HISTOIRE DE L'HELLÉNISME

TOME PREMIER — HISTOIRE D'ALEXANDRE LE GRAND

LIVRE PREMIER. — CHAPITRE DEUXIÈME.

 

 

La Macédoine : le pays, la race, la dynastie. — Politique intérieure du roi Philippe II. — La noblesse ; la cour. — Olympias. — Jeunesse d'Alexandre. — Dissensions dans la famille royale. — Attale. — Meurtre de Philippe II.

Mais Philippe était-il, ses Macédoniens étaient-ils des Grecs, pour être en droit d'entreprendre la lutte contre les Perses dans l'esprit du peuple hellénique et en suivant le courant de son histoire ?

Les défenseurs de la vieille politique particulariste et de la liberté grecque l'ont souvent contesté, et leur plus grand orateur, Démosthène, emporté par son zèle patriotique, va jusqu'à affirmer que Philippe n'est ni Hellène, ni parent des Hellènes, mais qu'il appartient à cette race de Barbares quine sont même pas bons à servir d'esclaves[1].

Des traditions plus anciennes nous donnent des Macédoniens une autre idée. Eschyle, ainsi que nous l'avons déjà rapporté, fait dire à Pélasgos, roi d'Argos, que son peuple, appelé de son nom Pélasgien, s'étend jusqu'aux eaux limpides du Strymon et occupe, avec la contrée montagneuse de Dodone, les versants du Pinde et les vastes provinces de la Péonie. Ainsi le vieux combattant de Marathon considère les peuplades qui habitent les bords de l'Haliacmon et de l'Agios comme appartenant à la même race que les anciens habitants de la contrée qui s'étend depuis l'Olympe jusqu'au Ténare et que ceux de l'ouest du Pinde. La haute chaîne du Pinde, qui sépare la Thessalie de la contrée montagneuse de Dodone et de l'Épire, forme, en s'avançant vers le nord jusqu'au Tchar-Dagh (l'ancien Scardos), la muraille de séparation entre la Macédoine et l'Illyrie ; puis la chaîne s'infléchit à l'est, vers les sources du Strymon, dont elle côtoie ensuite la rive gauche dans la direction du sud-est jusqu'à la côte sous le nom d'Orbelos, et achève de former la frontière naturelle du territoire macédono-péonien, qu'elle sépare également des peuples thraces à l'est et au nord. Dans la région ainsi enclose pénètrent l'Haliacmon, l'Axios avec ses affluents, le Strymon, une seconde et une troisième chaîne de montagnes qui, à peu près concentriques au Pinde-Scardos-Orbelos, entourent la plaine centrale riveraine de la mer, celle qui va de Pella et Thessalonique jusqu'au golfe Thermaïque. La double ceinture de vallées à travers lesquelles se frayent un passage les trois fleuves pour venir, à deux au moins, l'Haliacmon et l'Axios, atteindre la mer l'un près de l'autre dans cette plaine du littoral, divise naturellement cette population en tribus cantonales, et désigne la plaine de la côte pour être leur centre commun et leur lieu de réunion.

D'après le récit d'Hérodote, le peuple qui plus tard a porté le nom de Doriens fut chassé de la Thessalie, et vint s'établir près du Pinde dans la vallée de l'Haliacmon, où il porta le nom de Macédoniens[2]. D'autres légendes racontent qu'Argéas, l'ancêtre des Macédoniens, sortit d'Argos pour aller s'établir en Orestide, dans le territoire où l'Haliacmon prend sa source. Ces légendes expliquent ainsi le nom d'Argéades, que l'on donnait probablement à la famille royale[3]. D'après une autre tradition[4], qui était alors la plus répandue dans le pays, trois frères Héraclides, de la race princière d'Argos issue de Téménos, s'en allèrent au nord, chez les Illyriens, puis plus loin dans la Haute-Macédoine, et s'établirent ensuite à Édesse, près des grandes cascades qui déversent les eaux dans la vaste et fertile contrée du littoral. C'est-là, à. Édesse, qui fut aussi nommée Ægæ, que Perdiccas, le plus jeune des trois frères, fonda un royaume qui, s'étendant peu à peu, s'annexa les régions circonvoisines, l'Émathie, la Mygdonie, la Bottiée, la Piérie, l'Amphaxitide.

Ils appartenaient aux mêmes tribus pélasgiques qui jadis avaient occupé tout le territoire hellénique, et dont quelques-unes, restées en arrière de la civilisation des Hellènes, furent considérées plus tard par ceux-ci comme des Barbares ou semi-Barbares. La religion et les mœurs des Macédoniens prouvent cette communauté d'origine. Sur les frontières, il put bien se produire un mélange avec les tribus illyriennes et thraces ; mais la langue des Macédoniens nous apparaît comme très voisine des plus anciens dialectes helléniques[5].

Dans le régime militaire des Macédoniens, le nom des hétœres est resté en usage jusque dans les derniers temps. Si, comme on n'en saurait douter, ce nom a été importé dans le pays dès l'établissement de la royauté, il en résulte que les Héraclides macédoniens établis dans un pays étranger avaient à y remplir la même tâche que leurs ancêtres dans le Péloponnèse ; comme eux, ils devaient fonder leur puissance et leur droit surf asservissement des anciens indigènes ; la seule différence était que, dans cette contrée plus que dans les autres pays doriens, l'élément ancien se mêla intimement au nouveau, et se fondit en un tout qui conservait la vigueur mais aussi la grossière rudesse des ancêtres ; il y eut là, pour ainsi dire, un âge héroïque, moins la poésie. Les mœurs indigènes étaient tout à fait semblables aux vieilles coutumes franques : celui qui n'avait encore tué aucun ennemi devait porter un licou pour ceinture[6] ; celui qui n'avait encore abattu aucun sanglier à la chasse devait rester assis et non couché dans un festin[7] ; dans les funérailles, c'était la fille du défunt qui devait éteindre le bûcher sur lequel avait été brûlé le cadavre[8] ; on rapporte que, par la volonté des dieux, les trophées de la première victoire que Caranos remporta sur les tribus indigènes furent, pendant la nuit, renversés par un lion, afin de montrer qu'on n'avait pas vaincu des ennemis, mais bien gagné des amis[9], et on ajoute que depuis ce temps la coutume est restée chez les Macédoniens de n'élever aucun trophée sur les ennemis vaincus, Hellènes ou Barbares. Philippe, après la bataille de Chéronée, et Alexandre, après ses victoires sur les Perses ou les Indiens, se sont, dit-on, conformés à cet usage.

Au temps même où la Macédoine remportait ces victoires, Aristote écrivait que, dans les pays helléniques, la royauté s'est conservée seulement à Sparte, chez les Molosses et en Macédoine ; chez les Spartiates et les Molosses pour la raison que cette royauté avait été tellement diminuée dans ses attributions que les rois n'étaient plus un objet d'envie. Tandis qu'en tous lieux la royauté, qui avait négligé de s'appuyer sur le bas peuple, était tombée par la révolte de l'aristocratie ; tandis que le bas peuple à son tour, exclu pendant longtemps de toute participation à la conduite des affaires publiques et opprimé, s'était soulevé enfin contre cette classe de seigneurs, avait enlevé leurs privilèges aux membres de la noblesse et les avait soumis au droit égalitaire des sociétés démocratiques, la Macédoine avait conservé son antique royauté, parce que les germes de froissement et de haine dans les relations des classes ne trouvèrent pas à se développer ; la vieille royauté s'y conserva, supérieure à tous, dit Aristote, en richesse et en honneur[10].

En Macédoine, le danger était d'une autre nature. La royauté appartenait à la race royale, mais les règles de la succession n'étaient pas assez bien fixées pour exclure à l'avance les doutes et les querelles. Par cela même que le pouvoir royal y était plus libre, il demandait plus de capacité personnelle et d'énergie de la part de celui qui en était revêtu ; et il arriva trop souvent que les mineurs, les incapables, les négligents, durent céder devant un frère ou un cousin plus habile. Ainsi, après la mort d'Alexandre Ier, son plus jeune fils, Perdiccas II, n'eut pas de repos qu'il n'eût écarté du trône ses frères aillés Amyntas, Philippe et Alcétas[11] ; de même Perdiccas fils d'Archélaos, qui était né d'une union irrégulière, écarta l'héritier légitime et l'assassina avant qu'il fût en âge[12]. Dans d'autres circonstance, la tutelle, cette forme régulière de la prostasie, servit de prétexte aux usurpations[13].

Il y avait encore un autre danger. De nombreux exemples montrent que certaines parties du territoire furent données en possession héréditaire aux plus jeunes fils des rois et même à des étrangers, sous la suzeraineté du roi, il est vrai, mais pourtant avec des droits tellement souverains que les titulaires pouvaient appeler sous les armes et entretenir des troupes particulières. C'est ainsi qu'Arrhidæos[14], le plus jeune frère d'Alexandre Ier, avait obtenu la principauté d'Élymiotide dans la Haute-Macédoine et que la possession en resta dans sa famille ; de même Philippe, frère de Perdiccas, avait reçu un territoire situé dans le haut du bassin de l'Axios. La royauté ne pouvait se fortifier qu'autant qu'il lui serait possible de maintenir dans l'obéissance ces familles princières, surtout tant que les Péoniens, les Agrianes, les Lyncestes et autres tribus des frontières, qui avaient des princes indépendants, leur fournissaient un point d'appui. Alexandre Ier, au temps de la guerre des Perses, parait avoir le premier forcé les Péoniens, les Orestiens, les Tymphéens, à reconnaître la suprématie macédonienne[15] ; mais les princes de ces tribus n'en conservèrent pas moins et leur dignité et leurs biens.

Nous avons trop peu de documents sur l'organisation et l'administration des Macédoniens pour qu'on puisse dire jusqu'où s'étendait la puissance royale ; cependant le grand nombre de dispositions nouvelles que le roi Archélaos établit pendant les dix dernières années de la guerre du Péloponnèse, et la réforme qu'opéra Philippe II dans les monnaies, dont jusqu'alors la valeur avait été très diverse, ainsi que l'organisation militaire complètement nouvelle qu'il établit, montrent que la royauté doit avoir eu des pouvoirs très étendus en fait de réglementation. Quant au droit, il était certainement fixé par la coutume, et la tradition suppléait à l'absence de constitution[16]. On peut bien dire que la royauté était aussi éloignée du despotisme asiatique que le peuple l'était lui-même de l'esclavage et d'une soumission servile[17] ; les Macédoniens sont des hommes libres, dit un écrivain ancien[18], ils ne sont ni des pénestes, comme la masse du peuple en Thessalie, ni des hilotes comme en Laconie ; c'est un peuple de paysans[19], qui ont à coup sûr et la propriété libre et héréditaire, et une constitution municipale avec assemblées et assises locales[20]. Tous sont tenus au service militaire lorsque le roi convoque le ban. Même dans les temps moins reculés, l'armée n'est à proprement parler que le peuple entier, et on la convoque pour prendre des décisions et pour rendre la justice.

Dans cette armée, on distingue bien nettement une noblesse nombreuse, connue sous le nom d'hétœres (έταΐροι), de compagnons d'armes, telle que nous la montrent déjà les chants homériques. C'est à peine si l'on peut considérer cette noblesse comme une aristocratie[21] : elle ne se distinguait que par de plus grandes possessions, le souvenir de nobles aïeux et la faculté d'approcher de plus près la personne du roi, qui récompensait par des honneurs et des présents la fidélité à son service[22]. Les familles de noblesse princière elles-mêmes, qui avaient possédé précédemment une souveraineté indépendante dans le haut pays et qui, bien qu'elles eussent été forcées à la soumission par une royauté puissante, avaient néanmoins conservé la propriété de leur territoire, durent accepter pour elles et pour leur peuple le régime en vigueur dans le domaine royal. Chez ce peuple de paysans et de nobles, il n'y avait point de grandes villes dans le sens que les Grecs attachaient à ce mot : celles qui s'élevaient sur la côte étaient des colonies helléniques et formaient des communes indépendantes, qui se sentaient en opposition avec les mœurs des régions de l'intérieur.

Vers le temps des guerres médiques, et en particulier sous Alexandre Ier, le Philhellène, comme l'appelle Pindare, il s'établit des rapports plus actifs entre la Macédoine et le monde grec. Déjà le père d'Alexandre avait offert un asile et des terres dans son royaume à Hippias, fils de Pisistrate, banni d'Athènes. Alexandre lui-même, qui dut suivre en Grèce l'armée des Perses, fit tout son possible pour aider les Hellènes (que l'on songe à la bataille de Platée) ; il fut admis à concourir dans les jeux olympiques, après avoir prouvé qu'il descendait des Téménides d'Argos, et on reconnut par là qu'il était Hellène[23].

Comme lui, ses successeurs immédiats[24] s'employèrent, avec plus ou moins d'adresse et de force, à mettre leur pays en contact direct avec la vie commerciale, politique et intellectuelle des Hellènes. La proximité des riches et commerçantes colonies de la Chalcidique, les relations nombreuses auxquelles elles donnaient lieu avec les principales puissances helléniques qui se disputaient leur possession et qui recherchaient ou craignaient l'influence macédonienne, les luttes presque continuelles qui déchiraient la Grèce et qui forçaient un grand nombre d'hommes distingués à fuir leur patrie et à venir chercher la tranquillité et les honneurs à la riche cour de Pella, tout cela favorisait les progrès des Macédoniens.

Le règne d'Archélaos fut surtout important et heureux ; tandis que tout le reste de la Grèce était agité et déchiré par la guerre du Péloponnèse, la Macédoine, sous la conduite prudente de ce roi, fit de rapides progrès. Archélaos éleva des places fortes qui avaient manqué jusque-là au pays, construisit des routes, développa l'organisation militaire qui déjà avait été ébauchée[25] : à tout point de vue, dit Thucydide, il fit plus pour les Macédoniens que ses huit prédécesseurs. Il fonda des jeux à la mode hellénique, qui furent célébrés à Dion, non loin du tombeau d'Orphée, en l'honneur de Zeus Olympien et des Muses, avec exercices gymniques et musicaux[26]. Sa cour, qui était le rendez-vous des poètes et artistes en tout genre et le lieu de réunion de la noblesse macédonienne, servait d'exemple au peuple et guidait son développement progressif. Archélaos lui-même passait aux yeux de ses contemporains pour l'homme le plus riche et le plus heureux du monde[27].

Après lui ; les dissensions intérieures reparurent plus violentes qu'auparavant, peut-être occasionnées ou attisées par une réaction contre les innovations de la royauté qui concentrait ses forces, et en même temps dirigées contre la civilisation et les nouvelles coutumes. Dans les circonstances présentes, ces tendances trouvaient des partisans dans les familles princières et dans une partie des hétœres, et la politique des États les plus influents de la Grèce les encourageait de son mieux, tandis que le peuple parait y être resté indifférent.

Déjà le prince des Lyncestes, Arrhabæos[28], avait formé une ligue armée avec Sirrhas, prince des Élymiotes, contre le roi Archélaos, peut-être sous prétexte de venger l'héritier légitime qui avait été écarté du trône, peut-être en faveur d'Amyntas, fils d'Arrhidæos et petit-fils d'Amyntas, que Perdiccas avait supplanté et qui était le membre de la famille royale le plus rapproché du trône. Archélaos avait acheté la paix, en donnant sa fille aînée à Sirrhas d'Élymiotide et la plus jeune à Amyntas[29]. C'est alors qu'il fut tué par accident, dit-on, à la chasse[30]. Il eut pour successeur son fils Oreste, encore mineur, sous la tutelle d'Aéropos ; mais le tuteur assassina son pupille et monta lui-même sur le trône. Aéropos est certainement le fils de cet Arrhabæos de la race des Bacchiades qui régnait sur la Lyncestide, à la frontière du pays des Illyriens. Bien souvent, avec l'aide de ces voisins, ses ancêtres avaient combattu les rois de Macédoine. Tout ce qu'ont fait Aéropos, ses fils et petit-fils pendant les soixante ans qui suivent nous montre que ces princes ont été les adversaires constants des nouvelles tendances monarchiques, les représentants des mœurs anciennes et plus libres. Les insurrections incessantes et les perpétuels changements de souverain que l'on constate à cette époque sont une preuve de la lutte qui s'engagea entre la race royale et les tendances particularistes.

Aéropos sut rester maitre du trône ; mais lorsqu'il mourut (392), Amyntas-le-Petit s'empara du pouvoir[31]. Il fut assassiné par Derdas (390), et Pausanias, fils d'Aéropos, devint roi. Celui-ci fut à son tour supplanté par Amyntas, fils d'Arrhidæos (390-369)[32], et avec ce dernier la branche aînée de la famille royale rentra dans ses droits.

Les années de son règne furent remplies par des troubles qui semblaient faire de la Macédoine une proie facile pour le premier qui voudrait l'attaquer. Les Illyriens, peut-être appelés par les Lyncestes, firent une invasion dévastatrice dans le pays, vainquirent l'armée royale et contraignirent le roi à s'enfuir au delà des frontières. La couronne fut portée deux ans par Argæos, de qui nous ne saurions dire s'il appartenait à la famille royale, si c'était un frère de Pausanias, ou un prince des Lyncestes. Amyntas revint avec des troupes thessaliennes et recouvra son royaume, mais en triste état : les villes, les régions du littoral étaient au pouvoir des Olynthiens ; Pella elle-même ferma ses portes au roi. C'est peut-être pour arriver enfin à tout concilier qu'il épousa Eurydice, laquelle appartenait aux deux maisons princières d'Élymiotide et de Lyncestide[33].

Survinrent les conséquences de la paix d'Antalcidas et l'expédition des Spartiates contre Olynthe. Amyntas se joignit à cette expédition, et Derdas, prince des Élymiotes, y prit également part avec quatre cents cavaliers. Mais le but ne fut pas atteint du premier coup ; Derdas fut fait prisonnier. Puis, après qu'Olynthe eut été enfin obligée de plier (380), Thèbes se souleva ; Sparte fut vaincue à Naxos et à Leuctres ; Olynthe restaura la ligue chalcidique ; Jason de Phères unifia la puissance thessalienne, força Alcétas d'Épire et Amyntas III à entrer dans sa ligue, et il était à la veille d'immenses succès lorsqu'il fut assassiné (370). Le faible Amyntas n'aurait pu échapper à sa suzeraineté. Il mourut peu après, et eut pour successeur rainé de ses trois fils, Alexandre II, que sa mère, la princesse élymiote, fit bientôt périr. Celle-ci avait depuis longtemps un commerce secret avec Ptolémée, homme d'une famille obscure et mari de sa fille. Tandis qu'Alexandre, que les Thessaliens avaient appelé à leur secours, combattait avec succès, elle engagea Ptolémée à prendre les armes contre lui. Ptolémée tint tête au roi qui rentrait en toute hâte : puis Thèbes se hâta d'intervenir, pour paralyser la Macédoine avant qu'elle n'eût obtenu de plus grands succès en Thessalie. Pélopidas ménagea un accommodement, d'après lequel Alexandre donna en otage trente jeunes gens nobles et Ptolémée obtint, à ce qu'il semble, une principauté particulière, avec la ville d'Aloros qui lui valut le surnom sous lequel il est. connu. Cette transaction ne semblait être faite que pour perdre plus sûrement le roi : il fut massacré pendant une danse, un jour de fête. La mère d'Alexandre donna au meurtrier sa main et, sous couleur de tutelle pour ses jeunes fils Perdiccas et Philippe, la royauté (368-365). Pausanias, que beaucoup de Macédoniens avaient appelé, revint de la Chalcidique, et s'éleva contre l'usurpateur. On lui donne le titre de membre de la famille royale, sans qu'il soit possible aujourd'hui de distinguer à quelle branche il appartenait[34]. Il fit de rapides progrès ; Eurydice s'enfuit avec ses deux enfants auprès d'Iphicrate, qui se trouvait dans le voisinage avec des forces athéniennes. Iphicrate étouffa l'insurrection. Mais la position de Ptolémée n'en fut pas plus affermie pour cela ; le meurtre d'Alexandre était une violation du traité conclu avec les Thébains ; les amis du prince assassiné s'adressèrent à Pélopidas, qui était alors en Thessalie : celui-ci accourut avec des troupes levées rapidement ; mais l'or de Ptolémée dispersa les forces de ces ennemis. Pélopidas se contenta de conclure un nouveau traité avec lui : comme gage de sa fidélité, Ptolémée lui livra cinquante hétœres et son fils Philoxénos. C'est peut-être en cette occasion que Philippe alla aussi à Thèbes.

Mais Perdiccas III, aussitôt qu'il fut en âge, vengea le meurtre de son frère dans le sang de l'usurpateur. Pour se soustraire à l'influence de Thèbes, il s'attacha à Athènes et combattit avec gloire aux côtés de Timothée contre les Olynthiens. C'est alors que les Illyriens, peut-être appelés par les Lyncestes, passèrent la frontière ; Perdiccas les combattit d'abord avec succès, puis trouva la mort avec quatre mille hommes dans une grande bataille. Les Illyriens ravagèrent au loin la contrée, et les Péoniens firent aussi irruption par le nord dans le pays.

Telles furent les circonstances dans lesquelles Philippe prit les rênes du gouvernement (359), d'abord au nom d'Amyntas, fils mineur de Perdiccas. Il était déjà — sans doute depuis la mort de ce dernier — rentré dans le royaume ; d'après un arrangement que Platon passe pour avoir conseillé à Perdiccas, il avait obtenu une principauté partielle, et les troupes qu'il en tira[35] lui fournirent un premier point d'appui. Le danger était grand : les Illyriens et les Péoniens étaient dans le pays ; les anciens prétendants, Argæos et Pausanias, arrivaient d'Athènes, soutenus par les princes de Thrace ; trois bâtards de son père réclamaient la couronne. Fort de l'appui spontané du pays, Philippe surmonta les premières difficultés ; à force de prudence, d'adresse, de fermeté, le pays fut sauvé des Illyriens, des Péoniens et des Thraces, la royauté débarrassée des prétendants, et la maison royale mise à l'abri de nouvelles intrigues et de nouveaux bouleversements. Les Athéniens avaient eu la folie de déserter la cause de ses ennemis parce qu'il avait reconnu leurs droits sur Amphipolis ; puis, inquiets de ses succès, ils avaient formé une ligue offensive et défensive avec Grabos l'Illyrien, Lykpeios le Péonien, Kétriporis le Thrace et ses frères, comptant que les Barbares allaient briser la puissance macédonienne en l'attaquant de trois côtés à la fois, avant qu'elle fût concentrée et affermie. Mais Philippe, qui déjà s'était emparé d'Amphipolis et en avait gagné les citoyens, se porta rapidement aux frontières, et les Barbares, qui étaient encore loin d'être prêts, durent se hâter de faire leur soumission[36].

Vers 356, les frontières étaient complètement à l'abri des Barbares. En peu de temps, les partis disparurent de la cour ; Ptolémée et Eurydice, qui étaient attachés à celui des Lyncestes, étaient morts ; un des fils d'Aéropos, Alexandre, fut gagné plus tard par son mariage avec la fille du fidèle Antipater, tandis que les deux autres, Héromène et Arrhabæos[37], furent satisfaits par diverses faveurs ; Néoptolémos et Amyntas, fils d'Arrhabæos, furent élevés à la cour. Le nom des deux prétendants, Argæos et Pausanias, disparaît des documents historiques. Enfin Philippe, qui d'abord avait pris les rênes du gouvernement au nom d'Amyntas, fils de Perdiccas et légitime héritier du trône, attacha ce dernier à ses intérêts en lui donnant la main de sa fille Cynane lorsqu'il fut en état de se marier[38].

Ainsi la Macédoine était aux mains d'un prince capable, par son habileté et l'ordre qu'il mettait dans ses plans, de développer lés forces de son royaume, de les utiliser, et de les mettre enfin au niveau de la grande pensée qui préoccupait le roi, le dessein d'aller, à la tête de la race grecque, se mesurer avec la puissance des Perses. Dans les traditions historiques telles qu'elles sont parvenues jusqu'à nous, les succès étonnants de Philippe ont fait oublier les éléments de puissance qui les lui ont fait obtenir, et tandis qu'elles examinent chaque mouvement de la main habile qui attirait à elle l'un après l'autre tous les États de la Grèce, elles laissent pour nous dans une obscurité presque complète le corps auquel cette main appartenait et d'où lui venait sa force et sa sûreté ; on dirait, à les en croire, que l'or séducteur que cette main savait montrer et répandre en temps opportun a été à peu près le seul ou en tout cas le principal moyen d'action dont Philippe ait fait usage.

Lorsqu'on examine plus attentivement la vie intime de son royaume, on reconnaît distinctement deux leviers auxquels on avait déjà touché, mais dont Philippe développa tout l'effet, et qui furent la base de sa puissance. Lorsque mon père monta sur le trône, dit Alexandre, d'après Arrien, aux Macédoniens mutinés dans Opis (324), vous étiez errants, sans moyens d'existence, la plupart couverts de peaux de bêtes, gardant les moutons sur les montagnes et combattant misérablement pour les protéger contre les Illyriens, les Thraces et les Triballes ; il vous a donné la chlamyde du soldat, vous a fait descendre dans la plaine, et vous a appris à combattre à armes égales les Barbares voisins. A coup sûr, déjà auparavant, lorsqu'on était en guerre, tout homme en état de porter les armes était appelé, pour être rendu à sa charrue ou à ses troupeaux après la guerre : mais les dangers au milieu desquels Philippe prit le gouvernement, les combats qu'il dut livrer, surtout dans les premières années de son règne, pour protéger son pays menacé de tous côtés, lui donnèrent l'occasion de reprendre et de développer l'œuvre déjà commencée par le roi Archélaos, et peut-être défaite par les troubles intérieurs qui suivirent son règne[39]. Se fondant sur cette obligation du service militaire, il créa une armée nationale qui, s'accroissant peu à peu, finit par compter à peu près 40.000 hommes[40].

Il sut non seulement se créer cette armée, mais encore la soumettre à. une discipline et la former à l'art militaire. On nous le montre proscrivant les équipages inutiles, les chariots de bagages pour infanterie, n'accordant qu'un seul écuyer à chaque cavalier, et faisant souvent faire aux soldats, même pendant les chaleurs de l'été, des étapes de six à sept milles, avec charge complète et provisions pour plusieurs jours. La discipline était si sévère dans l'armée, que, dans la guerre de 338, deux officiers supérieurs furent cassés pour avoir amené une joueuse de lyre avec eux dans le camp[41]. Avec le service militaire lui-même se développa la hiérarchie des commandants et des subordonnés et un cadre d'avancement fondé sur le seul mérite et sur la capacité reconnue.

Les suites de celte organisation militaire se montrèrent bientôt ; elle eut pour résultat d'apprendre aux diverses provinces du royaume à se considérer comme formant un tout, et aux Macédoniens à sentir qu'ils étaient un seul peuple ; elle rendit possible la fusion intime des territoires nouvellement conquis avec l'ancienne Macédoine. Avant tout, avec cette unité et le caractère militaire qui devint désormais prédominant, elle donna au peuple macédonien le sentiment intime de sa valeur guerrière et la force morale produite par une hiérarchie au sommet de laquelle était le roi lui-même. Pour atteindre son but, celui-ci trouva dans la population agricole du pays une matière souple et résistante, tandis que la noblesse des hétœres lui composait un cadre d'officiers pleins d'honneur et d'émulation[42]. Une armée de cette nature devait être supérieure aux bandes de mercenaires et même aux levées de citoyens telles qu'elles se faisaient à la mode traditionnelle dans les États helléniques ; un peuple de cette rudesse et de cette vigueur devait l'emporter sur la race grecque saturée de civilisation et surexcitée ou blasée par la démocratie et la vie des cités. Cette terre macédonienne avait conservés par une faveur du destin, l'ancienne vigueur et les mœurs antiques, jusqu'au jour où il lui fut donné de faire ses preuves dans de grandes entreprises. Dans la lutte entre la royauté et la noblesse, la Macédoine avait donné la préférence, non pas comme en Grèce, des siècles auparavant, à l'orgueilleuse caste des seigneurs, mais à la royauté. Cette royauté chez un peuple agriculteur fort et libre, cette monarchie militaire donnait maintenant à la nation la forme, la force, la direction dont les démocraties helléniques elles-mêmes avaient reconnu la nécessité, mais qu'elles avaient été impuissantes à conserver et à convertir en institutions durables.

Au contraire, la civilisation, qui était le fruit tout particulier de la vie hellénique, devait être importée complète et tout d'une pièce dans le peuple macédonien. Il fallait donc poursuivre l'œuvre commencée par les princes précédents . L'exemple du roi et de sa cour était là d'un très grand poids, et la noblesse du royaume prit bientôt une position aussi naturelle qu'efficace, en devenant la partie policée de la nation. Dans aucun des grands États de la Grèce cette différence n'avait pu s'accuser de la même manière : les Spartiates étaient tous grossiers et n'avaient d'autre supériorité sur les hilotes et les périèques de leur pays que celle d'être les maîtres ; les Athéniens libres étaient, ou du moins se considéraient eux-mêmes comme étant tous sans exception extrêmement policés ; enfin dans d'autres endroits la démocratie avait supprimé la classe des seigneurs, mais pour abaisser d'autant plus sûrement le niveau de la vie intellectuelle en accentuant la distinction des riches et des pauvres.

Philippe avait vécu à Thèbes au temps d'Épaminondas ; un disciple de Platon, Euphræos d'Oréos, avait de bonne heure exercé une certaine influence sur ses destinées ; lui-même était, au dire d'Isocrate, un ami de la littérature et de la civilisation ; et ce qui le prouve, c'est qu'il appela Aristote pour être le précepteur de son fils. Des cours et leçons de toute espèce qu'il avait, parait-il, institués et qui étaient particulièrement destinés aux cadets de son entourage, pourvoyaient à l'éducation de la jeune noblesse, qu'il cherchait à attirer autant que possible à sa cour, à attacher à sa personne, à préparer au service immédiat de la royauté.

Comme enfants nobles d'abord, puis, lorsqu'ils étaient un peu plus âgés, comme gardes du corps du roi dans les légions des hétœres, comme commandants dans les divers corps d'armée, comme ambassadeurs près des États grecs, missions si fréquentes à l'époque, les nobles avaient assez d'occasions de se signaler ou de recevoir des récompenses pour services rendus, et partant ils avaient besoin de cette éducation et de ces mœurs attiques que le roi désirait et qu'il possédait lui-même. L'adversaire le plus zélé de Philippe devait avouer qu'Athènes aurait pu difficilement trouver un de ses citoyens qui fût plus homme du monde que le roi de Macédoine. Lorsqu'il se présentait à sa cour des fêtes, une réception d'ambassadeurs étrangers ou la célébration des grands jeux, cette cour que remplissait ordinairement le tapage, l'orgie, l'ivresse, à la mode grossière des Macédoniens ou des Centaures et des Lestrygons, comme dit Théopompe[43], brillait alors d'un éclat d'autant plus vif, conformément au goût et à la coutume helléniques ; tout y était splendide et magnifique, rien de petit ni de mesquin. Les domaines de la maison royale, les impôts fonciers du pays, le péage des ports, les mines du Pangæon qui rapportaient annuellement mille talents, et avant tout, l'ordre, et l'économie qui présidaient à l'administration de Philippe[44] portèrent son royaume à un degré de prospérité qu'on n'avait vu qu'une seule fois dans le monde hellénique, à Athènes sous Périclès.

La cour de Pella, avec son opulence, son éclat militaire, la noblesse qui y était réunie, pouvait en imposer même aux ambassadeurs helléniques. La plupart des membres de cette noblesse, ainsi que nous l'avons déjà fait remarquer, étaient d'origine princière : telles étaient la famille des Bacchiades de Lyncestide ; celle de Polysperchon, prince du territoire de Tymphæa[45] ; celle d'Oronte, à laquelle la province d'Orestide parait avoir appartenu[46] ; Perdiccas, fils aîné d'Oronte, obtint le commandement de la phalange d'Orestide, de la même, à ce qu'il semble, dont la conduite passa aux mains de son frère Alcétas lorsque lui-même devint hipparque. La principale de ces races princières était une branche collatérale de la famille royale, celle d'Élymiotide, issue, au temps de la guerre du Péloponnèse, de ce prince Derdas dont nous avons parlé plus haut[47] : vers l'année 380, un second Derdas possédait le pays ; il avait marché alors avec Amyntas de Macédoine et les Spartiates contre Olynthe, et nous le retrouvons plus tard prisonnier des Olynthiens[48]. Philippe, en épousant Phila, sœur de ce Derdas, doit avoir eu pour but de se l'attacher ou de terminer avec lui quelque différend. Dans l'entourage du roi, on trouve mentionnés les noms des frères de Derdas, Machatas et Harpalos[49]. Toutefois, il resta entre Philippe et cette famille une froideur qui ne fut pas toujours habilement dissimulée et que le roi entretenait peut-être à dessein, pour tenir ces grands à une certaine distance et dans l'appréhension au moyen d'une faveur douteuse. Dans une affaire juridique dont Philippe était juge, c'est à peine si Machatas put obtenir une sentence équitable ; le roi ne manqua pas de profiter d'une injustice dont s'était rendu coupable un parent de cette maison poile offenser publiquement la famille, et les prières d'Harpalos, frère de Machatas, en faveur du délinquant, furent repoussées non sans aigreur[50].

Parmi les familles nobles réunies à la cour de Pella, il en est deux qui méritent- d'être mentionnées, à cause de leur importance particulière, ce sont celles d'Iollas et de Philotas. Le fils de Philotas était Parménion, ce général fidèle et prudent auquel Philippe avait plusieurs fois confié la conduite des expéditions les plus importantes : il lui devait la victoire sur les Dardaniens (356) : c'est lui qu'il chargea d'occuper l'Eubée (343). Les frères de Parménion, Asandros et Agathon, et plus encore ses fils, Philotas, Nicanor et Hector, participèrent plus tard largement à la gloire de leur père : ses filles s'allièrent aux plus nobles familles du royaume ; l'une épousa Cœnos, un chef de phalange, l'autre Attale, dont une nièce épousa plus tard le roi. Antipater ou Antipas, comme l'appelaient les Macédoniens, fils d'Iollas, n'avait pas une moindre influence et n'occupait pas un rang moins honorable, ainsi que le prouve ce mot de Philippe : J'ai dormi tranquille, car Antipas veillait[51]. Sa fidélité éprouvée et sa perspicacité dans les affaires militaires et politiques[52] le rendaient très propre à remplir les hautes fonctions d'administrateur du royaume, fonctions dont il allait être chargé bientôt, et un mariage avec sa fille parut au roi le plus sûr moyen de s'attacher la noble famille des Lyncestes. Ses fils, Cassandre, Archias et Iollas, ne jouèrent un rôle que plus tard.

Voilà ce qu'étaient la cour et la nation telles que Philippe les avait faites. Il faut ajouter que l'élément monarchique dut acquérir, dans les mœurs publiques de la Macédoine, une prépondérance décisive tour à la fois par la situation historique de ce pays et par la personnalité de Philippe. Ce n'est qu'en reconstituant cet ensemble des circonstances que l'on peut comprendre ce caractère. Placé au point où se heurtaient les contradictions et les contrastes les plus singuliers, Grec par rapport à son peuple, Macédonien pour les Grecs, Philippe avait sur ceux-là l'avantage de la ruse et de la dissimulation helléniques, sur ceux-ci celui de la rudesse et de l'énergie macédoniennes, supérieur aux uns et aux autres par la netteté avec laquelle il précisait son but, par la suite qu'il mettait dans la conception de ses plans, par le secret et la rapidité avec laquelle il les mettait à exécution. Sa tactique consistait à être une perpétuelle énigme pour ses adversaires et à apparaître toujours autrement, dans un autre lieu, dans une autre direction qu'ils ne s'y attendaient. Porté par nature à la volupté et aux plaisirs, il avait aussi peu de retenue que de constance dans ses penchants : souvent il semblait être complètement dominé par ses passions, et toutefois, dans ces moments même, il restait entièrement maitre de lui et aussi réfléchi et froid que l'exigeaient ses desseins, tellement qu'on peut douter si c'est dans ses vertus ou dans ses défauts que son individualité propre se manifestait le mieux. Les mœurs de son siècle, la politesse, l'habileté, la frivolité du temps, le mélange de grandes pensées et de souplesse raffinée qu'on y rencontre, se reproduisent en lui comme dans un miroir.

Olympias, son épouse, formait avec lui un contraste frappant. Elle était fille de Néoptolémos, roi des Épirotes, et appartenait à la race d'Achille. Philippe, dans sa jeunesse, avait appris à la connaître dans la célébration des Mystères à Samothrace, et l'avait épousée avec le consentement d'Arybbas, son tuteur et son oncle[53]. Belle[54], peu communicative, pleine d'ardeurs concentrées, elle était passionnément adonnée au culte mystérieux d'Orphée et de Bacchos et à la sombre magie des femmes de Thrace ; dans les orgies nocturnes, on la voyait, dit-on, se précipiter à travers les montagnes en tête de toutes les autres, en proie à. une surexcitation sauvage, brandissant le thyrse et le serpent. Ses songes répétaient les fantastiques images dont son imagination était remplie ; la nuit qui précéda son mariage, elle rêva, dit-on, qu'elle était enveloppée par une violente tempête et que la foudre enflammée pénétrait dans son sein : il s'en échappait ensuite un feu impétueux qui promena au loin ses flammes dévorantes et s'évanouit.

Lorsque la tradition nous rapporte que, entre autres signes prodigieux survenus la nuit où Alexandre naquit, le temple d'Artémis à Éphèse qui, avec son mégabyze, ses eunuques et ses hiérodules, était pour les Grecs un véritable sanctuaire oriental, fut détruit par un incendie ; lorsqu'elle ajoute encore que Philippe, au moment où il apprit la naissance de son fils, reçut en même temps trois messages de victoire[55], elle ne fait qu'exprimer sous une forme légendaire le sens général d'une vie héroïque si pleine de faits, ce sens que la recherche scientifique a tenté si souvent de dégager et qui la plupart du temps lui a échappé.

Tout bien compté, dit Théopompe en parlant de Philippe, l'Europe n'a jamais vu un homme semblable au fils d'Amyntas[56]. Tenace , calculateur, infatigable au travail comme il l'était, il lui manqua pourtant, en définitive, pour accomplir l'entreprise dans laquelle il voyait le but de sa vie, quelque chose qui n'entrait pas dans ses aptitudes. Il peut s'être emparé de cette grande idée comme un moyen d'unifier le monde grec et d'élever de plus en plus haut les regards de ses Macédoniens ; c'était une idée que lui donnait la civilisation et l'histoire de la Grèce ; la nécessité des circonstances au milieu desquelles il avait eu si longtemps, si péniblement à se débattre l'amena à la concevoir : mais ce ne fut pas la nécessité et l'invincible force de cette pensée qui l'excita à l'accomplir ; on pourrait même douter qu'il la crût pratique, lorsqu'on le voit hésiter et tergiverser au milieu de préparatifs sans cesse renouvelés. Ces préparatifs étaient certainement nécessaires ; mais on a beau entasser Ossa sur Pélion, on n'en atteint pas davantage l'Olympe des dieux. Au delà de la mer, il voyait bien la terre de la victoire et de l'avenir pour les Macédoniens ; mais ensuite son regard se troublait, et sur ses plans se projetaient comme un nuage les formes indécises de ses désirs. Cette passion pour la grande entreprise se communiqua de lui à son entourage, à la noblesse, au peuple tout entier ; elle devint le point central autour duquel s'agitait la vie macédonienne, le séduisant secret de l'avenir ; on combattait contre les Thraces, on triomphait des Grecs, mais l'Orient était le but pour lequel on combattait et on triomphait.

C'est dans ce milieu que s'écoula l'enfance d'Alexandre ; l'âme de l'enfant put être d'assez bonne heure impressionnée par les légendes de l'Orient, le tranquille fleuve de l'or, la source du Soleil, le cep d'or aux grappes d'émeraudes et la prairie de Nysa, où était né Dionysos. Puis il grandit et entendit parler des victoires de Marathon et de Salamine, des temples et des tombeaux que le roi des Perses, avec son armée d'esclaves, avait dévastés et profanés ; on lui dit aussi comment son aïeul, le premier Alexandre, avait dû offrir aux Perses la terre et l'eau et leur fournir une armée contre les Hellènes, et comment maintenant les Macédoniens allaient marcher sur l'Asie et venger son aïeul. Un jour qu'il vint à Pella des ambassadeurs de la cour de Perse, il les interrogea avec soin sur l'armée et les peuples de l'empire, sur les lois et les usages, sur l'organisation et la vie de ces peuples, et les Perses furent étonnés de cet enfant[57].

Ce ne fut pas non plus une circonstance moins importante qu'Aristote, ce grand penseur de l'antiquité, ait été le précepteur de l'adolescent (345-344). On dit que Philippe, dès la naissance de son fils, sonda à ce sujet le philosophe et qu'il lui écrivit : « Ce qui me réjouit, ce n'est pas que cet enfant soit né, mais bien qu'il soit né de vos jours ; élevé par vous, il sera digne de nous et de la destinée qui sera un jour son héritage[58]. Celui qui a conquis le monde à la pensée éleva celui qui devait le conquérir à la pointe de l'épée ; c'est à lui qu'appartient la gloire d'avoir donné à cet enfant passionné l'initiation et la grandeur des pensées, la pensée de la grandeur surtout ; c'est lui qui lui apprit à mépriser les plaisirs et à fuir la volupté[59], qui ennoblit ses passions et donna à sa force la mesure et la profondeur. Alexandre conserva toujours pour son précepteur le plus profond respect ; il disait qu'il devait seulement à son père de vivre, mais qu'il devait à son maître de vivre bien.

Telles furent les influences sous lesquelles se forma son génie et son caractère. Plein d'activité et passionné pour la gloire, il allait jusqu'à s'affliger des victoires de son père, parce qu'elles ne lui laisseraient plus rien à faire. Achille était son modèle, et il se glorifiait volontiers d'appartenir à sa race, lui qui devait ressembler à son héros par la gloire et la peine. Il aimait Héphestion, son ami de jeunesse, comme Achille son Patrocle ; et s'il estimait son ancêtre heureux de ce qu'Homère eût fait passer à la postérité la mémoire de ses hauts faits, les légendes héroïques des peuples de l'Orient et de l'Occident ne se lassent pas d'orner le nom d'Alexandre de tout le merveilleux éclat d'une grandeur humaine et surhumaine. A son père il préférait sa mère, dont il avait l'enthousiasme et cette profonde vivacité de sentiment qui le distingue parmi tous les héros anciens et modernes[60]. Son extérieur répondait aux qualités de son âme ; sa démarche vive, son regard étincelant, sa chevelure éparse, sa voix forte, annonçaient le héros. Lorsqu'il était en repos, il y avait un charme enchanteur dans la douceur de ses traits, le tendre coloris qui animait sa joue, son œil au regard humide, sa tête légèrement inclinée à gauche. Il se distinguait surtout dans les exercices équestres ; il n'était encore qu'un enfant lorsqu'il dompta Bucéphale, ce coursier sauvage de Thessalie sur lequel personne n'osait se hasarder et qui fut plus tard, dans toutes ses guerres, son cheval de bataille. Il fit ses premières arme sous la conduite de son père ; tandis que Philippe assiégeait Byzance, il soumit les Mædes et fonda dans leur pays une ville qui porta son nom[61] ; il acquit encore plus de gloire à la bataille de Chéronée, qui fut gagnée par sa bravoure personnelle. L'année suivante, il battit Pleurias, prince de l'Illyrie, dans un combat des plus acharnés[62]. Ce fut sans envie, dit-on, que Philippe vit dans son fils celui qui devait un jour exécuter ses plans. Malgré toutes les commotions que la succession au trône avait causées dans le pays ;il dut être sans inquiétude sur l'avenir en voyant à ses côtés un successeur qui semblait doué des plus hautes qualités nécessaires à un roi, qui trouverait, selon le mot qu'on lui prête, la Macédoine trop petite pour lui, et n'aurait pas, comme son père, à se repentir de bien des choses qu'il n'était plus possible de changer[63].

Puis commencèrent des différends entre le père et le fils. Alexandre voyait sa mère délaissée par Philippe, qui lui préférait des danseuses de Thessalie ou des femmes galantes de Grèce. Le roi se choisit même une seconde femme parmi les filles nobles du pays ; c'était Cléopâtre, nièce d'Attale. Le mariage, raconte-t-on, fut célébré avec autant d'éclat que de bruit, selon les mœurs macédoniennes ; on but et on rit. Comme on était déjà échauffé par le vin, Attale, oncle de la jeune reine, s'écria : Ô Macédoniens, priez les dieux ! puissent-ils béni le sein de notre reine et donner au royaume un légitime héritier du trône ! Alexandre était présent ; enflammé de colère, il lui cria : Me prends-tu donc pour un bâtard, gredin ? et il lança sa coupe contre lui. Le roi, furieux, se leva, et, tirant son épée suspendue à son côté, se précipita sur son fils pour le transpercer ; mais le vin, la fureur, la blessure qu'il avait reçue à Chéronée, rendaient ses pas chancelants ; il vacilla et tomba par terre. Les amis se hâtèrent d'éloigner Alexandre de la salle : Voyez, mes amis, dit-il en sortant, mon père veut aller d'Europe en Asie, et il ne peut se traîner d'une table à une autre ! Il quitta la Macédoine avec sa mère : elle gagna l'Épire, sa patrie ; lui se retira plus loin, en Illyrie[64].

Peu après, Démaratos, l'hôte et l'ami de Corinthe, vint à Pella. Le roi, après l'avoir salué, lui demanda comment allaient les choses en Grèce et si les Hellènes conservaient la paix et la concorde. Ô roi, lui répondit son hôte avec une noble franchise, pouvez-vous bien m'interroger sur la paix et la concorde en Grèce, vous qui avez rempli votre propre maison de trouble et de haine, vous qui avez chassé loin de votre personne ceux qui devaient être pour vous les plus proches et les plus chers ! Le roi garda le silence : il savait combien Alexandre était aimé ; il savait ce qu'il valait et ce qu'il était ; il craignait que tout cela ne suggérât aux Hellènes de malins propos et peut-être des projets pires que les propos. Démaratos dut lui-même faire l'office de médiateur ; bientôt le père et le fils furent réconciliés, et Alexandre revint à la cour.

Mais Olympias n'oublia pas qu'elle avait été méprisée et chassée ; elle resta en Épire, et poussa ses frères à prendre les armes pour briser le lien qui la tenait sous la dépendance de Philippe[65]. Il est à croire qu'elle ne négligea pas non plus d'avertir et d'exciter son fils. Les sujets de méfiance ne manquaient pas ; Attale et ses amis dominaient partout. Les ambassadeurs du dynaste de Carie, Pixodaros, cherchaient à faire une ligue avec Philippe, et proposaient une alliance par mariage entre les deux maisons ; on leur offrit comme époux pour la fille du dynaste Arrhidæos, fils du roi et de la Thessalienne. Alors Alexandre fut convaincu que ses droits d'héritier du trône étaient menacés : ses amis furent de son avis et lui conseillèrent de travailler avec résolution et en toute hâte à contrecarrer les plans de son père. Un homme de confiance, l'acteur Thessalos, fut envoyé au dynaste de Carie, pour lui dire qu'il ne fallait pas qu'il donnât sa fille à un bâtard idiot ; qu'Alexandre, fils légitime du roi et futur héritier du trône, était prêt à devenir le gendre d'un prince aussi puissant que le dynaste. Philippe découvrit l'intrigue et entra dans la plus grande colère ; en présence du jeune Philotas, un des amis d'Alexandre, il reprocha à son fils l'indignité de sa méfiance et de sa dissimulation, disant qu'il n'était pas digne de sa haute naissance, de son bonheur et de sa destinée, s'il n'avait pas honte d'épouser la fille d'un Carien, l'esclave d'un roi barbare. Les amis d'Alexandre qui l'avaient conseillé, Harpalos, Néarchos, Ptolémée fils de Lagos, les frères Érigyios et Laomédon ; furent bannis de la cour et du royaume ; l'extradition de Thessalos fut exigée à Corinthe[66].

Ainsi arriva l'année 336. Les préparatifs pour la guerre de Perse furent poussés avec la plus grande activité ; on appela les contingents des États alliés, et un corps d'armée important fut dirigé comme avant-garde sur l'Asie, sous la conduite de Parménion et d'Attale, pour occuper les places au delà de l'Hellespont, délivrer les villes helléniques et ouvrir la voie à la grande armée fédérale[67]. Il est assez étrange que le roi divisât ainsi ses forces, et plus étrange qu'il en engageât ainsi une partie, qui en aucun cas ne pouvait être assez forte, avant d'être complètement sûr des affaires concernant la politique intérieure. Les mouvements qui se produisaient en Épire ne lui échappaient pas ; ils semblaient annoncer une guerre qui non seulement menaçait de faire différer encore davantage l'expédition de Perse, mais qui ne pouvait rapporter un grand avantage dans le cas où elle serait heureusement terminée, et dans le cas contraire anéantirait d'un seul coup l'œuvre qui avait coûté tant d'efforts et avait demandé au roi un travail de vingt années. Il fallait conjurer cette guerre : on ne pouvait pas laisser le Molosse dans une situation si équivoque vis-à-vis de la Macédoine. On le gagna par une proposition qui l'honorait, en même temps qu'elle assurait sa puissance : Philippe fiança avec lui Cléopâtre, sa fille et celle d'Olympias ; le mariage devait avoir lieu dans l'automne de la même année, saison que le roi avait aussi choisie pour célébrer avec la plus grande pompe la fête de l'Union de tous les Hellènes et pour inaugurer en commun la- guerre persique. Philippe avait interrogé le dieu de Delphes pour savoir s'il serait vainqueur des Perses, et l'oracle avait répondu : Voici que le taureau est couronné : finissez-en ; le sacrificateur est prêt.

Parmi les jeunes nobles de la cour était Pausanias, remarquable par sa beauté et très en faveur près du roi. Enflammé de colère, à cause d'une grave injure qu'il avait reçue d'Attale dans un festin, il eut recours à Philippe, qui blâma bien l'acte d'Attale, mais se contenta, pour apaiser l'offensé, de lui offrir des présents et de le faire entrer dans les rangs des gardes du corps. Peu après, le roi épousait la nièce d'Attale, qui lui-même épousait la fille de Parménion. Pausanias ne voyait aucun espoir de se venger ; il couva d'autant plus avant dans son cœur son dépit, sa rancune et sa haine contre celui qui l'avait frustré de sa vengeance. Il n'était pas seul dans sa haine ; les frères Lyncestes n'avaient pas oublié ce qu'avait été et leur père et leur frère : ils nouèrent des relations secrètes avec le roi de Perse[68]. Ils étaient d'autant plus à craindre qu'ils le paraissaient moins. Le nombre des mécontents s'accroissait dans l'ombre de plus en plus ; Hermocrate, le sophiste, attisait le feu par ses discours envenimés ; il gagna la confiance de Pausanias. Comment obtient-on la plus grande gloire ? demandait le jeune homme. En tuant celui qui a accompli ce qu'il y a de plus grand, fut la réponse du sophiste[69].

L'automne arriva[70], et avec lui les fêtes des noces. Le mariage devait avoir lieu à Ægæ, l'ancienne résidence royale où se trouvait encore, depuis que Pella florissait, le lieu de sépulture des rois. Les hôtes y accouraient en foule de tous les côtés ; les théores, en grande pompe, arrivaient de Grèce ; beaucoup portaient des couronnes d'or pour Philippe[71] ; les princes des Agrianes, des Péoniens, des Odryses, les grands du royaume, la noblesse chevaleresque du pays, un peuple innombrable s'y réunissait. Le premier jour se passe en joie bruyante, au milieu des salutations, des témoignages d'honneur, des processions solennelles et des festins ; des hérauts convient la foule à se réunir le lendemain matin au théâtre. Avant l'aube, la multitude se pressait déjà dans les rues, se portant pêle-mêle vers le lieu du spectacle ; enfin le roi, revêtu d'habits de fête, environné de ses jeunes nobles et de ses gardes du corps, s'approche ; il envoie sa suite en avant dans le théâtre, car il pense qu'il n'en a pas besoin au milieu de cette foule joyeuse. A ce moment, Pausanias se précipite sur lui, lui transperce la poitrine, et, pendant que le roi s'affaisse, court rejoindre les chevaux qui l'attendent tout prêts à la porte de la ville ; mais en fuyant, il fait un faux pas et tombe ; Perdiccas, Léonnatos et d'autres gardes du corps l'atteignent et le percent de coups.

La réunion se disperse dans une tumultueuse confusion ; le trouble, la fermentation est partout. A qui doit appartenir le trône, qui sauvera le royaume ? Alexandre est le fils aîné du roi ; mais on craint la haine sauvage de sa mère que beaucoup, pour plaire au roi, ont méprisée et injuriée. Déjà elle est à Ægæ pour présider aux funérailles de son époux ; elle semble avoir pressenti, prévu la catastrophe ; on dit que le meurtre du roi est son ouvrage, que c'est elle qui tenait les chevaux prêts pour le meurtrier. On ajoutait qu'Alexandre aussi avait eu connaissance du guet-apens, signe de plus qu'il n'était pas le fils de Philippe, mais qu'il avait été conçu et mis au monde par un noir maléfice ; de là la répulsion du roi contre lui et contre sa farouche mère, de là le second mariage avec Cléopâtre ; c'était à l'enfant que celle-ci venait de mettre au monde[72] qu'appartenait le trône. Attale, oncle de la reine, n'avait-il pas possédé la confiance du roi ? il était digne de prendre la régence. D'autres pensaient que celui qui avait le plus de droits au trône était Amyntas, fils de Perdiccas, qui avait dû, à cause de sa jeunesse, abandonner à Philippe les rênes de l'empire environné de dangers ; la haute valeur de Philippe excusait seule son usurpation ; d'après son droit imprescriptible, Amyntas devait maintenant monter sur le trône, dont il s'était rendu digne pendant tant d'années qu'il en avait été écarté[73]. D'un autre côté, les Lyncestes et leurs partisans prétendaient que, si l'on faisait valoir pour l'héritage de Philippe des prétentions plus anciennes, leur père et leur frère avaient possédé le trône avant Perdiccas et le père de Philippe, et qu'ils ne devaient pas en rester privés par une plus longue usurpation ; que d'ailleurs Alexandre et Amyntas n'étaient guère encore que des enfants : Amyntas avait été, dès son jeune âge, privé de la force et de l'espérance de régner ; Alexandre, sous l'influence d'une mère avide de vengeance, était, par son arrogance, son éducation dans les goûts du jour, son mépris des bonnes vieilles mœurs, plus redoutable que Philippe son père lui-même pour les libertés du royaume, tandis qu'eux ils étaient les amis du pays ; ils appartenaient à cette race qui, de tout temps, s'était efforcée de maintenir les anciennes mœurs ; ils avaient vieilli au milieu des Macédoniens, s'étaient mis au courant des désirs du peuple ; ils étaient liés avec le Grand-Roi de Suse et pouvaient seuls protéger le pays contre sa colère, s'il en arrivait à. demander satisfaction pour cette guerre que Philippe avait commencée avec une folle témérité ; c'était un grand bonheur pour le pays que la main de leur ami l'eût délivré à temps d'un roi qui ne comptait pour rien le droit, le bien du peuple, les serments et la vertu.

Ainsi parlaient les partis ; mais le peuple haïssait les meurtriers du roi et ne craignait pas la guerre ; il oublia le fils de Cléopâtre, car le représentant de son parti était éloigné ; il ne connaissait pas le fils de Perdiccas, dont l'inaction semblait être une preuve suffisante d'incapacité. Du côté d'Alexandre était tout le droit, et les injures imméritées dont il était l'objet ne faisaient qu'exciter la sympathie ; de plus, il avait pour lui la gloire qu'il avait acquise dans les guerres contre les Mædes et contre les Illyriens, celle de la victoire de Chéronée, la gloire plus belle encore de l'éducation, de l'affabilité, de la générosité ; déjà même il avait présidé avec bonheur aux affaires du pays ; il possédait la confiance et l'amour du peuple, et pouvait en particulier compter sur l'armée. Alexandre le Lynceste comprit qu'il ne lui restait aucune espérance ; il se hâta d'aller trouver le fils d'Olympias et fut le premier à le saluer roi de Macédoine[74].

Les débuts d'Alexandre ne furent pas la simple prise de possession d'un héritage assuré ; ce jeune homme de vingt ans dut montrer qu'il avait, pour être roi, et la vocation et la force. D'une main ferme, il saisit les rênes du gouvernement, et les troubles cessèrent. 11 convoqua l'armée pour recevoir ses hommages, comme c'était l'usage chez les Macédoniens : le nom seul du roi était changé ; la puissance de la Macédoine, l'ordre des choses, les espérances de conquête restaient les mêmes. Il maintint l'ancienne obligation du service militaire, mais dispensa ceux qui servaient de tout autre devoir et de toute autre obligation[75]. Les exercices nombreux, les marches fréquentes qu'il ordonna rendirent aux troupes l'esprit militaire que les derniers événements pouvaient avoir relâché, et en firent un instrument sûr dans sa main[76].

Le meurtre du roi demandait un châtiment exemplaire ; c'était en même temps le moyen d'affermir le nouveau gouvernement. On découvrit que les frères Lyncestes, achetés par le roi de Perse qui craignait la guerre avec Philippe, avaient formé une conjuration, dans l'espérance de saisir la couronne à l'aide des Perses ; Pausanias n'avait été que l'instrument aveugle de leurs secrets desseins. Les conjurés furent exécutés le jour des funérailles ; parmi eux se trouvaient les Lyncestes Arrhabæos et Héromène ; leur frère Alexandre fut gracié parce qu'il s'était soumis ; le fils d'Arrhabæos, Néoptolème, s'enfuit chez les Perses[77].

 

 

 



[1] DEMOSTH., Philipp. III, g 32. Olynth. III, § 16. 24. De falsa leg., § 305. 308.

[2] HERODOT., I, 56. Pour plus amples, détails sur ces légendes, voyez ABEL, Makedonien, p. 97 sqq.

[3] APPIEN, B. Syr., 63. Cf. STRABON, V, p. 329, et les vers sibyllins cités par Pausanias (VII, 8, 9).

[4] HEROD., VIII, 137 sqq. V, 22. THUCYD., II, 99. Comme Thucydide parle expressément des huit rois avant Archélaos, la généalogie royale qui remonte jusqu'à Caranos a dû être fabriquée plus tard, probablement — d'après WEISSENBORN et GUTSCHMID — par Euripide.

[5] Tout récemment A. FICK, Zum makedonischen Dialekte (in Kuhn's Zeitschrift, XXII, p. 193 sqq.) a élucidé cette question, et, en dépit des objections de G. MEYER (in Jahrbb. klass. Philol., 1875, p. 186), il a démontré, à mon sens, par des preuves convaincantes que ce que l'on possède de gloses et de noms macédoniens est en majeure partie de caractère foncièrement grec, surtout les noms antérieurs à Alexandre le Philhellène : ainsi, le nom de cet Alexandre lui-même, ceux de ses prédécesseurs qui sont, en remontant, Amyntas, Alcétas, Aéropos (nom d'un roi de Tégée, PAUSAN., VIII, 44, 8), Philippe, Perdiccas. Cependant, dans la liste de noms macédoniens qui date de Ol. LXXXIX (C. I. ATTIC., n° 42), il s'en trouve aussi de bien étranges, Γαιτέας, Σταόμέας et — dans le fragment 42 d, qui doit appartenir à la même inscription — Έθαρος, Κρατέννας. Parmi les gloses macédoniennes (ap. MEYER, op. cit., n° 50), γράβιον, signifiant le copeau de sapin que l'on emploie comme luminaire, rappelle le nom du prince illyrien Γράβος dans l'inscription de l'an 355 (publiée dans l'Έφημάρχ., 1874, p. 451 et insérée maintenant au C. I. ATTIC., II, n° 66 b),

[6] ARISTOT., Polit., VII, 2, 8.

[7] HEGESANDR., ap. ATHEN., I, p. 18.

[8] DURIS, fragm., 72. L'histoire fait remonter cet usage à la fille d'Héraclès, Macaria, qui, d'après une autre légende, se serait sacrifiée elle-même comme victime expiatoire. Cf. O. MÜLLER, Dorier, I, p. 55.

[9] PAUSAN., IX, 40, 8. Caranos est ici substitué, comme chef de la dynastie, au Perdiccas d'Hérodote.

[10] ARISTOTE, Polit., X, 10. 22.

[11] Sur ces frères de Perdiccas, nous sommes renseignés par le texte épigraphique du traité conclu en 423 entre lui et Athènes (C. I. ATTIC., n° 42), car ce document est contresigné d'abord par les parents du roi, puis par d'autres Macédoniens en qualité de témoins. Au premier rang figurent les frères du roi ; puis vient son fils Archélaos, ensuite les neveux du roi. La rangée commence par [Μ]ε[ν]έλαος Άλεξάνδρου, suivi de Άλκέτης Άλεξάνδρου. Ce Ménélaos est le même que cite, d'une façon malheureusement si embrouillée, Justin (VII, 4, 5). L'autre frère de Perdiccas est le même Alcétas qu'on appelait, dit-on, l'Entonnoir, tant il était intrépide buveur, et à propos duquel Platon (Gorgias, p. 471) croit pouvoir affirmer que, pour conserver le trône, Archélaos fils de Perdiccas l'a fait assassiner avec son fils Alexandre. Au troisième et quatrième rang, l'inscription nomme ΑΡΧΕΛΑΣ Π[ερδίκκο.....] ΟΑ. ΕΡ. ΟΣΦΙΛΙΙΙ [après Περδίκκο.., il reste assez d'espace pour Άμύντας Φιλίππ]ο, c'est-à-dire l'Amyntas qui est mentionné en qualité de fils du prince Philippe, prince investi d'une part de souveraineté et déjà mort aux environs de 429. Le second fils de ce Philippe n'est mentionné nulle part ailleurs, et bien qu'il ne manque à son nom que deux lettres, on ne trouve pas de restitution assurée pour combler la lacune. Après le second fils de Philippe, l'inscription nomme ..υρος Άλκέτου : comme il ne manque au nom que deux lettres, il devait y avoir Γαΰρος ou Ταΰρος. On ne rencontre pas parmi les témoins celui qui était probablement le frère aine de Perdiccas, l'Amyntas que Dexippos désigne comme ίδιοπκώς ζήσας. La raison qui fait supposer qu'il était plus âgé que Perdiccas, c'est que plus tard Perdiccas a épousé la veuve du fils d'Amyntas, Arrhidæos. Amyntas représente la branche royale proprement dite, de laquelle descendent Philippe II et Alexandre le Grand.

[12] Du moins Platon — qui mérite, il est vrai, peu de confiance quand il s'agit de personnalités — dit (Gorgias, p. 471 a) que Archélaos a assassiné son frère âgé de sept ans. Cet enfant était né à Perdiccas de sa légitime épouse Cléopâtre, veuve d'Arrhidæos.

[13] Cette forme de la προστασία τής βασιλείας est mise tout particulièrement en évidence par les événements de 323, après la mort d'Alexandre, et il en sera question à ce propos.

[14] D'après SCHOL. THUCYD., I, 57, Arrhidæos était un frère d'Alexandre Ier.

[15] ABEL (Makedonien, p. 152) conjecture que c'est la faveur du Grand-Roi qui a adjugé ces territoires limitrophes à la satrapie de Macédoine.

[16] CALLISTHEN., ap. ARRIEN, IV, 4, 11.

[17] Sans être restreinte dans ses attributions, comme à Sparte et en Épire, la dynastie macédonienne gouverne βασιλκώς, ού τυραννικώς (ISOCRATE, Philipp., § 175). Polybe cite encore un exemple de la liberté que les Macédoniens conservaient dans leurs rapports avec leurs rois (POLYB., V, 27, 6).

[18] LUCIAN., Dial. Mort., 14.

[19] Bien que la dynastie se vante de son origine dorienne, il n'y a pas trace, soit dans le peuple soit dans la noblesse indigène, de tribus (φυλαί) à la mode dorienne. En revanche, la division régionale est très accusée.

[20] HESYCH., s. v. σκοΐδος. Quelque opinion que l'on ait des lettres d'Alexandre (dont l'authenticité a été récemment défendue par R. HANSEN, in Philologus, XXXIX [1880], p. 258-301), il est évident que même un faussaire a dû employer le mot propre. D'après FICK, le mot est régulièrement formé de la racine skaidh, signifiant séparer. Une deuxième glose fournie par Hesychius : ταγανόγα . Μακεδονική τις άρχή, est inexplicable et probablement corrompue : le commencement rappelle le ταγός thessalien. Les monnaies des villes nous fournissent aussi quelques renseignements sur l'administration locale.

[21] Le roi peut faire entrer même des étrangers dans les rangs de ses hétœres (ARRIEN, I, 15, 6). Voir ce que dit Théopompe du roi Philippe II (THÉOPOMP., fragm., 249). D'après le même auteur, les 800 hétœres de Philippe possédaient autant de terres que 10.000 Hellènes : par conséquent, il y avait encore en Macédoine de grandes propriétés comme on n'en rencontrait plus dans le monde hellénique, du moins en dedans des Thermopyles.

[22] On trouve des renseignements instructifs sur la condition des bénéficiaires dans une inscription de Potidée, publiée par DUCHESNE et BAYET (Mémoire sur une mission au mont Athos, p. 70). Les biens que le roi Cassandre donne à Perdiccas, fils de Cœnos, se trouvaient évidemment sur le territoire des villes de la Chalcidique conquises par Philippe. Les autres dispositions de l'acte montrent que ces biens, primitivement lots de clérouques, sont soumis à un autre régime que les πατρικαί ; qu'ils doivent être confirmés au bénéficiaire par chaque nouveau roi, et qu'il faut des concessions spéciales pour qu'ils soient exempts de redevances et aliénables par vente ou échange au gré des possesseurs. On sait par Démosthène (De falsa leg. , § 145) que les Athéniens Eschine et Philocrate avaient reçu de Philippe II des biens de cette nature, situés en Chalcidique et qui rapportaient ½ et 1 talent.

[23] HERODOT., V, 22.

[24] Je me sers de cette expression, parce que Perdiccas II n'a pas dû succéder immédiatement (en 454) à Alexandre le Philhellène (PACK, Die Entstehung der makedon. Anagraphe, in Hermes, X, p. 282). On a déjà remarqué plus haut qu'Amyntas était probablement l'aîné des fils d'Alexandre : peut-être Perdiccas n'avait-il d'abord, comme Philippe, qu'une principauté particulière. Perdiccas a dû l'écarter, comme il fit vers 431 pour Philippe (THUCYD., I, 57. 59). C'est pour faire rentrer le fils de Philippe en possession de l'héritage paternel que les Thraces font en 429 une expédition en Macédoine (THUCYD., II, 100, 3. DIODORE, XII, 50, 3).

[25] THUCYDIDE, II, 100, 2. Par conséquent, il organisa la cavalerie aussi bien que les corps d'hoplites.

[26] DIO CHRYS., II, 18.

[27] ARISTOPHANE, Ran., 85. Autres détails dans ÆLIAN, Var. Hist., XIV, 17. II, 21. Les poètes Agathon, Chœrilos, Euripide, le peintre Zeuxis étaient à sa cour : on dit que Platon était fort de ses amis (ATHÉNÉE, XI, p. 508, etc.).

[28] Ά̓ῤράβαιος est l'orthographe de l'inscription attique (C. I. ATTIC., I, n° 42).

[29] τώ [Άρριδαίου] υίεΐ Άμύντα (ARISTOT., Polit., V, 8, 11, avec la correction de SAUPPE, Inscr. Macedon. quatuor, 1847. V, 17). C'est le même Amyntas qui est nommé dans l'inscription relative aux συνθήκαι conclues avec les Chalcidiens (LE BAS, II, p. 325, n° 1406), où on lit à la première ligne πρός Άμύνταν τόν Άρριδαίου et à la seconde ....τόν Έρριδαίου. Le texte d'Aristote suggère à SAUPPE une conjecture ingénieuse, c'est que la veuve d'Arrhidæos, mariée avec Perdiccas, lui a donné le fils qui a été assassiné par Archélaos, et que, pour prévenir sa vengeance, Archélaos a marié sa fille avec le fils qu'elle a eu d'un premier mariage, Amyntas. D'après Dexippos, cet Amyntas est fils d'Arrhidæos, petit-fils d'Amyntas, arrière-petit-fils d'Alexandre le Philhellène, qui est mort vers 454. Devenu Amyntas III, il eut non pas de la fille d'Archélaos, mais d'Eurydice, — une fille de Sirrhas et petite-fille du Lynceste Arrhabæos, — son fils Philippe II (STRAB., VII, p. 326). Élien rapporte que Ménélas (?), aïeul de Philippe, était bâtard : son fils Amyntas avait été au service d'Erope, et, suivant l'opinion commune, son esclaveLIAN., Var. Hist., XII, 43).

[30] DIODORE, XIV, 37. D'après Aristote (Polit., V, 8, II), il fut assassiné par son favori Crateuas, auquel il avait promis sa fille aînée, celle qui fut donnée ensuite à Sirrhas.

[31] Aristote l'appelle Amyntas ό μικρός, et il ajoute que Derdas l'assassina parce que Amyntas s'était vanté d'avoir eu la fleur de sa jeunesse (Polit., V, 8, 10). Probablement cet Amyntas est le fils du Philippe pour lequel les Odryses firent vers 429 une invasion en Macédoine (THUCYD., II, 95 sqq.). Il pouvait avoir alors 20 ans tout au plus. Derdas est sans aucun doute un fils de Sirrhas, qui lui a succédé comme prince d'Élymiotide : ses relations avec Amyntas montrent que sa naissance ne peut pas être placée plus haut que 410.

[32] DIODORE, XIV, 82, 2.

[33] Eurydice est la fille de Sirrhas d'Élymiotide, née du mariage de ce prince avec une sœur du Lynceste Arrhabæos (STRAB., VII, p. 326). Le frère d'Eurydice est Derdas, qui était encore à la fleur de l'âge quand il assassina Amyntas-le-Petit (390) et qui était né par conséquent vers 406. De son mariage avec Eurydice, Amyntas eut trois fils : Alexandre, Perdiccas, Philippe, dont l'aine avait peut-être 16 ou 17 ans, et le plus jeune, Philippe, 10 ans quand leur père mourut (369). Par conséquent, le mariage peut avoir eu lieu en 386.

[34] D'après le scholiaste d'Eschine (De falsa leg., § 27), ce Pausanias était τοΰ βασιλικοΰ γένους : par conséquent, ce n'est pas le Lynceste qu'Amyntas III a évincé en 390. Il est impossible de déterminer à quelle branche de la famille royale il appartenait.

[35] D'après Carystios de Pergame (ap. ATHÉNÉE, XI, p. 506).

[36] L'assertion de Diodore (XV, 22) est maintenant éclaircie par l'inscription (Εφημ. Αρχ., 1874, n° 435. C. I. ATTIC., II, p. 406) qui contient la συμμαχία Άθηναίων πρός Κετρίπορι[ν τόν Θράκα καί το]ύς άδελφούς καί πρός Λύππειον τόν [Παίονα καί πρός Γρά]βον τόν Ίλλύρεον, alliance conclue sous l'archontat d'Elpine (356/5). On connaissait une médaille avec la légende ΚΕΤΡΙΠΟΡΙΟΣ, dont WADDINGTON (Rev. Numism., 1863, p. 240) signalait l'origine thrace, ainsi qu'une autre, déjà décrite par Eckhel, de ΛΥΚΚΕΙΟ ou mieux ΛΥΚΠΕΙΟ (SIX, Numism. Chron., 1875, I, p. 20). Cette inscription leur assigne leur place dans la chronologie. Si les monnaies portant ΑΔΑΙΟΥ (PELLERIN, Peuples et villes, I, p. 183) appartiennent à cette époque — ce qui ne me parait plus probable — il pourrait se faire que Philippe eût mis ce personnage comme prince de Péonie à la place du Lykpeios susnommé, naturellement en l'obligeant au service militaire, et l'on pourrait reconnaître en lui le [Péonien] Addæos que les comiques cités par Athénée (XI, p. 468, XII, p. 532) caractérisent d'un mot énergique en l'appelant ό τοΰ Φιλέππου άλεκτρυών. Les monnaies avec la légende ΕΥΠΟΛΕΜΟΣ, que l'on plaçait jadis dans la série péonienne (Berl. Katal., 1851, p. 262), appartiennent probablement à un autre pays, et certainement à une époque postérieure.

[37] ARRIEN, I, 25. On a fait remarquer que, vu leur fige, ces Lyncestes ne pouvaient pas être les fils d'Aéropos, qui était roi en 396. Mais l'objection n'a pas grande valeur. Si, à la mort de leur père, ces enfants avaient 8, 5 et 3 ans, ils pouvaient parfaitement à la mort de Philippe, qui était alors dans la soixantaine (336), comploter leur intrigue. Les fils d'Arrhabæos, Néoptolémos et Amyntas, étaient déjà des hommes en 334 : Amyntas était même hipparque des sarissophores (ARRIEN, I, 14, 1). Ces chiffres montrent que l'ήγεμών Aéropos mentionné par Polyænos (IV, 2, 3) n'est pas le père de ces frères Lyncestes, mais probablement un fils d'Alexandre ou d'Héromène, qui portait le nom du roi son grand-père.

[38] CURT., VI, 9, 17.

[39] Anaximène (fragm. 7) attribue l'augmentation de la cavalerie des hétœres et de l'infanterie des pézétæres, ainsi que la division de cette infanterie είς λόχους καί δεκάδας καί τάς άλλας άρχάς, à Alexandre, le frère aîné de Philippe. D'après le portrait bien connu que fait Démosthène (Olynth., § 17) de l'armée de Philippe, on pourrait croire à une distinction bien tranchée entre la levée d'une part, et de l'autre, l'armée permanente des ξένοι et πεζέταιροι, si cette assertion n'était évidemment et peut-être intentionnellement erronée. On voit cependant que les Vve', qui sont bien des mercenaires, jouent dès le début un rôle dans cette organisation militaire, comme en Thessalie, du temps de Jason, les 6.000 ξένοι dont parle Xénophon (Hellen., VI, 1, 4).

[40] C'est le chiffre donné par Frontin (Strateg., IV, 2, 4), dont la parole n'est pas une preuve. On en croirait plutôt Diodore (XVI, 85) : seulement, il est clair qu'il y a une erreur dans le chiffre de 3.000 cavaliers à côté de 30.000 hommes d'infanterie.

[41] POLYEN., IV, 2, 3. L'auteur nomme Aéropos et Damasippos comme ceux auquel la chose arriva. Élien (Var. Hist., XIV, 49) expose en détail la sévérité de la discipline.

[42] Un exemple de ce sentiment de l'honneur, c'est l'histoire de ce Pausanias qui, accusé de muliebria pati, répond à ce reproche en couvrant de son corps le roi au moment où celui-ci, dans une bataille livrée aux Illyriens, courait un grand danger, et en se faisant hacher en morceaux (DIODOR., XVI, 93). On en verra un autre exemple donné par un autre Pausanias.

[43] THEOPOMP., fragm., 249, ap. POLYBE, VIII, 11, 13. Cf. ATHÉNÉE, IV, p. 166. VI, p. 260.

[44] C'est ce qui paraît résulter des expressions de Démosthène (De falsa leg., § 89), et plus clairement encore de la politique de Philippe en fait de mines, de monnaies et de commerce. Il est vrai que Théopompe en juge tout différemment.

[45] TZETZES ad Lycophr., 802.

[46] Perdiccam et Leonnatum stipe regia genitos (CURT., X, 7, 8) or, d'après Arrien (Ind., 48), Perdiccas était originaire de l'Orestide. On ne saurait dire si l'Antiochos, roi des Orestes, que mentionne Thucydide (I, 80), était son ancêtre, ou si la stirps regia désigne la maison royale de Macédoine, à laquelle appartient Perdiccas, ou s'il s'agit des deux dynasties à la fois.

[47] SCHOL. THUCYD., 57. Le Derdas nommé parmi les témoins du traité de 423 doit être celui-ci. Son fils est probablement le Sirrhas mentionné par Aristote (Polit., V, 8, 11), et le fils de ce Sirrhas est le deuxième Derdas. Cf. THEOPOMP., fragm. 155.

[48] SATYR. ap. ATHÉNÉE, XI, p. 567 c.

[49] On rencontre le troisième frère Harpalos dans Démosthène (In Aristocrat., § 149) : il est question de lui à propos des Amphipolitains qu'il a remis comme otages à Iphicrate en 366. C'est encore à la même famille qu'appartient le [Παυσ]ανίας Μαχήτου inscrit parmi les témoins du traité de 423 (C. I. ATTIC., I, n° 42), probablement le même que mentionne Thucydide (I, 62).

[50] PLUTARQUE, Apophth., 24. 25. Le parent d'Harpalos auquel Plutarque fait allusion est Cratès. J'ai supposé autrefois que les Antigonides faisaient partie de cette maison, mais il m'est impossible de maintenir cette conjecture. Antigone fils de Philippe, le borgne bien connu, était certainement de grande famille, comme on s'en aperçoit encore au titre de nepos Alexandri que lui donne Sénèque, et non pas un manouvrier, un αύτουργός, comme le dit Douris de Samos, coutumier de ces sortes d'inventions. Néanmoins, son père ne peut pas avoir été ce Philippe qui fut en 327 satrape de l'Inde et qui appartient vraisemblablement à la maison d'Élymiotide, car Antigone, d'après l'âge que lui donne Porphyre, était né dès 384.

[51] PLUTARQUE, Apophth., 27. — ATHÉNÉE, X, p. 435.

[52] ANONYM., ap. Boissonade, Anecdota, II, p. 464.

[53] PLUTARQUE, Alex., 2. Son père Néoptolémos est mentionné déjà à côté d'Alcétas, son père à lui, dans la décision votée en 377 par la Ligue athénienne (C. I. ATTIC., II, n° 17, ligne 14). Après la mort d'Alcétas, Néoptolémos partagea avec son frère Arybbas le royaume des Molosses, qu'ils avaient gouverné quelque temps ensemble, et à la mort de Néoptolémos, les enfants de celui-ci, Olympias et Alexandre, passèrent sous la tutelle de leur oncle Arybbas. Olympias devint en 357 la femme de Philippe : bientôt après, son frère venait la rejoindre à la cour de Macédoine (in Macedoniam nomine sororis arcessit omnique studio spe regni sollicitatum, etc. JUSTIN., VIII, 6). Dès 359, Philippe trouva occasion de chercher querelle à Arybbas (DEMOSTH., Olynth., I, § 14). Plus tard, quand Alexandre eut vingt ans, il le poussa à prendre les armes contre son oncle (ereptum Arybbæ regnum puero admodum tradit, JUSTIN., ibid.). Réfugié à Athènes, Arybbas obtint du peuple un décret portant que les stratèges athéniens prendraient des mesures όπως ά[ν αύτό]ς καί οί παΐδες αύτοΰ [κομί]σωνται τήν άρχήν τήν πατρ[ώαν] (C. I. ATTIC., II, n° 115). C'est à ce moment que Philippe prit encore les villes fondées par les Éléens dans la Cassopie, sur le golfe d'Ambracie, et les remit aux Molosses. Arybbas parait être mort peu de temps après ; Alexandre resta seul seigneur et maître de l'Épire.

[54] On ne saurait dire si l'image d'Olympias, sur une monnaie d'or qui se trouve au Cabinet des Médailles de Berlin (un exemplaire unique, à ce qu'il paraît), est garantie par une tradition authentique. D'après VON SALLET (Num. Zeitung, III, p. 56), la médaille doit être du temps de Caracalla.

[55] C'est-à-dire une victoire olympique (Ol. CVI), la prise de Potidée, et une victoire de Parménion sur les Dardaniens d'Illyrie (PLUTARQUE, Alex., 3). D'après le calcul d'IDELER (Abhandl. d. Berl. Akad., 1820 et 1821, et Handb. der. Chronol., I, p. 403 sqq.), la naissance d'Alexandre tombe en Boédronion Ol. CVI, 1 (16 sept.-14 oct. 356). On verra dans l'Appendice qu'elle doit être placée après le 24 septembre et avant la mi-décembre. Or, il est impossible que la nouvelle de la victoire remportée à Olympie vers le 17 juillet ne soit parvenue au roi que fin septembre. Le synchronisme de ces trois événements est, comme tant d'autres synchronismes de l'histoire grecque, soit une combinaison populaire, soit un moyen mnémonique employé dans les écoles : il n'a en tout cas aucune valeur historique.

[56] THÉOPOMPE, fragm., 27, ap. POLYBE, VIII, II.

[57] Si cette anecdote, conservée par Plutarque, a un fond de vérité, le fait doit avoir eu heu avant la guerre entre Périnthe et Byzance, par conséquent avant qu'Alexandre eût quinze ans. Déjà la cour de Pella avait accueilli des réfugiés venus d'Orient, le Perse Artabaze et son beau-frère, le Rhodien Memnon.

[58] Il est hors de doute que cette lettre, déjà célèbre dans l'antiquité, est apocryphe : Aristote, qui n'avait pas trente ans alors, n'avait pas encore la renommée que cette lettre suppose.

[59] La continence est en effet une des plus belles vertus d'Alexandre, et il en a donné bien des exemples. Jeune homme, il était si éloigné du plaisir que ses parents, inquiets, cherchèrent à le tenter en lui envoyant une belle hétaïre, qui se glissa dans sa chambre à coucher. Alexandre se détourna d'elle tout honteux et se plaignit amèrement de l'aventure.

[60] Parmi le grand nombre d'anecdotes rapportées à ce sujet, il en est une bien caractéristique ; c'est celle qui montre l'influence extraordinaire qu'exerçait sur lui la musique. Un jour qu'Antigénide chantait un hymne guerrier avec accompagnement de flûte, Alexandre bondit et saisit ses armes ([PLUTARQUE,] De fort. Alex., II, 2).

[61] Le gouvernement du royaume lui était confié durant l'absence de son père. Plutarque emploie, pour définir son pouvoir, l'expression άπολειφθείς πύριος έν Μακεδονία τών πραγμάτων καί τής σφραγίδος (PLUTARQUE, Alex., 9).

[62] CURT., VIII, 1, 25. Cette invasion des Illyriens doit avoir eu lieu dans les premiers mois de l'année 337. On voit par un passage de Démosthène (Pro Coron., § 244) que l'orateur lui-même était allé les trouver en qualité d'ambassadeur.

[63] PLUTARQUE, Apophth. Phil., 22. C'est à propos de l'enseignement d'Aristote que Philippe dit à son fils : όπως μή πολλά τοιαΰτα πράξης, έφ' οΐς έγώ πεπραγμένος μέταμέλομαι.

[64] Le renseignement le plus ancien que nous ayons sur cette scène nous vient de Satyros (fr., 3 ap. ATHÉNÉE, XIII, p. 527). L'Illyrienne Audata, l'Élymiote Phila étaient probablement décédées avant 357, car c'est l'année où eut lieu le mariage de Philippe avec Olympias. Des deux Thessaliennes, Nicasipolis et Philinna, Satyros dit seulement qu'elles lui donnèrent des enfants ; elles n'étaient donc pas épouses légitimes. Philinna était la mère d'Arrhidæos. Après elle, Satyros nomme la Thrace Méda et la nièce d'Attale, Cléopâtre, toutes deux avec la mention : έπεισήγαγε τή Όλυμπιάδι.

[65] La nature de cette dépendance est mal définie. Satyros (fr. 5) dit de Philippe : προσεκτήατο δέ καί τήν Μολόττων βασιλείαν γήμας Όλυμπιάδα. Il doit donc y avoir eu dans les coutumes de l'Épire une espèce de succession féminine, en vertu de laquelle Olympias était, avec son frère Alexandre, héritière d'une moitié de la contrée, tandis que l'autre moitié appartenait à son oncle et tuteur Arybbas. Ce dernier avait été expulsé avec sa famille par Philippe, qui avait annexé encore les villes situées sur le golfe d'Ambracie et cédé tout le royaume ainsi augmenté à Alexandre, à coup sûr en lui imposant certaines conditions. Antérieurement, l'Épire avait été sous la dépendance de la Thessalie : le roi Alcétas est désigné par Xénophon (Hellen., VI, 1, 7) comme ό έν Ήπειρω ΰπαρχος.

[66] PLUTARQUE, Alex., 40. ARRIEN, III, 6, 5.

[67] Polyænos (V, 44, 4) estime l'effectif de ce corps d'armée à 10.000 hommes. Trogue-Pompée (Prol. IX) dit : quum bella Persica moliretur præmissa classe cum ducibus. Les autres renseignements sur cette expédition d'avant-garde se trouvent dans Diodore. Ce qui est étonnant, c'est qu'Arrien n'en dit mot : est-ce une raison pour considérer comme une fable cette tradition, qui remonte à Clitarque ? Dans la lettre de Darius à Alexandre après la bataille d'Issos, il est dit que le roi Philippe a commencé la guerre άδικίας πρώτος βασιλέα Άρσην ήρξεν άχαρι έκ Περσών παθών (ARRIEN, II, 14, 2), ce qui ne peut se rapporter qu'à cette invasion sur le territoire perse.

[68] ARRIEN, I, 25. Dans la lettre d'Alexandre à Darius, il est dit, que les assassins de Philippe ont agi à l'instigation du roi de Perse (ARRIEN, II, 14, 5). Plutarque (Alex., 10) dit qu'Olympias et même Alexandre étaient au courant du projet de Pausanias.

[69] DIODORE, XVI, 94. VAL. MAXIME, VIII, 14. Plutarque rapporte la même anecdote au sujet d'Alexandre. Le vrai motif de l'assassin est mentionné par Aristote (Polit., VI, 10, 10).

[70] Sur cette date, voyez l'Appendice à la fin du volume et l'étude Ueber die Aechtheit der Urkunden in Demosthenes Rede vom Kranz (p. 64 du tirage à part). D'après le calcul d'IDELER, l'avènement d'Alexandre tombe en septembre 336 (Ol. CXI, 1), sous l'archontat de Pythodélos.

[71] D'après Diodore, qui expose en détail tous ces événements, avec la couronne envoyée d'Athènes il y eut proclamation d'un décret du peuple portant : Quiconque ayant attenté aux jours du roi Philippe, voudrait se réfugier à Athènes, sera livré à la justice du roi (DIODORE, XVI, 92).

[72] D'après Diodore (XVII, 2), Cléopâtre mit au monde un fils quelques jours avant la mort de Philippe. Diodore suit ici Clitarque, qui, si porté qu'il soit à forger la couleur, est pourtant trop voisin de cette époque pour annoncer la naissance d'un garçon s'il était né une fille : on voit par Justin qu'il a noté le nom significatif de l'enfant, Caranum ex noverca natum (JUSTIN, XI, 2, 3), bien que le même Justin (IX, 7, 12) désigne l'enfant de Cléopâtre comme une fille, contradiction que GROTE a essayé de concilier. Il est vrai que, 150 ans plus tard, Satyros appelle l'enfant de Cléopâtre une fille ; mais cette assertion me parait devoir céder le pas au témoignage de Clitarque.

[73] C'est probablement d'après Clitarque que le Ps.-Plutarque dit : πάσα δ' ΰπονλος ή Μακεδονία πρός Άμύνταν άποβλέπουσα καί τούς Άερόπου παΐδας, c'est-à-dire, les Lyncestes ([PLUTARQUE,] De fort. Alex., I, 3).

[74] ARRIEN, I, 25. CURT., VII, 1, 6.

[75] D'après un passage d'Arrien (I, 18, 5), SCHÄFER (Demosthenes, III, p. 65) conclut que l'immunitas cunctarum rerum dont parle Justin (XI, 1, 10) ne portait que sur l'impôt foncier. Elle n'était sans doute accordée qu'aux Macédoniens présents à l'armée, car on voit Alexandre, après la bataille du Granique, conférer aux parents et enfants de ceux qui avaient succombé (ARRIEN, I, 16, 5 ; cf. VII, 10, 4). Ce sont, par conséquent, les privilèges de ceux qui s'acquittent du service militaire.

[76] DIODORE, XVII, 2.

[77] Amyntas fils d'Arrhabæos doit être le frère de ce Néoptolème (ARRIEN, I, 20, 10) : comme il était à l'armée d'Asie, il ne prit sans doute aucune part à la conjuration. Il se distingua dans les campagnes d'Asie.