorsque plus tard on proposa dans les États helléniques de lui décerner les honneurs divins, ce no fut pas dans l'intérêt de la religion, mais bien par esprit do parti que la motion fut parfois rejetée.

Ceci posé, on petit se faire une idée approximative de l'entourage d'Alexandre. Ce mélange varié des intérêts les plus divers, le jeu dissimulé des rivalités et des intrigues, cette perpétuelle succession de festins et de combats, de fêtes et de fatigues, de superflu et de privations, de discipline rigoureuse en campagne et de jouissances effrénées dans les cantonnements, puis la marche en avant à travers des contrées sans cesse nouvelles, sans souci de l'avenir et. sans rien d'assuré que le présent, tout se réunissait pour donner à l'entourage d'Alexandre cette physionomie aventureuse et fantastique qui convenait à l'éclat merveilleux de ses marches triomphales. A côté de sa personnalité prépondérante, peu d'individus se font distinguer parmi la foule ; leurs rapports avec le roi constituent leur caractère[77] ; tel est le noble Cratère, qui, dit-on, aimait le roi, et le doux Héphestion, qui aimait Alexandre ; tels le Lagide Ptolémée, serviteur dévoué et toujours prêt à faire son devoir, le paisible Cœnos, inébranlable dans sa fidélité, le revêche Lysimaque. Les types généraux sont plus connus ; on voit les nobles macédoniens aux allures militaires, arrogants, impérieux, orgueilleux jusqu'à en être cassants ; les princes asiatiques cérémonieux, somptueusement vêtus, passés maîtres dans les arts du luxe, de l'obséquiosité et de l'intrigue ; les Hellènes, en partie employés dans le cabinet du roi, comme Eumène de Cardia, ou occupés à d'autres travaux techniques ; d'autres étaient des poètes, des artistes, des philosophes à la suite du roi, qui, même sous les armes, n'oubliait pas les Muses et n'épargnait ni les présents, ni les faveurs, ni la condescendance pour distinguer ceux auxquels il enviait la gloire de la science.

Parmi les Hellènes qui suivaient Alexandre, on distinguait particulièrement deux lettrés qui, par un enchaînement singulier de circonstances, avaient acquis une certaine importance dans les relations de la cour. L'un était l'Olynthien Callisthène, dont nous venons de parler ; disciple et neveu du grand Aristote, qui l'avait envoyé à son royal élève, il accompagna le roi en Orient pour faire passer, en qualité de témoin oculaire, les hauts faits d'Alexandre à la postérité : on lui attribue cette parole, qu'il était venu près d'Alexandre, non pour s'acquérir de la gloire, mais pour le rendre glorieux ; que, si l'on devait croire un jour qu'il y avait dans Alexandre une nature divine, ce ne serait pas sur la foi des mensonges que débitait Olympias sur sa naissance, mais que cela dépendrait de ce qu'il dirait au monde dans son histoire. Les fragments de cette œuvre montrent combien il a célébré le roi ; en parlant de cette marche sur les grèves de Pamphylie rapportée plus haut il dit que les vagues de la mer s'abaissèrent comme pour faire l'adoration devant Alexandre ; avant la bataille de Gaugamèle, il nous montre le roi levant les mains vers les dieux et s'écriant que, puisqu'il était le fils de Zeus, ils eussent à le soutenir et à décider la victoire en faveur des Hellènes. Sa haute éducation, son talent de narrateur, son maintien grave, lui donnaient même du prestige et de l'influence dans les cercles militaires. Anaxarque d'Abdère, l'eudémonique, était tout différent ; c'était un homme du monde, toujours obséquieux envers le roi et lui étant souvent à charge. Un jour d'orage, on rapporte qu'il adressa cette question à Alexandre : Est-ce donc toi qui tonnes, ô fils de Zeus ! Et le roi, dit-on, lui répondit en riant : Je ne saurais me montrer aussi redoutable à mes amis que tu le voudrais, toi qui méprises ma table, parce que je n'y fais pas servir des têtes de satrapes en guise de poisson. C'était, paraît-il, une expression dont Anaxarque s'était servi, un jour qu'il avait vu le roi tout joyeux en face d'un plat de petits poissons que lui envoyait Héphestion. On peut apprécier en quel sens il écrivit son ouvrage De la Royauté, d'après les motifs de consolation dont on dit qu'il se servit pour tirer le roi de son abattement après le meurtre de Clitos : Ne sais-tu pas, ô roi, lui dit-il, que la Justice a été placée à côté du roi Zeus, parce que tout ce que fait Zeus est bon et juste ? ainsi faut-il que ce qu'a fait un roi dans ce monde soit reconnu comme juste, d'abord par lui-même, ensuite par le reste des hommes.

Il n'est plus possible de reconnaître à quelle époque et pour quel motif les relations du roi avec Callisthène commencèrent à se refroidir. On raconte qu'un jour, Callisthène était assis à la table du roi, et que celui-ci, pendant qu'on buvait, lui demanda de faire un discours à la louange des Macédoniens ; Callisthène s'exécuta avec le talent qui lui était particulier, au milieu des plus bruyants applaudissements des convives. Alors le roi dit qu'il était. facile de glorifier ce qui était glorieux, et que c'était en parlant contre ces mêmes Macédoniens, et en leur donnant une leçon au moyen d'une juste critique, que l'orateur devait prouver son talent. Le sophiste le fit avec une amertume mordante : c'étaient, dit-il, les déplorables divisions des Grecs qui avaient fondé la puissance de Philippe et d'Alexandre ; en temps d'émeute, un misérable peut aussi quelquefois arriver aux honneurs. Les Macédoniens indignés se levèrent, et Alexandre s'écria : Ce n'est pas de son talent, mais de sa haine contre nous que l'Olynthien a donné la preuve. Callisthène se retira dans sa tente et se dit trois fois à lui-même : Patrocle aussi dut mourir, et pourtant il était plus que toi ![78]

Il était naturel que le roi reçût les grands de l'Asie selon le cérémonial de la cour de Perse ; mais c'était pour eux une inégalité fort sensible que les Hellènes et les Macédoniens eussent le droit de s'approcher de la majesté royale sans toutes ces formules de dévouement. Quelle que fût la position et la pensée du roi, il devait lui paraître désirable que cette différence fût écartée et que la proskynésis orientale passât dans les mœurs de la cour ; mais il ne pouvait vouloir, en l'ordonnant expressément, s'exposer à être mal compris et à heurter des préjugés auxquels beaucoup étaient attachés. Héphestion et quelques autres entreprirent d'introduire cet usage. On devait commencer au prochain festin ; Anaxarque, dit-on, parla dans ce sens, tandis que Callisthène, s'adressant directement au roi, parla avec tant d'abondance, de science et même de vivacité pour l'en dissuader, que le roi, visiblement embarrassé, fit défense de parler dorénavant de cette question. D'après un autre récit, le roi, étant à table, avait pris la coupe d'or et tout d'abord avait porté un toast à ceux avec qui la proskynésis était concertée ; alors celui qui avait été salué, de la sorte, après avoir vidé sa coupe, s'était levé, avait fait la proskynésis, puis avait reçu l'accolade du roi. Le tour de Callisthène étant venu, le roi but en son honneur, puis continua à parler avec Héphestion qui était assis près de lui ; alors le philosophe vida sa coupe et se leva pour aller vers Alexandre et l'embrasser. Le roi feignit ne pas avoir remarqué que Callisthène avait négligé la proskynésis, mais un des hétœres lui dit : Ne l'embrasse pas, roi, c'est le seul qui ne t'ait pas adoré ! Alexandre alors lui refusa l'accolade, et Callisthène dit en se retirant : Hé bien ! je m'en vais plus pauvre d'un baiser[79].

On rapporte encore beaucoup d'autres choses sur ce sujet ; d'après un récit digne d'être remarqué, Héphestion aurait dit que Callisthène, dans l'entretien qui avait précédé, avait expressément donné son adhésion à la proskynésis. Selon un autre récit non moins remarquable, Lysimaque, le garde du corps, et deux autres auraient signalé au roi l'attitude dédaigneuse du sophiste ainsi que des aphorismes qu'il aurait émis sur le meurtre des tyrans, paroles auxquelles il fallait d'autant plus prendre garde que beaucoup de jeunes nobles s'attachaient à lui, écoutaient ses paroles comme des oracles et le considéraient comme le seul homme libre parmi les milliers de soldats de l'armée[80]

D'après une disposition qui datait du roi Philippe, les fils des nobles macédoniens, dès qu'ils étaient parvenus à l'adolescence, étaient appelés pour commencer leur carrière, en qualité d'enfants royaux[81], près de la personne du roi ; au point de vue militaire, ils étaient ses gardes du corps ; en campagne, ils formaient son escorte immédiate ; ils avaient la garde de nuit dans son quartier, lui amenaient son cheval, et se tenaient autour de lui à table et à la chasse. Ils étaient sous sa surveillance directe ; lui seul pouvait les punir et prenait soin de leur éducation scientifique ; c'était surtout pour eux qu'avaient été appelés les philosophes, les rhéteurs et les poètes qui accompagnaient Alexandre.

Parmi ces jeunes nobles se trouvait Hermolaos, fils de ce même Sopolis qui avait été envoyé de Nautaca en Macédoine pour y faire des recrues[82]. Hermolaos, admirateur zélé de Callisthène et de sa philosophie, avait embrassé, parait-il, avec enthousiasme les opinions et tendances de son maître ; il voyait avec un mécontentement juvénile ce mélange de l'élément perse et hellénique et la mise à l'écart des coutumes macédoniennes. Un jour de chasse, comme un sanglier entrait dans la varenne et se dirigeait du côté où le roi, qui d'après la coutume de la cour avait le premier coup, l'attendait avec sa lance, le jeune homme se permit de frapper le premier et abattit la bête. En toute autre circonstance, le roi n'aurait peut-être pas fait attention à cette infraction à la consigne, mais, comme le coupable était Hermolaos, il pensa que la faute avait été commise à dessein, et il la punit avec une sévérité proportionnée, en faisant fouetter celui qui l'avait commise et en lui enlevant son cheval. Hermolaos ne sentit pas son tort ; il ne sentit que l'offense révoltante qui lui était faite. Son ami de cœur était Sostratos, fils du Tymphéen Amyntas qui, avec ses trois frères, avait été soupçonné de complicité dans le procès de Philotas et qui, pour prouver son innocence, avait cherché la mort dans un combat ; il s'ouvrit à ce Sostratos, lui disant qu'il était dégoûté de la vie s'il ne pouvait se venger. Sostratos fut facilement gagné : n'était-ce pas Alexandre qui déjà lui avait ravi son père et qui maintenant avait outragé son ami ? Les deux jeunes gens mirent encore dans le secret quatre autres adolescents de la troupe des enfants nobles ; c'étaient Antipater, fils de l'Asclépiodore qui était devenu lieutenant de Syrie ; Épimène, fils d'Arséas, Anticlès, fils de Théocrite, et le Thrace Philotas, fils de Carsis[83]. Ils se concertèrent pour massacrer le roi pendant son sommeil, dans la nuit où Antipater serait de garde.

On raconte que, cette nuit-là, Alexandre avait soupé avec les amis et était resté plus longtemps que d'habitude dans leur compagnie. Il était plus de minuit, et le roi voulait se retirer, quand une devineresse syrienne qui le suivait depuis des années et dont il avait d'abord fait peu de cas, mais qui, l'événement ayant maintes fois justifié ses conseils et ses avertissements, avait fini par gagner la considération et l'oreille du roi, quand cette Syrienne donc lui barra soudain le passage au moment où il voulait partir, et lui dit qu'il pouvait rester et boire toute la nuit. Le roi, dit-on, suivit ce conseil, et le plan des conjurés fut ainsi éludé pour cette nuit. La suite du récit semble plus sûre : les malheureux jeunes gens n'abandonnèrent pas leur dessein ; ils résolurent de l'exécuter la première fois que la veille de nuit leur reviendrait. Le lendemain, Épimène vit Chariclès, son ami de cœur, fils de Ménandre[84], lui dit ce qui s'était déjà fait et ce qu'on allait faire encore. Chariclès, rempli de trouble, se hâta d'aller trouver Eurylochos, frère de son ami, et le conjura de sauver le roi par une prompte révélation. Celui-ci se rendit en toute hâte dans la tente du roi et dénonça le terrible plan au Lagide Ptolémée. Sur son rapport, le roi donna l'ordre d'arrêter aussitôt les conjurés ; ils furent interrogés, mis à la torture, confessèrent leur plan, désignèrent leurs complices, et déclarèrent que Callisthène connaissait leur dessein. L'arrestation du philosophe suivit cette accusation[85]. L'armée, appelée en conseil de guerre, prononça la sentence contre les conjurés et l'exécuta selon la coutume macédonienne[86]. Callisthène, qui était Hellène et n'était pas soldat, fut jeté dans les fers pour être jugé plus tard. A ce sujet, Alexandre écrivit, dit-on, à Antipater : Les enfants ont été lapidés par les Macédoniens ; mais je veux punir moi-même le sophiste ainsi que ceux qui l'ont envoyé vers moi et qui, dans leurs cités, donnent asile aux gens occupés à des trahisons contre moi. D'après le récit d'Aristobule, Callisthène mourut dans les fers, pendant la campagne de l'Inde ; selon Ptolémée, il fut mis à la torture et pendu.

 

 

 



[1] ARRIAN, III, 28, 10. IV, 7, 1.

[2] ARRIAN, III, 28, 2. Les chiffres donnés par Quinte-Curce (VII, 3, 2) se recommandent par leur vraisemblance intrinsèque. Le contingent des alliés se monte, — suivant un renseignement qui vient, il est vrai, de Diodore (XVII, 17) — à 600 cavaliers, et à la bataille d'Arbèles ce contingent est partagé entre Érigyios et Cœranos (Κοίρανος. ARRIAN, III, 12, 4 : Κάρανος, III, 28, 3) : Andronicos commandait les mercenaires grecs, au nombre de 1.500 environ, qui auparavant avaient servi Darius, et il n'est pas inadmissible qu'Artabaze, dont Alexandre faisait tant de cas et qui avait eu si souvent affaire dans se vie avec des troupes mercenaires grecques, ait reçu le commandement en chef de cette partie de la grosse infanterie. Évidemment, en sa qualité de Perse, on le choisit de préférence pour cette expédition.

[3] D'après Quinte-Curce (VII, 3, 4), Alexandre fut rejoint dans cette marche par les troupes qui avaient été sous les ordres de Parménion à Ecbatane, c'est-à-dire 6.000 Macédoniens et 200 cavaliers macédoniens, 5.000 mercenaires à pied et 600 cavaliers, haud dubie robur omnium virium regis. Malheureusement, Arrien ne dit pas comment fut exécuté l'ordre donné à Parménion (III, 19, 7), ordre enjoignant à ces troupes de suivre en traversant le pays des Cadusiens, et par conséquent en longeant ensuite la côte de la mer Caspienne, ni à quel moment ce corps rejoignit le roi. Supposer que Polydamas, en apportant l'ordre de mettre à mort Parménion, a apporté aussi celui de faire marcher ses troupes, c'est se livrer à des combinaisons arbitraires. On voit par Arrien (III, 25, 4) qu'une partie de ces troupes, les mercenaires à cheval et les Thessaliens restés volontairement au service, avaient rejoint l'armée bientôt après son départ de Zadracarta.

[4] STRABON, XVI, p. 812. Quinte-Curce décrit cette traversée du plateau de Ghizni avec des hyperboles énormes ; pourtant, un bon nombre de ses indications géographiques se trouvent confirmées par les assertions de BABER, d'ELPHINSTONE et autres.

[5] Cette halte est sous-entendue par Arrien (III, 28, 4) quand il dit qu'Alexandre a fondé une ville, célébré des sacrifices et des fêtes en cet endroit ; elle est encore attestée par Strabon (XV, p. 725).

[6] Cette route du col de Toul, appelée aussi route de Khevak, du nom d'un fort de la région, est décrite par WOOD (Journey, p. 275), qui l'a prise en 1837, au retour de son voyage de découverte aux sources de l'Oxus.

[7] Le passage classique concernant ces cols et défilés se trouve dans les Mémoires du sultan BABER (p. 139) : les défilés de l'est ont été franchis par Timour, et CHEREFFEDDIN donne là-dessus bien des détails dignes d'attention au commencement et à la fin de son quatrième livre. On a maintenant des indications plus précises dans MASSON (Journey, II, p. 352 sqq.).

[8] BURNES (Asiat. Journ., 1833. Febr., p. 163).

[9] En ce qui concerne l'emplacement de cette ville, située sub ipso Caucaso (PLINE, V, 16), il y a longtemps déjà que, contrairement à l'opinion de C. RITTER, qui croyait la retrouver dans Bamiyan, je l'ai cherchée dans la région où le Gourbend et le Poundjir se rejoignent après s'être frayé un passage à travers les dernières hauteurs. Les ruines de Kharikar et de Gharband (Gourbend), que WILSON (Ariana antiqua, p. 182) signale à 40 ou 50 milles de Caboul, semblent marquer cet emplacement. La question se trouve aujourd'hui traitée avec une exactitude plus minutieuse par CUNNINGHAM (The ancient Geography of India, 1871, I, p. 21 sqq.), à qui on peut reprocher cependant d'appliquer à tort la mention d'Étienne de Byzance (Άλεξάνδρια... έν τή Όπιανή κατά τήν Ινδικήν) à cette Alexandria sub ipso Caucaso. Je ne crois plus qu'Alexandre ait pris le chemin qui passe par Bamiyan, mais bien celui d'Anderab, localité que les auteurs anciens semblent désigner avec leur Drapsaca (ARRIAN, III, 29, 1) ou Adrapsa (STRABON, XI, p. 516). D'après Quinte-Curce (VII, 3, 23), on laisse dans la ville nouvelle 7.000 vétérans macédoniens ; d'après Diodore (XVII, 83), il reste dans la ville et dans les colonies voisines 3.000 des έκτός τάξεως συνακολουθούντων, 7.000 Barbares et, en fait de mercenaires, ceux qui voulurent.

[10] DIODORE, XVII, 83. Pour plus amples détails, voyez, dans l'Appendice du tome III, l'étude sur les villes fondées par Alexandre.

[11] STRABON, XV, p. 725. WOOD (Journey, 2e édit., 1872, p. 273 sqq.) compte d'Anderab au bout de la vallée du Poundjir 125 milles anglais : il a trouvé dans la seconde quinzaine d'avril quatre pieds de neige au point culminant de la route.

[12] ARRIAN, III, 28, 10 — CURT., VII, 4, 21. Peut-être est-on en droit de rapprocher de ces textes l'expression qu'emploie Arrien (IV, 21, 1) à propos de l'insurrection survenue plus tard en Bactriane. Ni Arrien ni les autres auteurs ne mentionnent de satrape perse en Sogdiane. Même la riche contrée de Margiane (Merv-Shahidschan) a appartenu, au moins dans l'âge précédent, comme le prouve l'inscription de Bisitoun (3, 11), à la satrapie de Bactriane : d'après ce document, c'est le satrape de Bactriane qui défait l'agitateur révolté en Margiane.

[13] Est-ce cette ville qui a reçu le nom d'Alexandrie et qu'Étienne de Byzance appelle Άλεξάνδρεια κατά Βάκτρα ? ou bien faut-il chercher cette Alexandrie de Bactriane plus à l'est, là où les géographes orientaux placent Iskandereh ? (EBN-HAUKAL, p. 224 : ABOULFEDA, éd. Reiske, p. 352.) C'est une question que je n'ose pas trancher. MÜTZELL (ad Curt., p. 654) suppose qu'Alexandre est descendu d'Anderab au cours d'eau qui se jette dans l'Oxus à Koundouz (le Chori d'AL. BURNES) : c'est en tout cas la voie la plus naturelle.

[14] ARRIAN, III, 29, 5. CURT., VII, 5, 27.

[15] A propos de ce séjour en Bactriane, Quinte-Curce (VII, 4, 32) dit : hic regi stativa habenti nuntiatur ex Græcia Peloponnesiorum Laconumque defectio : nondum enim victi erant quum proficiscerentur tumultus ejus principia nuntiaturi. Le message aurait été expédié vers le mois de juin 330 et aurait employé dix mois pour parvenir jusqu'à Alexandre. Le renseignement serait précieux, s'il ne venait pas de Clitarque.

[16] Quinte-Curce (VII, 5, 1) fait de la région que traverse l'armée un désert effroyable : il exagère à coup sûr, et il applique par anticipation au pays en deçà de l'Oxus ce qui est vrai dans une certaine mesure des contrées situées par delà En tout cas, d'après Strabon (XI, p. 510), le cours d'eau de Bactres atteint l'Oxus. De Balk à Kilif, il y a largement dix milles.

[17] ARRIAN, III, 29.

[18] Sur l'emplacement de Nautaca, nous n'avons pas d'autres indications que cette fuite de Bessos et les quartiers d'hiver des Macédoniens durant l'hiver de 328/7 (ARRIAN, IV, 18, 1). Comme le fugitif se dirigeait du côté de l'ouest, vers Boukhara, il semble qu'on doit chercher Nautaca plutôt dans le canton de Nakschab (ou Karschi), la résidence d'hiver de Timour, que plus à l'est, à Kesch (ou Schehrisebz). La route qui va de Balk au delà de l'Oxus passe le fleuve à Kilif : c'est un chemin qui offrait en même temps aux poursuivants l'avantage de leur faire éviter les montagnes considérables qui séparent Hissar du pays de Karschi, notamment le défilé dangereux de la Porte de Fer. Toute cette région entre l'Oxus et le Sogd n'est bien connue que depuis 1875, à la suite des expéditions de FEDTSCHENKO et MAJEV, et par les reconnaissances analogues organisées du côté des Anglais par le major MONTGOMMERY. Je renvoie sur ce point au Bulletin géographique de 1876 (décembre), p. 572 sqq. et à R. KIEPERT (Globus, 1877, n° 1) ; l'un et l'autre exposé sont accompagnés d'une petite carte instructive. Le rapport de MAJEV notamment double le prix des renseignements transmis par Chereffeddin.

[19] Si Nautaca est la Karschi actuelle, sur les bords de la Kaschka, elle est à 30 milles environ de Kilif et du passage de l'Oxus. Bessos, à partir de Nautaca, s'est enfui dans la direction de Boukhara, qui se trouve à 20 milles plus loin au N.-E , et il a été livré dans une localité située le long de cette route, quelque part à Karaoul-Tube, à 5 milles de Boukhara. Ceci soit dit pour expliquer les dix étapes en quatre jours de Ptolémée.

[20] ARRIAN, III, 30, 5. Le récit qu'Arrien termine ainsi est emprunté à Ptolémée. Suivant Quinte-Curce (VII, 5, 40), Bessos est livré à Oxathrès, le frère du monarque assassiné (DIODORE, XVII, 83 : c'est-à-dire qu'on applique à la lettre le droit gentilice) : chez Arrien, au contraire ; Oxathrès est le fils d'Aboulitès et le satrape d'Alexandre à Suse, tandis que le frère de Darius s'appelle Oxyartès (VII, 4, 5) et ne se confond pas avec l'Oxyartès de Bactriane.

[21] L'identification de Maracanda avec la Samarkand actuelle ne se fonde pas simplement sur la similitude du nom, que SPIEGEL (op. cit., II, p. 546) déclare insuffisante. Les Orientaux considèrent la ville comme une fondation d'Alexandre (BABER, Mém., p. 48).

[22] ARRIAN, IV, 1, 5. L'explication du mot σύλλογος est donnée par Xénophon (Œcon., IV, 6. Cyrop., VI, 2, 11). On voit aussi par Xénophon (Hellen., I, 4, 3. Anab., I, 1, 2) que le σύλλογος des troupes de l'Asie-Mineure était à Castolos. Les Mèdes et Perses avaient également leur σύλλογος à Ecbatane : c'est ce qui résulte d'un passage d'Arrien (IV, 7, 3). D'après SPIEGEL (Die Keilinschriften, p. 195. 221), Ecbatane (Han-gma-tâna) signifie littéralement lieu de réunion. C'est dans un σύλλογος de ce genre que les Perses avaient délibéré avant la bataille du Granique (ARRIAN, I, 12, 10). Il est impossible de définir avec précision ce que les Grecs entendaient par un hyparque. Dans Xénophon (Hellen., VI, 1, 7), Jason de Phères appelle le roi des Molosses Alcétas son hyparque : ailleurs (Anab., I, 2, 20), Cyrus met à mort un Perse préposé aux teintureries de pourpre καί έτερόν τινα τών ύπάρχων δύναστην (pas de glose en cet endroit) : on voit par là que le mot comporte parfaitement l'idée d'une άρχή propre, d'une autorité personnelle. Mais on voit aussi qu'Arrien l'emploie pour désigner un commandant en sous-ordre (IV, 22, 4. V, 29, 4), et il appelle Mazæos tantôt satrape (III, 16, 4), tantôt hyparque (IV, 18, 3) de Babylone.

[23] ARRIAN, IV, 21, 1 et 9.

[24] Satrapes erat Sysimithres (CURT., VIII, 2, 19) — imperium Sysimithri restituit, spe majoris etiam provinciæ facto si cum fide amicitiam ejus coluisset (VIII, 2, 32). Quinte-Curce dit d'Oxyartès : in regionem cui Oxyartes satrapes nobilis præerat (CURT., VIII, 4, 21). C'est évidemment ϋπαρχος qui est traduit les deux fois par satrapes.

[25] ARRIAN. III, 30. CURT., VII, 6. La localité en question n'est autre que le canton alpestre d'Osrouschnah, les Montes Oxii de Ptolémée : c'est ce qui ressort de la direction bien constatée des routes de la région, telles que je les ai spécifiées dans la première édition d'après les indications de Chereffeddin, et telles qu'on les trouve plus exactement tracées aujourd'hui d'après les récentes relations russes dans KIEPERT (Uebersichtskarte der nach China und Buchara führenden Strassen, 1873). Alexandre a suivi la route la plus directe : elle va de Samarkand directement au nord, l'espace de douze milles, jusqu'à Djizak, débouche dans le bassin d'un petit cours d'eau au Col-Blanc, Ak-koutel (Bitti-Codak dans Chereffeddin), entre ensuite dans le pays d'Osrouschnah en longeant d'abord la rivière de Djam (à dix milles de Djizak) par Sebat et Ouratube, puis traversant les monts Masikha (? Memaceni ap. CURT., VII, 6, 19) et se dirigeant par delà l'Aksou sur Khodjend, la position la plus importante qu'il y ait sur la ligne de l'Iaxarte (à 10 milles de Djam). Cf. FRASER, Append. et EBN-HAUKAL (cité par ABOULFEDA dans les Geographi minores, III, p. 65). Ce dernier toutefois place entre Djam et Ouratube, au lieu de Sebat, Zamin qui est plus à l'ouest. Au temps d'Achmed Alcateb (ABOULFEDA, ibid., p. 69), il y avait encore dans le pays d'Osrouschnah quelque chose comme 400 forts.

[26] Strabon (XI, p. 440) dit : τά Κΰρα έσχατον Κύρου κτίσμα έπί τώ Ίαξάρτη κείμενον. L'indication n'est pas exacte, d'après le témoignage exprès d'Arrien : cette Κυρούπολις n'était pas au bord de l'Iaxarte, mais la ville était traversée par un cours d'eau qui, en cette saison d'été, était à sec. Bien qu'à cet indice, on reconnaît qu'elle était située au pied des montagnes, à la lisière du désert. Ceci ne peut pas s'appliquer à la rivière d'Ouratube, l'Aksou, car celle-ci se jette à pleine eau dans le fleuve voisin : mais, à l'ouest des montagnes d'Ouratube, il descend des Montagnes Blanches un cours d'eau, celui de Zamin, qui coule dans la direction de Djam : arrivé là, il se dessèche. EBN-HAUKAL dit que la ville de Zamin se trouve au bas des montagnes d'Osrouschnah et qu'elle a devant elle le désert. C'est là, à mon sens, Cyropolis ou Kyreschata, qui, suivant l'opinion de H. KIEPERT, n'est pas une fondation de Cyrus, mais une ville des Kourou, de ces mêmes Kourou qui jouent un rôle avec les Pandou dans l'épopée héroïque de l'Inde : du reste le nom des Pandou se rencontre également dans cette région de l'Iaxarte (PLINE, VI, 18, § 49), et Kourou-kschatra est le nom de la ville hindoue dans le voisinage de laquelle se livre la grande bataille des Pandou et des Kourou de l'Inde. On pourrait songer, en raison de la similitude des noms, à la place forte de Kournat, à 6 milles de Khodjend (FRASER, App.), mais les distances et le caractère du pays s'y opposent.

[27] Il n'y a que Khodjend qui ait, au point de vue militaire, une importance en rapport avec le plan d'Alexandre : elle a été de tout temps la clef de la Ferghana et de Maveralnahar, le point par où ont constamment passé et repassé les invasions, une des principales stations sur la route de Samarkand à Kaschgar : les expéditions de Gengis-Khan, de Timour, de Baber, les indications des géographes orientaux en fournissent des preuves sans nombre. Le sultan Baber dit que la ville est fort ancienne, que sa citadelle est sur un rocher en saillie, à une portée de fusil du fleuve qui passe au pied et tourne au nord pour aller rouler plus loin ses eaux à travers les sables. Pline (VI, 16) parle de cette Alexandria, in ultimis Sogdianorum finibus, et c'est justement ce coude de l'Iaxarte que Ptolémée désigne comme la limite de la Sogdiane.

[28] ARRIAN, IV, 1, 1. Pour ce qui concerne les Scythes et la signification ethnographique des trois noms d'Iaxarte, de Tanaïs et de Silis (PLINE, ibid.), par lesquels on désignait le Syr-Daria, je renvoie à C. RITTER (VII, 480 etc.) et à KLAPROTH (Nouv. Journ. Asiat., I, p. 50 sqq.).

[29] ARRIAN, IV, 1, 2. Si Quinte-Curce méritait plus de confiance, il y aurait des renseignements précieux à tirer de ce qu'il dit ici (VII, 6, 12) : Berdam (Penidam éd. Mützell) quendam misit ex amicis qui denunciaret his, ne Tanaim amnem [regionis] injussu regis transirent. Alexandre doit avoir été informé du sort de Zopyrion en même temps que de la levée des boucliers des Spartiates, à supposer que la nouvelle de cette insurrection lui soit déjà parvenue en Bactriane. Il pouvait craindre qu'après la vaine tentative de Zopyrion sur le Borysthène, les Scythes du Don ne songeassent à faire irruption dans le bassin du Danube, tandis qu'en définitive cette ambassade scythe ne venait pas de si loin, tout au plus du bas Volga.

[30] ARRIAN, IV, 1, 5.

[31] ARRIAN, IV, 1, 5 — CURT., VII, 6, 15.

[32] ARRIAN, IV, 3. Quinte-Curce (VII, 6, 17) ne s'accorde ni avec Ptolémée ni avec Aristobule : le meurtre de 50 cavaliers macédoniens, tel qu'il le raconte, a un air de roman ; en tout cas, les troupes d'Alexandre auraient dû, dans un moment si dangereux, se montrer plus prudentes. Ce qu'on peut retenir de son récit, c'est que Cyropolis et les autres places fortes de la frontière furent détruites, car, par la fondation d'Alexandrie, Alexandre modifia le système de défense adopté auparavant pour cette région, système qui datait, dit-on, du temps de Cyrus et de Sémiramis (JUSTIN, XII, 5. CURT., ibid.).

[33] [PLUTARQUE], De fort. Alex., II, 9.

[34] Quinte-Curce (VII, 7, 6 sqq.) raconte les choses d'une manière très différente. Le fameux discours des envoyés scythes se raccorde mal avec la trame historique. Ce qui est fort curieux, c'est l'avant-propos dont Quinte-Curce le fait précéder (VII, 8, 11). Dans un autre endroit (VI, 11, 12), il dit : Rex Cratero accersito et sermone habito cujus summa non edita est. Par conséquent, il ne compose pas non plus les discours lui-même.

[35] ARRIAN, IV, 5.

[36] Quinte-Curce (VII, 9, 18) est seul a décrire l'impression produite par ces événements : itaque Sacæ misere legatos.

[37] Haud oppidanis consilium defectionis adprobantibus ; sequi tamen videbantur quia prohibere non poterant (CURT., VII, 6, 24) : et aussitôt après : incolæ novæ urbi dati captivi, quos reddito pretio dominis liberavit, quorum posteri nunc quoque non apud eos tam longa ætate propter memoriam Alexandri exoleverunt. Chez Arrien aussi, les insurrections répétées en Bactriane et en Sogdiane paraissent être, en fin de compte, l'œuvre d'un petit nombre d'individus (IV, 18, 4. Cf. IV, 1, 5), comme Choriène (IV, 21, 1). Il paraît que les choses se passaient alors comme aujourd'hui dans le khanat de Boukhara, c'est-à-dire que la majeure partie de la population, pacifique, adonnée à l'agriculture et au commerce, vivait sous un régime d'oppression très dure. Les Tadjiks de Boukhara, laborieux, cultivés, sans goût pour les armes, racontent encore aujourd'hui qu'ils habitent la contrée depuis le temps d'Iskander, qu'il n'y a jamais eu dans le pays de prince sorti de leurs rangs et qu'ils ne savent qu'obéir (MEIENDORF, p. 194).

[38] Dans le texte d'Arrien (IV, 5, 3), la leçon ές τά βασίλια τής Σογδιανής passe pour corrompue : on voit par ce qui suit (IV, 5, 4) que le retour s'est effectué du côté du désert. Peut-être y avait-il dans cette direction un second palais royal.

[39] On voit par Arrien (IV, 5, 7) que Caranos est hipparque des 800 cavaliers mercenaires, et par un autre passage (IV, 5, 5), qu'Andromachos était placé au-dessus de lui, probablement comme stratège et peut-être avec les 66 cavaliers macédoniens. D'après Arrien (III, 28, 2), Caranos est du nombre τών έταίρων, et peut-être est-ce le Κοίρανος qui commande à Gaugamèle les cavaliers de la Ligue. Précisément à cette bataille, Andromachos fils d'Hiéron commandait les cavaliers mercenaires. Ménédémos, que Quinte-Curce nomme sans faire mention des autres, devait commander l'infanterie.

[40] Le récit est fait d'après Ptolémée, complété par des indications empruntées à Aristobule. Les données fournies par Quinte-Curce 7, 30) s'en écartent sur certains points essentiels : d'après lui (VII, 6, 14), c'est à Spitamène et à Catanès qu'aurait été confié d'abord le soin d'étouffer l'insurrection de Sogdiane. Le bosquet au bord du fleuve, dans lequel, au dire d'Aristobule, Spitamène avait tendu une embuscade, devient chez Quinte-Curce un silvestre iter et un saltus : le même Quinte-Curce appelle ces Scythes Dahæ.

[41] La distance de 1.500 stades s'accorde avec ce que dit ABOULFEDA (ap. Geograph. minores, éd. Hudson, III, p. 32), à savoir que Khodjend est à sept jours de marche de Samarkand, et mieux encore avec la route qui a été indiquée plus haut d'après FRASER.

[42] Arrien (IV, 6, 4) ne dit pas où il s'est enfui : Quinte-Curce (VII, 9, 20) écrit : Bactra perfugerat. Il est clair que cette Bactres ne peut être celle dont il est si souvent question sur la route de l'Inde. Si l'on réfléchit à l'importance et à la beauté du bassin du Sogd dans sa partie inférieure, qui se trouve en communication immédiate avec l'Iran par le défilé de l'Oxus à Tjehardyui et la route de Merv, et si l'on songe qu'il n'y e au temps d'Alexandre aucune autre localité au-dessous de Samarkand pour marquer l'emplacement des jardins paradisiaques de Boukhara, on est tenté de chercher à peu près de ce côté cette résidence royale. La Tribactra de Cl. Ptolémée se trouve presque exactement dans la même direction, à quelques milles au N.-E. du lac d'Oxiana, qui n'est autre que le Karakoul, et Aboulféda cite parmi les tracés qui rayonnent de Boukhara celui de Cl. Ptolémée. Parti de Boukhara, Spitamène doit s'être enfui vers l'ouest, en passant à quelques milles de là le bras méridional du Sogd (Zer-Afkhan) ; c'est tout près de là, en effet, que commence cette steppe dans laquelle se perd le bras septentrional (Vafbend).

[43] DIODORE, Epit., XVII. Dans notre texte de Diodore, il y a au XVIIe livre, après le ch. 83, une lacune considérable qui commence après la capture de Bessos et embrasse les deux années suivantes. Quinte-Curce (VII, 9, 22), à propos de cette exécution, dit simplement : ut omnes qui defecerant pariter belli clade premerentur,copias dividet urique agros et interfici puberes jubet.

[44] Quinte-Curce (VII, 10, 10) est le seul qui parle de Peucolaos et de ses 3.000 hommes.

[45] DIODORE, Epit., XVII : indication sommaire et qui n'est peut-être pas même sûre.

[46] Strabon (XI, p. 514) indique d'après Ératosthène la route et les distances d'Alexandrie en Arriane à l'Iaxarte par Bactres. Aussi, quand Arrien (III, 30, 5) rapporte d'après Ptolémée (le Lagide) que Bessos a été conduit ές Βάκτρα άποθανούμενος, et plus loin (IV, 7, 3), qu'il a comparu à Zariaspa devant les grands assemblés, on pourrait croire que lui aussi désigne par ces deux noms la même ville. Mais, à voir la façon dont il raconte la surprise de Zariaspa par les Scythes (IV, 16, 6), il est hors de doute que lui du moins entend par ces deux noms deux villes différentes ; car, suivant lui (IV, 16, 1), il est resté αύτοΰ έν Βάκτροις quatre stratèges avec leurs phalanges, tandis qu'à Zariaspa il n'y a que les malades et 80 cavaliers pour les protéger. Le géographe Ptolémée distingue un cours d'eau du nom de Zariaspe du Dargidos qui passe à Bactres, et il place les deux villes à des latitudes différentes. Il me semble encore aujourd'hui qu'il faut chercher Zariaspa du côté d'Andkhoui, à environ 15 milles à l'ouest de Bactres. Andkhoui est une ville ancienne, et le général FERRIER, qui passa tout près de là en 1845, apprit qu'elle comptait encore 15.000 habitants. Cette ancienne ville peut bien s'être appelée aussi Bactres, comme de nos jours plusieurs villes portent le nom de Balk (Balk-ab-Fayin, Khan-Balk, Balk-ab-Bala, cf. Tribactra dans Ptolémée) : peut-être appelait-on cette Bactres Βάκτρα ή καί Ζαρίασπα, pour la distinguer de la Bactres sur le Dargidos. Polybe connaît les deux noms : à un certain moment (X, 49), Euthydémos, le roi de Bactriane, après avoir envoyé le gros de son armée en Tapurie, se trouve avec 1.000 cavaliers sur les bords de l'Areios, et, surpris près du fleuve par Antiochos III, se retire είς πόλις Ζαρίασπα τής Βακτριανής ; plus loin (XI, 34), Polybe parle des négociations d'Antiochos avec Euthydémos, négociations à la suite desquelles le roi de Syrie, ύπερβαλών τόν Καύκασον..., se dirige είς τήν Ίνδικήν : enfin (XXIX, 12, 8), dans une énumération de villes prises — Tarente, Sardes, Gaza, Carthage — on rencontre le nom de Βάκτρα, qui doit être justement la ville prise par Antiochos III dans cette expédition. Il en résulte que, pour Polybe, Zariaspa et Bactres sont bien deux villes distinctes.

[47] ARRIAN, IV, 7, 3. Par conséquent, les membres de l'assemblée avaient été convoqués à Zariaspa pour un autre motif, absolument comme la réunion d'Ecbatane, où Bessos doit être exécuté, n'est pas convoquée tout exprès. L'expression d'Arrien : κατηγορήσας τήν Δαρείου προδοσίαν, fait penser que l'assemblée prononça un jugement à la façon d'un jury. La peine infligée par le roi est la même qui se trouve mentionnée à plusieurs reprises dans l'inscription de Bisitoun (Behistoun). Dans ce document (II, 13), Darius Ier fait savoir qu'il a défait aux environs de Rage le Mède Fravartès, qui s'était insurgé en Médie : Fravartès fut saisi et amené devant moi ; je lui coupai le nez, les oreilles et la langue ; je conduisis son... il fut tenu enchaîné à ma cour (littéralement : ma porte) ; tout le peuple le vit, puis je le fis mettre en croix à Hangmatana. Un autre fauteur d'insurrection en Perse (III, 5) est mis en croix avec ses adhérents dans une ville de Perse ; un troisième, du pays d'Açagarta ou Sagartie (II, 14), est battu par l'officier envoyé contre lui : et il me l'amena ; sur quoi je lui coupai le nez et les oreilles et conduisis son.., il fut tenu enchaîné à ma cour : tout le monde le vit, puis je le mis en croix à Abira. Abira (Arbèles) doit être par conséquent le σύλλογος de Sagartie ou peut-être de toute l'Assyrie.

[48] ARRIAN, IV, 7. Cf. CURT., VII, 5 et 10. JUSTIN, XII, 5. DIODORE, XVII, 83. PLUTARQUE, Alex., 43, etc.

[49] La situation de la Chorasmie est indiquée par le nom actuel de la région.

[50] ARRIAN, IV, 15. CURT., VIII, 1, 8. Les offres de Pharasmane telles que les rapporte Arrien, et la réponse d'Alexandre disant qu'il ne voulait pas pour le moment entrer dans la région du Pont, pourraient venir à l'appui de l'opinion qui veut qu'Alexandre ait confondu le Tanaïs d'Europe avec l'Iaxarte : on ne comprend pas sans cela comment il aurait pu utiliser pour une expédition sur le Pont l'aide des Chorasmiens du lac d'Aral, et comment Pharasmane pouvait se dire le voisin des Colchidiens. On peut, en effet, admettre cette méprise chez les Macédoniens portés à l'exagération, mais non pas chez Alexandre. Les hommes de confiance qui étaient partis avec l'ambassade des Scythes d'Europe devaient avoir rapporté des renseignements sur la mer d'Aral et la mer Caspienne. Peut-être Pharasmane voulait-il parler de communications par mer avec la région du Kour et de l'Araxe, sur le rivage opposé, relations dont les textes anciens et des recherches modernes ont suffisamment établi l'existence autrefois. Il est à remarquer qu'Arrien fait parler Pharasmane des Amazones sans employer le είσί δέ οί λέγουσιν qui lui est familier : il a par conséquent trouvé le récit tel quel dans Ptolémée ou dans Aristobule.

[51] Alexandre le croyait encore à ce moment, et ce qui le prouve, ce ne sont pas tant les paroles qu'Arrien met dans sa bouche (V, 26, 1) que la mission d'Héraclide (VII, 16, 1), envoyé à la mer Caspienne pour y construire une flotte et pour rechercher si la mer Caspienne est réunie au Pont-Euxin ou si, comme le golfe Persique et la mer Rouge, elle était un épanchement de l'Océan.

[52] ARRIAN, IV, 15, 7. Ce qui est fort étonnant, c'est qu'Arrien ne sache pas le nom de ce satrape.

[53] ARRIAN, IV, 7, 2. Malheureusement, Arrien ne donne pas de chiffres. Quinte-Curce (VII, 10, 11) compte dans la première colonne, commandée selon lui par Alexandros (il veut dire Asandros), 3.000 fantassins et 500 cavaliers ; dans la deuxième, 3.000 fantassins et 1.000 cavaliers ; dans la troisième, 3.000 fantassins et 1.000 cavaliers ; il mentionne encore 7.400 Grecs à pied et 600 à cheval, envoyés par Antipater. Le Mélamnidas cité par Arrien doit être corrigé, d'après Quinte-Curce, en Ménidas. Ce qui est à noter, c'est le Πτολεμαΐος ό τών Θρακών στρατηγός d'Arrien. L'ancien commandant de l'infanterie thrace, Sitalcès, était resté à Ecbatane ; quant à ce Ptolémée, il avait été envoyé avec Épocillos (ARRIAN, III, 19, 6. IV, 7, 2) à la mer pour conduire en Eubée le convoi d'argent et de soldats libérés (printemps 330). Par conséquent, ces officiers avaient mis pour aller en Macédoine et revenir à Zariaspa environ un an. A vol d'oiseau, il y a de l'Hellespont à Issos et de là à Balk par Bagdad environ 400 milles.

[54] ARRIAN, IV, 16, 1. Bactres désigne la ville et non pas le pays, qu'Arrien (IV, 16, 4) nomme Βακτριανή. On a vu plus haut pourquoi cet αύτοΰ ne peut pas désigner à la fois Bactres et Zariaspa considérées comme identiques.

[55] Strabon (XI, p. 517) dit qu'Alexandre a bâti huit villes en Sogdiane et en Bactriane : Justin (XII, 5) parle de douze. Quant aux six villes contiguës qui furent fondées, suivant Quinte-Curce (VII, 10, 15), à la place de Margiana (var. Margania), on n'hésiterait pas à les reconnaître dans Merv-Shahidschan, la Basse -Merv, si l'on supposait qu'Arrien, distrait par le long épisode qui va de IV, 7, 3 à IV, 15, 7, a bien pu oublier cette expédition dirigée de Zariaspa vers le sud. Malheureusement, Quinte-Curce (VII, 10, 13-16) est si confus, qu'on ne peut tirer de lui rien de précis. Si l'on songe à l'importance d'un pays fertile comme la Margiane, placé juste au bord du désert l'inscription de Bisitoun montre quelles forces les révoltés y avaient mis sur pied contre Darius — il parait presque impossible qu'Alexandre ait négligé d'y fonder une ville pour dominer la région : du reste, les anciens savaient qu'il avait fondé de ce côté une Alexandrie, qui fut plus tard détruite par les Barbares et rebâtie à neuf par Antiochus Ier (PLINE, VI, 16). Naturellement, Alexandre n'avait pas besoin pour cela de venir de sa personne en Margiane.

[56] EURIPIDE, Androm., 687.

[57] ARRIAN, IV, 16, 6. Arrien parait faire de lui simplement le préposé au service des malades.

[58] Arrien ne dit pas où était Cratère, et en général, dans ces affaires de Sogdiane, il laisse bien des points à éclaircir. Peut-être Cratère avait-il le commandement en chef des quatre régiments laissés έν Βάκτροις (ARRIAN, IV, 16, 1). On s'expliquerait ainsi qu'il soit maintenant à portée de poursuivre : du reste, l'hiver qui suit (328/7), on voit οί άμφί Κράτερον rejoindre les cantonnements à Nautaca, au nord de l'Oxus.

[59] ARRIAN, IV, 17, 3. Arrien n'a pas encore parlé de cet Amyntas fils de Nicolaos : on pourrait supposer que c'est lui qui est désigné un peu plus haut (IV, 15, 7) : mais Cœnos, qui le remplace, ne porte pas davantage le titre de satrape. Amyntas doit avoir été nommé à la place de Peucolaos, qui n'avait pas fait preuve de capacité dans son commandement militaire.

[60] In regionem Bactrianam misit commeatum in hienem paraturum (CURT., VIII, 2, 13).

[61] Quinte-Curce (VIII, 2, 14) est seul à parler de cette expédition. Son assertion : Scythis confinis est regio, ne permet pas de déterminer l'emplacement de cette localité, que sans cela on pourrait chercher plutôt du côté de la Bactriane, quelque part dans les montagnes qui se trouvent au nord-est de Kesch.

[62] Encore une expédition dont Arrien ne dit mot. Quinte-Curce (VIII, 2,14. Cf. Strabon, XI, p. 517) raconte à ce propos deux particularités qu'Arrien fait figurer dans une autre occasion (IV, 21). Le nom de la région où se trouve ce château-fort est d'une lecture douteuse dans les mss. de Quinte-Curce (Nausi, Nauram, Nauta) : on a imprimé Nautaca (VIII, 2,19). J'ai supposé autrefois que le nom fourni par Quinte-Curce désignait les monts Naura et la petite ville du même nom, dont parlent des auteurs arabes (Geogr. minores, éd. Hudson, III, p. 31) : je suis d'avis aujourd'hui que la conjecture était un peu téméraire.

[63] ARRIAN, IV, 17, 4.

[64] Quinte-Curce donne une version différente et toute romanesque de la fin de ce partisan d'après lui, c'est la femme de Spitamène qui lui coupe la tête et qui va la porter elle-même à Alexandre.

[65] ARRIAN, IV, 18, 3. L'article fait supposer qu'il s'agit de recrues régulières.

[66] ARRIAN, IV, 18, 4, par conséquent vers le commencement de mars.

[67] Ce château-fort est celui du Sogdien Arimaze, d'après Quinte-Curce (VII, II. 1), d'Ariomaze et situé en Sogdiane d'après Polyænos (IV, 3,29). C'est probablement le même que désigne Strabon (XI, p. 517). Peut-être Ώξου n'est-il ici qu'une correction substituée à un Ώξου qui pourrait bien être un reste du mot Όξνάρτου. Arrien ne fournit aucun éclaircissement sur la topographie. A coup sûr, la forteresse n'était pas, comme on a prétendu le démontrer, entre Balk et Merv. La seule indication concernant l'emplacement, c'est que Strabon place le fort de Sisimithrès en Bactriane, et Quinte-Curce celui d'Arimaze en Sogdiane. Supposons que les chaînons qui partent des sommets neigeux de Hazreti-Soultân et de Kalai-Schiraya dans la direction du sud-ouest et qui envoient leurs eaux à l'ouest dans la rivière de Karschi, au sud dans l'Oxus, supposons, dis-je, que cette grande barrière naturelle ait formé la limite entre la Sogdiane et la Bactriane, on trouve sur ces confins des deux régions, à l'est et à l'ouest de la Porte de Fer, assez de localités auxquelles pourrait s'appliquer la description de ce château-fort, comme on peut s'en convaincre aujourd'hui par la relation de MAJEV ; par exemple, du côté de la Bactriane, Barbent et Baisoun.

[68] J'ai cherché autrefois, dans un article intitulé Alexanders Züge in Turan (in Rhein. Museum, 1833), à démontrer que cette Parætacène pouvait être identifiée avec le pays de Vakhsch, et le rocher de Choriène avec la forteresse, c'est-à-dire Hissar. Sur cette Hissar, appelée aussi la Joyeuse (Hissar-Schadman) ou la Haute (Hissar-Bala) pour la distinguer de la Regar de l'ouest ou Basse-Hissar (Hissar-Payan), on a maintenant des détails plus précis par l'expédition de MAJEV. Les extraits publiés par R. KIEPERT montrent combien les environs immédiats sont pleins de torrents impétueux, de cirques de rochers, de gorges jusqu'au Vakhsch et jusqu'à l'escalier taillé dans le roc le long de l'étroit passage des eaux, escalier qui conduit au pont de pierre, Pouli-Sengi.

[69] ARRIAN, IV, 21, 9. Cf. IV, 21. Si Alexandre va du roc de Choriène à Bactres, le fait semble indiquer que ce roc n'était pas au-dessus de Hissar dans la direction de l'est, et qu'Alexandre n'a pas suivi en descendant la rivière de Hissar (car alors il aurait marché de Khoulm sur l'Inde), mais qu'il est descendu dans la vallée du Sourkhân, a passé près de l'ancienne forteresse de Termez, comme l'appelle Chereffeddin, et s'est dirigé, après avoir franchi l'Oxus, sur Balk (ARRIAN, IV, 22, 1) ; il y fut rejoint ensuite par la colonne de Cratère (IV, 22, 2), et l'armée part enfin έκ Βάκτρων pour l'Inde (IV, 22, 3). Il faut prendre garde qu'Arrien, aussi bien à l'issue de la campagne qu'à l'entrée des troupes sur le territoire bactrien, ne mentionne que έκ Βάκτρα, tandis qu'ailleurs (IV, 1, 5. IV, 7, 1. IV, 18, 8) il ne cite que Ζαρίασπα.

[70] ARRIAN, IV, 22, 1. Jusqu'où les troupes d'Alexandre ont-elles remonté dans l'intérieur du pays, c'est ce qu'il est difficile de savoir. Marco Polo, Baber et d'autres rapportent que les princes de Badakschan et de Dervaz se vantaient de descendre de Sekander Filkoûs (Alexandre fils de Philippe). WOLFF, l'étonnant voyageur, en a entendu dire autant dans la Petite-Kaschgarie par les princes du pays (Asiat. Journal, 1833. May. App. p. 15).

[71] Pour plus amples détails, voyez Hermes, XI, p. 463.

[72] Après avoir énuméré les fournitures considérables que Choriène fait à l'armée avec les provisions accumulées dans son fort, Arrien ajoute (IV, 21, 10) : Alexandre lui marqua de nouveaux égards, convaincu qu'il s'était rendu plutôt de bonne grâce que par force.

[73] Diodore (Epit. XVII), compte jusqu'à une άπόστασις τρίτη Σογδιανων. La defectio altera de Quinte-Curce (VIII, 2, 18) laisse deviner que son guide grec s'est servi de Clitarque avec beaucoup plus de liberté que Diodore.

[74] Du moins, d'après Quinte-Curce (VIII, 4, 21), le mariage a lieu avant le retour à Bactres. Le nom corrompu Cohortanus pour Oxyartes (ibid.) ne peut pas être défendu en invoquant la conjecture έν Χορτάνου, substituée par WESSELING (in PLUT., Vit. Alex., 47) à la leçon έν τίνι χόρω ou χρόνω, qui parait être celle des mss. ZUMPT, du reste, en a déjà fait la remarque. D'après Quinte-Curce (VIII. 4, 25), au moment où trente jeunes filles, parmi lesquelles Roxane, éclipsant toutes les autres par sa beauté, furent introduites au banquet de cérémonie, Alexandre, dans un soudain transport d'amour, ita effusus est ut diceret, ad stabiliendum regnum pertinere Persas et Macedones connubio jungi, hoc uno modo et pudorem victis et superbiam victoribus detrahi posse. Le sommaire de Diodore est moins brillant, mais probablement plus conforme à la substance du récit de Clitarque.

[75] PLUTARQUE, Apophth. Lacon. [Agesil., 25].

[76] CALLISTHÈNE, fragm. 36.

[77] Alexandre s'emporta un jour contre Héphestion, qui s'était brouillé avec Cratère : il lui dit, suivant Plutarque (Alex., 47), que, le jour où on lui enlèverait Alexandre, il ne serait plus rien, et qu'il était bien fou s'il ignorait cela.

[78] C'est ce que raconte Plutarque (Alex., 54) d'après Hermippos, lequel prétendait que Strœbos, le secrétaire de Callisthène, avait rapporté la chose ainsi à Aristote. Suivant Plutarque, Aristote aurait dit que Callisthène était grand et puissant par la parole, mais qu'il n'avait pas de bon sens.

[79] C'est le récit de Charès de Mitylène, είσαγγελεύς du roi, c'est-à-dire quelque chose comme grand chambellan. On ne peut plus établir avec les textes la façon dont les choses se sont réellement passées. Le récit le plus clair, et en même temps le moins digne de confiance, est celui de Quinte-Curce (VIII, 5), où l'on voit Alexandre écouter derrière une tenture les propos de Cléon (au lieu d'Anaxarque) et de Callisthène.

[80] Ces différentes versions se trouvent soit dans Arrien (IV, 12), soit dans Plutarque. Cf. C. MÜLLER, Script. de rebus Alex., p. 2 sqq. Pour se faire une idée de la confusion qui règne dans cette histoire et de la façon dont elle a été falsifiée, il suffit de dire que, si l'on en croit Justin (XV, 3), ce Lysimaque qu'on cite ici comme un adversaire de Callisthène était au contraire le plus fidèle de ses amis, et qu'il a été pour ce motif jeté devant un lion par ordre du roi. C'est là une historiette dont Quinte-Curce (VIII, 1, 17) fait bonne justice.

[81] Hæc cohors velut seminarium ducum præfectorumque apud Macedones fuit ; hinc habuere posteri reges, etc. (CURT., VIII, 6, 5).

[82] ARRIAN, IV, 18, 3. Quinte-Curce (VIII, 7, 2) le mentionne comme étant encore présent au camp ; car il est à peu près certain que le père d'Hermolaos n'était autre que l'ancien commandant de l'escadron d'Amphipolis, actuellement l'un des hipparques de la cavalerie.

[83] ARRIAN, IV, 13, 4. Était-il par hasard de la maison des princes de Thrace ? Quinte-Curce (VIII, 6, 7) ne donne que le nom de Philotas. C'est à ce Philotas, et non pas au fils de Parménion, que doit s'appliquer un passage où Arrien (IV, 40, 4) rapporte que, au dire de certains, Callisthène avait rappelé à Philotas les honneurs rendus à Athènes à la mémoire des tyrannicides.

[84] D'après Quinte-Curce (VIII, 6, 20), Épimène raconte la chose à son frère Eurylochos pour que celui-ci la reporte au roi. Par conséquent, il laisse de côté Chariclès, fils de Ménandre. Il se peut que Clitarque ait parlé de ce personnage, car Plutarque raconte quelque part (Alex., 57) que Ménandre, un des hétœres, n'ayant pas voulu rester au poste où il avait été placé, avait été tué par le roi en personne. Plutarque, il est vrai, ne dit pas que ce récit lui vienne de Clitarque.

[85] Le message adressé par le roi à Cratère, Attale et Alcétas, alors absents et détachés pour l'expédition de Parætacène (ARRIAN, IV, 22, 1) — annonce τούς παϊδας βασανιζομένους όμολογεΐν ώς αύτοί ταύτα πράξειαν, άλλος δ' ούδείς συνειδείη. Mais Aristobule et Ptolémée (PLUTARQUE, Alex., 55) assurent que ces enfants ont avoué avoir été encouragés au crime par Callisthène. D'après Strabon (XI, p. 517), l'arrestation de Callisthène eut lieu à Cariatæ en Bactriane.

[86] Le discours de la défense, qui suivant quelques-uns, comme dit Arrien (IV, 14, 2), fut prononcé par Hermolaos, se trouve dans Quinte-Curce : il doit venir, par conséquent, de Clitarque.